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DIEU PASSE PRES DE NOUS

Shoghi Effendi

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3ième Période: Ministère d'Abdu'l-Bahá, 1892-1921

CHAPITRE XVII: Nouvel emprisonnement d'Abdu'l-Bahá

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Les performances remarquables d'une communauté vaillante et durement éprouvée, premiers fruits du covenant de Bahá'u'lláh établi depuis peu dans le monde occidental, avaient jeté des bases assez imposantes pour requérir la présence du Centre désigné de ce covenant, Centre qui avait appelé cette communauté à l'existence et veillé avec tant de soin et de prévoyance sur ses destinées fraîchement écloses. Pourtant, c'est seulement lorsque Abdu'l-Bahá fut sorti de la crise grave qui l'avait déjà retenu pendant plusieurs années dans ses filets, qu'il lui fut possible d'entreprendre son voyage mémorable jusqu'aux rivages d'un continent où la naissance et l'établissement de la foi de son père s'étaient signalés par des réalisations si durables et si magnifiques.

Cette seconde grande crise de son ministère fut de nature extérieure, et à peine moins grave que celle provoquée par la rébellion de Mirzá Muhammad 'Ali; elle mit sa vie sérieusement en danger et le priva, pour un certain nombre d'années, de la liberté relative dont il avait joui; elle plongea sa famille dans l'angoisse, ainsi que les croyants d'Orient et d'Occident, et fit ressortir plus que jamais la dégradation et l'infamie de ses adversaires acharnés. Elle prit naissance deux ans après le départ des premiers pèlerins américains de la Terre sainte. Essentiellement provoquée par les intrigues incessantes et les monstrueuses déformations de l'Archibriseur du covenant de Bahá'u'lláh et de ses partisans, elle se prolongea pendant plus de sept ans, avec une intensité plus ou moins grande.

Aigri par l'échec piteux de sa tentative pour créer un schisme sur lequel il avait naïvement fondé ses espoirs, piqué par l'évident succès que les porte-étendards du covenant avaient obtenu en Amérique du Nord, en dépit de ses machinations, encouragé par l'existence d'un régime qui prospérait dans une atmosphère d'intrigues et de suspicion et qui était présidé par un potentat rusé et cruel, déterminé à exploiter au maximum les occasions de nuire que lui fournissait l'arrivée des pèlerins occidentaux à la prison fortifiée d'Akká ainsi que le commencement de la construction du sépulcre du Báb sur le mont Carmel, Mirzá Muhammad-'Ali, secondé par son frère Mirzá Badi'u'Lláh, et aidé par son beau-frère, Mirzá Majdi'd-Din, réussit, par des efforts énergiques et persévérants, à provoquer la suspicion du gouvernement turc et des fonctionnaires, les amenant à imposer encore à Abdu'l-Bahá une détention qui, du temps de Bahá'u'lláh, l'avait fait si cruellement souffrir.

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Dans une confession écrite, signée et portant son sceau, que publia ce même frère, principal complice de Mirzá Muhammad-'Ali, à l'occasion de sa réconciliation avec Abdu'l-Bahá, il porta témoignage des perfides complots qui furent tramés. "Ce que j'ai entendu dire par d'autres", écrivit Mirzá Badi'u'Lláh, "je veux l'ignorer. je rendrai compte seulement de ce que j'ai vu de mes propres yeux, et entendu de ses lèvres" (celles de Mirzá Muhammad-'Ali). "Il (Mirzá Muhammad-'Ali) s'arrangea", poursuit-il alors, "pour faire envoyer Mirzá Majdi'd-Din, avec un cadeau et une lettre écrite en persan, au pacha Nàzim, le vàli (gouverneur) de Damas, afin d'obtenir son aide. Comme il (Mirzá Majdi'd-Din) m'en informa lui-même à Haïfa, il fit tout ce qu'il put pour le mettre tout à fait au courant (le gouverneur) des travaux de construction sur le mont Carmel, des allées et venues des croyants américains et des réunions tenues à 'Akká. Désirant connaître tous les faits, le pacha fut extrêmement aimable avec lui et l'assura de son aide. Peu de jours après le retour de Mirzá Majdi'd-Din, un télégramme chiffré fut reçu par la Sublime-Porte, qui transmettait l'ordre du sultán d'emprisonner Abdu'l-Bahá, moi-même et les autres." "A ce moment-là", atteste-t-il de plus dans ce document, "un homme qui arrivait à 'Akká, venant de Damas, déclara à des non-bahá'is que Nàzim, le pacha, était cause de l'emprisonnement d'Abbas Effendi. Le plus étrange de tout cela, c'est que Mirzá Muhammad-'Ali, une fois dans la prison, écrivit une lettre au pacha Nàzim, dans le but d'obtenir sa propre libération...Le pacha, cependant, ne répondit pas un seul mot, ni à la première ni à la seconde lettre."

C'est en 1901, le 5 du mois de jamàdiyu'l-avval 1319 A.H. (20 août), qu'Abdu'l-Bahá, à son retour de Bahji où il avait participé à la célébration de l'anniversaire de la déclaration du Báb, fut informé, au cours d'une entrevue avec le gouverneur d'Akká, des instructions du sultán 'Abdu'l-Mamid, ordonnant que les restrictions à sa liberté, qui avaient été graduellement adoucies, soient imposées de nouveau, et qu'il soit strictement confiné avec ses frères entre les murs de cette ville. L'édit du sultán fut d'abord rigoureusement appliqué; la liberté de la communauté exilée fut sévèrement limitée, tandis qu'Abdu'l-Bahá dut subir, seul et sans aucune assistance, l'interrogatoire prolongé de juges et de fonctionnaires qui exigèrent sa présence au quartier général du gouvernement pendant plusieurs jours consécutifs, afin de poursuivre leur enquête. L'un de ses premiers actes fut d'intercéder en faveur de ses frères qui avaient été convoqués de façon impérative et informés par le gouverneur des ordres du souverain, intercession qui ne réussit pas à calmer leur hostilité ni à réduire leur activité malveillant.. Par la suite, en intervenant auprès des autorités civiles et militaires, il réussit à obtenir la liberté de ses fidèles qui résidaient à 'Akká, et à leur permettre de continuer à gagner leur vie sans ingérence étrangère.

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Les briseurs du covenant ne s'apaisèrent pas devant les mesures prises par les autorités contre celui qui était intervenu en leur faveur, avec tant de magnanimité. Aidés par Yahyá Bey, le chef de police bien connu, et par d'autres fonctionnaires civils et militaires - qui, en raison de leurs allégations avaient remplacé les fonctionnaires amis d'Abdu'l-Bahá - ainsi que par des agents secrets qui faisaient la navette entre 'Akká et Constantinople, et même qui surveillaient avec vigilance tout ce qui se passait dans sa maisonnée, ils se dressèrent pour consommer sa ruine. Ils comblèrent les fonctionnaires de cadeaux parmi lesquels se trouvaient des souvenirs sacrés de Bahá'u'lláh, et offrirent sans vergogne des pots-de-vin aux gens aisés comme aux petites gens, pots-de-vin prélevés, dans certains cas, sur la vente de propriétés qu'ils possédaient en commun avec 'Abdu'l-Bahá, ou que ce dernier avait données à quelques-uns d'entre eux. Sans relâcher aucunement leurs efforts, ils poursuivirent sans répit le cours de leurs activités néfastes, déterminés à mettre tout en oeuvre pour obtenir, soit son exécution, soit sa déportation en un lieu suffisamment éloigné pour leur permettre d'arracher la cause de ses mains. Le vali de Damas, le mufti de Beyrouth, des membres des missions protestantes établies en Syrie et à 'Akká, et même l'influent Shaykh Abu'l-Hudà de Constantinople auquel le sultán montrait une estime aussi profonde que celle du sháh Muhammad envers son grand vizir Hàji Mirzá Àqàsi, tous ces personnages furent, en des circonstances diverses, pressentis, sollicités et priés instamment de prêter leur aide à la réalisation de leurs odieux desseins.

Par des messages verbaux, des communications officielles et des entrevues personnelles, les briseurs du covenant persuadèrent ces notables de la nécessité d'agir immédiatement, adaptant avec habileté leurs arguments aux intérêts et aux préjugés particuliers de ceux dont ils recherchaient l'aide. A certains d'entre eux, ils présentèrent Abdu'l-Bahá comme un usurpateur insensible, qui avait piétiné leurs droits, qui les avait dépouillés de leur héritage et réduits à la pauvreté, qui avait transformé en ennemis leurs amis de Perse, avait amassé pour lui-même une large fortune et acquis non moins de deux tiers des terres à Haïfa. A d'autres, ils déclarèrent qu'Abdu'l-Bahá se proposait de faire d'Akká et de Haïfa la nouvelle Mecque et la nouvelle Médine. A d'autres encore, ils affirmèrent que Bahá'u'lláh n'était rien de plus qu'un ancien derviche qui professa et soutint la foi islamique, et que son fils, 'Abbás Effendi, dans un but de glorification personnelle, l'avait élevé au rang de Divinité, tout en se prétendant lui-même le Fils de Dieu, représentant le retour de Jésus-Christ. Ils l'accusèrent encore de nourrir des projets contraires aux intérêts de l'Etat, de méditer une rébellion contre le sultán, d'avoir déjà brandi l'étendard de Yá Bahá'u'l-Abhá, emblème de la révolte, dans de lointains villages de Palestine et de Syrie, d'avoir clandestinement mis sur pied une armée de trente mille hommes, d'avoir entrepris la construction d'une forteresse et d'un vaste dépôt de munitions sur le mont Carmel, de s'être assuré l'aide morale et matérielle d'une foule d'amis anglais et américains parmi lesquels se trouvaient des agents des puissances étrangères qui arrivaient en grand nombre, et sous un déguisement, pour lui rendre hommage, et enfin d'avoir déjà, de concert avec eux, établi des plans en vue de soumettre les provinces voisines, d'expulser les autorités dirigeantes et de se saisir finalement du pouvoir détenu par le sultán lui-même.

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Par de faux rapports et par la corruption, ils réussirent à persuader certaines personnes d'apposer leur signature, en tant que témoins, sur les documents qu'ils avaient libellés et qu'ils envoyèrent, par l'intermédiaire de leurs agents, à la Sublime-Porte.

Des accusations aussi graves, formulées dans nombre de rapports, ne pouvaient manquer de troubler profondément l'esprit d'un despote déjà obsédé par la crainte d'une révolte imminente de ses sujets. Une commission fut alors nommée pour enquêter à ce sujet et rendre compte de ses investigations. Abdu'l-Bahá, convoqué plusieurs fois au tribunal, réfuta soigneusement et sans crainte, tous les chefs d'accusation portés contre lui et en démontra l'absurdité. A l'appui de ses arguments, il mit les membres de la commission au courant des clauses du testament de Bahá'u'lláh, déclara qu'il était prêt à se soumettre à n'importe quelle sentence que la cour pourrait prendre contre lui, et affirma avec éloquence que s'ils l'enchaînaient, s'ils le traînaient à travers les rues, s'ils proféraient contre lui des imprécations, le ridiculisaient, le lapidaient et crachaient sur lui, s'ils le suspendaient dans le jardin public et criblaient son corps de balles, il considérerait cela comme un honneur insigne, car il suivrait ainsi les traces et partagerait les souffrances de son chef bien-aimé, le Báb.

La gravité de la situation qui se présentait à Abdu'l-Bahá, les rumeurs mises en circulation par une population qui s'attendait aux suites les plus graves, les insinuations et les allusions aux dangers qu'il courait, publiées par les journaux d'Egypte et de Syrie, l'attitude de plus en plus agressive adoptée par ses ennemis, les manières provocantes de certains des habitants d'Akká et de Haïfa, enhardis par les prédictions et les inventions de ces ennemis concernant le sort qui attendait une communauté suspectée ainsi que son chef, conduisirent Abdu'l-Bahá à réduire le nombre des visites de pèlerins et même à les suspendre pour un certain temps, et à donner des instructions particulières pour que son courrier soit pris en charge par un intermédiaire en Egypte au lieu de le recevoir à Haïfa, et qu'il y soit conservé en attendant de nouvelles directives de sa part. De plus, il invita les croyants ainsi que ses propres secrétaires à rassembler et porter en lieu sûr tous les écrits bahá'i en leur possession et, les pressant de transférer leur résidence en Egypte, il alla jusqu'à leur interdire de se réunir chez lui comme c'était leur habitude.

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Ses nombreux amis et admirateurs s'abstinrent même, pendant les jours les plus troublés de cette période, de lui rendre visite, crainte d'être compromis et d'encourir la suspicion des autorités. Certains jours et certaines nuits, alors que les perspectives étaient des plus sombres, la maison dans laquelle il vivait et qui avait été, pendant de nombreuses années, un foyer d'activité, fut complètement désertée. Des espions montaient la garde autour d'elle, en secret et ouvertement, surveillant tous ses mouvements et réduisant la liberté de sa famille.

Il se refusa toutefois à suspendre, ou même à interrompre, fut-ce pour une courte période, la construction du sépulcre du Báb, dont il avait posé la première pierre à l'emplacement béni et choisi par Bahá'u'lláh. Il ne permit pas davantage qu'un obstacle quelconque, si formidable fût-il, arrêtât le flot quotidien de tablettes qui, avec une rapidité prodigieuse et en nombre toujours croissant, se déversaient de sa plume infatigable, en réponse à la quantité de lettres, de rapports, demandes de renseignements, prières, professions de foi, apologies et louanges provenant de fidèles et d'admirateurs innombrables des deux côtés du monde. Des témoins oculaires ont affirmé que, pendant cette période agitée et dangereuse de sa vie, ils ne l'avaient pas vu écrire, de sa propre main, moins de quatre vingt dix tablettes en un seul jour, et passer bien des nuits, du crépuscule à l'aube, seul dans sa chambre, à répondre à son courrier dont ses nombreuses responsabilités l'avaient empêché de s'occuper dans la journée.

C'est pendant cette époque de troubles, la plus dramatique de son ministère que, dans la fleur de l'âge et en pleine vigueur, avec une inépuisable énergie, une merveilleuse sérénité et une confiance inébranlable, il mit en route et poursuivit avec une force irrésistible les diverses entreprises relatives à ce ministère. C'est à cette époque qu'il conçut le plan du premier Mashriqu'l-Adhkár du monde bahá'i, et que ses fidèles en commencèrent la construction dans la ville d'Ishqàbàd, au Turkistàn. C'est en ce temps-là que, malgré les troubles qui agitaient son pays natal, il donna des instructions pour faire restaurer la sainte et historique maison du Báb, à Shiráz. C'est à cette époque que les premières mesures furent prises, surtout grâce à ses continuels encouragements, pour préparer la pose de la première pierre qu'il plaça, quelques années plus tard, de ses propres mains, au cours d'une visite à l'emplacement du temple mère d'Occident, sur les bords du lac Michigan. C'est au cours de cette période que fut faite la célèbre compilation des entretiens qu'il avait au cours des repas, et qui furent publiés sous le titre de "Leçons de Saint-Jean-d'Acre". Dans ces entretiens, accordés aux rares instants dont il pouvait disposer, il clarifia certains aspects fondamentaux de la foi de son père, donna des preuves rationnelles et traditionnelles de sa validité, et expliqua avec autorité une grande variété de sujets concernant la dispensation chrétienne, les prophètes de Dieu, les prophéties bibliques, l'origine et la condition de l'homme et autres thèmes du même genre.

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C'est pendant les heures les plus sombres de cette période que, dans une communication adressée au cousin du Báb, le vénérable Hàji Mirzá Muhammad-Taqi, principal constructeur du temple d'Ishqàbáb, 'Abdu'l-Bahá proclama, en des paroles vibrantes, la grandeur incommensurable de la révélation de Bahá'u'lláh, fit entendre les avertissements présageant le tumulte que ses ennemis, proches et lointains, déchaîneraient sur le monde et prophétisa, dans un langage émouvant, la suprématie que les porte-flambeaux du covenant prendraient finalement sur eux. C'est au cours de cette même période, en une heure de grave incertitude, qu'il écrivit ses dernières volontés et son testament, cet immortel document dans lequel il esquisse les caractères de l'ordre administratif qui devait s'établit après sa mort et préfigurer l'instauration de cet ordre mondial dont le Báb avait annoncé l'avènement, et dont Bahá'u'lláh avait déjà formulé les lois et les principes. C'est pendant ces années tumultueuses que, par l'intermédiaire des hérauts et des champions d'un covenant solidement établi, il fonda les institutions embryonnaires administratives, spirituelles et éducatrices d'une foi qui ne cessait de s'étendre rapidement en Perse, berceau de cette foi, dans la grande république de l'Ouest, berceau de son ordre administratif, dans le dominion du Canada, en France, en Angleterre, Allemagne, Egypte, 'Iráq, Russie, aux Indes, en Roumanie, au japon, et même dans les lointaines îles du Pacifique. C'est au cours de cette époque mouvementée qu'une impulsion formidable fut donnée par Abdu'l-Bahá à la traduction, à la publication et à la propagation de la littérature bahá'i qui comprenait à présent une variété de livres et de traités écrits en persan, en arabe, anglais, turc, français, allemand, russe et birman. En ces jours, lorsqu'une accalmie se produisait dans la tempête déchaînée autour de lui, des amis, des pèlerins et des chercheurs se rassemblaient à sa table; ils venaient, pour la plupart, des pays ci-dessus mentionnés et représentaient les religions chrétienne, musulmane, juive, zoroastrienne, hindoue et bouddhique. Aux nécessiteux qui se pressaient aux portes et remplissaient la cour de sa demeure, il distribuait des aumônes de ses propres mains, tous les vendredis matin, en dépit des dangers qui l'entouraient, avec une régularité et une générosité qui lui valurent le titre de "Père des pauvres". Rien, en ces jours orageux, ne put ébranler sa confiance, aucune entrave ne put le retenir de dispenser ses soins aux pauvres, aux orphelins, aux malades et aux opprimés, rien ne put l'empêcher de se rendre en personne auprès de ceux qui étaient incapables de venir ou qui n'osaient solliciter son aide. Inflexible dans sa résolution de suivre les exemples du Báb et de Bahá'u'lláh, rien ne put l'amener à fuir ses ennemis ou à se dérober à l'emprisonnement, ni les avis que lui présentaient les membres principaux de la communauté exilée d'Akká ni les allégations pressantes du consul espagnol - parent d'un agent de compagnie italienne de bateaux à vapeur - qui, dans son amour pour Abdu'l-Bahá, et désireux de l'éloigner du danger qui le menaçait, était allé jusqu'à mettre à sa disposition un cargo italien pour le transporter en sécurité vers n'importe quel port étranger de son choix.

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La tranquillité d'esprit d'Abdu'l-Bahá était si imperturbable que, alors que le bruit courait qu'il pourrait bien être jeté à la mer, exilé à Fizàn, en Tripolitaine, ou pendu, on le vit, à l'étonnement de ses amis et à l'amusement de ses ennemis, plantant des arbres et de la vigne dans le jardin de sa maison, dont les fruits, disait-il à son fidèle jardinier, Ismà'il Àqà, seraient cueillis lorsque la tempête serait calmée et donnés à ces mêmes amis et ennemis, quand ils lui rendraient visite.

Au début de l'hiver 1907, une autre commission, composée de quatre officiers, conduite par le bey 'Arif et investie des pleins pouvoirs, fut subitement envoyée à 'Akká, sur l'ordre du sultán. Quelques jours avant son arrivée, Abdu'l-Bahá eut un songe qu'il raconta aux croyants, et dans lequel il vit un navire jeter l'ancre à 'Akká; de ce navire s'envolèrent quelques oiseaux ressemblant à des cartouches de dynamite; ils tournoyèrent autour de sa tête tandis qu'il se tenait au milieu d'une multitude d'habitants effrayés, et ils s'en retournèrent sans exploser vers le navire.

Les membres de la commission n'eurent pas plutôt débarqué qu'ils placèrent sous leur contrôle direct et exclusif les services télégraphiques et postaux d'Akká. Ils révoquèrent de façon arbitraire les fonctionnaires soupçonnés d'être les amis d'Abdu'l-Bahá, y compris le gouverneur de la ville; il se mirent en relation directe et secrète avec le gouvernement de Constantinople, élurent domicile dans la maison des voisins et associés intimes des briseurs du covenant, postèrent des gardes devant la demeure d'Abdu'l-Bahá pour empêcher qui que ce soit de le voir, et commencèrent l'étrange procédure qui consistait à convoquer comme témoins ces mêmes personnes, comprenant des chrétiens et des musulmans orientaux et occidentaux, qui avaient antérieurement signé les documents envoyés à Constantinople, et qu'ils avaient apportés avec eux en vue de leur enquête.

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Les activités des briseurs du covenant, et particulièrement de Mirzá Muhammad-'Ali qui, plein d'espoir à présent, jubilait, atteignirent leur maximum en ces heures de crise extrême. Visites, entrevues et réceptions se multiplièrent dans une atmosphère d'attente fébrile, maintenant que la victoire paraissait à leur portée. Bon nombre de gens, parmi les éléments les plus bas de la population, furent amenés à croire que les propriétés laissées derrière eux par les exilés déportés allaient leur appartenir. Les insultes et les calomnies augmentèrent de façon notable. Certains des pauvres eux-mêmes, secourus si longtemps et si généreusement par Abdu'l-Bahá, l'abandonnèrent par crainte de représailles.

Tandis que les membres de la commission menaient leur soi-disant enquête, Abdu'l-Bahá refusa avec persistance, pendant leur séjour d'environ un mois à 'Akká, de rencontrer aucun d'entre eux ni d'avoir aucun rapport avec eux, malgré les menaces voilées et les avertissements qui lui furent envoyés par le truchement d'un messager, attitude qui les surprit beaucoup, excita encore leur animosité et fortifia leur détermination d'exécuter leurs mauvais desseins. Quoique les dangers et les afflictions qui l'avaient assailli se trouvassent maintenant à leur comble, bien que le navire sur lequel il était supposé devoir embarquer, avec les membres de la commission, fut prêt à l'emmener et attendît, tantôt à 'Akká tantôt à Haïfa, et bien que les rumeurs les plus extravagantes fussent répandues sur son compte, la sérénité qu'il avait invariablement conservée, depuis que son emprisonnement lui avait été imposé de nouveau, demeura sans nuage, et sa confiance ne fut pas ébranlée. " Le sens du songe que j'ai eu", déclara-t-il à cette époque aux croyants qui étaient encore à 'Akká, "est maintenant clair et évident. S'il plaît à Dieu, cette dynamite n'explosera pas."

Sur ces entrefaites, un certain vendredi, les membres de la commission se rendirent à Haïfa et inspectèrent le sépulcre du Báb dont la construction se poursuivait sans la moindre interruption, sur le mont Carmel. Impressionnés par sa solidité et ses dimensions, ils avaient demandé à l'une des personnes présentes le nombre de caveaux qui avaient été construits en-dessous de cette structure massive.

Peu après cette inspection, on s'aperçut soudain, un soir, au coucher du soleil, que le navire qui était au large de Haïfa avait levé l'ancre et se dirigeait vers 'Akká. La nouvelle que les membres de la commission s'étaient embarqués se répandit rapidement dans la population excitée. On s'attendait à ce qu'il s'arrêtât assez longtemps à 'Akká pour embarquer Abdu'l-Bahá et continuer ensuite sa route vers sa destination. La consternation et l'angoisse s'emparèrent des membres de sa famille lorsqu'ils furent informés de l'approche du navire. Les quelques croyants encore présents pleuraient tristement à l'idée qu'ils allaient être séparés de leur Maître. On put voir Abdu'l-Bahá, à cette heure tragique, en train d'arpenter, seul et en silence, la cour de sa maison.

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Comme le crépuscule tombait, on remarqua soudain que les feux du navire avaient viré et que celui-ci avait modifié sa direction. Il devint bientôt évident qu'il faisait route directement vers Constantinople. La nouvelle fut instantanément communiquée à Abdu'l-Bahá qui, dans l'ombre grandissante, arpentait toujours sa cour. Quelques-uns des croyants, qui s'étaient postés en différents endroits pour surveiller l'avance du navire, se précipitèrent pour confirmer la bonne nouvelle. L'un des plus graves périls qui eût jamais menacé la vie précieuse d'Abdu'l-Bahá fut, tout à coup, en cette journée historique, providentiellement et définitivement écarté.

Peu après le départ précipité et tout à fait inattendu de ce navire, on reçut la nouvelle qu'une bombe avait explosé sur le chemin du sultán, au moment où il rentrait à son palais, après avoir fait ses prières du vendredi à la mosquée.

Quelque jours après l'attentat contre sa vie, la commission lui soumit son rapport, mais lui-même et son gouvernement étaient trop préoccupés pour examiner la question. L'affaire fut laissée de côté et lorsque, quelques mois plus tard, elle fut remise en avant, un événement la fit brusquement classer pour toujours, événement qui, une fois pour toutes, plaça le prisonnier d'Akká hors de l'atteinte du pouvoir de son royal ennemi. La révolution jeune-turque, éclatant brusquement et d'une manière décisive en i go 8, obligea le despote à promulguer à contrecœur la constitution qu'il avait ajournée, et à libérer tous les prisonniers religieux et politiques détenus sous l'ancien régime. Même alors, un télégramme dut être envoyé à Constantinople pour demander spécialement si 'Abdu'l-Bahá faisait partie de cette catégorie de prisonniers, télégramme qui reçut immédiatement une réponse affirmative.

En quelques mois, pendant l'année 1909, les jeunes-Turcs obtinrent du shaykhu'l-islám la condamnation du sultán lui-même qui, à la suite de nouvelles tentatives pour renverser la constitution, fut finalement déposé de façon dégradante, déporté et fait prisonnier d'Etat. En un seul jour de cette même année, au moins trente-et-un des principaux ministres, pachas et fonctionnaires furent exécutés, parmi lesquels se trouvaient des ennemis notoires de la foi. La Tripolitaine elle-même, lieu présumé d'exil pour Abdu'l-Bahá, fut plus tard arrachée à la Turquie par l'Italie. Ainsi se termina le règne du "grand Assassin", "le plus méprisable, rusé, déloyal et cruel intrigant de la longue dynastie des Uthmans ", règne "plus désastreux, à cause des pertes de territoire déjà subies et que d'autres suivraient certainement, et plus marqué par l'abaissement de la condition de ses sujets que ceux de ses vingt-trois prédécesseurs dégénérés qui succédèrent à Soliman le Magnifique".

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