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Source : www.bahai-biblio.org
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LA CHRONIQUE DE NABÍL

Table des matières

Préface
Introduction
Chapitre 01: la mission de Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í
Chapitre 02: la mission de Siyyid Kázim-i-Rashtí
Chapitre 03: la déclaration de la mission du Bab
Chapitre 04: voyage de Mullá Husayn à Tihrán
Chapitre 05: le voyage de Bahá'u'lláh en Mázindarán
Chapitre 06: voyage de Mullá Husayn en Khurásán
Chapitre 07: le pèlerinage du Bab à La Mecque et à Médine
Chapitre 08: le séjour du Báb à Shiraz après le pèlerinage
Chapitre 09: le séjour du Báb à Shiraz après son pèlerinage (suite)
Chapitre 10: le séjour du Bab a Isfáhán
Chapitre 11: le séjour du Bab à Káshán
Chapitre 12: le voyage du Bab de Kashan à Tabriz
Chapitre 13: l'incarcération du Bab dans la forteresse de Mah-ku
Chapitre 14: voyage de Mullá Husayn au Mazindarán
Chapitre 15: voyage de Tahirih de Karbilá au Khurásán
Chapitre 16: la conférence de Badasht
Chapitre 17: l'incarcération du Bab dans la forteresse de Chihriq
Chapitre 18: interrogatoire du Bab à Tabríz
Chapitre 19: le soulèvement de Mázindarán
Chapitre 20: le soulèvement du Mázindarán (suite)
Chapitre 21: les sept martyrs de Tihran
Chapitre 22: le soulèvement de Nayriz
Chapitre 23: le martyre du Bab
Chapitre 24: le soulèvement de Zanján
Chapitre 25: voyage de Bahá'u'lláh à Karbila
Chapitre 26: l'attentat à la vie du Sháh et ses conséquences
Epilogue
Glossaire
Annexe à l'introduction


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Préface

J'ai l'intention, avec l'aide et l'assistance de Dieu, de consacrer les pages d'introduction du présent récit aux informations que j'ai pu recueillir au sujet de ces deux grandes lumières, Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í et Siyyid Kázim-i-Rashtí; après quoi j'espère relater, dans l'ordre chronologique, les principaux événements qui se sont déroulés depuis l'an 1260 après l'hégire, année qui vit la déclaration de la foi par le Báb, jusqu'à nos jours en l'an 1305 après l'hégire. (1)
Parfois, j'entrerai dans les détails et, parfois, je me contenterai d'un bref résumé des faits. Je donnerai une description des épisodes que j'ai moi-même vécus et de ceux qui m'ont été rapportés par des informateurs attitrés et dignes de foi, en spécifiant, dans chaque cas, leurs noms et leurs positions. Je suis principalement redevable envers les personnes suivantes pour les informations qu'elles m'ont apportées:
Mírzá Ahmad-i-Qazvíní, le secrétaire du Báb; Siyyid Ismá`íl-i-Dhabíh; Shaykh Hasan-i-Zunuzí; Shaykh Abú-Turáb-i-Qazvíní, sans oublier Mírzá Músá, Aqáy-i-Kalím, frère de Bahá'u'lláh.
Je rends grâce à Dieu de m'avoir assisté dans la rédaction de ces pages préliminaires, de les avoir bénies et honorées de l'assentiment de Bahá'u'lláh qui a daigné les examiner et qui a signifié, par l'intermédiaire de son secrétaire Mírzá Aqá Ján, qui les lui avaient lues, sa satisfaction et son approbation. Je prie que le Tout-Puissant me soutienne et me guide, de peur que je ne faillisse à la tâche que je me suis engagé à accomplir.


Muhammad-i-zarandí (2)
'Akkâ, Palestine, en l'an 1305 après l'hégire

(1) an 1887-8 après J-C.
(2) Son titre complet est Nabí1-i-A'zam.

PHOTO: Muhammad-i-zarandí, surnommé Nabíl-i-a'zam


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Introduction

Le mouvement bahá'í est maintenant bien connu à travers le monde et le temps est venu où le merveilleux récit, par Nabíl, de ses débuts au fond de la Perse intéressera un grand nombre de lecteurs. Ce récit, écrit avec tant de soin et d'ardeur, est à bien des égards extraordinaire.
On y trouve des passages étonnants, et la splendeur du thème central donne à cette chronique non seulement une grand valeur historique, mais encore une grande puissance morale. La lumière en est forte et l'effet d'autant plus intense que l'on dirait une apparition du soleil à minuit. Ce récit est celui des luttes et des martyres.
Les scènes poignantes, les incidents tragiques y sont nombreux. La corruption, le fanatisme et la cruauté se liguent contre la cause de la réforme pour la détruire, et le présent volume se termine lorsque le déchaînement de la haine a, semble-t-il, atteint son but et envoyé en exil ou mis à mort tout homme, femme et enfant de Perse qui osaient afficher une sympathie pour les enseignements du Báb.

Nabíl, ayant lui-même participé à certaines des scènes qu'il raconte, a pris sa plume solitaire pour écrire la vérité au sujet d'hommes et de femmes persécutés sans pitié, et d'un mouvement aussi odieusement attaqué.

Il écrit avec facilité et, lorsqu'il s'émeut, son style devient vigoureux et vif. Il n'érige pas en système les buts et les enseignements de Bahá'u'lláh, ni de son prédécesseur. Son objectif est, simplement, de retracer les débuts de la révélation bahá'íe et de préserver le souvenir des faits et gestes de ses premiers défenseurs. Il relate une série d'incidents, citant soigneusement ses sources sur presque chaque point. En conséquence, son travail, s'il est moins artistique et philosophique, est de plus grande valeur en tant que récit littéral de ce qu'il savait ou de ce qu'il pouvait découvrir, grâce à des témoins crédibles, quant à l'histoire des débuts de la cause.

Les points saillants du récit (le personnage saint et héroïque du Báb, chef si doux et si serein, et pourtant ardent, résolu et dominateur; la dévotion de ses disciples, qui faisaient face à l'oppression avec un courage inentamé et souvent avec extase; la rage de prêtres jaloux qui enflammaient, à leurs propres fins, les passions d'une populace avide de sang), sont exprimés dans un langage que tous peuvent comprendre. Mais il n'est pas facile de suivre la narration dans tous ses détails, ni d'apprécier la merveilleuse tâche entreprise par Bahá'u'lláh, et son prédécesseur, sans une certaine connaissance de la situation de l'Eglise et de l'Etat en Perse, des habitudes et de l'attitude mentale des gens et de leurs maîtres. Nabíl part de l'hypothèse que tout cela est connu.

Il avait lui-même, peu ou prou voyagé au-delà des frontières des empires du sh4h et du sultán, et il ne lui vint pas à l'esprit d'établir des comparaisons entre sa propre civilisation et les civilisations étrangères. Il ne s'adressait pas aux lecteurs occidentaux. Il était conscient du fait que les matériaux qu'il avait réunis étaient d'une importance dépassant la nation ou l'islám et que, rapidement, ils rayonneraient à la fois vers l'est et vers l'ouest jusqu'à encercler le globe, mais c'était un Oriental écrivant dans une langue orientale pour ceux qui connaissaient cette langue, et le travail unique en son genre qu'il accomplissait avec tant de dévouement était en soi une grande et laborieuse tâche.

Cependant, il existe en anglais des textes sur la Perse au dix-neuvième siècle; ces ouvrages donneront au lecteur occidental des informations détaillées sur ce sujet. Grâce aux écrits persans qui ont déjà été traduits, ou grâce aux livres de voyageurs européens tels que Lord Curzon, Sir J. Malcolm et de nombreux autres auteurs, le lecteur se fera une image réaliste et nette - bien que peu attrayante - de la situation sordide de cette société, lorsque le Báb introduisit le mouvement au milieu du dix-neuvième siècle.

Tous les observateurs sont d'accord pour représenter la Perse comme une nation faible et arriérée, se déchirant en raison de pratiques corrompues et d'une bigoterie féroce. L'inefficacité et le malheur, fruits de la dégradation morale, imprégnaient le pays. Du plus élevé jusqu'au plus modeste subalterne n'apparaît chez aucun la capacité de concrétiser les méthodes de réforme, ni même le désir sérieux de les mettre en oeuvre. L'orgueil national prêchait une autosatisfaction grandiose. Un linceul d'immobilisme couvrait tout et une paralysie générale des esprits rendait impossible toute évolution.

Pour un étudiant en histoire, la dégénérescence d'une nation autrefois puissante et tellement illustre semble extrêmement regrettable. 'Abdu'l-Bahá, qui aimait vraiment son pays en dépit de la cruauté accumulée envers Bahá'u'lláh, envers le Báb et envers lui-même, a appelé cette dégénérescence "la tragédie d'un peuple"; et, dans un ouvrage intitulé "les Forces mystérieuses de la civilisation" - dans lequel il s'efforçait d'éveiller le cœur de ses compatriotes afin qu'ils entreprennent des réformes radicales, - 'Abdu'l-Bahá se lamente de façon poignante sur le destin actuel d'un peuple qui, autrefois, avait poursuivi ses conquêtes à l'est comme à l'ouest, et s'était trouvé à la tête de la civilisation de l'humanité.

Il écrit que, "dans les temps antérieurs, la Perse était vraiment le cœur du monde et qu'elle étincelait parmi les nations comme un cierge allumé. Sa gloire et sa prospérité pointaient à l'horizon de l'humanité, telle la véritable aurore, diffusant la lumière du savoir et illuminant les nations de l'Orient et de l'Occident. La célébrité de ses rois victorieux parvenait aux oreilles des habitants de la planète à ses deux extrémités. La majesté de son roi des rois rendait humbles les monarques de la Grèce et de Rome. La sagesse de son gouvernement la faisait respecter par les sages; et les chefs des continents façonnaient leurs lois sur sa politique. Les Persans se distinguant parmi les nations de la terre en tant que peuple de conquérants et, à juste titre, en tant qu'objets d'admiration de par leur civilisation et leur savoir, leur pays devint le centre glorieux de toutes les sciences et de tous les arts, la mine de la culture et une source de vertus.

Comment est-il possible que, en raison de notre paresse, de notre vanité et de notre indifférence, du fait du manque de connaissances et de l'absence d'organisation, de la déficience du zèle et de l'ambition de son peuple, ce pays excellent ait permis que les rayons de sa prospérité fussent obscurcis et presque éteints?"

D'autres auteurs décrivent complètement, eux aussi, la situation malheureuse que rapporte 'Abdu'l-Bahá.

À l'époque où le Báb fit connaître sa mission, le gouvernement du pays était, selon les termes de Lord Curzon, un "Etat-Eglise". Aussi vénal, cruel et immoral qu'il fût, il était ouvertement religieux. L'orthodoxie musulmane en était la base et imprégnait jusqu'au coeur à la fois le gouvernement et la vie sociale du peuple. Mais il n'y avait par ailleurs aucune loi, aucun statut ni charte pour orienter les affaires publiques. Il n'y avait pas de Chambre haute ni de Conseil privé, pas de synode, pas de Parlement. Le sháh était un despote, et sa règle arbitraire se traduisait tout au long de l'échelle officielle, du ministre au gouverneur en passant par l'employé le moins important ou par le chef le plus lointain.

Il n'existait aucun tribunal civil pour contrôler ou modifier la puissance du monarque ou les pouvoirs qu'il jugeait bon d'accorder à ses subordonnés. Sa parole avait force de loi. Il pouvait faire ce qu'il voulait. C'était à lui de nommer ou de démettre tous les ministres, tous les fonctionnaires et tous les juges. Il avait pouvoir de vie ou de mort, sans appel, sur tous les membres de sa famille et de la cour, civils ou militaires. Le droit d'ôter la vie lui était conféré, à lui seul, de même que toutes les tâches gouvernementales, législatives, exécutives et judiciaires. Ses prérogatives royales n'étaient soumises à aucune loi écrite.

Des descendants des sháhs se voyaient confier les postes les plus lucratifs à travers le pays et, au fil des générations, on leur confiait également d'innombrables fonctions mineures, jusque dans les coins les plus reculés du royaume, si bien que le pays souffrait de la charge que représentait cette race de bons à rien royaux qui ne devaient leur poste qu'à leur sang royal, et qui ont suscité le proverbe persan selon lequel "les chameaux, les puces et les princes existent partout."

Même lorsqu'un sháh souhaitait prendre une décision juste et sage au sujet d'un cas qui lui était soumis pour jugement, il lui était difficile de le faire car il ne pouvait avoir confiance en les informations qui lui étaient données. On refusait de l'informer des faits cruciaux, ou bien ceux-ci étaient déformés sous l'influence de témoins intéressés ou de ministres véreux. Le système de corruption avait atteint si profondément la Perse qu'il en était devenu une institution, que Lord Curzon décrit dans les termes suivants:

"J'en viens maintenant à ce qui est le trait cardinal et caractéristique de l'administration iranienne. On peut dire que le gouvernement et la vie elle-même, dans ce pays, consistent en grande partie en un échange de cadeaux. On peut supposer que, dans ses aspects sociaux, cette pratique reflète les sentiments généreux d'un peuple amical, mais il y a en cela un côté absolument non émotif quand, par exemple, vous vous félicitez d'avoir reçu un cadeau, et vous vous apercevez que non seulement vous devez faire au donateur un cadeau de coût équivalent, mais que vous devez aussi rémunérer libéralement le porteur du cadeau (pour qui votre don est très probablement l'unique moyen de subsistance) selon la valeur pécuniaire du présent.

Dans ses aspects politiques, la pratique de faire des cadeaux, bien que consacrée par les traditions tenaces de l'Orient, est synonyme d'un système décrit ailleurs en des termes moins agréables. C'est le système qui a prévalu pour le gouvernement de la Perse depuis des siècles, et dont le maintien constitue un obstacle absolu à toute réforme réelle. Du sháh aux subalternes jusqu'en bas de l'échelle, il n'y a guère de fonctionnaire à l'abri des cadeaux, guère de poste qui ne soit confié en échange de cadeaux, guère de revenu qui n'ait été amassé par accumulation de cadeaux. Chaque personne, presque sans exception, de la hiérarchie officielle mentionnée ci-avant n'a dû son poste qu'à un cadeau en argent soit au sháh, soit à un ministre, soit au gouverneur supérieur en grade grâce auquel il a été nommé. S'il y a plusieurs candidats pour un poste, en toute probabilité celui qui fait l'offre la plus alléchante l'emportera.

"... Le madákhil dont l'exaction sous mille formes différentes n'est égalée que par la multiplicité de son ingéniosité, est en Perse une institution nationale bien-aimée, l'intérêt primordial et la joie de l'existence des Persans. Ce terme remarquable, pour lequel M. Watson écrit qu'il n'y a pas d'équivalent précis en anglais, peut se traduire diversement par commission, pourboire, amabilité, rémunération, pourboire douteux et vol, bénéfice, selon le contexte. Généralement, cela signifie la marge d'avantages personnels, souvent sous forme d'argent qui peut être retirée de n'importe quelle transaction.
Une négociation dans laquelle sont concernées deux parties: le donateur et le bénéficiaire, le supérieur et le subordonné, ou même deux fonctionnaires de rang égal, ne peut avoir lieu en Perse sans que la partie présentée comme l'auteur de la faveur accordée ou du service rendu ne demande et ne reçoive un bénéfice précis en espèces pour ce qu'il a fait ou donné. L'on peut dire évidemment que la nature humaine est à peu près la même partout dans le monde, qu'un système analogue existe, sous une appellation différente, dans notre pays, et que les critiques philosophes retrouvent chez les Persans des hommes et des frères. Dans une certaine mesure, cela est vrai.
Mais dans aucun pays du monde que j'aie jamais vu ou dont j'aurais entendu parler, le système n'est si ouvertement cynique, ni si généralisé qu'en Perse. Loin de se limiter au domaine de l'économie interne ou aux transactions commerciales, il pénètre toutes les actions et inspire la plupart des actes de la vie.
Du fait de ce système, on peut dire que la générosité ou la prestation de services gratuits ont été effacées, en Perse, de la catégorie sociale, et la cupidité à été élevée en un principe dictant la conduite des hommes... . Grâce à cela, du souverain aux sujets, on institue une progression arithmétique des butins: chaque personne de cette gamme descendante se rémunérant auprès de la personne immédiatement inférieure à elle dans la hiérarchie, et le malheureux paysan étant la dernière victime. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que les postes officiels soient la route générale vers la richesse et qu'il y ait des cas fréquents d'hommes qui, partis de rien, se trouvent résider dans une magnifique demeure, entourés d'une foule de personnes attachées à leur service, et vivant dans un style princier. "Profitez au mieux tant que vous le pouvez" est la règle qu'adoptent la plupart des gens lorsqu'ils prennent leurs fonctions dans la vie publique. Et l'esprit populaire ne s'oppose pas à un tel comportement; l'estime envers quelqu'un qui, en ayant la possibilité, n'a pas rempli ses poches, est à son sens l'inverse d'un compliment.
Personne ne pense à ceux qui souffrent, aux dépens de qui, en fin de compte, on a retiré les éléments de ces "madákhils" successifs alors que la sueur de leurs fronts a nourri la richesse gaspillée en maisons de campagne luxueuses, en curiosités européennes et en énormes suites de serviteurs."

Lire ce qui précède revient à percevoir d'une certaine manière la difficulté de la mission du Báb; lire ce qui suit amène à comprendre les dangers auxquels il eut à faire face et à se préparer au récit de violences et d'actes d'une affreuse cruauté.

Avant de quitter le sujet des lois persanes et de leur application, permettez-moi d'ajouter quelques mots à propos des peines et des prisons. Rien n'est plus choquant pour le lecteur européen qui, cheminant à travers les pages, illustrées de crimes et éclaboussées de sang, de l'histoire perse au cours du dernier siècle et - heureusement à un moindre degré, en ce siècle-ci, - que le récit de punitions barbares et de tortures abominables, témoignant alternativement de l'âpreté de brutes et de l'ingéniosité de démons.
Le caractère persan a toujours été astucieux et insensible à la douleur; et il a trouvé dans le domaine des exécutions judiciaires une large place pour l'exercice de ces deux imperfections. Jusqu'à une période toute récente, qui déborde largement sur le règne actuel, les prisonniers condamnés ont été crucifiés, tués à coups de fusil, enterrés vifs, empalés, ont eu les pieds ferrés comme les sabots des chevaux (supplice des brodequins), ont été écartelés après avoir été attachés à la cime de deux arbres ployés remis ensuite dans leur position naturelle, transformés en torches humaines, écorchés vifs.

Dans un système de gouvernement à deux faces, tel que celui dont je viens de faire la description, - à savoir une administration dont chaque acteur est à la fois celui qui donne et celui qui reçoit un pourboire, et une procédure judiciaire sans lois et sans Cour de justice, - on comprend facilement qu'il n'existe guère de confiance dans le gouvernement et qu'il n'y ait pas de sentiment personnel du devoir ni d'orgueil de l'honneur, pas de confiance mutuelle ni de coopération (sauf au service du mal), pas d'infamie à être découvert après un forfait, pas de crédit pour la vertu et, par-dessus tout, pas d'esprit national ni de patriotisme.

Dès le début, le Báb a dû imaginer l'accueil que feraient ses compatriotes à son enseignement et le sort qui l'attendait aux mains des mullás. Mais il ne permit pas à des craintes personnelles de l'empêcher d'énoncer franchement ses vues ni de présenter ouvertement sa cause. Les innovations qu'il proclame, bien que strictement religieuses, étaient draconiennes; l'annonce de sa propre identité, étonnante et remarquable. Il se fit connaître en tant que Qá'im, le Prophète supérieur ou Messie promis depuis si longtemps et si passionnément attendu par le monde musulman. Il ajouta à cette déclaration qu'il était également la Porte (c'est-à-dire le Báb) à travers laquelle une Manifestation plus importante que lui devait pénétrer dans le royaume des hommes.

S'alignant ainsi sur les traditions de l'isl4m et apparaissant comme l'accomplissement d'une prophétie, il entra en conflit avec ceux qui avaient des idées fixes et bien ancrées (différentes des siennes) sur ce que voulaient dire ces prophéties et ces traditions. Les deux grandes sectes persanes de l'islám, le shiisme et le sunnisme, attachaient toutes deux une importance vitale au dépôt ancien de leur foi, mais n'étaient pas d'accord sur le contenu de celle-ci, ni sur sa signification. Les shí'ahs, dont les doctrines furent à l'origine du mouvement babí, croyaient qu'après l'ascension du grand prophète Muhammad, lui succéda une lignée de douze Imáms.
Chacun de ceux-ci, pensaient-ils, était spécialement doté par Dieu de dons et de pouvoirs spirituels, et avait droit à l'obéissance sans faille des fidèles. Chacun d'entre eux devait sa nomination non pas au choix populaire, mais à son prédécesseur dans cette fonction. Le douzième et dernier de ces guides inspirés fut Muhammad, appelé par les shí'ahs "Imám-Mihdí; Hujjatu'lláh (la Preuve de Dieu), Baqíyyatu'lláh (le Vestige de Dieu) et Qá'im-i-Al-i-Muhammad (celui qui sera issu de la famille de Muhammad)".
Il prit ses fonctions d'Imám en l'an 260 après l'hégire, mais disparut immédiatement de la vue des fidèles, et ne communiqua avec ses adeptes que grâce à un intermédiaire choisi et connu sous le nom de Porte.
Quatre de ces Portes se succédèrent, chacune nommée par son prédécesseur avec l'approbation de l'Imám; mais lorsqu'au quatrième, Abu'l-Hasan-'Alí, il fut demandé par les fidèles, avant sa mort, de dire le nom de son successeur, il refusa, déclarant que Dieu avait un autre projet. A sa mort, toute communication entre l'Imám et ses fidèles fut donc interrompue. Et bien qu'entouré d'un groupe d'adeptes, il vit encore et attend en quelque retraite mystérieuse, il ne reprendra des relations avec son peuple que lorsqu'il viendra au pouvoir pour établir à travers le monde une ère messianique.

Les sunnís, par contre, ont une vue moins exaltée de la fonction de ceux qui ont succédé au grand Prophète. Ils considèrent la vice-royauté comme une question plus matérielle que spirituelle. À leurs yeux, le khalíf est le défenseur de la foi, et il tient sa nomination du choix et de l'approbation du peuple.

Aussi importantes que soient ces différences, les deux sectes sont cependant d'accord pour attendre une Manifestation double. Les shí'ahs cherchent le Qá'im qui arrivera quand le temps sera venu, et également le retour de l'Imám Husayn. Les sunnís attendent l'apparition du Mihdí et également "le retour de Jésus-Christ". Lorsqu'au début de sa mission, le Báb, reprenant la tradition des shí'ahs, proclama sa fonction sous le double titre d'abord du Qá'im et ensuite de la Porte - ou du Báb, - certains mahométans comprirent mal cette deuxième référence. Ils imaginèrent qu'il déclarait être une cinquième Porte, successeur d'Abu'l-Hasan-'Alí.
Ce qu'il avait dit, en réalité, comme il l'annonça clairement lui-même, était très différent. Il était le Qá'im; mais le Qá'im, quoique grand prophète, était là en attendant une Manifestation postérieure et plus grande, comme St-Jean-Baptiste par rapport au Christ. Il était l'avant-coureur de quelqu'un encore plus puissant que lui. Lui devait diminuer; le puissant devait augmenter. Et de même que Saint-Jean-Baptiste fut le héraut ou la Porte du Christ, de même le Báb fut le héraut ou la Porte de Bahá'u'lláh.

Il y a de nombreuses traditions authentiques qui prouvent que le Qá'im, lors de son apparition, apporterait avec lui des lois nouvelles et, ainsi, abrogerait l'islám. Mais ce n'est pas ainsi que l'entendaient les membres de la hiérarchie officielle. Ils s'attendaient avec confiance à ce que l'avènement promis ne remplace pas l'ancienne révélation par une révélation nouvelle et plus riche, mais qu'il approuve et fortifie le système dont ils étaient les fonctionnaires. Ils pensaient que cet avènement rehausserait énormément leur prestige personnel, étendrait leur autorité au loin à travers les nations et leur gagnerait l'hommage réticent mais abject de toute l'humanité.
Lorsque le Báb révéla son Bayán, proclama un nouveau code de loi religieuse et institua, par le précepte et par l'exemple, une réforme morale et spirituelle profonde, les prêtres pressentirent immédiatement un danger mortel. Ils voyaient leur monopole mis en cause, leurs ambitions menacées, leur propre vie et leur propre conduite prises à partie. Ils se soulevèrent contre lui en une sainte indignation. Ils déclarèrent devant le sháh et devant tout le peuple que cet orgueilleux était un ennemi de la bonne éducation, un séditieux de l'islám, un traître à Muhammad et un péril non seulement pour la sainte Eglise, mais pour l'ordre social et pour l'Etat lui-même.

La cause du rejet et de la persécution du Báb fut, dans son essence, la même que celle du rejet et de la persécution du Christ. Si Jésus n'avait pas amené un Nouveau Livre, s'il n'avait fait que réitérer les principes spirituels enseignés par Moïse tout en gardant les règles de Moïse, il aurait pu, en tant que simple réformateur moral, échapper à la vengeance des scribes et des pharisiens. Mais proclamer qu'une partie de la loi mosaïque, et même les ordonnances matérielles ayant trait au divorce et au respect du sabbat, pouvaient être modifiées - et modifiées par un prédicateur non ordonné du village de Nazareth - cela, c'était menacer les intérêts des scribes et des pharisiens eux-mêmes et, du fait qu'ils étaient les représentants de Moïse et de Dieu, c'était un blasphème contre le Tout-Puissant. Dès que la position de Jésus fut comprise, sa persécution commença. Comme il refusait de céder, il fut mis à mort.

Pour des raisons exactement parallèles, le Báb fut à l'origine attaqué par l'Église dominante qui cherchait à extirper la foi afin de conserver ses avantages acquis. Et pourtant, même dans ce pays sombre et fanatique, les mullás (comme les scribes en Palestine dix-huit siècles plus tôt) ne trouvèrent pas très facilement un prétexte plausible à avancer, pour exécuter celui qu'ils pensaient être leur ennemi.

Le seul récit connu de la visite d'un Européen au Báb appartient à la période de sa persécution, lorsqu'un médecin anglais résidant à Tabríz, le docteur Cormick, fut convoqué par les autorités persanes pour se prononcer sur l'état mental du Bib. La lettre du docteur, adressée à un confrère de la mission américaine en Perse, a été publiée par le professeur E.G. Browne dans "Materials for the Study of the Bábí Religion" (Matériaux pour l'étude de la religion Bábie). "Vous me demandez," écrit le docteur, "quelques détails sur mon entrevue avec le fondateur de la secte dite du Báb. Rien d'important ne transpira de cette entrevue; car le Báb savait que j'avais été envoyé avec deux docteurs persans pour voir s'il était sain d'esprit ou simplement fou, pour décider de la question de savoir s'il devait être mis à mort ou non.
Sachant cela, il était réticent pour répondre à toute question qu'on lui posait. A toutes les demandes, il nous regardait d'un air doux en psalmodiant, je suppose, quelques hymnes, d'une voix basse et mélodieuse. Deux autres siyyids, ses amis intimes, étaient également présents (ils furent, par la suite, mis à mort avec lui) et, en outre, deux fonctionnaires du gouvernement.
Il ne daigna répondre qu'à moi lorsque je dis que je n'étais pas musulman et que je souhaitais apprendre quelque chose de sa religion, car je serais peut-être enclin à l'adopter. Il me considéra très intensément quand je dis cela, et répondit qu'il n'avait aucun doute sur le fait que les Européens se convertiraient tous à sa religion. Notre rapport au shah, à ce moment-là, fut de nature à épargner sa vie.
Il fut mis à mort peu de temps après, sur l'ordre de l'amir-nizám, Mírzá-Taqí Khán. À la suite de notre rapport, il reçut la bastonnade; au cours de ce traitement un farrásh, intentionnellement ou non, le frappa au visage avec le báton destiné à lui frapper les pieds; il s'en suivit une grande plaie et l'enflure de la figure. Lorsqu'on lui demanda s'il fallait quérir un chirurgien persan pour le soigner, il exprima le désir qu'on me fasse venir, et je le soignai donc pendant quelques jours mais, dans les entrevues qui suivirent, je ne pus jamais obtenir de conversation confidentielle, car les gens du gouvernement se trouvaient toujours présents du fait qu'il était prisonnier.
C'était un homme très doux et d'aspect délicat, plutôt petit de taille, les cheveux très clairs pour un Persan, s'exprimant d'une voix douce et mélodieuse qui me frappa beaucoup. Etant siyyid, il était vêtu des habits de cette secte, comme ses deux compagnons. En fait, sa physionomie et son comportement influençaient beaucoup en sa faveur.
De sa doctrine je n'entendis rien de sa bouche, bien que l'idée se fît jour qu'il existait dans sa religion un certain rapprochement avec le christianisme. Des menuisiers arméniens, envoyés dans la prison pour y faire des réparations, le virent lire la Bible sans prendre le soin de s'en cacher mais, au contraire, en la leur lisant. Il est tout à fait certain que le fanatisme musulman vis-à-vis des chrétiens, n'existe pas dans sa religion, ni les restrictions pour les femmes telles qu'elles existent actuellement."

Telle fut l'impression faite par le Báb sur un Anglais cultivé. Et aussi loin que l'influence de sa personnalité et de son enseignement se soit, depuis, répandue en Occident, il n'existe aucun autre récit rapportant qu'il ait été observé ou vu par des yeux européens.

Ses qualités étaient si exceptionnelles par leur noblesse et leur beauté, sa personnalité si douce et cependant si forte, son charme naturel se combinait avec un tel tact et une telle réflexion que, après sa déclaration, il devint rapidement en Perse un personnage très populaire. Il s'alliait presque tous ceux avec qui il entrait en contact personnel, convertissait souvent ses geôliers à sa foi et, des gens mal disposés à son égard, il faisait des amis admiratifs.

Réduire au silence un tel homme sans encourir une certaine haine publique n'était pas très facile, même dans la Perse du milieu du siècle dernier. Mais avec ses adeptes, il en allait tout autrement.

Les mullás rencontraient là peu de raisons d'atermoiement et ná avaient pas besoin de faire des plans. La bigoterie des musulmans, depuis le sháh jusqu'en bas de la hiérarchie, pouvait facilement être éveillée à l'encontre de tout développement religieux. Les adeptes du Báb pouvaient être accusés de déloyauté envers le sháh, et l'on pouvait attribuer leurs activités à de noirs desseins politiques.
En outre, les fidèles du Báb étaient déjà nombreux, certains étaient dans l'aisance, d'autres étaient riches, mais peu nombreux étaient ceux qui avaient des biens que des voisins envieux pouvaient être poussés à convoiter. S'appuyant sur la peur ressentie par les autorités et sur les basses passions nationales de fanatisme et de cupidité, les mullás commencèrent une campagne de vexations et de spoliations qu'ils poursuivirent avec une férocité implacable jusqu'à ce qu'ils estiment avoir complètement atteint leur but.

De nombreux incidents se rapportant à cette malheureuse histoire sont relatés par Nabíl; entre autres, les événements survenus dans les villes de Mázindarán, Nayríz et Zanján, sont remarquables en raison des épisodes extraordinaires de l'héroïsme des adeptes du Báb aux abois. En ces trois occasions, un certain nombre de ces fidèles, en situation désespérée, abandonnèrent de concert leurs demeures, se retirèrent dans une retraite choisie et, érigeant des ouvrages défensifs autour d'eux, défièrent en armes une poursuite ultérieure.
Pour tout témoin impartial, il était évident que les allégations des mullás invoquant un motif politique étaient fausses. Les adeptes du Báb se déclaraient toujours prêts - s'ils recevaient l'assurance de n'être plus molestés pour leurs croyances religieuses - à retourner pacifiquement à leurs occupations civiles. Nabíl insiste sur le soin qu'ils prenaient de s'abstenir de toute agression. Ils combattaient pour leur vie avec une habilité et une force certaines; mais ils n'attaquaient pas. Même au milieu d'un conflit féroce ils ne désiraient pas retirer un avantage ni frapper un coup non nécessaire.

'Abdu'l-Bahá est cité dans le "Traveller's Narrative" ("le Récit du voyageur") pages 34-35, comme faisant la déclaration suivante sur l'aspect moral de leur action:

"Le ministre Mírzá Taqí Khán, dans le plus grand arbitraire, sans avoir reçu aucune instruction ni demandé aucune autorisation, envoya en toutes directions des ordres pour punir et chátier les adeptes du Báb. Les gouverneurs et les magistrats cherchèrent un prétexte pour amasser des richesses et les fonctionnaires, quant à eux, un moyen d'obtenir des profits; des docteurs célèbres, du haut de leur chaire, invitèrent les gens à perpétrer une tuerie générale; les puissances de la religion et de la loi civile s'allièrent et s'efforcèrent de déraciner et de détruire ce peuple.
Cependant, ce dernier ná avait pas encore acquis une bonne connaissance de ce qui était juste et utile dans les principes fondamentaux et les doctrines cachées des enseignements du Báb et il connaissait mal ses devoirs. Ses conceptions et ses idées étaient encore fidèles à la mode antérieure, sa conduite et son comportement, conformes aux anciens usages.
De plus, le chemin pour s'approcher du Báb était fermé, et la flamme des difficultés était visiblement brillante de toutes parts. Sur l'injonction des plus célèbres docteurs, le gouvernement et même le commun du peuple avaient, avec une puissance irrésistible, inauguré la spoliation et le pillage de tous côtés et s'étaient mis à punir, à torturer, à tuer et à spolier dans le but d'éteindre cette ardeur et de flétrir ces pauvres âmes.
Dans les villes où il n'y avait qu'un nombre limité d'adeptes du Bib, ils eurent tous les mains attachées, ils furent tués par l'épée, alors que dans les villes où ils étaient nombreux, ils se dressèrent pour se défendre, conformément à leurs anciennes croyances, étant donné qu'il leur était impossible de se renseigner sur leurs devoirs et que toutes les portes étaient fermées."

Lorsque, quelques années plus tard, Bahá'u'lláh proclama sa mission, en affirmant: "il vaut mieux être tué que tuer", il ne laissa guère de place à l'incertitude quant à la loi de sa révélation dans une telle situation.

Quelque forme de résistance qu'aient offerte les adeptes du Báb, à un endroit ou à un autre, elle se montra inefficace. Ils furent submergés par le nombre. Le Báb lui-même fut extrait de sa cellule et exécuté. De ses principaux disciples qui affirmaient leur croyance en lui, pas une seule âme ne fut laissée vivante excepté Bahá'u'lláh qui, avec sa famille et une poignée d'adeptes dévoués, fut dépouillé, contraint à l'exil et à la prison en terre étrangère.

Mais le feu, quoiqu'apaisé, n'était pas éteint. Il brûlait dans le coeur des exilés qui l'emportèrent de pays en pays à mesure qu'ils voyageaient. Même en son pays d'origine, la Perse, il avait pénétré trop profondément pour être éteint par la violence physique, et il brûlait encore dans le coeur des gens, n'attendant qu'un souffle de l'esprit pour s'attiser en une conflagration consumant tout.

La seconde et plus grande manifestation de Dieu fut proclamée, en accord avec la prophétie du Báb, à la date qu'il avait prévue. Neuf ans après le commencement de la révélation du Báb, c'est-à-dire en 1853, Bahá'u'lláh, dans certaines de ses odes, fit allusion à son identité et à sa mission et, dix ans plus tard, quand il résidait à Baghdád, il déclara à ses compagnons que lui-même était le Promis.

C'est alors que le grand mouvement dont le Báb avait préparé la voie commença à montrer la pleine étendue et la magnificence de son pouvoir. Quoique Bah4'u'lL4h lui-même eût vécu et fût mort en exil et en prison, et qu'il fût connu seulement de quelques Européens, ses épîtres proclamant le nouvel avènement furent adressées aux grands dirigeants des deux hémisphères, depuis le sháh de Perse jusqu'au pape et au président des Etats-Unis.
Après son décès, son fils 'Abdu'l-Bahá apporta en personne la nouvelle en Egypte et jusqu'au bout du monde occidental. 'Abdu'l-Bahá se rendit en Angleterre, en France, en Suisse, en Allemagne et en Amérique, annonçant partout qu'une fois de plus les cieux s'étaient ouverts et qu'une nouvelle dispensation était révélée pour bénir les fils des hommes.
Il mourut en novembre 1921; et à ce jour le feu qui, un temps, semblait avoir été éteint pour toujours, a recommencé à brûler dans toutes les régions de la Perse, s'est installé sur le continent américain et a pris possession de tous les pays du monde.
Autour des Ecrits sacrés de Bahá'u'lláh et des propositions d' 'Abdu'l-Bahá, faisant autorité, se développe une grande abondance d'écrits, de commentaires ou de témoignages. Les principes humanitaires et spirituels énoncés par Bahá'u'llah, il y a plusieurs décennies, dans l'Orient le plus sombre, et mis en forme par lui en un plan cohérent, sont, l'un après l'autre, adoptés par un monde, ignorant d'où ils viennent, comme les marques d'une civilisation qui progresse.
Et le sentiment que l'humanité a rompu avec le passé et que les vieux préceptes ne lui permettront pas de traverser les conditions critiques du présent a rempli d'incertitude et de malaise tous les hommes qui pensent, sauf ceux qui ont appris à trouver dans l'histoire de Bahá'u'lláh la signification de tous les prodiges et présages de notre époque.

Près de trois générations ont passé depuis le début du mouvement. Tous ses premiers adhérents qui ont échappé à l'épée ou au pal sont depuis longtemps décédés suivant les lois de la nature. La porte de l'information contemporaine sur ses deux grands chefs et sur leurs héroïques disciples est fermée pour toujours.
La chronique de Nabíl, qui constitue un minutieux assemblage de faits accomplis dans l'intérêt de la vérité, et qui fut terminée alors que Bahá'u'lláh était encore en vie, possède à présent une valeur unique.
Né en Perse, dans le village de Zarand, le dix-huitième jour de safar, en l'an 1247, avant l'hégire, l'auteur avait treize ans lorsque le Báb déclara sa mission. Il fut toute sa vie étroitement associé aux dirigeants de la cause. Quoiqu'il ne fût qu'un jeune garçon à cette époque, il se préparait à partir pour Shaykh Tabarsí et à rejoindre les partisans de Mullá Husayn quand la nouvelle du massacre des adeptes du Báb, traîtreusement perpétré, l'empêcha de réaliser son dessein. Il déclara dans son récit qu'il rencontra, à Tihràn, Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, frère de la mère du Báb, qui était alors tout récemment revenu d'une visite au Báb dans la forteresse de Chihríq; et, pendant de nombreuses années, il fut un proche compagnon du secrétaire du Báb, Mírzá Ahmad.

Il signala la présence de Bahá'u'lláh à Kirmánsháh et à Tihrán avant la date de l'exil en 'Iráq, et fut ensuite attaché à sa personne à Baghdád et à Andrinople de même que dans la ville-prison d'Akká (Saint-Jean-d'Acre). Il fut envoyé en mission plus d'une fois en Perse pour promouvoir la cause et encourager les croyants dispersés et persécutés, et il vivait à 'Akká quand Bahá'u'lláh s'éteignit en 1892. La façon dont il mourut fut pathétique et lamentable, car il fut si terriblement affecté par la mort du grand Bien-Aimé que, terrassé par le chagrin, il se noya dans la mer, et son cadavre fut rejeté par les flots sur le rivage, près de la ville d' 'Akká.

Sa chronique fut entreprise en 1888, date à laquelle il eut le concours personnel de Mírzá Músá, frère de Bahá'u'lláh. Elle fut terminée en un an et demi environ, et certaines parties du manuscrit furent revues et approuvées par Bahá'u'lláh, les autres par 'Abdu'l-Bahá.

L'ouvrage complet comporte l'histoire du mouvement jusqu'à la mort de Bahá'u'lláh en 1892.

La première partie de cette narration, se terminant avec l'expulsion de Bahá'u'lláh de Perse, est contenue dans le présent volume. Son importance est évidente. Elle sera lue moins pour les quelques passages émouvants d'action qu'elle contient, ou même pour ses nombreuses descriptions d'héroïsme et de foi inébranlable, que pour la signification permanente de ces événements, dont elle donne une relation aussi remarquable.



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CHAPITRE I : la mission de Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í

PHOTO: Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í

C'est au moment où l'éclatante réalité de la foi de Muhammad était ternie par l'ignorance, le fanatisme et la perversité des sectes rivales qui y avaient pris naissance, qu'apparut à l'horizon de l'Orient (1.1) cette lumineuse étoile de la direction divine: Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í. (1.2)
Il vit comment ceux qui professaient l'islám avaient ébranlé son unité, sapé sa force, dénaturé son but et avili son saint nom. La vue de la corruption et de l'esprit de lutte qui caractérisaient la secte shí'ah, emplit son âme d'angoisse. Inspiré par la lumière qui brillait en lui, (1.3) il se leva, armé d'une vision infaillible, d'un but déterminé et d'un détachement sublime, pour exprimer sa protestation contre la trahison de la foi perpétrée par ce peuple ignoble. Brûlant de zèle et conscient du caractère sublime de son appel, il s'adressa avec véhémence non seulement aux shí`ahs mais aussi à tous les disciples de Muhammad à travers l'Orient, pour les tirer du sommeil de la négligence et préparer la voie à celui qui devait se manifester à la fin des temps et dont la lumière seule pouvait dissiper les voiles de préjugés et d'ignorance qui avaient enveloppé cette foi. Laissant sa famille et ses parents sur l'une des îles Bahrein, au sud du golfe Persique, il partit, comme invité par une toute-puissante Providence, pour dévoiler les mystères de ces versets des Ecrits islamiques qui prédisaient l'avènement d'une nouvelle Manifestation. Il était parfaitement conscient des dangers et périls que comportait ce chemin, et Réalisait pleinement l'écrasante responsabilité que requérait sa tâche. Il était fermement convaincu de ce qu'aucune réforme au sein de l'islám, fût-elle drastique, ne pouvait accomplir la régénération de ce peuple pervers. Il savait, et la volonté divine l'avait destiné à le démontrer, que rien sinon une nouvelle révélation indépendante comme celle annoncée et confirmée par les Ecritures saintes islamiques, ne pouvait ranimer la prospérité et restaurer la pureté de cette foi décadente. (1.4)
Dépouillé de tout bien terrestre et détaché de tout, sauf de Dieu, il se leva au début du XIIIe siècle de l'hégire, alors qu'il était âgé de quarante ans, pour consacrer le restant de ses jours à la tâche qu'il se sentait appelé à assumer.

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Il se rendit d'abord à Najaf et à Karbilá (1.5) où, en quelques années, il se familiarisa avec les idées communes et les normes en cours parmi les érudits de l'Islám. Là, il parvint à être reconnu comme l'un des interprètes autorisés des Ecritures saintes de l'islám, fut déclaré mujtahid et acquit peu après un certain ascendant sur le restant de ses collègues qui visitaient ces villes saintes ou qui y résidaient. Ceux-ci en vinrent d'ailleurs à le considérer comme initié aux mystères de la révélation divine et qualifié pour dévoiler les expressions abstruses de Muhammad et des Imáms de la foi. Comme son influence croissait et que le champ de son autorité s'élargissait, il se vit assiégé de tous côtés par un nombre toujours croissant de chercheurs dévoués qui demandaient à être éclairés sur les questions complexes de la foi qu'il expliquait totalement et avec compétence. Par son savoir et son intrépidité il porta la terreur au sein des súfís, des néo-platoniciens et des autres écoles de pensée de ce genre (1.6) qui enviaient son érudition et craignaient son caractère impitoyable. Aussi acquit-il une faveur redoublée auprès de ces théologiens érudits qui considéraient ces sectes comme des mouvements propageant des doctrines obscures et hérétiques. Cependant, malgré sa grande renommée et l'estime universelle dont il jouissait, il dédaigna tous les honneurs que lui prodiguaient ses admirateurs.

PHOTO: vue générale de Najaf

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Il était étonné de voir leur dévotion servile envers la dignité et le rang et refusait résolument de s'associer aux objets de leurs recherches et de leurs désirs.
Ayant accompli son but dans ces villes et sentant le parfum qui lui venait de la Perse, il éprouva en son coeur une envie irrésistible de se hâter vers ce pays. Cependant il ne divulgua pas à ses amis le motif réel qui le poussait à diriger ses pas vers cette contrée. Il partit précipitamment vers le pays de son coeur en passant par le golfe Persique avec, ostensiblement pour but la visite du tombeau de l'Imám Ridá à Mashhad. (1.7) Il avait hâte de soulager son âme et cherchait avec zèle ceux à qui il pourrait livrer le secret qu'il n'avait, jusqu'alors, révélé à personne. A son arrivée à Shiraz, ville qui cachait en son sein ce trésor de Dieu et de laquelle la voix du héraut de la nouvelle Manifestation devait être proclamée, il se rendit au Masjid-i-Jum'ih, mosquée qui, par son style et sa forme, ressemblait d'une manière frappante au tombeau sacré de La Mecque. Plus d'une fois, en regardant cet édifice, il observa: "En vérité, de cette maison de Dieu émanent des signes tels que seuls ceux qui sont doués d'entendement peuvent les percevoir. Il me semble que celui qui la conçut et la construisit était inspiré par Dieu." (1.8). Combien de fois et avec quelle passion n'exalta-t-il pas les mérites de cette cité! Les louanges qu'il lui prodiguait étaient telles que ses auditeurs, qui ne connaissaient que trop sa médiocrité, étaient étonnés du ton de son langage. "Ne vous étonnez pas!" disait-il à ceux qui étaient surpris "car, avant peu, le secret de mes paroles vous sera manifesté." "Parmi vous, il
est quelques-uns qui vivront assez longtemps pour contempler la gloire d'un jour que les prophètes du passé ont brûlé de voir." Son autorité était si grande aux yeux des 'ulamás qui le rencontraient et conversaient avec lui qu'ils se déclaraient incapables de saisir le sens de ses mystérieuses allusions et attribuaient leur échec à leur propre compréhension défectueuse.
Ayant semé les germes de la connaissance divine dans le coeur de ceux qu'il trouvait réceptifs à son appel, Shaykh Ahmad partit pour Yazd où il passa quelque temps, continuellement occupé à propager les vérités qu'il s'estimait appelé à révéler. La plupart de ses livres et épîtres furent écrits dans cette ville. (1.9) Il acquit une telle renommée (1.10) que le souverain de la Perse, Fath-'Alí Sháh fut poussé à lui adresser de Tihrán un message écrit (1.11) le priant d'expliquer certaines questions spécifiques relatives aux enseignements nébuleux de la foi musulmane que les principaux 'ulamas de son royaume avaient été incapables d'éclaircir.

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PHOTO: Fath-'Ali Shah et ses fils

PHOTO: Fath-'Ali Shah

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Le shaykh répondit volontiers à cette requête par une lettre à laquelle il donna le nom de "Risáliy-i-Sultáníyyih". Le sháh fut si ravi par le ton et le sujet de cette épître qu'il lui envoya aussitôt un second message l'invitant cette fois à venir rendre visite à sa cour. En réponse à ce deuxième message impérial, le shaykh écrivit ce qui suit: "Etant donné que j'ai toujours eu, depuis mon départ de Najaf et de Karbilá, l'intention de visiter et de rendre hommage au tombeau d'Imám Ridá à Mashhad, j'ose espérer que Sa Majesté Impériale me permettra gracieusement d'accomplir le voeu que j'ai formulé. Plus tard, si Dieu le veut, il est de mon désir et de mon intention de me prévaloir de l'honneur que Sa Majesté Impériale a daigné me conférer."
Parmi ceux qui, dans la ville de Yazd, furent éveillés par le message de ce porteur de la lumière divine, il y eut notamment Hájí 'Abdu'l-Vahháb, homme très pieux, droit et craignant Dieu. Il se rendait tous les jours chez Shaykh Ahmad en compagnie d'un certain Mullá'Abdu'l Kháliq-i-Yazdí, que l'on connaissait pour son autorité et son savoir. A certaines occasions cependant, afin de discuter Confidentiellement avec 'Abdu'l-Vahháb, Shaykh Ahmad, au grand étonnement du savant 'Abdu'l Khaliq, demandait à celui-ci de se retirer et de le laisser seul avec son disciple favori. Cette préférence marquée à l'égard d'un homme aussi modeste et illettré qu"Abdu'l-Vahháb causa une grande surprise à son compagnon, qui n'était que trop conscient de sa propre supériorité et de ses connaissances. Plus tard, cependant, après que Shaykh Ahmad eut quitté Yazd, 'Abdu'l-Vahháb se retira de la société et fut dès lors considéré comme súfí. Il fut toutefois dénoncé comme intrus par les chefs orthodoxes de cette communauté tels que Ni'matu'lláhí et Dhahabí, et suspecté de vouloir leur ravir la direction du mouvement. 'Abdu'l-Vahháb, qui n'était pas spécialement attiré par la doctrine súfíe, considéra avec dédain leurs fausses accusations et fuit leur compagnie. Il ne s'associa qu'avec Hájí Hasan-i-Náyiní, qu'il s'était choisi comme ami intime et à qui il avait fait part du secret que son maître lui avait Confié. Lorsqu' 'Abdu'l-Vahháb mourut, cet ami, suivant l'exemple de son compagnon, continua la route qu'il lui avait tracée et annonça à toute âme réceptive, la bonne nouvelle de la toute proche révélation divine.
Mírzá Mahmúd-i-Qamsarí, que je rencontrai à Káshán et qui, en ce temps-là, était un vieillard de plus de 90 ans, que tous ceux qui le connaissaient révéraient et aimaient, me raconta l'histoire ci-après:

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"Je me souviens du temps où, dans ma jeunesse, vivant à Káshán, j'entendis parler d'un homme qui se trouvait à Náyin, qui s'était levé pour annoncer la bonne nouvelle d'une révélation et au charme duquel cédaient tous ceux qui l'entendaient, fussent-ils officiers du gouvernement, érudits ou illettrés de parmi le peuple. Son influence était telle que ceux qui se mettaient en rapport avec lui renonçaient au monde et méprisaient ses richesses. Curieux, je voulus m'assurer de l'exactitude de ces faits et partis, à l'insu de mes amis, pour Náyin où je pus effectivement vérifier les déclarations qui circulaient à son sujet. Sa figure radieuse dénotait la lumière qui avait été allumée en son âme. Je l'entendis un jour, après qu'il eut fait sa prière du matin, prononcer des paroles telles que celles-ci: "Bientôt la terre sera transformée en un paradis. Sous peu, la Perse deviendra le mausolée autour duquel graviteront les peuples de la terre." Un matin, à l'aube, je le trouvai, face contre terre et répétant, tout absorbé par la prière, les mots "Alláh-u-Akbar' (1.12) A ma grande surprise, il se tourna vers moi et dit: "Ce que je vous ai annoncé est à présent révélé. A cette heure même, la lumière du Promis a rompu les ténèbres et répand son éclat sur le monde. Ô Mahmúd, en vérité je te le dis, tu vivras pour contempler ce jour des jours."
Les paroles que ce saint homme m'adressa résonnèrent dans mes oreilles jusqu'au jour où, en l'an 60, j'eus le privilège d'entendre l'appel lancé de Shiraz. Je ne pus hélas! à cause de mes infirmités, me hâter vers cette cité. Plus tard, lorsque le Báb, le héraut de la nouvelle révélation, vint à Káshán où il passa trois nuits comme invité chez Hájí Mírzá Jání, je n'étais pas au courant de sa visite et fus ainsi privé de l'honneur de parvenir en sa présence. Quelque temps plus tard, alors que je discutais avec les disciples de la foi, j'appris que l'anniversaire du Báb tombait le 1er jour du mois de muharram de l'année 1235 après l'hégire. (1.13) Je Réalisai alors que le jour auquel Hájí Hasan-i-Náyiní avait fait allusion ne correspondait pas à cette date et qu'il y avait en réalité une différence de deux ans entre les deux dates. Cette pensée me rendit cruellement perplexe. Longtemps après, cependant, je rencontrai un certain Hájí Mírzá Kamálu'd-Díni-Naráqí qui m'annonça la révélation de Bahá'u'lláh à Baghdád et me fit part d'un certain nombre de versets du "Qasídiy-i-Varqá'íyyih" ainsi que de certains passages des "Paroles cachées" en persan et en arabe. Je fus touché jusqu'au plus profond de mon âme lorsque je l'entendis réciter ces paroles sacrées.

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Je me souviens encore d'une manière frappante de ce qui suit: "Ô fils de l'Être! Ton coeur est ma demeure; sanctifie-le pour que j'y descende. Ton esprit est 1e lieu de ma révélation, purifie-le pour que je m'y manifeste. O fils de la terre! Si tu veux me posséder, ne cherche alors personne d'autre que moi et si tu veux contempler ma beauté, ferme les yeux au monde et à tout ce qu'il contient; car ma volonté est celle d'un autre que moi; ainsi le feu et l'eau ne peuvent demeurer ensemble dans un coeur ." Je lui demandai la date de naissance de Bahá'u'lláh. "L'aube du deuxième jour de muharram de l'an 1233 après l'hégire (1.14)," répondit-il. Je me rappelai aussitôt les paroles de Hájí Hasan et le jour où il les avait prononcées. Instinctivement je me jetai à terre et m'exclamai: "Glorifié sois-tu, ô mon Dieu, pour m'avoir permis de parvenir à ce jour promis. Si je dois à présent venir à toi, je mourrai satisfait et rassuré." Cette même année, la 1274e après l'hégire, ce radieux et vénérable vieillard (1.15) rendit son âme à Dieu."
Ce récit, que j'ai entendu de la bouche même de Mírzá Mahmùd-i-Qamsarí, et qui court encore de bouche en bouche, est assurément une preuve éclatante de la perspicacité de feu Shaykh Ahmad-iAhsá'í et porte en soi un éloquent témoignage de l'influence que ce dernier exerça sur ses disciples les plus proches. La promesse qu'il leur avait donnée s'était dès lors accomplie, et le mystère par lequel il avait enflammé leurs âmes s'était dévoilé dans toute sa gloire.
Durant les jours où Shaykh Ahmad se préparait à quitter Yazd, Siyyid Kázim-i-Rashtí (1.16) cet autre flambeau de la direction divine, partit de sa province natale de Gilán avec pour objectif de rendre visite à Shaykh Ahmad avant que celui-ci ne parte en pèlerinage au Khurásán. Au cours de sa première entrevue avec lui, Shaykh Ahmad lui dit ces mots: "Je vous souhaite la bienvenue, ô ami! Combien de temps et avec quel empressement ai-je attendu votre arrivée pour me délivrer de l'arrogance de ce peuple pervers! Je souffre de l'impudence de leurs actes et de la corruption de leurs caractères. En vérité, nous prêchâmes aux cieux, à la terre et aux montagnes, la foi de Dieu, mais ils refusèrent le fardeau et craignirent de le recevoir. L'homme promit de le porter et, en vérité, il se montra injuste et ignorant. "
Ce Siyyid Kázim avait déjà, dès sa tendre enfance, montré les signes d'un pouvoir intellectuel et d'une perspicacité spirituelle remarquables. Il était unique parmi ceux de son rang et de son âge. A l'âge de onze ans, il connaissait par coeur l'intégralité du Qur'án. A quatorze ans, il connaissait, par coeur un nombre prodigieux de prières et de traditions reconnues comme étant de Muhammad.

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À dix-huit ans, il composa un commentaire sur le verset du Qur'án connu sous le nom d'Áyatu'l-Kursí, qui suscita l'émerveillement et l'admiration des plus grands érudits de son époque. Sa piété, la douceur de son caractère et son humilité étaient telles que tous ceux qui le rencontrèrent, fussent-ils jeunes ou vieux, en furent profondément impressionnes.
En l'an 1231 après l'hégire (1.17), alors qu'il n'avait que vingt-deux ans, abandonnant maison, parents, amis, il partit pour Gílán dans le but de rencontrer celui qui s'était levé d'une manière si noble pour annoncer l'aurore prochaine d'une révélation divine. A peine avait-il passé quelques semaines en compagnie de Shaykh Ahmad que se tournant un jour vers lui, il lui parla en ces termes: "Restez chez vous et ne venez plus assister à mes cours.

PHOTO: portrait de Mirzá Buzurg (père de Bahá'u'lláh)

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Ceux de mes disciples qui se sentiront perplexes s'adresseront dorénavant à vous et chercheront à obtenir directement de vous l'aide dont ils auront besoin. Vous résoudrez leurs problèmes, grâce à la connaissance dont le Seigneur notre Dieu vous a pourvu, et vous tranquilliserez leurs coeurs. Par la force de vos paroles, vous aiderez à ranimer la foi si cruellement négligée de Muhammad, votre illustre ancêtre." Ces paroles adressées à Siyyid Kázim suscitèrent le ressentiment et la jalousie des élèves prééminents de Shaykh Ahmad, parmi lesquels figuraient notamment Mullá Muhammad-i-Mámáqání et Mullá 'Abdu'l-Kháliq-i-Yazdí. Cependant, la dignité de Siyyid Kázim était si imposante et les preuves de son savoir et de sa sagesse si remarquables que ces disciples craignirent de l'attaquer et se sentirent obligés de se soumettre.
Shaykh Ahmad, ayant donc laissé ses disciples aux soins de Siyyid Kázim, partit pour le Khurásán. Là il passa quelque temps dans le voisinage immédiat du tombeau sacré de l'Imám Ridá à Mashhad. Il poursuivit dans l'enceinte de ce monument, toujours avec la même verve, le cours de ses travaux. Il continua, en résolvant les difficultés qui troublaient l'esprit des chercheurs, à préparer la voie pour l'avènement de la Manifestation prochaine. Dans cette ville, il devint de plus en plus conscient du fait que le jour qui devait témoigner de la naissance du Promis n'était plus si lointain. Il sentait que l'heure promise approchait rapidement. Du côté de Nur, dans la province de Mázindarán, il pouvait percevoir les premières faibles lueurs qui annonçaient l'aurore de la dispensation promise. Pour lui, la révélation que prédisaient les paroles suivantes tirées de la tradition était imminente: "Bientôt vous contemplerez la face de votre Seigneur, resplendissante comme la pleine lune dans toute sa gloire et, cependant, il y en aura parmi vous qui ne reconnaîtront pas sa vérité et n'embrasseront pas sa foi. L'un des signes les plus convaincants qui marqueront l'avènement de l'heure promise est celui-ci: "Une femme donnera naissance à quelqu'un qui sera son Seigneur.
Shaykh Ahmad se tourna par conséquent vers Nur et, en compagnie de Siyyid Kázim et d'un certain nombre de ses disciples distingués, partit pour Tihrán. Le sháh de Perse étant informé de ce que Shaykh Ahmad se trouvait dans le voisinage de sa capitale, donna l'ordre aux dignitaires et aux officiers de Tihrán d'aller à sa rencontre. Il leur enjoignit aussi de lui exprimer en son nom une formule de cordiale bienvenue.

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Le distingué visiteur et ses compagnons furent royalement accueillis par le sháh qui les reçut personnellement et qui déclara à Shaykh Ahmad qu'il était "la gloire de sa nation et la parure de son peuple.' (1.18) En ces jours-là, naquit un enfant dans une ancienne et noble famille de Nur. (1.19) Son père, Mírzá 'Abbás, mieux connu sous le nom de Mírzá Buzurg, était ministre favori de la couronne. Cet enfant, c'était Bahá'u'lláh. (1.20) A l'aube du second jour de muharram de l'an 1233 après l'hégire (1.21), le monde, alors inconscient de la portée de l'événement, vit naître celui qui était destiné à lui conférer d'aussi innombrables bénédictions. Shaykh Ahmad, qui saisissait dans sa pleine mesure le sens de cet événement prometteur, n'aspirait qu'à passer le restant de ses jours à la cour de ce roi divin qui venait de naître. Mais il ne devait pas en être ainsi; la soif non étanchée et l'aspiration non satisfaite, Shaykh Ahmad se sentit obligé de se soumettre au décret irrévocable de Dieu et, se détournant de la ville de son bien-aimé, partit pour Kirmánsháh.
Le gouverneur de Kirmánsháh, prince Muhammad'Alí Mírzá, fils aîné du sháh et membre le plus compétent de sa famille, avait déjà demandé à Sa Majesté Impériale la permission de recevoir chez lui Shaykh Ahmad et de le servir en personne. (1.22) Le prince avait tant d'estime aux yeux du sháh, que sa requête fut immédiatement acceptée. Complètement résigné à sa destinée, Shaykh Ahmad fit ses adieux à Tihrán. Avant de partir de cette ville, il murmura une prière pour que ses compatriotes gardassent et chérissent ce trésor caché de Dieu qui venait de naître parmi eux, qu'ils puissent reconnaître la pleine mesure de sa grâce et de sa gloire, et qu'ils fussent capables de proclamer sa perfection à toutes les nations et à tous les peuples.
A son arrivée á Kirmánsháh Shaykh Ahmad décida de choisir parmi les plus réceptifs de ses disciples shí`ahs, un certain nombre d'entre eux et, en leur accordant ses soins particuliers pour leur éclairer l'esprit, de leur permettre de devenir les partisans actifs de la cause de la révélation promise. Dans la série de livres et d'épîtres dont il entreprit la rédaction, et parmi lesquels figure son oeuvre bien connue Sharhu'z-Zíyárih, il exalta, dans un langage vivant et clair, les vertus des Imáms de la foi, et insista particulièrement sur les allusions que ceux-ci avaient faites quant à la venue du Promis. Par ses fréquentes références à Husayn, il entendait le Husayn qui devait se révéler et, par ses allusions répétées au nom de 'Alí, il n'entendait pas le 'Alí qui avait été tué, mais bien celui qui venait de naître.

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A ceux qui l'interrogeaient sur les signes qui devaient annoncer l'avènement du Qá'im, il affirmait avec force le caractère inéluctable de la dispensation promise. L'année même où naquit le Báb, Shaykh Ahmad eut à déplorer la mort de son fils qui s'appelait Shaykh 'Alí. Aux disciples qui étaient attristés par cette mort, il adressait ces paroles de réconfort: "Ne vous attristez pas, ô mes amis, car j'ai offert mon fils, mon propre 'Alí en sacrifice à cet 'Alí dont nous attendons tous l'avènement. Je l'ai élevé et préparé à cette fin."
Le Báb, dont le nom était 'Alí-Muhammad, naquit à Shiraz, le premier muharram de l'an 1235 après l'hégire. Il était issu d'une famille renommée pour sa noblesse et dont l'origine remontait à Muhammad en personne. Son père, Siyyid Muhammad Ridá, ainsi que sa mère, étaient des descendants du Prophète et appartenaient à des familles bien connues. La date de la naissance du Báb confirma la vérité des paroles attribuées à l'Imám 'Alí, le Commandeur des fidèles: "J'ai deux ans de moins que mon Seigneur." Le mystère de cette expression resta cependant caché, excepté à ceux qui cherchèrent et reconnurent la vérité de la nouvelle révélation. Ce fut le Báb qui dans son premier livre, le plus important et le plus sublime, révéla ce passage concernant Bahá'u'lláh: "O toi, Vestige de Dieu! Je me suis entièrement sacrifié pour toi, j'ai accepté d'être maudit pour l'amour de toi et je n'ai aspiré qu'au martyre sur ton sentier. Dieu l'Exalté, le Protecteur, l'Ancien des jours, m'en est témoin."
Pendant son séjour à Kirmánsháh, Shaykh Ahmad reçut tant de témoignages de dévotion ardente de la part du prince Muhammad'Alí Mírzá, qu'il ne put s'empêcher, lors d'une certaine occasion, de parler du prince en ces termes: "Je considère Muhammad-'Alí comme mon propre fils, bien qu'il soit un descendant de Fatli-'Alí. .
Un nombre considérable de chercheurs et de disciples accoururent chez lui et assistèrent avec intérêt à ses cours. A personne, cependant, il ne se sentit porté à montrer cette considération et cette affectueuse estime qui caractérisaient son attitude envers Siyyid Kázim. Il semblait l'avoir choisi d'entre la foule qui se pressait pour le voir, et paraissait le préparer à continuer, avec une vigueur inlassable, son oeuvre après sa mort. Un jour, un des disciples de Shaykh Ahmad l'interrogea au sujet du mot que le Promis doit prononcer à la fin des temps, un mot si formidable que les trois cent treize chefs et grands de la terre tomberaient tous, sans exception, en consternation, comme écrasés par son poids prodigieux. Shaykh Ahmad répondit ainsi à ce disciple: "Comment pouvez-vous présumer de supporter le poids du mot que les chefs de la terre seront incapables de porter?

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Ne cherchez pas à satisfaire un désir impossible. Cessez de me poser cette question et implorez le pardon de Dieu." Ce questionneur présomptueux insista pour que Shaykh Ahmad lui dévoilât la nature de ce mot. Finalement, Shaykh Ahmad donna cette réponse: "Si vous étiez parvenu à ce jour et si l'on vous disait de répudier la station d' 'Alí et de dénoncer sa validité, que diriez-vous ?" -'Que Dieu me pardonne! s'exclama-t-il. De telles choses ne peuvent jamais arriver. Je ne puis concevoir que de telles paroles émanent de la bouche du Promis." Combien grave était l'erreur qu'il commettait et piteuse la position dans laquelle il se trouvait! Sa foi, mise dans la balance, fut trouvée insuffisante car il n'avait pas compris que celui qui devait se manifester était investi d'une autorité souveraine dont nul homme ne pouvait douter. Il a le droit "d'ordonner ce qu'il lui plaît et de décréter ce qu'il veut". Celui qui hésite, ne fût-ce que l'espace d'un clin d'oeil ou même moins, met en doute son autorité, s'est privé de sa grâce et sera compté parmi ceux qui ont failli dans leur jugement. Et cependant, malgré tout cela, peu, sinon aucun de ceux qui entendirent Shaykh Ahmad parler dans cette ville et dévoiler les mystères des références se trouvant dans les Ecrits saints, ne furent capables d'apprécier la signification de ses paroles ni d'en saisir la portée. Seul Siyyid Kázim, son lieutenant distingué et compétent, pouvait prétendre avoir compris ce que son maître voulait dire. Après la mort du prince Muhammad 'Alí Mírzá (1.23), Shaykh Ahmad, libéré des instantes supplications de celui-ci pour qu'il prolonge son séjour à Kirmánsháh, transféra sa résidence à Karbilá. Tandis qu'il accomplissait certains rites, en particulier celui qui consiste à faire le tour du tombeau du Siyyidu'sh-Shuhadá (1.24), l'Imám Husayn, on aurait cru, de prime abord, qu'il le faisait pour celui-ci mais, en réalité, son coeur n'appartenait qu'à ce vrai Husayn, l'unique objet de son adoration. Une foule, composée d''ulamás et de mujtahids des plus distingués, se pressait pour le voir. Plusieurs commencèrent à envier sa réputation, et certains cherchèrent à miner son autorité. Cependant, malgré leurs efforts répétés, ils ne purent ébranler la position incontestée d'érudit prééminent qu'avait Shaykh Ahmad dans cette ville. Finalement, cet éclatant flambeau devait aller répandre sa lumière sur les villes saintes de La Mecque et de Médine. Il devait aller dans ces deux villes y poursuivre, avec une dévotion sans borne, ses travaux, et c'est là qu'il fut inhumé à l'ombre du sépulcre du Prophète pour la compréhension de la foi pour laquelle il avait oeuvré avec tant de fidélité.

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Avant son départ de Karbilá, il Confia à Siyyid Kázim, son successeur distingué, le secret de sa mission (1.25). Il lui dit de s'efforcer d'allumer en chaque coeur réceptif le feu qui avait brûlé avec tant d'éclat en lui. Siyyid Kázim eut beau insister pour accompagner son maître jusqu'à Najaf, Shaykh Ahmad refusa d'accéder à sa demande; "Vous n'avez pas de temps à perdre" furent les dernières paroles qu'il lui adressa. "Chaque heure fugitive devrait être employée pleinement et avec sagesse. Vous devez vous ceindre les reins de l'effort et vous attacher, jour et nuit, à écarter par la grâce de Dieu et par la main de sagesse et de tendre bonté, ces voiles de négligence qui ont aveuglé les hommes. En vérité, je le dis: l'heure approche, l'heure pour laquelle j'ai imploré Dieu afin qu'il m'épargne de la vivre, car le tremblement de terre de la dernière heure sera terrible. Vous devriez prier Dieu pour qu'Il vous préserve des épreuves accablantes de ce jour, car aucun de nous n'est capable de résister à sa force qui balaie tout. D'autres, dotés d'une plus grande endurance et d'un plus grand pouvoir sont destinés à en supporter le poids énorme, des hommes dont le coeur est sanctifié de toutes choses terrestres et dont l'énergie est décuplée par la force de son pouvoir.
Ayant prononcé ces paroles, Shaykh Ahmad dit adieu à son successeur, l'exhorta à faire face avec vaillance aux épreuves qui devaient, à coup sûr, l'affliger, et le Confia aux soins de Dieu. A Karbilá, Siyyid Kázim se consacra au travail commencé par son maître, développa ses enseignements, défendit sa cause et répondit à toutes les questions qui troublaient l'esprit de ses disciples. La vigueur avec laquelle il poursuivit sa tâche excita l'animosité des ignorants et des envieux. "Pendant quarante ans," s'écriaient ceux-ci, "nous avons toléré la propagation des enseignements prétentieux de Shaykh Ahmad sans nous y opposer d'aucune sorte. Nous ne pouvons plus tolérer de pareilles prétentions de la part de son successeur qui rejette la croyance en la résurrection du corps, qui répudie les interprétations littérales du Mi'Ráj, (1.26) qui considère comme allégoriques les signes de l'avènement du jour et qui prêche une doctrine hérétique de caractère et subversive des principes les meilleurs de l'islam orthodoxe." Plus leurs clameurs et protestations augmentaient d'intensité, plus la détermination de Siyyid Kázim à poursuivre sa mission et à accomplir sa tâche s'affermissait. Il adressa à Shaykh Ahmad une épître dans laquelle il exposait en détail les calomnies qu on avait proférées contre lui et l'informait du caractère et de l'ampleur de l'opposition de ses ennemis. Il se hasarda à s'informer du temps pendant lequel il était destiné à subir le fanatisme incessant d'un peuple ignorant et borné, et pria d'être éclairé sur le temps où le Promis serait rendu manifeste.

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Shaykh Ahmad répondit à cette lettre en ces termes: "Soyez assuré de la grâce de votre Dieu. Ne soyez pas attristé par les agissements de ces gens-là. Le mystère de cette cause doit nécessairement devenir manifeste, et le secret de ce message devra forcément être divulgué. (1.27) Je ne puis en dire davantage. Je ne puis fixer de temps. Sa cause sera connue après Hin. (1.28) Ne me demandez pas des choses qui, si elles vous étaient révélées, ne pourraient que vous causer de la peine."
Combien sa cause doit-elle être grande pour que, même à un personnage aussi sublime que Siyyid Kázim, aient été adressées de telles paroles. Cette réponse de Shaykh Ahmad apporta soulagement et force au coeur de Siyyid Kázim qui, avec une détermination redoublée, continua à résister aux assauts d'un ennemi envieux et perfide.
Shaykh Ahmad mourut peu après (1.29), en l'an 1242 après l'hégire, à l'âge de quatre-vingt un ans et son corps fut inhumé au cimetière de Baqí' (1.30), au voisinage immédiat du tombeau de Muhammad, dans la ville sainte de Médine.

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NOTE DU CHAPITRE 1:

(1.1) Sa généalogie, selon son fils Shaykh 'Abdu'lláh, est la suivante: "Shaykh Ahmad-ibn-i-Zaynu-d-Din-ibn-i-lbráhim-ibn-i-Sakhr-ibn-i-Ibráhim-ibn-i-Zéhir-ibn-i-Rama-dán-ibn-i-Rashíd-ibn-i-Dahím-ibn-i-Chimrúkh-ibn-i-súlih." (A.L.M. Nicolas; "Essai sur le Shaykhisme," I,p.l.)

(1.2) Né en Rajah en 1166 A.H., correspondant du 24 avril au 24 mai 1753 dans la ville d'Ahsá, (province d'Ahsá), située au nord-est de la péninsule arabique (A.L.M. Nicolas' "Essai sur le Shaykhisme" I,p.l.) Né shi'ah bien que ses ancêtres fussent sunnites.(p.2.) Selon E.G. Browne (Le récit d'un voyageur) (Remarque E.p.235), Shaykh Ahmad était né en l'an 1157 A.H. et mourut en 1242.

(1.3) Siyyid Kázim, dans son livre intitulé "Dalilu'l-Mutahayyirin" écrit ce qui suit: Notre maître vit une nuit l'Imám Hasan, sur lui soit le salut Cette Altesse lui mit dans la bouche sa langue bénie. De la salive adorable de cette Altesse, il retira les sciences et l'aide de Dieu. Au goût elle était sucrée, plus douce que le miel, plus parfumée que le muse; elle était plutôt chaude. Quand il revint â lui et se réveilla de son sommeil, il devint dans son intime, rayonnant des lumières de la contemplation de Dieu, il déborda de l'inondation de ses bienfaits et fut entièrement séparé de tout ce qui est autre que Dieu. Sa croyance et sa confiance en Dieu augmentèrent en même temps que sa résignation à la Volonté du Très-Haut. Par suite d'un excessif amour, d'un impétueux désir qui naquit en son coeur, il oublia de manger, de se vêtir, si ce n'est juste ce qu'il fallait pour ne pas mourir." (A.L.M. Nicolas, "Essai sur le Shaykhisme, "I,p.6.)

(1.4) Il (Shaykh Ahmad) savait parfaitement qu'il était choisi par Dieu pour préparer le coeur des hommes à recevoir la vérité plus complète qui devait sous peu être révélée et que, grâce à lui, la voie d'accès au 12ème Imám Máhdi caché était de nouveau ouverte. Mais il ne déclara pas ceci en termes clairs et précis, de peur que les "non régénérés" ne se tournassent contre lui et ne le missent en pièces. (Dr. T.K. Cheyne: "Réconciliation of Races and Religions", p. 15.)

(1.5) Karbilá est situé à 55 miles environ au sud-ouest de Baghdád sur les bords de l'Euphrate. Le tombeau de Husayn, se trouvant au centre de la ville, et celui de son frère 'Abbés au sud-est de celle-ci, en sont les bâtiments principaux. (C.R. Markham: "Une esquisse générale de l'Histoire de la Perse." p. 486). Les shi'ahs révèrent Najaf en tant que ville renfermant la tombe de l'Imám 'Alí.

(1.6) Les caractères principaux des idées de Shaykh Ahmad semblent avoir été les suivantes: Il déclarait que toute connaissance et toute science se trouvaient dans le Qur'án et que, par conséquent, pour comprendre, dans leur plénitude, les significations intimes de celui-ci, il était nécessaire d'acquérir ces connaissances et ces sciences. Pour le développement de cette doctrine, il avait l'habitude d'employer des méthodes cabalistiques pour interpréter le texte sacré, et s'exerçait à se familiariser avec les diverses sciences connues du monde musulman. Il avait une vénération des plus exagérées pour les Imáms et spécialement pour le 6ème d'entre eux par succession, l'Imám Jáfar-i-Sádiq, dont il citait souvent les paroles... En ce qui concerne la vie future et la résurrection de la chair, il idées que l'on considérait généralement comme hétérodoxes, ainsi qu'il a été dit plus haut. Il déclarait que le corps de l'homme était composé de différentes parties dérivant chacune éléments et des neuf cieux, et que le corps avec lequel on ressuscitait à la résurrection contenait uniquement les derniers composants, les premiers retournant après la mort à leurs sources Ce corps subtil, qui seul échappait à la destruction, il l'appelait Jism-i-Húriqliyé, la 2ème partie de ce terme étant probablement grecque. Il affirmait que nous le possédions en potentialité dans nos corps actuels, comme du cristal dans de la roche. De même, il déclarait que, dans le cas de l'ascension nocturne du Prophète au Ciel, c'était ce corps, et non son corps matériel, qui avait accompli ce voyage. A cause de ces idées, il fut déclaré hétérodoxe par la majeure partie des 'ulamás et accusé de suivre les doctrines de Mullá Sadrá, le plus grand philosophe persan des temps modernes. (Journal of the Royal Asiastic Society, 1889, art. 12, p. 890-91.)

(1.7) Au IXe siècle, les restes de l'Imám Ridá, fils de l'Imám Músá et huitième des douze Imáms, furent enterrés à Mashhad.

(1.8) Dans la terre de Fá (Fars) se trouve une mosquée au milieu de laquelle s'élève une construction semblable à la Ka'bih (Masjid-i-Jum'ih). Cela n'a été construit que pour que ce soit un signe pour cette terre avant la manifestation de l'ordre de Dieu dans l'élévation de la maison dans cette terre. (Allusion à la nouvelle Mecque, c'est-à-dire, la maison du Bab à Shíráz). Heureux celui qui adore Dieu dans cette terre-là; en vérité nous aussi nous y avons adoré Dieu et là nous avons prié pour celui qui a élevé cette construction. ("le Bayán persan", Vol. Il, p. 151.)

(1.9) A.L.M. Nicolas, dans le chapitre V de son livre "Essai sur le Shaykhisme", donne une liste composée de non moins de 96 volumes représentant la totalité des écrits que cet écrivain fécond a laissés. Parmi eux, les principaux sont les suivants:

1. Commentaire sur le Zíyáratu'l Jámi'atu'l Kabírih de Shaykh Hádí.

2. Commentaire sur le verset "Qu'l Huválláh-u-Ahad".

3. Risaliy-i-Sháqániyyih, en réponse à la question de Fath-Ali-Sháh, concernant la supériorité du Qá'ím sur ses ancêtres.

4. Sur les rêves.

5. Réponse à Shaykh Músáy-i-Bahrayní au sujet de la position et des revendications du Sáhibu'z-Zamán.

6. Réponse aux súfis.

7. Réponse à Mullá Máhdíy-i-Astirábádí sur la connaissance de l'âme.

8. Sur les joies et les peines de la vie future.

9. Réponse à Mullá-'Ali-Akbar sur la meilleure voie pour atteindre Dieu.

10. Sur la résurrection.

(1.10) "La nouvelle de son arrivée fit grand bruit et certains 'Ulamás, parmi les plus célèbres, le reçurent avec distinction. Ils l'entourèrent avec beaucoup de considération et les habitants de la ville les imitèrent. Tous les 'Ulamás vinrent le voir. On reconnut qu'il était le plus savant parmi les plus savants." (A.L.M. Nicolas, 'Essai sur le Shaykhisme", p. 18.)

(1.11) A.L.M. Nicolas, dans son livre "Essai sur le Shaykhisme", p. 19-20, fait allusion a une seconde lettre adressée par le Sháh à Shaykh Ahmad: "Le Sháh, prévenu, lui écrivit de nouveau en lui disant qu'évidemment il était de son devoir à lui, Roi, de se déranger et de venir à Yazd voir l'illustre et saint personnage dont les pieds étaient une bénédiction pour la province sur laquelle il consentait à les poser, mais que, pour des raisons politiques de haute importance, il ne pouvait, en ce moment, quitter la capitale. Que d'ailleurs il était, en cas de déplacement de sa part, obligé d'amener avec lui au moins un corps de dix mille hommes. Or, la ville de Yazd est trop petite, ses champs trop pauvres pour recevoir un tel surcroît de population; l'arrivée de troupes si nombreuses occasionnerait certainement la disette. 'Vous ne voudriez pas d'un pareil malheur, j'en suis certain, et je crois que, quoique je sois bien peu de chose auprès de vous, vous consentirez, cependant, à venir me voir.

(1.12) "Dieu est le plus grand."

(1.13) 20 octobre 1819. (ap. J.C.)

(1.14) 12 novembre 1817. (ap. J.C.)

(1.15) 1857-8 (ap. J.C.)

(1.16) 'Sa famille (celle de Siyyid Kázim) était composée de marchands renommés. Son père se nommait Áqá Siyyid Qásim. Lorsqu'il avait douze ans, il vivait à Ardibíl près du tombeau de Shaykh Safí'u'd-Dín Isháq, descendant du septième Imám, Imám Músá Kázim et ancêtre des rois Safaví. Une nuit, dans un rêve, un des illustres ancêtres du saint inhumé lui fit comprendre qu il devait suivre la guidance de Shaykh Ahmad-i-Ahsá'i qui, en ce temps-là, résidait à Yazd. Conformément à ce conseil, il partit vers cette ville et s'engagea comme disciple du shaykh dans la doctrine duquel il atteignit une telle suprématie qu'à la mort de celui-ci, il fut unanimement reconnu comme chef de l'école shaykhíe." (A Traveller's Narrative, Note E, p. 238.)

(1.17) 1815-16 (ap. J.C.)

(1.18) Le Sháh sentait croître de jour en jour sa bienveillance et son respect envers le Shaykh. Il ressentait l'obligation de lui obéir et eut considéré comme un blasphème de se mettre en opposition avec lui. D'ailleurs, à cette époque, des tremblements de terre successifs eurent lieu à Rayy et beaucoup de maisons furent détruites. Le Sháh eut un songe dans lequel il lui fut déclaré que, si Shaykh Ahmad n'avait pas été là, la ville entière eut été renversée, et tous les habitants tués. Il s'éveilla terrifié, et sa foi dans le Shaykh augmenta d'autant. (A.L.M. Nicolas: "Essai sur le Shaykhisme" 1, p. 21.)

(1.19) Mírzá Ábdu'l-Fadl affirme dans ses écrits que l'arbre généalogique de Bahá'u'lláh peut remonter jusqu'aux anciens Prophètes de la Perse, ainsi qu'aux rois qui ont régné sur cette terre avant l'invasion arabe.

(1.20) Il s'appelait Mírzá Husayn-'Alí.

(1.21) 12 novembre 1817.

(1.22) "Kirmánsháh l'attendait avec beaucoup d'impatience. Le Prince Gouverneur Muhammad'Alí-Mírzá avait envoyé la ville entière à Sa rencontre et, l'on avait planté des tentes pour le recevoir à Cháh-Qílán. Le Prince vint au-devant de lui jusqu'à Táj-Ábád, qui est à quatre farsakhs de la ville." (A.L.M. Nicolas: "Essai sur le Shaykhisme 1, p. 30.)

(1.23). 1237 après l'hégire.

(1.24) "Le prince des martyrs."

(1.25) A.L.M. Nicolas, dans la préface du tome I de son "Essai sur le Shaykhisme, rapporte ce qui suit, en tant que paroles prononcées par Shaykh Ahmad concernant Siyyid Kázím: "Il n'y a que Siyyid Kázím-i-Rashtí, qui comprenne mon but, et personne autre que lui ne le comprend... Cherchez la science, après moi, auprès de Siyyid Kázim-i-Rashti, qui l'a acquise directement de moi, qui la tient des Imams, qui l'ont apprise du Prophète à qui Dieu l'avait donnée... Il est le seul à me comprendre!"

(1.26) "L'ascension" de Muhammad au ciel.

(1.27) Le Bab lui-même fait allusion à ce passage et confirme, dans le "Dalá'il-i-Sab'ih" : "C'est une chose connue que les paroles du révéré Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í." Or il y a là des indications sans nombre au sujet de la Manifestation. Par exemple, il a écrit de sa propre main à Siyyid Kázími-Rashtí: "De même que pour la construction d'une maison il faut un terrain, de même, pour cette Manifestation, doit se présenter le moment. Mais ici, on ne peut donner une réponse fixant ce moment. Bientôt on le connaîtra d'une façon certaine." Ce que ru as entendu toi-même si souvent de Siyyid Kázím, cela n'est-il pas une explication? Ne répétait-il pas à chaque instant : "Vous ne voulez donc pas que je m'en aille et que Dieu apparaisse?" ("Le livre des sept preuves," traduit par A.L.M. Nicolas, p. 58.) Il y a aussi l'anecdote relative à Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í en route pour la Mecque. Il a été prouvé que cette anecdote est authentique et, dès lors, il y a quelque chose de certain. Des disciples du défunt ont rapporté les propos qu'ils avaient entendus, et parmi eux se trouvaient des personnages tels que Mullá'Abdu'l-Kháliq et Murtadá-Qulí. Mullá 'Abdu'l-Kháliq rapporte que le Shaykh leur dit un jour: "Priez afin de ne pas vous trouver au début de la Manifestation et du Retour, car il y aura beaucoup de guerres civiles." Il a ajouté: "Si quelqu'un d'entre vous vit encore en ce temps-là, il verra des choses étranges entre les années 60 et 67. Et quelle chose étrange peut être plus étrange que l'Être même de la Manifestation. Tu y seras et tu y verras encore un fait extraordinaire: c'est que Dieu, pour rendre victorieuse cette Manifestation, suscitera un Être qui parlera de lui-même, sans avoir jamais rien appris des autres." (Idem, p. 59-60.)

(1.28) Suivant la notation Abjad, la valeur numérique du mot "HIN" est 68. Ce fut en 1268 de l'hégire que Bahá'u'lláh, étant alors emprisonné dans le Siyah-chal de Tihrán, reçut les premiers signes de sa mission divine. Il fait allusion à cela dans les odes qu'il révéla cette année-là.

(1.29) Il mourut en un lieu appelé Hadith, dans le voisinage de Médine. (A.L.M. Nicolas, "Essai sur le Shaykhisme," 1, p. 60.)

(1.30). "Son corps fut porté à Médine, où il fut enterré dans le cimetière de Baqí' derrière le mur de la coupole du Prophète du côté Sud, sous la gouttière du Míhráb. On dit que là aussi se trouve le tombeau de Fátimáh en face du Baytu'l-Hazan." (A.L.M. Nicolas: "Essai sur le Shaykhisme", 1, pp. 60-61). "La mort de Shaykh Ahmad mit, durant quelques jours, un terme à la lutte et les passions semblèrent s'apaiser. D'ailleurs, ce fut à cette époque que l'Islam reçut un coup terrible et que sa puissance fut brisée. L'Empereur de Russie vainquit les nations musulmanes, et la plupart des provinces habitées par les gens de cette religion tombèrent aux mains de l'armée moscovite. (A.L.M. Nicolas': "Essai sur le Shaykhisme' 'Il, p.S.) "D'un autre côté, on pensait que, Shaykh Ahmad mort, sa doctrine disparaissait avec lui sans retour, et la paix dura pendant près de deux années. Mais les musulmans revinrent vite à leurs premiers sentiments dès qu'ils virent que la lumière de la doctrine du défunt resplendissait encore sur le monde, grâce à Siyyid Kázím-i-Rashtí, le meilleur, le plus fidèle élève de Shaykh Ahmad et son successeur. (Idem., pp. 5-6.)



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CHAPITRE II : la mission de Siyyid Kázim-i-Rashtí

La nouvelle du décès de son maître bien-aimé attrista de manière indescriptible le coeur de Siyyid Kázim. Inspiré par le verset du Qur'án qui dit: "Ils voudraient volontiers éteindre la lumière de Dieu au moyen de leurs lèvres, mais Dieu ne désire que perfectionner sa lumière bien que les infidèles l'abhorrent", il se leva, fermement décidé à achever la tâche que lui avait Confiée Shaykh Ahmad. Il devenait, après le départ d'un protecteur aussi distingué, la victime des langues calomnieuses et de l'animosité implacable des gens de son entourage. Ceux-ci insultaient son nom, attaquaient sa personne, méprisaient ses enseignements. A l'instigation d'un chef shi'ah puissant et tristement célèbre, Siyyid Ibráhím-i-Qazvíní, les ennemis de Siyyid Kázim se liguèrent et décidèrent de l'anéantir. Là-dessus, Siyyid Kázim conçut un plan pour s'assurer l'appui et la bonne volonté de l'un des plus éminents et des plus exceptionnels dignitaires ecclésiastiques de Perse, le fameux Hájí Siyyid Muhammad Báqir-i-Rashtí, qui vivait à Isfáhán et dont l'autorité s'étendait bien au-delà de cette ville. L'amitié et la sympathie de cette personne, pensait Siyyid Kázim, l'aideraient à poursuivre sans entrave le cours de ses activités et rehausseraient considérablement l'influence qu'il exerçait sur ses disciples. "Si seulement quelqu'un parmi vous," l'entendait-on souvent dire à ses disciples, "pouvait se lever et, armé d'un détachement total, se rendre à Isfáhán et délivrer de ma part, à ce siyyid érudit, le message suivant: "Comment se fait-il qu'au début, vous montriez une considération et une affection si marquées pour feu Shaykh Ahmad et qu'à présent, vous vous soyez complètement détaché du groupe de ses adeptes choisis? Comment se fait-il que vous nous ayez abandonnés à la meRci de nos ennemis?" Si seulement un tel messager, mettant sa Confiance en Dieu, pouvait aller dévoiler tous les mystères qui rendent perplexe l'esprit de ce siyyid érudit et dissiper les doutes qui pourraient avoir aliéné sa sympathie; si seulement il était capable d'en obtenir une déclaration solennelle certifiant l'autorité incontestée de Shaykh Ahmad ainsi que la véracité et la rectitude de ses enseignements; si enfin, après avoir réussi à acquérir un tel témoignage il était également capable d'aller à Mashhad afin d'y obtenir une prise de position similaire de la part de Mírzá 'Askarí, le principal chef ecclésiastique de cette ville sainte, et après avoir accompli sa mission, de revenir ici triomphant.

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A maintes reprises, Siyyid Kázim trouva l'opportunité de réitérer son appel. Personne cependant, n'osa y répondre et entreprendre cette mission si ce n'est un certain Mírzá Muhít-i-Kirmání; Siyyid Kázim lui parla en ces termes: "Gardez-vous de toucher à la queue du lion. Ne minimisez pas la délicatesse et la difficulté d'une telle mission." Se tournant alors vers son jeune disciple Mullá Husayn-i-Bushrú'í, futur Bábu'l-Báb, (2.1) il lui dit: "Levez-vous pour accomplir cette mission, je vous déclare à la hauteur de cette tâche. Le Tout-Puissant vous assistera de sa grâce et couronnera vos efforts de succès.
Mullá Husayn se leva joyeusement, baisa le pan du vêtement de son maître, lui prêta serment de loyauté et se mit en route aussitôt. Avec un détachement absolu et une noble résolution, il se leva pour accomplir son dessein. À son arrivée à Isfáhán, il chercha sans tarder à parvenir en la présence de ce savant. Habillé modestement et chargé de la poussière du voyage, il apparut comme un individu insignifiant et négligeable au milieu du groupe de disciples richement vêtus de ce chef distingué. Inaperçu et intrépide, il s'avança vers un endroit situé en face du siège occupé par le maître de grand renom. Appelant à son aide tout le courage et toute la Confiance que lui avaient inspirés les instructions de Siyyid Kázim, il s'adressa à Hájí Siyyid Muhammad Báqir en ces termes: "Prête l'oreille, ô siyyid, à mes paroles car de ta réponse à mon appel dépend le salut de la foi du Prophète de Dieu, et le refus de considérer mon message causerait à celle-ci un grave préjudice." Ces vaillantes et courageuses paroles, exprimées avec force et netteté, produisirent une impression de surprise sur le siyyid. Il interrompit soudain son discours et, négligeant son auditoire, il écouta avec une vive attention le message que cet étrange visiteur apportait. Ses disciples, stupéfaits de cet extraordinaire comportement, réprimandèrent l'intrus et dénoncèrent ses prétentions présomptueuses. Avec une politesse extrême et un langage ferme, plein de dignité, Mullá Husayn leur fit remarquer leur manque de courtoisie et le caractère borné de leur esprit; il exprima sa surprise devant leur arrogance et leur vanité puérile. Le comportement dont fit preuve le visiteur et la thèse qu'il exposa de manière si frappante plurent beaucoup au siyyid qui déplora la conduite inconvenante de ses disciples et s'en excusa.

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Afin de réparer leur ingratitude, il témoigna au jeune homme toutes les bontés imaginables, l'assura de son soutien et le pria de faire connaître son message. Mullá Husayn exposa alors la nature et l'objet de la mission dont on l'avait chargé. Le siyyid répondit par ces mots: "Etant donné qu'au début nous croyions que Shaykh Ahmad et Siyyid Kázim n'étaient animés tous deux que par le désir de faire avancer la cause de la connaissance et de sauvegarder les intérêts sacrés de la foi, nous avons rapidement ressenti une inclination à leur offrir notre soutien le plus cordial et à prôner leurs enseignements. Au cours des dernières années, cependant, nous avons remarqué tant de déclarations contradictoires, tant d'allusions mystérieuses et obscures dans leurs écrits, que nous avons estimé souhaitable de garder le silence pendant un certain temps et de nous abstenir de toute critique ou approbation." Mullá Husayn répliqua: "Je ne puis que déplorer un tel silence de votre part, car je crois fermement qu'il implique la perte d'une splendide occasion de faire avancer la cause de la Vérité. Il ne tient qu'à vous d'exposer précisément ces passages de leurs écrits qui vous semblent mystérieux ou incompatibles avec les préceptes de la foi, et moi, avec l'aide de Dieu, j'entreprendrai d'exposer leur vraie signification." Le poids, la dignité et la confiance qui caractérisaient le comportement de ce messager inattendu, impressionnèrent grandement Hájí Siyyid Muhammad-Báqir. Il pria Mullá Husayn de ne pas insister sur ce sujet et d'attendre un jour prochain où, en tête à tête, il pourrait l'informer de ses propres doutes et inquiétudes. Mullá Husayn cependant, sentant qu'un ajournement pourrait être néfaste à la cause qu'il hérissait, insista pour qu'une conversation eut lieu immédiatement entre lui et le siyyid, au sujet des graves problèmes qu'il estimait être appelé à résoudre et capable de le faire. Il envoya Le siyyid fut ému jusqu'aux larmes par l'enthousiasme juvénile, la sincérité et la confiance sereine que révélait admirablement le visage de Mullá Husayn. Il envoya aussitôt chercher quelques ouvrages écrits par Shaykh Ahmad et Siyyid Kázim et commença à interroger Mullá Husayn sur des passages qui avaient suscité sa désapprobation et sa surprise. A chacune des références, le messager répondit, avec une vigueur toute particulière et une connaissance magistrale tout en gardant une modestie seyante.
Mullá Husayn continua ainsi, en présence des disciples réunis, à exposer les enseignements de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kázim, à justifier leur véracité et à défendre heur cause jusqu'au moment où le mu'adhdhin, appelant les fidèles à la prière, interrompit brusquement le cours de son argumentation.

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Le jour suivant, de la même façon, en présence d'une assemblée nombreuse et représentative, face au siyyid, il reprit son éloquent plaidoyer au sujet de la haute mission qu'une toute-puissante Providence avait confiée à Shaykh Ahmad et à son successeur. Un profond silence envahit l'auditoire. Celui-ci fut saisi d'étonnement par la force de l'exposé ainsi que par le ton et la manière du discours. Le siyyid promit publiquement que, le jour suivant, il publierait lui-même une déclaration écrite par laquelle il témoignerait de l'éminence de la position occupée par Shaykh Ahmad et Siyyid Kázim, et déclarerait que quiconque s'écarte de la voie tracée par ces deux maîtres, est semblable à celui qui s'est détourné de la foi du Prophète lui-même. Le siyyid promit qu'il porterait également témoignage de leur perspicacité et de leur compréhension correcte et profonde des mystères contenus dans la foi de Muhammad. Il tint parole et, de sa propre main, rédigea la déclaration promise. Il écrivit longuement et, au cours de son témoignage, il rendit hommage au caractère et à l'érudition de Mullá Husayn. Il parla de Siyyid Kázim en termes chaleureux, s'excusa auprès de celui-ci pour son attitude dans le passé et exprima l'espoir de pouvoir, à l'avenir, racheter son passé et sa conduite regrettable envers lui. Il lut lui-même à ses disciples le texte de son témoignage, puis le remit non scellé à Mullá Husayn, l'autorisant à communiquer son contenu à qui bon lui semblerait, afin que tous pussent connaître la grandeur de sa dévotion envers Siyyid Kázim.
A peine Mullá Husayn s'était-il retiré, que le siyyid chargea l'un de ses serviteurs, en qui il avait Confiance, de suivre le visiteur et de découvrir l'endroit où il résidait. Le serviteur suivit Mullá Husayn jusqu'à un modeste bâtiment qui servait de madrisih (2.2) et le vit entrer dans une chambre dépourvue de tout mobilier, si ce n'est une natte usée qui recouvrait le plancher. Il le regarda arriver, adresser sa prière de remeRciement à Dieu, se coucher sur cette natte sans autre chose pour se couvrir que son 'abá. (2.3) Après avoir rapporté à son maître tout ce qu'il avait observé, il fut chargé de remettre à Mullá Husayn la somme de cent túmán (2.4) et de lui exprimer les excuses sincères de son maître qui n'avait pu lui offrir, à lui, un aussi remarquable messager, l'hospitalité convenant à son rang. Mullá Husayn répondit à cette offre en ces termes: "Dites à votre maître que son véritable cadeau pour moi, c'est l'esprit d'honnêteté avec lequel il m'a reçu et la largesse de vue qui l'a porté, en dépit de son rang élevé, à répondre au message que moi, humble étranger, je lui avais apporté.

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Rendez cet argent à votre maître car moi, en tant que messager, je ne demande ni récompense, ni dédommagement. "Nous nourrissons vos âmes pour l'amour de Dieu. Nous ne cherchons ni récompense, ni remeRciements de votre part. (2.5) La prière que je formule à votre maître est que les dirigeants de ce monde ne puissent jamais l'empêcher de reconnaître la Vérité (2.6) et d'en témoigner." Hájí Siyyid Muhammad-Báqir mourut avant l'an 60 après l'hégire, année qui vit naître la foi proclamée par le Báb. Il resta jusqu'au dernier instant un bon défenseur et un fervent admirateur de Siyyid Kázim.
Après avoir accompli la première partie de sa mission, Mullá Husayn envoya le témoignage écrit de Hájí Siyyid Muhammad-Báqir à son maître à Karbilá, et se dirigea alors vers Mashhad, décidé à y faire connaître, de la meilleure façon possible, le message qu'il était chargé de remettre à Mírzá 'Askarí. Dès que la lettre contenant la déclaration écrite du siyyid lui parvint, Siyyid Kázim fut pris d'une telle joie qu'il envoya sur le champ sa réponse à Mullá Husayn, réponse dans laquelle il exprimait son appréciation et sa gratitude pour la façon exemplaire avec laquelle il avait rempli sa mission. La réponse qu'il venait de recevoir le rendit si heureux qu'après avoir interrompu le cours de sa leçon, il lut à ses disciples la lettre de Mullá Husayn et le témoignage écrit qu'elle contenait. Ensuite il leur fit part du contenu de l'épître qu'il avait lui-même écrite à Mullá Husayn en signe de reconnaissance pour le remarquable service qu'il lui avait rendu. Dans cette épître, le siyyid rendit un si brillant hommage aux grandes connaissances, au talent et au caractère de Mullá Husayn que quelques-uns, parmi ceux qui l'écoutaient, soupçonnèrent ce dernier d'être le Promis auquel leur maître se référait si souvent et qui, selon lui, vivait parmi eux et restait malgré cela inconnu de tous. Ce communiqué invitait Mullá Husayn à la crainte de Dieu, lui demandait de considérer cette crainte comme le moyen le plus puissant grâce auquel il pouvait résister aux assauts de l'ennemi et comme le trait distinctif de tout vrai disciple de la foi. La lettre était rédigée en termes si affectueux que personne ne pouvait douter, après l'avoir lue, que l'auteur y faisait ses adieux à son disciple bien-aimé et qu'il n'avait aucun espoir de le rencontrer une nouvelle fois en ce monde.
En ces jours-là, Siyyid Kázim devenait de plus en plus conscient de l'approche de l'heure à laquelle le Promis serait révélé. (2.7) Il voyait combien épais étaient les voiles qui empêchaient les chercheurs de saisir la gloire de la Manifestation cachée.

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Aussi déploya-t-il tous ses efforts pour écarter graduellement, avec précaution et sagesse, tous les obstacles qui pouvaient se dresser sur le chemin menant à la pleine reconnaissance de ce trésor caché de Dieu. A maintes reprises il demanda à ses disciples d'avoir présent à l'esprit le fait que celui dont ils attendaient la venue n'apparaîtrait ni à Jábulqá ni à Jábulsá. (2.8) Il leur fit même comprendre qu'il se trouvait parmi eux: "Vous le contemplez de vos propres yeux, faisait-il souvent remarquer, et, malgré cela, vous ne le reconnaissez pas!" À ses disciples qui l'interrogeaient au sujet des signes de la Manifestation, il disait: "Il est de noble lignée, de la descendance du Prophète de Dieu et de la famille des Háshim. Il est jeune et possède un savoir inné. Sa science ne provient pas des enseignements de Shaykh Ahmad, mais de Dieu. Mes connaissances ne sont qu'une goutte comparées à l'immensité de son savoir; elles ne sont que grain de poussière en face des merveilles de sa grâce et de sa puissance. Que dis-je? Incommensurable en est la différence. Il est de taille moyenne, s'abstient de fumer et est d'une piété et d'une dévotion extrêmes." (2.9) Certains des disciples du siyyid, en dépit des témoignages de leur maître, prenaient ce dernier pour le Promis, car ils reconnaissaient en lui les signes auxquels il faisait allusion. Parmi eux, se trouvait un certain Mullá Mihdíy-i-Khu'í, qui alla jusqu'à rendre publique cette croyance. A ce sujet, le siyyid fut profondément vexé et il aurait certainement banni cet élève du groupe de ses adeptes élus si celui-ci n'avait demandé à être pardonné et n'avait exprimé son repentir.
Shaykh Hasan-i-Zunúzí lui-même m'informa qu'il avait, lui aussi, entretenu des doutes similaires et qu'il priait Dieu pour que, si sa supposition était fondée, il soit confirmé dans sa croyance et, sinon, qu'il soit délivré de telles chimères . "J'étais si troublé, me raconta-t-il une fois, que pendant plusieurs jours, je ne pus ni manger ni dormir. Je passais mes jours au service de Siyyid Kázim pour qui j'avais une grande affection. Un jour, à l'aube, je fus soudain éveillé par Mullá Naw-Rúz, un des serviteurs de Siyyid Kázim qui, avec empressement, me pria de me lever et de le suivre. Nous allâmes chez Siyyid Kázim et trouvâmes celui-ci tout habillé, portant son 'abà, et prêt à quitter sa maison. Il me demanda de l'accompagner. "Une personne hautement estimée et distinguée, dit-il, est arrivée. Il est de notre devoir à tous deux d'aller lui rendre visite." L'aube avait déjà pointé lorsque je me trouvai marchant avec le siyyid à travers les rues de Karbilá. Nous atteignîmes bientôt une maison à la porte de laquelle se tenait un jeune homme, comme s'il était prêt à nous recevoir.

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Il portait un turban vert et son visage révélait un sentiment d'humilité et de gentillesse que je ne pourrai jamais décrire. Il s'approcha tranquillement de nous, tendit les bras vers Siyyid Kázim et l'embrassa affectueusement. Son affabilité et sa bonté contrastaient singulièrement avec le sentiment de profond respect qui caractérisait l'attitude de Siyyid Kázim; sans mot dire, la tête baissée, il écouta les multiples expressions d'affection et d'estime par lesquelles le jeune homme l'accueillait. Nous fûmes bientôt conduits vers l'étage supérieur de cette maison et entrâmes dans une chambre ornée de fleurs exhalant le plus délicieux des parfums. Le jeune homme nous pria de nous asseoir. Nous ne savions cependant quels sièges nous occupions réellement, tant le sentiment d'enchantement qui nous envahissait était écrasant. Nous remarquâmes placée au centre de la chambre une coupe en argent que notre jeune hôte, après nous avoir fait asseoir, remplit à ras bord et qu'il tendit à Siyyid Kázim en disant: "C'est une boisson composée d'un pur breuvage que leur donnera leur Seigneur." (2.10) Siyyid Kázim prit la coupe de ses mains et la vida à grands traits. Un sentiment de joie respectueuse emplit son être, sentiment qu'il ne put étouffer. L'on me présenta, à moi aussi, une coupe remplie de ce breuvage, mais aucune parole ne fut exprimée à mon endroit.

PHOTO: vue de Karbila

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Tout ce qui fut prononcé au cours de cette mémorable réunion, ce fut le verset du Qur'án cité plus haut. Aussitôt après, l'hôte se leva de son siège et, nous accompagnant jusqu'au seuil de la porte, nous dit adieu. J'étais muet d'étonnement et je ne savais comment exprimer la cordialité de son accueil, la dignité de son comportement, le charme de ce visage et le délicieux parfum de ce breuvage. Ma stupéfaction avait été profonde lorsque j'avais vu mon maître boire à longs traits, sans la moindre hésitation, cette sainte boisson dans une coupe en argent dont l'usage, d'après les préceptes islamiques, est interdit aux croyants. Je ne pouvais m expliquer le motif qui avait induit le siyyid à manifester un si profond respect en présence de ce jeune homme, un respect que la vue même du tombeau du Siyyidu'sh-Shuhad'á' n'avait pas fait naître en lui. Trois jours plus tard, je vis ce même jeune homme arriver et prendre place au milieu du groupe des disciples de Siyyid Kázim. Dès que le regard du maître tomba sur lui, il interrompit son allocution et se tut. Alors un de ses disciples le pria de reprendre l'argumentation qu'il avait laissée inachevée. "Que puis-je dire de plus?" répliqua Siyyid Kázim en se tournant vers le Báb. "Voyez, la Vérité est plus manifeste que le rayon de lumière qui tombe sur le pan de ce vêtement." Je remarquai aussitôt que le rayon auquel le siyyid faisait allusion frappait le pan du vêtement de ce même jeune homme auquel n s avions récemment rendu visite. "Comment se fait-il, demanda le questionneur, que vous ne révéliez pas son nom et n'identifiiez pas sa personne?" Le siyyid répondit en pointant du doigt sa propre gorge, impliquant par ce geste que, s'il divulguait son nom, tous deux seraient aussitôt mis à mort. Ceci accrut encore ma perplexité. J'avais déjà entendu mon maître observer que la perversité de cette génération était si grande que s'il montrait du doigt le Promis en disant: "Celui-là en vérité est le Bien-Aimé, le Désir de vos coeurs et du mien", elle ne le reconnaîtrait toujours pas. J'avais vu le siyyid montrer véritablement du doigt le rayon de lumière qui frappait le pan de ce vêtement et, malgré cela, personne parmi les assistants ne sembla saisir la signification de ce geste. Pour ma part, j'eus la conviction que le siyyid ne pouvait être lui-même le Promis mais qu'un mystère indéchiffrable pour nous tous demeurait caché en ce jeune homme, étrange et attrayant. Plusieurs fois, je tentai d'aborder Siyyid Kázim pour lui demander d'élucider ce mystère. Chaque fois que je te fis, je fus envahi par sentiment de crainte que sa personnalité inspirait de façon si saisissante. Plus d'une fois je l'entendis faire cette remarque:

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Shaykh Hasan, réjouissez-vous de ce que votre nom est Hasan (louable). Hasan est votre commencement, et Hasan sera votre fin. Vous avez eu le privilège de voir Shaykh Ahmad; vous avez été intimement lié à moi et, dans les jours à venir, vous aurez l'inestimable joie de contempler "ce qu'oeil n'a jamais vu, ni oreille jamais entendu, ni coeur jamais conçu.

PHOTO: entrée du tombeau de l'Imam Husayn à Karbila

"Je me sentis souvent le besoin de rechercher, seul, la présence de ce jeune háshimite et de m'efforcer de percer son mystère. Je l'observai plusieurs fois au moment où il se tenait dans une attitude de prière à l'entrée du tombeau de l'Imám Husayn. Il était si absorbé dans ses dévotions qu'il semblait totalement oublieux de la présence de ceux qui l'entouraient.

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Des larmes coulaient de ses yeux, et de ses lèvres sortaient des mots de glorification et de louange d'une beauté et d'une intensité telles que même les passages les plus sublimes de nos Ecritures sacrées ne pourraient espérer les surpasser. Les paroles:
"O Dieu! mon Dieu! mon Bien-Aimé, Désir de mon coeur" revenaient si fréquemment et étaient exprimées avec tant d'ardeur que les pèlerins qui visitaient le tombeau et qui se trouvaient assez près pour l'entendre, interrompaient instinctivement le cours de leurs prières et s'émerveillaient devant les manifestations de piété et de vénération que révélait ce jeune visage.

PHOTO: tombeau de l'Imam Husayn à Karbila

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Comme lui, ils pleuraient d'émotion et prenaient auprès de lui des leçons de véritable adoration. Ayant achevé sa prière, ce jeune homme, sans franchir le seuil du tombeau et sans essayer d'adresser une parole à ceux qui l'entouraient, retournait tranquillement chez lui. Je me sentais poussé à lui adresser la parole mais, chaque fois que je tentais de l'approcher, une force que je ne pouvais m'expliquer, et à laquelle je ne pouvais résister, me retenait. Mes enquêtes à son sujet me firent découvrir qu'il résidait à Shiraz, qu'il exerçait la profession de commerçant et qu'il n'appartenait à aucun ordre ecclésiastique. J'appris aussi qu'il était, comme ses oncles et ses parents, un admirateur de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kázim. J'appris qu'il était parti pour Najaf avant de se rendre à Shiraz. Ce jeune homme avait embrasé mon coeur. Le souvenir de cette vision me hantait. Mon âme n'aspirait qu'à lui jusqu'au jour où l'appel d'un jeune homme de Shiraz, se proclamant lui-même le Báb, parvint à mes oreilles. L'idée que cette personne ne pouvait être que ce même jeune homme, désir de mon coeur, que j'avais vu à Karbilá, me vint à l'esprit.
Plus tard, lors de mon voyage de Karbilá à Shiraz, j'appris qu'il avait entrepris un pèlerinage à La Mecque et à Médine. Je le rencontrai à son retour et m'efforçai, en dépit des nombreux obstacles qui jalonnaient mon chemin, de demeurer intimement lié à lui. Par la suite, lorsqu'il fut incarcéré à la forteresse de Mah-Ku, dans la province d'Ádhirbáyján, je m'engageai à transcrire les versets qu'il dictait à son secrétaire. Chaque nuit, et ceci pendant une période de neuf mois durant laquelle il resta prisonnier dans ce fort, il révélait, après avoir dit sa prière du soir, un commentaire sur un juz' du Qur'án (2.11). À la fin de chaque mois, un commentaire sur l'ensemble de ce Livre sacré était ainsi achevé. Pendant son incarcération à Mah-Ku, il révéla neuf commentaires sur l'ensemble du Qur'án. Les textes de ces commentaires furent Confiés à Tabriz à un certain Siyyid Ibráhím-i-Khalíl, qui devait les cacher jusqu'au moment où leur publication serait opportune. Leur sort est demeuré inconnu à ce jour.
"En rapport avec l'un de ces commentaires, le Báb me demanda un jour: "Lequel des deux commentaires préférez-vous, celui que je viens de révéler ou l'Ahsanu'l-Qisas, mon précédent commentaire sur la súrih de Joseph? Lequel des deux vous semble-t-il supérieur?
mon avis, répondis-je, l'Ahsanu'l Qisas semble doté d'une plus grande force et d'un plus grand charme." Il sourit à ma remarque et dit: "Vous êtes encore trop peu familier avec le ton et la teneur de ce dernier commentaire. Les vérités qu'il contient aideront le chercheur plus rapidement et de manière plus efficace à atteindre l'objet de sa recherche."

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"Je continuai d'être en compagnie intime du Báb jusqu'au grand combat de Shaykh Tabarsi. Lorsque le Báb fut informé de cet événement, il donna l'ordre à ses compagnons de se dépêcher sur les lieux et d'accorder toute leur assistance à Quddús, son disciple héroïque et exemplaire. S'adressant un jour à moi, il dit: "Si je n'étais pas incarcéré à Jabal-i-Shadíd, la forteresse de Chihriq, j'estimerais de mon devoir d'apporter mon aide personnelle à mon Quddús bien-aimé. La participation à ce combat ne vous est pas demandée. Vous devriez aller à Karbilá et demeurer dans cette ville sainte, car vous êtes destiné à contempler, de vos propres yeux, le beau visage du Husayn promis. Lorsque vous regarderez cette face radieuse, souvenez-vous aussi de moi. Transmettez-lui l'expression de ma tendre dévotion." Il ajouta encore ces mots, prononcés avec force: "En vérité, je le dis, je vous ai confié une grande mission. Gardez-vous, de crainte que votre coeur ne devienne défaillant et que vous n'oubliiez la gloire que je vous ai conférée."
"Peu après, je partis pour Karbilá et vécus dans cette cité sainte conformément aux ordres qui m'avaient été donnés. Craignant que mon séjour prolongé dans ce centre de pèlerinage n'éveillât des soupçons à mon égard, je décidai de me marier. Je commençai à gagner vie en qualité de scribe. Que d'afflictions n'y reçus-je pas de la part des shaykhís, ceux-là qui se déclaraient adeptes de Shaykh Ahmad et qui, pourtant, ne reconnurent pas le Báb! Ayant toujours à l'esprit les conseils de ce jeune homme bien-aimé, je me soumettais avec patience aux affronts qui m'étaient infligés. Pendant tout ce temps, ce saint jeune homme devait être libéré de sa prison terrestre et, par son martyre, délivré des cruautés atroces dont les dernières années de sa vie avaient été remplies.
"Seize mois lunaires moins vingt-deux jours s'étaient écoulés depuis le jour du martyre du Báb lorsqu'au jour d'arafih (2.12) de l'an 1267 après l'hégire (2.13), alors que je passais par la porte de la cour intérieure du tombeau de l'Imám Husayn, mon regard se posa pour la première fois sur Bahá'u'lláh. Que dirai-je sur le visage que je contemplai? La beauté de cette face, ces traits élégants qu'aucune plume n'oserait décrire, qu'aucun pinceau ne pourrait reproduire, son regard pénétrant, son aimable visage, la majesté de son attitude, la douceur de son sourire, la luxuriance de ses cheveux d'un noir de jais, tout cela laissa une impression ineffaçable en mon âme.

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J'étais alors un vieillard au dos courbé par le poids des années. Il s'avança si affectueusement vers moi, me prit par la main et, d'un ton qui trahissait tout à la fois sa puissance et sa beauté, m'adressa la parole en ces termes:
"Aujourd'hui même, j'ai décidé de vous présenter en tant que Bábí dans tout Karbilá." Tenant toujours ma main dans la sienne, il continua de converser avec moi. Nous parcourûmes toute la rue du marché et, à la fin, il me dit: "Louange à Dieu qui vous a permis de demeurer à Karbilá et de contempler de vos propres yeux la face du Husayn promis." Je me souvins aussitôt de la promesse que m'avait faite le Báb. Ses paroles, que j'avais considérées comme se rapportant à un avenir lointain, je ne les avais communiquées à personne. Ces paroles de Bahá'u'lláh m'émurent jusqu'au plus profond de mon être. A cet instant même, de toute mon âme et de toutes mes forces, je me sens appelé à proclamer à un peuple négligent l'avènement du Husayn promis. Il me pria cependant de réprimer mes sentiments et de cacher mes émotions. "Pas encore, me murmura-t-il à l'oreille; l'heure fixée approche. Elle n'a pas encore sonné. Restez assuré et patient." A partir de ce moment, tous mes soucis s'évanouirent. Mon âme débordait de joie. En ce temps-là, j'étais si pauvre que, la plupart du temps, je n'avais même pas de quoi manger. Je me sentis cependant, si riche que tous les trésors de la terre se réduisaient à néant, comparés à ce que je possédais déjà. "Telle est la grâce de Dieu; Il la donne à qui bon lui semble, Il est en vérité d'une immense générosité."
A présent, après cette digression, je reviens à mon sujet. J'avais fait allusion au zèle avec lequel Siyyid Kázim avait pris la décision d'écarter ces voiles qui empêchaient les gens de son temps de reconnaître la Manifestation promise. Dans les pages liminaires de ses ouvrages intitulés Sharh-i-Qasidih et Sharh-i-Khutbih, (2.14) il fit allusion, en termes voilés, au nom béni de Bahá'u'lláh. Dans un livret, le dernier qu'il écrivit, il mentionne explicitement le nom du Báb lorsqu'il fait référence au terme de "Dhikru'llah-i-A'zam". Il y écrit: "A l'adresse de ce noble "Dhikr" (2.15) cette toute-puissante voix de Dieu, je dis: "Je crains que les gens ne vous nuisent. J'ai, moi aussi, peur de vous blesser. Je vous redoute, je tremble devant votre autorité, j'ai peur de ce siècle dans lequel vous vivez. Même si je vous chérissais comme la prunelle de mes yeux jusqu'au jour de la résurrection, je ne vous aurais pas suffisamment prouvé ma dévotion." (2.16)

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Quelles souffrances cruelles Siyyid Kázim n'eut-il pas à endurer de la part de ces gens pervers! Combien de maux lui infligea cette ignoble génération! Pendant des années, il souffrit en silence et endura, avec une patience héroïque, toutes les indignités, les calomnies et les dénonciations qui l'accablaient. Il était cependant destiné à témoigner, durant les dernières années de sa vie, de la manière dont la main vengeresse de Dieu "détruisit totalement" ceux qui s'opposaient à lui, qui le dénigraient et qui complotaient contre lui. En ce temps-là, les adeptes de Siyyid Ibráhím, cet autre ennemi notoire de Siyyid Kázim, s'unirent dans le but de fomenter la révolte et la discorde, de mettre en danger la vie de leur redoutable adversaire. Par tous les moyens dont ils disposaient, ils cherchèrent à empoisonner les esprits de ses admirateurs et de ses amis, à saper son autorité et à discréditer son nom. Aucune voix ne s éleva pour protester contre l'agitation que préparaient avec assiduité ces gens impies et perfides, et dont chacun cependant, se prétendait protagoniste de la vraie science et dépositaire des mystères de la foi de Dieu. Personne ne chercha à les avertir ou à les éveiller. Ils assemblèrent une telle force et suscitèrent une telle opposition qu'ils réussirent à faire expulser de Karbilá, d'une manière humiliante, le représentant officiel du gouvernement ottoman, et s'approprièrent de tous ses revenus pour atteindre leurs buts sordides. Leur attitude menaçante irrita le gouvernement central à Constantinople, qui dépêcha un fonctionnaire militaire sur les lieux, avec pour mission d'étouffer le feu de la discorde. Avec la force armée à sa disposition, ce fonctionnaire assiégea la ville et envoya une dépêche à Siyyid Kázim, dans laquelle il le suppliait de pacifier les esprits excités de la populace, de conseiller la modération aux habitants, de les persuader de relâcher leur obstination et de se soumettre de bon gré à sa loi. Il promit, dans le cas où les habitants accepteraient de suivre ses conseils, de garantir leur salut et leur protection, de proclamer une amnistie générale et de s'efforcer de promouvoir leur bien-être. Leur vie serait en danger et une grande calamité s'abattrait sur eux, avertissait-il, s'ils refusaient de se soumettre.
À la réception de cette communication formelle, Siyyid Kázim appela à lui les principaux instigateurs du mouvement et, avec une sagesse et une affection extrêmes, il les exhorta à cesser leur agitation et à déposer les armes. Il parla avec une éloquence si persuasive, avec une sincérité et un détachement tels, que leurs coeurs s'adoucirent et que leur résistance fut domptée. Ils s'engagèrent solennellement à ouvrir, le lendemain matin, les portes de la citadelle et à se présenter, en compagnie de Siyyid Kázim, à l'officier commandant les forces assiégeantes.

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Il avait été convenu que le siyyid interviendrait en leur faveur et leur assurerait tout ce qui pouvait leur garantir la tranquillité et le bien-être. A peine avaient-ils quitté le siyyid que les 'ulamás, les principaux instigateurs de la rébellion, entreprirent unanimement de faire échouer ce plan. Parfaitement conscient du fait qu'une telle intervention de la part du siyyid - lequel avait déjà suscité leur jalousie - servirait à rehausser son prestige et à consolider son autorité, ils décidèrent de persuader un certain nombre des éléments insensés et excitables de la population de faire une sortie de nuit et d'attaquer les forces ennemies. Ils les assurèrent de la victoire, sur la foi d'un rêve au cours duquel l'un de leurs condisciples avait vu 'Abbás, (2.17) lequel l'avait chargé d'inciter ses disciples à faire la guerre sainte contre les assiégeants, )et lui avait promis le succès ultime.
Dupés par cette vaine promesse, ils rejetèrent les directives données par Siyyid Kázim, ce sage et prudent conseiller, et se mirent à exécuter les desseins de leurs chefs insensés. Siyyid Kázim, qui était parfaitement conscient de la mauvaise influence qui animait cette révolte, envoya un rapport détaillé et fidèle de la situation au commandant turc qui, en réponse, lui renouvela son appel pour un règlement pacifique. En outre, il déclara qu'à un certain moment, il forcerait les portes de la citadelle et considérerait la maison de Siyyid Kázim comme l'unique lieu de refuge pour un ennemi battu. Le siyyid fit propager cette déclaration à travers la ville. Elle ne servit qu'à provoquer la moquerie et le dédain de la population. Quand le siyyid apprit l'accueil fait à cette déclaration, il observa: "En vérité, ce qui les menace adviendra le matin. Le matin n'est-il pas proche ? (2.18)
A la levée du jour et à l'heure fixée, les forces de l'ennemi bombardèrent les remparts de la citadelle, en démolirent les murs, entrèrent dans la ville, pillèrent et massacrèrent un nombre considérable de ses habitants. Nombre d'entre eux se réfugièrent, consternés, dans la cour du tombeau de l'Imám Husayn. D'autres cherchèrent asile dans le sanctuaire d' 'Abbás. Ceux qui aimaient et honoraient Siyyid Kázim se rendirent chez lui. La foule qui se pressait vers sa résidence pour y trouver refuge était si dense qu'il fut nécessaire de s'approprier un certain nombre de maisons avoisinantes pour y loger la multitude de réfugiés qui se pressaient devant sa porte. Elle était si dense et si agitée qu'une fois le tumulte calmé, l'on constata que non moins de vingt-deux personnes avaient péri piétinées.

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Quelle consternation fut celle qui s'empara des résidents et des visiteurs de la cité sainte! Combien sévère fut le traitement qu'infligèrent les vainqueurs à leur ennemi terrifié! Avec quelle audace ne foula-t-on pas aux pieds ces droits et prérogatives sacrés dont jouissaient aux yeux d'innombrables pèlerins musulmans ces lieux de Karbilá! L'ennemi refusa de considérer le tombeau de 1'Imám Husayn et le mausolée sacré d' 'Abbás comme des sanctuaires inviolables pour les milliers de personnes qui avaient fui devant la colère vengeresse d'un peuple en opposition. Le sang des victimes coula sur les enceintes sacrées de ces deux tombeaux. Pour les innocents et les fidèles parmi la population, un endroit - et un seul - parvint à faire valoir son droit d'asile. Ce lieu, ce fut la résidence de Siyyid Kázim. Sa maison, ainsi que ses dépendances, furent considérées comme pourvues d'un caractère sacré tel, que même le plus saint tombeau de l'islám shí'ah n'avait pu s'en prévaloir. Cette étrange manifestation de la colère vengeresse de Dieu servit de leçon à ceux qui avaient tendance à amoindrir le rang du saint homme qu'était Siyyid Kázim. Cet événement mémorable (2.19) eut lieu le huit dhi'l-hijjih de l'an 1258 après l'hégire. (2.20)
Il est évident qu'en chaque âge et en chaque dispensation, ceux dont la mission est, soit de proclamer la vérité, soit de préparer la voie à son acceptation, ont toujours été opprimés par un nombre d'adversaires puissants qui défièrent leur autorité et tentèrent de dénaturer leurs enseignements. Ils ont réussi pendant un certain temps, soit par supercherie ou prétexte, soit par calomnie ou oppression, à tromper les mal informés et à égarer les faibles. Désireux de maintenir leur emprise sur les pensées et les consciences des hommes, ils sont parvenus, aussi longtemps que la foi de Dieu demeura cachée, à jouir des fruits d'une supériorité éphémère et précaire. A peine la foi fut-elle proclamée qu'ils constatèrent, à leur grande consternation, que les effets de leurs sombres machinations pâlissaient devant la lumière naissante du nouveau jour de Dieu. Devant les ardents rayons de cet Orbe ascendant, toutes leurs mauvaises actions et machinations se réduisirent à néant et devinrent bientôt des choses appartenant au passé.
Il y avait aussi dans l'entourage de Siyyid Kázim un certain nombre de personnes fausses et ignobles qui feignaient de lui être dévouées et attachées, qui simulaient la dévotion et la piété et qui clamaient être les seules initiées aux mystères que recelaient les paroles de Shaykh Ahmad et de son successeur. Elles occupaient les places d'honneur parmi le groupe des disciples assemblés de Siyyid Kázim.

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Ce dernier prononçait des discours à leur adresse et faisait preuve, à leur égard, d'une considération et d'une courtoisie marquées. Et pourtant il faisait souvent allusion, en des phrases subtiles et voilées, à leur aveuglement, à leur vanité et à leur inaptitude totale à saisir les mystères de la parole divine. Parmi ces allusions, on trouve par exemple celle-ci: "Personne, sinon celui qui vient de moi, ne peut saisir mon langage." Souvent il citait cette parole: "Je suis fasciné par le spectacle. Je suis muet d'étonnement et je contemple le monde privé du pouvoir d'entendement. Je suis impuissant à divulguer le mystère et je trouve les gens incapables d'en supporter le poids." A une autre occasion, il observa: "Nombreux sont ceux qui prétendent être parvenus à l'union avec le Bien-Aimé et, cependant, ce Bien-Aimé refuse de leur reconnaître leur prétention. C'est par les larmes qu'il verse pour son Bien-Aimé que le véritable amoureux peut être distingué du faux." A maintes reprises il observa: "Celui qui doit se manifester après moi est d'un lignée pure; il est d'une descendance illustre, de la progéniture de Fátimih. Il est de taille moyenne et ne présente aucune imperfection corporelle." (2.21)
J'ai entendu Shaykh Abú-Turáb (2.22) raconter ce qui suit: "Un certain nombre des disciples de Siyyid Kázim et moi-même considérions les allusions à ces imperfections physiques dont, selon le siyyid, le Promis était dépourvu, comme se rapportant spécifiquement à trois personnes parmi nos compagnons. Nous les désignions même par des appellations évoquant leurs défauts corporels. L'un d'eux se nommait Hájí Mírzá Karím Khán (2.23) fils d'Ibráhím Khán-i-Qájár-i-Kirmání, qui était borgne et portait une barbe teigneuse. Un autre s appelait Mírzá Hasan-i-Gawhar, un homme exceptionnellement corpulent. Le troisième, Mírzá Muhít-i-Shá'ir-i-Kirmání, était anormalement mince et grand. Nous avions la certitude que ces gens-là n'étaient autres que ceux auxquels Siyyid faisait constamment allusion comme à des personnes futiles et déloyales qui, ultérieurement dévoileraient leur personnalité intime et révéleraient leur ingratitude et leur folie. En ce qui concerne Hájí Mírzá Karím Khán qui, durant des années, s'assit aux pieds de Siyyid Kázim et acquit, grâce à lui, son soi-disant savoir, il obtint finalement la permission de quitter son maître pour s'installer à Kirmán, où il s'engagea à promouvoir les intérêts de l'islám et à propager les traditions qui entouraient le souvenir sacré des Imáms de la foi.
"Je me trouvais dans la Bibliothèque de Siyyid Kázim lorsque, un jour, un assistant de Hájí Mírzá Karím Khán arriva, tenant à la main un livre qu'il présenta au siyyid de la part de son maître, lui demandant de le lire attentivement et de signifier, de sa propre écriture, son approbation quant à son contenu.

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Le siyyid lut certains extraits de ce livre, le rendit à l'assistant avec le message suivant:
"Dites à votre maître que lui-même, mieux que quiconque, peut estimer la valeur de son propre livre." L'assistant s'étant retiré, le siyyid remarqua d'une voix triste: "Maudit soit-il! Pendant des années il est resté en ma compagnie et à présent qu'il entend partir, son unique but, après tant d'années d'étude et de fréquentation, est de diffuser, à travers son livre, de telles doctrines hérétiques et athées qu'il veut maintenant me faire approuver. Il s'est mis d'accord avec un certain nombre d'hypocrites égoïstes dans l'intention de s'établir à Kirmán afin d'y assumer, après mon départ de ce monde, les responsabilités d'une direction incontestée. Il s'est si cruellement trompé dans son jugement! Car les brises de la révélation divine émanant de l'Aurore de direction éteindront assurément sa lumière et détruiront son influence. L'arbre de son effort ne portera en fin de compte, que les fruits d'une désillusion amère et d'un remords rongeur. En vérité je dis: Vous contemplerez cela de vos propres yeux. Je prie Dieu que vous restiez à l'abri de l'influence néfaste que lui, l'antéchrist de la révélation promise, exercera à l'avenir." Il me pria de garder secrète cette prédiction jusqu'au jour de la résurrection, le jour où la main d'Omnipotence aura dévoilé les secrets qui sont à présent cachés dans le coeur des hommes. "En ce jour, m'exhorta-t-il, levez-vous avec un but ferme et une détermination inébranlable pour faire triompher la foi de Dieu, répandez au loin tout ce que vous avez entendu et dont vous avez été le témoin." Ce même Shaykh Abú-Turáb qui, dans les premiers jours de la dispensation proclamée par le Báb, estimait plus sage et profitable de ne pas adhérer à sa cause, eut, par la suite, l'amour le plus ardent pour la Manifestation révélée et demeura, dans sa foi, aussi ferme et inébranlable que le roc. Finalement, ce feu qui couvait embrasa son âme et entraîna chez lui un tel changement d'attitude, qu'il dut souffrir un emprisonnement à Tihrán, dans le cachot où fut enchaîné Bahá'u'lláh. Il resta ferme jusqu'au bout et couronna de la gloire du martyre une vie de sacrifice et d'amour.
Comme les jours de Siyyid Kázim touchaient à leur fin, celui-ci, chaque fois qu'il rencontrait ses disciples, soit en tête-à-tête, soit public, les exhortait ainsi: "O mes compagnons bien-aimés, prenez garde, de peur qu'après moi, les vanités de ce monde éphémère ne vous séduisent.

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Prenez garde, de crainte de devenir arrogants et oublieux de Dieu. Il vous incombe de renoncer à tout confort, à tout bien terrestre et à vos parents, dans votre quête de celui qui est le désir de vos coeurs et du mien. Dispersez-vous de tous côtés, détachez-vous de toutes choses terrestres et, en toute humilité et piété, suppliez votre Seigneur de vous soutenir et de vous guider. Ne relâchez jamais votre détermination de chercher et de trouver celui qui est caché derrière les voiles de gloire. Persévérez jusqu'au moment où il vous aidera par sa grâce et vous permettra de le reconnaître, lui qui est votre guide- fidèle et votre maître. Soyez fermes jusqu'au jour où il vous choisira pour compagnons et défenseurs héroïques du Qá'im promis. Heureux celui qui parmi vous boira la coupe du martyre dans son sentier. Ceux d'entre vous que Dieu, dans sa sagesse, préservera et gardera pour témoigner de l'apparition de l'Etoile de direction divine, ce Précurseur du Soleil de la révélation divine, doivent être patients, doivent demeurer assurés et fermes. Ils ne doivent ni hésiter ni se sentir en désarroi car, aussitôt après la première sonnerie de trompette qui doit remplir la terre d'extermination et de mort, il y aura à nouveau une sonnerie; à cet autre appel, toutes les choses se ranimeront et seront revivifiées. Alors sera révélée la signification de ces versets sacres: 'Et l'on sonna de la trompette et tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre expirèrent excepte ceux auxquels Dieu a permis de vivre. Alors on sonna encore de la trompette et tous se levèrent et regardèrent autour d'eux. Et la terre brilla de la lumière de son Seigneur, et le livre fut ouvert, et les prophètes et les témoins apparurent et la sentence fut prononcée entre eux, en toute équité, et il ne leur fut fait aucun tort." (2.24)

PHOTO: vue de Kázimayn

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En vérité je dis, après le Qá'im, le Qayyúm (2.25) sera manifesté. Car lorsque l'étoile du Premier se sera couchée, le soleil de la beauté de Husayn se lèvera et illuminera le monde entier. Alors se dévoileront, dans toute leur gloire, le "mystère" et le "secret" dont Shaykh Ahmad a parlé en ces termes: "Le mystère de cette cause doit être manifesté et le secret de ce message doit forcément être divulgué. Parvenir à ce jour des jours équivaut à atteindre la gloire suprême des générations du passé, et accomplir une seule bonne action en cet âge équivaut à la pieuse adoration d'un nombre incalculable de siècles." Combien de fois cette âme vénérab1e qu'était Shaykh Ahmad ne récita-t-elle pas ces versets Qur'àn! Avec que lie force mit-elle l'accent sur leur importance en tant que versets annonçant l'avènement de ces deux révélations jumelles qui devaient se succéder à intervalles rapprochés, et dont chacune était destinée à couvrir le monde de toute sa gloire! Combien de fois s'exclama-t-elle en ces termes: Heureux celui qui reconnaîtra leur portée et contemplera leur splendeur!" Aucun de nous deux ne vivra pour contempler leur gloire éclatante. Mais bon nombre de fidèles parmi vos disciples verront le jour que nous, hélas, ne pouvons jamais espérer voir! O mes compagnons bien-aimés! Combien grande, très grande est sa cause! Combien est exalté le rang auquel je vous invite, combien grandiose est la mission pour laquelle je vous ai formés et préparés! Ceignez-vous les reins de l'effort et fixez vos regards sur sa promesse! Je prie Dieu pour qu'Il vous aide par sa grâce à surmonter les tempêtes d'épreuves et les jugements qui vous accableront inévitablement; je le prie aussi de vous permettre d'émerger sains, saufs et triomphants de ces adversités, et de vous guider vers votre haute destinée."
Chaque année, au mois de dhi'l-qa'dih, le siyyid allait de Karbilá à Kázimayn (2.26) afin de visiter les tombeaux des Imáms. Il retournait à Karbilá juste à temps pour visiter, au jour d"arafih, le tombeau de l'Imám Husayn. Cette année-là, la dernière de sa vie, fidèle à ses habitudes, le siyyid partit de Karbilá pendant les premiers jours du mois de dhi'l-qa'dih de l'an 1259 après l'hégire, (2.27) en compagnie d'un certain nombre de ses disciples et de ses amis. Au quatrième jour de ce mois, il arriva à temps au Masjid-i-Baràthà, situé sur la route entre Baghdád et Kázimayn, pour y faire sa prière de midi. Il demanda au mu'adhdhin d'appeler les fidèles à se réunir et à prier. Se tenant à l'ombre d'un palmier qui faisait face à la mosquée, il se joignit à la congrégation. A peine avait-il achevé sa prière que soudain un Arabe apparut, s'approcha du siyyid et l'embrassa.

<P39>

"Il y a trois jours, dit-il, je faisais paître mon troupeau sur le pâturage voisin, lorsque, soudain, je fus pris de sommeil. Dans mon rêve, je vis Muhammad, l'apôtre de Dieu; il s'adressa à moi en ces termes: "Prête l'oreille, ô berger, à mes paroles, et garde-les précieusement dans ton coeur, car elles sont un dépôt divin que je laisse à tes soins. Grande sera ta récompense si tu le conserves fidèlement; douloureux sera ton châtiment si tu le négliges. Ecoute-moi; voici le dépôt que je te confie. Reste à l'intérieur du Masjid-i-Baráthá. Le troisième jour après ce rêve, un membre de ma maison, du nom de Siyyid Kázim, accompagné de ses amis et de ses compagnons, viendra faire halte, à l'heure de midi, à l'ombre du palmier qui se trouve près du masjid. Là, il fera sa prière. Aussitôt que ton regard tombera sur lui, cherche à le rejoindre et transmets-lui mes salutations affectueuses. Dis-lui ceci de ma part: "Réjouissez-vous, car l'heure de votre départ est imminente. Quand vous aurez accompli vos visites à Kázimayn et que vous serez de retour à Karbilá, trois jours après votre arrivée, au jour d"arafih (2.28) vous vous envolerez vers moi.

PHOTO: vue partielle du Masjid-i-Barâtha

<P40>

Peu après, celui qui est la Vérité se manifestera. Alors, le monde sera illuminé de la lumière de sa face." Un sourire fit resplendir le visage de Siyyid Kázim lorsque fut terminée la description du rêve rapporté par ce berger. Il dit: "Quant à la vérité du rêve que vous avez fait, elle ne fait pas l'ombre d'un doute." Ses compagnons furent profondément attristés par cette nouvelle. Se tournant vers eux, le siyyid dit: "Ne m'aimez-vous pas uniquement par amour pour celui dont nous attendons tous l'avènement? Ne souhaiteriez-vous pas que je meure pour que le Promis puisse être révélé?" Cet épisode tout entier m'a été raconté par non moins de dix personnes qui avaient toutes assisté à cette scène et qui témoignèrent de son authenticité. Et, malgré cela, nombre de ceux qui virent de leurs propres yeux des signes aussi prodigieux rejetèrent la Vérité et répudièrent son message!

PHOTO: emplacement de la tombe de Siyyid Kazim

<P41>

La rumeur de cet étrange événement se répandit au loin. Il apporta la tristesse au coeur de ceux qui aimaient vraiment Siyyid Kázim. À ceux-là, le siyyid adressa, avec une joie et une tendresse infinies, des paroles de réconfort et d'encouragement. Il calma leur coeur troublé, fortifia leur foi et enflamma leur zèle. Il accomplit son pèlerinage avec dignité et sérénité et retourna à Karbilá. Le jour même de son arrivée, il tomba malade et dut garder le lit. Ses ennemis répandirent le bruit selon lequel il avait été empoisonné par le gouverneur de Baghdád. C'était pure calomnie et mensonge flagrant, d'autant plus que le gouverneur lui-même avait une confiance absolue en Siyyid Kázim et l'avait toujours considéré comme un dirigeant de grand talent doté d'une perception vive et d'un caractère irréprochable. (2.29) Au jour d"arafih de l'an 1259 après l'hégire, à l'âge mûr de soixante ans, Siyyid Kázim, conformément à la vision de l'humble berger, dit adieu à ce monde en laissant derrière lui une équipe de disciples sérieux et dévoués qui, dépourvus de tout désir terrestre, se mirent à la recherche de leur Bien-Aimé promis. Ses restes sacrés furent ensevelis à l'intérieur de la cour u tombeau de l'Imám Husayn. (2.30) Son décès souleva un tumulte ' Karbilá, tumulte semblable à l'agitation qui, l'année précédente (2.31) s'était emparée de ses habitants la veille du jour d' 'arafih quand l'ennemi victorieux avait forcé les portes de la citadelle et massacré un nombre considérable de ses habitants assiégés. Un an auparavant, ce jour-là, la maison du siyyid avait constitué l'unique refuge de paix et de sécurité pour les sans-abris et les nécessiteux. A présent, elle était devenue une maison de deuil, où ceux dont il s'était fait l'ami et qu'il avait secourus pleuraient sa mort et se lamentaient sur sa perte. (2.32)

<P42>

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NOTE DU CHAPITRE 2:

(2.1) Ce fut le premier adepte du Bab, et ce dernier lui conféra ce titre.

(2.2) "Les madrisih ou collèges persans sont entièrement aux mains du clergé, et il y en a plusieurs dans chaque grande ville: Ils comprennent généralement une cour entourée de bâtiments dans lesquels se trouvent des chambres pour les étudiants, des chambres pour les maîtres, et une porte sur l'un des côtés. On trouve fréquemment un jardin et un puits au centre de cette cour. Plusieurs de ces écoles ont été fondées et dotées par les rois et les personnes pieuses. ("A General Sketch of the History of Persia", par C.R. Markham, p. 365.)

(2.3) Ample habit qui se porte sur les autres, qui ressemble à un manteau et qui est généralement fabriqué avec de la laine de chameau.

(2.4) L'équivalent d'environ cent dollars, somme importante à l'époque.

(2.5) Qur'án 76:9.

(2.6) Le Bab, dans le "Dalá'il-i-Sab'ih", parle de Mullá Husayn en ces termes: "Tu sais, toi, quel est le premier confesseur de cette Foi; tu sais que la majeure partie des docteurs Shaykhi, Siyyidíyyih, et d'autres sectes a raient sa science et son talent. Quand il entra à Isfáhán, les gamins de la ville crièrent sur son passage: "Ah! Ah! un étudiant dépenaillé vient d'arriver!" Eh bien, cet homme, pat ses preuves et ses arguments, convainquit un Siyyid d'une science éprouvée: Muhammad-Báqir! En vérité, c'est là une des preuves de cette Manifestation car, après la mort du Siyyid, ce personnage alla voir la plupart des docteurs de l'Islam et ne rencontra la vérité qu'auprès du Maître de la Vérité; ce fut alors qu'il parvint au destin qui lui avait été fixé. En vérité! Les créatures du début et de la fin de cette Manifestation l'envient et l'envieront jusqu'au jour du Jugement. Et qui donc peut accuser ce maître de l'intelligence de faiblesse mentale et de légèreté? ("Le Livre des Sept Preuves", traduit par A.L.M. Nicolas, p. 54.)

(2.7) Le Bab, à ce sujet, révèle ce qui suit dans le "Dalá'il-i-Sab'ih": "Ce qu'il disait encore lors de son dernier voyage, que tu as entendu to même, ne le raconte-t-on pas? Et l'histoire de Mírzá Muhammad-i-Akhbárí que rapporte 'Abdu'l-Husayn-i-Shushtarí? Mírzá Muhammad-i-Akhbárí demanda un jour, étant à Kázimayn, a vénéré Siyyid, quand se manifesterait l'Imám. Le Siyyid parcourut des yeux l'assemblée et lui dit "Toi, tu le verras." Mullá Muhammad-Taqíyi-Haraví racontait lui aussi cette histoire à Isfáhán. ("Le Livre des Sept Preuves", traduit par A.L.M. Nicolas, p. 58.)

(2.8) Voir la note, au début du livre, sur "Les traits distinctifs de l'Islam Shi'ah".

(2.9) Il semble que la conclusion selon laquelle Siyyid Kázim faisait souvent allusion vers la fin de sa vie, à la Manifestation qu'il croyait imminente, soit évidente. Il adorait dire les mots suivants:

"Je le vois comme le soleil levant." ("The Reconciliation of Races and Religions", par le Dr. T.R. Cheyne.)

(2.10) Qur'án, 76:21.

(2.11) Un juz' est un trentième du Qur'án.

(2.12) Le neuvième jour du mois de dhi'l-hijjih.

(2.13) Le 5 octobre 1851 ap. J.-C.

(2.14) Le deuxième chapitre du tome Il de l" 'Essai sur le Shaykhisme" de A.L.M. Nicolas est entièrement consacré à l'énumération détaillée des cent trente-cinq ouvrages écrits par Siyyid Kázim dont voici ceux qui présentent un intérêt remarquable:

1. Sharh-i Khutbiy-i-Tutunjíyyih.

2. Sharh-i Qasídih.

3. Tafsírih Âyatu'l-Kursi

4. Dat Asrár-i-Shihádat-i-Imám-Husayn.

5. Cosmographie.

6. Dalílu'l-Mutahayyirín.

On dit que ses oeuvres dépassent les 300 volumes ("A Traveler's Narrative"-Note E p. 238.)

(2.15) "Dhikr" signifie "mention", "souvenir".

(2.16) A.L.M Nicolas cite dans le Chapitre III de son "Essai sur le Shaykhisme,", tome Il, p.43, l'extrait suivant du Sharh-i-Qasidih de Siyyid Kázim: "Je l'ai dit, dans chaque période de cent années, il y a des élus qui répandent et sèment les préceptes qui expliquent ce qui est illicite et ce qui est licite, qui disent les choses qui étaient cachées durant les cent années précédentes. Autrement dit, chaque cent ans, un personnage savant et parfait se rencontre qui fait verdoyer et fleurir l'arbre de la loi religieuse, qui régénère son tronc, tant qu'enfin le livre de la Création arrive à sa fin, dans une période de douze cents années. A ce moment, se manifesteront un certain nombre d'hommes parfaits qui manifesteront certaines choses très intimes qui étaient cachées... Donc, quand sont terminés les douze cents ans, quand le premier cycle est fini qui dépendait de l'apparence du Soleil du Prophète, de la Lune du Viláyat, alors sont finies les influences de ce cycle, et un second cycle commence, pour l'explication des préceptes intimes et des secrets cachés." Il ajoute alors lui-même ces mots : 'Autrement dit, et pour rendre encore plus clair ce langage surprenant qui vraiment n'a pas besoin d'explication, Siyyid Kázim nous dit que le premier cycle qui dure douze cents ans est uniquement pour l'éducation des corps et des esprits qui dépendent de ces corps. Il est comme l'enfant dans le ventre de sa mère. Le deuxième cycle est pour l'éducation des esprits saints, des âmes unes, qui n'ont aucune relation avec le monde des corps. C'est comme si Dieu voulait élever les esprits par le devoir en ce monde. Donc, quand le premier cycle est terminé, dont spectacle est le nom de Muhammad, arrive le cycle des éducations des intimités. Dans ce cycle, les apparences obéissent aux intimités, ainsi que dans le cycle précédent les intimités obéissaient aux apparences. Donc, dans ce second cycle, le nom céleste du Prophète, qui est Ahmad, est le lieu du spectacle, le Maître: "Mais ce nom doit forcément être trouvé de la meilleure des terres, du plus pur des airs." Nicolas ajoute plus loin, dans une note en bas de page, ce qui suit: "Le nom de Ahmad cité plus haut tendrait à faire croire qu'il s'agit ici de Shaykh Ahmad. Mais, cependant, on ne peut guère, en parlant de Lahça, dire qu'elle est la meilleure des terres. On sait, au contraire, que tous les poètes de la Perse se réunissent pour chanter Shíráz et son climat idéal. Il n'y a d'ailleurs qu'à voir ce que Shaykh Ahmad disait lui-même de son pays.

(2.17) Frère de l'Imám Husayn

(2.18) Qur'án, 11:81

(2.19) A.L.M. Nicolas, dans son "Essai sur le Shaykhisme", Tome Il, pp. 29 et 30, décrit comme suit l'événement: e fut en l'an 1258 (1842) qu'eut lieu cet événement, le jour de la fête du Qadr. Les armées de Baghdád, sous la conduite de Najíb Páshá, s'emparèrent de Karbilá dont elles massacrèrent les habitants, et pillèrent les riches mosquées. Près de neuf mille personnes furent tuées, et la plupart étaient des Persans. Muhammad Sháh était assez sérieusement malade quand eurent lieu ces événements, aussi les hauts fonctionnaires les lui cachèrent-ils."

Quand le Sháh, par la suite, les apprit, il entra dans une grande colère et jura de tiret une vengeance éclatante. Mais les représentants Russe et Anglais intervinrent pour calmer les choses. En fin de compte, Mírzá Ja'far Khán Mushiru'd Dawlih, revenant de son ambassade à Constantinople, fut envoyé à Erzeroum pour s y rencontrer avec les délégués Anglais, Russes et Ottomans.

"Arrivé à Tabríz, le plénipotentiaire persan tomba malade. Hájí Mírzá nomma, alors à sa place Mírzá Taqí Khán-i-Faráhání, Vazir Nizám: celui-ci se tendit à Erzeroum avec 200 officiers.

"Le délégué Turc était Anvar Effendi, qui se montra courtois et conciliant, mais l'un des hommes de l'Amír Nizám fit un acte qui portait atteinte à la religion sunnite; la population se précipita sur le camp de l'ambassadeur; deux ou trois Persans furent tués, tout fut pillé et l'Amír Nizám n'eut la vie sauve que grâce à l'intervention de Badrí Páshá.

"Le Gouvernement turc présenta des excuses et paya 15 000 túmáns de dommages et intérêts. Dans son Hidáytu't-Tálibin, Karim Khán veut que durant le pillage de Karbilá, les troupes victorieuses aient respecté les maisons des Shaykhis. Tous ceux qui y cherchèrent refuge, dit-il, furent sauvés, et l'on y accumula des objets précieux. Aucun des compagnons de Siyyid Kázim ne fut tué, alors que ceux qui s'étaient réfugiés aux saints tombeaux furent massacrés sans pitié. Le Páshá, dit-on, entra à cheval dans l'enceinte sacrée.

(2.20) Le 10 janvier 1843 ap. J-C.

(2.21) A.L.M. Nicolas, dans son "Essai sur le Shaykhisme", Tome Il, pp. 60 et 61, donne l'extrait suivant des écrits de Siyyid Kázim: "Tu as compris, je pense, que la Loi religieuse et les préceptes de la morale sont la nourriture de l'esprit. Il est donc obligatoire que ces lois religieuses soient diverses: il faut que parfois les ordres précédents soient annulés; il faut qu'ils se composent de choses douteuses et de choses certaines, de généralités et de particularités, d'absolu et de fini, d'apparent et d'intime, afin que l'enfant arrive au temps de l'adolescence et soit parfait dans sa puissance et dans sa capacité.
"C'est à ce moment-là que doit apparaître le Qá'ím et, après sa manifestation, doit s'accomplir le temps de sa vie, et il doit être tué; c'est quand il sera tué que le monde arrivera à l'âge de 18 ans."

(2.22) Suivant Samandar (p. 32), Shaykh Abú-Turáb était natif d'Ishtihárd, et on le comptait parmi les principaux disciples de Siyyid Kázim. Il épousa la soeur de Mullá Husayn. Il mourut en prison à Tihrán.

(2.23) "Le Bab écrivit à Hàji Muhammad-Karim Khán ... et l'invita à reconnaître son autorité. Cc dernier non seulement refusa de le faire mais écrivit plus tard un traité contre le Bab et ses doctrines." (Page 910.) "Au moins deux traités furent rédigés par Háji Muhammad Karim Khán. L'un d'eux fut écrit à une date ultérieure, probablement après la mort du Bab, à la demande spéciale de Násárá'd-Din Sháh. De ces deux traités, l'un a été imprimé; c'est "l'écrasement de l'erreur". (Izháqu'l-Bátil) (Note 1 au bas de la page 910.) (Journal of the Royal Asiatic Society, 1889, article 12.)

(2.24) Qur'án, 39:68.

(2.25) Références respectives au Bab et à Bahá'u'lláh.

(2.26) Les tombes des "deux Kázims", le septième Imám Músá Kázim et le neuvième Imám Muhammad-Taqí, se trouvent à environ trois milles au nord de Baghdád. Autour d'elles a été construite une grande ville, habitée principalement par des Persans et connue sous le nom de 'Kázimayn".

(2.27) Du 23 novembre au 23 décembre 1843 ap. J.-C.

(2.28) Le 31 décembre 1843 ap. J.-C.

(2.29) "Karim Khán qui, au sujet la prise de Karbilá, insiste sur le respect que les assaillants montrèrent aux Shaykhis et à Siyyid Kázim-i-Rashti, ne se gène pas du tout pour déclarer qu'il est fort probable "que Siyyid Kázim fut empoisonné à Baghdád par cet infâme Najib Páshá qui, dit-il, lui fit prendre un breuvage après l'absorption duquel il fut pris d'une soif intense et mourut." C'est ainsi que les Persans écrivent l'histoire!" ("Essai sur le Shaykhisme", de A.L.M. Nicolas, Il, pp. 30-31.)

(2.30) "Il fut enterré derrière la fenêtre du corridor du tombeau du Seigneur des Confesseurs. Ce tombeau fut creusé très profondément en inclinant, dans le bas, vers l'intérieur de l'enceinte interdite." (Idem, page 31)

(2.31) "Durant la vie de Siyyid Kázim, la doctrine des Shaykhis se répandit dans toute la Perse, si bien que dans la seule province d'Iráq il y avait plus de cent mille muríds." (Journal Asiatique, 1866, Tome VIL p. 463.)

(2.32) "Ici finit l'histoire de l'établissement du Shaykhisme, ou tout au moins de son Unité. Il va, en effet, après la mort de Siyyid Kázim-i-Rashtí, se diviser en deux branches. L'une, sous le nom de Babisme, lui donnera l'épanouissement que semblait promettre la force du mouvement créé par Shaykh Ahmad et auquel paraissent s'être attendu les deux maîtres, si on en croit leurs prédictions; l'autre, sous la conduite de Karím Khán-i-Qájár-i-Kirmání, continuera ses luttes contre l'élément Shiite, mais cherchera toujours à se mettre à l'abri en affectant les dehors d'un parfait Ithná-'Asharisme. Si, pour Karim Khán, le Bab et ses sectateurs sont d'infâmes impies, pour les Babis, Karim Khán est l'Anté-Christ ou Dajjál prédit par Muhammad. (A.L.M. Nicolas, "Essai sur le Shaykhisme", tome-Il, p. 31.)



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CHAPITRE III : la déclaration de la mission du Bab

Le décès de Siyyid Kázim fut le signal d'une activité renouvelée de la part de ses ennemis. Avides de pouvoir et enhardis par son départ de ce monde et par la consternation que celui-ci avait provoquée chez ses disciples, ils renouvelèrent leurs revendications et se préparèrent à Réaliser leurs ambitions. Pendant un certain temps, la peur et l'anxiété emplirent les coeurs des disciples fidèles de Siyyid Kázim mais, avec le retour de Mullá Husayn-i-Bushrú'í de la haute mission dont l'avait chargé son maître, et qu'il avait si bien réussie, leur tristesse se dissipa. (3.1)
C'est au premier jour de muharram de l'an 1260 après l'hégire (3.2) que Mullá Husayn revint à Karbilá. Il consola et raffermit les disciples désolés de son maître bien-aimé, leur rappela la promesse infaillible de celui-ci et prêcha la vigilance soutenue et l'effort incessant qu'exigeait la recherche du Bien-Aimé. Vivant dans le voisinage immédiat de la maison qu'avait occupée le siyyid, il consacra son temps, durant trois jours entiers, à recevoir les visites d'un nombre considérable de personnes en deuil qui se dépêchaient d'aller lui présenter, à lui, qu'elles considéraient comme le principal représentant des disciples du siyyid, l'expression de leur angoisse et de leur affliction. Ensuite il appela un certain nombre de ses compagnons les plus distingués, et en qui il avait le plus Confiance, pour s'enquérir auprès d'eux des voeux exprimés par leur chef défunt et de ses ultimes exhortations. Ces disciples lui dirent qu'à maintes reprises et avec force, Siyyid Kázim leur avait ordonné de quitter leur maison, de se disperser de tous côtés, de purifier leur coeur de tout désir vain et de se consacrer à la recherche de celui à l'avènement duquel il avait si souvent fait allusion. "Il nous disait, racontèrent-ils, que l'objet de notre recherche était désormais révélé; que les voiles qui s'interposaient entre lui et nous étaient tels, qu'ils ne pouvaient être dissipés que par notre recherche dévouée; que seule la persévérance dans la prière, la pureté d'intention et la sincérité d'esprit nous permettrait de déchirer ces voiles. Dieu n'a-t-il pas révélé dans son Livre: "Quiconque fait des efforts pour Nous, Nous le guiderons dans nos voies ?" (3.3)

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"Pourquoi alors, observa Mullá Husayn, avez-vous choisi de demeurer à Karbilá? Comment se fait-il que vous ne vous êtes pas dispersés et ne vous êtes pas levés pour exécuter sa pressante requête?" "Nous reconnaissons notre erreur, répondirent les disciples. Nous portons tous témoignage de votre grandeur. La Confiance que nous avons en vous est telle que si vous prétendez être le Promis, nous nous soumettrons tous avec empressement et sans hésitation. Ici même, nous promettons 'être loyaux et soumis à tout ce que vous nous ordonnerez d'accomplir." "A Dieu ne plaise!" s'exclama Mullá Husayn. "Loin de sa gloire le fait que moi, qui ne suis que poussière, je puisse être comparé à celui qui est le Seigneur des Seigneurs! Si vous parliez selon le ton et le langage de Siyyid Kázim, vous n'auriez jamais prononcé de telles paroles. Votre obligation première, aussi bien que la mienne, est de nous lever et de mettre en pratique, tant dans l'esprit que dans la lettre, le message d'adieu de notre chef bien-aimé." Il se leva aussitôt de son siège et alla directement vers Mírzá Hasan-i-Gawhar, Mírzá Muhít et vers d'autres personnages bien connus parmi les disciples de Siyyid Kázim. A tous il délivra sans crainte le message d'adieu de son chef, souligna le caractère urgent de leur devoir et les poussa à se lever pour accomplir celui-ci. Or, à son appel, il ne reçut que des réponses évasives et indignes. "Nos ennemis, remarqua l'un d'eux, sont nombreux et puissants. Nous devons rester dans cette ville et préserver le siège laissé vacant par notre chef défunt." Un autre fit observer: "Il m'incombe de demeurer ici et de prendre soin des enfants que le Siyyid a laissés derrière lui." Mullá Husayn reconnut immédiatement la futilité de ses efforts. Réalisant le degré de leur folie, leur aveuglement et leur ingratitude, il cessa de leur parler. Il se retira, les laissant à leurs vaines occupations.
Etant donné qu'à ce moment précis du récit, qui vit naître la révélation promise, l'an soixante venait de commencer, il me semble opportun de nous écarter quelque peu de notre thème et de mentionner certaines traditions de Muhammad et des Imáms de la foi qui, spécifiquement, font référence à cette année. Imám Ja'far, fils de Muhammad, au moment où on l'interrogea au sujet de l'année au cours de laquelle le Qá'im devait être manifesté, répondit ce qui suit:
"En vérité, en l'an soixante sa cause sera révélée et son nom sera répandu au loin." Dans les ouvrages du savant et célèbre Muhyi'd-Dín-i-'Arabí, l'on trouve plusieurs références à l'année de l'avènement ainsi qu'au nom de la Manifestation promise. Parmi celles-ci, on peut lire: "Les ministres et les partisans de sa foi seront des Persans."

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"Dans son nom le nom du Gardien ('Alí) précède celui du Prophète (Muhammad)." "L'année de sa révélation est égale à la moitié du nombre qui est divisible par neuf (soit 2520)." Mírzá Muhammad-i-Akhbárí, dans ses poèmes se rapportant à l'année de la Manifestation, fait la prédiction, suivante: "En l'an Ghars (dont la valeur numérique des lettres est 1260), la terre s'illuminera de sa lumière et, en Gharasíh (soit 1265), le monde se remplira de sa gloire. Si tu vis jusqu'à l'an Gharasí (soit 1270), tu verras comment les nations, les dirigeants, les peuples et la foi de Dieu auront tous été renouvelés. Dans une tradition attribuée à l'Imám 'Alí, le Commandeur des fidèles, il est dit aussi: "En Ghars, l'Arbre de la direction divine sera planté."

PHOTO: demeure de Mullá Husayn à Bushruyih

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Mullá Husayn, après s'être acquitté de l'obligation qu'il avait d'exhorter et de réveiller ses compagnons, partit de Karbilá pour Najaf. Il était accompagné de Muhammad Hasan, son frère, et de Muhammad Báqir, son neveu, qui, tous deux, l'avaient toujours accompagné depuis sa visite à sa ville natale de Bushrúyih, dans la province de Khurásán. En arrivant à la mosquée de Kúfih, Mullá Husayn décida de passer quarante jours dans ce lieu, où il mena une vie de retraite et de prière. Par ses jeûnes et ses veilles, il se prépara à la sainte aventure qu'il allait bientôt entreprendre. Lors de l'accomplissement de c s actes d'adoration, seul son frère lui tenait compagnie, tandis que on neveu, qui quotidiennement leur procurait à tous deux ce dont ils avaient besoin, observait le jeûne et, pendant ses heures de loisir, se joignait à eux pour prier.
Ce calme claustral dont ils étaient entourés fut interrompu d'une manière inattendue, après quelques jours, par l'arrivée de Mullá 'Alíyi-Bastámí, l'un des disciples les plus éminents de Siyyid Kázim. Celui-ci, avec douze autres compagnons, arriva à la mosquée de Kúfih, où il trouva son condisciple Mullá Husayn plongé dans la contemplation et la prière. Mullá 'Alí possédait un savoir si vaste et était si versé dans les enseignements de Shaykh Ahmad que beaucoup le considéraient même comme étant supérieur à Mullá Husayn. A maintes occasions, il essaya de s'enquérir auprès de Mullá Husayn, de sa destination une fois la période de retraite terminée. Chaque fois qu'il l'approchait, il le trouvait si absorbé par ses dévotions qu'il trouvait impossible de hasarder une question. Il décida bientôt de se retirer de la société des hommes pendant 40 jours, comme l'avait fait son condisciple. Tous ses compagnons suivirent son exemple, sauf trois d'entre eux qui remplirent les fonctions de serviteurs.
Aussitôt après l'achèvement de ses quarante jours de retraite, Mullá Husayn, partit pour Najaf avec ses deux compagnons. Il quitta Karbilá de nuit, visita, sur sa route, le tombeau de Najaf, et se rendit directement à Búshihr, au bord du golfe Persique. Là, il commença sa pieuse recherche du Bien-Aimé cher à son coeur. Là aussi, pour la première fois, il respira la fragrance de celui qui, des années durant, avait mené dans cette ville la vie de négociant et d'humble citoyen. C'est là qu'il perçut les doux parfums de sainteté dont les invocations innombrables du Bien-Aimé avaient si généreusement imprégné l'atmosphère de cette cité.
Il ne pouvait cependant rester plus longtemps à Búshihr. Attiré comme par un aimant qui semblait l'entraîner irrésistiblement vers le nord, il partit pour Shiraz.

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En arrivant aux portes de cette ville, il dit à son frère et à son neveu d'aller directement au Masjid-itlkhání et d'y rester jusqu'à ce que lui-même y arrivât. Il exprima l'espoir de les rejoindre à temps pour la prière du soir si telle était la volonté de Dieu.

Ce même jour, quelques heures avant le coucher du soleil, alors que Mullá Husayn marchait en dehors des murs de la cité, son regard s'arrêta soudain sur un jeune homme au visage rayonnant, qui portait un turban vert et qui, s'avançant vers lui, le salua avec un sourire d'affectueuse bienvenue.

PHOTO: aspects du Masjid-i-Ilkhani

PHOTO: autre aspects du Masjid-i-Ilkhani

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PHOTO: vue générale de Shiraz

Il embrassa Mullá Husayn avec une tendre affection comme si pendant toute sa vie, il avait été son ami intime. Mullá Husayn le prit d'abord pour un disciple de Siyyid Kázim qui, ayant été informé de sa venue à Shiraz, était sorti pour lui souhaiter la bienvenue.
Mírzá Ahmad-i-Qazvíní, le martyr qui, à plusieurs occasions, avait entendu Mullá Husayn raconter aux premiers croyants le récit de son historique et émouvant entretien avec le Báb, me relata ce qui suit:
"J'ai entendu Mullá Husayn, à plusieurs reprises, décrire d'une manière pittoresque les circonstances de cette remarquable entrevue: "Le jeune homme qui me rencontra en dehors de la ville de Shiraz me combla de marques d'affection et de bonté. Il m'invita chaleureusement à me rendre chez lui et à m'y rafraîchir après les fatigues du voyage. Je demandai à être excusé, déclarant que mes deux compagnons avaient déjà pris les arrangements en vue de mon séjour dans cette ville, et qu'ils attendaient à présent mon retour. "Confiez-les aux bons soins de Dieu! répondit-il; Il les protègera et veillera certainement sur eux.
Ayant prononcé ces mots, il me pria de le suivre. La façon aimable et pourtant irrésistible dont ce jeune homme étrange me parlait m impressionna profondément. Tandis que je le suivais, son allure, le charme de sa voix et la dignité de son comportement contribuaient à confirmer mes premières impressions sur cette rencontre inattendue.
"Nous nous trouvâmes bientôt devant une maison d'apparence modeste. Il frappa à la porte qu'ouvrit peu après un serviteur éthiopien. "Entrez ici en paix et en sécurité" (3.4), furent les paroles de mon hôte en franchissant le seuil et en m'invitant à le suivre. Cette invitation, exprimée avec vigueur et majesté, pénétra mon âme. De telles paroles me parurent de bon augure au moment où je me tenais debout sur le seuil de la première maison dans laquelle je pénétrais à Shiraz, ville dont l'atmosphère même avait déjà produit en moi une impression indescriptible.

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Ma visite dans cette maison ne pouvait-elle, me disais-je, me permettre de me rapprocher de l'objet de ma recherche? Ne pourrait-elle pas mettre fin à une période de zèle intense, de recherche assidue, et d'anxiété croissante qu'implique une telle quête? En entrant dans la maison et en suivant mon hôte vers sa chambre, un sentiment de joie inexprimable envahit mon être. Dès que nous fûmes assis il fit apporter une aiguière pleine d'eau et me pria de me laver les mains et les pieds souillés par la poussière du voyage. Je demandai la permission de me retirer et d'accomplir mes ablutions dans une chambre adjacente. Il refusa d'accéder à ma requête et se mit à me verser de l'eau sur les mains. Ensuite il me donna à boire un breuvage rafraîchissant, après quoi il fit apporter le samovar (3.5) et prépara lui-même le thé qu'il m'offrit.

PHOTO: pièce dans le Masjid-i-Ilkhani de Shiraz, où eut lieu la rencontre entre le Báb et Mullá Husayn

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"Comblé de ses faveurs et de son extrême gentillesse, je me levai pour partir. "L'heure de la prière du soir approche," me hasardai-je à observer. "J'ai promis à mes amis de les rejoindre à cette heure-là

PHOTO: oranger planté par le Báb dans la cour de sa maison de Shiraz

à la mosquée d'Ílkhání." Avec une courtoisie et un calme extrêmes, il répondit: "Vous avez certainement subordonné l'heure de votre retour à la volonté et au plaisir de Dieu. Il semble que sa volonté en ait décrété autrement. Vous n'avez pas à craindre d'avoir rompu votre promesse." Sa dignité et son assurance me réduisirent au silence. Je renouvelai mes ablutions et me préparai à la prière. Lui aussi resta debout près de moi et pria. Pendant que je priais, je soulageai mon âme très oppressée aussi bien par le mystère de cette entrevue que par les tracas et les efforts de ma recherche.

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Je murmurai cette invocation: "Je me suis efforcé de toute mon âme, ô mon Dieu, de trouver le Messager promis et, jusqu'à présent, j'ai échoué dans ma tâche. Je témoigne que ta parole ne faillit point et que ta promesse est sure.
"Cette nuit, cette mémorable nuit, était la veille du cinquième jour de jamádíyu'l-avval, en l'an 1260 après l'hégire. (3.6) Ce fut environ une heure après le coucher du soleil que mon jeune hôte commença à converser avec moi. "Qui, après Siyyid Kázim, me demanda-t-il, considérez-vous comme son successeur et votre chef?" "A l'heure de son décès, répondis-je, notre regretté maître nous exhorta avec insistance à abandonner nos maisons, à nous disperser au loin, à la recherche du Bien-Aimé promis. J'ai, par conséquent, voyagé en Perse; je me suis levé pour accomplir son voeu et suis encore engagé dans ma recherche." "Votre maître, poursuivit-il, vous a-t-il donné des indications détaillées quant aux caractères distinctifs du Promis?" "Oui, répondis-je, il est de pure lignée; il est de descendance illustre, et de la postérité de Fátimih. Quant à son âge, il se situe entre vingt et trente ans. Il est doté d'un savoir inné. Il est de taille moyenne, s'abstient de l'usage du tabac et est dépourvu d'imperfections physiques."

PHOTO: brasero et samovar du Báb

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Il attendit un moment puis, d'une voix vibrante, déclara:
"Voyez, tous ces signes sont manifestes en moi !" Il considéra alors séparément chacun des signes mentionnés ci-dessus, et démontra de façon concluante que tous, sans exception, s'appliquaient à sa personne.

PHOTO: Pièce dans laquelle naquit le Báb à Shiraz

PHOTO: aux environs de Shiraz, lieu où se rendait souvent le Báb

PHOTO: autre endroit aux environs de Shiraz, lieu où se rendait souvent le Báb

Je fus fort surpris et observai poliment: "Celui dont nous attendons l'avènement est un homme d'une sainteté inégalée, et la cause qu'il doit révéler est d'une puissance extraordinaire. Nombreuses et diverses sont les conditions que doit remplir celui qui se prétend la visible personnification de cette cause.

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Que de fois Siyyid Kázim n'a-t-il pas fait allusion à l'immensité du savoir du Promis! Que de fois n'a-t-il pas dit: "Mon propre savoir n'est que goutte, comparé à celui dont il a été doté. Toutes mes connaissances ne sont que grain de poussière devant l'immensité de son savoir. Que dis-je, incommensurable en est la différence!" À peine avais-je prononcé ces paroles que je fus saisi d'une peur et d'un remords tels que je ne pouvais ni les cacher, ni les expliquer. Je me réprouvai moi-même avec amertume et me décidai, dès ce moment, à changer d'attitude et à adoucir le ton de ma voix. Je fis à Dieu le serment que si mon hôte se référait à nouveau à ce sujet, je répondrais avec une humilité extrême, en ces termes: "Si vous consentez à confirmer votre prétention, vous me délivrerez assurément de l'angoisse et de l'incertitude qui oppressent si lourdement mon âme. Je me sentirai vraiment redevable envers vous pour une telle délivrance." Lorsque je commençai ma recherche, je décidai de considérer les deux critères suivants comme étant ceux grâce auxquels je pourrais vérifier l'authenticité de quiconque se proclamerait le Qá'ím promis. Le premier critère était un traité que j'avais moi-même rédigé et qui avait trait aux enseignements abstrus et voilés de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kázim. Si quelqu'un me semblait capable de dévoiler les mystérieuses allusions faites dans ce traité, à celui-là je soumettrais alors ma seconde requête et lui demanderais de révéler, sans la moindre hésitation ou réflexion, un commentaire sur la súrih de Joseph, dans un style et un langage totalement différents des normes en usage à l'époque. J'avais auparavant demandé à Siyyid Kázim, en privé, d'écrire un commentaire sur cette même súrih, mais il avait refusé en disant: "Ceci est, en vérité, au-delà de mes possibilités. Lui, le Grand, qui vient après moi, vous le révélera, de son propre chef. Ce commentaire constituera l'un des témoignages les plus probants de sa vérité et l'une des preuves les plus évidentes de l'élévation de son rang." (3.7)
"Ces pensées passaient et repassaient dans mon esprit lorsque mon hôte distingué remarqua à nouveau: "Observez attentivement. La personne à laquelle Siyyid Kázim a fait allusion pourrait-elle être une autre que moi ?" Je me sentis alors poussé à lui présenter une copie du traité que j'avais sur moi. "Voulez-vous, lui demandai-je, lire ce livre dont je suis l'auteur et regarder ces pages d'un oeil indulgent? Je vous prie de passer sur mes faiblesses et mes défauts." Il se conforma avec bonté à mon désir. Il ouvrit le livre, jeta un coup d'oeil sur certains passages, le referma et commença à me parler.

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PHOTO: vue 1 de la piece dans laquelle le Báb déclara sa mission

PHOTO: vue 2 de la piece dans laquelle le Báb déclara sa mission

PHOTO: vue 3 de la piece dans laquelle le Báb déclara sa mission

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En l'espace de quelques minutes il avait dévoilé, avec une vigueur et un charme caractéristiques, tous ses mystères et résolu tous ses problèmes. Après avoir, à mon entière satisfaction, accompli en si peu de temps la tâche que je lui avais demandée, il m'exposa certaines vérités que l'on ne pouvait trouver ni dans les traditions attribuées aux Imáms de la foi ni dans les écrits de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kázim. Ces vérités, que je n'avais jamais entendues auparavant, semblaient dotées d'une force et d'une vigueur vivifiantes. "Si vous n'aviez pas été mon invité, observa-t-il ensuite, votre position aurait été en réalité très délicate. La grâce de Dieu, qui embrasse toutes choses, vous a sauvé. Il appartient à Dieu d'éprouver ses serviteurs et non pas à ceux-ci de le juger selon leurs normes déficientes. Aurait-on pu considérer la Réalité qui brille en moi comme impuissante, ou mon savoir comme défectueux, si j'avais échoué dans ma tentative de résoudre votre perplexité? Non, par la justice de Dieu! Il incombe en ce jour aux peuples et aux nations de l'Est et de l'Ouest de se hâter vers ce seuil et de chercher à obtenir ici la grâce vivifiante du Miséricordieux. Quiconque hésite sera en vérité en cruelle perdition. Les peuples de la terre n'affirment-ils pas que le but fondamental de leur création est de connaître et d'adorer Dieu? Il est de leur devoir de se lever, avec autant de sérieux et de spontanéité que vous, pour rechercher avec détermination et constance leur Bien-Aimé promis." Il poursuivit alors:
"À présent, il est temps que je révèle le commentaire sur la súrih de Joseph." Il prit sa plume et, avec une rapidité incroyable, révéla entièrement la súrih de Mulk, le premier chapitre de son commentaire sur la surih de Joseph. L'effet écrasant que produisait sa manière d'écrire était encore accru par la douce intonation de sa voix qui en accompagnait la rédaction. Il ne cessa, ne fût-ce que pour un seul instant, de révéler le flot de versets qui jaillissait de sa plume. Il ne s'arrêta pas une seule fois avant d'avoir terminé la súrih de Mulk. J'étais assis, ravi par la magie de sa voix et la force irrésistible de sa révélation. Finalement, je me levai à contre-coeur de mon siège et demandai la permission de partir. En souriant il me pria de me rasseoir et dit: "Si vous partez dans un état pareil, quiconque vous verra dira certainement: "Ce pauvre jeune homme a perdu la tête." A ce moment, l'horloge marquait deux heures et onze minutes après le coucher du soleil. (3.8) Cette nuit-là, la veille du cinquième jour de jamádíyu'l avval de l'an 1260 après l'hégire correspondait à la veille du soixante-cinquième jour après Naw-Rúz qui était aussi la veille du Khurdád de l'an Nahang.

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PHOTO: Vue de la chambre à coucher du Báb dans sa maison à Shiraz

PHOTO: Vue de la chambre à coucher de la mère du Báb dans sa maison à Shiraz

PHOTO: Vue du salon du Báb dans sa maison à Shiraz

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"Cette nuit, déclara-t-il, cette même heure sera, dans les temps à venir, célébrée comme l'une des fêtes les plus grandes et les plus significatives. Rendez grâce à Dieu de vous avoir aidé à Réaliser le désir de votre coeur et à boire du vin scellé de sa parole. Bienheureux ceux qui y parviennent." (3.9)
"A la troisième heure après le coucher du soleil, mon hôte donna l'ordre de servir le dîner. Ce même domestique éthiopien réapparut et étala devant nous une nourriture des plus choisies. Ce saint repas ranima aussi bien mon corps que mon âme. A cette heure, en présence de mon hôte, il me semblait me nourrir des fruits du paradis. Je ne pouvais que m'émerveiller devant les manières et les attentions dévouées de ce serviteur éthiopien dont la vie même paraissait avoir été transformée par l'influence régénératrice de son maître. Alors, pour la première fois, je reconnus la portée de ces paroles traditionnelles bien connues attribuées à Muhammad: "J'ai préparé, à l'intention de ceux de mes serviteurs pieux et justes, ce qu'oeil n'a jamais vu, ni oreille jamais entendu, ni coeur humain jamais conçu." Si mon jeune hôte ne visait d'autre but que la grandeur, il pouvait estimer l'avoir atteint, car le seul fait d'être reçu avec une hospitalité et une bonté dont, j'en suis convaincu, aucun autre être humain ne pourrait faire preuve, me suffisait.
"J'étais assis, fasciné par ses paroles, oublieux du temps et de ceux qui m'attendaient. Soudain le cri du mu'adhdhin appelant les fidèles à la prière matinale, me tira de l'état d'extase dans lequel je semblais être tombé. Toutes les délices, toutes les gloires ineffables dont le Tout-Puissant parle dans son livre comme les biens inestimables des habitants du paradis, semblaient être à moi cette nuit-là. Il me semblait me trouver dans un endroit dont on pourrait réellement dire: aucune peine ne nous atteindra, aucune lassitude ne nous touchera. Là, on n'entendra aucun vain discours ni aucun mensonge, mais uniquement le cri: "Paix! Paix!" Le cri qu'on y lancera sera: "Gloire à toi, ô Dieu!" et la salutation sera: "Paix!" Et le cri se terminera par: "Louange à toi, Seigneur de toutes les créatures ! (3.10)
"Le sommeil m'avait quitté cette nuit-là. J'étais ravi par la mélodie de cette voix qui s'élevait et s'abaissait tandis qu'il psalmodiait; tantôt elle se haussait et ce, lorsqu'il révélait les versets du Qayyámu'l-Asmá, (3.11) tantôt elle acquérait des harmonies éthérées et subtiles, et ce, au moment où il prononçait les prières qu'il révélait. (3.12) A la fin de chaque invocation, il répétait ce verset: "Loin de la gloire de ton Seigneur, le Très-Glorieux, est ce que ses créatures affirment de Lui!


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Et paix sur ses messagers! Et louange à Dieu, le Seigneur de tous les êtres !" (3.13)
"Ensuite, il s'adressa à moi en ces termes: "Ô toi qui es le premier à croire en moi! En vérité je le dis, je suis le Báb, la Porte de Dieu, et tu es le Bábu'l-Báb, la porte de cette Porte. Dix-huit âmes doivent d'abord, spontanément et de leur plein gré, m'accepter et reconnaître la vérité de ma révélation. Sans avoir été avertie ni invitée, chacune de ces âmes devra, indépendamment, chercher à me trouver. Et lorsque leur nombre sera complet, l'une d'elles devra être choisie pour m'accompagner dans mon pèlerinage à La Mecque et à Médine. Là je délivrerai le message de Dieu au sharíf de La Mecque. Je retournerai ensuite à Kúfih où, de nouveau, dans la mosquée de cette cité sainte, je manifesterai sa cause. Il vous incombe de ne pas divulguer, ni à vos compagnons, ni à toute autre personne, ce que vous avez vu et entendu. Soyez occupé à la mosquée Ilkhání à prier et à enseigner. Moi aussi, je vous y rejoindrai pour la prière en commun. Prenez garde à ce que votre attitude envers moi ne trahisse le secret de votre foi. Vous devrez poursuivre cette occupation et maintenir cette attitude jusqu'à notre départ pour Hijáz. Avant de partir, nous assignerons à chacune des dix-huit âmes sa mission spécifique et nous les enverrons toutes au loin accomplir leur tâche. Nous leur apprendrons à enseigner la parole de Dieu et à raviver les âmes des hommes." Après avoir prononcé ces paroles, il me congédia. M'accompagnant jusqu'à la porte de la maison, il me confia à Dieu.
"Cette révélation qui venait de m'être imposée d'une manière si soudaine et si impétueuse sembla, pendant un certain temps, tel un coup de foudre, avoir paralysé mes facultés. (3.14) "J'étais aveuglé par son éblouissante splendeur et accablé par sa force écrasante. L'émotion, la joie, la crainte et l'émerveillement remuaient les profondeurs de mon âme. Parmi ces sensations prédominait un sentiment de joie et de force qui semblait m'avoir transfiguré. Comme auparavant je m'étais senti faible et impuissant, timide et déprimé; je ne pouvais, à ce moment ni écrire ni marcher, tant mes mains et mes pieds tremblaient. Mais désormais, la connaissance de sa révélation galvanisait tout mon être. Je sentais en moi un courage et une puissance tels que même si le monde entier, tous ses peuples et ses potentats, devaient se liguer contre moi, je résisterais, seul et intrépide, à leurs assauts. L'univers ne semblait qu'une poignée de poussière dans ma main. Il me semblait être la voix de Gabriel personnifiée, appelant toute l'humanité en ces termes:

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PHOTO: la fenêtre à guillotine

PHOTO: l'escalier menant à la chambre où le Báb déclara sa mission

PHOTO: la porte de l'époque et l'entrée vue de la maison du Báb à Shiraz où il déclara sa mission

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"Réveille-toi. Regarde! La lumière de l'aube a pointé. Lève-toi car sa cause est manifestée. La porte de sa grâce est grande ouverte; entrez-y, ô peuples du monde, car celui qui est votre Promis est venu!"
"Je quittai sa maison dans cet état et rejoignis mon frère et mon neveu. Un grand nombre des disciples de Shaykh Ahmad qui avaient été informés de mon arrivée s'étaient réunis dans la mosquée d'Ilkhání pour me rencontrer. Fidèle aux directives de mon Bien-Aimé que je venais de trouver, je me mis aussitôt à réaliser ses désirs. En commençant à organiser mes classes et à psalmodier mes prières, j'attirais petit à petit une grande foule autour de moi. Des dignitaires du clergé, ainsi que des fonctionnaires de la ville, vinrent me rendre visite. Ils furent émerveillés de l'esprit que révélaient mes conférences, inconscients qu'ils étaient du fait que la source d'où jaillissait mon savoir n était autre que celui dont ils attendaient, pour la plupart avec impatience, l'avènement.
"Durant ces jours, le Báb m'appela à plusieurs reprises auprès de lui. Pour ce faire, il envoyait dans la nuit, le même domestique éthiopien au masjid, le chargeant de me transmettre son plus affectueux message de bienvenue. Chaque fois que je lui rendais visite, je passais la nuit entière auprès de lui. Eveillé jusqu'à l'aube, j'étais assis à ses pieds, fasciné par le charme de sa parole et oublieux du monde, de ses soucis et de ses occupations. Comme ces heures précieuses passaient rapidement! A l'aube, je me retirais à contre-coeur. Avec quelle impatience attendais-je, ces jours-là, la venue du soir! Avec quels sentiments de tristesse et de regret regardais-je le jour pointer! Au cours d'une de ces visites nocturnes, mon hôte s'adressa à moi en ces termes: "Demain, treize de vos compagnons arriveront ici. Faites preuve de la plus extrême bonté envers chacun d'eux. Ne les abandonnez pas à eux-mêmes, car ils ont consacré leur vie à la recherche de leur Bien-Aimé. Priez Dieu de les aider, par sa grâce, à marcher d'un pas sûr dans ce sentier qui est plus fin qu'un cheveu et plus tranchant qu'une épée. Certains d'entre eux seront considérés, aux yeux de Dieu, comme ses disciples élus et favoris. Quant aux autres, ils chemineront sur la voie médiane. Le sort du restant, demeurera indéterminé jusqu'à l'heure où tout ce qui est caché sera rendu manifeste." (3.15)
"Ce matin-là, au lever du soleil, peu après mon retour dé la maison du Báb, Mullá'Alíy-i-Bastámí, accompagné du même nombre de compagnons que m'avait indiqué le Báb, arrivait au Masjid-iIlkhání. Immédiatement, je leur procurai ce dont ils avaient besoin pour leur confort.

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Une nuit, quelques jours après leur arrivée, Mullá 'Alí, en tant que porte-parole de ses compagnons, vint ouvertement exprimer des sentiments qu'il ne pouvait plus contenir. "Vous connaissez bien, dit-il, la Confiance que nous avons en vous. Nous vous sommes si loyaux que si vous vous prétendiez le Qâ'im promis, nous nous soumettrions tous sans hésitation. Obéissant à vos appels, nous avons abandonné nos foyers et nous sommes partis à la recherche de notre Bien-Aimé promis. Vous étiez le premier à nous montrer à tous ce noble exemple. Nous avons marché sur vos traces. Nous sommes décidés à ne pas relâcher nos efforts avant d'avoir trouvé l'objet de notre recherche. Nous vous avons suivi jusqu'ici, prêts à reconnaître celui que vous accepteriez, dans l'espoir de chercher refuge en sa protection et de sortir indemnes du tumulte et de l'agitation qui doivent caractériser la dernière heure. Comment se fait-il que nous vous trouvions à présent en train d'enseigner et de mener les prières et les adorations avec la plus extrême sérénité? Ces signes d'agitation et d'attente semblent avoir disparu de votre visage. Dites-nous, nous vous en supplions, la cause de ce brusque apaisement, afin que nous puissions nous aussi, nous libérer de cet état de perplexité et de doute." "Vos compagnons, observai-je aimablement, peuvent évidemment attribuer mon attitude paisible et sereine à l'ascendance que je semble avoir acquise dans cette ville. La vérité est bien loin de cela. Le monde, je vous l'assure, avec toute sa pompe et toutes ses séductions ne pourra jamais détourner ce Husayn de Bushrúyih du chemin de son Bien-Aimé. Depuis le début même de cette entreprise sacrée dans laquelle je me suis engagé, j'ai juré de sceller de mon sang ma propre destinée. Pour son amour, j'ai accepté avec joie d'être plongé dans un océan de tribulations. Je ne soupire point après les choses de ce monde. Je désire ardemment le bon plaisir de mon Bien-Aimé. Le feu qui brûle en moi ne s'éteindra que lorsque j'aurai versé mon sang pour son nom. Plût à Dieu que vous puissiez vivre pour être témoin de ce jour! Vos compagnons n'auraient-ils pas pu imaginer que, vu l'ardeur de son désir et la persévérance de ses efforts, Dieu, dans son infinie miséricorde, ait daigné ouvrir à Mullá Husayn la porte de sa grâce et que désirant, selon sa sagesse insondable, dissimuler ce fait, lui ait ordonné de s'engager dans de telles activités?" Ces paroles émurent l'âme de Mullá 'Alí. Il en perçut aussitôt la signification. Les yeux, baignés de larmes, il me supplia de lui dévoiler l'identité de celui qui avait transformé mon agitation en paix et mon anxiété en certitude. "Je vous adjure, me dit-il, de m'accorder une partie du contenu de cette coupe sacrée que la Main de miséricorde vous a donnée à boire, car elle étanchera certainement ma soif et calmera la peine que provoque en moi ce désir ardent."

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"Ne me suppliez pas, répondis-je, de vous accorder cette faveur. Que votre Confiance repose en lui, car il guidera sûrement vos pas et apaisera le tourment de votre coeur."
Mullá 'Alí se précipita chez se compagnons et les mit au courant de son entretien avec Mullá Husayn. Embrasés par le feu qu'avait allumé en leurs coeurs le récit de cette conversation, ceux-ci se dispersèrent aussitôt, cherchèrent la solitude de leur chambre et demandèrent, par le jeûne et la prière, la dissipation du voile qui les séparait de la reconnaissance de leur Bien-Aimé. Ils priaient ainsi, au cours de leurs vigiles: "O Dieu, notre Dieu! Nous n'adorons que toi et n'implorons que ton secours. Guide-nous, nous t'en supplions, sur le droit chemin, ô Seigneur notre Dieu! Réalise ce que tu nous as promis par l'intermédiaire de tes Apôtres, et ne nous fais pas honte au jour de la résurrection. En vérité, tu ne manqueras point à ta promesse."
A la troisième nuit de cette retraite, alors qu'il était absorbé dans la prière, Mullá 'Alíy-i-Bastámí eut une vision. Il lui apparut une lumière, qui se déplaçait devant ses yeux. Attiré par sa splendeur, Mullá 'Alí la suivit jusqu'au moment où elle le conduisit à son Bien-Aimé promis. A cette heure même, au milieu de la nuit, il se leva et, exultant et radieux, ouvrit la porte de sa chambre et se précipita chez Mullá Husayn. Il se jeta dans les bras de son compagnon révéré. Mullá Husayn l'embrassa avec affection et lui dit: "Louange à Dieu qui nous a guidés ici! Nous n'aurions pas été guidés si Dieu ne l'avait voulu!"
Le matin même, Mullá Husayn, suivi de Mullá 'Alí, se hâta vers la résidence du Báb. A l'entrée de sa maison, ils rencontrèrent le fidèle domestique éthiopien qui les reconnut aussitôt et les accueillit en ces termes: "Avant le lever du jour, mon maître m'appela et m'ordonna d'ouvrir la porte de la maison et d'attendre sur le seuil. "Deux invités, me dit-il, doivent arriver tôt ce matin. Exprimez-leur en mon nom une chaleureuse bienvenue. Dites-leur de ma part: "Entrez ici au nom de Dieu."
La première rencontre de Mullá 'Alí avec le Báb, qui fut semblable à son entrevue avec Mullá Husayn, ne se distingua de cette dernière que par le fait suivant: alors qu'à la réunion précédente, les preuves et les témoignages de la mission du Báb avaient été exposés et examinés à fond et d'un oeil critique, à cette rencontre-ci on évita toute discussion et seul l'esprit d'adoration intense et d'intime et ardente communion prévalut.

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La chambre tout entière semblait avoir été animée par cette céleste puissance qui émanait de son verbe inspiré. Tout, dans cette pièce, semblait vibrer de ce témoignage: "En vérité, en vérité, l'aube d'un jour nouveau a pointé. Le Promis est intronisé da le coeur des hommes. Il tient dans sa main la coupe mystique, le calice de l'immortalité. Bénis soient ceux qui y boivent!"
Chacun des douze compagnons de Mullá 'Alí, à son tour et par ses propres efforts, sans aide aucune, chercha et trouva son Bien-Aime. Certains dans leur sommeil, d'autres à l'état de veille, un petit nombre en prière et d'autres encore au moment de la contemplation, tous eurent connaissance de la lumière de cette révélation divine et furent amenés à reconnaître la puissance de sa gloire. À la manière de Mullá 'Alí, ceux-ci et quelques autres, en compagnie de Mullá Husayn, rencontrèrent le Báb et furent déclarés "Lettres du Vivant". Dix-sept Lettres furent petit à petit inscrites sur la Tablette préservée de Dieu et furent désignées comme les apôtres choisis du Báb, les ministres de sa foi et les propagateurs de sa lumière.
Une nuit, au cours de sa conversation avec Mullá Husayn, le Báb prononça ces paroles: "Dix-sept Lettres ont été jusqu'ici enrôlées sous la bannière de la foi de Dieu. Il en manque une pour en compléter le nombre. Ces Lettres du Vivant se lèveront pour proclamer ma cause et établir ma foi. Demain, à la nuit tombante, la Lettre restante arrivera et complètera le nombre de mes disciples choisis." Le jour suivant, vers le soir, comme le Báb retournait chez lui, suivi de Mullá Husayn, un jeune homme échevelé, les vêtements tachés par la poussière du voyage, apparut. Il s'approcha de Mullá Husayn, l'embrassa et lui demanda s'il avait atteint son but. Mullá Husayn essaya d'abord de calmer l'agitation du voyageur et lui conseilla de se reposer quelque temps, tout en lui promettant de l'éclairer par la suite. Le jeune homme, cependant, refusa de suivre son conseil. Fixant son regard sur le Báb, il dit à Mullá Husayn: "Pourquoi cherchez-vous à me le cacher? Je puis le reconnaître à son allure. J'affirme avec Confiance que personne à part lui, ni en Orient ni en Occident, ne peut prétendre être la Vérité. Personne d'autre ne peut manifester la puissance et la majesté qui émanent de sa sainte personne." Mullá Husayn s'émerveilla de ces paroles. Il l'implora de l'excuser, cependant il incita son compagnon à cacher ses sentiments jusqu'au moment où il serait capable de le mettre au courant de la vérité.

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L'abandonnant là, il se hâta d'aller rejoindre le Báb et l'informa de la conversation qu'il avait eue avec ce jeune homme. "Ne soyez pas étonné de son étrange comportement, fit remarquer le Báb. Nous avons été en communion avec ce jeune homme dans le monde de l'esprit. Nous le connaissons déjà. Nous attendions en effet sa venue. Allez sur-le-champ l'inviter à me rejoindre." Mullá Husayn, en entendant ces paroles du Báb, se souvint aussitôt de la phrase traditionnelle suivante: "Au dernier jour, les hommes de l'Invisible traverseront, sur les ailes de l'esprit, l'immensité de la terre, parviendront en la présence du Qá'im promis et chercheront auprès de lui le secret qui résoudra leurs problèmes et dissipera leurs perplexités."
Bien qu'éloignés quant aux corps, ces âmes héroïques communient chaque jour avec leur Bien-Aimé, prennent part à la munificence de son verbe et jouissent du suprême privilège de sa compagnie. Si cela n'avait pas été ainsi, comment Shaykh Ahmad et Siyyid Kázim auraient-ils pu connaître le Báb? Comment auraient-ils perçu la portée du secret qui était caché en lui? Comment le Báb lui-même, comment Quddús, son disciple bien-aimé, auraient-ils pu correspondre dans un langage pareil si le lien mystique de l'esprit n'avait relié leurs âmes ensemble? Le Báb ne fit-il pas allusion, aux premiers jours de sa mission, dans les premiers passages du Quayyúmu'l-Asmá', son commentaire sur la súrih de Joseph, à la gloire et à la portée de la révélation de Bahá'u'lláh? N'avait-il pas pour but, en insistant sur l'ingratitude et la malveillance dont Joseph fut l'objet de la part de ses frères, de prédire ce que Bahá'u'lláh était destiné à subir des mains de son frère et de ses parents? Quddús, bien qu'assiégé à l'intérieur du fort de Shaykh Tabarsí par les bataillons et par le feu d'un ennemi impitoyable, n'était-il pas occupé, jour et nuit, à parachever son éloge de Bahá'u'lláh, ce commentaire immortel sur le Sád de Samad, qui comprenait déjà quelque cinq cent mille versets? Chaque verset du Qayyúmu'l-Asmá', chaque mot du commentaire précité de Quddús porteront, à condition d'être examinés avec impartialité, un témoignage éloquent à cette vérité.
L'acceptation par Quddús de la vérité de la révélation du Báb vint compléter le nombre fixé de ses disciples choisis. Quddús, qui s'appelait Muhammad 'Alí, descendait, par sa mère, directement de l'Imám Hasan, le petit-fils du prophète Muhammad (3.16) Il était né à Bárfurúsh dans la province de Mázindarán. Ceux qui assistèrent aux cours de Siyyid Kázim rapportèrent que, durant les dernières années de la vie de celui-ci, Quddús devint l'un de ses disciples.

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Il arrivait toujours le dernier et occupait invariablement le siège le plus bas dans l'assemblée. Il était aussi le premier à quitter la réunion lorsque celle-ci était terminée. Le silence qu'il observait et la modestie de son comportement le distinguaient du reste de ses compagnons. On entendait souvent Siyyid Kázim observer que certains de ses disciples, bien qu'occupant les sièges les plus bas et gardant le silence le plus absolu, avaient néanmoins un rang si élevé aux yeux de Dieu, que même lui se sentait indigne d'être compté parmi leurs serviteurs. Ses disciples, bien qu'observant l'humilité de Quddús et reconnaissant le caractère exemplaire de son comportement, demeuraient ignorants des intentions de Siyyid Kázim. Lorsque Quddús arriva à Shiraz et embrassa la foi déclarée par le Báb, il n'avait que vingt-deux ans.

PHOTO: vues 1 du bain public où se rendait le bab lorsqu'il était enfant

PHOTO: vues 2 du bain public où se rendait le bab lorsqu'il était enfant

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Bien que jeune, il montrait ce courage et cette foi indomptables que personne, parmi les disciples de son maître, ne pourrait surpasser. Il démontra, par sa vie et son glorieux martyre, la vérité de cette tradition: "Quiconque me cherche, me trouvera. Quiconque me trouve sera attiré vers moi. Quiconque s'approche de moi m'aimera. Quiconque m'aime sera aussi aimé de moi. Celui qui est aimé de moi, celui-là je l'immolerai. Celui qui est immolé par moi, je serai moi-même sa rançon."
Le Báb, dont le nom était Siyyid 'Alí-Muhammad, (3.17) naquit dans la ville de Shiraz, le premier jour de muharram de l'an 1235 après l'hégire. (3.18) Il appartenait à une maison renommée pour sa noblesse et dont l'origine remontait à Muhammad lui-même. La date de sa naissance confirma la vérité de la prophétie attribuée par la tradition à l'Imám 'Alí: "J'ai deux ans de moins que mon Seigneur." Vingt-cinq années, quatre mois et quatre jours s'étaient écoulés depuis sa naissance, lorsqu'il déclara sa mission. Dans sa tendre enfance, il perdit son père, Siyyid Muhammad Ridá (3.19), un homme connu à travers la province de Fárs pour sa piété et sa vertu, et qui était très estimé et honoré. Son père et sa mère étaient tous deux descendants du Prophète; tous deux étaient aimés et respectés par le peuple. Il fut élevé par son oncle maternel, Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, l'un des martyrs de la foi, qui le confia, alors qu'il était encore un enfant, aux soins d'un tuteur nommé Shaykh Abid. (3.20) Le Báb, bien que peu enclin aux études, se soumit à la volonté de son oncle et à ses directives.
Shaykh 'Abid, connu par ses élèves sous le nom de Shaykhuná, était un homme de piété et de savoir. Il avait été le disciple de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kázim. "Un jour, racontait-il, je demandai au Báb de réciter les paroles introductives du Qur'án: "Bismi'lláhi'r-Rahmáini'r-Rahím". (3.21) Il hésita, disant qu'il n'essayerait en aucune façon de prononcer ces mots avant d'en connaître la signification. Je prétendis ne pas en connaître le sens. "Je sais ce que ces mots signifient observa mon élève; avec votre permission, je les expliquerai." Il parla avec tant de savoir et une telle facilité que je fus pris de stupeur. Il développa le sens d' "Alláh", de "Rahmán" et de "Rahím" en des termes que je n'avais jamais lus ni entendus. La douceur de ses paroles reste encore vivante en ma mémoire. Je me sentis poussé à le ramener chez son oncle et à remettre aux mains de celui-ci le dépôt qu'il avait confié à mes soins. Je décidai de lui dire combien je me sentais indigne d'être le maître d'un enfant aussi remarquable. Je trouvai son oncle seul dans son bureau.

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PHOTO: les ruines de Qahviyih-Awlíyá fréquentées par le Báb


PHOTO: porte d'entrée des ruines du Qahviyih-Awlíyá

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PHOTO: vue 1 de l'arbre marquant la dernière demeure du fils du Báb à Bábí-dukhtarán, Shiraz

PHOTO: vue 2 de l'arbre marquant la dernière demeure du fils du Báb à Bábí-dukhtarán, Shiraz


PHOTO: tombeau de la femme du Báb à Sháh-chirágh, Shiraz


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vous le ramène, lui dis-je, et le Confie à votre vigilante protection. Il ne doit pas être traité comme un simple enfant car, en lui, je puis déjà discerner les signes de ce mystérieux pouvoir que seule la révélation du Sáhibu'z-Zamán (3.22) peut manifester. Il vous incombe de l'entourer de vos soins les plus tendres. Gardez-le chez vous car il n'a en vérité, nul besoin de maîtres tels que moi." Hájí Mírzá Siyyid 'Alí réprimanda sévèrement le Báb. "Avez-vous oublié mes instructions? lui dit-il. Ne vous ai-je pas déjà averti que vous deviez suivre l'exemple de vos camarades, garder le silence et écouter attentivement chaque parole prononcée par votre maître?" Après avoir obtenu du Báb la promesse d'obéir fidèlement à ses instructions, son oncle lui ordonna de retourner à l'école. L'âme de cet enfant, cependant, ne pouvait être étouffée par les sévères avertissements de son oncle. Aucune discipline ne pouvait arrêter le flot de son savoir intuitif. Jour après jour, il continua à manifester des signes si remarquables et une sagesse tellement surhumaine que je suis impuissant à les décrire." Finalement, son oncle se décida à le retirer de l'école de Shaykh 'Àbid et à faire de lui son associé dans ses propres affaires. (3.23) Là aussi, il manifesta les signes d'un pouvoir et d'une grandeur tels que peu de gens pouvaient les approcher et que personne ne pouvait les égaler.
Quelques années plus tard, (3.24) le Báb était uni par les liens du mariage à la soeur de Mírzá Siyyid Hasan et Mírzá Abu'l-Qásim. (3.25) L'enfant qui naquit de cette union fut appelé Ahmad. (3.26) Il mourut en l'an 1259 après l'hégire, (3.27) année précédant la déclaration de la foi par le Báb. Le père ne pleura pas sa perte. Il consacra sa mort par des paroles telles que celles-ci: "O Dieu, mon Dieu! J'aurais voulu qu'on me donnât un millier d'Ismaël pour que moi, ton Abraham, je puisse te les offrir tous en sacrifice. Ô mon Bien-Aimé, Désir de mon coeur! Le sacrifice de cet Ahmad que ton serviteur 'Alí Muhammad a immolé sur l'autel de ton amour ne pourra jamais suffire à éteindre la flamme de nostalgie qui brûle en son coeur. Le trouble de son âme ne s'apaisera que lorsqu'il aura immolé son propre coeur à tes pieds, que lorsque son corps tout entier sera tombé, victime de la plus cruelle tyrannie, dans ton sentier; que lorsqu'enfin sa poitrine deviendra la cible des innombrables flèches reçues pour ton amour. Ô mon Dieu, mon unique désir! Fais que le sacrifice de mon fils, mon fils unique, te soit acceptable. Permets que ce soit un prélude à mon propre sacrifice, celui de mon être tout entier, dans le sentier de ton bon plaisir. Sanctifie mon sang, que je souhaite ardemment verser en ton sentier.

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Fais qu'il arrose et Alimente la semence de ta foi. Pourvois-le de ta céleste puissance afin que cette graine puisse bientôt germer dans le coeur des hommes, qu'elle puisse prospérer, croître jusqu'à devenir un arbre puissant à l'ombre duquel tous les peuples et toutes les tribus de la terre pourront se rassembler. Réponds à ma prière, ô Dieu, et exauce mon désir le plus cher.

PHOTO: fac-similé de l'écriture de Tahirih

Tu es, en vérité, le Tout-Puissant, le Munificent." (3.28)
Les jours que le Báb consacra à des activités commerciales s 'écoulèrent pour la plupart à Búshihr. (3.29) La chaleur accablante de l'été ne l'empêchait pas de passer chaque vendredi, plusieurs heures de suite en adoration sur le toit de sa maison. Bien qu'exposé aux rayons ardents du soleil, il continuait, le coeur tourné vers son Bien-Aimé, à communier avec lui, insoucieux de l'intensité de la chaleur et oublieux du monde qui l'entourait.

<P73>

A partir de l'aube jusqu'au lever du soleil et de midi jusqu'à une heure avancée de l'après-midi, il consacrait son temps à la méditation et à l'adoration pieuse. Le regard tourné vers le nord, en direction de Tihrán, il saluait, à chaque lever du jour, d'un coeur débordant d'amour et de joie, l'apparition du soleil à l'horizon ce qui, pour lui, présageait celle de cet Astre de Vérité qui devait bientôt se lever sur le monde. Tel un amant qui contemple la face de sa bien-aimée, il regardait avec constance et un ardent désir, l'orbe ascendant. Il semblait s'adresser, dans un langage mystique, à cet astre éclatant et lui Confier son message de tendresse et d'amour pour son Bien-Aimé caché. Il accueillait avec un tel délice ses rayons éclatants que les ignorants et les négligents qui se trouvaient autour de lui le croyaient amoureux du soleil lui-même. (3.30)
J'ai entendu Hájí Siyyid Javád-i-Karbilá'í (3.31) raconter ce qui suit: "Alors que j'étais en route pour l'Inde, je vins à passer par Búshihr. Comme je connaissais déjà Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, je pus rencontrer le Báb à plusieurs reprises. Chaque fois que je le rencontrai, il me paraissait dans un état d'humilité tel que les mots me manquent pour le décrire. Ses yeux baissés, son extrême courtoisie et l'expression sereine de son visage laissèrent en mon âme une impression ineffaçable. (3.32) J'entendis souvent ceux qui étaient ses intimes témoigner de la pureté de son caractère, du charme de ses manières, de son effacement total, de sa grande probité et de son extrême dévotion envers Dieu. (3.33) Un homme lui avait remis un dépôt et lui avait demandé de le vendre à un prix déterminé. Quand le Báb lui envoya l'argent provenant de la vente de cet article, l'homme constata que la somme envoyée dépassait de beaucoup celle qu'il avait fixée. Il écrivit aussitôt au Báb pour lui demander une explication.
Le Báb répondit: "Ce que je vous ai envoyé vous revient de plein droit. Il n'y a pas un seul centime de trop, tout est à vous. Il fut un temps où le dépôt que vous m'aviez confié avait atteint cette valeur. N'ayant pu le vendre à ce prix, je sens qu'il est de mon devoir de vous offrir à présent la totalité de cette somme." Et de fait, malgré les insistances du client du Báb à lui faire reprendre la somme excédentaire, celui-ci refusa.
"Avec quelle assiduité assistait-il à ces réunions où l'on exaltait les vertus du Siyyidu'sh-Shuhadà l'Imám Husayn! Avec quelle attention écoutait-il la lecture du panégyrique! Quelle tendresse et quelle dévotion montrait-il à ces séances de lamentation et de prière! Les larmes coulaient de ses yeux lorsque ses lèvres tremblantes murmuraient les paroles de prière et de louange.

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Comme sa dignité était irrésistible! Comme les sentiments qu'inspirait sa physionomie étaient tendres!"
Quant à ceux dont le privilège suprême fut de voir leur nom inscrit par le Báb dans le Livre de sa révélation, en qualité de Lettres du Vivant, ils avaient pour noms:
Mullá Husayn-i-Bushrú'í,
Muhammad-Hasan, son frère,
Muhammad-Báqir, son neveu,
Mullá 'Alíy-i-Bastámí,
Mullá Khudá-Bakhsh-i-Qúchání, appelé par la suite Mullá 'Alí,
Mullá Hasan-i-Bajistání,
Siyyid Husayn-i-Yazdí,
Mírzá Muhammad Rawdih-Khán-i-Yazdi,
Sa'íd-i-Hindí,
Mullá Mahmùd-i-Khu' í,
Mullá Jalíl-i-Urúmí,
Mullá Ahmad-i-Ibdál-i-Marághi'í,
Mullá Báqir-i-Tabrízí,
Mullá Yúsuf-i-Ardibílí,
Mírzá Hádí, fils de Mullá 'Abdu'l-Vahháb-i-Qazvíní,
Mírzá Muhammad- ' Alíy-i-Qazvíní, (3.34)
Tahirih, (3.35)
Quddús.
Toutes ces personnes, à l'unique exception de Tahirih, parvinrent en la présence du Báb qui, en personne, les éleva à ce rang distingué. Quant à Tahirih, ce fut elle qui, apprenant que le mari de sa soeur, Mírzá Muhammad 'Alí de Qazvín, avait l'intention de partir, chargea ce dernier de remettre une lettre scellée à ce Promis qu'il allait certainement, selon elle, rencontrer au cours de son voyage. Elle ajouta: "Dites-lui de ma part: La splendeur de ta face éclate au loin et le rayonnement de ton visage s'élève." Prononce cette parole: "Ne suis-je pas ton Seigneur" et nous répondrons tous: "Tu l'es, tu l'es." (3.36)
Mírzá Muhammad-'Alí devait effectivement rencontrer le Báb, le reconnaître et lui remettre la lettre ainsi que le message verbal de Tahirih. Le Báb devait aussitôt la déclarer l'une des Lettres du Vivant. Son père, Hájí Mullá Sálih-i-Qazvíní et son frère, Mullá Taqí, étaient tous deux des mujtahids de grande renommée, (3.37) verses dans les traditions de la loi islamique et universellement respectés par les habitants de Tihrán, de Qazvín et d'autres villes importantes de la Perse.

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Elle avait épousé Mullá Muhammad, fils de Mullá Taqí, son oncle, auquel les shi'ahs avaient donné le titre de Sháhid-iThálith (3.37a) Bien que sa famille appartienne au Bálá-Sarí, elle fut seule à manifester, depuis le début même, une sympathie et une dévotion marquées envers Siyyid Kázim. Pour montrer son admiration personnelle envers ce dernier, elle écrivit un traité pour la défense et la justification des enseignements de Shaykh Ahmad, et le lui présenta. Elle reçut peu après une réponse écrite dans les termes les plus affectueux où, dans les passages introductifs, le siyyid s'adressait ainsi à elle: "Ô toi qui es la consolation de mes yeux (Yá Qurrati-'Ayní!) et la joie de mon coeur!" Depuis ce temps-là, elle a été connue sous 1e nom de Qurratu'l-'Ayn. Après la réunion historique de Badasht, un certain nombre de ceux qui y avaient participé furent si stupéfaits de l'intrépidité et du franc-parler de cette héroïne, qu'ils crurent de leur devoir d'informer le Báb sur le caractère de son comportement surprenant et sans précédent. Ils s'acharnèrent à ternir la pureté de son nom. A leurs accusations, le Báb répondit: "Que puis-je dire au sujet de celle que la Langue de pouvoir et de gloire a nommée Tahirih (la Pure)?" Ces paroles devaient suffire à réduire au silence ceux qui s'étaient efforcés de miner sa position. À partir de ce moment, les croyants l'appelèrent Tahirih. (3.38)
Je dois à présent dire un mot sur la signification du terme Bálá Sarí. Shaykh Ahmad et Siyyid Kázim ainsi que leurs disciples, lorsqu'ils visitaient le tombeau de l'Imám Husayn à Karbilá, occupaient toujours, en signe de révérence, l'extrémité inférieure du sépulcre. Ils ne s'avançaient jamais au-delà, tandis que d'autres adorateurs, les bálá-sarí, récitaient leurs prières dans la partie supérieure de ce tombeau. Les shaykhís, croyant avec certitude que "chaque croyant sincère vit aussi bien dans ce monde que dans l'au-delà", considéraient comme indécent et inconvenant de marcher au-delà des limites des sections inférieures du tombeau de l'Imám Husayn, celui-ci étant à leurs yeux l'incarnation même du plus parfait croyant. (3.39)
Mullá Husayn, que le Báb s'était choisi d'avance comme compagnon pendant son pèlerinage à La Mecque et à Médine, fut convoqué par son maître dès que ce dernier prit la décision de quitter Shiraz, et reçut de sa part les instructions suivantes: "Les jours que vous passez en ma compagnie tirent à leur fin. Mon alliance avec vous est à présent accomplie. Armez-vous de persévérance et levez-vous pour propager ma cause. Ne vous découragez pas à la vue de la dégénérescence et de la perversité de cette génération, car le Seigneur de l'alliance vous assistera certainement.

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En vérité, il vous entourera de son affectueuse protection et vous conduira de victoire en victoire. Semblable au nuage qui déverse sur la terre son abondance, traversez la terre d'un bout à l'autre et déversez sur ses habitants les bénédictions que le Tout-Puissant, dans sa miséricorde, a daigné vous conférer. Tolérez avec patience les 'ulamás et résignez-vous à la volonté de Dieu. Lancez le cri de: "Réveillez-vous! Réveillez-vous car, voyez! La Porte de Dieu est ouverte et la lumière matinale répand son éclat sur toute l'humanité! Le Promis s'est manifesté, préparez-lui la voie, ô habitants de la terre! Ne vous privez pas de sa grâce, ne fermez pas non plus les yeux à sa resplendissante gloire." A ceux que vous trouverez réceptifs à votre appel, communiquez les Épîtres et les Tablettes que nous vous avons révélées, peut-être ces paroles merveilleuses les tireront-elles de leur sommeil de négligence et les feront-elles monter vers le royaume de la présence divine.

PHOTO: la porte de Kaziran a la rue du marché de Vakil à Shiraz

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Au cours de ce pèlerinage que nous allons bientôt entreprendre, nous avons choisi Quddús. Nous vous avons laissé derrière nous pour faire face aux assauts d'un ennemi féroce et implacable. Ayez la certitude, cependant, qu'une munificence d'une gloire indicible vous sera conférée. Poursuivez votre voyage vers le nord et visitez, en chemin, Isfáhán, Káshán, Qum et Tihrán. Implorez la toute-puissante Providence de vous aider, par sa grâce, à atteindre, dans cette capitale, le siège de la véritable souveraineté, et à entrer dans la maison du Bien-Aimé. Un secret gît, caché, dans cette ville. Lorsqu'il sera manifesté, il transformera la terre en paradis. Je souhaite que vous puissiez prendre part à sa grâce et reconnaître sa splendeur. De Tihrán, rendez-vous au Khurásán et, là, proclamez à nouveau l'appel. De là, retournez à Najaf et à Karbilá, où vous attendrez les mandements de votre Seigneur. Vous accomplirez entièrement, soyez-en certain, la haute mission pour laquelle vous avez été créé. Avant l'accomplissement de votre tâche, même si toutes les flèches d'un monde incrédule pleuvaient sur vous, elles seraient incapables de faire le moindre mal à un seul cheveu de votre tête. Toutes choses sont prisonnières dans sa puissante étreinte. Il est, en vérité, le Tout-Puissant, le Tout-Conquérant."
Le Báb appela alors auprès de lui Mullá 'Alíy-i-Bastámí et lui adressa des paroles d'affection et d'encouragement. Il lui ordonna de se rendre directement à Najaf et à Karbilá, fit ensuite allusion aux sévères épreuves et afflictions qui l'attendaient, et lui enjoignit de rester ferme jusqu'au bout. "Votre foi, lui dit le Báb, doit être inébranlable tel le roc; elle doit faire face à toute tempête et survivre à toute calamité. Ne vous laissez pas affliger ou dévier de votre but par les dénonciations des insensés et les calomnies du clergé, car vous êtes appelé à prendre part au céleste banquet préparé à votre intention dans le royaume immortel. Vous êtes le premier à quitter la maison de Dieu et à souffrir pour son amour. Si vous êtes tué dans son sentier, souvenez-vous que grande sera votre récompense, généreux le don qui vous sera accordé."
A peine ces paroles furent-elles prononcées que Mullá 'Alí se leva de son siège et partit remplir sa mission. A une distance d'environ un farsang de Shiraz il fut rejoint par un jeune homme qui, débordant d'émotion, demanda avec insistance à lui parler. Il s'appelait 'Abdu'l-Vahháb. "Je vous supplie", dit-il, en pleurant, à Mullá 'Alí, "de me permettre de vous accompagner dans votre voyage.

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Mon coeur est oppressé par la perplexité; je vous prie de guider mes pas dans la voie de la Vérité. La nuit dernière, dans mon rêve, j'ai entendu le crieur annoncer, sur la place du marché à Shiraz, l'apparition de l'Imám 'Alí, le Commandeur des croyants. Il appelait la foule en ces termes: "Levez-vous et cherchez-le. Regardez, il retire hors du brasier ardent les chartes de liberté et les distribue au peuple. Hâtez-vous de le rejoindre, car quiconque les reçoit de ses mains sera exempt des souffrances du châtiment, et quiconque omet de les obtenir de lui sera privé des bénédictions du paradis." Dès que j'entendis la voix du crieur, je me levai et abandonnai mon échoppe, je courus à travers la rue du marché de Vakíl en direction de l'endroit où mes yeux vous contemplèrent debout en train de distribuer ces mêmes chartes au peuple. A tous ceux qui s'approchaient pour les recevoir de vos mains, vous leur murmuriez à l'oreille quelques paroles, ce qui les faisaient aussitôt s'enfuir consternés et s'exclamer: "Malheur à moi, car je suis privé des bénédictions d' 'Alí et de ses parents! Ah! misérable que je suis d'être compté parmi les réprouvés et les déchus!" Je sortis de mon rêve et, plongé dans un océan de pensées, regagnai mon échoppe. Soudain, je vous vis passer en compagnie d'un homme qui portait un turban et qui conversait avec vous. Je sautai de mon siège et, mû par une force que je ne pouvais dominer, courus pour vous rattraper. A mon grand étonnement, je vous trouvai à l'endroit même que j'avais vu dans mon rêve, en train de réciter des traditions et des versets. Me tenant à l'écart, à quelque distance de là, je continuai à vous observer, tout en restant inaperçu de vous et de votre ami. J'entendis l'homme à qui vous vous adressiez protester avec véhémence: "Il m'est plus aisé d'être dévoré par les flammes de l'enfer que de reconnaître la vérité de vos paroles, dont les montagnes ne peuvent supporter le poids!" A ce rejet dédaigneux, vous répondîtes par ces paroles: "Même si l'univers entier rejetait sa vérité, cela ne pourrait jamais ternir la pureté immaculée de sa robe de grandeur." Puis, le laissant là, vous vous dirigeâtes vers la porte de Kázirán. Je continuai à vous suivre jusqu'au moment où je parvins ici."
Mullá 'Alí essaya d'apaiser le coeur troublé du nouveau venu et de le persuader de retourner à son échoppe pour y reprendre son travail quotidien. "Votre association avec moi, fit-il, m'attirerait des ennuis. Retournez à Shiraz et soyez en paix car vous êtes parmi le peuple des sauvés. Il est bien loin de la justice de Dieu de refuser à un si ardent et si dévoué chercheur, la coupe de sa grâce, ou de priver une âme si assoiffée de l'océan de sa révélation." Les paroles de Mullá 'Alí n'eurent aucun effet.

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Plus il insistait pour qu'Abdu'l-Vahháb retournât chez lui, plus celui-ci se lamentait et pleurait. Mullá 'Alí se sentit finalement obligé d'accéder à son désir, se résignant à la volonté divine.
Hájí 'Abdu'l-Majíd, le père d' 'Abdu'l-Vahháb, racontait souvent, les larmes aux yeux, ce qui suit: "Comme je regrette profondément l'acte que j'ai commis! Priez Dieu qu'il m'accorde la rémission de mon péché. J'étais parmi les favoris à la cour des fils du farmán-farmá, le gouverneur de la province de Fárs. Ma position était telle que nul n'osait s'opposer à moi ni me nuire. Personne ne mettait en doute mon autorité et ne se hasardait à entraver ma liberté. Dès que j'appris que mon fils 'Abdu'l-Vahháb avait abandonné son échoppe et quitté la ville, je partis en hâte vers la porte de Kázirán afin de le rejoindre. Armé d'un gourdin avec lequel j'avais l'intention de le frapper, je me renseignai sur la route qu'il avait prise.
On me dit qu'un homme portant un turban venait de traverser la rue et que mon fils le suivait. Ils semblaient s'être mis d'accord pour quitter ensemble la ville. Ces dires attisèrent ma colère et mon indignation. Comment pouvais-je tolérer, me disais-je, moi qui occupe déjà une position si privilégiée à la cour des fils du farmán-farmá, une conduite si indécente de la part de mon fils? Rien, à part le plus sévère des châtiments, croyais-je, ne pourrait effacer l'effet de sa conduite scandaleuse.
"Je poursuivis ma recherche jusqu'au moment où je les atteignis. Pris d'une fureur sauvage, j'infligeai à Mullá 'Alí des maux indescriptibles! Aux coups qui le frappaient lourdement, il répondit, avec une extraordinaire sérénité, par ces paroles: "Retenez votre main, ô 'Abdu'l-Majid car l'oeil de Dieu vous observe. Je le prends à témoin que je ne suis nullement responsable de la conduite de votre fils. Les tortures que vous me faites endurer m'importent peu, car je m'attends aux pires afflictions sur le sentier que j'ai choisi de suivre. Vos injures, comparées à ce qui m'est destiné dans l'avenir, ne sont que gouttes comparées à l'océan. En vérité, je vous le dis: vous me survivrez et vous reconnaîtrez mon innocence. Grands seront alors vos remords, et profond votre chagrin." Dédaignant ses remarques et négligeant son appel, je continuai à le frapper jusqu'à épuisement complet. Silencieux et héroïque il endura, de mes mains, ce châtiment hautement immérité. À la fin, j'ordonnai à mon fils de me suivre et laissai Mullá 'Alí à lui-même.
"Sur notre chemin de retour à Shiraz, mon fils me raconta le rêve qu'il avait eu.

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Un sentiment de profond regret s'empara peu à peu de moi. L'innocence de Mullá 'Alí était justifiée à mes yeux, et le souvenir de ma cruauté envers lui continua pendant longtemps à oppresser mon âme. L'amertume persista dans mon coeur jusqu'au jour où je me sentis contraint à transférer ma résidence de Shiraz à Baghdád. De là, je partis pour Kázimayn où 'Abdu'l-Vahháb avait établi son commerce. Un étrange mystère se lisait sur le jeune visage de mon fils. Il semblait me cacher un secret qui paraissait avoir transformé sa vie. Et lorsqu'en 1267 après 1'hégire, (3.40) Bahá'u'lláh vint en Iraq et visita Kázimayn, 'Abdu'l-Vahháb fut aussitôt comme ensorcelé par le charme de ce dernier et lui promit sa dévotion éternelle. Quelques années plus tard, quand mon fils endura le martyre à Tihrán et que Bahá'u'lláh fut exilé à Baghdád je fus tiré de mon sommeil de négligence par sa tendre bonté et sa miséricorde infinies et j'appris, grâce à lui, le message du jour nouveau. Ainsi, les taches de mon acte cruel étaient effacées par les eaux du pardon divin."
Cet épisode marquait la première affliction qui frappa un disciple du Báb après la déclaration de sa mission. Mullá 'Alí Réalisa ainsi combien épineux et escarpé était le sentier qui menait à l'accomplissement ultime de la promesse que lui avait faite son maître. Entièrement résigné à sa volonté et préparé à verser son sang pour sa cause, il reprit son voyage jusqu'à son arrivée à Najaf. En présence de Shaykh Muhammad Hasan, l'un des membres éminents du clergé de l'islám shí'ah, et devant une assemblée distinguée de ses disciples, Mullá 'Alí annonça avec intrépidité la manifestation du Báb, la Porte dont ils attendaient impatiemment la venue. "Sa preuve, déclara-t-il, est sa parole; son témoignage n'est autre que celui à l'aide duquel l'islám cherche à justifier sa vérité. De la plume de ce jeune Háshimi de Perse, qui n'a point fréquenté l'école, a jailli, en l'espace de quarante-huit heures, un nombre de versets, de prières, d'homélies et de traités scientifiques dont le volume total équivaudrait à celui de tout le Qur'án, que Muhammad, le prophète de Dieu, mit vingt-trois ans à révéler!" Ce chef, fier et fanatique, au lieu d'accueillir favorablement, en une époque où dominaient l'obscurité et le préjugé, ces preuves vivifiantes d'une révélation nouvelle, déclara aussitôt Mullá 'Alí hérétique et l'expulsa de l'assemblée. Ses disciples et ses compagnons, même les shaykhis, qui avaient déjà témoigné de la piété, de la sincérité et du savoir de Mullá 'Alí, approuvèrent, sans la moindre hésitation, le jugement rendu contre lui. Prêtant main forte à leurs adversaires, les disciples de Shaykh Muhammad-Hasan accablèrent Mullá 'Alí d'indignités indicibles.

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Ils le livrèrent finalement, les mains liées par des chaînes, à un fonctionnaire du gouvernement ottoman, le traitant d'hérétique, de calomniateur du Prophète, d'instigateur de désordre, de honte pour la foi, et d'homme digne de la peine de mort. On l'emmena à Baghdád sous l'escorte de fonctionnaires, et le gouverneur de cette ville le fit jeter en prison.
Hájí Háshim, surnommé 'Attár, un marchand notoire qui était versé dans les Ecritures islamiques, racontait ce qui suit: "J'étais chez le gouverneur lorsqu'on amena Mullá 'Alí devant les notables assemblés et les fonctionnaires de cette ville. Il fut publiquement accusé d'être un infidèle, un abrogateur des lois islamiques, d'avoir renié les rites et les normes admises de la foi. Après l'énumération des violations et des méfaits reprochés à Mullá 'Alí, le muftí, principal interprète de la loi islamique dans cette ville, se tourna vers l'accusé et l'interpella en ces termes: "O ennemi de Dieu!" Comme j'occupais un siège adjacent à celui du muftí, je lui murmurai à l'oreille: "Vous ne connaissez pas encore ce malheureux étranger, pourquoi lui adressez-vous de telles paroles? Ne Réalisez-vous pas qu'elles vont susciter la colère de la populace contre lui? Il vous incombe de ne pas considérer les accusations sans fondements que ces officieux ont portées contre lui, de l'interroger vous-même et de le juger suivant les normes de justice admises inculquées par la foi islamique." Le muftí fut profondément vexé, se leva de son siège et quitta la réunion. Mullá 'Alí fut de nouveau jeté en prison. Quelques jours plus tard, je m'enquis de son sort, espérant parvenir à le délivrer. L'on m'informa que, durant la nuit de ce même jour, il avait été exilé à Constantinople. Je fis des recherches plus poussées et m'efforçai de découvrir ce qui lui était advenu. Je ne pus cependant établir la vérité. Quelques-uns croyaient qu'il était tombé malade sur le chemin de Constantinople et qu'il avait succombé à sa maladie. D'autres affirmaient qu'il avait enduré le martyre." (3.41) Quelle qu'ait pu être sa fin, Mullá 'Alí, par sa vie et sa mort, avait mérité l'immortel privilège d'avoir été le premier à souffrir sur le sentier de cette nouvelle foi de Dieu, le premier à avoir offert sa vie sur l'autel du sacrifice.
Après avoir envoyé Mullá 'Alí vers sa mission, le Báb appela auprès de lui les autres Lettres du Vivant et, à chacune d'elles séparément, il donna un ordre spécial et assigna une tâche spécifique. Il leur adressa ces paroles d'adieu: "O mes amis bien-aimés! Vous êtes en ce jour les porteurs du nom de Dieu. Vous avez été choisis comme dépositaires de son mystère. Il appartient à chacun d'entre vous de manifester les attributs de Dieu et de démontrer, par vos actes et par vos paroles, les signes de sa justice, de sa puissance et de sa gloire.

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Les membres de votre corps doivent témoigner de la noblesse de vos intentions, de l'intégrité de votre vie, de la réalité de votre foi et du caractère exalté de votre dévotion. Car, en vérité je le dis, voici le jour dont parle Dieu dans son Livre, (3.42) "En ce jour Nous mettrons un sceau sur leurs lèvres, mais leurs mains Nous parleront et leurs pieds porteront témoignage de ce qu'ils auront fait." Méditez les paroles que Jésus adressa à ses disciples en les envoyant de par le monde propager la cause de Dieu. C'est avec de telles paroles qu'il leur enjoignit de se lever et de remplir leur mission: "Vous êtes comme le feu allumé dans les ténèbres de la nuit au sommet de la montagne. Que votre lumière resplendisse aux yeux des hommes! La pureté de votre vie et le degré de votre renoncement doivent être tels qu'en vous voyant, les peuples de la terre reconnaissent leur Père céleste et se rapprochent de Lui, qui est la source de pureté et de grâce. Car nul n'a vu le Père qui est aux cieux. Vous, qui êtes ses enfants spirituels, vous devez, par vos actes, donner l'exemple de ses vertus et témoigner de sa gloire. Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel a perdu sa saveur avec quoi la lui rendra-t-on? Tel doit être le degré de votre détachement, qu'en entrant dans une ville pour y proclamer et y enseigner la cause de Dieu, vous ne devriez en aucune façon vous attendre à recevoir de la nourriture ou des récompenses de ses habitants. Au contraire, en sortant de cette ville, vous devriez secouer la poussière de vos pieds. Comme vous y êtes entrés purs et sans taches, ainsi devez-vous en sortir car je le dis, en vérité, le Père céleste est toujours avec vous et veille sur vous. Si vous Lui êtes fidèles, Il livrera sûrement entre vos mains tous les trésors de la terre et vous élèvera au-dessus de tous les rois et de tous les maîtres du monde." Ô mes Lettres! Je vous le dis en vérité, ce jour est infiniment exalté au-dessus des jours des Apôtres du passé. La différence en est incommensurable! Vous êtes les témoins de l'aurore du jour promis par Dieu. Vous buvez au calice mystique de sa révélation. Ceignez-vous les reins et soyez attentifs aux paroles que Dieu a révélées dans son Livre (3.43): "Voici que, le Seigneur ton Dieu est venu en compagnie de ses anges alignés devant Lui !" Purifiez vos coeurs des désirs terrestres, et parez vous des vertus angéliques. Efforcez-vous, par vos actes de porter témoignage, de la vérité de ces paroles de Dieu, et craignez, en "vous dérobant", qu'Il ne "mette à votre place un autre peuple" qui "ne vous ressemblera pas" et qui vous enlèvera le royaume de Dieu. Les jours où l'adoration passive était jugée suffisante ont pris fin.

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L'heure est venue où seuls, les motifs les plus nobles, appuyés par des actes d'une pureté immaculée, peuvent s'élever jusqu'au trône du Très-Haut et trouver grâce auprès de Lui. "La bonne parole s'élève jusqu'à Lui, et l'acte droit fera qu'elle soit exaltée devant Lui." Vous êtes les humbles dont Dieu, dans son Livre (3.44), a parlé en ces termes: "Et Nous désirons accorder nos faveurs aux humbles de la terre, et en faire des guides spirituels parmi les hommes, et ils seront nos héritiers." Vous avez été appelés à ce rang; vous n'y parviendrez qu'en foulant aux pieds chaque désir terrestre et en vous efforçant de devenir ces "dignes serviteurs de Dieu qui se taisent tant qu'Il n'a point parlé et qui exécutent ses commandements." Vous êtes les premières Lettres engendrées par le Premier Point, (3.45) les premières fontaines qui ont jailli de la source de cette révélation. Suppliez le Seigneur votre Dieu de vous accorder sa faveur afin qu'aucune affection humaine, aucun projet éphémère, ne ternisse la pureté ou ne change en amertume la douceur de cette grâce dont vous êtes pénétrés. Je vous prépare pour la venue d'un grand jour. Déployez tous vos efforts afin que, dans le monde à venir, moi qui vous instruis aujourd'hui, je puisse, devant le trône de divine miséricorde, me réjouir de vos actes et me glorifier de vos exploits. Nul ne connaît encore le secret du jour qui doit venir. Il ne peut être divulgué et nul ne peut s'en faire une idée. L'enfant nouveau-né de ce jour-là, sera plus avancé que les hommes les plus sages et les plus vénérables -de notre temps. Le plus humble, le plus ignorant de cette époque-là surpassera en connaissance les théologiens les plus érudits et les plus accomplis de nos jours. Dispersez-vous en tous sens à travers ce pays et, d'un pied ferme, d'un coeur sanctifié, préparez la voie pour sa venue. Ne considérez pas votre faiblesse et votre fragilité! Fixez votre regard sur le pouvoir invincible du Seigneur votre Dieu tout puissant! N'est-ce pas grâce à Lui que, jadis, Abraham si faible en apparence, a triomphé des forces de Nemrod? A Moïse qui n'avait d'autre arme que son bâton, Dieu n'a-t-il pas assuré la victoire sur Pharaon et ses armées? Et bien que Jésus fût humble et pauvre aux yeux des hommes, Dieu n'a-t-il pas voulu qu'il triomphât des forces conjurées du peuple juif? N'a-t-il pas assujetti les tribus barbares et turbulentes de l'Arabie à la discipline sainte et transformatrice de Muhammad, son prophète? Levez-vous en son nom, mettez toute votre Confiance en Lui et soyez assurés de l'ultime victoire." (3.46)
Par de telles paroles, le Báb revivifia la foi de ses disciples et les envoya vers leur mission.

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PHOTO: le Madrisih de Ním-ávard à Isfáhán

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A chacun d'eux il fixa comme champ d'action sa propre province natale. Il leur enjoignit à tous de s'abstenir de toute référence spécifique à son nom et à sa personne. (3.47) Il leur ordonna d'annoncer que la porte vers le Promis avait été ouverte, que sa preuve est irréfutable et que son témoignage est complet. Il les pria de déclarer que quiconque croit en lui, a cru en tous les prophètes de Dieu, et que quiconque le renie, a renié aussi tous ses saints et ses élus. Avec ces instructions, le Báb congédia ses disciples et les confia à Dieu. De ces Lettres du Vivant, à qui il s'était ainsi adressé, il resta avec lui à Shiraz, Mullá Husayn la première de ces Lettres, et Quddús, la dernière. Les autres, au nombre de quatorze, partirent à l'aube de Shiraz, tous résolus à exécuter dans sa plénitude la tâche que leur maître leur avait confiée.
Comme l'heure du départ de Mullá Husayn approchait, le Báb lui adressa ces paroles: "Ne soyez pas affligé parce que vous n'avez pas été choisi pour m'accompagner dans mon pèlerinage à Hijáz. Je guiderai en revanche vos pas vers la ville qui renferme en son sein un mystère d'une si transcendante sainteté que ni Hijáz, ni Shiraz ne peuvent espérer l'égaler. Je souhaite que vous puissiez, avec l'aide de Dieu, écarter les voiles des yeux des négligents et purifier les esprits des malveillants. Visitez, sur votre chemin, Isfáhán Káshán Tihrán, et le Khurásán. Allez ensuite en 'Iraq et, là, attendez-y les ordres de votre Seigneur, qui veillera sur vous et vous guidera vers ce qui est sa volonté et son désir. Quant à moi, j'irai, en compagnie de Quddús et de mon serviteur éthiopien, en pèlerinage à Hijáz. Je me joindrai au groupe de pèlerins de Fárs qui partira sous peu vers ce pays. Je- visiterai La Mecque et Médine et là, accomplirai la mission que Dieu m'a confiée. Si Dieu le veut, je reviendrai ici en passant par Kúfih, ville dans laquelle j'espère vous rencontrer. S'il devait en être autrement, je vous demanderais alors de me rejoindre à Shiraz. Les armées du royaume invisible vous soutiendront et redoubleront vos efforts, soyez-en sûr! L'essence du pouvoir gît à présent en vous, et la compagnie de ses anges élus gravite autour de vous. Ses bras tout-puissants vous entoureront et son esprit infaillible continuera toujours à guider vos pas. Celui qui vous aime, aime Dieu; et quiconque s'oppose à vous s'est opposé à Dieu. Quiconque vous secourt, Dieu le secourra et quiconque vous rejette, Dieu le rejettera."

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NOTE DU CHAPITRE 3:

(3.1) "Mullá Husayn-i-Bushrú'i était un homme auquel ses adversaires reconnaissaient eux-mêmes un grand savoir et une extrême énergie de caractère. Il s'était livré à l'étude dès son enfance, et avait fait dans la théologie et la jurisprudence des progrès qui lui avaient acquis de la considération." ("Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", du Comte de Gobineau, p. 128.)

(3.2) Le 22 janvier 1844 ap. J-C.

(3.3) Qur'án, 29: 69.

(3.4) Qur'án, 15: 46.

(3.5) Samovar

(3.6) Correspondant au soir du 22 mai 1844 ap. J-C. Le 23 mai tombait un jeudi.

(3.7) Mullá Husayn aurait, dit-on, prononcé les paroles suivantes: "Un jour, lorsque j'étais seul avec feu Siyyid Kázim dans sa Bibliothèque, je lui demandai la raison pour laquelle la Súriy-i-Yúsuf était intitulée, dans le Qur'án, "la Meilleure des histoires" à quoi le siyyid répondit que le moment n'était pas opportun d'en expliquer la raison. Cet incident resta caché dans mon esprit, je ne l'ai mentionné à personne." ("Táríkh-i-Jadíd", p. 39.)

(3.8) La date de la Manifestation est fixée par le passage suivant du Bayán persan tiré du váhid 2, Bab 7: "Cet événement commença deux heures et onze minutes après le coucher du soleil du jour précédant le 5 jamadiyu'l-ula, en 1260 après l'hégire, qui correspond à l'an 1270 de la mission de Muhammad." (Extrait de la copie du Bayán écrite de la main de Siyyid Husayn, secrétaire et compagnon du Bab.)

(3.9) A.L.M. Nicolas cite le passage suivant tiré du Kitábu'l-Haramayn: "En vérité, le premier jour où l'Esprit descendit dans le coeur de cet Esclave était le 15 du mois de Rabi'u'l-Avval." ("Siyyid 'Alí Muhammad, dit le Bab" de A.L.M. Nicolas, p. 206.)

(3.10) Citations du Qur'án.

(3.11) Commentaire du Bab sur la súrih de Joseph.

(3.12) "Dans le premier de ces livres, il était surtout pieux et mystique; dans le second, la polémique et la dialectique tenaient une grande place, et les auditeurs remarquaient avec étonnement qu'il découvrait, dans le chapitre du Livre de Dieu qu'il avait choisi, des sens nouveaux dont personne ne s'était avisé jusqu'alors, et qu'il en tirait surtout des doctrines et des renseignements complètement inattendus. Ce qu'on ne se lassait pas d'admirer, c'était l'élégance et la beauté du style arabe employé dans ces compositions. Elles eurent bientôt des admirateurs exaltés qui ne craignirent pas de les préférer aux plus beaux passages du Qur'án." ("Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale," du Comte de Gobineau, p. 120.)

(3.13) Qur'án 37:180.

(3.14) "On raconte dans le "Biháru'l-Anvâr", 1' 'Aválim" et le "Yanbú" de Sádiq, fils de Muhammad, que ce dernier prononça ces paroles: "Le savoir est composé de vingt-sept lettres. L'ensemble des connaissances qu'ont apportées les prophètes n'en constitue que deux. Personne, jusqu'ici n'a connu quelque chose d'autre que ces deux lettres. Mais lorsque le Qá'ím viendra, Il manifestera les vingt-cinq lettres restantes." Regarde: il a déclaré que le savoir consistait en vingt-sept lettres, et a considéré que tous les prophètes, depuis Adam jusqu'au "Sceau", n'en ont développé que deux et n'ont été envoyés sur terre que pour révéler ces deux lettres. Il dit aussi que le Qá'ím révélera toutes les autres, au nombre de vingt-cinq. Tu peux alors, d'après ces paroles, t'imaginer la grandeur et la sublimité de sa station. Son rang dépasse celui de tous les prophètes, et sa révélation transcende la compréhension de tous ses élus." (Le "Kitáb-i-Iqán", p. 205)

(3.15) "Vois de la même façon le début de la manifestation du Bayán: durant quarante jours, personne autre que la lettre Sm ne crut au B. Ce ne fut que peu à peu que les formes des lettres du Bismi'lláhu'l-Amna'u'l-Aqdas revêtirent la robe de la foi, jusqu'à ce que l'Unité primitive fût complète. Vois ensuite combien elle s'est multipliée jusqu'à aujourd'hui." (le 'Bayán persan", vol. IV., p. 119.)

(3.16) Le père de Quddús mourut, suivant le "Kashfu'l-Ghitá'," plusieurs années avant la manifestation du Bab. Au moment du décès de son père, Quddús était encore enfant et étudiait à Mashhad à l'école de Mírzá Ja'far. (p. 227, note 1.)

(3.17) Il est connu également sous les appellations suivantes:

Siyyid-i-Dhikr ; Tal'at-i-A'lá ; Siyyid-i-Bab
Abdu'dh-Dhikr ; Hadrat-i-A'lá
Babu'lláh ; Rabb-i-A'lá
Nuqtiy-i-Ùlá ; Nuqtiy-i-Bayán

(3.18) 20 octobre 1819 ap. J.-C.

(3.19) Suivant Mírzá Abu'l-Fadl (manuscrit sur l'histoire de la cause, p. 3), le Bab était encore un tout jeune enfant et n'avait pas encore été sevré lorsque son père mourut.

(3.20) D'après Mírzá Abu'l-Fadl (manuscrit, p. 41) le Bab avait six ou sept ans lorsqu'il entra à l'école de Shaykh 'Ábid. On connaissait cette école sous le nom de "Qahviyih-Awlíyá". Le Bab fréquenta cette école durant cinq ans et y apprit les rudiments du persan. Le 1er jour du mois de rabi'u'l-avval de l'an 1257 A.H., il partit pour Najaf et Karbilá, retourna, sept mois après, dans sa province natale de Fárs.

(3.21) Au nom de Dieu, le Compatissant, le Miséricordieux.

(3.22) "Le Seigneur de l'Âge" l'un des titres du Qá'im promis.

(3.23) D'après le récit de Hájí Mu'inu's-Saltanih (p. 37.), le Bab assuma à l'âge de vingt ans, la direction indépendante de ses affaires. "Devenu orphelin de bonne heure, il fut placé sous la tutelle de son oncle maternel, Áqá Siyyid 'Ali, et s'occupa, sous sa direction, du même commerce que son père (c'est-à-dire de mercerie)." ("Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab" de A.L.M. Nicolas, p. 189)

(3.24) D'après le récit de Hájí Mu'inu's-Saltanih (p. 37), le mariage du Bab eut lieu alors que celui-ci avait vingt-deux ans.

(3.25) Le Bab fait allusion à elle dans son commentaire sur la súrih de Joseph (súrih de Qarábat). Voici la traduction de ce passage, faite par A.L.M. Nicolas: "En vérité! Je me suis fiancé sur le trône de Dieu avec Sárá, c'est-à-dire avec la bien-aimée. Car bien-aimée vient de Bien-Aimé. (Le Bien-Aimé est Muhammad. Cela veut dire que Sárá était une Siyyid.) En vérité, j'ai fixé les anges des cieux et les habitants du Paradis, témoins de ces fiançailles. Sache que la bienveillance du Dhikr Sublime est grande, oh Bien-Aimée! Car c'est une bienveillance qui vient de Dieu! l'Aimé! Tu n'es pas, toi, comme une femme ordinaire, si tu obéis à Dieu, au sujet du Dhikr Sublime! Connais l'immense vérité du Verbe Sublime et glorifie-toi de t'asseoir avec l'ami qui est le Chéri de Dieu très haut! Certes, la gloire te vient à toi de la part de Dieu, le Sage. Patiente dans l'ordre qui vient de Dieu sur le Bab et sa famille. Et, en vérité, ton fils Ahmad a un asile dans le Paradis béni, auprès de la grande FátiMáh." ("Préface de "Le Bayán Persan" de A.L.M. Nicolas, vol. Il, pp. 10-11.) "La veuve du Bab vécut jusqu'en l'an 1300 après l'hégire (1882-83)." Journal of the Royal Asiatic Society, 1889, article 12, p. 993.) Tous deux étaient fils de Mírzá Ah, l'oncle paternel de la mère du Bab. Mírzá Muhin et Mírzá Hadí, respectivement fils et petit-fils de Mírzá Siyyid Hasan et Mírzá Abu'l-Qisim, devinrent les gendres d' 'Abdu'l-Bahi,

(3.26) Le Bab fait allusion à son fils dans son commentaire sur la súrih de Joseph. En voici la traduction par A.L.M. Nicolas: "En vérité, ton fils Ahmad a un asile dans le Paradis béni, auprès de la grande FátiMáh" (Súrih de Qarábat). "Gloire à Dieu qui, en vérité, a donné à la Fraîcheur des Yeux dans sa jeunesse un enfant nommé Ahmad. Et on vérité, cet enfant, nous l'avons élevé vers Dieu!" (Súrih de 'Abd) (Préface de "Le Bayán Persan" de A.L.M. Nicolas, vol. II, p. 11.)

(3.27) 1843 ap. J.-C.

(3.28) 'Il quitta Shíráz pour Búshihr à l'âge de 17 ans, et resta dans cette dernière ville pendant cinq ans, occupant son temps à des activités commerciales. Durant cette période, il parvint à se gagner l'estime de tous les marchands avec lesquels il avait des relations, et ce grâce à son intégrité et à sa piété. Il pratiquait rigoureusement ses devoirs religieux et dépensait de fortes sommes dans le chemin de la charité. A une certaine occasion, il donna 70 túmáns (environ 22 Livres sterling) à un voisin nécessiteux." (Appendice 2 du Táríkh-i-Jadid: Histoire de Hájí Mírzá Jání, pp. 343-4.)

(3.29) "Il était déjà méditatif et plutôt silencieux cependant que sa jolie figure, l'éclat de son regard on même temps que son maintien modeste et recueilli attiraient dès cette époque l'attention de ses concitoyens. Très jeune, les questions religieuses l'attiraient invinciblement, car c'est à l'âge de 19 ans qu'il écrivit son premier ouvrage, le "Risáliy-i-Fiqhíyyih" dans lequel il montre une vraie piété et une effusion islamique qui semblaient lui présager un brillant avenir dans les liens de l'orthodoxie Shi'ite. Il est probable que cet ouvrage fut écrit à Búshihr, car c'est lorsqu'il avait 18 ou 19 ans qu'il y fut envoyé, par son oncle, pour les besoins de son commerce." (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 189-90.)

(3.30) "En société, il s'entretenait plus volontiers avec les savants ou écoutait les récits des voyageurs qui affluaient dans cette ville commerçante; aussi se plaisait-on à le ranger au nombre des sectateurs du Táriqat, fort respectés dans le peuple." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 335.)

(3.31) "Le Kashfu'l-Ghitá" donne les détails suivants concernant cette personne remarquable:

"Hájí Siyyid Javád lui-même me dit qu'il résidait à Karbilá, que ses cousins étaient très connus parmi les 'ulamás et les docteurs de la loi de cette ville, et appartenaient à la secte ithná-'ashari de l'islám shi'ah. Dans sa jeunesse, il rencontra Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í, mais ne fut jamais considéré comme son élève. Il était cependant un disciple déclaré et un admirateur de Siyyid Kázim, et on le rangeait au nombre de ses adeptes les plus éminents. Il rencontra le Bab à Shíráz bien avant la manifestation de celui-ci. Il le vit à maintes reprises, alors qu'il n'avait que 8 ou 9 ans, chez son oncle maternel. Il le rencontra par la suite à Búshihr et resta environ six mois dans le même Khán où résidaient le Bab et son oncle maternel. Mullá 'Alíy-i-Bastámí, l'une des Lettres du Vivant, le mit au courant du message du Bab, alors qu'il se trouvait à Karbilá; de cette ville, il se rendit à Shíráz pour s'informer lui-même, de manière plus complète sur la nature de sa révélation." (pp. 55-7).

(3.32) Le Bab avait un visage doux et bienveillant, ses manières étaient calmes et dignes, son éloquence était persuasive, et il écrivait bien et rapidement. ("Glimpses of Life and Manners in Persia," de Lady Sheil, p. 178.)

(3.33) "Renfermé en lui-même, toujours occupé de pratiques pieuses, d'une simplicité de moeurs extrême, d'une douceur attrayante, et relevant ces dons par son extrême jeunesse et le charme merveilleux de sa figure, il attira autour de lui un certain nombre de personnes édifiées. Alors on commença à s'entretenir de sa science et de l'éloquence pénétrante de ses discours. Il ne pouvait ouvrir la bouche, assurent les hommes qui l'ont connu, qu'il ne remuât le fond du coeur. S'exprimant, du reste, avec une vénération profonde sur le compte du Prophète, des Imáms et de leurs saints compagnons, il charmait les orthodoxes sévères, en même temps que, dans des entretiens plus intimes, les esprits ardents et inquiets se réjouissaient de ne pas trouver en lui cette raideur dans la profession des opinions consacrées qui leur eût pesé. Au contraire, sa conversation leur ouvrait tous ces horizons infinis, variés, bigarrés, mystérieux, ombragés et semés ça et là d'une lumière aveuglante, qui transportent d'aise les imaginations de ce pays-là." (Comte de Gobineau, "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 118.)

(3.34) D'après Samandar, qui fut l'un des premiers croyants de Qazvín (manuscrit, p. 15), la soeur de Táhirih, Mardíyyih, était l'épouse de Mírzá Muhammad-'Ali, qui fut l'une des Lettres du Vivant et qui tomba martyre à Shaykh Tabarsí. Mardíyyih semble avoir reconnu et embrassé le message du Bab (p.5). Mírzá Muhammad-'Ali était le fils de Hájí Mullá 'Abdu'l-Vahháb, à qui le Bab adressa une Tablette alors qu'il se trouvait aux environs de Qazvín.

(3.35) Suivant "Memorials of the Faithful" (pp. 291-8), Táhirih avait deux fils et une fille, dont aucun ne reconnut la vérité de la cause. Son savoir et ses talents étaient tels que son père , Hájí Mullá Sálih, exprimait souvent son regret en ces termes: "Si seulement elle avait été un garçon, elle aurait répandu son éclat sur ma maison et m'aurait succédé! " Elle se mit au courant des écrits de Shaykh Ahmad lors de son séjour chez son cousin, Mullá Javid, à la Bibliothèque duquel elle emprunta ces livres et les emmena chez elle. Son père condamna violemment son acte et, lors de ses discussions passionnées avec elle, dénonça et critiqua les enseignements de Shaykh Ahmad. Táhirih refusa de suivre les conseils de son père et entra secrètement en correspondance avec Siyyid Kázim, qui lui donna le nom de "Qurratu'l-'Ayn." Le titre de "Táhirih" fut pour la première fois associé à son nom lors de son séjour à Badasht, et reçut par la suite l'approbation du Bab. De Qazvín, elle se rendit à Karbilá dans l'espoir d'y rencontrer Siyyid Kázim, mais arriva trop tard, le siyyid ayant quitté ce monde dix jours avant son arrivée. Elle se joignit aux compagnons du chef défunt et passa son temps en prière et en méditation, attendant avec impatience l'apparition de celui dont Siyyid Kázim avait prédit l'avènement. Lors de son séjour dans cette ville, elle eut un rêve. Un jeune homme, un siyyid, portant un manteau noir et un turban vert, lui apparut dans les cieux; les mains tendues vers le ciel, il récitait certains versets, et elle nota l'un d'eux dans son livre. Elle s'éveilla de son rêve très impressionnée par cette étrange aventure. Lorsque, plus tard, une copie de l' "Ahsanu'l-Qisas", le commentaire du Bab sur la súrih de Joseph, lui parvint, elle y découvrit pour sa plus grande joie, le même verset qu'elle avait entendu dans son rêve. Cette découverte l'assura de la véracité du Message qu'avait proclamé l'auteur de cet ouvrage. Elle entreprit elle-même la traduction de 1" 'Ahsanu' l-Qisas" en persan et fit de nombreux efforts pour sa diffusion et sa compréhension. Durant trois mois, sa maison de Karbilá fut assiégée par les gardes que le gouverneur avait désignés pour la surveiller et l'empêcher de fréquenter les habitants de la ville. De Karbilá, elle se rendit à Baghdad et vécut quelque temps chez Shaykh Muhammadi-Shibl; de là, elle transféra sa résidence vers un autre quartier et s'installa finalement chez le mufti, où elle resta environ trois mois.

(3.36) Selon le "Kashfu'l-Ghiti" (p. 93), c'est Mulla, 'Aliy-i-Bastimi qui mit Táhirih au courant du message du Bab lorsqu'il visita Karbilá en l'an 1260 après l'hégire, après son retour de Shíráz.

(3.37) L'une des plus grandes familles de Qazvín, je veux dire des plus grandes tant par les hautes positions que ses divers membres occupaient dans la hiérarchie ecclésiastique que par la réputation de science qui les environnait, était, sans contredit, la famille de Hájí Mullá Sálih-i-Baraqáni. Il avait un frère, Mullá Muhammad-Taqíy-i-Baraqáni qui reçut, après sa mort, le titre de "Shahíd-i-Thálith", c'est-à-dire troisième martyr. Nous reprendrons d'un peu haut leur histoire pour faire bien comprendre tant leur rôle dans les dissensions religieuses de la Perse que la catastrophe que devait fatalement amener le caractère altier et l'orgueil du frère de Mullá Sálih. Quand le grand Mujtahid Áqá Siyyid Muhammad arriva à Qazvín, quelqu'un lui demanda si Hájí Mullá Sálih-i-Baraqání était un Mujtahid. "Certes," répondit le Siyyid et cela, d'autant plus que Sálih était de ses anciens élèves qui, vers le tard, avait suivi les leçons de Áqá Siyyid 'Ah. "Fort bien, lui répondit son interlocuteur, mais son frère Muhammad-Taqí est-il lui aussi, digne de ce titre sacré?"

Áqá Siyyid Muhammad répondit en louant les qualités et la science de Taqí, mais évita de donner une réponse précise à l'interrogation directe qu'on lui avait faite. Ceci n'empêcha pas l'interrogateur de répandre dans la ville le bruit que, Siyyid Muhammad lui-même reconnaissait la maîtrise de Taqí, qu'il avait déclaré Mujtahid en sa présence. Or Siyyid Muhammad était allé habiter chez un de ses collègues, Hájí Mullá 'Abdu'l-Vahháb. Celui-ci eut vite connaissance du bruit ainsi répandu et, faisant venir chez lui l'interlocuteur du Siyyid, le tança vertement en présence de témoins. Naturellement le bruit de cette intervention, amplifiée de bouche en bouche, parvint jusqu'aux oreilles de Taqí qui, furieux en lui-même, se bornait à dire chaque fois que le nom de Mullá 'Abdu'lVahháb frappait ses oreilles: "Je ne le respecte que parce qu'il est le fils de mon maître bien-aimé." Siyyid Muhammad, ayant été mis au courant de tous ces incidents et de toutes ces rumeurs, comprenant qu'il avait contristé l'âme de Taqí, vint un jour lui demander à déjeuner, le traita avec beaucoup de distinction, lui écrivit son brevet de Mujtahid et, ce jour-là même, l'accompagna à la Mosquée et, la prière terminée, s'assit sur les degrés de la chaire d'où il fit l'éloge de Taqí et le confirma, en pleine assemblée, dans sa nouvelle dignité.

Or, un peu plus tard, vint à passer par Qazvín Shaykh Ahmad-i-Ahsá'i. Ce personnage, dit l'auteur très pieux du Qisasu'l-'Ulamá, fut déclaré impie car il voulut rapprocher la philosophie de la loi religieuse, "et tout le monde sait que, dans la plupart des cas, vouloir mêler l'intelligence et la loi religieuse est une chose impossible." Quoiqu'il en soit, Shaykh Ahmad s'éleva fort au-dessus de ses contemporains, et beaucoup d'hommes partageaient son opinion. Il avait des sectateurs dans toutes les villes de la Perse, et le Shih Fath-'Ali le traitait avec beaucoup de considération quoiqu' Ákhúnd Mullá 'Alí eût, paraît-il, dit de lui: "C'est un ignorant au coeur pur." À son passage à Qazvín, il alla habiter la maison de Mullá 'Abdu'l-Vahháb, désormais l'ennemi de la famille Baraqání. Il allait prier à la Mosquée paroissiale et les 'Ulamás de Qazvín y venaient prier sous sa direction. Il rendit naturellement à ces saints personnages toutes les visites et toutes les amabilités qu'il en avait reçues; il était fort bien avec eux, et ce ne fut bientôt plus un mystère pour personne que son hôte était de ses disciples.

Un jour, il se rendit chez Hájí Mullá Taqíy-i-Baraqání, qui le reçut avec toutes les marques do plus profond respect, mais profita de sa présence pour lui poser quelques questions insidieuses. "En ce qui concerne la résurrection des morts au jour du jugement, loi demanda-t-il, votre opinion est-elle celle de Mullá Sadrá ?" Non, dit Shaykh Ahmad. Alors, Taqí, interpellant son plus jeune frère Hájí Mullá 'Alí: "Va, lui dit-il, dans ma bibliothèque et apporte-moi le Shaváhid-i-Rubúbíyyih de Mullá Sadrá." Pois comme Hájí Mullá tardait à revenir, il dit à son interlocuteur: "Je ne discute pas avec vous, à ce sujet, mais je suis cependant curieux de connaître votre opinion sur la matière." Le Shaykh répondit 'Rien n'est plus facile. D'après moi, la résurrection n'aura pas lieu avec notre corps matériel, mais avec son essence: et j'appelle essence, par exemple, le verre qui est en puissance dans la pierre." 'Pardon, rétorqua méchamment Taqí, mais cette essence est autre que le corps matériel, et vous savez qu'il est de dogme, dans notre sainte religion, de croire à la résurrection de ce corps matériel lui-même." Le Shaykh fut naturellement interloqué, et ce fut en vain qu'un de ses élèves, natif de Turkistán, voulut détourner la conversation en entamant une discussion qui menaçait d'être longue; le coup était porté, et Shaykh Ahmad se retira, convaincu qu'il s'était compromis. Il ne tarda pas à s'apercevoir que sa conversation avait été soigneusement rapportée par Taqí, car le jour même il se rendit à la mosquée pour prier et il fut suivi du seul 'Abdu'l-Vahháb.

Les choses menaçaient donc de se gâter, et 'Abdu'l-Vahháb crut avoir trouvé le moyen d'aplanir toutes les difficultés en suppliant son maître d'écrire et de publier on traité dans lequel il affirmerait la résurrection du corps matériel. Il avait compté sans la haine de Taqí. En effet, Shaykh Ahmad écrivit ce traité qui se trouve encore dans son volume intitulé Ajvibatu'l-Masá'il, mais personne ne le voulut lire et le bruit de son impiété grandissait tous les jours. Ce fut au point que le Gouverneur de la ville, le Prince 'Alí-Naqí Mírzá Ruknu'd-Dawhih, considérant l'importance des personnages engagés dans la lutte et craignant d'être accusé d'avoir laissé germer la discorde, résolut de tenter un accord. Il invita, une nuit, à un grand dîner tous les 'Ulamás illustres de la ville. Shaykh Ahmad avait la première place, et près de loi, séparé par on seul personnage, était assis Taqí. On apporta les plateaux préparés pour trois personnes, de telle sorte que les deux ennemis se trouvassent obligés de manger ensemble.

Mais Taqí, irréductible, se tourna vers le plateau de ses voisins de droite et, au grand scandale do Prince, mit sa main gauche devant la partie gauche de sa figure de façon à ce que son regard ne rencontrât pas, même involontairement, la personne de Shaykh Ahmad. Après le repas, qui fut plutôt morne, le Prince, persistant dans son idée de réconcilier les deux adversaires, fit on grand éloge de Shaykh Ahmad, disant qu'il était le plus grand des docteurs arabes et persans, que Taqí devait lui témoigner le plus grand respect et qu'il n'était pas convenable qu'il prêtât l'oreille aux propos des gens qui voulaient amener la guerre entre deux intelligences d'élite. Il fut violemment interrompu par Taqí qui déclara d'on ton de souverain mépris: "Il ne peut y avoir aucune paix entre l'impiété et la foi: le Shaykh a, en ce qui concerne la résurrection, une doctrine contraire à la loi islamique. Or, celui qui partage cette doctrine est un impie. Que peut-il y avoir de commun entre un révolté et moi?" Le prince eut beau insister, prier, Taqí n'en voulut pas démordre et la séance fut levée." (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Ali-Mubammad dit le Bab", pp. 263-7.)

(3.37a) Troisième Martyr.

(3.38) "Mullá Sálih avait, parmi ses enfants, une fille, Zarrín-Táj -la couronne d'or- qui attira sur elle l'attention dès sa plus tendre enfance. Au lieu de se livrer comme ses congénères aux jeux et aux amusements, elle passait des heures entières à écouter les conversations dogmatiques de ses parents. Sa vive intelligence s'assimila rapidement le fatras de la science islamique, sans s'y noyer, et bientôt elle fut à même de discuter sur les points les plus obscurs et les plus confus: les traditions (hadís) n'eurent plus de secrets pour elle. Sa réputation s'était bien vite répandue dans la ville et ses concitoyens la considéraient, à juste titre, comme on prodige. Prodige de science, mais aussi prodige de beauté; car l'enfant grandissante, était devenue une jeune fille dont le visage étincelait d'une si radieuse beauté qu'on lui avait donné le surnom de Qurratu'l-'Ayn, que M. de Gobineau traduit "La consolation des yeux". Son frère, 'Abdu'l-Vahháb-i-Qazvíní, qui hérita de la science et de la réputation de son père, racontait loi-même, quoique resté, en apparence do moins, musulman: "Nous tous, ses frères, ses cousins, nous n'osions parler en sa présence, tant sa science nous intimidait, et si nous nous hasardions à exprimer une hypothèse sur on point de doctrine contesté, elle nous démontrait d'une façon si nette, si précise et si péremptoire que nous faisions fausse route, que nous nous retirions tout confus." Elle assistait aux cours de son père et de son oncle dans la même salle que deux ou trois cents étudiants, mais cachée derrière un rideau et plus d'une fois, elle réfuta les explications que ces deux vieillards proposaient sur telle ou telle question. Sa réputation devint immense dans la Perse savante et les plus hautains 'Ulamás consentirent à adopter quelques-unes de ses hypothèses ou de ses opinions. Le fait est d'autant plus remarquable que la religion musulmane shi'ite a placé la femme presque au rang de l'animal: elle n'a pas d'âme et n existe guère que pour la reproduction. Elle épousa, toute jeune encore, le fils de son oncle, Muhammad-i-Qazvíni, qui était Imám Jum'ih de la ville et, par la suite , se rendit à Karbilá où elle assista aux leçons de Siyyid Kázim-i-Rashtí. Elle partagea avec passion les idées de son maître, idées qu'elle reconnaissait déjà d'ailleurs, Qazvín étant devenu un foyer des doctrines Shaykhies. Elle était, comme nous le verrons par la suite, d'on tempérament ardent, d'une intelligence nette et lucide, d'un sang-froid merveilleux et d'un courage indomptable. Toutes ces qualités réunies devaient l'amener à s'occuper du Bab dont elle entendit parler dès son retour à Qazvín. Ce qu'elle en apprit l'intéressa si vivement qu'elle entra en correspondance avec le Réformateur et que, bientôt convaincue par lui, elle fit connaître sa conversion urbi et orbi. Le scandale fut immense et le clergé consterné. En vain son mari, son père, ses frères la conjuraient-ils de renoncer à cette dangereuse folie, elle resta inflexible et proclama hautement sa foi." (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", pp. 273-4.)

(3.39) "Ce nom leur vient, dit Hájí Karím Khán dans son Hidáyatu't-Tálibín, de ce que feu Shaykh Ahmad étant à Karbilá, durant ses pèlerinages aux saints tombeaux, et, par respect pour les Imáms, disait ses prières en se tenant derrière l'Imám, c'est-à-dire à ses pieds. En effet, pour lui, il n'y avait pas de différence quant au respect à témoigner entre un Imám mort et on Imám vivant. Les Persans, au contraire, pénétrant dans le tombeau, vont se mettre au-dessus de la tête de l'Imám, et lui tournent donc le dos quand ils prient puisque les saints morts sont enterrés la tête vers la Qibhih. C'est là une honte et on mensonge! Les apôtres de Jésus prétendant être venus en aide à Dieu, on les appela "Nasárá", nom qui fut donné à tous ceux qui marchèrent sur leurs traces. C'est ainsi que le nom de Bálá-Sarí s'étendit à tous ceux qui suivent ha doctrine de ceux qui prient en se tenant sur la tête de l'Imám." (A.L.M. Nicolas, "Essai sur le Shaykhisme", 1, préface, pp. 5-6.)

(3.40) 1850-51 ap. J.-C.

(3.41) Selon Muhammad Mustafá (p. 106), Mullá 'Alí subit six mois d'emprisonnement à Baghdád sur ordre de Najíb Páshá, gouverneur de cette ville. Il fut ensuite emmené à Constantinople par ordre do gouvernement ottoman. Il passa par Mossoul, où il put susciter un certain intérêt pour ha nouvelle révélation. Ses amis ne purent toutefois découvrir s'il parvint finalement au terme de son voyage.

(3.42) Le Qur'án.

(3.43) Le Qur'án.

(3.44) Le Qur'án.

(3.45) L'un des titres du Bab.

(3.46) Le Bab fait référence aux Lettres du Vivant dans le Bayán persan (Váhid 1, Porte 2) en ces termes: 'Tous ceux-là forment le nom du Vivant, car ce sont les noms les plus proches de Dieu: ceux qui sont autres qu'eux sont guidés par leur action indicatrice, car Dieu a commencé par eux la création du Bayán, et c'est vers eux qu'il fera revenir cette création du Bayán. Ce sont des lumières qui éternellement dans le passé se sont prosternées et qui se prosterneront éternellement dans l'avenir devant l'arche (trône) céleste." ("Le Bayán persan, vol. 1, pp. 24-25.)

(3.47) A.L.M. Nicolas, dans son introduction au volume I de "Le Bayán Persan" (pp. 3-5), écrit ce qui suit : "Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il lui était de toute impossibilité de proclamer hautement sa doctrine et de la répandre parmi les hommes. Il devait agir comme le médecin des enfants, qui enrobe une drogue amère sous une couche de sucre pour amadouer ses jeunes malades. Et le peuple an milieu duquel il a surgi était et est encore hélas! plus fanatique que ne l'étaient les Juifs à l'époque de Jésus, et la majesté de la paix romaine n'était plus là pour arrêter les excès furieux de la folie religieuse d'un peuple surexcité. Donc, si le Christ, malgré la douceur toute relative d'ailleurs, do milieu dans lequel il prêcha, crut devoir employer la parabole, Siyyid 'Alí Muhammad, à fortiori, dut déguiser sa pensée sous de nombreux détours et ne verser, que goutte à goutte, le philtre de ses vérités divines. Il élève son enfant, l'Humanité; il le guide, en cherchant à ne pas l'effrayer; il conduit ses premiers pas sur une route qui le mènera lentement mais sûrement, et dès qu'il pourra avancer seul, au but qui lui est fixé de toute éternité."



<P93>

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CHAPITRE IV : voyage de Mullá Husayn à Tihrán

Mullá Husayn, qui avait encore présentes à l'esprit ces nobles paroles, s'embarqua dans sa périlleuse aventure. Partout où il allait, à quelque classe de la société qu'il s'adressât, il délivrait avec intrépidité et sans aucune réserve le message que lui avait confié son maître bien-aimé. En arrivant à Isfáhán, il alla s'établir dans le madrisih de Ním-Ávard. Autour de lui, se réunirent ceux qui, lors de sa précédente visite, l'avaient connu en tant que messager favori de Siyyid Kázim à l'éminent mujtahid, Hájí Siyyid Muhammad Báqir. (4.1) Ce dernier n'étant plus, c'était son fils, qui revenant de Najaf, occupait le siège laissé vacant par son père, dont il avait pris la succession. Hájí Muhammad Ibráhím-i-Kalbásí était également tombé gravement malade et était sur le point de quitter ce monde. Les disciples de feu Hájí Siyyid Muhammad Báqir, désormais libérés de l'influence modératrice de leur maître regretté et alarmés par les étranges doctrines que proposait Mullá Husayn, dénoncèrent ce dernier avec véhémence devant Hájí Siyyid Asadu'lláh, fils de feu klâjí Siyyid Muhammad Báqir. "Mullá Husayn, se plaignirent-ils, a pu, au cours de sa dernière visite, gagner le soutien de votre illustre père à la cause de Shaykh Ahmad. Personne, parmi les disciples impuissants du siyyid, n'osa s'opposer à lui. Il vient à présent comme le défenseur d'un adversaire encore plus terrible et plaide sa cause avec une véhémence et une vigueur encore accrue, il persiste à déclarer que celui dont il soutient maintenant la cause est le révélateur d'un Livre qui est d'inspiration divine et dont le ton et le langage ressemblent d'une manière frappante à ceux du Qur'án. Devant les habitants de cette ville, il a lancé ces paroles de défi: "Produisez un livre pareil, si vous êtes des hommes de vérité." Le jour où tout Isfáhán aura embrassé sa cause est imminent." Hájí Siyyid Asadu'lláh répondit de manière évasive à leurs doléances. "Que puis-je dire?" fut-il finalement obligé de répondre. "N'admettez vous pas vous-mêmes que Mullá Husayn a, par son éloquence et la force de son argument, réduit au silence un homme aussi éminent que mon illustre père?

<P94>

Comment puis-je alors, moi qui lui suis si inférieur quant au mérite et au savoir, me permettre de défier ce qu'il a déjà approuvé? Laissez à chacun le droit d'examiner impartialement ces revendications. S'il se sent satisfait, tant mieux; sinon, laissez-le garder le silence, et ne pas courir le risque de discréditer la bonne renommée de notre foi."
Constatant que leurs efforts n'avaient pas réussi à influencer Hájí Siyyid Asadu'lláh, ses disciples soumirent l'affaire à Hájí Muhammad Ibráhím-i-Kalbásí. "Malheur à nous", protestèrent-ils vivement, "car l'ennemi s'est levé pour détruire la sainte foi de l'islám." Dans un langage exagéré et irRéaliste, ils mirent l'accent sur le caractère provocateur des idées proposées par Mullá Husayn. "Gardez votre calme", répondit Hájí Muhammad Ibráhím. "Mullá Husayn n'est pas de ceux qui se laissent duper par qui que ce soit; il ne peut non plus être victime de dangereuses hérésies. Si votre assertion est véridique, si Mullá Husayn a effectivement embrassé une foi nouvelle, votre première obligation est alors, indiscutablement, de vous informer, avec impartialité, du caractère de ses enseignements et de vous abstenir de le dénoncer sans un examen préalable minutieux. Si je recouvre ma santé et ma force, il est dans mes intentions, s'il plaît à Dieu, d'approfondir moi-même le sujet et d'en vérifier l'authenticité."
Cette sévère réprimande de Hájí Kalbásí déconcerta fort les disciples de Hájí Siyyid Asadu'lláh. Dans leur désarroi, ils en appelèrent à Manúchihr Khán, le mu'tamidu'd-dawlih, gouverneur de la ville. Ce chef, sage et avisé, refusa d'intervenir dans ces affaires qui, dit-il, sont exclusivement du domaine de la juridiction des 'ulamás. Il les avertit de s'abstenir de tout méfait et de cesser de troubler la paix et la tranquillité du messager. Ces paroles catégoriques ruinèrent les espoirs des semeurs de discorde. Mullá Husayn fut ainsi délivré des machinations de ses ennemis et, pendant un certain temps, poursuivit librement le cours de ses travaux.
La première personne à embrasser la cause du Báb dans cette ville fut un homme, un tamiseur de froment qui, sans réserve, accepta le message dès que l'appel parvint à ses oreilles. Il servit Mullá Husayn avec une dévotion admirable et devint, grâce à son intime association avec ce dernier, un défenseur zélé de la nouvelle révélation. Quelques années plus tard, lorsque les détails poignants du siège du fort de Shaykh Tabarsí lui furent racontés, il ressentit un appel irrésistible à aller partager le sort des héroïques compagnons du Báb qui s'étaient levés pour défendre leur foi.

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Portant son tamis à la main, il se leva immédiatement et partit vers la scène de ce mémorable combat. "Pourquoi partir si précipitamment ?" lui demandèrent ses amis en le voyant courir, dans un état d'agitation intense, à travers les bazars d'Isfáhán. "Je me suis levé, répondit-il, pour rejoindre la glorieuse compagnie des défenseurs du fort de Shaykh Tabarsí! Au moyen de ce tamis que j'emporte avec moi, j'ai l'intention de sélectionner les gens dans chaque ville par laquelle je passerai. A celui que je trouverai prêt à épouser la cause que j'ai embrassée, je lui demanderai de se joindre à moi et de se hâter aussitôt vers le champ du martyre." La dévotion de ce jeune homme était telle que le Báb, dans le Bayan persan, se réfère à lui, en ces termes: "Isfáhán, cette ville remarquable, est renommée pour la ferveur religieuse de ses habitants shí`ahs, pour le savoir de son clergé et pour le fait que ses habitants, aussi bien les grands que les humbles, attendent avec impatience la venue imminente du Sáhibu'z-Zamán. Dans tous les quartiers de cette ville, des institutions religieuses ont été fondées. Et, malgré cela, lorsque le messager de Dieu fut rendu manifeste, ceux qui se prétendaient les dépositaires du savoir et les interprètes des mystères de la foi de Dieu rejetèrent son message. De tous les habitants de ce foyer du savoir, il n'y eut qu'un homme, un tamiseur de froment, pour reconnaître la Vérité et être revêtu de la robe de vertu divine!" (4.2)
Parmi les siyyids d'Isfáhán, quelques-uns, comme Muhammad-'Alíy-i-Nahri, dont la fille devint par la suite l'épouse de la plus grande Branche, (4.3) Mírzá Hádí, le frère de Mírzá Muhammad 'Alí, et Mírzá Muhammad-Ridáy-i-Pá-Qal'iyí, reconnurent la vérité de la cause. Observant les instructions de Siyyid Kázim, Mullá Sádiq-i-Khurásání, connu autrefois sous le nom de Muqaddas et surnommé Ismu'lláhu'l-Asdaq par Bahá'u'lláh, avait, durant les cinq dernières années, résidé à Isfáhán et préparé la voie à l'avènement de la nouvelle révélation, il fut aussi l'un des premiers croyants à s'identifier au message proclamé par le Báb. (4.4) Dès qu'il apprit l'arrivée de Mullá Husayn à Isfáhán, il se hâta d'aller le rencontrer. Sur sa première entrevue qui eut lieu la nuit chez Mírzá Muhammad 'Alíy-i-Nahrí, il donna le rapport suivant "Je demandai à Mullá Husayn de divulguer le nom de celui qui se prétendait la Manifestation promise. Il me répondit ainsi: "Se renseigner sur ce nom et divulguer celui-ci sont toutes deux, choses interdites." "Me serait-il alors possible, demandai-je, de chercher indépendamment comme les Lettres du Vivant, la grâce du très Miséricordieux et, par la prière, de découvrir son identité?"

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"La porte de sa grâce, répondit-il, n'est jamais fermée à la face de celui qui cherche à le découvrir." Je pris aussitôt congé de lui et je demandai à son hôte de me permettre d'occuper une chambre privée dans sa maison où je pourrais, seul et tranquille, communier avec Dieu. Au milieu de ma contemplation, je me rappelai soudain la face d'un jeune homme que j'avais souvent observé lors de mon séjour à Karbilá, debout dans une attitude de prière, la face baignée de larmes, à l'entrée du tombeau de l'Imám Husayn. Cette image réapparut alors devant mes yeux. Dans ma vision, je semblais contempler ce même visage, ces mêmes traits exprimant une joie telle que je ne pourrais jamais la décrire. Il souriait tout en me regardant. J'allai vers lui, prêt à me jeter à ses pieds. Je m'inclinais vers le sol lorsque, soudain, cette radieuse figure disparut de ma vision. Comblé de joie et de bonheur, je courus au dehors pour rencontrer Mullá Husayn, qui me reçut dans un transport de joie et m'assura que j'avais enfin atteint l'objet de mon désir. Il me pria cependant de réprimer mes sentiments. "Ne révélez votre vision à personne, me recommanda-t-il, le temps n'en est pas encore venu. Vous avez récolté le fruit de votre patiente attente à Isfáhán. Vous devez à présent vous rendre à Kirmán pour mettre Hájí Mírzá Karím Khán au courant de ce message. De là, vous devrez partir pour Shiraz et vous efforcer de tirer les habitants de cette ville de leur sommeil de négligence. J'espère vous rejoindre à Shiraz et partager avec vous les bénédictions d'une joyeuse réunion avec notre Bien-Aimé." (4.5)
D'Isfáhán, Mullá Husayn se rendit à Káshán. Le premier dans cette ville à s'enrôler dans le groupe des croyants, fut un certain Hájí Mírzá Jâní surnommé Par-Pá, qui était un marchand renommé. (4.6) Parmi les amis de Mullá Husayn se trouvait un membre du clergé bien connu: Siyyid 'Abdu'l Báqí, habitant Káshán et membre de la communauté shaykhíe. Bien qu'intimement lié à Mullá Husayn durant ses séjours à Najaf et à Karbilá, le siyyid se sentait incapable de sacrifier son rang et sa position au message que son ami lui avait apporté.
En arrivant à Qum, Mullá Husayn trouva les habitants totalement inaptes à écouter son appel. Les graines qu'il sema parmi eux ne devaient pas lever avant que Bahá'u'lláh ne fut exilé à Baghdád. C'est alors que Hájí Mírzá Músá, un natif de Qum, embrassa la foi, se rendit à Baghdád et rencontra Bahá'u'lláh. Il devait finalement vider la coupe du martyre dans son sentier.

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De Qum, Mullá Husayn se rendit directement à Tihrán. Il logea, durant son séjour dans la capitale, dans l'une des chambres qui appartenaient à la madrisih de Mírzá Sálih, mieux connue sous le nom de madrisih de Páy-i-Minár. Hájí Mírzá Muhammad-i-Khurásání, le chef de la communauté shaykhíe de Tihrán, qui faisait fonction de précepteur dans cette institution, fut contacté par Mullá Husayn mais ne répondit pas à l'invitation de celui-ci à accepter le message. "Nous avions chéri l'espoir, dit-il à Mullá Husayn, de vous voir, après le décès de Siyyid Kázim, faire tout votre possible pour promouvoir au mieux les intérêts de la communauté shaykhíe et délivrer celle-ci des ténèbres dans lesquelles elle a sombré.

PHOTO: vue 1 de Tihrán

PHOTO: vue 2 de Tihrán

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Vous semblez cependant avoir trahi sa cause. Vous avez ruiné nos plus chers espoirs. Si vous persistez à répandre ces doctrines subversives, vous finirez par faire disparaître le restant des shaykhís de cette ville." Mullá Husayn lui assura qu'il n'avait pas l'intention de prolonger son séjour à Tihrán et que son but n'était nullement d'avilir ou de supprimer les enseignements promus par Shaykh Ahmad et Siyyid Kázim. (4.7)
Durant son séjour à Tihrán, Mullá Husayn avait pris l'habitude de quitter sa chambre de bonne heure chaque matin et de n'y revenir qu'une heure après le coucher du soleil. A son retour, seul et paisible, il entrait dans sa chambre, fermant la porte derrière lui il restait dans la solitude de sa cellule jusqu'au lendemain. (4.8) Mírzá Músá, Aqáy-i-Kalím, le frère de Bahá'u'lláh, m'a raconté ce qui suit: "J'ai entendu Mullá Muhammad-i-Mu'allim, un habitant de Nur - ville située dans la province de Mázindarán - et fervent admirateur de Shaykh Ahmad ainsi que de Siyyid Kázim, relater l'histoire suivante:

PHOTO: Aqay-i-kalím, frère de Baha'u'llah

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"En ce temps-là, je vivais dans la même école que Hájí Mírzá Muhammad et l'on me considérait comme l'un de ses disciples favoris. Ma chambre touchait la sienne et nous entretenions des relations très amicales. Le jour où il était occupé à discuter avec Mullá Husayn, je surpris leur conversation du début jusqu'à la fin, et je fus profondément touché par l'ardeur, la facilité de parole et le savoir de ce jeune étranger. Je fus surpris des réponses évasives, de l'arrogance et du comportement dédaigneux de Hájí Mírzá Muhammad. Ce jour-là, je me sentis fortement attiré par le charme de ce jeune homme et profondément irrité par la conduite indécente de mon maître envers lui. Je dissimulai mes sentiments et prétendis ignorer ses discussions avec Mullá Husayn. Je fus pris par un désir passionné de rencontrer ce dernier et me hasardai à aller lui rendre visite vers minuit. Il ne m'attendait pas, mais je frappai à sa porte et le trouvai éveillé, assis près de sa lampe. Il me reçut affectueusement et me parla avec une courtoisie et une tendresse extrêmes. Je m'allégeai le coeur et, pendant que je lui parlais, des larmes que je ne pouvais retenir, coulaient de mes yeux. "Je puis voir à présent, dit-il, la raison pour laquelle j'ai choisi de demeurer ici. Votre maître a rejeté avec dédain ce message et a méprisé son auteur. Mon espoir est que son élève puisse, contrairement à son maître, reconnaître la vérité. Comment vous appelez-vous et dans quelle ville résidez-vous?" "Je m'appelle Mullá Muhammad, répondis-je, et mon nom de famille est Mu'allim. Ma maison se trouve à Nur dans la province de Mázindarán." "Dites moi, demanda-t-il, y a-t-il de nos jours parmi la famille de feu Mírzá Buzurg-i-Núrí, qui était si connu pour son caractère, son charme, ses talents artistiques et intellectuels, quelqu'un qui se soit montré capable de préserver les hautes traditions de cette illustre maison?
- Oui, répondis-je, parmi ses fils encore en vie, l'un s'est distingué par les mêmes traits qui caractérisaient son père. Par sa vie vertueuse, ses grandes connaissances, sa bonté et sa libéralité, il s'est montre le noble descendant d'un noble père.
- Quelles sont ses occupations? me demanda-t-il.
- Il réconforte les inconsolables et nourrit les affamés, répondis-je.
- Que savez-vous de son rang et de sa position?
- Il n'en a pas, dis-je, si ce n'est qu'il secourt les pauvres et les étrangers.
- Comment s'appelle-t-il?
- Husayn 'Alí.
- Dans laquelle des écritures de son père excelle-t-il?
- Son écriture favorite est le shikastih-nasta'liq.
- A quoi occupe-t-il son temps?
- Il se promène à travers bois et se complaît à admirer les beautés de la campagne. (4.9)
- Quel âge a-t-il?
- Vingt-huit ans."

La curiosité avec laquelle Mullá Husayn m'interrogeait et le sentiment de plaisir qu'il ressentait à entendre chaque détail que je lui donnais, me surprit grandement.

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Se tournant vers moi, avec un visage rayonnant de joie et de satisfaction, il s'enquit une fois de plus: "Je présume que vous le rencontrez souvent? - Je me rends fréquemment chez lui, répondis-je. - Voulez-vous, dit-il, lui remettre, en mains propres, un dépôt de ma part?

PHOTO: vue 1 de la maison de Bahá'u'lláh a Tihran

PHOTO: vue 2 de la maison de Bahá'u'lláh a Tihran

PHOTO: vue 3 de la maison de Bahá'u'lláh a Tihran

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Très certainement, répondis-je. Il me donna alors un parchemin enveloppé dans une pièce de toile et me demanda de le lui remettre le lendemain à l'aube. "S'il daignait me répondre, ajouta-t-il, auriez-vous l'amabilité de me faire connaître sa réponse?" Je pris le parchemin et, au lever du jour, me levai pour exaucer son désir.
"Comme j'approchais de la maison de Bahá'u'lláh, je reconnus son frère Mírzá Músá qui se tenait à la porte et à qui je fis savoir l'objet de ma visite. Il entra dans la maison et réapparut peu après portant un message de bienvenue. On m'introduisit auprès de Bahá'u'lláh ; je présentai 1e rouleau à Mírzá Músá, qui 1e déposa devant Bahá'u'lláh. Celui-ci nous pria de nous asseoir. Dépliant le rouleau, il jeta un coup d'oeil sur son contenu et commença à nous lire à haute voix certains de ses passages. Je restai assis, ravi par le son de sa voix douce et mélodieuse. Il avait lu une page du rouleau lorsque, se tournant vers son frère, il dit: "Músá, qu'en dis-tu? En vérité je le dis, celui qui croit au Qur'án, reconnaît son caractère divin, et malgré cela hésite, ne fût-ce qu'un instant, à admettre que ces paroles émouvantes sont dotées du même pouvoir régénérateur, s'est assurément trompé dans son jugement et a dévié loin du sentier de justice." Puis il se tut. En me congédiant, il me chargea de rapporter à Mullá Husayn, comme cadeau de sa part, un pain de sucre russe et un paquet de thé, (4.10) et il me pria de lui transmettre l'expression de son amour et de sa reconnaissance.
"Je me levai et, rempli de joie, me hâtai de retourner auprès de Mullá Husayn pour lui remettre le cadeau et le message de Bahá'u'lláh. Avec quelle joie et quelle exultation les reçut-il de ma main! Les paroles me manquent pour décrire l'intensité de son émotion. Il se mit debout, reçut, tête baissée, le cadeau et l'embrassa avec ferveur. Il me prit alors dans ses bras, me baisa les yeux et dit: "Ami chèrement aimé! Je prie pour que, de même que vous m avez réjoui le coeur, de même
Dieu vous fasse don d'une éternelle félicité et vous inonde le coeur d'un bonheur impérissable." Je fus stupéfié par la conduite de Mullá Husayn. Quelle pouvait être, pensai-je en moi même, la nature du lien qui unissait ces deux âmes? Qu'est-ce qui pouvait avoir suscité en leurs coeurs une aussi ardente amitié? Pourquoi Mullá Husayn, aux yeux de qui la pompe et l'apparat de la royauté n'étaient que pure futilité, devait-il manifester un tel bonheur à la vue d'un cadeau aussi insignifiant de la part de Bahá'u'lláh? Cette pensée m'intriguait et je ne pouvais en découvrir le mystère.

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"Quelques jours plus tard, Mullá Husayn partit pour le Khurásán. Au moment de notre séparation, il dit: "Ne soufflez mot à personne de ce que vous avez entendu et vu. Faites que ceci reste un secret caché en votre sein. Ne divulguez pas son nom, car ceux qui envient sa position se lèveraient alors pour lui nuire. Dans vos moments de méditation, priez le Tout-Puissant de le protéger afin que, par lui, il puisse exalter les opprimés, enrichir les pauvres et racheter les pécheurs. Le secret des choses reste caché à nos yeux. Il est de notre devoir de lancer l'appel du nouveau jour et de proclamer ce divin message à tous les hommes. Bien des âmes dans cette ville verseront leur sang sur ce sentier. Ce sang irriguera l'Arbre de Dieu, lui permettra de fleurir et d'abriter sous son ombre l'humanité tout entière."

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NOTE DU CHAPITRE 4:

(4.1) "On se pressait en foule pour entendre le prédicateur. Il occupait, tour à tour, toutes les chaires d'Isfáhán où il faisait en liberté ce qui avait été interdit à Shíráz. Il ne craignait pas de dire publiquement et d'annoncer que Mírzá 'Alí Muhammad était le douzième Imám, l'Imám Máhdí; il montrait et lisait les livres de son maître; il en faisait remarquer l'éloquence et la profondeur, faisait ressortir l'extrême jeunesse du Voyant, en racontait des miracles. (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 130.)

(4.2) "Vois la terre de Sád (Isfáhán) qui est, dans ce monde apparent la plus grande des terres. A chaque coin de ses écoles se trouvent des esclaves nombreux revêtus du nom de savants et de lutteurs. Au moment où a lieu l'élection des créatures, un tamiseur de blé revêt cette robe de primauté (sur les autres). C'est ici qu'éclate le secret de la parole des Imáms au sujet de la Manifestation: Les plus basses des créatures deviendront les plus hautes, et les plus hautes deviendront les plus viles." ("le Bayán persan", vol. IV, p. 133.)

(4.3) Allusion au mariage d' 'Abdu'l-Bahá avec Munirih Khánum.

(4.4) Gobineau (p. 129) mentionne Mullá Muhammad-Taqíy-i-Harátí, jurisconsulte bien connu, comme étant l'un des premiers convertis à la foi.

(4.5) "Le séjour de Bushrú'í à Isfáhán fut un triomphe pour le Bab. Les conversions qu'il opéra furent nombreuses et brillantes, mais lui attirèrent - juste retour des choses d'ici-bas, - la haine féroce du clergé officiel, - devant laquelle il dut s'incliner et quitter la ville. En effet, la conversion de Mullá Muhammad-Taqíy-i-Haráti, jurisconsulte de premier ordre, mit le comble à leur fureur, d'autant que ce dernier, plein de zèle, montait chaque jour au mambar d'où il parlait aux hommes, sans détours, de la grandeur du Bab auquel il attribuait le rang de Ná'ib-i kháss du 12e Imám." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ah Muhammad dit le Bab", p. 255.)

(4.6) D'après le - 'Kashfu'l Ghitá' " (pp. 42-5), Hájí Mírzá Jání était connu auprès des habitants de Káshán sous le nom de Hájí Mírzá Jániy-i-Buzurg, ceci afin de le distinguer de son homonyme, qui était aussi marchand à Káshán et connu sous le nom de Hájí Mírzá Jániy-i-Turk, ou Kúchiq. Le premier avait trois frères; l'aîné se nommait Hájí Muhammad-Ismá'il-i-Dhabih, le puiné Hájí Mírzá Ahmad, et le cadet Hájí 'Ali-Akbar.

(4.7) "Il passa quelques jours dans cette capitale, mais il ne s'y produisit pas en public, et se contenta d'avoir avec les personnes qui vinrent le visiter des entretiens qui pouvaient passer pour confidentiels. Il ne laissa pas que de recevoir ainsi beaucoup de monde et d'amener à ses opinions un assez grand nombre de curieux. Chacun voulait le voir ou l'avoir vu, et le roi Muhammad Sháh et son ministre, Hájí Mírzá Áqásí, en vrais Persans qu'ils étaient, ne manquèrent pas de le faire venir. Il leur exposa ses doctrines et leur remit les livres du maître." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 131.)

(4.8) D'après Samandar (manuscrit, p. 2), Mullá Husayn, lors de son voyage de Shíráz à Tihrán en l'an 1260 portait sur lui une Tablette révélée par le Bab à l'intention de Muhammad Sháh.

(4.9) "A une certaine occasion", écrit Dr. JE. Esslemont, " Abdu'l-Bahd, le fils aîné de Bahá'u'lláh, me raconta les détails suivants concernant l'enfance de son père: "Enfant, il était déjà extrêmement bon et généreux. Il aimait la vie en plein air et passait la plus grande partie de son temps dans les jardins et les champs. Il avait un extraordinaire pouvoir d'attraction que tous ressentaient. Les gens se pressaient toujours nombreux autour de lui. Les ministres et les personnalités de la cour l'entouraient, et même les enfants lui étaient dévoués. Dès qu'il eut atteint l'âge de treize ou quatorze ans, on vanta partout son savoir. Il savait converser sur n'importe quel sujet et résoudre tous les problèmes qui lui étaient soumis. Dans les grandes assemblées, il discutait avec les ùlamas et il avait l'art d'éclaircir des points religieux inextricables. Tous l'écoutaient avec le plus grand intérêt. Bahá'u'lláh était âgé de vingt-deux ans quand son père mourut et le gouvernement souhaitait le voir succéder à son père dans les fonctions de ministre, ainsi que le voulait la coutume iranienne; mais Bahá'u'lláh déclina l'offre. Alors le Premier ministre dit: "Qu'il garde sa liberté. Cette position est indigne de lui. Je ne puis le comprendre mais je suis convaincu qu'il est destiné à quelque haute mission. Ses pensées sont différentes des nôtres. Laissons-le seul." ("Bahá'u'lláh et l'Ère nouvelle", pp. 29-30.)

(4.10) Le thé et cette variété de sucre étant extrêmement tares en Perse à cette époque, tous deux étaient utilisés comme cadeaux parmi les classes supérieures de la population.



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CHAPITRE V : le voyage de Bahá'u'lláh en Mázindarán

Le premier voyage qu'entreprit Bahá'u'lláh dans le but de promouvoir la révélation annoncée par le Báb fut celui qui le mena vers sa maison ancestrale à Nur, dans la province de Mázindarán. Il partit en direction du village de Tákur, domaine personnel de son père, où il possédait une vaste demeure royalement meublée et magnifiquement située. J'ai eu privilège d'entendre Bahá'u'lláh en personne raconter un jour ce qui suit: "Mon père, ministre, jouissait d'une position des plus enviables parmi ses compatriotes. Sa richesse immense, sa noble ascendance, ses talents artistiques, son prestige inégalé et son rang exalté faisaient de lui un objet d'admiration de la part de tous ceux qui le connaissaient. Pendant une période de plus de vingt ans, personne parmi le vaste cercle de sa famille et de sa parenté, qui s'étendait sur Nur et Tihrán, n'eut à souffrir de détresse, de préjudice ou de maladie. Tous jouirent, pendant une période longue et ininterrompue, de bénédictions abondantes et multiples. Puis, d'un seul coup, cette prospérité et cette gloire firent place à une série de calamités qui ébranlèrent sévèrement les fondements de cette situation matérielle florissante. La première perte qu'ils subirent fut occasionnée par une grande inondation qui, affluant des montagnes de Mázindarán, s'étendit avec une grande violence sur le village de Tákur et détruisit complètement la moitié de la demeure du ministre, située au-dessus de la forteresse de ce village. La meilleure partie de cette maison, qui était réputée pour la solidité de ses fondations, fut entièrement emportée par la furie du torrent mugissant. Les objets précieux qui constituaient son ameublement furent détruits et ses décorations très soignées furent irrémédiablement endommagées. Ceci fut suivi, peu après, de la perte de divers postes qu'occupait le ministre dans le gouvernement, et d'assauts répétés dirigés contre lui par ses adversaires envieux. En dépit de ce brusque revers de fortune, le ministre conserva sa dignité et son calme et poursuivit, dans les limites restreintes de ses moyens, ses actes de générosité et de charité. Il continua à faire preuve, envers ses associés déloyaux, de cette même courtoisie et de cette même bonté qui avaient caractérisé ses relations avec ses semblables.

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PHOTO: vue 1 de l'approches des ruines de la demeures de Bahá'u'lláh à tákur. mázindarán

PHOTO: vue 2 de l'approches des ruines de la demeures de Bahá'u'lláh à tákur. mázindarán

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Avec un admirable courage, il affronta résolument, jusqu'à la dernière heure de sa vie, les adversités qui pesaient si lourdement sur lui."
Bahá'u'lláh avait déjà, avant la déclaration du Báb, visité le district de Nur, à un moment où le célèbre mujtahid Mírzá Muhammad Taqíy-i-Núrí était à l'apogée de son autorité et de son influence. L'éminence de la position de celui-ci était telle que ceux qui s'asseyaient à ses pieds se considéraient dès lors comme l'interprète autorisé de la foi et des loi islamiques. Le mujtahid était en train de parler à un groupe de plus de deux cents de ses disciples et ne tarissait pas sur un passage nébuleux des paroles attribuées aux Imáms lorsque Bahá'u'lláh, suivi de quelques-uns de ses compagnons, passa par là et s'arrêta un moment pour écouter son discours. Le mujtahid demanda à ses disciples d'éclaircir une théorie abstruse relative aux aspects métaphysiques des enseignements islamiques. Comme ils confessaient tous leur impuissance à l'expliquer, Bahá'u'lláh se sentit porté à faire, en un langage bref mais convaincant, un exposé lucide à son sujet. Le mujtahid fut fort ennuyé de constater l'incompétence de ses élèves: "Pendant des années, je vous ai instruits", s'exlama-t-il avec colère, "et me suis patiemment efforcé d'instiller dans votre esprit les vérités les plus profondes et les principes les plus nobles de la foi. Et pourtant vous laissez, après toutes ces années d'étude persévérante, ce jeune homme, porteur du kuláh, (5.1) qui n'a jamais fréquenté d'école et qui est entièrement étranger à votre savoir académique, démontrer sa supériorité sur vous!"
Plus tard, quand Bahá'u'lláh se fut retiré, le mujtahid raconta à ses disciples deux de ses rêves récents dont, croyait-il, les événements revêtaient une importance extrême. "Dans mon premier rêve, dit-il, je me tenais debout au milieu d'un vaste rassemblement de personnes qui, toutes, semblaient montrer une certaine maison dans laquelle, disaient-elles, demeurait le Sáhibu'z-Zamán. Fou de joie, je me hâtai, dans mon rêve, d'aller auprès de lui. Lorsque j'atteignis la maison, on m'en refusa l'entrée, à ma grande surprise. "Le Qá'im promis, me dit-on, se trouve actuellement en conversation privée avec une autre personne. Il est strictement interdit d'aller jusqu'à eux." En voyant les gardes qui se tenaient près de la porte, je déduisis que cette personne-là n'était autre que Bahá'u'lláh.
"Dans mon second rêve, poursuivit le mujtahid, je me trouvais dans un endroit où je voyais autour de moi un certain nombre de coffrets qui, tous, appartenaient, me déclarait-on, à Bahá'u'lláh.

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En les ouvrant, je constatai qu'ils étaient remplis de livres. Chaque mot et chaque lettre transcrits dans ces livres étaient sertis des joyaux les plus précieux. Leur éclat m'éblouit. "Je fus si ébahi par leur scintillement que je sortis subitement de mon rêve.
Lorsqu'en l'an 60, Bahá'u'lláh arriva à Nur, il apprit que le célèbre mujtahid qui, lors de sa précédente visite, avait exercé un pouvoir aussi immense, n'était plus. Le nombre considérable de ses fervents admirateurs s'était réduit à une simple poignée de disciples découragés qui, sous la direction de son successeur Mullá Muhammad, s'efforçaient de conserver les traditions de leur maître disparu.

PHOTO: inscription apposée par le vazir Mirza Buzurg au dessus de la porte d'entrée de la demeure de Bahá'u'lláh à Takur

L'enthousiasme provoqué par l'arrivée de Bahá'u'lláh contrasta de manière frappante avec la tristesse qui s'était emparée du restant de cette communauté autrefois florissante. Un grand nombre de notables du voisinage le rencontrèrent et, avec toutes les marques d'affection et de respect, lui réservèrent un accueil digne de sa personne. Ils avaient hâte d'apprendre de lui, vu la position sociale qu'il occupait, toutes les nouvelles concernant la vie du sháh, les activités de ses ministres et les affaires de son gouvernement. A leurs questions, Bahá'u'lláh répondit avec une extrême indifférence et sembla montrer bien peu d'intérêt et de préoccupation pour ces choses.

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Avec une éloquence persuasive, il plaida la cause de la nouvelle révélation et attira leur attention sur les bienfaits incommensurables que celle-ci était destinée à conférer à leur pays. (5.2) Ceux qui l'entendirent furent émerveillés par l'intérêt ardent qu'un homme de sa position et de son âge manifestait pour des vérités qui concernaient principalement le clergé et les théologiens de l'islám. Ils se sentirent impuissants à défier l'authenticité de ses arguments ou à minimiser la cause qu'il exposait avec tant de maîtrise. Ils admirèrent l'élévation de son enthousiasme et la profondeur de ses pensées, et furent grandement impressionnés par son détachement et son effacement.
Personne n osa contester ses vues, à part son oncle 'Azíz qui se hasarda à le contredire, défiant ses affirmations et dénigrant leur vérité. Lorsque ceux qui l'entendirent voulurent réduire au silence son antagoniste et le blâmer, Bahá'u'lláh intervint en sa faveur et leur conseilla de le laisser aux mains de Dieu. Alarmé, il rechercha l'aide du mujtahid de Nur, Mullá Muhammad, et fit appel à celui-ci pour lui prêter assistance sans tarder. "Ô vicaire du Prophète de Dieu! dit-il, regardez ce qui est advenu à la foi. Un jeune homme, un laïque, vêtu de l'habit de noblesse, est venu à Nur, a investi les forteresses de l'orthodoxie et a brisé la sainte foi de l'islám. Levez-vous et résistez à son assaut. Quiconque va auprès de lui tombe aussitôt sous l'emprise de son charme et devient captif de la force de son verbe. Je ne sais s'il est un soRcier ou s'il mélange à son thé quelque mystérieuse substance qui fait que tout homme qui en boit tombe victime de son charme." Le mujtahid, malgré son propre manque de compréhension, put Réaliser la folie de telles observations. En riant, il remarqua: "N'avez-vous pas bu de son thé ou ne l'avez-vous pas entendu s'adresser à ses compagnons?" "Si, répondit l'homme mais, grâce à votre aimable protection, je suis resté à l'abri de son mystérieux pouvoir." Le mujtahid, ne se sentant pas à la hauteur de la tâche qui consistait à soulever la populace contre Bahá'u'lláh et à combattre directement lès idées que propageait, avec intrépidité, un adversaire aussi puissant, se contenta d'une attestation écrite dans laquelle il déclarait: "O 'Azíz, n'ayez crainte, personne n osera vous molester." En écrivant cela, le mujtahid avait, par une faute de grammaire, tellement dénaturé la portée de sa déclaration que ceux des notables du village de Tákur qui la lurent furent scandalisés par sa signification et en diffamèrent aussi bien le porteur que l'auteur.
Ceux qui parvinrent en la présence de Bahá'u'lláh et l'entendirent développer le message proclamé par le Báb furent si impressionnés par le caractère sérieux de son appel qu'ils se levèrent aussitôt pour propager ce même message parmi les habitants de Nur et vanter les vertus de son éminent promoteur.

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Entre-temps, les disciples de Mullá Muhammad s'efforçaient de persuader leur maître de se rendre à Tàkur rendre visite à Bahá'u'lláh en personne, afin de vérifier auprès de lui la nature de cette nouvelle révélation et d'éclairer ses adeptes quant au caractère de celle-ci. A leur prière instante, le mujtahid répondit évasivement. Ses disciples refusèrent cependant d'admettre la validité des objections qu'il élevait. Ils firent valoir que la première obligation imposée à un homme de sa position, dont la fonction consistait à préserver l'intégrité de l'islám shí'ah, était de se renseigner sur la nature de tout mouvement qui tendait à affecter les intérêts de leur foi. Mullá Muhammad décida finalement de déléguer-Mullá 'Abbás et Mírzá Abu'l-Qásim, tous deux gendres et disciples de feu le mujtahid Mírzá Muhammad-Taqí en qui il avait pleine confiance-deux de ses éminents adjoints auprès de Bahá'u'lláh pour déterminer le véritable caractère du message qu'il avait apporté. Mullá Muhammad s'engagea à accepter sans réserve toute conclusion à laquelle ils aboutiraient et à considérer leur décision à ce sujet comme irrévocable.
Lorsqu'à leur arrivée à Tákur, les représentants de Mullá Muhammad apprirent que Bahá'u'lláh était parti pour sa résidence d'hiver, ils décidèrent de s'y rendre également. Dès leur arrivée, ils trouvèrent Bahá'u'lláh occupé à révéler un commentaire sur la première súrih du Qur'án, qu'il avait intitulé "les Sept Versets de répétition". Ils s'assirent et prêtèrent l'oreille à son discours. La noblesse du thème, l'éloquence persuasive qui caractérisait sa présentation aussi bien que son extraordinaire manière de s'exprimer, les impressionnèrent profondément. Mullá 'Abbás, ne pouvant se retenir, se leva de son siège et, poussé par une force à laquelle il ne pouvait résister, recula et se tint debout près de la porte dans une attitude de soumission révérencieuse. Le charme du discours qu'il écoutait l'avait fasciné. "Regardez mon état", dit-il à son compagnon, tandis qu'il se tenait debout, tremblant d'émotion et les yeux pleins de larmes. "Je suis impuissant à interroger Bahá'u'lláh. Les questions que j'avais l'intention de lui poser se sont soudain évanouies de ma mémoire. Vous êtes libre de continuer votre enquête ou de retourner seul chez notre maître pour l'informer de l'état dans lequel je me trouve. Dites-lui de ma part qu' 'Abbás ne pourra jamais retourner chez lui. Il ne peut plus désormais quitter ce seuil.

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PHOTO: vue extérieure de la pièce occupée par Bahá'u'lláh à Takúr, Mázindarán

PHOTO: vue intérieure de la pièce occupée par Bahá'u'lláh à Takúr, Mázindarán

PHOTO: vue extérieure de la pièce occupée par abdu'l-bahá à Takúr, Mázindarán

PHOTO: vue intérieure de la pièce occupée par abdu'l-bahá à Takúr, Mázindarán

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Mírzá Abu'l-Qásim fut de même porté à suivre l'exemple de son compagnon. "J'ai cessé de reconnaître mon maître", fut sa réponse. "En ce moment même, je fais le serment à Dieu de consacrer le reste des jours de ma vie au service de Bahá'u'lláh, mon véritable et unique maître."
La nouvelle de la conversion soudaine des envoyés du mujtahid de Nur se répandit avec une rapidité ahurissante à travers le district. Elle tira les gens de leur torpeur. Les dignitaires ecclésiastiques, les fonctionnaires de l'Etat, les commerçants et les paysans affluèrent vers la résidence de Bahá'u'lláh. Un nombre considérable d'entre eux embrassèrent spontanément sa cause. Dans leur admiration pour lui, quelques-uns parmi les plus éminents firent cette remarque: "Nous voyons comment les gens de Nur se sont levés et ont rallié votre cause. Nous observons de tous côtés les preuves de leur exultation. Si Mullá Muhammad acceptait aussi de se joindre à eux, le triomphe de cette foi serait totalement assuré." "Je suis venu à Nur, répondit Bahá'u'lláh, uniquement dans le but de proclamer la cause de Dieu. Je ne nourris aucune autre intention. Si l'on me disait qu'à une distance de cent lieues, un chercheur aspire à la Vérité et qu'il est incapable de me rencontrer, je me hâterais, sans hésitation et avec joie, vers sa résidence et étancherais moi-même sa soif. Mullá Muhammad, ai-je appris, vit à Sa'`adat-Abád, village qui n'est pas très éloigné d'ici. J'ai l'intention de lui rendre visite et de lui remettre le message de Dieu.
Désireux de mettre en pratique ses paroles, Bahá'u'lláh se rendit aussitôt à ce village en compagnie de quelques-uns de ses disciples. Mullá Muhammad le reçut très cérémonieusement. "Je ne suis pas venu ici, observa Bahá'u'lláh, vous rendre une visite officielle ou solennelle. Mon but est de vous éclairer concernant un nouveau et merveilleux message, d'inspiration divine, et qui accomplit la promesse donnée à l'Islám. Quiconque a prêté l'oreille à ce message a senti son irrésistible pouvoir et a été transformé par la force de sa grâce. Dites-moi tout ce qui vous trouble l'esprit ou vous empêche de reconnaître la Vérité." Mullá Muhammad remarqua avec mépris: "Je n'entreprends aucune action avant d'avoir consulté le Qur'án. J'ai toujours, en de telles occasions, l'habitude d'invoquer l'aide de Dieu et de solliciter ses bénédictions, d'ouvrir au hasard son Livre sacré et de consulter le premier verset de la page sur laquelle tombe mon regard. De la nature de ce verset, je puis juger de la sagesse et de l'opportunité de l'action que j'envisage." Constatant que Bahá'u'lláh n'avait pas l'intention de refuser sa demande, le mujtahid fit apporter un exemplaire du Qur'án, l'ouvrit puis le referma, refusant de révéler la nature du verset à ceux qui étaient présents.

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Il dit simplement: "J'ai consulté le livre de Dieu et ai jugé inopportun d'approfondir ce sujet." Quelques-uns l'approuvèrent; les autres, pour la plupart, ne manquèrent pas de reconnaître la crainte que révélaient ces paroles. Bahá'u'lláh, peu disposé à lui causer plus d'embarras, se leva et, demandant à être excusé, lui adressa un cordial adieu.
Un jour, au cours de l'une de ses randonnées à travers la campagne, Bahá'u'lláh, qui était en compagnie de ses disciples, vit un jeune homme solitaire assis au bord de la route. Ses cheveux étaient en désordre et il portait le vêtement d'un derviche. Au bord d'un ruisseau, il avait allumé un feu et il était en train de cuire sa nourriture et de la manger. S'approchant de lui, Bahá'u'lláh demanda aimablement: "Dites-moi, derviche, qu'êtes-vous en train de faire?" "Je suis occupé à manger Dieu", répondit l'homme brusquement. "Je cuis Dieu et le rôtis." La simplicité naturelle des manières du derviche et la naïveté de sa réponse plurent beaucoup à Bahá'u'lláh. Il sourit à sa remarque et commença à converser avec lui avec une tendresse et une liberté extrêmes. En l'espace d'un temps très court, il avait complètement transformé le jeune derviche. Eclairé quant à la véritable nature de Dieu, et l'esprit débarrassé des vaines imaginations des gens de sa catégorie, il reconnut aussitôt la lumière que cet aimable étranger lui avait apportée de façon si inattendue. Ce derviche, qui s'appelait Mustafá, devint si épris des enseignements qui avaient été instillés dans son esprit que, laissant derrière lui ses ustensiles de cuisine, il se leva aussitôt et suivit Bahá'u'lláh. A pied, derrière le cheval de ce dernier, et enflammé par l'ardeur de son amour, il chantait gaiement les versets d'une chanson d'amour qu'il avait composée sous l'impulsion du moment et qu'il avait dédiée à son Bien-Aimé. "Tu es l'Etoile matinale de direction", disait son gai refrain. "Tu es la Lumière de Vérité. Dévoile-toi aux yeux des hommes, ô Révélateur de la Vérité." Bien que, par la suite, ce poème fût largement répandu parmi ses collègues et que l'on sût qu'un certain derviche surnomme Majdhúb, et dont le nom était Mustafá Big-i-Sanandají, l'avait, sans préméditation, composé en signe de louange à son Bien-Aimé, personne ne semblait savoir à qui il se référait effectivement, ni soupçonner, alors que Bahá'u'lláh était encore voilé aux yeux des hommes, que ce derviche seul avait reconnu sa station et découvert sa gloire.
La visite de Bahá'u'lláh à Nur avait produit des résultats d'une très grande portée et donné une remarquable impulsion à la propagation de la révélation naissante.

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Par son éloquence magnétique, par la pureté de sa vie, par la dignité de son comportement, par la logique irréfutable de son argumentation et par les multiples preuves de sa tendre bonté, Bahá'u'lláh avait gagné les coeurs des habitants de Nur, avait ému leurs âmes et les avait enrôlés sous l'étendard de la foi. L'effet de ses paroles et de ses actes était tel que lorsqu'il allait prêcher la cause et en révéler la gloire à ses compagnons de Nur, les pierres et les arbres mêmes de cette région semblaient avoir été ranimés par les ondes de puissance spirituelle qui émanaient de sa personne. Tout paraissait acquérir une vie nouvelle et plus vaste, tout semblait proclamer à haute voix: "Voyez, la Beauté de Dieu a été manifestée! Levez-vous, car il est venu dans toute sa gloire." Les habitants de Nur continuèrent, après le départ de Bahá'u'lláh, à propager la cause et à en consolider les fondements. Un certain nombre d'entre eux endurèrent, pour son amour, les afflictions les plus sévères; d'autres burent avec joie à la coupe du martyre dans son sentier. Mázindarán en général, et Nur en particulier, se distinguèrent alors des autres provinces et districts de la Perse par le fait qu'ils furent les premiers à accepter avec empressement le message divin. Le district de Nur dont le nom signifie littéralement "lumière", et qui est entouré des montagnes du Mázindarán, fut le premier à recevoir les rayons du Soleil qui s'était levé à Shiraz, le premier à proclamer au reste de la Perse, encore plongé dans les ténèbres de la vallée de négligence, que l'Etoile matinale de direction céleste s'était levée pour réchauffer et illuminer le pays tout entier.
Alors que Bahá'u'lláh était encore un enfant, le vazír, son père, fit un rêve. Bahá'u'lláh lui apparut nageant dans un vaste océan sans limite. Son corps brillait sur l'eau, d'un éclat qui illuminait la mer. Autour de sa tête, qui se voyait nettement au-dessus de l'eau, rayonnaient dans toutes les directions, ses longs cheveux d'un noir de jais, flottant en abondance sur les vagues. Toujours dans son rêve, il vit une multitude de poissons se réunir autour de lui, se tenant chacun fermement à l'extrémité d'un cheveu. Fascinés par la splendeur de sa face, ils le suivaient partout où il nageait. Bien que leur nombre fût élevé et qu'ils se fussent fermement accrochés à ses boucles, pas un seul cheveu ne semblait s'être détaché de sa tête, ni le moindre mal avoir affecté sa personne. Libre et sans entrave, il se déplaçait sur les eaux et tous les poissons le suivaient.
Le vazír, fort impressionné par ce rêve, appela un devin qui avait acquis une certaine renommée dans cette région et lui demanda d'interpréter cette vision.

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Cet homme, comme s'il était inspiré par une prémonition de la gloire future de Bahá'u'lláh, déclara: "L'océan infini que vous avez vu dans votre rêve, ô vazír, n'est autre que le monde de l'existence. Seul et sans aide, votre fils parviendra à le dominer. Il ira, sans entrave, là où il lui plaira. Personne ne s'opposera à sa marche, personne ne pourra empêcher sa progression. La multitude de poissons représente l'agitation qu'il soulèvera parmi les peuples et les tribus de la terre. Ceux-ci se réuniront autour de lui et s'attacheront à lui. Assuré qu'il est de la protection infaillible du Tout-Puissant, ce tumulte ne lui causera jamais aucun mal, et sa solitude sur la mer de la vie ne mettra pas en danger sa sécurité."
Le devin fut ensuite amené devant Bahá'u'lláh. Il regarda attentivement son visage et examina soigneusement ses traits. Il fut charmé par son apparence et exalta chaque trait de sa face. Chacune des expressions de ce visage révélait à ses yeux un signe de sa gloire cachée. Son admiration fut si grande et ses louanges à l'égard de Bahá'u'lláh si nombreuses que le vazír, à partir de ce jour, devint encore plus passionnément dévoué envers son fils. Les paroles prononcées par ce devin servirent à raffermir ses espoirs et sa Confiance en lui. Comme Jacob, il n'aspira désormais qu'à assurer le bien-être de son Joseph bien-aimé et qu'à l'entourer de son affectueuse protection.
Hájí Mírzá Áqásí, le Grand vazír de Muhammad Sháh bien que totalement étranger au père de Bahá'u'lláh, montrait envers son fils toutes les marques de considération et de faveur. L'estime que professait pour lui le Hájí était si grande que Mírzá Aqá Khán-i-Núrí, l'i'timádu'd-dawlih, qui devait plus tard succéder à Hájí Mírzá Áqásí, en ressentait de l'envie. Il était irrité de la supériorité que l'on accordait à un simple jeune homme comme Bahá'u'lláh. A partir de ce moment-là, les germes de jalousie s'implantèrent en son coeur. "Bien qu'il soit encore jeune et que son père soit encore en vie, pensait-il, on lui accorde la priorité en présence du Grand vazír. Qu'adviendra-t-il de moi lorsque ce jeune homme aura pris la succession de son père?" -
Après la mort du vazír, Hájí Mírzá Áqásí continua à faire preuve d'une extrême considération envers Bahá'u'lláh. Il allait lui rendre visite chez lui et lui parlait comme s'il était son propre fils. La sincérité de sa dévotion, cependant, devait peu après être mise à l'épreuve. Un jour, en passant par le village de Qúch-Hisár, qui appartenait à Bahá'u'lláh, il fut si impressionné par le charme et la beauté de ce lieu et par l'abondance de son eau qu'il conçut l'idée d'en devenir le propriétaire.

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Bahá'u'lláh, à qui il avait proposé de lui acheter immédiatement le village, observa: "Si cette propriété m'avait appartenu en exclusivité, je me serais volontiers conformé à votre désir. Cette vie transitoire, avec tous ses biens sordides, ne mérite à mes yeux aucun attachement, et encore moins cette <petite propriété insignifiante. Etant donné qu'un certain nombre d'autres personnes, aussi bien riches que pauvres, parmi lesquelles il y a des adultes et des mineurs, partagent avec moi la propriété de ce domaine, je voudrais vous demander de leur soumettre cette affaire et de chercher à obtenir leur consentement." Mécontent de cette réponse, Hájí Mírzá Áqásí chercha, par des moyens frauduleux, à réaliser son dessein. Dès que Bahá'u'lláh fut averti de ses vils projets, il transféra aussitôt, avec le consentement de tous les autres copropriétaires, le titre de propriété au nom de la soeur de Muhammad Sháh qui avait déjà, à plusieurs reprises, exprimé le désir d'en faire l'acquisition. Le Hájí, rendu furieux par cette transaction, ordonna que le bien fût saisi par la force, faisant valoir qu'il l'avait déjà acheté à son propriétaire initial. Les agents au service de la soeur du Sháh réprimandèrent sévèrement les représentants de Hájí Mírzá Áqásí et demandèrent à ceux-ci de faire savoir à leur maître la détermination de cette dame à affirmer ses droits. Hájí Mírzá Áqásí soumit le cas à Muhammad Sháh et se plaignit du traitement injuste dont il avait été l'objet. Cette même nuit la soeur du Sháh avais mis celui-ci au courant de la nature de la transaction. "A maintes reprises, avait-elle dit à son frère, Votre Majesté Impériale a fait comprendre qu'elle désirait me voir me séparer des joyaux dont je m'orne en votre présence et d'acheter, avec le produit de la vente, quelque propriété terrienne. J'ai finalement réussi à exaucer votre souhait. Cependant, Hájí Mírzá Áqásí est à présent déterminé à me la prendre de force." Le sháh rassura sa soeur et ordonna au Hájí de renoncer à sa revendication. Ce dernier, au désespoir, appela Bahá'u'lláh auprès de lui et chercha, artificieuse-ment à le discréditer. Aux accusations portées contre lui par le hájí, Bahá'u'lláh répondit vigoureusement et parvint à établir son innocence. Dans sa rage impuissante, le Grand vazír s' exclama: "Quel est le but de toutes ces fêtes et de tous ces banquets auxquels vous semblez vous complaire? Moi qui suis Premier ministre du Sháhan Sháh de la Perse, je ne reçois jamais un nombre aussi grand d'invités que ceux que vous réunissez chaque soir autour de votre table. Pourquoi cette extravagance et cette vanité? Vous méditez certainement un complot contre moi."

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"Mon Dieu, répondit Bahá'u'lláh, est-ce qu'un homme qui, par générosité de coeur, partage son pain avec ses semblables, doit être accusé de nourrir des intentions criminelles?" Hájí Mírzá Áqásí fut totalement confondu. Il n'osa même pas répondre. Bien que soutenu par les pouvoirs ecclésiastiques et civils de la Perse, il se trouva finalement, dans toutes ses luttes contre Bahá'u'lláh, complètement vaincu.
En une série d'autres occasions, la supériorité de Bahá'u'lláh sur ses adversaires fut, de la même manière, justifiée et reconnue. Les victoires personnelles qu'il avait remportées servirent à renforcer sa position et à répandre au loin sa renommée. Toutes les classes de la société s'émerveillaient de le voir sortir miraculeusement indemne des rencontres les plus périlleuses. Seule la protection divine, pensait-on, pouvait lui garantir cette sécurité en de telles occasions. Pas une seule fois, Bahá'u'lláh ne céda, malgré les dangers les plus sérieux qui le menaçaient, à l'arrogance, à la cupidité et à la traîtrise de ceux qui l'entouraient. Dans les relations continuelles qu'il entretenait alors avec les plus hauts dignitaires du royaume, aussi bien ceux du clergé que les fonctionnaires de l'Etat, il ne se contenta jamais d'adhérer simplement aux idées que ceux-ci exprimaient, pas plus d'ailleurs qu'aux revendications qu'ils avançaient. Dans leurs réunions, il défendait avec une grande hardiesse la cause de la Vérité, faisant valoir les droits des opprimés, défendant les faibles et protégeant les innocents.

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NOTE DU CHAPITRE 5:

(5.1) Le kuláh, chapeau en laine d'agneau, différenciait le clergé des laïques, et était toujours porté par les officiels de l'Etat.

(5.2) Sa façon de parler (celle de Bahá'u'lláh) était comme "un torrent qui dévale", et sa clarté dans l'exposé amenait à ses pieds les théologiens les plus érudits. (Dr. T.K. Cheyne: "The Reconciliation of Races and Religions", p. 120.)



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CHAPITRE VI : voyage de Mullá Husayn en Khurásán

En disant adieu aux Lettres du Vivant, le Báb leur ordonna d'enregistrer séparément le nom de chaque croyant qui embrassait la foi et s'identifiait à ses enseignements. Il les avait priés d'envoyer la liste de ces croyants, sous enveloppes scellées, à son oncle maternel, Hájí Mírzá Siyyid 'Alí à Shiraz qui devait, à son tour, les lui remettre. "Je classerai ces listes, leur avait-il dit, en dix-huit séries de dix-neuf noms chacune. Chaque série constituera un váhid (6.1). Tous les noms contenus dans ces dix-huit séries constitueront ensemble, avec le premier váhid, composé de mon propre nom et de ceux des dix-huit Lettres du Vivant, le nombre de Kull-i-Shay'. (6.2) Je ferai mention de tous ces croyants dans la Tablette de Dieu, de façon qu'à chacun d'eux le Bien-Aimé de nos coeurs daigne, au jour où il sera monté sur le trône de gloire, conférer ses bénédictions inestimables, et les déclarer les habitants de son paradis."
A Mullá Husayn, plus particulièrement, le Báb donna l'ordre formel de lui envoyer un rapport écrit sur la nature et l'évolution de ses activités à Isfáhán, à Tihrán et dans le Khurásán. Il le pria de l'informer sur l'identité de ceux qui acceptaient la foi et s'y soumettaient, ainsi que de ceux qui rejetaient et répudiaient sa vérité. "Je ne quitterai pas cette ville pour accomplir mon pèlerinage à Hijáz avant d'avoir reçu votre lettre du Khurásán", lui avait-il dit.
Mullá Husayn, vivifié et revigoré par les visites qu'il avait faites à Bahá'u'lláh, partit pour le Khurásán. Durant sa tournée dans cette province, il manifesta d'une manière étonnante les effets de ce pouvoir régénérateur dont les paroles d'adieu du Báb l'avaient investi. (6.3) Le premier à embrasser la foi dans le Khurásán fut Mírzá Ahmad-i-Azghandí, le plus savant, le plus sage et le plus éminent des 'ulamás de cette province. Dans quelque réunion où il apparût, et quelque grand que fût le nombre ou représentatif le caractère du clergé qui y assistait, il était invariablement le principal orateur. Les nobles traits de son caractère, ainsi que son extrême dévotion avaient ennobli la réputation qu'il avait déjà acquise grâce à son érudition, à ses talents et à sa sagesse.

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PHOTO: vue 1 de la mosquée de Gawhar-shád à Mashhad, montrant la chaire d'où prêchait Mullá Husayn

PHOTO: vue 2 de la mosquée de Gawhar-shád à Mashhad, montrant la chaire d'où prêchait Mullá Husayn

PHOTO: vue 3 de la mosquée de Gawhar-shád à Mashhad, montrant la chaire d'où prêchait Mullá Husayn

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Le deuxième parmi les shaykhis du Khurásán à embrasser la foi fut Mullá Ahmad-i-Mu'allim qui, lors de son séjour à Karbilá, avait été le précepteur des enfants de Siyyid Kázim. Après lui, vinrent Mullá Shaykh 'Alí, que le Báb surnomma 'Azirn, puis Mullá Mírzá Muhammad-i-Fúrúghí, dont le savoir n 'était surpassé que par celui de Mírzá Ahmad. Personne, à part ces figures marquantes parmi les chefs ecclésiastiques du Khurásán, ne jouissait d'une autorité suffisante ni ne possédait le savoir nécessaire pour défier les arguments de Mullá Husayn.
Mírzá Muhammad Báqir-i-Qá'iní qui, pour le restant de ses jours, avait établi sa résidence à Mashhad vint, après eux, embrasser le message. L'amour Báb embrasa son âme d'un feu si dévorant que personne ne put résister à sa force, ni minimiser son influence. Son intrépidité, son énergie prodigieuse, sa loyauté à toute épreuve et l'intégrité de sa vie concoururent à faire de lui la terreur de ses ennemis et une source d'inspiration pour ses amis. Il mit sa maison à la disposition de Mullá Husayn, arrangea des entrevues séparées entre celui-ci et les 'ulamás de Mashhad, et continua à faire de son mieux pour éliminer chaque obstacle susceptible d'entraver le progrès de la foi. Il fut infatigable dans ses efforts, ferme dans son but et inépuisable dans son énergie. Il poursuivit inlassablement son oeuvre pour sa cause bien-aimée jusqu'à la dernière heure de sa vie, lorsqu'il tomba martyr au fort de Shaykh Tabarsí. Durant ses derniers jours, Quddús lui avait demandé, après la mort tragique de Mullá Husayn, d'assumer le commandement des héroïques défenseurs de ce fort. Il s'acquitta glorieusement de sa tâche. Sa maison, située à Bálá-Khíyábán, dans la ville de Mashhad est, jusqu'à nos jours, connue sous le nom de Bábíyyih. Quiconque y entre ne pourra jamais échapper à l'accusation d'être Bábi. Que son âme repose en paix!
Dès qu'il eut gagné à la cause des défenseurs aussi capables et dévoués, Mullá Husayn décida d'adresser au Báb un rapport écrit au sujet de ses activités. Dans sa communication, il rapporta en détail son séjour à Isfáhán et à Káshán, rendit compte de son expérience avec Bahá'u'lláh, parla du départ de ce dernier pour le Mázindarân, relata les événements de Nur et informa le Báb des succès qui avaient couronné ses efforts personnels dans le Khurásán. Il joignit une liste des noms de ceux qui avaient répondu à son appel et dont il était certain de la fermeté et de la sincérité. Il envoya sa lettre par la ville de Yazd et par l'intermédiaire des associés sûrs de l'oncle maternel du Báb, qui résidaient alors à Tabas.

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Cette lettre parvint au Báb la nuit précédant le vingt-septième jour de ramadán, (6.4) nuit fêtée avec grand respect par toutes les sectes de l'islám et considérée par beaucoup comme l'égale, quant au caractère sacré, du Laylatu'l-Qadr lui-même, la nuit qui, d'après les termes du Qur'án, "surpasse un millier de mois". (6.5) Quand cette lettre parvint au Báb cette nuit-là, il se trouvait uniquement en compagnie de Quddús, avec qui il partagea un certain nombre de ses passages.
J'ai entendu Mírzá Ahmad relater ce qui suit: "L'oncle maternel du Báb lui-même me décrivit les circonstances dans lesquelles le Báb reçut la lettre de Mullá Husayn: "Cette nuit-là, je vis des marques de joie et de bonheur lles sur le visage du Báb et sur celui de Quddús, que je suis incapable de les décrire. J'entendis souvent le Báb, en ce temps-là, répéter avec exultation ces paroles: "Combien merveilleux, combien extrêmement merveilleux est ce qui survint entre les mois de jaMádí et rajab!" Comme il lisait la communication que lui avait adressée Mullá Husayn, il se tourna vers Quddús et, lui montrant certains passages de cette lettre, expliqua le motif de ses expressions de joie et de surprise. Moi, pour ma part, je restais complètement inconscient de la nature de cette explication."
Mírzá Ahmad, sur qui le récit de cet événement avait produit une profonde impression, se décida à en sonder le mystère. "Je ne pus satisfaire ma curiosité que lorsque je rencontrai Mullá Husayn à Shiraz", me dit-il. Lorsque je lui eus répété le récit que m'avait fait l'oncle du Báb, il sourit et dit qu'il se rappelait parfaitement qu'entre les mois de jamádí et de rajab, il se trouvait par hasard à Tihrán. Il ne donna aucune autre explication et se contenta de cette brève remarque. Cela suffit toutefois à me convaincre que, dans la ville de Tihrán gisait un mystère qui, lors de sa révélation au monde, apporterait une joie inexprimable au coeur du Báb et à celui de Quddús.
Les références faites par Mullá Husayn à la réponse positive et immédiate de Bahá'u'lláh au message divin, à la vigoureuse campagne que celui-ci avait personnellement menée à Nur, et aux merveilleux succès qui avaient couronné ses efforts consolèrent et réjouirent le Báb, et renforcèrent sa Confiance en l'ultime victoire de sa cause. Il était désormais assuré que, s'il venait soudain à tomber victime de la tyrannie de ses ennemis et à quitter ce monde, la cause qu'il avait révélée vivrait; que, sous la direction de Bahá'u'lláh, elle continuerait à se développer et à prospérer, et qu'elle porterait finalement ses plus beaux fruits. La main de maître de Bahá'u'lláh dirigeait son cours et l'influence dominante de son amour l'établirait dans le coeur des hommes.

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PHOTO: vue 1 du "babiyyih" de Mashhad

PHOTO: vue 2 du "babiyyih" de Mashhad

Une telle conviction fortifiait son esprit et l'emplissait d'espérance. A partir de ce moment, ses craintes quant à l'imminence d'un péril ou d'un danger le quittèrent complètement. Tel un phénix, il accueillit avec joie le feu de l'adversité et se fit gloire de l'éclat et de la chaleur de sa flamme.

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NOTE DU CHAPITRE 6:

(6.1) La valeur numérique du mot "váhid", qui signifie "unité", est 19.

(6.2) La valeur numérique de "Kull-i-Shay", qui signifie "toutes choses", est 361, ou 19 x 19.

(6.3) Le pèlerin mettait à profit, suivant son usage, un séjour, qu'il prolongeait au besoin, dans tous les villages, les bourgs et les villes de sa route, pour tenir des conférences, argumenter contre les mullás, faire connaître les livres du Bab et prêcher ses doctrines. Partout on l'appelait, on l'attendait avec impatience; il était recherché avec curiosité, écouté avidement, cru sans beaucoup de peine. Ce fut surtout à Nishápúr qu'il fit deux conversions importantes, dans les personnes de Mullá 'Abdu'l-Kháliq de Yazd, et de Mullá 'Alí le Jeune. Le premier de ces docteurs avait été élève de Shaykh Ahmad-i-Ahsá'i. C'était un personnage célèbre par sa science, par son éloquence et par son crédit sur le peuple. L'autre, Shaykhí comme le premier, de moeurs sévères et de grande considération, occupait le poste considérable de principal mujtahid de la ville. Tous deux devinrent Babis acharnés et firent retentir le chaires des mosquées des prédications les plus violentes contre l'Islám. Pendant quelques semai , on eût pu croire que la religion ancienne était décidément vaincue. Le clergé, démoralisé pat la défection de son chef, effrayé des discours publics qui le ménageaient si peu, ou n'osait se montrer ou avait pris la fuite. Quand Mullá Husayn-i-Bushrú'i arriva à Mashhad, il trouva, d'une part, la population émue et divisée à son sujet; de l'autre, le clergé averti, très inquiet, mais poussé à bout et décidé à opposer une vigoureuse résistance aux attaques dont il allait être l'objet. (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 139-40.)

(6.4) Correspondant à la nuit précédant le 10 octobre 1844 ap. J.-C.

(6.5) Le Laylatu'l-Qadr, qui signifie littéralement la "nuit du pouvoir", est l'une des dix dernières nuits du ramadán et, comme on le croit généralement, la septième de ces nuits en comptant à l'envers.



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CHAPITRE VII : le pèlerinage du Bab à La Mecque et à Médine

La lettre de Mullá Husayn décida le Báb à entreprendre le pèlerinage qu'il avait l'intention de faire à Hijáz. Confiant sa femme à sa mère et les laissant toutes deux aux soins et sous la protection de son oncle maternel, il rejoignit le groupe de pèlerins du Fárs qui se préparaient à quitter Shiraz pour La Mecque et Médine. (7.1) Quddús fut son unique compagnon avec le domestique éthiopien, son serviteur personnel. Il se rendit d'abord à Búshihr, siège du commerce de son oncle où, dans le passé, en étroite association avec celui-ci, il avait mené la vie d'un humble marchand. Ayant terminé les arrangements préliminaires à son long et pénible voyage, il s'embarqua sur un bateau à voiles qui, après deux mois de navigation lente, instable, semée de tempêtes, l'amena sur les rivages de cette terre sacrée. (7.2) La haute mer et l'absence totale de confort ne purent ni interrompre la régularité de ses dévotions, ni troubler la paix de ses méditations et de ses prières. Oublieux de la tempête qui faisait rage autour de lui, et nullement ébranlé par le mal qui s'était emparé de ses compagnons de pèlerinage, il continua à occuper son temps à dicter à Quddús les prières et les Epîtres qu'il se sentait appelé à révéler.

PHOTO: dessin représentant La Mecque

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J'ai entendu Hájí Abu'l-Hasan-i-Shirazí, qui voyageait sur le même bateau que le Báb, décrire les circonstances de cette mémorable traversée: "Pendant toute la durée du voyage, soit environ deux mois, affirma-t-il, du jour où nous nous embarquâmes à Búshihr jusqu'à celui où nous débarquâmes à Jaddih, le port du Hijáz, chaque fois que, de nuit ou de jour, j'eus l'occasion de rencontrer soit le Báb, soit Quddús,jeles trouvai invariablement ensemble, absorbés tous deux par leur travail. Le Báb semblait dicter, et Quddús était occupé à prendre note de toutes les paroles qui tombaient de ses lèvres. Même au moment où a panique semblait s'être emparée des passagers de ce voilier ballotté par la tempête, on les voyait poursuivre leurs travaux avec une confiance et un calme imperturbables. Ni la violence des éléments, ni le tumulte des gens qui les entouraient ne pouvaient troubler la sérénité de leur expression, ni les détourner de leur but."
Le Báb lui-même, dans le Bayan persan, (7.3) fait allusion aux épreuves de ce voyage. "Durant des jours, écrit-il, nous avons souffert de la pénurie d'eau. Je devais me contenter de jus de citron doux." Du fait de cette expérience, il supplia le Tout-Puissant de permettre que les voyages transocéaniques puissent être améliorés au plus vite, les épreuves diminuées et les périls totalement éliminés. Et un temps très court, après que cette prière fut offerte, les signes d'une remarquable amélioration dans toutes les formes de transports maritimes se multiplièrent et le golfe Persique, qui ne possédait alors qu'un unique bateau à vapeur, se vante à présent de posséder une flotte de transatlantiques extrêmement confortables qui peuvent, en l'espace de quelques jours, transporter les habitants du Fárs au cours de leur pèlerinage annuel au Hijáz.
Les peuples de l'Occident, chez qui les premiers signes de cette grande révolution industrielle s'étaient manifestés, ne connaissent pas, hélas, jusqu'à présent la source de laquelle émane ce puissant courant, cette grande force animatrice, une force qui a révolutionné tous les aspects de leur vie matérielle. Leur propre histoire témoigne du fait que, pendant l'année qui vit cette glorieuse révélation poindre à l'horizon, apparurent soudain les signes d'une révolution économique et industrielle que les gens eux-mêmes jugent sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Préoccupés des détails du fonctionnement et de la mise au point de ce mécanisme nouvellement conçu, ils ont graduellement perdu de vue la source et l'objet de cette formidable force que le Tout-Puissant leur a confiée.

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Ils semblent l'avoir cruellement mal employée et en avoir mal compris la fonction. Destinée à conférer aux habitants de l'Ouest les bénédictions de la paix et du bonheur, elle a été utilisée par eux dans le but de promouvoir les intérêts de la destruction et de la guerre.
A son arrivée à Jaddih, le Báb revêtit l'habit de pèlerin, monta à dos de chameau et partit à destination de La Mecque. Quddús, cependant, malgré le désir maintes fois réitéré par son maître, préféra l'accompagner à pied tout au long du parcours allant de Jaddih à la ville sainte. Tenant à a main la bride du chameau que montait le Báb, il poursuivit sa marche joyeusement et pieusement, pourvoyant aux besoins de son maître, totalement indifférent aux fatigues de sa pénible marche. Toutes les nuits, du soir jusqu'au lever du jour, Quddús, sacrifiant confort et sommeil, avec une vigilance sans relâche montait la garde aux côtés de son maître, prêt à exaucer ses désirs et à assurer les moyens nécessaires à sa protection et sa sécurité.
Un jour alors que le Báb était descendu de sa monture près d'un puits afin d'offrir sa prière du matin, un bédouin nomade, apparut soudain à l'horizon, s'approcha de lui et, saisissant la sacoche posée à ses côtés, à même le sol et qui contenait ses Ecrits et ses papiers, disparut dans le désert inconnu. Le serviteur éthiopien se mit à le poursuivre, mais il en fut empêché par le Báb qui, tout en priant, lui fit signe de la main de renoncer à sa poursuite. "Si je t'avais laissé faire", lui assura-t-il plus tard avec affection, "tu l'aurais certainement rattrapé et puni.. Mais il ne le fallait pas. Les papiers et les Ecrits que contenait ce sac sont destinés à parvenir, par le truchement de cet Arabe, en des lieux que nous n'aurions jamais réussi à atteindre. Ne sois donc pas affligé de ce qu'il a fait car c'était le décret de Dieu, l'Ordonnateur, le Tout-Puissant." Plus d'une fois, par la suite, le Báb chercha, en des occasions similaires, à rassurer ses amis par de telles réflexions. Par des paroles semblables à celles-ci, il transformait l'amertume du regret et du ressentiment en un consentement radieux au dessein de Dieu et en une joyeuse soumission à sa volonté.
Le jour d'`arafát, (7.4) le Báb, recherchant la retraite paisible de sa cellule, consacra tout son temps à la méditation et à l'adoration. Le lendemain, le jour de Nahr, après avoir psalmodié la prière de fête, il partit à Muná où, suivant une ancienne coutume, il acheta dix neuf agneaux de la plus belle race; en sacrifia neuf en son propre nom, sept en celui de Quddús et trois au nom de son serviteur éthiopien.

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Il refusa de manger de la viande provenant de ce sacrifice consacré, préférant la distribuer généreusement aux pauvres et aux nécessiteux du voisinage.
Bien que le mois de dhi'l-hijjih, (7.5) le mois du pèlerinage à La Mecque et à Médine, coïncidât cette année-là avec le premier mois de l'hiver, la chaleur était encore si intense dans cette région que les pèlerins qui faisaient le tour du tombeau sacré furent incapables d'accomplir ce rite avec leurs vêtements habituels. C'est enveloppés d'une ample et légère tunique qu'ils prirent part à la célébration de la fête. Le Báb, cependant refusa, en signe de déférence, de se séparer de son turban et de son manteau.


PHOTO: robe du Báb se portant sous le jubbih

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PHOTO: bonnet autour duquel était enroulé le turban du Bab

Vêtu comme à l'accoutumée, avec la plus grande dignité, un calme parfait, une simplicité et une révérence extrêmes, il fit le tour de la Ka'bih et accomplit tous les rites d'adoration prescrits.
Le dernier jour de son pèlerinage à La Mecque, le Báb rencontra Mírzá Muhít-i-Kirmání. Celui-ci se tenait debout en face de la Pierre Noire lorsque le Báb s'approcha de lui et, lui prenant la main, s'adressa à lui en ces termes: "O Muhít! Vous vous considérez comme l'une des figures les plus marquantes de la communauté shaykhie et comme un éminent interprète de ses enseignements. Dans votre coeur, vous prétendez même être l'un des successeurs directs et l'un des héritiers légitimes de ces deux grandes Lumières, ces Etoiles qui ont annoncé l'aube de la direction divine. Regardez, nous sommes tous deux à présent debout à l'intérieur de ce mausolée très sacré. A l'intérieur de son enceinte sanctifiée, celui dont l'esprit demeure en ce lieu peut immédiatement faire connaître la Vérité, la distinguer de l'erreur, et séparer la droiture de l'égarement. En vérité, je le déclare, personne à part moi en ce jour, ni à l'Est ni à l'Ouest, ne peut prétendre être la Porte qui mène les hommes à la connaissance de Dieu. Ma preuve n'est autre que celle par laquelle la vérité du Prophète a été établie. Demandez-moi tout ce qu'il vous plaît; maintenant, à cet instant même, je m'engage à révéler des versets tels qu'ils pourront démontrer la vérité de ma mission. Vous devez choisir entre la soumission sans réserve à ma cause et le rejet total de celle-ci. Vous n'avez pas d'autre alternative. Si vous décidez de répudier mon message, je n'abandonnerai pas votre main avant que vous ayez donné votre parole de déclarer publiquement votre reniement de la vérité que j'ai proclamée. Ainsi, celui qui dit la vérité sera-t-il connu, et celui qui proclame l'erreur sera-t-il condamné à la misère et à la honte éternelles. Alors la voie de la vérité sera révélée et manifestée à tous les hommes".

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PHOTO: vêtement porté par le Bab lorsqu'il tourna autour de la Ka'bih (kabah)

Ce défi péremptoire, lancé de manière si inattendue par le Báb à Mírzá Muhít-i-Kirmáni, inquiéta profondément celui-ci. Il était écrasé par sa netteté, sa majesté et sa force irrésistibles. En présence de ce jeune homme, lui, malgré son âge, son autorité et son savoir, se sentait comme un faible oiseau, prisonnier des griffes d'un aigle puissant. Confus et envahi par la peur, il répondit: "Mon seigneur, mon maître!

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Depuis le jour où mes yeux vous ont contemplé à Karbilá, il me semble que j'ai enfin trouvé et reconnu celui qui avait été l'objet de ma recherche. Je renonce à quiconque a omis de vous reconnaître et méprise celui dans le coeur duquel réside encore le moindre doute quant à votre pureté et à votre sainteté. Je vous prie de ne pas considérer ma faiblesse et vous supplie de me guider dans la perplexité où je rue trouve. Plût à Dieu que je puisse, en ce lieu même, dans l'enceinte de ce tombeau sacré, jurer ma loyauté envers vous et me lever pour faire triompher votre cause. Si je devais ne pas être sincère dans ma déclaration, si je devais, dans mon coeur, désavouer ce que ma bouche proclame, je me sentirais complètement indigne de la grâce du Prophète de Dieu et considérerais mon acte comme un geste manifeste de déloyauté envers 'Alí, son successeur élu."
Le Báb, qui écoutait attentivement ses paroles et qui était bien conscient de sa faiblesse et de la pauvreté de son âme, répondit: "En vérité je le dis, la Vérité est désormais connue et distinguée de l'erreur. Ô tombeau du Prophète de Dieu, et toi, ô Quddús, qui avez cru en moi! Je vous prends tous deux, en cette heure, pour mes témoins. Vous avez vu et entendu ce qui vient de se passer entre moi et lui. Je fais appel à vous deux pour en témoigner, et Dieu en vérité, est, au-delà et au-dessus de vous, mon témoin sûr et ultime. Il est celui qui voit tout, qui sait tout, le Très-Sage. Ô Muhít! Exposez tout ce qui trouble votre esprit et, avec l'aide de Dieu, je délierai ma langue et entreprendrai de résoudre vos problèmes afin que vous puissiez témoigner de l'excellence de mon verbe et réaliser que nul, à part moi, n'est capable de manifester ma sagesse.
Mírzá Muhít répondit à l'invitation du Báb et lui soumit ses questions. Invoquant la nécessité de son départ immédiat pour Médine, il exprima le souhait de recevoir, avant son départ de cette ville, le texte de la réponse promise. "J'accéderai à votre demande, lui assura le Báb. Sur le chemin de Médine, je révélerai, avec l'aide de Dieu, ma réponse à vos questions. Si je ne vous rencontre pas dans cette ville, ma réponse vous parviendra certainement dès votre arrivée à Karbilá. Je m'attends à ce que vous fassiez ce que vous dicteront la justice et l'équité. Si vous agissez bien, cela tournera à votre avantage et si vous agissez mal, ce sera contre vous-même que vous le ferez. Dieu est, en vérité, indépendant de toutes ses créatures." (7.6)
Mírzá Muhít, avant de partir, exprima de nouveau sa ferme résolution de tenir sa promesse solennelle. "Je ne partirai jamais de Médine, quoi qu'il m'advienne, assura-t-il au Báb, avant d'avoir accompli le pacte que j'ai conclu avec vous."

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Comme un grain de poussière balayé par le vent, il disparut de la présence du Báb, terrifié, incapable de résister à la majesté écrasante de la révélation proclamée par celui-ci. Il passa quelque temps à Médine et, oublieux de ses engagements et dédaignant les exhortations de sa conscience, partit pour Karbilá.
Le Báb, fidèle à sa promesse, révéla, sur le chemin de La Mecque à Médine, sa réponse écrite aux questions qui avaient troublé l'esprit du Mírzá Muhít, et l'intitula Sahífiy-i-Baynu'l-Haramayn. (7.7) Mírzá Muhít qui la reçut aux premiers jours de son arrivée à Karbilá, demeura indifférent au ton de ce message et refusa d'en reconnaître les préceptes qui y étaient inculqués. Son attitude envers la foi fut marquée par une opposition cachée et persistante. Par moment, il se déclarait le disciple et le défenseur de cet adversaire notoire du Báb, Hájí Mírzá Karím Khán; en d'autres occasions, il revendiquait pour lui-même le rang d'un chef indépendant. Vers la fin de ses jours, alors qu'il résidait en 'Iraq, il exprima, par l'intermédiaire d'un des princes iraniens demeurant à Baghdád, le désir de rencontrer Bahá'u'lláh, feignant de se soumettre à lui. Il demanda que cette entrevue projetée fût considérée comme strictement confidentielle. "Dites-lui, répondit Bahá'u'lláh, que pendant les jours de rua retraite dans les montagnes de Sulayminíyyih, j'ai énoncé, dans une ode de ma composition, les conditions essentielles requises de chaque voyageur qui parcourt le sentier de la recherche en quête de la Vérité. Partagez avec lui ce verset de mon ode qui dit: "Si ton but est de chérir ta vie, ne t'approche pas de notre cour, mais si le désir de ton coeur est de te sacrifier, viens et laisse autrui venir avec toi. Car tel est le chemin de la foi si, dans ton coeur, tu cherches la réunion avec Bahá; si tu refuses de parcourir ce sentier, pourquoi nous tourmenter? Va-t-en!" S'il le veut, il se hâtera de venir à moi ouvertement et sans réserve; sinon, je refuse de le voir." La réponse sans équivoque de Bahá'u'lláh déconcerta Mírzá Muhít. Incapable de s'opposer aux directives, et ne voulant pas s'y conformer, il partit pour sa résidence à Karbilá, le jour même où il reçut ce message. Dès son arrivée, il tomba malade et mourut trois jours plus tard.
À peine le Báb eut-il accompli le dernier des rites en liaison avec son pèlerinage à La Mecque qu'il adressa au sharaf de cette ville sainte une épître dans laquelle il exposait, en termes clairs et sans équivoque, les traits marquants de sa mission et l'appelait à se lever pour embrasser sa cause. Il remit à Quddús cette lettre ainsi que certaines parties choisies de ses autres Ecrits, et lui dit de les présenter au sharaf.

<P133>

Ce dernier cependant, trop absorbé par ses propres occupations matérielles pour prêter l'oreille aux paroles que lui adressait le Báb, ne répondit pas à l'appel du message divin. L'on a entendu Hájí Níyáz-i-Baghdádí relater ce qui suit: "En l'an 1267 après l'hégire, (7.8) j'entrepris un pèlerinage en cette ville sainte, où j'eus le privilège dá rencontrer le sharaf. Au cours de notre conversation, celui-ci me mit: "Je me souviens qu'en l'an 60, pendant la saison du pèlerinage, un-jeune homme vint me rendre visite. Il me présenta un livre cacheté que j'acceptai volontiers mais que je ne pus lire, car j'étais alors trop occupé. Quelques jours plus tard, je rencontrai à nouveau ce même jeune homme, qui me demanda si j'avais une réponse à donner à son offre. Le poids du travail m'avait de nouveau empêché d'examiner le contenu de ce livre. Je ne pus, en conséquence, lui donner une réponse satisfaisante. Lorsque la saison du pèlerinage fut terminée, un jour, alors que je triais mes lettres, mon regard tomba par hasard sur ce livre. Je l'ouvris et trouvai, dans ses pages d'introduction, une homélie touchante et superbement écrite, qui était suivie de versets dont le ton et le langage ressemblaient, de manière frappante, à ceux du Qur'an. Tout ce que je déduisis de la lecture du livre, c'est que, d'entre les habitants de la Perse, un homme de la descendance de Fátimih et de la famille de Háshim avait lancé un nouvel appel et annonçait à tous les hommes l'apparition du Qá'im
promis. J'ignorais toujours, cependant, le nom de l'auteur de ce livre et les circonstances qui avaient marqué cet appel." "Une grande agitation, remarquai-je, s'est en effet emparée de ce pays au cours des
dernières années. Un jeune homme, descendant du Prophète et commerçant de profession, a prétendu que ses paroles étaient la voix de l'inspiration divine. Il a publiquement affirmé qu'en l'espace de quelques jours, pouvaient jaillir de ses lèvres des versets en si grand nombre et d'une excellence telle qu'ils surpasseraient en volume et en beauté, le Qur'án lui-même, oeuvre à la révélation de laquelle
Muhammad avait mis non moins de vingt-trois ans. Une foule de personnes, des grands comme des humbles, des civils comme des ecclésiastiques, d'entre les habitants de la Perse se sont ralliées autour de son étendard et se sont volontairement sacrifiées sur son sentier. Ce jeune homme, durant l'année écoulée, dans les derniers jours du mois de sha'bán, (7.9) endura le martyre à Tabríz, dans la province d'Ádhirbáyján. Ceux qui le persécutèrent avaient cherché par ce moyen à éteindre la lumière qu'il avait allumée dans ce pays. Depuis son martyre, cependant, son influence s'est étendue à toutes les classes de la société."

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Le sharaf, qui écoutait attentivement, exprima son indignation devant le comportement de ceux qui avaient persécuté le Báb. "Que la malédiction de Dieu soit sur ces viles personnes, s'exclama-t-il, qui, dans le passé, traitèrent de la même façon nos saints et illustres ancêtres!" Par ces paroles, le sharaf mit fin à notre entretien."
De La Mecque le Báb se rendit à Médine. Le premier jour du mois de muharam de l'an 1261 après l'hégire (7.10) le trouva en route vers cette ville sainte. Comme il s'en approchait, il se rappela les événements mouvementés qui avaient immortalisé le nom de celui qui avait vécu et était mort à l'intérieur de ses murs. Ces scènes, qui portaient un éloquent témoignage à la force créatrice de ce génie immortel semblèrent se renouveler, avec une égale splendeur, devant ses yeux. Il se mit à prier en s'approchant de ce saint sépulcre qui renfermait la dépouille mortelle du Prophète de Dieu. Il se souvint aussi, en foulant ce sol sacré, de ce brillant héraut de sa propre dispensation. Il savait que, dans le cimetière de Baqí`, non loin du tombeau de Muhammad, étaient ensevelis les restes de Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í, le précurseur de sa propre révélation qui, après une vie pleine de service, avait décidé de passer le restant de ses jours dans l'enceinte de ce tombeau sacré. Il eut aussi la vision de ces saints hommes, ces pionniers et ces martyrs de la foi, qui étaient glorieusement tombés sur le champ de bataille et qui, de leur propre sang, avaient consacré le triomphe de la cause de Dieu. Leurs restes sacrés semblaient se ranimer au doux passage de ses pieds. Leurs silhouettes semblaient avoir été remuées par le souffle vivifiant de sa présence. Elles le regardaient comme si elles s'étaient levées à son approche, se précipitant vers lui pour lui exprimer leur bienvenue. Elles paraissaient lui adresser ce fervent appel: "Ne retourne pas à ton pays natal, nous t'en supplions, O toi, le Bien-Aimé de nos coeurs! Reste parmi nous car, ici, loin du tumulte de tes ennemis qui te guettent, tu seras sain et sauf. Nous craignons pour toi. Nous redoutons les complots et les machinations de tes ennemis. Nous tremblons à la pensée que leurs âmes pourraient être damnées pour l'éternité à cause de leurs actes." "Ne craignez rien", répondit l'esprit indomptable du Báb: "Je suis venu en ce monde pour porter témoignage de la gloire du sacrifice. Vous êtes conscients de l'intensité de mon désir; vous réalisez le degré de mon renoncement. Non, suppliez le Seigneur notre Dieu de précipiter l'heure de mon martyre et d'accepter mon sacrifice. Réjouissez-vous car Quddús et moi serons tous deux immolés sur l'autel de notre dévotion envers le Roi de gloire.

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Le sang que nous sommes destinés à verser sur son sentier arrosera et vivifiera le jardin de notre immortelle félicité. Les gouttes de ce sang consacré seront la semence de laquelle sortira le puissant Arbre de Dieu, l'Arbre qui réunira, sous son ombre embrassant toutes choses, les peuples et les tribus de la terre. Ne vous attristez donc pas si je quitte ce pays, car je me hâte d'accomplir ma destinée."

PHOTO: dessin représentant Médine

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NOTE DU CHAPITRE 7:

(7.1) D'après le récit de Hájí Mu'ínu's-Saltanih (p. 72), le Bab partit pour sou pèlerinage à La Mecque et à Médine au mois de shavvâl de l'au 1260 après l'hégire (octobre 1844 après J-C.)

(7.2) Il garda de son voyage la plus mauvaise impression. "Sache que les routes de la mer sont pénibles nous ne les aimons pas pour nos fidèles : voyage sur les routes terrestres," écrit-il dans le Kitáb-i-Baynu'l-Haramayn, en s'adressant à son oncle, comme nous allons le voir tout à l'heure. Il reviendra longuement sur ce sujet dans le Bayán. Qu'on ne croie pas ici à un enfantillage: le sentiment qui guide le Bab dans cette horreur de la mer est plus noble et plus élevé. Frappé de l'égoïsme des pèlerins, égoïsme exaspéré pat la gêne et les dangers d'un voyage sur mer, frappé également de l'état de saleté dans lequel sont obligés de vivre les voyageurs sur le pont, il veut éviter aux hommes l'occasion de donner cours à leurs mauvais instincts et de se rudoyer mutuellement.

On sait que l'Apôtre recommande expressément la politesse, la courtoisie la plus raffinée dans les rapports sociaux: "Ne contristez qui que ce soit pour quoi que ce soit". Et il fut, durant ce voyage, à même de constater la méchanceté de l'homme et sa brutalité quand il se trouve en face des circonstances difficiles : "Car la chose la plus triste que je vis dans mon pèlerinage à La Mecque était les constantes disputes des pèlerins entre eux, disputes qui leur enlevaient les bénéfices moraux de leur pèlerinage." (Bayán, 4: 16). Il arriva donc à Mascate où il se reposa quelques jours durant lesquels il chercha à convertir les gens du pays - sans y réussir. Il s'adressa à l'un d'entre eux, un religieux probablement et de rang élevé, dont la conversion eût pu entraîner celle de ses concitoyens; je le suppose du moins, car il ne nous donne à ce sujet aucun détail; il est évident qu'il ne dut pas chercher à convertir le premier venu qui n'aurait eu aucune influence sur les autres habitants de la ville.

Qu'il ait tenté une conversion et qu'il n'y ait pas réussi, la chose est indiscutable, puisqu'il l'affirme lui-même: La mention de Dieu, en vérité, descendit sur la terre de Mascate, et fit parvenir l'ordre de Dieu à l'un des habitants du pays: il se pouvait qu'il comprit nos versets et devint l'un de ceux qui sont guidés. Dis : Il obéit cet homme à ses passions après avoir lu nos versets: et en vérité, cet homme est, selon l'ordre du Livre, au nombre des Transgresseurs. Dis: nous n'avons pas vu à Mascate des gens du Livre qui l'aient aidé, car ils sont des ignorants perdus. Et il en fut de même pour tous ceux qui se trouvaient sur le bateau, si ce n'est l'un d'entre eux qui crut à nos versets et devint de ceux qui craignent Dieu." (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 207-8.)

(7.3) "C'est ainsi que moi-même, j'ai vu dans le voyage de La Mecque, un personnage qui dépensait des sommes considérables, mais hésitait devant la dépense d'un verre d'eau pour son compagnon de route qui habitait avec lui. Cela se passait sur le bateau, et l'eau y était rare, de telle sorte que moi-même, dans le voyage de Búshihr à Mascate, qui dura douze jours pendant lesquels on ne put faire d'eau, je dus me contenter de citrons doux." ("Le Bayán persan", vol. Il, p. 154.) "Ou ne peut s'imaginer sur mer rien autre chose que la gêne: ou n'y peut avoir tous les objets nécessaires comme pour ou voyage sur terre... Les gens de mer sont bien forcés (d'y vivre) mais, par leurs actions, ils se rapprochent davantage de Dieu, et Dieu récompense les bonnes actions faites tant sur terre que sur mer, mais il double les récompenses de celles accomplies par ou de ses esclaves sur mer du fait que leur travail est plus pénible." (Ibidem pp. 155-6). J'y ai vu (dans la route de La Mecque) des actes plus vils qu'aucun acte aux yeux de Dieu, et qui étaient cause que la bonne action qu'ils faisaient (eu allant au pèlerinage) était vaine. C'étaient des disputes entre pèlerins! Eu tout état de cause, des disputes de ce genre sont interdites... Vraiment la maison de Dieu n'a pas besoin de pareilles gens pour venir tourner autour d'elle!" (Ibidem, p. 155.)

(7.4) Le jour précédant la fête.

(7.5) Décembre 1844 ap. J-C.

(7.6) Versets du Qur'án.

(7.7) "L'Épître entre les deux tombeaux."

(7.8) 1850-51 ap. J-C.

(7.9) Juillet 1850 ap. J-C.

(7.10) Vendredi, le 10 janvier 1845 ap. J-C.



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CHAPITRE VIII : le séjour du Báb à Shiraz après le pèlerinage

A visite du Báb à Médine marqua la dernière étape de son pèlerinage au Hijáz. De cette ville, il retourna à Jaddih et, par mer, regagna sa terre natale. Il débarqua à Búshihr neuf mois lunaires après son embarquement dans ce même port, en vue de son pèlerinage. Dans le même khán (8.1) qu'il avait occupé auparavant, il reçut ses amis et ses parents qui étaient venus le saluer et lui souhaiter la bienvenue. Alors qu'il se trouvait encore à Búshihr, il appela Quddús auprès de lui et, avec une gentillesse extrême, le pria de partir pour Shiraz. "Les jours de notre association tirent à leur fin, dit-il. L'heure de la séparation a sonné, une séparation qui ne sera suivie d'aucune réunion si ce n'est dans le royaume de Dieu, en présence du Roi de gloire. En ce monde de poussière, il ne vous a été accordé que neuf mois éphémères d'association avec moi. Sur les rivages du grand au-delà, cependant, dans le royaume de l'immortalité, la joie de la réunion éternelle nous attend. La main du destin vous plongera bientôt dans un océan de tribulations endurées pour son amour. Moi aussi, je vous suivrai; moi aussi, je serai plongé dans les profondeurs de cet océan. Que votre joie soit immense car vous avez été choisi comme porte-étendard de l'armée de l'affliction, vous vous tenez à l'avant de cette noble armée qui connaîtra le martyre en son nom. Dans les rues de Shiraz, vous serez accablé d'affronts, et votre corps sera affligé des blessures les plus graves. Vous survivrez au traitement ignominieux de vos ennemis et parviendrez auprès de celui qui est l'unique objet de notre adoration et de notre amour. En sa présence, vous oublierez tous les maux et toutes les disgrâces qui vous auront été infligés. Les armées de l'Invisible se précipiteront à votre secours et proclameront au monde entier votre héroïsme et votre gloire. A vous, appartiendra alors l'ineffable joie de boire à la coupe du martyre pour son amour. Moi aussi, je foulerai le chemin du sacrifice et vous rejoindrai dans le royaume d'éternité. Le Báb lui remit alors une lettre qu'il avait écrite à Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, son oncle maternel, et dans laquelle il avait informé celui-ci de son retour sain et sauf, à Búshihr.

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Il lui Confia aussi une copie du Khasá'il-i-SaBábih, (8.2) un traité dans lequel il avait exposé les conditions essentielles exigées de ceux qui étaient parvenus à la connaissance de la nouvelle révélation et en avaient reconnu les affirmations. En lui disant son dernier adieu, il lui demanda de transmettre ses salutations à chacun de ceux qu'il aimait à Shiraz.
Quddús, fermement déterminé à accomplir les voeux exprimés par son maître, quitta Búshihr. En arrivant à Shiraz, il fut affectueusement accueilli par Hájí Mírzá Siyyid 'Alí qui l'invita chez lui et s'informa avec empressement de la santé et des actes de son parent bien-aimé. Le trouvant réceptif à l'appel du nouveau message, Quddús le mit au courant de la nature de la révélation par laquelle le jeune homme avait déjà enflammé son âme. L'oncle maternel du Báb, à la suite des efforts déployés par Quddús, fut le premier, après les Lettres du Vivant, à embrasser la cause à Shiraz. Comme la pleine signification de la foi naissante était demeurée cachée jusqu'alors, il ignora la portée de ses implications et de sa gloire. Sa conversation avec Quddús dissipa cependant le voile de ses yeux. Sa foi devint si ferme et son amour pour le Báb si profond, qu'il consacra sa vie à son service. Avec une vigilance soutenue, il se leva pour défendre sa cause et protéger sa personne. Dans ses efforts continus, ils négligea la fatigue et brava la mort. Bien que reconnu comme éminente personnalité parmi les hommes d'affaires de cette ville, il ne permit jamais que les considérations matérielles le gênassent dans sa responsabilité spirituelle de sauvegarder la personne de son neveu bien-aimé et de faire avancer sa cause. Il persévéra dans sa tâche jusqu'au jour où, se joignant au groupe des sept martyrs de Tihrán, il sacrifia sa vie pour lui dans des circonstances héroïques exceptionnelles.
La seconde personne que Quddús rencontra à Shiraz fut Ismu'lláhu'l-Asdaq, Mullá Sádiq-i-Khurásání, à qui il confia la copie du Khasá'il-i-SaBábih et auprès duquel il insista sur la nécessité de la mise en application immédiate du contenu de ce traité. Parmi les préceptes contenus dans celui-ci, il y avait notamment l'injonction énergique du Báb à tout croyant loyal, d'ajouter les paroles suivantes à la formule traditionnelle de l'adhán (8.3) "Je porte témoignage que celui dont le nom est 'Alí-Qabl-i-Muhammad (8.4) est le serviteur du Baqíyyatu'lláh". (8.5) Mullá Sádiq qui, en ces jours, devant de vastes auditoires, avait du haut de la chaire, exalté les vertus des Imáms de la foi, fut si enchanté par le thème et le langage de ce traité qu'il décida sans hésiter de mettre en pratique toutes ses prescriptions.

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Un jour, alors qu'il se trouvait à la tête de sa congrégation en prière dans le masjid-i-naw et qu'il entonnait l'adhán, attiré par la force irrésistible qui émanait de cette tablette, il proclama soudain les paroles supplémentaires prescrites par le Báb. La foule qui l'entendit fut bouleversée par son cri. La congrégation tout entière fut saisie d'épouvante et de consternation: Il y eut des clameurs parmi les religieux éminents qui occupaient les sièges de devant et que l'on révérait pour leur pieuse orthodoxie; ils protestèrent à haute voix en disant: "Malheur à nous les gardiens et les protecteurs de la foi de Dieu! Voyez, cet homme a hissé l'étendard de l'hérésie. A bas cet infâme traître! Il a prononcé le blasphème. Arrêtez-le, car il est la honte de notre foi." "Qui, s'exclamèrent-ils avec colère, a osé introduire une telle déviation des préceptes établis de l'islám? Qui a pris la liberté de s'arroger cette prérogative suprême?"
La populace répétait les protestations des religieux et se mit à renforcer leurs clameurs. La ville tout entière fut en tumulte et l'ordre public fut par la suite sérieusement menacé. Le gouverneur de la province de Fárs, Husayn Khán-i-Iravání, surnommé Ájúdán-Báshí et généralement désigné alors sous le nom de Sáhib-Ikhtiyár, (8.6) crut nécessaire de s'informer de la cause de cette agitation soudaine.

PHOTO: vue 1 du Masjid-i-Naw

PHOTO: vue 2 du Masjid-i-Naw

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On l'informa qu'un des disciples d'un jeune homme nommé Siyyid-i-Báb, qui venait de rentrer de son pèlerinage à La Mecque et à Médine et qui, maintenant, vivait à Búshihr, était arrivé à Shiraz et propageait les enseignements de son maître. "Ce disciple, lui dit-on encore, prétend que son maître est l'auteur d'une nouvelle révélation et d'un livre dont il affirme l'origine divine. Mullá Sádiq-i-Khurásání a embrassé cette foi et invite les gens à accepter ce message. Il déclare que le premier devoir de tout croyant loyal et pieux de l'islám shí'ah est de reconnaître cette révélation."
Husayn Khán donna l'ordre d'arrêter aussi bien Quddús que Mullá Sádiq. Les autorités de police auxquelles furent livrés ces derniers, reçurent l'ordre de les transférer, mains liées, devant le gouverneur. La police remit également à Husayn Khán la copie du Quayyúmu'l-Asmá' dont elle s'était emparée au moment où Mullá Sádiq en lisait à haute voix des passages à une assemblée excitée. Husayn khán, négligeant d'abord Quddús à cause de son apparence juvénile et de sa tenue peu conventionnelle, préféra adresser ses observations à son compagnon d'aspect plus digne et plus âgé. "Dis-moi", demanda-t-il avec colère, s'adressant à Mullá Sádiq, "si tu connais le passage de l'introduction du Qayyúmu'l-Asmá' où le Báb, s'adressant aux souverains et aux rois de la terre, dit: "Dépouillez-vous de votre robe de souveraineté, car celui qui est le véritable roi s'est manifesté; le royaume appartient à Dieu, le Très-Exalté. C'est ce qu'a décrété la Plume du Très-Haut!" Si cela est vrai, alors cela s'applique obligatoirement à mon souverain, Muhammad Sháh de la dynastie des Qàjàr, (8.7) dont je suis le représentant le plus élevé dans cette province. Muhammad Sháh doit-il, d'après cet ordre, déposer sa couronne et abandonner sa souveraineté? Dois-je, moi aussi, abdiquer et renoncer à ma position?" Mullá Sádiq répondit sans hésiter en ces termes: "Lorsque la vérité de la révélation annoncée par l'auteur de ces paroles aura été définitivement établie, alors la vérité de tout ce qui a jailli de ses lèvres sera de même justifiée. Si ces paroles émanent de Dieu, l'abdication de Muhammad Sháh et de ses semblables est alors de minime importance. Elle ne peut en aucune façon détourner le dessein de Dieu ni altérer la souveraineté du Roi tout-puissant et éternel." (8.8)
Ce gouverneur cruel et impie fut profondément choqué par une telle réponse. Il injuria le Mullá, le maudit et donna l'ordre à ses serviteurs de le dévêtir et de le frapper de mille coups de fouet.

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Puis il ordonna de brûler la barbe de Quddús et celle de Mullá Sádiq, de leur percer le nez, de passer une corde à travers les trous et de les promener avec ce licou à travers les rues de la ville. (8.9) "Cela servira de leçon aux habitants de Shiraz, déclara-t-il, qui connaîtront désormais le châtiment réservé aux hérétiques." L'on entendit Mullá Sádiq, calme et maître de lui, les yeux levés vers le ciel, réciter cette prière: "Ô Seigneur notre Dieu! Nous avons en vérité entendu la voix de celui qui a lancé l'appel. Il nous a invités à la foi en disant: "Croyez au Seigneur votre Dieu !" et nous avons cru. O Dieu, notre Dieu! Pardonne-nous donc nos péchés, ne nous fais pas honte de nos actes impies, et fais que nous mourions avec les justes." (8.10) Avec un courage magnifique, ils se résignèrent tous deux à leur sort. Ceux qu'on avait chargés de leur infliger cette peine cruelle accomplirent leur tâche avec vigueur et entrain. Personne n'intervint en faveur de ces malheureux, personne ne fut porté à défendre leur cause. Peu après, ils furent tous deux expulsés de Shiraz. Avant leur expulsion, ils furent avertis que s'ils essayaient jamais de revenir en cette ville, ils seraient tous deux crucifiés. Ils eurent, par leurs souffrances, le mérite immortel d'avoir été les premiers à être persécutés sur le sol de la Perse pour l'amour de leur foi. Mullá 'Alíy-i-Bastámí, quoique premier à être tombé victime de la haine implacable de l'ennemi, subit sa persécution en 'Iraq, pays qui s'étend au-delà des confins de la Perse. L'on ne peut non plus comparer ses souffrances, si intenses fussent-elles, à l'horreur et à la cruauté barbare qui caractérisèrent la torture infligée à Quddús et à Mullá Sádiq.
Un témoin oculaire de cet épisode révoltant, un non-croyant résidant à Shiraz, m'a relaté ce qui suit: "J'étais présent lorsque Mullá Sádiq fut battu. J'ai vu ses persécuteurs, chacun à leur tour, frapper du fouet ses épaules saignantes et continuer à porter leurs coups jusqu'à ce qu'il fût épuisé. Personne ne croyait que ce Mullá Sádiq, si âgé et si frêle de corps, pourrait survivre à cinquante de ces sauvages coups de fouet. Nous fûmes étonnés de son courage lorsque nous vîmes que son visage, malgré les coups de fouet dont le nombre avait déjà dépassé les neuf cents, avait gardé sa sérénité et son calme primitifs. Un sourire se lisait sur sa face tandis qu'il tenait la main devant la bouche. Il semblait totalement indifférent aux coups qui pleuvaient sur lui. Lorsqu'il fut expulsé de la ville, je réussis à m'approcher de lui et lui demandai pourquoi il avait gardé la main devant là bouche et je lui exprimai ma surprise concernant son sourire.

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Il répondit de manière catégorique par ces mots: "Les sept premiers coups furent extrêmement pénibles; quant aux autres, ils me laissèrent insensible. Je me demandais si les coups qui suivirent frappaient réellement mon propre corps. Un sentiment de joyeuse exultation avait envahi mon âme. J'essayais de réprimer mes sentiments et de contenir mon rire. Je puis à présent réaliser combien le Libérateur tout-puissant est capable, en un clin d'oeil, de transformer la peine en bien-être et la tristesse en joie. Son pouvoir est immensément exalté au-dessus et par-delà les vaines imaginations de ses créatures mortelles." Mullá Sádiq, que j'ai rencontré quelques années plus tard, m'a confirmé chaque détail de cet émouvant épisode.
La colère de Husayn Khán ne s'apaisa pas malgré ce châtiment atroce et éminemment injuste. Sa cruauté capricieuse et gratuite se déchaîna lors de l'attaque qu'il dirigea ensuite contre la personne du Báb." (8.11) Il envoya à Búshihr une escorte montée, issue de sa garde personnelle, avec pour mission formelle d'arrêter le Báb et de le ramener enchaîné à Shiraz. Le chef de cette escorte, un membre de la communauté nusayrí, mieux connue sous le nom de secte d' 'Alíyu'lláhí, raconta ce qui suit: "Ayant terminé la troisième étape de notre voyage à Búshihr, nous rencontrâmes, au milieu du désert, un jeune homme portant une ceinture verte et un petit turban à la manière des siyyids qui sont commerçants de métier. Il était à cheval et suivi d'un serviteur éthiopien auquel il avait confié ses effets. Lorsque nous fûmes près de lui, il nous salua et s'informa de notre destination. Je pensai qu'il était préférable de lui cacher la vérité et répondis que nous étions chargés par le gouverneur de Fárs de mener une certaine enquête dans les environs. Il observa en souriant: "Le gouverneur vous a envoyé m'arrêter. Me voici, faites de moi ce qu'il vous plaît. En venant à votre rencontre, j'ai raccouRci la distance de votre trajet et vous ai facilité la tâche qui consistait à me trouver." Je fus ahuri par ses remarques et émerveillé de sa bonne foi et de son honnêteté. Je ne pus cependant m'expliquer sa promptitude à se soumettre de son propre gré à la sévère discipline des représentants du gouvernement et à risquer par là sa propre vie et sa sécurité. J'essayai de l'ignorer et me préparais à partir lorsqu'il s'approcha de moi et me dit: "Je jure par la justice de celui qui a créé l'homme, qui 1'a distingué du reste de ses créatures et qui a fait de son coeur le siège de sa souverainté et de sa connaissance, que, durant toute ma vie, je n'ai dit d'autres paroles que la vérité et n'ai eu d'autre désir que le bien-être et le progrès de mes semblables. J'ai négligé ma propre tranquillité et ai évité d'être une cause de peine ou de tristesse pour qui que ce fût.

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Je sais que vous me cherchez. Je préfère me livrer à vous plutôt que de vous exposer, vous et vos compagnons, à d'inutiles ennuis à mon sujet." Ces paroles m'émurent profondément. Je descendis instinctivement de mon cheval et, baisant ses étriers, lui adressai ces paroles: "Ô lumière des yeux du Prophète de Dieu! Je vous adjure, par celui qui vous a créé et qui vous a pourvu d'une telle sublimité et d'un tel pouvoir, d'exaucer ma requête et de répondre à ma prière. Je vous supplie de quitter ce lieu et de fuire Husayn
Khán, le gouverneur impitoyable et méprisable de cette province. Je redoute ses machinations contre vous ; je me révolte à l'idée d'être l'instrument de ses funestes projets contre un descendant du Prophète de Dieu aussi noble et aussi innocent que vous. Mes compagnons sont tous des hommes honorables. Ils tiennent leur parole. Ils s'engageront à ne pas trahir votre fuite. Je vous en prie, rendez-vous à la ville de Mashhad dans le Khurásán et évitez de tomber victime de la brutalité de ce loup impitoyable." Il répondit ainsi à mon ardente prière: "Puisse le Seigneur votre Dieu vous récompenser pour votre magnanimité et votre noble intention. Personne ne connaît le mystère de ma cause; personne ne peut en sonder les secrets. Jamais je ne me détournerai du décret de Dieu. Lui seul est ma forteresse sûre, mon séjour et mon refuge. Personne n'osera m'attaquer, nul ne pourra changer le plan du Tout-Puissant, avant que mon heure ait sonné. Et lorsque mon heure sera venue, quelle joie aurai-je à boire à la coupe du martyre en son nom! Me voici; livrez-moi aux mains de votre maître. N'ayez crainte, car personne ne vous blâmera." Je m'inclinai en signe de consentement et exauçai son désir."
Le Báb reprit aussitôt son voyage vers Shiraz. Libre et sans entraves, il allait à l'avant de l'escorte qui le suivait dans une attitude de respectueuse dévotion. Par la magie de ses paroles, il avait désarmé l'hostilité de ses gardes et transformé leur fière arrogance en humilité et en amour. En arrivant dans la ville, ils allèrent directement au siège du gouvernement. Quiconque observa les cavaliers marchant à travers les rues ne put que s 'émerveiller de ce spectacle des plus inhabituels. Dès que Husayn Khán fut informé de l'arrivée du Báb, il le convoqua. Il le reçut avec une insolence extrême et le pria de s'asseoir sur un siège placé en face de lui au centre de la pièce. Il le blâma publiquement et, dans un langage offensant, dénonça son comportement. "Réalisez-vous, protesta-t-il, avec colère, que vous m'avez créé de graves ennuis? Savez-vous que vous êtes devenu la honte de la sainte foi islamique et de l'auguste personne de votre souverain?

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N'êtes-vous pas celui qui se prétend l'auteur d'une nouvelle révélation qui annule les préceptes sacrés du Qur'án?" Le Báb répondit calmement en ces termes: "S'il vient à vous un pécheur porteur d'une nouvelle, examinez aussitôt celle-ci de peur que, par ignorance, vous ne portiez tort à autrui et ne soyez bientôt contraint à vous repentir de ce que vous avez fait." (8.12) Ces paroles attisèrent la colère de Husayn Khán. "Quoi! s'exclama-t-il. Vous osez nous traiter de pécheur, d'ignorant et de fou?" Se tournant vers son assistant, il lui dit de frapper le Báb au visage. Le coup fut si violent que le turban du Báb tomba à terre. Shaykh Abú-Turáb, l'Imám jum'ih de Shiraz, qui assistait à cette réunion et qui désapprouva formellement le comportement de Husayn Khán, ordonna de remettre le turban du Báb sur la tête de celui-ci, et l'invita à s'asseoir à côté de lui. Se tournant alors vers le gouverneur, il lui expliqua les circonstances relatives à la révélation du verset du Qur'án que le Báb avait cité, et chercha par là à calmer sa fureur. " Le verset que ce jeune homme vient de citer, lui dit-il, m'a profondément impressionné. Il serait sage, me semble-t-il, de s'informer au sujet de cette affaire avec le plus grand soin, et de juger cette personne selon les préceptes du Livre saint". Husayn Khán accepta aussitôt, sur quoi Shaykh Abú-Turáb interrogea le Báb sur la nature et le caractère de sa révélation. Le Báb nia qu'il ait prétendu soit au rang de représentant du Qá'im promis, soit à celui d'intermédiaire entre ce dernier et les fidèles. "Nous sommes entièrement satisfaits," répondit l'Imám-jum'ih. "Nous vous demanderons de vous présenter vendredi au masjid-i-vakíl et d'y proclamer publiquement votre dénégation." Comme Shaykh Abú-Turáb se levait pour partir, espérant par là en terminer avec le procès, Husayn Khán intervint et dit: "Nous exigerons qu'une personne bien connue fournisse caution, se porte garant de lui et donne sa parole par écrit que si jamais, à l'avenir ce jeune homme essayait, en paroles ou en actes, de porter préjudice aux intérêts de la foi islamique ou du gouvernement de ce pays, il nous le livrerait immédiatement et se considérerait en toutes circonstances, responsable de son comportement." Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, l'oncle maternel du Báb, qui était présent à cette réunion, consentit à servir de répondant pour son neveu. De sa propre main, il écrivit l'engagement, y apposa son cachet, le fit confirmer par la signature de quelques témoins, et le remit au gouverneur; là-dessus, Husayn Khán donna l'ordre de confier le Báb à son oncle à la condition qu'au moment où le gouverneur le jugerait, Hájí Mírzá Siyyid 'Alí remît aussitôt le Báb entre ses mains.

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Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, le coeur débordant de gratitude envers Dieu, conduisit le Báb chez lui et le Confia aux tendres soins de sa mère vénérée. Il était heureux de ce regroupement familial et réconforté de voir son cher et précieux parent libéré de la poigne de ce funeste tyran. Dans la tranquillité de sa propre maison, le Báb mena pendant un certain temps une vie de paisible retraite. Personne, à part sa femme, sa mère et ses oncles, n'eut de relations avec lui. Pendant ce temps, les agitateurs étaient activement engagés à pousser Shaykh Abú-Turáb à convoquer le Báb au masjid-i-vakíl pour l'appeler à accomplir sa promesse. Shaykh Abú-Turáb était connu pour son caractère bienveillant et pour son tempérament qui ressemblait de manière frappante à celui de feu Mírzá Abu'l-Qásim, l'Imám-jum'ih de 'Tihrán. Il était très peu disposé à s'entretenir avec les personnes insolentes et de rang bien connu, en particulier lorsque celles-ci résidaient à Shiraz. Il sentait instinctivement qu'il agissait ainsi conformément à son devoir, observait cette ligne de conduite consciencieusement et était, en conséquence, estimé par la majorité des habitants de cette ville. Il chercha donc, par des réponses évasives et des ajournements répétés, à apaiser l'indignation de la foule. Il vit cependant que les fauteurs de troubles étaient en train de déployer leurs efforts pour exciter le sentiment de rancune générale qui s'était emparé des masses. Il crut finalement de son devoir d'adresser un message confidentiel à Hájí Mírzá Siyyid 'Alí pour lui demander d'emmener le Báb le vendredi au masjid-i-vakíl afin que celui-ci pût remplir la promesse qu'il avait faite. "Mon espoir, ajouta-t-il, est que grâce à l'aide de Dieu, les déclarations de votre neveu diminuent la tension de la situation et restaurent votre tranquillité ainsi que la mienne."
Le Báb, accompagné de Hájí Mírzá Siyyid'Alí, arriva à la mosquée au moment où l'Imám-jum'ih venait de monter au mihráb et se préparait à prononcer son sermon. Dès que le regard de celui-ci tomba sur le Báb, il lui souhaita publiquement la bienvenue, le pria de monter au mihráb pour s'adresser à l'assemblée des fidèles. Le Báb, répondant à son invitation, s'avança vers lui et debout sur la première marche, se prépara à s'adresser à la réunion. "Venez plus haut", observa l'Imám-jum'ih. Accédant à sa demande, le Báb gravit encore deux marches. Debout, sa tête cachait la poitrine de Shaykh Abú-Turáb qui se trouvait tout en haut sur le mihráb. Il commença sa déclaration publique par quelques phrases introductives.

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PHOTO: Vue du Masjid-i-Vakil de Shiraz. Une partie de l'intérieur.

PHOTO: Vue du Masjid-i-Vakil de Shiraz. La chaire (Mihrab) d'où le Bab s'adressa à la congrégation.

PHOTO: Vue du Masjid-i-Vakil de Shiraz. La porte d'entrée.

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À peine eut-il prononcé les paroles d'ouverture: "Louange à Dieu qui a, en vérité créé le ciel et la terre", qu'un certain siyyid connu sous le nom de Siyyid-i-Shish-Parí, dont la fonction était de porter la masse devant l'iMán-jum'ih, s'écria avec insolence: "Assez de vain bavardage! Dis à présent, et immédiatement, ce que tu as l'intention de dire." L'Imám-jum'ih fut fort irrité par la dureté de la remarque du siyyid: "Gardez votre calme, le réprimanda-t-il, vous devriez avoir honte de votre impertinence. Se tournant alors vers le Báb, il le pria d'être bref "car cela peut apaiser dit-il, l'excitation de la foule." Le Báb, regardant l'assemblée, déclara: "Que la malédiction de Dieu soit sur celui qui me considère comme le représentant de l'Imám ou comme l'intermédiaire entre celui-ci et les fidèles. Que la malédiction de Dieu soit aussi sur celui qui m'accuse d'avoir nié l'unité de Dieu et dénoncé le rang de Muhammad en tant que prophète, sceau des prophètes, d'avoir rejeté la vérité d'un quelconque messager du passé, ou d'avoir refusé de reconnaître le gardiennat d' 'Alí, le Commandeur de la foi ou de tout Imám qui lui a succédé." Il monta alors sur la marche supérieure du mihráb, embrassa l'Imám-jum'ih puis redescendit et alla rejoindre les fidèles pour accomplir la prière du vendredi. L'Imámjum'ih lui demanda, toutefois de se retirer. "Votre famille, dit-il, attend anxieusement votre retour. Tous ses membres craignent qu'il ne vous arrive malheur. Retournez chez vous et faites là votre prière, ainsi votre mérite sera-t-il plus grand aux yeux de Dieu." Hájí Mírzá Siyyid 'Alí fut également prié par l'Imám-jum'ih d'accompagner son neveu chez-lui. Cette mesure de précaution, que Shaykh AbúTuráb estima salutaire, fut motivée par la crainte de voir, après la dispersion des fidèles, certaines personnes mal intentionnées de parmi la foule essayer de nouveau de blesser la personne du Báb ou de mettre sa vie en péril. Saris la sagacité, la sympathie et l'attention bienveillante dont fit preuve l'Imám-jum'ih de façon si frappante en plusieurs occasions similaires, la foule furieuse aurait sans doute été amenée à satisfaire son plaisir barbare et aurait commis les excès les plus abominables. Shaykh Abú-Turáb semblait avoir été l'instrument de la Main invisible désignée pour protéger aussi bien la personne que la mission de ce jeune homme. (8.13)
La Báb regagna sa demeure et put mener pendant un certain temps, dans l'intimité de sa famille et de ses parents, une vie relativement calme. Il célébra alors l'avènement du premier Naw-Rúz depuis qu'il avait déclaré sa mission. Cette fête tombait, cette année-là, le dixième jour du mois de rabí'u'l-avval, 1261 après l'hégire (8.14)

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Quelques-uns de ceux qui assistèrent à cette mémorable réunion au masjid-i-vakíl et qui entendirent les déclarations du Báb, furent fort impressionnés par la façon magistrale dont ce jeune homme avait réussi, par ses propres efforts, à réduire au silence ses redoutables ennemis. Peu après cet événement, ils furent tous amenés à saisir la réalité de sa mission et à en reconnaître sa gloire. Parmi eux se trouvait Shaykh-'Alí Mírzá, neveu de ce même Imám-jum'ih, qui venait d'atteindre l'âge de la maturité. Le germe planté dans son coeur crût et se développa jusqu'au jour où, en l'an 1267 après l'hégire, (8.15) il eut le privilège de rencontrer Bahá'u'lláh en 'Iraq Cette visite le remplit de joie et d'enthousiasme. Retournant, grandement revivifié, vers sa terre natale, il reprit avec une énergie redoublée ses travaux pour la cause. A partir de cette année-là jusqu'à nos jours, il a persévéré dans sa tâche et s'est distingué par la droiture de son caractère et son sincère dévouement envers son gouvernement et son pays. Récemment est parvenue en Terre sainte une lettre qu'il avait adressée à Bahá'u'lláh et dans laquelle il exprime sa profonde satisfaction devant les progrès de la cause en Perse. "Je reste bouche bée d'émerveillement, écrit-il, quand je considère les signes de la puissance invincible de Dieu manifestée parmi les habitants de mon pays. Dans une terre qui a si sauvagement persécuté la foi pendant des années, un homme qui est, depuis quarante ans, connu à travers la Perse comme un Bábí, vient d'être choisi comme unique arbitre dans une querelle qui impliqua d'une part le Zillu's-Sultán, fils tyrannique du Sháh et ennemi juré de la cause et, de l'autre, Mírzá Fath-'Alí Khán, le Sáhib-i-Díván. Il a été annoncé publiquement que le verdict de ce Bábí serait, quel qu'il soit, accepté sans réserve par les deux parties et mis en vigueur sans hésitation."
Un certain Muhammad-Karím, qui se trouvait ce vendredi-là parmi les fidèles, fut également attiré par le comportement remarquable du Báb à cette occasion. Ce qu'il vit et entendit ce jour-là détermina sa conversion immédiate. La persécution le chassa de la Perse en 'Iraq, où, auprès de Bahá'u'lláh, il continua à approfondir ses connaissances et sa foi. Plus tard, Bahá'u'lláh lui enjoignit de retourner à Shiraz et d'y faire de son mieux pour propager la cause. Il resta dans cette ville et y travailla jusqu'à la fin de sa vie.
Il y eut encore Mírzá Áqáy-i-Rikáb-Sáz. Il se prit, en ce jour d'une
telle affection pour le Báb qu'aucune persécution, si cruelle et si prolongée fût-elle, ne put ébranler ses convictions ni ternir l'éclat de son amour.

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Lui aussi parvint en la présence de Bahá'u'lláh en 'Iraq En réponse aux questions qu'il posa concernant l'interprétation des lettres disjointes du Qur'án et de la signification du verset de Nur, il eut le privilège de recevoir en son nom propre une Tablette révélée par la plume de Bahá'u'lláh. Finalement il souffrit le martyre dans son sentier.
Il y eut aussi Mírzá Rahím-i-Khabbáz, qui se distingua par son intrépidité et son ardeur impétueuse. Il ne relâcha ses efforts qu'à l'heure de son trépas.
Hájí Abu'l-Hasan-i-Bazzáz qui, en tant que compagnon de voyage du Báb lors du pèlerinage de celui-ci au Hijàz, n'avait que vaguement reconnu l'écrasante majesté de sa mission, fut, en ce mémorable vendredi, profondément ébranlé et totalement transformé. Il conçut un tel amour pour le Báb que des larmes d'une dévotion débordante coulaient sans arrêt de ses yeux. Tous ceux qui le connurent admirèrent la droiture de sa conduite et louèrent sa sincérité et sa bienveillance. De même que ses deux fils, il prouva par ses actes la fermeté de sa foi et gagna l'estime de ses condisciples. L'un de ceux qui ressentit la fascination du Báb ce jour-là fut feu Hájí Muhammad-Bisát, un homme très versé dans les enseignements métaphysiques de l'islám et grand admirateur de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kázim. Il était aimable de caractère et avait un sens aigu de l'humour. Il avait gagné l'amitié de l'Imám-jum'ih, lui était étroitement associé et assistait fidèlement à la prière en commun du vendredi.
Le Naw-Rúz de cette année, qui annonçait l'avènement d'un nouveau printemps, fut aussi le symbole de cette renaissance spirituelle dont on pouvait déjà discerner les premiers remous à travers le pays. Quelques-uns des habitants les plus éminents et les plus savants de cette région émergèrent de la désolation hivernale de la négligence et furent ranimés par le souffle vivifiant de la révélation naissante. Les graines que la main d'Omnipotence avait semées dans leur coeur germèrent jusqu'à donner des fleurs d'un parfum des plus délicieux et des plus purs. (8.16) Alors que la brise de sa bonté et de sa tendre miséricorde soufflait sur ces fleurs, le pouvoir pénétrant de leur parfum se répandit au loin sur la face de toute cette terre. Il se propagea même au-delà des confins de la Perse, atteignit Karbilá et ranima les âmes de ceux qui étaient dans l'attente du retour du Báb dans leur ville. Peu après Naw-Rúz, une épître leur parvint en passant par Basrih, épître dans laquelle le Báb qui avait l'intention de retourner du Hijáz à la Perse en passant par Karbilá, les informait d'un changement apporté à son projet et du fait qu'il était en conséquence dans l'incapacité de tenir sa promesse.

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Il leur conseillait de se rendre à Isfáhán et d'y rester dans l'attente de nouvelles instructions. "Nous vous demanderons de gagner Shiraz si cela nous paraît souhaitable, sinon vous resterez à Isfáhán jusqu'au moment où Dieu vous fera connaître sa volonté et ses directives."
La réception de ce message inattendu suscita une agitation considérable parmi ceux qui avaient attendu avec impatience l'arrivée du Báb à Karbilá. Elle troubla leur esprit et éprouva leur loyauté. "Et la promesse qu'il nous avait donnée?" murmuraient quelques-uns de ceux qui étaient déçus. "Considère-t-il le fait qu'il n'a pas tenu parole comme l'intervention de la volonté divine?" Les autres, contrairement à ces indécis, devinrent encore plus fermes dans leur foi et plus résolument attachés à la cause. Fidèles à leur maître, ils répondirent allègrement à son invitation, négligeant totalement les critiques et les protestations de ceux qui avaient hésité dans leur foi. Ils partirent pour Isfáhán, décidés à demeurer fidèles, quoiqu'il advînt, à la volonté et au désir de leur Bien-Aimé. Ils furent rejoints par quelques-uns de leurs compagnons qui, bien que sérieusement ébranlés dans leur croyance, cachaient leurs sentiments. Mírzá Muhammad'Alíy-i-Nahrí, dont la fille fut plus tard mariée à la plus grande Branche, et Mírzá Hádí, le frère de Mírzá Muhammad-'Alí, tous deux résidents d'Isfáhán, furent de ceux dont la vision de la gloire et du caractère sublime de la foi ne put être assombrie par les appréhensions des chuchoteurs mal intentionnés. Parmi eux se trouvait un certain Muhammad-i-Haná-Sáb, résidant également à Isfáhán, et qui est à présent au service de Bahá'u'lláh. Quelques-uns de ces compagnons fermes du Báb participèrent à la grande bataille de Shaykh Tabarsí et échappèrent miraculeusement au destin tragique de leurs frères morts pour leur foi.
Sur le chemin d'Isfáhán, ils rencontrèrent dans la ville de Kangàvar, Mullá Husayn, qui, en compagnie de son frère et de son neveu - ses deux compagnons lors de sa visite antérieure à Shiraz
- se rendait à Karbilá. Ils furent enchantés de cette rencontre inattendue et demandèrent à Mullá Husayn de prolonger son séjour à Kangávar, demande qui fut aussitôt acceptée. Mullá Husayn qui, lors de son séjour dans cette ville, conduisait les compagnons du Báb dans la prière en commun du vendredi, était tenu en une telle estime et si vénéré par ses condisciples qu'un certain nombre de ceux qui y assistaient et qui plus tard, à Shiraz, devaient révéler leur infidélité envers la foi, furent pris de jalousie.

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Parmi ceux-ci se trouvaient Mullá Javád-i-Baraghání et Mullá 'Abdu'1-'Alíy-i-Harátí, qui feignirent tous deux d'accepter la révélation du Báb dans l'espoir de satisfaire leur ambition de commandement. Ils s'efforcèrent tous deux en secret de miner la position enviable acquise par Mullá Husayn. Par leurs allusions et leurs insinuations, ils cherchèrent avec persistance à mettre en question son autorité et à déshonorer son nom.
J'ai entendu dire que Mírzá Ahmad-i-Kátib, mieux connu alors sous le nom de Mullá 'Abdu'l-Karím, et qui avait été le compagnon de voyage de Mullá Javád de Qazvín, raconta ce qui suit: "Lorsqu'il s'entretenait avec moi, Mullá Javád faisait souvent allusion à Mullá Husayn. Ses remarques répétées et peu flatteuses exprimées dans un langage rusé, m'incitèrent à ne plus le fréquenter. Chaque fois que je décidais de mettre fin à mes relations avec Mullá Javád, je m'en trouvais empêché par Mullá Husayn qui, découvrant mon intention, me conseillait de faire preuve de patience envers lui. La compagnie de - Mullá Husayn contribua grandement à développer le zèle et l'enthousiasme des disciples du Báb. Son exemple leur servit de modèle, et ils étaient en admiration devant les éclatantes qualités d'esprit et de coeur qui caractérisaient ce condisciple si éminent."
Mullá Husayn décida de se joindre à ses amis et de se rendre avec eux à Isfáhán. Voyageant seul à environ un farsakh (8.17) de distance devant ses compagnons, il avait l'habitude de commencer sa prière dès qu'il faisait halte à la tombée de la nuit, et de la terminer avec eux lorsqu'ils l'avaient rejoint. Il était le premier à reprendre la route et à l'aube, s'arrêtait une nouvelle fois pour prier jusqu'à ce qu'il fût rejoint par la compagnie des dévots. Ce n'était que lorsque ses amis insistaient qu'il consentait à dire la prière en commun. A de telles occasions il prenait parfois l'un de ses compagnons comme guide. La dévotion qu'il avait fait naître dans le coeur de ces hommes était telle que certains d'entre eux descendaient de leur monture et offraient celle-ci à ceux qui voyageaient à pied; ils suivaient eux-mêmes le convoi, totalement indifférents aux peines et à la fatigue de la marche.
Comme ils approchaient des faubourgs d'Isfáhán, Mullá Husayn, craignant que la soudaine entrée d'un groupe de personnes aussi important n'excita la curiosité et les soupçons des habitants de cette bourgade, conseilla à ceux qui voyageaient avec lui de se disperser et d'entrer dans la ville discrètement et par petits groupes. Quelques jours après leur arrivée leur parvint une dépêche annonçant que Shiraz était le théâtre d'une grande agitation, que toute relation avec le Báb avait été interdite et que leur projet de visiter cette ville comportait les dangers les plus graves.

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Mullá Husayn, loin d'être effrayé par cette nouvelle inattendue, décida de se rendre à Shiraz. Seuls quelques-uns de ses compagnons sûrs furent mis au courant de son intention. Après s'être débarrassé de ses vêtements et de son turban et avoir revêtu le jubbih (8.18) et le kuhh des habitants du Khurásán, il partit à une heure inattendue, déguisé à la manière d'un cavalier de Hizárih et de Qúchán accompagné de son frère et de son neveu, pour la ville de son Bien-Aimé. Lorsqu'il arriva près de la porte de la ville de Shiraz, il chargea son frère d'aller, en pleine nuit, chez l'oncle maternel du Báb pour lui demander d'informer celui-ci de son arrivée. Le jour suivant, il reçut la bonne nouvelle que Hájí Mírzái Siyyid 'Alí l'attendait, une heure après le coucher du soleil devant la porte de la ville. Mullá Husayn le rencontra à l'heure fixée et l'accompagna chez lui. Plusieurs fois, de nuit, le Báb honora cette maison de sa présence et y demeura, dans l'intimité avec Mullá Husayn, jusqu'au lever du jour. Peu après, il autorisa ses compagnons, qui s'étaient réunis à Isfáhán, à quitter peu à peu cette ville pour Shiraz et à y attendre jusqu'à ce qu'il pût les rencontrer. Il les prévint de faire preuve d'une vigilance extrême, leur dit de traverser par petits groupes la porte de la ville, de se disperser, dès leur arrivée, dans les quartiers réservés aux voyageurs, et d'accepter le travail qui s'offrirait à eux.
Le premier groupe qui arriva dans la ville et rencontra le Báb, quelques jours après la venue de Mullá Husayn, comprenait Mírzá Muhammad-'Alíy-i-Nahrí, Mírzá Hádí, son frère; Mullá 'Abdu'lKarím-i-Qazvíní, Mullá Javád-i-Baraghání, Mullá 'Abdu '1-'Alíy-i-Harátí, et Mírzá Ibráhím-i-Shirazí. Au cours des visites que lui firent ceux-ci, les trois derniers du groupe trahirent petit à petit leur aveuglement et révélèrent la bassesse de leur caractère. Les multiples preuves de la faveur croissante du Báb pour Mullá Husayn suscitèrent leur colère et attisèrent le feu de leur jalousie. Dans leur rage impuissante, ils eurent recours aux armes abjectes que sont le mensonge et la calomnie. Incapables de manifester ouvertement leur hostilité envers Mullá Husayn, ils cherchèrent par les moyens les plus astucieux à séduire l'esprit de ses admirateurs dévoués et à étouffer leur affection. Leur comportement inconvenant leur aliéna la sympathie des croyants et précipita leur séparation d'avec le groupe des fidèles. Expulsés, par leurs propres agissements, du sein de la foi, ils se liguèrent avec les ennemis jurés de celle-ci et proclamèrent leur rejet absolu de ses principes et de ses buts.

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L'agitation qu'ils soulevèrent parmi les habitants de cette ville fut telle que finalement ils furent bannis par les autorités civiles, qui les méprisaient et redoutaient leurs complots. Le Báb les compara, dans une Tablette où il parle longuement de leurs machinations et de leurs méfaits, au veau de Sámírí qui n'avait ni voix ni âme et qui était à la fois l'ouvrage abject et l'objet d'adoration d'un peuple capricieux. "Puisse ta malédiction, ô Dieu! écrivit-il à propos de Mullá Javád et Mullá 'Abdu'l-'Alí, "frapper le Jibt et le Tághút, (8.19) les deux idoles de ce peuple pervers." Ces trois personnes se rendirent ensuite à Kirmán et allèrent renforcer les rangs de Hájí Mírzá Muhammad Karím Khán dont ils servirent les desseins et dont ils s'efforcèrent d'intensifier les dénonciations.
Une nuit, après leur expulsion de Shiraz le Báb rendit visite à Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, chez qui il avait invité Mírzá Muhammad'Alíy-i-Nahrí, Mírzá Hádí et Mullá 'Abdu'l-Karím-i-Qazvíní à venir le voir et, se tournant soudain vers ce dernier, dit: " 'Abdu'l-Karím, cherchez-vous la Manifestation?" Ces paroles, prononcées avec calme et une grande douceur eurent un effet foudroyant sur cet homme. Il pâlit à cette soudaine question et fondit en larmes. Le Báb le prit avec bonté dans ses bras, lui baisa le front et l'invita à s'asseoir auprès de lui. Dans un langage de tendre affection il réussit à apaiser 1e trouble de son coeur.
Dès qu'ils eurent regagné leur maison, Mírzá Muhammad-'Alí et son frère s'informèrent auprès de Mullá 'Abdu'l-Karím de la cause du violent trouble qui l'avait subitement saisi: "Ecoutez-moi, répondit-il, Je vais vous dire le récit d'une étrange expérience que je n'ai communiquée à personne jusqu'à présent. Lorsque j'atteignis l'âge de la maturité, j'eus, alors que je vivais à Qazvín, une profonde envie de découvrir le mystère de Dieu et de connaître la nature de ses saints et de ses prophètes. Seule, l'acquisition de connaissances, pensais-je, pouvait m'aider à atteindre mon but. Je réussis à obtenir le consentement de mon père et de mes oncles au sujet de mon désir de quitter les affaires, et je me plongeai aussitôt dans l'étude et la recherche. J'occupai une chambre dans l'une des madrisihs de Qazvín et concentrai mes efforts sur l'acquisition de toutes les branches du savoir qui m'étaient accessibles. Je discutais souvent avec mes camarades de ce que j'avais appris et cherchais par là à enrichir mon expérience. Le soir, je me retirais dans ma chambre et, dans la solitude de ma Bibliothèque, passais tranquillement des heures entières à étudier.

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J'étais tellement absorbé par mes travaux que je devenais insensible au sommeil et à la faim. Je voulais, en deux ans, maîtriser toutes les difficultés de la jurisprudence et de la théologie islamiques. J'assistais régulièrement aux cours donnés par Mullá 'Abdu'l-Karím-i-Íravání, qui était alors considéré comme le plus éminent théologien de Qazvín. J'admirais beaucoup son vaste savoir, sa piété et sa vertu. Toutes les nuits, alors que j'étais son disciple, je consacrais mon temps à la rédaction d'un traité que je lui soumis et qu'il révisa avec soin et intérêt. Il semblait pleinement satisfait de mes progrès et vantait souvent le haut niveau de mes connaissances. Un jour, en présence
de ses disciples réunis, il déclara: "L'érudit et sage Mullá-'Abdu'l-Karím s'est qualifié pour développer avec autorité les saints Ecrits de l'islám. Il n'a plus besoin désormais d'assister à mes cours ni à ceux d'un autre de mes collègues. Je célébrerai, plût à Dieu, son élévation au rang de mujtahid le matin du prochain vendredi, et lui décernerai son certificat après la prière en commun.
"À peine Mullá'Abdu'l-Karím avait-il prononcé ces paroles et quitté la salle, que ses disciples s'avancèrent vers moi et me félicitèrent cordialement pour mes talents et mes réalisations. Je retournai chez moi plein de joie et de fierté. A mon arrivée, je m'aperçus que mon frère et l'aîné de mes oncles Hájí Husayn-'Alí, qui étaient très estimés dans toute la ville de Qazvín, préparaient, en mon honneur, une fête au cours de laquelle ils entendaient célébrer la fin de mes études. Je leur demandai de remettre l'invitation qu'ils devaient envoyer à tous les notables de Qazvín, jusqu'à nouvel avis de ma part. Ils consentirent avec joie croyant que dans mon ardeur à célébrer une telle fête, je n'ajournerais pas longtemps celle-ci sans motif valable. Cette nuit-là, je me retirai dans ma bibliothèque et, dans ma retraite, méditai dans mon coeur les paroles suivantes: "N'as-tu pas imaginé dans ton inconscient, me dis-je, que seuls les purs en esprit peuvent espérer atteindre le rang d'interprète qualifié des Ecrits sacrés de l'islám? N'as-tu pas cru que celui qui parvient à ce stade est infaillible? Ne comptes-tu pas déjà parmi ceux qui jouissent de ce rang? Le théologien le plus éminent de Qazvín ne t'a-t-il pas reconnu et déclaré mujtahid? Sois équitable. Te considères-tu dans ton propre coeur, comme l'un de ceux qui ont atteint ce stade de pureté et de sublime détachement que tu considérais, dans le passé, comme indispensables à ceux qui aspirent atteindre cette position si exaltée? Penses-tu être dépourvu de toute trace de désir égoïste?" Comme je méditais ces paroles, le sentiment de ma propre indignité s'empara peu à peu de moi.

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Je reconnus que j'étais encore victime de soucis, de perplexités, de tentations et de doutes. Des pensées telles que l'idée de donner mes cours, de conduire mes fidèles pendant la prière, de faire observer les lois et préceptes de la foi m'oppressaient. Je me sentais toujours anxieux quant à la manière dont je devrais accomplir mes devoirs, assurer la supériorité de mes connaissances sur celles de mes prédécesseurs. Je me vis si débordé par un sentiment d'humiliation que je me sentis appelé à implorer le pardon de Dieu. Ton but en voulant acquérir tout ce savoir, me dis-je, était de dévoiler les mystères de Dieu et d'atteindre l'état de certitude. Sois juste: es-tu certain de ta propre interprétation du Qur'án? Es-tu sûr que les lois que tu promulgues reflètent la volonté de Dieu? La conscience de mon erreur me vint soudain à l'esprit. Je réalisai pour la première fois combien la rouille du savoir m'avait corrodé l'âme et obscuRci la vision. Je pleurai sur mon passé et regrettai la futilité de mes efforts. Je savais que les personnes de mon rang étaient sujettes aux mêmes afflictions. A peine avaient-elles acquis ce soi-disant savoir, qu'elles se prétendaient les interprètes de la loi islamique et s'arrogeaient le privilège exclusif de juger sa doctrine.
"Je restai absorbé dans mes pensées jusqu'à l'aube. Je ne mangeai pas cette nuit-là; je ne dormis pas non plus. De temps à autre, je communiais avec Dieu: "Tu me vois, ô mon Seigneur, et tu vois mon état. Tu sais que je ne désire rien d'autre que ta sainte volonté et ton bon plaisir. Je me sens perdu lorsque je songe à la multitude de sectes qui se sont tissées autour de ta sainte foi. Je deviens profondément perplexe quand je vois les schismes qui ont déchiré les religions du passé. Veux-tu me guider dans mes perplexités et me délivrer de mes doutes? Vers quel lieu dois-je tourner le visage pour trouver consolation et guidance?" Je pleurai si amèrement cette nuit-là qu'il me sembla avoir perdu connaissance. J'eus soudain la vision d'une grande assemblée d'hommes et l'expression de leurs visages rayonnants m'impressionna beaucoup. Une noble personne, habillée du vêtement d'un siyyid, occupait un siège sur le mihráb face à la congrégation. Elle était en train de développer la signification de ce verset sacré du Qur'án: "Quiconque fait des efforts pour Nous, Nous le guiderons dans Nos sentiers." Je fus fasciné par son visage. Je me levai, m'avançai vers elle et étais sur le point de me jeter à ses pieds lorsque la vision disparut soudain. Mon coeur était inondé de lumière. Ma joie était indescriptible.

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"Immédiatement je me décidai à consulter Hájí Alláh-Vardi, père de Muhammad-Javád-i-Farhádí, un homme connu à travers Qazvín pour son sens profond du spirituel. Lorsque je lui eus raconté ma vision, il sourit et, avec une extraordinaire précision me décrivit les traits distinctifs du siyyid qui m'était apparu. "Ce noble personnage, ajouta-t-il, n'est autre que Hájí Siyyid Kázim-i-Rashtí, qui se trouve à présent à Karbilá et que l'on voit chaque jour développer devant ses élèves les enseignements sacrés de l'islám. Ceux qui écoutent ses exposés se trouvent vivifiés et édifiés par ses paroles. Je ne pourrai jamais décrire l'impression qu'exercent celles-ci sur ses auditeurs!" Je me levai plein de joie et, après avoir exprimé à cet homme mes sentiments de profonde reconnaissance, me retirai chez moi et partis aussitôt pour Karbilá. Mes anciens condisciples vinrent me supplier soit d'aller en personne rendre visite au savant Mullá 'Abdu'l-Karím qui avait exprimé le désir de me rencontrer, soit de lui permettre de venir chez moi. "Je me sens poussé, répondis-je, à visiter le tombeau de l'Imám Husayn à Karbilá. J'ai fait le voeu de partir immédiatement pour ce pèlerinage. Je ne puis ajourner mon départ. Je lui rendrai visite, si possible, pour quelques instants avant de quitter la ville. Si je n'y parviens pas, je lui demanderai de me pardonner et de prier en ma faveur afin que je puisse être guidé sur le droit chemin."
"Je mis confidentiellement mes parents au courant de ma vision et de l'interprétation de celle-ci. Je les informai de la visite que j'entendais faire à Karbilá. Mes paroles instillèrent dans leur coeur, ce jour-là, l'amour de Siyyid Kázim. Ils se sentirent fort attirés vers Hájí Alláh-Vardí, le fréquentèrent volontiers et devinrent ses fervents admirateurs.
"Mon frère 'Abdu'l-Hamíd, qui devait par la suite boire à la coupe du martyre à Tihrán, m'accompagna dans mon voyage à Karbilá. Dans cette ville, je rencontrai Siyyid Kázim et fus stupéfait de le voir parler à ses disciples réunis dans des circonstances exactement semblables à celles qui m'étaient apparues dans mon rêve. Je fus étonné de découvrir, à mon arrivée, qu'il était en train d'expliquer le sens du même verset qu'il avait développé devant ses disciples lorsqu'il m'était apparu. Comme je m'asseyais et l'écoutais, je fus fort impressionné par la force de son argumentation et la profondeur de ses pensées; il me reçut avec bonté et fit preuve d'une extrême gentillesse envers moi. Mon frère et moi ressentions une joie intime que nous n'avions jamais éprouvée auparavant. A l'aube, nous nous hâtions de nous rendre à sa demeure et nous l'accompagnions lors de sa visite au tombeau de l'Imám Husayn.

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"Je passai l'hiver tout entier en étroite compagnie avec Siyyid Kázim. Durant toute cette période, j'assistai régulièrement à ses cours. Chaque fois que j'écoutais son discours, c'était pour l'entendre décrire un aspect particulier de la manifestation du Qá'im promis. Ce thème constituait l'unique objet de ses discours. Quels que soient le verset ou la tradition qu'il exposât, il concluait invariablement son commentaire par une référence particulière à l'avènement de la révélation promise. "Le Promis", déclarait-il souvent et ouvertement, "vit parmi ces gens. Le temps fixé pour son apparition est imminent. Préparez-lui la voie et purifiez-vous afin de pouvoir reconnaître sa beauté. L'astre du jour de son visage ne poindra que lorsque j'aurai quitté ce monde. Il vous incombe, après mon départ, de vous lever pour le chercher. Vous ne devriez pas vous accorder de répit, ne fût-ce qu'un seul instant, avant de l'avoir trouvé."
"Après la célébration de Naw-Rúz, Siyyid Kázim me pria de quitter Karbilá. "Soyez certain, ô 'Abdu'l-Karím," me dit-il au moment de l'adieu, "que vous êtes de ceux qui, au jour de sa révélation, se lèveront pour faire triompher sa cause. Vous vous souviendrez de moi, je l'espère, en ce jour béni." Je le suppliai de me permettre de rester à Karbilá, faisant valoir que mon retour à Qazvín exciterait l'animosité des Mullás de cette ville. "Que votre Confiance repose entièrement en Dieu, répondit-il. Ignorez totalement leurs machinations. Engagez-vous dans le commerce et soyez assuré que leurs protestations ne réussiront jamais à vous nuire." Je suivis son conseil et, avec mon frère, partis pour Qazvín.
"À peine arrivé, j'entrepris de suivre le conseil de Siyyid Kázim. Grâce aux instructions qu'il m'avait données, je parvins à réduire au silence tous les adversaires malveillants. Je consacrais mes jours à la conduite de mes affaires; la nuit, je regagnais ma maison et, dans la quiétude de ma chambre, passais mon temps en méditation et
prière. Les larmes aux yeux je communiais avec Dieu et le suppliais ainsi: Tu as, par la bouche de ton serviteur inspiré, promis que je parviendrai à ton jour et contemplerai ta révélation. Tu m'as, par son truchement, certifié que je serai de ceux qui se lèveront pour faire triompher ta cause. Pendant combien de temps encore tiendras-tu cachée à mes yeux ta promesse? Quand la main de ta bonté m'ouvrira t-elle la porte de ta grâce et me conférera-t-elle ton éternelle faveur?" Toutes les nuits, je renouvelais cette prière et poursuivais mes humbles supplications jusqu'au lever du jour.

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"Une nuit, la veille du jour d"arafih de l'an 1255 après l'hégire, (8.20) j'étais si absorbé dans ma prière que je me trouvais comme en état d'extase. Il m'apparut un oiseau, blanc comme la neige, qui vint planer au-dessus de ma tête et se poser ensuite sur la branche d'un arbre à côté de moi. Avec des accents d'une indescriptible douceur, il me parla ainsi: "Cherches-tu la Manifestation, ô 'Abdu'lKarím? Regarde l'an 60." Aussitôt après, l'oiseau s'envola et disparut. Le mystère de ces paroles m'intrigua beaucoup. Le souvenir de la beauté de cette vision demeura longtemps en mon esprit. Il me semblait que j'avais goûté à toutes les délices du paradis. Ma joie était irrépressible.
Le message mystique de cet oiseau avait pénétré mon âme et demeurait toujours sur mes lèvres. Je le tournais et retournais dans ma mémoire. Je n'en fis part à personne, de peur que sa douceur ne me quittât. Quelques années plus tard, l'appel venant de Shiraz parvint à mes oreilles. Le jour même où je l'entendis, je partis aussitôt pour cette ville. Sur mon chemin, je rencontrai à Tihrán Mullá Muhammad-i-Mu'allim, qui me mit au courant de la nature de cet appel et m'apprit que ceux qui l'avaient reconnu s'étaient réunis à Karbilá, où ils attendaient le retour de leur chef du Híjáz. Je partis aussitôt pour cette ville. De Hamadán, Mullá Javád-i-Baraghání m'accompagna, à ma grande détresse, jusqu'à Karbilá où j'eus la joie de vous rencontrer, vous ainsi que les autres croyants. Je continuai à chérir en mon coeur l'étrange message que m'avait transmis cet oiseau. Lorsque plus tard je parvins en la présence du Báb et entendis de ses lèvres les même paroles, prononcées sur le même ton et dans le même langage que je les avais entendues, je réalisai leur signification. Je fus si écrasé par leur puissance et leur gloire qu'instinctivement, je tombai à ses pieds et magnifiai son nom.
Aux premiers jours de l'an 1265 après l'hégire, (8.21) je partis, âgé de 18 ans, de mon village natal de Zarand pour Qum, ville où j'eus la chance de rencontrer Siyyid Ismá'íl-i-Zavár'í, surnommé Dhabíh, qui plus tard, à Baghdád, devait offrir sa vie en sacrifice dans le sentier de Bahá'u'lláh. Par lui, je fus amené à reconnaître la nouvelle révélation. Il se préparait à partir pour le Mázindarán et il était décidé à rejoindre les héroïques défenseurs du fort de Shaykh Tabarsí. Il avait l'intention de m'emmener avec lui, ainsi que Mírzá Fathú'lláh-i-Hakkák, un jeune homme de mon âge qui résidait à Qum. Comme les circonstances contrecarraient son projet, il promit, avant de partir, de se mettre en rapport avec nous de Tihrán, pour nous demander de le rejoindre.

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Au cours de sa conversation avec Mírzá Fathu'lláh et moi, il nous raconta l'histoire de la merveilleuse aventure de Mullá 'Abdu'l Karím. Je fus pris d'un ardent désir de rencontrer ce dernier. Lorsque, plus tard, j'arrivai à Tihrán et vis Siyyid Ismá'il dans la Madrisiy-i-Dáru' sh-Shafáy-i-Masjid-i-Sháh, celui-ci m'introduisit auprès de ce même Mullá 'Abdu'l-Karím, qui vivait alors dans la madrisih précitée. Nous apprîmes que la bataille de Shaykh Tabarsí avait pris fin et que les compagnons du Báb, qui s'étaient réunis à Tihrán dans l'intention de rejoindre leurs frères, étaient retournés chez eux sans avoir atteint leur but. Mullá 'Abdu'l-Karím resta dans la capitale, où il consacra son temps à la transcription du Bayan persan. Mon étroite association avec lui, en ce temps-là, me servit à approfondir mon amour et mon admiration pour lui. Je sens encore, trente-huit ans après notre première entrevue à Tihrán, la chaleur de son amitié et la ferveur de sa foi. Mes sentiments d'affectueuse considération envers lui m'ont incité à raconter dans leurs détails les circonstances relatives à la première partie de sa vie, dont le point culminant peut être considéré comme un tournant dans toute sa carrière. Puisse ceci, à son tour, servir à éveiller le lecteur à la gloire de cette révélation capitale.

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NOTE DU CHAPITRE 8:

(8.1) Semblable à un caravansérail.

(8.2) Signifiant littéralement "les sept qualifications".

(8.3) Voir glossaire.

(8.4) Allusion au nom du Bab.

(8.5) Allusion à Bahá'u'lláh. Voir glossaire.

(8.6) D'après le "Tárikh-i-Jadid" (p. 204), on lui avait aussi donné le titre de nizámu d-dawlih".

(8.7) "Une des tribus du Túrán, une famille turque, appelée Qájár, qui apparut pour la première fois en Perse dans l'armée d'envahisseurs de Changíz Khán." (C.R. Markham: "A General Sketch of the History of Persia", p. 339.)

(8.8) D'après l'ouvrage "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", de A.L.M. Nicolas (Note 175 au bas de la page 225), cette réunion eut lieu le 6 août 1845 ap. J-C.

(8.9) D'après le "Traveller's Narrative" (p. 5), un certain Mullá 'Alí-Akbar-i-Ardistání fut soumis avec eux à la même persécution.

(8.10) Qur'án, 3: 193.

(8.11) "Cette ville était devenue le théâtre de discussions passionnées qui troublèrent profondément la paix générale. Les curieux, les pèlerins, les amateurs de scandale s'y donnaient rendez-vous, commentant les nouvelles, approuvant ou blâmant, exaltant le jeune Siyyid ou le couvrant au contraire de malédictions ou d'injures: tout le monde s'excitait, s'énervait, s'affolait. Les Mullás voyaient avec une âpre inquiétude augmenter le nombre des sectateurs de la nouvelle doctrine: leur clientèle, par suite leurs ressources diminuaient d'autant. Il fallait aviser, une plus longue tolérance pouvait vider les mosquées de leurs fidèles convaincus que puisque Islam ne se défendait pas c'est qu'il avouait être vaincu. D'autre part, Husayn Khán, Nizámu'd-Dawlih, gouverneur de Shíráz, craignit qu'à laisser aller les choses le scandale devint tel, qu'il fût par la suite impossible à réprimer: c'était risquer la disgrâce, d'ailleurs le Bab ne se contentait pas de prêcher: il appelait à lui les hommes de bonne volonté. "Et celui qui connaît la parole de Dieu et ne lui vient pas en aide au moment de la violence est exactement comme celui qui s'est détourné du témoignage de sa Sainteté Husayn fils d' 'Ali à Karbilá. Ce sont ceux-là les impies (Kitáb-i-Baynu'l-Haramayn). Les intérêts civils ainsi d'accord avec les intérêts du ciel, Nizámu'd-Dawlih et Shaykh Abú-Turáb, l'Imám-Jum'ih, furent d'avis qu'il fallait infliger au novateur un affront qui le discréditât aux yeux de la population. Peut-être ainsi arriverait-on à calmer les choses." (A.L.M. Nicolas : "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 229-30.)

(8.12) Qur'án, 49: 6.

(8.13) "À la suite de cette séance publique provoquée par la sottise des mullás, et qui lui attira de nombreux partisans, le trouble fut profond dans toutes les provinces de la Perse, le débat prit

un tel caractère de gravité que Muhammad Sháh envoya à Shíráz un homme en qui il avait toute confiance pour lui faire un rapport de ce qu'il aurait vu et compris. Cet envoyé était Siyyid Yahyáyi-Dárábí" (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", pp. 232-3.)

(8.14) Mats 1845 ap. J-C.

(8.15) 1850-51 ap. J-C.

(8.16) "Quoi qu'il en soit, l'impression produite fut immense à Shíráz, et tout le monde lettré et religieux se pressa autour d' 'Ali-Muhammad. Aussitôt qu'il paraissait dans la mosquée, on l'entourait. Aussitôt qu'il s'asseyait dans la chaire, on faisait silence pour l'écouter. Ses discours publics n'attaquaient jamais le fond de Islam et respectaient la plus grande partie des formes: le Kirmán, en somme, y dominait. C'étaient, néanmoins, des discours hardis. Le clergé n'y était pas ménagé; ses vices y étaient cruellement flagellés. Les destinées tristes et douloureuses de l'humanité en étaient généralement le thème et, ça et là, certaines allusions dont l'obscurité irritait les passions curieuses des uns, tandis qu'elle flattait l'orgueil des autres, déjà initiés en tout ou en partie, donnaient à ces prédications un sel et un mordant tels que la foule y grossissait chaque jour, et que, dans toute la Perse, on commença à parler d' 'Ali-Muhammad.

Les Mullás de Shíráz n'avaient pas attendu tout ce bruit pour se réunir contre leur jeune détracteur. Dès ses premières apparitions en public, ils lui avaient envoyé les plus habiles d'entre eux, afin d'argumenter contre lui et de le confondre, et ces luttes publiques, qui se tenaient soit dans les mosquées, soit dans les collèges, en présence du gouverneur, des chefs militaires, du clergé, du peuple, de tout le monde enfin, au lien de profiter aux prêtres, ne contribuèrent pas peu à répandre et à exalter à leurs dépens la renommée de l'enthousiaste. Il est certain qu'il battit les contradicteurs; il les condamna, ce qui n'était pas très difficile, le Qur'án à la main. Ce fût un jeu pont lui de montrer à la face de ces multitudes, qui les connaissaient bien, à quel point leur conduite, à quel point lents préceptes, à quel point leurs dogmes mêmes étaient en contradiction flagrante avec le Livre, qu'ils ne pouvaient récuser.

D'une hardiesse et d'une exaltation extraordinaires, il flétrissait, sans ménagement aucun, sans souci aucun des conventions ordinaires, les vices de ses antagonistes et, après leur avoir prouvé qu'ils étaient infidèles quant à la doctrine, il les déshonorait dans leur vie et les jetait à croix ou pile à l'indignation ou au mépris des auditeurs. Les scènes de Shíráz, ces débuts de sa prédication, furent si profondément émouvants, que les musulmans restés orthodoxes, qui y ont assisté, en ont conservé un souvenir ineffaçable et n'en parlent qu'avec une sorte de terreur. Ils avouent unanimement que l'éloquence d'Alí-Muhammad était d'une nature incomparable et telle que, sans en avoir été témoin, on ne saurait l'imaginer.

Bientôt, le jeune théologien ne parut plus en publie qu'entouré d'une troupe nombreuse de partisans. Sa maison en était toujours pleine. Non seulement il enseignait dans les mosquées et dans les collèges, mais c'était chez lui, surtout, et le soir que, retiré dans une chambre avec l'élite de ses admirateurs, il soulevait pour eux les voiles d'une doctrine qui n'était pas encore parfaitement arrêtée pour lui-même. Il semblerait que, dans ces premiers temps, ce fût plutôt la partie polémique qui l'occupât que la dogmatique, et rien n'est plus naturel. Dans ces conférences secrètes, les hardiesses, bien autrement multipliées qu'en publie, grandissaient chaque jour, et elles tendaient si évidemment à un renversement complet de Islam, qu'elles servaient bien d'introduction à une nouvelle profession de foi. La petite Eglise était ardente, hardie, emportée, prête à tout, fanatisée dans le vrai sens et dans le sens élevé du mot, c'est-à-dire que chacun de ses membres ne se comptait pour rien et brûlait de sacrifier sang et argent à la cause de la vérité." (Comte de Gobineau, "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 120, 122)

Le Bab commença alors à réunir autour de lui un groupe d'adeptes dévoués. Il semble qu'il se soit fait remarquer par sa simplicité de manière extrême, par son amabilité engageante, et par son aspect d'un charme merveilleux. On était impressionné par son savoir et son éloquence pénétrante. Et ses écrits , quoiqu'ils parussent ternes à Gobineau, étaient très admirés par les Persans pour la beauté et l'élégance de leur style et produisirent une immense sensation à Shíráz. Dès qu'il entrait dans la mosquée, celle-ci était encerclée. Dès qu'il montait à la chaire, on faisait silence" (Sir FranCis Younghusband, "The Gleam' 'p. 194.) "La morale prêchée par un jeune homme à l'âge où les passions bouillonnent agit extraordinairement sur un auditoire composé de gens religieux jusqu'an fanatisme, surtout lorsque les paroles du prédicateur sont en parfaite harmonie avec ses actions.

Personne ne doutait de la continence ni de la rigidité du Karbilá'i Siyyid 'Ali-Muhammad: il parlait peu, était constamment rêveur et le plus souvent fuyait les hommes, ce qui excitait encore la curiosité; on le recherchait de toute part." (Journal Asiatique, 1866, tome 7, p. 341.) "Par la moralité de sa vie, le jeune Siyyid servait d'exemple à ceux qui l'entouraient. Aussi l'écoutait-on volontiers, lorsque, dans des discours ambigus et entrecoupés, il parlait contre les abus qui règnent dans tontes les classes de la société. On répétait ses paroles en les amplifiant; on parlait de loi comme du vrai maître, et l'on se livrait à lui sans réserve." (Ibidem)

(8.17) Voir glossaire.

(8.18) Voir glossaire.

(8.19) Qur'án 4: 50

(8.20) La nuit précédant le 13 février 1840 ap. J.-C.

(8.21) 1848 ap. J-C.



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CHAPITRE IX : le séjour du Báb à Shiraz après son pèlerinage (suite)

Peu après l'arrivée de Mullá Husayn à Shiraz, la voix du peuple s'éleva de nouveau contre lui. La peur et l'indignation de la foule s'intensifièrent encore lorsque celle-ci apprit qu'il fréquentait le Báb continuellement et dans l'intimité.
"Il est encore venu dans notre ville", s'écriaient les gens. Il a de nouveau hissé l'étendard de la rébellion et cherche, avec son chef, à livrer un assaut encore plus féroce à nos vénérables institutions." La situation devint si grave et si menaçante que le Báb dit à Mullá Husayn de regagner, par la voie de Yazd, sa province natale de Khurásán. Il renvoya également le reste de ses compagnons qui s'étaient réunis à Shiraz et les pria de retourner à Isfáhán. Il garda auprès de lui Mullá 'Abdu'l-Karím, à qui il assigna la tache de transcrire ses Ecrits.
Ces mesures de précaution, que le Báb estima sage d'adopter, le délivrèrent du danger immédiat de violence de la part du peuple de Shiraz en colère et servirent à donner un élan nouveau à la propagation de sa foi au-delà des confins de cette ville. Ses disciples, qui s'étaient dispersés à travers tout le pays, proclamèrent avec intrépidité à la foule de leurs compatriotes la force régénératrice de la révélation nouvellement née. La renommée du Báb s'était propagée et était parvenue aux oreilles de ceux qui occupaient les sièges les plus hauts de l'autorité, aussi bien dans la capitale que dans les provinces. (9.1) Une vague de recherche passionnée déferla sur les esprits et les coeurs tant des dirigeants que des masses du peuple. L'étonnement et l'émerveillement s'étaient emparés de ceux qui avaient entendu, de la bouche même des plus proches messagers du Báb, les récits des signes et des témoignages qui avaient annoncé la naissance de sa manifestation. Les dignitaires de l'Etat et de l'Eglise assistaient en personne ou déléguaient leurs représentants les plus capables pour aller s'enquérir de l'authenticité et du caractère de ce remarquable mouvement.

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Muhammad Sháh (9.2) lui-même fut porté à vérifier la véracité de ces rapports et à s'informer de leur nature. Il délégua Siyyid Yahyáy-i-Dárábí, (9.3) le plus érudit, le plus éloquent et le plus influent de ses sujets, pour rencontrer le Báb et lui rapporter le résultat de ses investigations. Le sháh avait une confiance absolue en son impartialité, en sa compétence et en sa perspicacité spirituelle profonde. Il occupait une position d'une prééminence telle parmi les principales figures de la Perse que, à toutes les réunions auxquelles il venait assister, on lui donnait invariablement le rôle d'orateur principal, quel que soit le nombre des chefs religieux présents. Personne n'osait faire valoir ses idées en sa présence. Tout le monde observait respectueusement le silence devant lui, tous témoignaient de sa sagacité, de son savoir inégalé et de sa sagesse consommée.
En ce temps-là, Siyyid Yahyá résidait à Tihrán dans la maison de Mírzá Lutf-'Alí, le maître de cérémonies à la cour du Sháh, en qualité d'invité très distingué de Sa Majesté Impériale. Le sháh signifia confidentiellement, par l'intermédiaire de Mírzá Lutf-'Alí, son désir et son bon plaisir de voir Siyyid Yahyá se rendre à Shiraz pour enquêter personnellement sur le sujet. "Dites-lui de notre part, ordonna le souverain, qu'étant donné la confiance absolue que nous avons en son intégrité, l'admiration que nous portons à ses qualités morales et intellectuelles, et la considération que nous avons pour lui en tant que théologien le plus apte de notre royaume, nous nous attendons à le voir partir pour Shiraz s'informer de manière approfondie sur l'épisode du Siyyid-i-Báb et à ce qu'il nous fasse part des résultats de ses recherches. Nous saurons alors quelles mesures il nous incombera de prendre."
Siyyid Yahyá avait été lui-même désireux de recueillir des informations de première main sur les revendications du Báb mais en raison de circonstances contraires, il avait été empêché d'entreprendre le voyage au Fárs. Le message de Muhammad Sháh le décida à mettre à exécution l'intention qu'il nourrissait depuis longtemps. Assurant le souverain de ce qu'il était prêt à se conformer à son voeu, il partit aussitôt pour Shiraz.
Chemin faisant, il conçut les diverses questions qu'il envisageait de poser au Báb. Des réponses que ce dernier pouvait lui donner, dépendraient, selon lui, la vérité et la validité de sa mission. A son arrivée à Shiraz, il rencontra Mullá Shaykh'Alí, surnommé 'Azím, qui avait été son ami intime lors de son' séjour dans le Khurásán. Il lui demanda s'il était satisfait de son entrevue avec le Báb. "Vous devriez le rencontrer, répondit 'Azím, et chercher personnellement à vous informer de sa mission.

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En tant qu'ami, je vous conseillerais de faire preuve de la plus grande déférence lors de vos conversations avec lui, afin que vous ne soyez pas, vous aussi, amené à déplorer un acte quelconque de discourtoisie envers lui."
Siyyid Yahyá rencontra le Báb chez Hájí Mírzá Siyyid'Alí et manifesta, dans son comportement, la courtoisie qu' Azím lui avait conseillé d'observer. Pendant environ deux heures, il attira l'attention du Báb sur les thèmes les plus abstrus et les plus déconcertants des enseignements métaphysiques de l'islám, sur les passages les plus obscurs du Qur'án et sur les traditions et les prophéties mystérieuses des Imáms de la foi. Le Báb écouta d'abord ses savantes références à la loi et aux prophéties de l'islám, prit note de toutes ses questions, et commença à donner à chacune d' elles une réponse brève mais convaincante. La concision et la clarté d ses répliques suscitèrent l'étonnement et l'admiration de Siyyid Yahyá. Il était écrasé par un sentiment d'humiliation devant sa présomption et sa fierté personnelles. Son sentiment de supériorité s'effaça complètement. Se levant pour partir, il s'adressa au Báb en ces termes: "S'il plaît à Dieu, je vous soumettrai au cours de ma prochaine entrevue avec vous, le reste de mes questions, et conclurai par là mon enquête." A peine s'était-il retiré qu'il rejoignit 'Azím, à qui il fit le récit de son entrevue. Je me suis, en sa présence, lui dit-il, inutilement étendu sur mon propre savoir. Il a pu, en quelques mots, répondre à mes questions et résoudre mes perplexités. Je me suis senti si humilié que je lui demandai précipitamment la permission de me retirer." 'Azím lui rappela son conseil et le pria de ne pas oublier, la fois suivante, l'avis qu'il lui avait donné.
Au cours de sa deuxième entrevue, Siyyid Yahyá découvrit à son grand étonnement, que toutes les questions qu'il avait eu l'intention de soumettre au Báb s'étaient effacées de sa mémoire. Il se contenta de sujets qui semblaient ne pas relever de l'objet de son enquête. Il s'aperçut bientôt, à sa plus grande surprise, que le Báb répondait, avec la même clarté et la même concision qui avaient caractérisé ses réponses antérieures, à ces mêmes questions qu'il avait momentanément oubliées. "Je semblais être tombé dans un profond sommeil", observa-t-il plus tard. "Ses paroles, ses réponses aux questions que j'avais oublié de poser, me réveillèrent. Une voix me murmurait encore à l'oreille: "Cela ne pourrait-il, après tout, n'avoir été qu'une coïncidence accidentelle?" J'étais trop agité pour pouvoir rassembler mes idées.

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Je demandai de nouveau la permission de me retirer. 'Azím, que je rencontrai peu après, me reçut avec une froide indifférence et observa avec sévérité: "Il aurait mieux valu que les écoles aient été totalement abolies et qu'aucun de nous n'y soit entré. Par la petitesse de notre esprit et par notre vanité, nous sommes en train de nous soustraire à la grâce rédemptrice de Dieu et de causer de la peine à celui qui en est la Source. Ne supplieras-tu pas Dieu cette fois-ci de te permettre de parvenir en sa présence avec l'humilité et le détachement requis; peut-être, par sa miséricode, te délivrera-t-il ainsi de l'oppression, de l'incertitude et du doute?"
"Je décidai alors de formuler en moi-même, au cours de ma troisième entrevue avec le Báb, une requête l'invitant à révéler pour moi un commentaire sur la súrih de Kawthar (9.4). J'étais décidé à ne pas lui en souffler mot si, sans y être invité, il révélait ce commentaire dans un style qui, à mes yeux, se distinguerait aussitôt des normes prévalant parmi les commentateurs du Qur'án, je serais alors convaincu du caractère divin de sa mission et embrasserais sa cause. Sinon, je refuserais de le reconnaître. A peine avais-je été introduit en sa présence qu'un sentiment de crainte, que je ne pouvais expliquer, s'empara soudain de moi. Mes membres se mirent à trembler lorsque je vis son visage. Moi qui, à maintes reprises, avais été introduit auprès du Sháh et n'avais jamais découvert en moi-même la moindre trace de timidité, j'étais à présent si terrifié et bouleversé que je ne pouvais me tenir debout. Le Báb, voyant mon état, se leva de son siège, s'avança vers moi et, me prenant par la main, me fit asseoir auprès de lui. "Demandez-moi, dit-il, ce que votre coeur désire. Je vous le révélerai aussitôt." Je restai muet d'étonnement. Tel un nouveau-né qui ne peut ni comprendre, ni parler, je me sentis impuissant à donner une réponse. Il sourit en me regardant et dit: "Si je révélais pour vous le commentaire sur la súrih de Kawthar, reconnaîtriez-vous que mes paroles sont nées de l'Esprit de Dieu? Admettriez-vous qu'elles ne peuvent être assimilées à de la sorcellerie ou à de la magie?" Des larmes coulèrent de mes yeux lorsque je l'entendis prononcer ces mots. Tout ce que je fus capable de proférer fut ce verset du Qur'án: "O notre Seigneur, en nous-mêmes nous avons agi de manière injuste. Si tu ne nous pardonnes pas et si tu n'as pas pitié de nous, nous serons à coup sûr de ceux qui périssent."
"Il était encore tôt dans l'après-midi lorsque le Báb pria Hájí Mírzá Siyyid'Alí de lui apporter son plumier et du papier. Il commença alors à révéler son commentaire sur la súrih de Kawthar.

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Comment pourrais-je décrire cette scène d'une majesté inexprimable? Les versets coulaient de sa plume avec une rapidité qui était vraiment surprenante. L'incroyable célérité de son écriture, (9.5) le murmure doux et aimable de sa voix, la force prodigieuse de son style m'étonnèrent et m'ébahirent. Il continua ainsi jusqu'au coucher du soleil. Il ne s'arrêta que lorsque le commentaire de la súrih tout entier fut achevé. Il posa alors sa plume et fit apporter du thé. Peu après, il commença à lire à haute voix le texte révélé. Mon coeur battait à une cadence folle lorsque je l'entendis exprimer, en des accents d'une douceur ineffable, les trésors enchâssés dans ce sublime commentaire. (9.6) Je fus si ravi par sa beauté que, par trois fois, je faillis perdre connaissance. Il chercha à ranimer ma force défaillante avec quelques gouttes d'eau de rose dont il aspergea mon visage. Cela me rendit de la vigueur et me permit de suivre sa lecture jusqu'au bout.
"Lorsqu'il eut terminé, il se leva pour partir et me confia aux soins de son oncle maternel. "Il doit être votre invité, lui dit-il, jusqu'au moment où il aura, en collaboration avec Mullá'Abdu'l-Karím, achevé de transcrire ce commentaire nouvellement révélé, et vérifié l'exactitude de la transcription." Mullá'Abdu'l-Karím et moi-même consacrâmes trois jours et trois nuits à exécuter cette tâche. Nous lisions, chacun à notre tour et à haute voix, une partie du commentaire et ce, jusqu'à ce que le tout fût transcrit. Nous vérifiâmes toutes les traditions contenues dans le texte et les trouvâmes entièrement exactes. La certitude à laquelle j'étais parvenu était si évidente que, si toutes les puissances de la terre s'étaient liguées contre moi, elles auraient été incapables d'ébranler ma confiance en la grandeur de sa cause. (9.7)
"Comme j'avais, depuis mon arrivée à Shiraz, vécu chez Husayn Khán, le gouverneur du Fárs, je sentis que mon absence prolongée pouvait éveiller des soupçons de sa part et provoquer sa colère contre moi. Je décidai par conséquent de prendre congé de Hájí Mírzá Siyyid 'Alí et de Mullá'Abdu'l-Karím, et de regagner la résidence du gouverneur. A mon arrivée, Husayn Khán, qui, entre-temps, m'avait cherché, était impatient de savoir si j'étais, moi aussi, tombé victime de l'influence magique du Báb. "Personne, hormis Dieu qui, seul, peut transformer le coeur des hommes, répondis-je, n'est capable de captiver le coeur de Siyyid Yahyá. Celui qui peut séduire son coeur vient de Dieu, et sa parole est, indubitablement, la voix de la vérité." Ma réponse réduisit le gouverneur au silence; lors de sa conversation avec les autres, appris-je par la suite, il avait exprimé l'avis selon lequel j'avais, moi aussi, succombé comme un homme impuissant au charme de ce jeune homme.

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Il avait même écrit à Muhammad Sháh et s'était plaint auprès de lui de ce que, pendant mon séjour à Shiraz, j'avais refusé toute forme de relation avec les 'ulamás de cette ville. "Bien qu'il soit officiellement mon invité, avait-il écrit au souverain, il s'absente fréquemment plusieurs jours et plusieurs nuits de suite. Quant à moi, j'ai acquis la certitude qu'il est devenu Bábí et qu'il est tombé, corps et âme, captif de la volonté du Siyyid-i-Báb."
On rapporte que Muhammad Sháh lui-même lors d'une des cérémonies célébrées dans sa capitale, aurait adressé ces paroles à Hájí Mírzá Áqásí: "Nous avons été récemment informé (9.8) que Siyyid Yahyáy-i-Dárábí est devenu Bábí. Si cela est vrai, il est de notre devoir de cesser de mépriser la cause de ce siyyid." Husayn Khán, de son côté, reçut 1'ordre impérial suivant: "Il est formellement interdit à chacun de nos sujets d'exprimer des paroles tendant à dénigrer le rang sublime de Siyyid Yahyáy-i-Dárábí. Il est de descendance noble, c'est un homme de rand savoir, de vertu parfaite et accomplie. En aucun cas il ne prêtera le à une cause, s'il ne la croit pas capable d'aider à l'avancement des meilleurs intérêts de notre royaume et au bon renom de la foi islamique."
"À la réception de cet ordre impérial, Husayn Khán, ne pouvant s'opposer ouvertement à moi, s'efforça en secret de saper mon autorité. Son visage trahissait une haine et une inimitié implacables. Il ne put cependant, vu les faveurs manifestes que me prodiguait le Sháh, nuire à ma personne ou discréditer mon nom.
"Le Báb me donna, peu après, l'ordre de me rendre à Burújird et de mettre mon père (9.9) au courant du nouveau message. Il me pria instamment de faire preuve envers lui d'une patience et d'une considération extrêmes. Des entretiens c3níidentiels que j'eus avec lui, je conclus qu'il ne désirait pas rejeter la vérité du message que je lui avais apporté. Il préférait cependant être laissé seul et être autorisé à suivre sa propre voie.
Un autre dignitaire du royaume qui fit une recherche impartiale sur le message du Báb et embrassa finalement sa cause, fut Mullá Muhammad-'Alí, (9.10) natif de Zanján, auquel le Báb donna le surnom de Hujjat-i-Zanjání. C'était un homme très indépendant, connu pour son extrême originalité et pour son détachement de toutes formes de contraintes traditionnelles. Il dénonçait ouvertement toute la hiérarchie des chefs religieux de son pays, depuis l'Abváb-i-Arba'ih (9.11) jusqu'au plus humble Mullá de son époque.

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Il méprisait leur caractère, déplorait leur dégénérescence et s'étendait longuement sur leurs vices. Il trahissait même, avant sa conversion, une attitude dédaigneuse vis-à-vis de Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í et de Siyyid Kázim-i-Rashtí. (9.12) Il était si horrifié des méfaits qui avaient entaché l'histoire de l'islám shí'ah qu'il considérait tout homme qui appartenait à cette secte, quels que fussent ses talents, comme indigne de sa considération. Les cas de violente controverse entre lui et le clergé de Zanján ne manquèrent pas et, sans l'intervention du sháh, auraient pu mener a de graves désordres et à des bains de sang. Il fut finalement convoque à la capitale et, en présence de ses ennemis, représentants des chefs religieux de Tihrán et d'autres villes, il fut appelé à justifier ses affirmations. Seul et sans aide, il prouvait sa supériorité sur ses adversaires et réduisait leurs clameurs au silence. Bien que dans leurs coeurs ils fussent en dé accord avec ses idées et qu'ils condamnassent sa conduite, ses ennemi furent obligés de reconnaître, en apparence, son autorité et de confirmer son opinion.
A peine l'appel de Shiraz était-il parvenu à ses oreilles que Hujjat chargea l'un de ses disciples, Mullá Iskandar, en qui il avait une confiance absolue, d'aller se renseigner aussi complètement que possible à ce sujet et de lui communiquer le résultat de ses investigations. Totalement indifférent aux louanges ou aux blâmes de ses compatriotes, dont il suspectait l'intégrité et dont il méprisait le jugement, il envoya son délégué à Shiraz avec la mission explicite d'y mener une enquête minutieuse et indépendante. Mullá Iskandar parvint en présence du Báb et sentit aussitôt la force régénératrice de son influence. Il s'attarda quarante jours à Shiraz, période pendant laquelle il s'imprégna des principes de la foi et acquit, selon ses capacités, une perception du degré de sa gloire.
Avec l'approbation du Báb, il retourna à Zanján. Il y parvint à un moment où tous les principaux 'ulamás de cette ville s'étaient réunis en présence de Hujjat. A peine était-il apparu que ce dernier lui demanda s'il croyait à cette nouvelle révélation ou s'il la rejetait. Mullá Iskandar lui remit les Ecrits du Báb qu'il avait apportés avec lui et affirma qu'il estimait de son devoir d'accepter le jugement de son maître, quel qu'il fût. "Quoi!", s'exclama Hujjat en colère. "S'il n'y avait pas cette assemblée distinguée, je vous aurais châtié sévèrement. Comment osez-vous considérer les problèmes de foi comme étant dépendants de l'approbation ou du rejet des autres?" Après avoir pris de la main de son messager la copie du Qayyúmu'l-Asmá', il en lut une page puis se prosterna aussitôt sur le sol en s'exclamant:

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"Je témoigne que ces paroles que je viens de lire procèdent de la même source que le Qur'án. Quiconque a reconnu la vérité de ce Livre sacré doit forcément attester de l'origine divine de ces paroles et se soumettre aux préceptes inculqués par leur Auteur. Je vous prends à témoin, vous, membres de cette assemblée: je promets une obéissance telle à l'Auteur de cette révélation que, s'il venait jamais déclarer que la nuit est le jour et que le soleil est une ombre, je me soumettrais sans réserve à son jugement et je considérerais son verdict comme la voix de la Vérité. Quiconque le rejette sera considéré par moi comme ayant répudié Dieu lui-même." Par ces paroles, il mît fin aux débats de cette réunion. (9.13)
Nous avons, dans les pages précédentes, fait allusion à l'expulsion de Quddús et de Mullá Sádiq de Shiraz, et tenté de décrire, quoique de manière inadéquate, le châtiment infligé à ces deux personnes par le tyranique et rapace Husayn Khán. Un mot doit être dit à présent sur la nature de leurs activités après leur expulsion de cette ville. Pendant quelques jours, ils continuèrent leur voyage ensemble, après quoi ils se séparèrent, Quddús partant pour Kirmán afin d'y rencontrer Hájí Mírzá Karím Khán, et Mullá Sádiq dirigeant ses pas vers Yazd dans le but de poursuivre, parmi les 'ulamás de cette province, la tâche qu'il avait été si cruellement obligé d'abandonner dans le Fárs. Quddús fut reçu, à son arrivée, chez Hájí Siyyid Javádi-Kirmání, qu'il avait connu à Karbilá et dont l'érudition, le talent et la compétence étaient unanimement reconnus par les habitants de Kirmán. Lors de chaque réunion tenue dans sa maison, il réserva invariablement à son jeune invité la place d'honneur et le traita avec une déférence et une courtoisie extrêmes. Une préférence si marquée pour une personne si jeune et apparemment médiocre suscita la jalousie des disciples d'Hájí Mírzá Karím Khán qui, décrivant dans un langage vivant et exagéré, les honneurs qui étaient prodigués à Quddús, cherchèrent à attiser l'hostilité latente de leur chef. "Voyez, lui murmuraient-ils à l'oreille, celui qui est le plus aimé par le Siyyidi-Báb, celui en qui ce dernier a le plus confiance et qu'il considère comme son compagnon le plus intime, est à présent l'hôte très honoré d'un homme qui est indubitablement l'habitant le plus puissant de Kirmán. S'il lui est permis de vivre en compagnie intime de Hájí Siyyid Javàd, il instillera, sans nul doute, un poison dans son âme et le transformera, lui, en un instrument au moyen duquel il parviendra à miner votre autorité et à étouffer votre renommée." Alarmé par ces murmures malveillants, le lâche Hájí Mírzá Karím Khán fit appel au gouverneur et le persuada de convoquer Hájí Siyyid Javád en personne pour lui demander de mettre fin à cette dangereuse fréquentation.

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Les observations du gouverneur suscitèrent la colère de l'immodéré Hájí Siyyid Javád. "Combien de fois", protesta-t-il avec violence, "ne vous ai-je pas conseillé d'ignorer les chuchotements de ce vil conspirateur! Ma tolérance l'a enhardi. Qu'il prenne garde de ne pas dépasser les limites. Désire-t-il usurper ma position? N'est-ce pas l'homme qui reçoit chez lui des milliers de personnes abjectes et ignobles et qui les comble de flatteries serviles? N'a-t-il pas à maintes reprises essayé d'exalter les impies et de réduire au silence les innocents? N'a-t-il pas, année après année, cherché, en prêtant main forte aux malfaiteurs a s'allier avec ceux-ci pour satisfaire des désirs charnels? N'a-t-il pas, jusqu'à ce jour, persisté dans son attitude de blasphémateur contre tout ce qui est pur et saint dans l'islám? Mon silence semble avoir intensifié sa témérité et son insolence. Il se permet de commettre les actes immondes et me refuse le droit de recevoir et d'honorer dans ma propre maison un homme si intègre, si savant et si noble. Qu'il soit averti que s'il refuse de renoncer à ses agissements, à mon instigation, les éléments les plus exécrables de cette ville l'expulseront de Kirmán." Déconcerté par de telles dénonciations véhémentes, le gouverneur s'excusa pour son acte. Avant de se retirer, il assura Hájí Siyyid Javád qu'il n'avait rien à craindre, qu'il s'efforcerait lui-même de faire comprendre à Hájí Mírzá Karím Khán la folie de son attitude et qu'il l'engagerait à se repentir.
Le message du siyyid irrita Hájí Mírzá Karím Khán. Torturé par un ressentiment intense qu'il ne pouvait ni réprimer ni satisfaire, il abandonna tout espoir de devenir le chef incontesté des habitants de Kirmán. Ce défi public annonça la fin des ambitions qu'il nourrissait.
Dans l'intimité de sa maison, Hájí Siyyid Javád entendit Quddús raconter tous les détails de ses activités depuis le jour de son départ de Karbilá jusqu'à celui de son arrivée à Kirmán. Les circonstances de sa conversion et son pèlerinage subséquent avec le Báb bouleversèrent l'imagination de son hôte et embrasèrent son coeur de la flamme de la foi. Le siyyid préféra cependant ne pas dévoiler sa croyance, espérant ainsi pouvoir préserver de manière plus effective les intérêts de la communauté nouvellement établie. "Votre noble résolution, lui assura affectueusement Quddús, sera regardée comme un insigne service rendu à la cause de Dieu. Le Tout-Puissant secondera vos efforts et affirmera pour toujours votre suprématie sur vos ennemis.

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L'incident me fut rapporté par un certain Mírzá 'Abdu'lláh-iGhawghà qui, lors de son séjour à Kirmán, l'avait entendu de la bouche même de Hájí Siyyid Javád. La sincérité des intentions exprimées par le siyyid a été pleinement justifiée par la manière splendide dont il réussit, grâce à ses efforts, à résister aux empiètements de l'insidieux Hájí Mírzá Karím Khán qui, si on ne l'avait défié, aurait causé d'incalculables dommages à la foi.
De Kirmán, Quddús décida de partir pour Yazd et, de là, de se rendre à Ardikán, Náyin, Ardistán, Isfáhán Káshán, Qum et Tihrán. Dans chacune de ces villes, en dépit des obstacles qui jonchaient son chemin, il réussit à instiller dans la compréhension de ses auditeurs les principes qu'il avait si courageusement résolu de défendre. J'ai entendu Áqáy-i-Kalím, le frère de Bahá'u'lláh, décrire dans les termes suivants sa rencontre avec Quddús à Tihrán: "Le charme de sa personne, son affabilité extrême, associés à la dignité de son comportement, séduisaient même le plus inattentif des observateurs.

PHOTO: vues de la maison du père de Quddús à Bárfurúsh

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Quiconque était dans l'intimité de ce jeune homme se sentait saisi d'une admiration sans borne pour son charme. Nous le vîmes un jour faire ses ablutions et fûmes frappés par la grâce qui le distinguait des autres adorateurs lors de l'accomplissement d'un rite aussi ordinaire. Il nous sembla être l'incarnation même de la pureté et de la grâce."
A Tihrán, Quddús fut reçu par Bahá'u'lláh, après quoi il partit pour le Mázindarán où, dans sa ville natale de Bárfurúsh, il vécut dans la maison de son père environ deux années durant lesquelles il fut entouré des soins affectueux des membres de sa famille. Son père avait épousé, à la mort de sa première femme, une dame qui traitait Quddús avec une gentillesse et un soin qu'aucune mère au monde n'aurait u espérer surpasser. Elle désirait ardemment le voir se marier et n l'avait souvent entendue exprimer sa crainte de devoir emporter avec elle dans sa tombe la suprême joie de son coeur. "Le jour de mon mariage, faisait observer Quddús, n'est pas encore arrivé. Ce jour-là sera glorieux au-delà de toutes paroles. Ce n'est pas à l'intérieur de cette maison mais au dehors, en plein air, sous la voûte céleste, a milieu du Sabzih-Maydán et sous le regard de la foule, que je célébrerai mes noces et verrai la réalisation de mes voeux." Trois années plus tard, quand cette dame apprit les circonstances dans lesquelles avait eu lieu le martyre de Quddús dans le Sabzih Maydán, elle se souvint de ses paroles prophétiques et comprit leur signification. (9.14) Quddús resta à Bárfurúsh jusqu'au moment où Mullá Husayn le rejoignit, à son retour de la visite qu'il avait faite au Báb dans la forteresse de Mah-Ku. De Bárfurúsh, ils partirent tous deux pour le Khurásán, voyage rendu mémorable par des actes si héroïques qu'aucun de leurs compatriotes ne pourrait espérer les égaler.
Quant à Mullá Sádiq, à peine arrivé à Yazd, il se renseigna auprès d'un ami de confiance, natif du Khurásán, sur les derniers développements relatifs au progrès de la cause dans cette province. Il était
particulièrement anxieux d'être éclairé sur les activités de Mírzá Ahmad-i-Azghandí et exprima sa surprise devant l'inactivité apparente de celui qui, à un moment où le mystère de la foi n'était pas s encore divulgué, avait fait preuve d'un zèle si remarquable en préparant les gens à accepter la Manifestation attendue.
"Mírzá Ahmad, lui dit-on, s'est enfermé chez lui pendant une longue période et a concentré ses efforts sur la préparation d'un savant et volumineux recueil des traditions et des prophéties islamiques concernant l'époque et le caractère de la dispensation promise.

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Il a groupé plus de douze mille traditions des plus explicites et dont l'authenticité est reconnue par tous; il est fermement résolu à faire toutes les démarches nécessaires en vue de la copie et de la diffusion de ce livre. En encourageant ses disciples à se référer à son contenu publiquement dans toutes les réunions et congrégations, il espérait pouvoir supprimer les obstacles propres à freiner les progrès de la cause qu'il chérissait.
"Quand il arriva à Yazd, il fut chaleureusement accueilli par son oncle maternel, Siyyid Husayn-i-Azghandí, le plus éminent des mujtahids de cette ville qui, quelques jours avant l'arrivée de son neveu, lui avait envoyé une demande écrite le priant de se hâter de venir dans sa ville pour le libérer des machinations de Hájí Mírzá Karím Khán, qu'il considérait comme un ennemi dangereux, quoique inavoué de l'islám. Le mujtahid fit appel à Mírzá Ahmad pour combattre, par tous les moyens en son pouvoir, l'influence pernicieuse de cet homme, et exprima le désir de le voir s'établir en permanence à Yazd afin que, par ses exhortations et appels continuels, il pût éclairer la population quant aux véritables buts et intentions de cet adversaire malfaisant.
"Mírzá Ahmad, cachant à son oncle son intention première de se rendre à Shiraz, décida de prolonger son séjour à Yazd. Il lui montra le livre qu'il avait écrit et fit part aux 'ulamás de son contenu; ceux-ci affluèrent de tous les quartiers de la ville pour le rencontrer. Ils furent tous profondément impressionnés par l'application, l'érudition et le zèle dont avait fait preuve le compilateur de ce célèbre ouvrage.
"Parmi ceux qui allèrent visiter Mírzá Ahmad se trouvait un certain Mírzá Taqí, homme pervers, ambitieux et hautain, qui venait de rentrer de Najaf où il avait terminé ses études et avait été élevé au rang de mujtahid. Au cours de son entretien avec Mírzá Ahmad, il exprima le désir de prendre connaissance de ce livre et de pouvoir le garder quelques jours afin d'acquérir une entière compréhension de son contenu. Siyyid Husayn et son neveu accédèrent tous deux à sa demande. Mírzái Taqí promit de le rapporter mais ne tint pas sa promesse. Mírzá Ahmad. qui avait déjà soupçonné le manque de sincérité des intentions de Mírzá Taqí, pria son oncle de rappeler à l'emprunteur la promesse qu'il avait donnée. "Dites à votre maître", répondit l'insolent au messager envoyé pour lui réclamer le livre, "qu'après m'être assuré du caractère nuisible de ce recueil, j'ai décidé de le détruire. La nuit passée, je l'ai jeté dans l'étang, effaçant ainsi ses pages."

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"Saisi d'une profonde indignation à la vue d'une telle impertinence et d'une telle duplicité, Siyyid Husayn décida de se venger. Mírzá Ahmad réussit cependant, grâce à ses conseils avisés, à calmer la colère de son oncle furieux et à le dissuader d'appliquer les mesures qu'il se proposait de prendre. "La punition que vous envisagez, lui dit-il, ne fera que susciter l'agitation du peuple et provoquer sédition et méfaits. Cela va sérieusement contrarier les efforts que vous me demandez de déployer pour mettre fin à l'influence de Hájí Mírzá Karím Khán. Il saisira sans aucun doute l'occasion pour vous dénoncer comme Bábí et pour me tenir responsable de votre conversion. Ainsi sapera-t-il en même temps votre autorité et se gagnera-t-il l'estime et la gratitude des habitants. Laissez-le entre les mains du Seigneur."
Mullá Sádiq fut très heureux lorsqu'il apprit, d'après le récit de cet incident, que Mírzá Ahmad résidait effectivement à Yazd et que rien ne s'opposait à sa rencontre avec lui. Il alla aussitôt au masjid dans lequel Siyyid Husayn dirigeait la prière en commun et où Mírzá Ahmad prononçait le sermon. Choisissant son siège dans le premier rang des croyants, il se joignit à eux pour la prière, puis alla tout droit vers Siyyid Husayn et l'embrassa en public. Il monta aussitôt sur la chaire ans y avoir été invité et se prépara à s'adresser aux fidèles. Siyyid Husayn, bien qu'effrayé au début, préféra se garder de toute objection, curieux qu'il était de découvrir le but de l'intervention soudaine de l'homme, et de vérifier le degré de son savoir. Il fit signe à son neveu de s'abstenir de toute opposition.
Mullá Sádiq commença son discours par l'une des homélies les mieux connues et les plus exquises du Báb, après quoi il s'adressa à la congrégation en ces termes: "Rendez grâce à Dieu, ô peuple de savoir car, voyez, la porte de la connaissance divine, que vous croyiez fermée, est à présent grande ouverte. La rivière de vie éternelle à coulé de la ville de Shiraz et confère d'indicibles bénédictions aux habitants de ce pays. Quiconque a pris une seule goutte de cet océan de grâce céleste, fût-il humble et illettré, a découvert en lui-même le pouvoir d'éclaiRcir les mystères les plus profonds et s'est senti capable d'exposer les thèmes les plus abstrus de la sagesse antique. Et quiconque - fût-il le plus érudit des interprètes de la foi islamique - a choisi de s'appuyer sur sa propre compétence et sa propre force, et a dédaigné le message de Dieu, s'est condamné à une dégradation et à une perdition irrémédiables."
Une vague d'indignation et de consternation s'empara de la congrégation tout entière lorsque ces paroles de Mullá Sádiq eurent annoncé avec éclat cette importante nouvelle.

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Dans le masjid retentirent les cris de "blasphème !" qu'une congrégation en fureur lançait, horrifiée, contre l'orateur. "Descendez de la chaire", s'écria Siyyid Husayn au milieu de la clameur et du tumulte de la foule, en faisant signe à Mullá Sádiq de garder son sang-froid et de se retirer. A peine celui-ci avait-il regagné le parterre du masjid que le groupe des fidèles tout entier se rua sur lui et le roua de coups. Siyyid Husayn intervint aussitôt, fit disperser la foule avec énergie et, saisissant la main de Mullá Sádiq, l'emmena de force de son côté. "Retirez vos mains, cria-t-il à la foule, laissez-le moi; je l'emmènerai chez moi et enquêterai minutieusement sur cette affaire. Un accès de folie peut l'avoir incité à prononcer ces mots. Je l'interrogerai moi-même. Si je trouve que ses paroles ont été préméditées et qu'il croit lui-même fermement aux choses qu'il a déclarées, je lui infligerai, de mes propres mains, le châtiment que requiert en pareil cas la loi islamique."
Grâce à cette solennelle assurance, Mullá Sádiq fut délivré des sauvages attaques de ses assaillants. Dépourvu de son 'abá (9.15) et de son turban, privé de ses sandales et de son bâton, meurtri et commotionné par les blessures qu'il avait reçues, il fut confié aux soins des assista de Siyyid Husayn qui, en se forçant un passage parmi la foule, réunirent finalement à le conduire chez leur maître.
Mullá Yúsuf-i-Ardibílí, lui aussi, fut en ces jours l'objet d'une persécution plus féroce et plus acharnée encore que l'attaque barbare lancée par les gens de Yazd contre Mullá Sádiq. Sans l'intervention de Mírzá Ahmad et l'assistance de son oncle, Mullá Yúsuf serait tombé victime de la colère d'un ennemi féroce.
Quand Mullá Sádiq et Mullá-i-Ardibílí arrivèrent à Kirmán, ils durent subir les mêmes outrages et eurent à souffrir des mêmes afflictions des mains de Hájí Mírzá Karím Khán et de ses alliés. (9.16) Les efforts persistants de Hájí Siyyid Javád les libérèrent finalement de l'étreinte de leurs persécuteurs et leur permirent de se rendre au Khurásán.
Bien que chassés et harcelés par leurs ennemis, devant aussi faire face à des actions criminelles, les disciples les plus proches du Báb, ainsi que leurs compagnons dispersés dans différentes régions de la Perse, ne se découragèrent pas dans l'accomplissement de leur tâche. Inébranlables dans leur résolution et immuables dans leurs convictions, ils continuèrent à lutter contre les forces obscures qui les assaillaient à chaque pas sur leur chemin. Grâce à leur dévouement sans bornes et à leur courage sans égal, ils purent démontrer à beaucoup de leurs compatriotes l'influence exaltante de la foi dont ils s'étaient fait les défenseurs.

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Alors que Vahíd (9.17) se trouvait encore à Shiraz, Hájí Siyyid Javád-i-Karbilá'í (9.18) arriva dans cette ville et fut introduit par Hájí Mírzá Siyyid'Alí auprès du Báb. Dans une tablette qu'il adressa à Vabíd et à Hájí Siyyid Javád, le Báb exalta la fermeté de leur foi et souligna le caractère inaltérable de leur dévotion. Hájí Siyyid Javád avait rencontré et connu le Báb avant qu'il ne déclare sa mission, et avait été un fervent admirateur de ces traits de caractère extraordinaires qui l'avaient distingué depuis son enfance. Il devait, par la suite, rencontrer Bahá'u'lláh à Baghdád et devenir le bénéficiaire de sa faveur particulière. Lorsque, quelques années plus tard, Bahá'u'lláh fut exilé à Andrinople, il devait retourner, déjà très âgé, en Perse, passer quelque temps dans la province d' 'Iraq et, de là, partir pour le Khurásán. Son tempérament bienveillant, sa patience extrême et sa simplicité naturelle lui avaient valu le surnom de Siyyid-i-Núr (9.19)
Hájí Siyyid Javád, en traversant un jour une rue de Tihrán, vit soudain le sháh passer à cheval. Nullement troublé par la présence de son souverain, il s'approcha de lui et le salua. Sa vénérable silhouette et la dignité de son attitude plurent énormément au sháh. Il répondit à son salut et l'invita à venir le voir. La réception que lui réserva le souverain fut telle que les courtisans en furent jaloux. "Votre Majesté Impériale ne réalise-t-elle pas, protestèrent-ils, que ce Hájí Siyyid Javád n'est autre que l'homme qui, avant même la déclaration du Siyyid-i-Báb, s'était déclaré Bábí et avait promis à ce dernier son éternelle loyauté?" Le Sháh perçut la malignité qui les avait incités à porter cette accusation; profondément irrité, il les blâma pour leur témérité et leur bassesse. "Comme c'est étrange! se serait-il exclamé; quiconque se distingue par la droiture de son comportement et la courtoisie de ses manières est aussitôt dénoncé par mes gens comme Bábí et considéré par eux comme un objet digne de ma condamnation!"
Hájí Siyyid Javád passa les derniers jours de sa vie à Kirmán et demeura jusqu'au dernier moment un ferme partisan de la foi. Il ne douta jamais dans ses convictions et ne relâcha point ses généreux efforts en faveur de la propagation de la cause.
Shaykh Sultán-i-Karbilá'í, dont les ancêtres comptaient parmi les principaux 'ulamás de Karbilá, et qui avait été lui-même un défenseur très ferme et un compagnon intime de Siyyid Kázim, était aussi de ceux qui, en ce temps-là, avaient rencontré le Báb à Shiraz.

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Ce fut lui qui, plus tard, partit pour Sulaymáníyyih à la recherche de Bahá'u'lláh, et dont la fille fut ensuite donnée en mariage à Áqáy-i-Kalím. Lorsqu'il arriva à Shiraz, il était accompagné de Shaykh Hasan-i-Zunúzí, à qui nous avons fait allusion dans les premières pages de ce récit. C'est lui que le Báb chargea de transcrire, en collaboration avec Mullá'Abdu'l-Karím, les Tablettes qu'il venait de révéler. Shaykh Sultan qui, à son arrivée, avait été malade au point de ne pouvoir rencontrer le Báb, reçut une nuit, alors qu'il gardait encore le lit, un message de son Bien-Aimé l'informant de ce qu'aux environs de deux heures après le coucher du soleil, il viendrait lui rendre visite en personne. Cette nuit-là, le serviteur éthiopien qui éclairait avec une lanterne le chemin de son maître, reçut l'ordre de marcher en avant, à une distance suffisante pour ne pas attirer l'attention des gens sur la personne du Báb, et d'éteindre la lanterne aussitôt la destination atteinte.
J'ai entendu Shaykh Sultan lui-même décrire cette visite nocturne: "Le Báb, qui m'avait prié d'éteindre la lampe de ma chambre avant son arrivée, vint tout droit à mon chevet. Au milieu de l'obscurité qui nous entourait, je tenais fermement le pan de son vêtement et le suppliai en ces termes: "Réalise mon désir, ô Bien-Aimé de mon coeur, et permets-moi de me sacrifier pour toi car personne, à part toi, n'est capable de m'accorder cette faveur." "O shaykh! répondit le Báb, moi aussi, je souhaite ardemment être immolé sur l'autel du sacrifice. Il nous incombe à tous deux de nous accrocher au vêtement de celui qui est aimé plus que tout et de chercher auprès de lui la joie et la gloire du martyre dans son sentier. Soyez assuré que je supplierai en votre nom le Tout-Puissant de vous permettre d'atteindre sa présence.

PHOTO: siyyid Javad-i-Karbila'i

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Souvenez-vous de moi ce jour-là, un jour tel que le monde n'en aura jamais vu de pareil auparavant." Comme l'heure de la séparation approchait, il me mit dans la main un don qu'il me pria de dépenser pour moi-même. J'essayai de refuser, mais il me demanda de l'accepter. Finalement, j'accédai à son désir; là-dessus, il se leva et partit.
"L'allusion du Báb, cette nuit-là, à celui qu'il aimait plus que tout, suscita mon étonnement et ma curiosité. Au cours des années qui suivirent, je crus maintes fois que celui à qui le Báb avait fait allusion n'était autre que Tahirih. Je soupçonnai même Siyyid-i-'Uluvv d'être cette personne-là. J'étais cruellement perplexe et ne savais comment éclaircir ce mystère. Lorsque j'arrivai a Karbilá et parvins à voir Bahá'u'lláh, j'acquis la ferme conviction que lui seul pouvait prétendre à une telle affection de la part du Báb et que lui, et lui seul, pouvait être digne d'une telle adoration."
Le deuxième Naw-Rúz après la déclaration de la mission du Báb, qui tombait le 21 du mois de rabi'u'l-avval de l'an 1262 après l'hégire, (9.20) trouva le Báb encore à Shiraz jouissant, dans des circonstances de tranquillité et de confort relatifs, des bienfaits d'une vie paisible avec sa famille et ses parents. Sans bruit et sans cérémonie, il célébra la fête de Naw-Rúz dans sa propre maison et, suivant son habitude de toujours, accorda généreusement à sa mère et à son épouse les marques de son affection et de sa faveur. Par la sagesse de ses conseils et la tendresse de son amour, il consola leurs coeurs et dissipa leurs appréhensions. Il leur légua tous ses biens et transféra à leurs noms son titre de propriété. Dans un document qu'il écrivit et signa lui-même, il ordonna que sa maison, le mobilier et le reste de son domaine fussent considérés comme la propriété exclusive de sa mère et de son épouse, et qu'à la mort de la première, la part de celle-ci revînt à son épouse.
La mère du Báb ne réalisa pas, tout d'abord, la portée de la mission proclamée par son fils. Elle resta pendant quelque temps inconsciente de l'importance des forces latentes dans sa révélation. Vers la fin de sa vie, cependant, elle put apprécier la valeur inestimable de ce trésor qu'elle avait conçu et mis au monde. Ce fut Bahá'u'lláh qui lui permit finalement de découvrir la valeur de ce trésor qui était resté, pendant tant d'années, caché à ses yeux. Elle vivait en 'Iraq, où elle espérait passer le restant de ses jours, lorsque Bahá'u'lláh chargea deux de ses disciples dévoués, Hájí Siyyid Javád-i-Karbilá'í et la femme de Hájí'Abdu'l-Majíd-i-Shirazí qui, tous deux, la connaissaient déjà intimement, de lui exposer les principes de la foi.

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Elle reconnut la vérité de la cause et resta jusqu'aux dernières années du treizième siècle après l'hégire (9.21) époque où elle quitta ce monde, parfaitement consciente des don généreux que le Tout-Puissant avait choisi de lui conférer.
La femme du Báb, contrairement à sa mère, saisit, dès l'aube de sa révélation, la gloire et le caractère unique de sa mission et sentit, dès les premiers jours, l'intensité de sa force. Personne, à part Tahirih, parmi les femmes de sa génération, ne la surpassait dans le caractère spontané de sa dévotion ni dans la ferveur de sa foi. C'est à elle que le Báb confia le secret de ses souffrances futures, et il dévoila à ses yeux la portée des événements qui devaient se dérouler en son jour. Il la pria de ne pas divulguer ce secret à sa mère et lui conseilla d'être patiente et de se résigner à la volonté de Dieu. Il lui confia une prière spéciale, révélée et écrite par lui-même et dont la lecture, lui assura-t-il, dissiperait ses difficultés et allégerait le fardeau que faisaient peser sur elle ses ennemis. "A vos moments de perplexité, récitez cette prière avant d'aller dormir. J'apparaîtrai moi-même à vos yeux et bannirai votre anxiété." Fidèle à son conseil, chaque fois qu'elle se tournait vers lui en prière, la lumière de sa direction infaillible illuminait son chemin et résolvait ses problèmes. (9.22)
Après que le Báb eut réglé les affaires de son foyer et pourvu à la subsistance future de sa mère et de sa femme, il transféra sa résidence de sa propre maison à celle de Hájí Mírzá Siyyid'Alí. Là, il attendit l'heure imminente de ses souffrances. Il savait que les afflictions qui lui étaient réservées ne pouvaient plus tarder désormais, qu'il devait bientôt être pris dans un tourbillon d'adversités qui le mèneraient rapidement au champ du martyre, l'ultime objet de sa vie. Il donna l'ordre à ceux de ses disciples qui s'étaient établis à Shiraz et parmi lesquels se trouvaient Mullá 'Abdu'l-Karím et Shaykh Hasan-i-Zunúzí, de se rendre à Isfáhán et d'y attendre ses instructions ultérieures. Siyyid Husayn-i-Yazdi, l'une des Lettres du Vivant, qui venait d'arriver à Shiraz, eut également pour instruction de se rendre à Isfáhán et de se joindre au groupe formé par ses condisciple dans cette ville.
Pendant ce temps, Husayn Khán, le gouverneur du Fárs, déployait tous ses efforts pour entraîner le Báb dans de nouvelles difficultés et l'avilir encore davantage aux yeux du public. Le feu caché de son hostilité fut attisé par la nouvelle selon laquelle le Báb avait recevoir certains de ses compagnons et continuait de jouir d'une libre fréquentation de sa famille et de ses parents. (9.23)

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Grâce à l'aide de ses agents secrets, Husayn Khán parvint à obtenir des informations précises concernant le caractère et l'influence du mouvement dont le Báb avait été l'initiateur .Il avait observé en secret ses déplacements, s'était assuré du degré d'enthousiasme qu'il avait soulevé, et examiné à fond les mobiles, le comportement et le nombre de ceux qui avaient embrassé sa cause.
Une nuit, le chef des émissaires de Husayn Khán vint lui rapporter que le nombre de ceux qui affluaient pour voir le Báb était désormais si élevé qu'une action immédiate s'imposait de la part de ceux qui étaient chargés de la sécurité de la ville. "La foule empressée qui se réunit toutes les nuits pour rendre visite au Báb, remarqua-t-il, dépasse en nombre la multitude de personnes qui accourent chaque jour devant les portes du siège de votre gouvernement. Parmi elles, on peut aussi bien voir des personnes réputées pour leur rang élevé que d'autres connues pour leur grand savoir. (9.24) La générosité et le tact dont fait preuve son oncle maternel envers les fonctionnaires de votre gouvernement sont tels qu'aucun de vos subordonnés ne se sent enclin à vous mettre au courant de la réalité de la situation. Si vous me permettez, je surprendrai le Báb à minuit, avec l'aide de quelques-uns de vos assistants, et vous livrerai, les mains liées, certains de ses disciples qui vous éclaireront au sujet des activités de leur maître et confirmeront l'authenticité de mes déclaration ." Husayn Khán refusa d'accéder à sa demande. "Je puis dire mieux que vous, répondit-il, ce u'exigent les intérêts de l'État. Observez-moi de loin, je saurai comment agir envers lui."

PHOTO: interieur de la maison de Haji Mírzá Alí à Shiraz, l'oncle maternel du Báb

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Le gouverneur convoqua sur le champ 'Abdu'l-Hamíd Khán l'officier de paix de la ville. "Rendez-vous immédiatement, lui ordonna-t-il, chez Hájí Mírzá Siyyid'Alí. En silence et sans vous faire remarquer, grimpez sur le mur, montez sur le toit et, de là, entrez brusquement dans sa maison. Arrêtez aussitôt le Siyyid-i-Báb et conduisez-le ici en compagnie de tous les visiteurs qui se trouveront à ce moment-là avec lui. confisquez tous les livres et documents que vous pourrez trouver dans cette maison. Quant à Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, mon intention est de lui infliger, le lendemain, la peine qu'il mérite pour ne pas avoir tenu sa promesse. Je jure par le diadème impérial de Muhammad Sháh que, cette nuit-même, j'aurai exécuté le Siyyid-i-Báb ainsi que ses misérables compagnons. Leur mort ignominieuse éteindra la flamme qu'ils ont allumée et mettra n'importe quel disciple de cette secte devant l'évidence du danger qui attend tout perturbateur de la paix de ce royaume. Par cet acte, j'aurai éliminé une hérésie dont la survie constitue la plus grave menace pour les intérêts de l'État."

PHOTO: maison de Haji Mirza Alí, l'oncle maternel du Báb

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'Abdu'l-Hamíd Khán se retira pour exécuter sa tâche. Ils firent irruption, lui et ses assistants, dans la maison de Hájí Mírzá Siyyid 'A1í (9.25) et trouvèrent le Báb en compagnie de son oncle maternel et d'un certain Siyyid Kázim-i-Zanjání qui devait plus tard tomber martyre au Mázindarán et dont le frère, Siyyid Murtadá, fut l'un des sept martyrs de Tihrán. Il les arrêta aussitôt, recueillit tous les documents qu'il pût trouver, donna l'ordre à Hájí Mírzá Siyyid 'Alí de rester chez lui et conduisit les autres au siège du gouvernement. On entendit le Báb, maître de lui et impavide, répéter ce verset du Qur'án qui dit.: "Ce dont ils sont menacés est pour le matin. Le matin n'est-il pas proche?"
A peine l'officier de paix avait-il atteint la place du marché qu'il s'aperçut, à son grand étonnement, que les habitants de la ville fuyaient de tous côtés, consternés, comme si une terrifiante calamité s'était abattue sur eux. Il fut horrifié lorsqu'il vit la longue queue de cercueils que l'on transportait précipitamment à travers les rues, chacun d'eux suivi d'une procession d'hommes et de femmes lançant des cris de douleur et d' agonie. Ce brusque tumulte, les lamentations, les mines terrifiées, les imprécations de la foule, l'affligèrent et jetèrent le trouble dans son esprit. Il demanda la raison de tout cela. "Cette nuit même, lui dit-on, un fléau (9.26) d'une exceptionnelle virulence a fait son apparition. Nous sommes frappés par son pouvoir dévastateur. Déjà, depuis minuit, plus de cent personnes ont péri. L'alarme et le désespoir règnent dans chaque maison. Les gens abandonnent leur foyer et, dans leur détresse, invoquent l'aide du Tout-Puissant. (9.27)
'Abdu'l-Hamíd Khán, terrifié par cette épouvantable nouvelle, courut chez Husayn Khán. Un vieillard qui gardait la maison de celui-ci et faisait office de portier l'informa que la maison de son maître avait été abandonnée, que les ravages de l'épidémie l'avaient dévastée et qu'ils avaient affligé les membres de sa famille. "Deux de ses servantes éthiopiennes, lui dit-on encore, et un domestique sont déjà tombés, victimes de ce fléau, et les membres de sa propre famille sont à présent gravement malade . Dans son désespoir, mon maître a abandonné sa maison et, laissant les morts non enterrés, a fui, avec le reste de sa famille, ver le Bágh-i-Takht." (9.28)
'Abdu'l-Hamíd Khán décida d'emmener le Báb chez lui et de le garder sous sa surveillance en attendant les instructions du gouverneur. En s'approcha de sa maison, il fut étonné d'entendre les lamentations et les pleurs des membres de sa famille. Son fils était atteint de choléra et agonisait.

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Dans son désespoir, il se jeta aux pieds du Báb et l'implora de sauver la vie de son fils. Il lui demanda de lui pardonner ses transgressions et ses méfaits passés. "Je vous adjure", le supplia-t-il en s'accrochant au pan de son vêtement, "par celui qui vous a élevé à ce rang exalté, d'intercéder en ma faveur et d'offrir une prière pour la guérison de mon fils. Faites qu'il ne me soit pas enlevé dans sa prime jeunesse. Ne le punissez pas pour les crimes que son père a commis. Je me repens de ce que j'ai fait et j'abandonne à présent mon poste. Je jure solennellement que je n'accepterai jamais plus à l'avenir une telle position, dussé-je mourir de faim."
Le Báb, qui était sur le point de faire ses ablutions et se préparait pour la prière de l'aube, lui dit de prendre une partie de l'eau avec laquelle il se lavait le visage et de la faire boire à son fils. "Cela, dit-il, le sauvera."
Dès qu' 'Abdu'l-Hamíd Khán eut observé les signes de guérison chez son fils, il écrivit une lettre au gouverneur, dans laquelle il le mettait au courant de toute la situation et le priait d'arrêter ses attaques contre le Báb. "Ayez pitié de vous-même, lui écrivit-il, ainsi que de ceux que la Province a confiés à vos soins. Si la furie de cette épidémie poursuit son cours fatal, personne dans cette ville n'aura survécu à l'horreur du fléau d'ici la fin de la journée." Husayn Khán répondit que le Báb devait être immédiatement relâché et autorisé à se rendre où bon lui semblerait. (9.29)
Dès qu'un rapport sur ces événements parvint à Tihrán et qu'il fut soumis à l'attention du Sháh, un décret impérial déchargeant Husayn Khán de ses fonctions fut promulgué et envoyé à Shiraz. A partir du jour de son renvoi, ce tyran éhonté fut la victime d'innombrables malheurs et devint finalement incapable de gagner son pain quotidien. Personne ne semblait désireux ou capable de le sauver de son triste état. Quand, plus tard, Bahá'u'lláh fut exilé à Baghdád, Husayn Khán lui envoya une lettre dans laquelle il exprimait son repentir et promettait de se racheter de ses mauvaises actions passées à condition qu'il recouvre sa position antérieure. Bahá'u'lláh refusa de lui répondre. Plongé dans la misère et la honte, il languit jusqu'à la fin de sa vie.
Le Báb, qui se trouvait chez 'Abdu'l-Hamíd Khán, envoya Siyyid Kázim chez Hájí Mírzá Siyyid 'Alí pour lui demander de venir le voir. Il informa son oncle de son intention de quitter Shiraz, lui confia sa mère et sa femme, et le chargea de transmettre à chacune d'elles l'expression de son affection et l'assurance de l'assistance infaillible de Dieu.

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"Où qu'elles puissent être" dit-il à son oncle en prononçant ses paroles d'adieu, "l'amour et la protection de Dieu, qui embrassent toutes choses, les entoureront. Je vous rencontrerai à nouveau au coeur des montagnes d'Ádhirbáyján, d'où je vous enverrai cueillir la couronne du martyre. Moi, je vous suivrai, en compagnie de l'un de mes fidèles disciples, et vous rejoindrai dans le royaume d'éternité."

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NOTE DU CHAPITRE 9:

(9.1) Le Babisme avait de nombreux adeptes dans toutes les classes de la société, et beaucoup d'entre eux avaient une grande importance; des grands seigneurs, des membres du clergé, des militaires et des marchands avaient embrassé cette doctrine." Journal Asiatique, 1866, tome VIII, p. 251)

(9.2) Voir: "La généalogie de la dynastie Qájár" au début de cet ouvrage.

(9.3) 'Abdu'l-Bahá a écrit à son sujet ce qui suit: "Cet homme remarquable, cette âme précieuse, avait appris par coeur pas moins de trente mille traditions et était tenu fort en estime et très admiré par toutes les classes de la société Il avait obtenu une renommée universelle dans toute la Perse, et l'on admettait partout et sans réserve son autorité et son érudition." (Extrait d'un manuscrit relatif aux martyrs en Perse.)

"Ce personnage était, comme son nom l'indique, né à Dáráb, près de Shíráz. Son père, Siyyid Ja'far, surnommé Kashfí, était l'un des plus grands et des plus célèbres 'ulamás de l'époque. Sa haute valeur morale, son caractère, ses moeurs pures lui avaient attiré l'estime et la considération universelles: sa science lui avait valu le glorieux surnom de kashfí qui veut dire celui qui découvre et, dans ce cas, celui qui découvre et explique les secrets divins. Elevé par lui, son fils ne tarda pas à l'égaler sur tous les points : il partagea désormais la faveur dont jouissait son père et se rendit à Tihrán, précédé de son renom et de sa popularité. Il y devint le commensal du prince Tahmásp Mírzá, Mu'ayyadu'd-Dawlih, petit-fils de Fath-'Ali Sháh par son père Muhammad-'Alí Mírzá. Le gouvernement lui-même rendit hommage à sa science et à son mérite et il fut consulté plus d'une fois dans les circonstances difficiles. Ce fut à lui que pensèrent Muhammad Sháh et Háji Mírzá Áqásí quand ils voulurent trouver un émissaire honnête et dont la fidélité ne fût pas douteuse." (A.L.M. Nicolas, "Sjyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab," p. 233.)

"Pendant que ces événements se déroulaient au Nord de la Perse, les provinces du centre et du sud étaient profondément remuées par les prédications enflammées des missionnaires de la nouvelle doctrine. Le peuple, léger, crédule, ignorant, superstitieux à l'excès, était frappé de stupeur par les miracles continuels qu" chaque instant il entendait raconter; les mullás anxieux, sentant leur troupeau frémissant prêt à leur échapper, redoublaient de calomnies et d'imputations infamantes; les mensonges les plus grossiers, les imaginations les plus sanglantes étaient par eux répandus dans la populace hésitante, partagée entre l'horreur et l'admiration ... Siyyid Ja'far était étranger aux doctrines shaykhís comme à celles de Mullá Sadrá. Cependant, son zèle emporté, son imagination ardente l'avaient, vers la fin de sa vie, fait sortit un peu des sentiers étroits de l'orthodoxie shi'ite. Il commentait les hadís d'une autre façon que ses collègues et prétendait même, dit-on, avoir pénétré les soixante et dix significations intimes du Qur'án ... Son fils - qui, par la suite, devait dépasser ces étrangetés - était à cette époque un homme de 35 ans environ qui, ses études terminées, était venu se fixer à Tihrán où il s'était lié avec tout ce que la cour comptait de grands personnages et d'hommes distingués. Ce fut sur lui que se porta le choix de SM. Il fut donc chargé de se rendre à Shíráz, de se mettre en rapport avec le Bab et de renseigner, aussi exactement qu'il le pourrait, l'autorité centrale des conséquences politiques que l'on pouvait tirer d'une réforme qui semblait devoir bouleverser la face du pays. (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 387-8.)

(9.4) Qur'án, 108.

(9.5) D'après le "Kashfu'l-Ghitá" (p.81), pas moins de deux mille versets furent révélés à cette occasion par le Bab. La rapidité ahurissante de cette révélation sembla aussi remarquable aux yeux de Siyyid Yahyá que la beauté sans égale et le sens profond des versets contenus dans ce commentaire. "Dans l'espace de cinq heures, deux mille bayts (versets) se manifestent de lui, ou bien avec la rapidité juste suffisante pour que le scribe puisse les écrire. On peut, par là, juger, si on l'avait laissé faire, combien, depuis le début de sa manifestation jusqu'à aujourd'hui, combien de ces oeuvres se fussent répandues parmi les hommes." ("Le Bayán persan,", vol. 1, p. 43.) "Dieu lui a donné une (telle) puissance et une (telle) faculté d'élocution, que si un scribe rapide écrivait avec la plus extrême rapidité, en deux nuits et deux jours, sans interruption, il manifesterait de cette mine de la parole, l'équivalent d'un Qur'án. (Ibid., vol. Il, p. 132) "Et si quelqu'un devait réfléchir sur l'aspect de cet Arbre (Le Bab), il admettrait sans aucun doute la sublimité de la religion de Dieu. Car, chez quelqu'un qui avait vingt-quatre ans, qui était dépourvu de ces sciences que tout le monde connaît, qui récite à présent des versets de telle manière, sans penser ni hésiter, qui, en l'espace de cinq heures, écrit un millier de versets de supplications sans déposer la plume, qui produit des commentaires et des traités savants d'un degré de sagesse et de compréhension de l'unité divine si élevé, que les docteurs et les philosophes confessent leur impuissance à en comprendre les passages, il ne fait aucun doute que tout cela émane de Dieu. (Bayán, Váhid 2, Bab I.) Ç 'A Traveller's Narrative", Note C, p. 219.)

(9.6) "Certes, le fait d'écrire currente calamo un commentaire nouveau sur une sourate dont le sens est si obscur, devait frapper d'étonnement Siyyid Yahyá, mais ce qui le surprit plus étrangement encore, ce fut de retrouver, dans ce commentaire, l'explication que lui-même avait trouvée dans ses méditations sur ces trois versets. Ainsi il se rencontrait avec le Réformateur dans une interprétation qu'il croyait avoir été le seul à imaginer et qu'il n'avait communiquée à personne.", (A.L.M. Nicolas, "Siyyid Alí-Muhammad dit le Bab", p. 234.)

(9.7) "C'était une étrange circonstance", écrit Lady Sheil, "que parmi ceux qui adoptèrent la doctrine du Bab, il se trouvât un grand nombre de Mullás et même de mujtahids, qui occupaient un rang élevé en tant qu'interprètes de la loi dans l'Église mahométane. Beaucoup de ces hommes scellèrent de leur sang leur foi." ("Glimpses of Life and Manners in Persia", pp. 178-9.)

(9.8) D'après 'A Traveller's Narrative" (p.8), Siyyid Yahyá écrivit sans crainte ni ménagement, un rapport détaillé de ses observations à Mírzá Lutí-'Alí, le chambellan, afin que ce dernier pût le soumettre à l'attention de l'ancien roi, alors que lui-même s'en allait dans toutes les régions de la Perse et s'adressait, dans chaque ville et dans chaque station, à la foule, du haut de la chaire, de sorte que les autres docteurs érudits conclurent qu'il devait être fou, voyant là un cas certain d'ensorcellement.

(9.9) Il s'appelait Siyyid Ja'far, étai connu sous le nom de Kashfí 'celui qui découvre", à cause de son habileté à interpréter le Qur'án et des visions qu'il prétendait avoir.

(9.10) Il avait le titre de Hujjatu'l-Islám.

(9.11) Signifiant littéralement "Les Quatre Portes", dont chacune se prétendait intermédiaire entre l'Imám absent et ses disciples.

(9.12) Il était Akhbárí. Pour un exposé sur les Akhbárís, voir Gobineau "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 23 et suivantes.

(9.13) "Je le rencontrai (Mullá Muhammad-'Alí)", raconte Mírza Jâni, à Tihrán chez Mahmúd Khán, le kalantar, où il était emprisonné à cause de sa dévotion à sa Sainteté. Il dit: "J'étais mullá, un mullá si fier et si autoritaire que je ne me serais incliné devant personne, pas même devant feu Hájí Siyyid Báqir de Rasht, que l'on considérait comme la "preuve de l'islám" et le plus savant des docteurs. Mes doctrines tenant de l'école Akhbárí, j'avais des opinions différentes, concernant certaines questions, de celles de l'ensemble du clergé. Les gens portèrent plainte contre moi, et Muhammad Sháh me convoqua à 'Tihrán. J'y vins, et il lut mes livres et s'informa de leur portée. Je lui demandai de faire appeler aussi le siyyid (Siyyid Báqir de Rasht), pour que nous puissions discuter. Il entendait d'abord agir ainsi mais, par la suite, ayant considéré le mal qui pouvait en résulter, suspendit la discussion proposée. En bref, malgré toutes mes prétentions, dès que la nouvelle de la Manifestation de Sa Sainteté me parvint, et que j'eus parcouru attentive- ment une petite page des versets de ce Point du Furqán, je fus comme hors de moi et, involontaire-ment, mais de plein gré, confessai la vérité de sa revendication et devins son esclave dévoué; car je vis en lui le plus noble des miracles du Prophète et, si je l'avais rejeté, j'aurais rejeté la vérité de la religion islamique." (Histoire de Hájí Mírzá Jání: appendice II du "Táríkh-i-Jadíd", pp.I 349-50.)

(9.14) Une déclaration semblable est rapportée dans le "Kashfu'l-Ghitá" (p. 227). Une telle déclaration, déclare l'auteur, lui a été faite par plusieurs habitants de la province de Mázindarán.

(9.15) Voir glossaire.

(9.16) "Il y eut là une lutte ardente entre Muqaddas et Karím Khán qui, comme on le sait, avait pris le rang de chef de la secte shaykhíe après la mort de Kázim. La discussion eut lieu en présence d'un nombreux auditoire et Karím somma son adversaire de prouver la vérité de la mission du Bab. "Si nu le fais, lui dit-il, je me convertis, et mes élèves avec moi; mais, ai tu n'y réussis pas, je ferai crier dans les bazars: voilà celui qui foule aux pieds la sainte loi de l'islám. Je sais qui tu es Karím, lui répliqua Muqaddas. Ne te souviens-tu pas de ton maître Siyyid Kázim et de ce qu'il t'a dit: "Chien, ne veux-tu pas que je meure et qu après moi paraisse la vérité absolue!" Et voilà qu'aujourd'hui, poussé par ta passion des richesses et de la gloire, tu te mens à toi-même? Commencée sur ce ton, la discussion devait être brève. En effet, les élèves de Karím tirèrent le couteau et se lancèrent sur celui qui insultait leur chef. Fort heureusement le gouverneur de la ville s'interposa, fit arrêter Muqaddas et le fit conduire dans son palais. Il le garda pendant un certain temps et, quand les passions se furent un peu calmées, il le renvoya de nuit, le faisant accompagner durant quelques étapes par 10 cavaliers." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 228-9.)

(9.17) Titre donné par le Bab à Siyyid Yahyáy-i-Dárábí.

(9.18) Les circonstances remarquables dans lesquelles eut lieu la conversion de Hájí Siyyid Javád-i-Karbilá'í sont racontées en détail dans le "Kashfu'l-Ghitá" (pp. 70-77), et il y est fait référence à une Tablette significative révélée à son intention par Bahá'u'lláh (p.63), et dans laquelle l'importance du Kitáb-i-Aqdas est pleinement soulignée, et la nécessité de faite preuve d'un tact et d'une modération extrêmes lots de l'application et de l'exécution de ses préceptes mis en relief. Le texte de cette Tablette se trouve aux pages 64 à 70 du même livre. Le passage suivant du 'Dalá'il-i-Sab'ih" se réfère à la conversion de Hájí Siyyid Javád: "Áqá Siyyid Javád-i-Karbilá'í a dit qu'avant la manifestation, un indien lui avait écrit le nom de celui qui serait manifesté." ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, p. 59.)

(9.19) Signifiant littéralement "siyyid radieux."

(9.20) 1846 ap. J-C.

(9.21) Le treizième siècle après l'hégire se termina en octobre 1882 ap. J-C.

(9.22) "La veuve du Bab lui survécut jusqu'en l'an 1300 après l'hégire, il y a à peine six ans. Elle était la soeur du grand-père maternel de mon ami. Les détails ci-dessus proviennent d'une vieille danse de la même famille, de sorte qu'il y a tout lieu de les considérer comme dignes de foi.' Journal of The Royal Asiatic Society, 1889, p. 993.)

(9.23) "Cependant les troubles, les discussions passionnées, le scandale continuaient à Shíráz, tant et si bien, qu'importuné de tout ce tapage, anxieux des suites qu'il pouvait avoir, Hájí Mirzí Áqásí donna l'ordre à Husayh Khán, Nizámu'd-Dawlih, d'en finir avec le Réformateur et de le faire tuer secrètement." (A.L.M. Nicolas , "Siyyid 'Al'i-Muhammad dit le Bab", p. 235.)

(9.24) "Extrêmement irrités, mécontents et inquiets, les Mullás du Fárs, ne pouvant d'ailleurs prévoir ou s'arrêterait le mouvement qui se prononçait si fortement contre eux, n'étaient pas les seuls à se sentir dans l'embarras. Les autorités de la ville et de la province comprenaient trop bien que le peuple qui leur avait été confié et qui n'est jamais beaucoup dans leurs mains, cette fois n'y était plus du tout. Les hommes de Shíráz, légers, railleurs, turbulents, belliqueux, toujours prêts à la révolte, insolents en perfection, rien moins qu'attachés à la dynastie Qájár, n'ont jamais été faciles à mener, et leurs administrateurs ont souvent des journées pénibles. Quelle serait la situation de ces administrateurs, si le chef réel de la ville et du pays, l'arbitre des idées de tout le monde, l'idole de chacun, allait être un jeune homme que rien ne soumettait, n'attachait ou ne gagnait à rien, qui se faisait un piédestal de son indépendance et qui n'en tirait qu'un trop grand parti en attaquant chaque jour impunément et publiquement tout ce qui jusqu'alors s'était considéré comme puissant et respecté dans la ville? A la vérité, les gens du roi, la politique, l'administration proprement dite n'avaient encore été l'objet d'aucune des virulentes apostrophes du novateur; mais à le voir si rigide dans ses moeurs, si inexorable pour la fraude de l'esprit et l'esprit de rapine des membres du clergé, il était fort douteux qu'il pût approuver au fond la même rapacité, la même fraude si florissantes chez les fonctionnaires publics, et on pouvait bien croire que le jour où ses regards tomberaient sur eux, il ne manquerait pas d'apercevoir et de vitupérer ce qu'on n'avait guère le moyen de cacher." (Comte de Gobineau, les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 122-3.)

(9.25) Le 23 septembre 1845 ap. J. -C. Voir "Táríkh-i-Jadíd", p.204.)

(9.26) Epidémie de choléra.

(9.27) Le Bab se réfère à cet incident, dans le "Dalá'il-i-Sab'ih", on ces termes: "Reporte-toi aux

premiers jours de la manifestation: combien d'hommes y sont morts du choléra! c'était là l'un des prodiges de la Manifestation et personne ne l'a compris. Pendant quatre années le fléau sévit parmi les Musulmans shi'ites sans que personne n'en saisisse la signification." ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, pp. 61-2.)

(9.28) Un jardin dans les faubourgs de Shíráz.

(9.29) D'après 'A Traveller's Narrative" (p. 11), "Husayn Khán relâcha le Bab en posant comme condition son départ de la ville."



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CHAPITRE X : le séjour du Bab a Isfáhán

L'été de l'année 1262 après l'hégire (10.1) tirait à sa fin lorsque le Báb dit son dernier adieu à sa ville natale de Shiraz et partit pour Isfáhán. Siyyid Kázim-i-Zanjání l'accompagna dans ce voyage. En s'approchant des faubourgs de la ville, le Báb écrivit une lettre au gouverneur de la province, Manúchir Khan, le mu'tamidu'd-dawlih, (10.2) dans laquelle il lui demandait de faire connaître son désir quant au lieu où il pouvait résider. La lettre, qu'il Confia à Siyyid Kázim, exprimait une telle courtoisie et révélait un style si exquis que le mu'tamid donna des instructions au sultánu'l-'ulamá', l'imám-jum'ih d'Isfáhán (10.3) le dirigeant ecclésiastique le plus éminent de cette province, pour qu'il reçût le Báb dans sa propre maison et lui réservât un accueil cordial et généreux. Conjointement à ce message, le gouverneur envoya à l'Imám-jum'ih la lettre qu'il avait reçue du Báb. Le sultánu'l-'ulamá' pria en conséquence son propre frère, dont la sauvage cruauté devait lui valoir ultérieurement le surnom de raqshá (10.4) de la part de Bahá'u'lláh, d'aller avec quelques-uns de ses compagnons favoris à la rencontre du visiteur attendu, et d'escorter celui-ci jusqu'à la porte de la ville. A l'approche de l'arrivée du Báb, l'Imám-jum'ih sortit de la ville pour souhaiter la bienvenue à son hôte et le conduisit chez lui avec cérémonie.

PHOTO: vue d'Isfahan

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Les honneurs que l'on prodiguait au Báb en ces jours-là étaient tels que lorsqu'un certain vendredi, au moment où il revenait du bain public et se rendait chez lui, on vit la foule réclamer à grands cris l'eau dont il s'était servi pour faire ses ablutions.

PHOTO: vue de la maison de l'Imam-i-Jum'ih à Isfahan - la cour

PHOTO: vue de la maison de l'Imam-i-Jum'ih à Isfahan - l'entrée

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Ses fervents admirateurs croyaient fermement en sa vertu et en son pouvoir infaillibles de guérir leurs maladies et leurs maux. L'Imám-jum'ih lui-même était devenu si épris de celui qui était l'objet d'une telle dévotion que, faisant office d'assistant, il entreprit de pourvoir aux besoins et aux désirs de son hôte bien-aimé. Prenant l'aiguière de la main du maître d'hôtel et faisant complètement abstraction de la dignité que requérait habituellement son rang, il se mit à verser l'eau sur les mains du Báb.
Une nuit, après le souper, l'Imám-jum'ih, dont la curiosité avait été éveillée par les extraordinaires traits de caractère révélés par son jeune invité, se hasarda à lui demander de révéler un commentaire sur la súrih de Va'l-'Asr. (10.5) Sa demande fut aussitôt acceptée. Après s'être fait apporter une plume et du papier, le Báb se mit à révéler en présence de son hôte, avec une étonnante rapidité et sans la moindre réflexion, une interprétation fort lumineuse de la súrih de Va'l'Asr déjà mentionnée. Ce fut un peu avant minuit que le Báb se trouva engagé dans l'exposé des multiples implications auxquelles donnait lieu la première lettre de cette súrih. Cette lettre, la lettre váv, sur laquelle Shaykh Ahmad-i-Ahsá'í avait déjà tant insisté, symbolisait pour le Báb l'avènement d'un nouveau cycle de révélation divine et a été, depuis, évoquée par Bahá'u'lláh dans le "Kitáb-i-Aqdas" en des passages tels que "le mystère du grand changement" et "le signe du souverain". Le Báb commença peu après à psalmodier, en présence de son hôte et de ses compagnons, l'homélie qu'il avait placée en tête de son commentaire sur la súrih. Son auditoire fut frappé d'émerveillement lorsqu'il entendit ces paroles de puissance. Il semblait comme ensorcelé par la magie de sa voix. Instinctivement, il se leva et baisa avec révérence, en compagnie de l'Imám-jum'ih, le pan du vêtement du Báb. Mullá Muhammad-Taqíy-i-Harátí, un éminent mujtahid, se mit soudain à prononcer des paroles d'exultation et de louange. "Uniques et incomparables, s'exclama-t-il, sont les paroles qui ont jailli de cette plume; pouvoir révéler, en un temps aussi court et dans une écriture aussi lisible, un si grand nombre de versets que l'ensemble équivaudrait au quart, que dis-je, au tiers du Qur'án, est en soi-même un exploit qu'aucun mortel ne pourrait espérer réaliser sans l'intervention de Dieu. Ni le fait de fendre la lune ni celui d'animer les galets de l'océan ne peuvent se comparer à un acte aussi considérable."

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Au fur et à mesure que la renommée du Báb se propageait à travers la ville d'Isfáhán, un flot incessant de visiteurs affluait de tous les quartiers vers la maison de l'Imám-jum'ih: quelques-uns y venaient pour satisfaire leur curiosité, d'autres pour acquérir une compréhension plus profonde des vérités fondamentales de sa foi, d'autres encore pour chercher des remèdes à leurs maladies et à leurs souffrances. Le mu'tamid lui-même vint un jour rendre visite au Báb et, alors qu'il était assis au milieu d'une assemblée comprenant les membres les plus accomplis et les plus brillants du clergé d'Isfáhán, demanda au Báb d'exposer la nature du nubuvvat-i-khássih (10.6) et d'en démontrer la validité. Il avait auparavant, dans cette même assemblée, fait appel à ceux qui étaient présents pour qu'ils avancent des preuves et des signes à l'appui de cette clause fondamentale de leur foi, afin qu'ils constituent un témoignage irréfutable pour ceux qui étaient enclins à répudier sa vérité. Personne cependant ne semblait être capable de répondre à son invitation. "Que préférez-vous, demanda le Báb, une réponse verbale ou écrite à votre question?" "Une réponse écrite, répondit le mu'tamid, non seulement plairait à ceux qui sont présents dans cette assemblée, mais encore servirait d'exemple et instruirait à la fois cette génération et celles à venir.
Le Báb prit aussitôt sa plume et commença à écrire. En moins de deux heures, il avait rempli environ cinquante pages avec une investigations des plus intéressantes et des plus circonstanciées sur l'origine, le caractère et l'influence grandissante de l'islam. L'originalité de sa dissertation, la vigueur et le caractère vivant de son style, la précision de ses plus petits détails, donnèrent à son traité sur ce noble thème un cachet d'excellence que personne, parmi ceux qui étaient présents à cette occasion, n'aurait pu ne pas percevoir. Avec une connaissance magistrale de son sujet, il relia, dans les passages finaux de son exposé, l'idée principale à l'avènement du Qâ'im promis et au "retour" attendu de l'Imám Husayn. (10.7) Il plaida avec un courage et une force tels que ceux qui l'entendirent réciter ses versets furent frappés par la grandeur de sa révélation. Personne n'osa insinuer la moindre objection, et encore moins s opposer ouvertement à ses déclarations. Le mu'tamid ne put s'empêcher de donner libre cours à son enthousiasme et à sa joie. "Ecoutez-moi! s'exclama-t-il. O membres de cette honorable assemblée, je vous prends à témoin. Jamais, jusqu'à ce jour, je n'ai été dans mon coeur fermement convaincu de la vérité de l'islám. Je puis désormais, grâce à cet exposé rédigé par ce jeune homme, me déclarer un ferme croyant en la foi proclamée par l'Apôtre de Dieu.

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J'affirme solennellement ma croyance en la réalité du pouvoir surhumain dont est doué ce jeune homme, un pouvoir qu'aucune somme de connaissances ne pourra jamais communiquer." Par ces paroles, il mit fin à la réunion.
La popularité croissante du Báb suscita le ressentiment des autorités ecclésiastiques d'Isfáhán, qui regardaient d'un oeil inquiet et envieux l'ascendant qu'un jeune homme ignorant commençait lentement à acquérir sur les pensées et les consciences de leurs disciples.

PHOTO: vues du Masjid-i-Jumih à Isfahan, montrant la chaire devant laquelle priait le Báb

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Ils croyaient fermement que, s'ils ne se levaient pas pour endiguer ce flot d'enthousiasme populaire, les fondements mêmes de leur existence seraient minés. Quelques-uns des p1us sages d'entre eux estimèrent plus prudent de s'abstenir de tout acte d'hostilité ouverte envers la personne ou les enseignements du Báb, car de tels actes, leur semblait-il, serviraient uniquement à rehausser son prestige et à consolider sa position. Les fauteurs de troubles, cependant, s'occupaient activement à propager les rapports les plus insensés concernant le caractère et les revendications du Báb. Ces rapports parvinrent bientôt à Tihrán et furent portés à l'attention de Hájí Mírzá Áqásí, le Grand vazír de Muhammad Sháh. Ce ministre arrogant et hautain regardait d'un oeil inquiet l'éventualité du penchant que pourrait avoir un jour son souverain envers le Báb, penchant qui, croyait-il fermement, précipiterait sa propre décadence. Le Hájí craignait en outre que le mu'tamid, qui jouissait de la confiance du Sháh, ne parvint à organiser une entrevue entre le souverain et le Báb. Il savait parfaitement que, si une telle entrevue avait lieu, Muhammad Sháh, homme influençable et au coeur doux, serait entièrement séduit par l'attrait et le caractère inédit de cette croyance. Poussé par de telles réflexions, il adressa à l'Imámjum'ih un message au ton très ferme, dans lequel il blâma celui-ci d'avoir gravement négligé l'obligation qui lui était imposée de sauvegarder les intérêts de l'islám. "Nous nous attendions, écrivit Hájí Mírzá Áqásí, à ce que vous vous opposiez de tout votre pouvoir, à toutes les causes qui sont en contradiction avec les intérêts du gouvernement et des habitants de ce pays. Vous semblez au contraire, avoir protégé, que dis je, glorifié l'auteur de ce mouvement obscur et méprisable." Il écrivit également une série de lettres encourageantes aux 'ulamás d'Isfáhán, ignorés auparavant et à qui, désormais, il prodiguait ses faveurs particulières. L'Imám-jum'ih, bien que refusant de changer son attitude respectueuse vis-à-vis de son hôte, fut porté, par le ton du message qu'il avait reçu du Grand vazír, à donner des directives à ses associés pour qu'ils conçoivent des moyens propres à réduire le nombre toujours croissant des visiteurs qui affluaient chaque jour pour rencontrer le Báb. Muhammad-Mihdí, surnommé le Safíhu'l-'Ulamá', fils de feu Hájí Kalbásí, commença à calomnier le Báb du haut de la chaire dans un langage des plus inconvenants, dans l'espoir de satisfaire le voeu et de gagner l'estime de Hájí Mírzá Áqásí.
Dès que le mu'tamid fut informé de ces événements, il envoya un message à l'Imám-jum'ih dans lequel il rappela à ce dernier la visite qu'il avait faite au Báb en tant que gouverneur, et l'invita ainsi que son hôte, à se rendre chez lui.

<P195>

Le mu'tamid invita Hájí Siyyid Asadu'lláh, fils de feu Hájí Siyyid Muhammad Báqir-i-Rashtí, Hájí Muhammad-Ja'far-i-Ábádiyí, Muhammad-Mihdí, Mírzá Hasan-i-Núrí, et quelques autres personnes, à assister à cette réunion. Hájí Siyyid Asadu'lláh rejeta l'invitation et s'efforça de dissuader ceux qui avaient été conviés à participer à cette assemblée. "J'ai cherché à m'excuser, leur dit-il et je vous exhorterai très certainement à faire de même. J'estime qu'il n'est pas sage de votre part de rencontrer le Siyyid-i-Báb en tête-à-tête. Il réaffirmera sans doute sa prétention et apportera, pour étayer ses arguments, toutes les preuves que vous pourriez lui demander et, sans la moindre hésitation, révélera, en signe de témoignage de la vérité dont il est porteur, des versets si nombreux qu'ils équivaudraient à la moitié du Qur'án. A la fin, il vous lancera un défi en ces termes: "Faites-en de même, si vous êtes des hommes de vérité." Nous ne pouvons, en aucune façon, lui résister victorieusement. Si nous manquons de lui répondre, notre impuissance sera manifeste. Si, d'autre part, nous acceptons sa revendication, nous perdrons non seulement notre propre réputation, nos propres prérogatives et droits, mais nous nous serons engagés à reconnaître les revendications éventuelles qu'il se sentirait enclin à formuler à l'avenir."
Hájí Muhammad-Ja'far tint compte de ce conseil et refusa l'invitation du gouverneur. Muhammad Mihdí, Mírzá Hasan-i-Núrí, et quelques autres qui dédaignèrent un tel avis, se présentèrent à l'heure fixée chez le mu'tamid. À l'invitation de l'hôte, Mírzá Hasan, un platonicien bien connu, demanda au Báb de faire la lumière sur certaines doctrines philosophiques abstruses concernant le 'Arshíyyih de Mullá Sadrá, (10.8) dont peu de personnes avaient pu dévoiler la signification. (10.9) Dans un langage simple et peu conventionnel, le Báb répondit à chacune des questions de Mírzá Hasan. Ce dernier, bien qu'il fût incapable de saisir le sens des réponses qu'il avait reçues, réalisa combien le savoir des soi-disant protagonistes des écoles de pensée platonicienne et aristotélicienne de son temps était inférieur aux connaissances que manifestait ce jeune homme. Muhammad Mihdí se hasarda à son tour à interroger le Báb sur certains aspects de la loi islamique. Mécontent de l'explication qu'il reçut, il se mit à discuter vainement avec le Báb. Il fut bientôt réduit au silence par le mu'tamid qui, coupant court à sa conversation, se tourna vers un assistant et, lui demandant d'allumer la lanterne, donna l'ordre de conduire immédiatement Muhammad Mihdí chez lui.

<P196>

Le mu'tamid fit ensuite part de ses craintes à l'Imám-jum'ih. "Je redoute les machinations des ennemis du Siyyid-i-Báb, lui dit-il. Le sháh a convoqué celui-ci à Tihrán. Je suis chargé d'arranger son départ. J'estime plus souhaitable pour le Báb de rester chez moi jusqu'au moment où il pourra quitter cette ville." L'Imám-jum'ih accéda à sa demande et retourna seul chez lui.

PHOTO: vue 1 de la maison du Mu'tamidu'd-Dawlih à Isfahán

PHOTO: vue 2 de la maison du Mu'tamidu'd-Dawlih à Isfahán

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Le Báb s'attarda quarante jours à la résidence de l'Imám-jum'ih. Pendant son séjour chez celui-ci, un certain Mullá Muhammad-Taqíyi-Harátí, qui avait le privilège de rencontrer le Báb chaque jour, entreprit, avec le consentement de ce dernier, la tâche de traduire l'un de ses ouvrages, intitulé Risáliy-i-Furú'-i'Adlíyyih, de l'arabe en persan. Le service qu'il rendit par là aux croyants persans fut cependant gâché par son attitude ultérieure. La peur devait soudain s'emparer de lui, et il devait finalement être incité à mettre fin à ses relations avec les autres croyants.
Avant que le Báb eut transféré sa résidence chez le mu'tamid, Mírzá Ibráhím, père du Sultánu' sh-Shuhadá' et frère aîné de Mírzá Muhammad- 'Alíy-i-Nahrí, auquel nous avons déjà fait référence, invita une nuit le Báb à se rendre chez lui. Mírzá Ibráhím était un ami de l'imám-jum'ih; il entretenait des relations intimes avec celui-ci et contrôlait la direction de toutes ses affaires. Le banquet qu'il prépara cette nuit-là pour le Báb fut d'un faste inégalé. Tout le monde put observer que ni les officiels, ni les notables de la ville n'avaient jamais offert une fête d'une telle grandeur et d'une telle splendeur. Le Sultánu'sh-Shuhadá' et son frère, le Mahbúbu'sh-Shuhadá', qui avaient respectivement neuf et onze ans, servirent à ce banquet et furent l'objet de l'attention particulière du Báb. Cette nuit-là, durant le dîner, Mírzá Ibráhím se tourna vers son hôte et lui dit: "Mon frère, Mírzá Muhammad-'Alí, n'a pas d'enfant. Je vous prie d'intercéder en sa faveur et d'exaucer le voeu de son coeur." Le Báb prit une partie de la nourriture qu'on lui avait servie, la mit de ses propres mains sur un plateau et la passa à son hôte en lui demandant de la porter à Mírzá Muhammad-'Alí et à sa femme. "Qu'ils se la partagent, dit-il; leur voeu sera exaucé." De par la vertu de cette ration que le Báb avait choisi de leur octroyer, la femme de Mírzá Muhammad-'Alí, conçut un enfant et au temps voulu donna le jour à une fille qui devait finalement être donnée en mariage à la plus grande Branche, (10.10) union que l'on devait considérer comme le couronnement des espoirs que nourrissaient ses parents.
Les grands honneurs accordés au Báb contribuèrent encore à éveiller l'hostilité des 'ulamás d'Isfáhán. Ils voyaient avec consternation les preuves de son influence pénétrante envahir la forteresse de l'orthodoxie et détruire les fondements de leur autorité. Ils convoquèrent une assemblée au cours de laquelle ils rédigèrent un document signé et scellé de la main de tous les chefs ecclésiastiques de la ville, document dans lequel ils condamnaient le Báb à mort. (10.11) Ils étaient tous d'accord sur cette condamnation à l'exception de Hájí Siyyid Asadu'lláh et Hájí Muhammad-Ja'far-i-'Ábádiyí qui refusèrent tous deux d'adhérer au contenu d'un document si manifestement abusif.

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L'Imám-jum'ih, tout en refusant de donner son consentement à la demande de mise à mort du Báb, fut pourtant incité, par son ambition et sa couardise extrêmes, à ajouter à ce document, de sa propre écriture, le témoignage suivant: "Je certifie qu'au cours de mes relations avec ce jeune homme, je n'ai pu découvrir un acte qui puisse en aucun cas trahir son rejet des doctrines de l'islám. Au contraire, j'ai vu en lui un homme pieux, loyal à l'islám et observant les préceptes de cette foi. Cependant, l'extravagance de ses revendications exagérées et son mépris des choses de ce monde m'incitent à croire qu'il est dépourvu de raison et de jugement."
À peine le mu'tamid avait-il été informé de la condamnation prononcée par les 'ulamás d'Isfáhán qu'il se décida, par la mise en oeuvre d'un plan qu'il avait lui-même conçu, à annuler les effets de ce cruel verdict. Il donna aussitôt des instructions pour que, vers le coucher du soleil, le Báb escorté par cinq cents cavaliers de la propre garde du corps montée du gouverneur, quittât la porte de la ville et partît pour Tihrán. Il avait donné des ordres formels pour qu'après chaque farsang, (10.12) cent hommes de cette escorte montée retournassent directement à Isfáhán. Au chef du dernier contingent restant, un homme en qui il avait une Confiance absolue, le mu'tamid intima confidentiellement son désir de voir, à chaque maydán, (10.13) vingt des cent hommes restants recevoir l'ordre de retourner vers la ville. Quant aux vingt cavaliers restants, dix d'entre eux devaient être envoyés à Ardistán prélever les taxes imposées par le gouvernement et les dix autres, qui devaient tous être des hommes éprouvés et de confiance, devraient par un itinéraire peu fréquenté, ramener le Báb en cachette à Isfáhán. (10.14) Il reçurent l'ordre, en outre, de régler leur marche de façon qu'avant l'aube du jour suivant, le Báb arrivât à Isfáhán et fût confié à la garde du mu'tamid. Ce projet fut aussitôt entrepris et exécuté à la lettre. A une heure insoupçonnée, le Báb ayant regagné la ville, fut directement emmené à la résidence privée du mu'tamid, connue sous le nom d"Imárat-i-Khurshíd (10.15) et introduit, par une entrée latérale réservée au mu'tamid lui-même, dans les appartements privés de celui-ci. Le gouverneur prit lui-même soin du Báb, lui servit ses repas et pourvut à tout ce dont il avait besoin pour son confort et sa sécurité. (10.16)
Pendant ce temps, les hypothèses les plus insensées avaient cours dans la ville concernant le voyage du Báb à Tihrán, les souffrances qu'il avait dû endurer pendant son voyage vers la capitale, la sentence qu'on avait prononcée contre lui et la peine qu'on lui avait infligée.

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PHOTO: vue de l'Imárat-i-Khurshid à Isfahan

PHOTO: les ruines de la partie occupée par le bab

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Ces rumeurs plongèrent les croyants qui résidaient à Isfáhán dans une profonde affliction. Le mu'tamid, qui était parfaitement conscient de leur chagrin et de leur anxiété, intercéda auprès du Báb en leur nom et demanda la permission de les introduire auprès de lui. Le Báb adressa quelques mots écrits de sa propre main à Mullá'Abdu'l-Karím-i-Qazvíní, qui s'était installé dans la madrisih de Ním-Avard et dit au mu'tamid de les lui envoyer par l'intermédiaire d'un messager sûr. Une heure plus tard, Mullá 'Abdu'l-Karím était introduit auprès du Báb. De son arrivée, personne, sinon le mu'tamid, n'eut connaissance. Il reçut de son maître quelques-uns de ses écrits et fut chargé de les transcrire en collaboration avec Siyyid Husayn-i-Yazdí et Shaykh Hasan-i-Zunúzí. Il revint peu après chez ces derniers et leur donna la bonne nouvelle que le Báb était sain et sauf. De tous les croyants résidant à Isfáhán, seuls ces trois là eurent la permission de le voir.
Un jour, alors qu'il était assis avec le Báb dans son jardin privé à l'intérieur de la cour de sa maison, le mu'tamid, faisant ses confidences à son invité, s'adressa à lui en ces termes: "Le Donateur tout-puissant m'a pourvu de grandes richesses, (10.17) je ne sais comment les utiliser au mieux. A présent que j'ai été, grâce à Dieu, amené à reconnaître cette révélation, je désire ardemment consacrer toutes mes possessions à en promouvoir les intérêts et à en propager la gloire. J'ai l'intention de me rendre, avec votre permission, à Tihrán et de faire de mon mieux pour gagner à cette cause, Muhammad Sháh dont la confiance en moi est ferme et inébranlable. Je suis sûr qu'il ne demandera qu'à l'embrasser et qu'il se lèvera pour la propager de par le monde. Je m'efforcerai aussi de l'inciter à renvoyer ce débauché de Hájí Mírzá Áqásí, dont l'administration démente a mené le pays presque au bord de la ruine.

PHOTO: Manúchihr Khan le Mu'tamidu'd Dawlih

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Puis je tâcherai d'obtenir pour vous la main de l'une des soeurs du Sháh, et entreprendrai moi-même les préparatifs de vos noces. J'espère finalement pouvoir gagner à cette cause des plus merveilleuses les dirigeants et les rois de la terre et éliminer toute trace de cette hiérarchie ecclésiastique corrompue qui a terni le beau nom de l'islám." "Puisse Dieu vous récompenser pour vos nobles intentions, répondit le Báb. Vos jours et les miens sont cependant comptés; ils sont trop courts pour que vous puissiez réaliser vos souhaits et que, moi, je puisse en témoigner. Ce n'est pas par les moyens que vous imaginez que la toute-puissante Providence réalisera le triomphe de sa foi. C'est grâce aux pauvres et aux humbles de ce pays, par le sang qu'ils auront versé sur son sentier, que le Souverain omnipotent préservera et consolidera les fondements de sa cause. Ce même Dieu, posera sur votre tête, dans le monde à venir, la couronne de gloire immortelle et vous comblera de ses inestimables bénédictions. Le temps qui vous reste de votre vie terrestre n'est que de trois mois et neuf jours, après quoi vous vous hâterez avec foi et certitude, vers votre demeure éternelle." Ces paroles réjouirent grandement le mu'tamid. Résigné à la volonté de Dieu, il se prépara au départ que les paroles du Báb avaient si clairement laissé prévoir. Il rédigea son testament, régla ses affaires privées et légua au Báb tout ce qu'il possédait. Aussitôt après son décès, cependant, son neveu, le rapace Gurgín Khán, devait découvrir son testament, le détruire, s'emparer de ses biens et feindre avec mépris d'ignorer ses voeux.
Alors que les jours de sa vie terrestre tiraient à leur fin, le mu'tamid rechercha de plus en plus la présence du Báb et, pendant les heures où il se trouvait en tête à tête intime ave lui, acquit une connaissance plus profonde de l'esprit qui animait sa "Au fur et à mesure que s'approche l'heure de mon départ, dit-il un jour au Báb, je sens une joie inexprimable envahir mon âme. Mais j'ai des appréhensions à votre sujet, je tremble à l'idée de me voir obligé de vous laisser à la merci d'un successeur aussi impitoyable que Gurgín Khán. Il découvrira sans aucun doute votre présence chez moi et vous maltraitera, je le crains, gravement". "Ne craignez rien répondit le Báb. Je me suis confié aux mains de Dieu. Ma confiance repose en Lui. La force dont Il m'a pourvu est telle que, si je le veux, je puis transformer ces pierres mêmes en des joyaux d'une valeur inestimable, et instiller dans le coeur du plus dangereux criminel les plus nobles conceptions de droiture et de devoir. J'ai choisi moi-même d'être

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affligé par mes ennemis, afin que Dieu accomplisse ce qui est destiné à être fait." (10.18) Au fur et à mesure que ces heures précieuses s'écoulaient, un sentiment de dévotion intense, de conscience accrue de l'approche de Dieu, remplissait le coeur du mu'tamid. A ses yeux, la pompe et l'apparat du monde se réduisaient à néant lorsqu'il les comparait aux réalités éternelles enchâssées dans la révélation du Báb. Plus il réalisait la vanité des ambitions terrestres et les limitations de l'effort humain, plus sa vision des gloires, des potentialités infinies et des innombrables bénédictions de cette révélation devenait vivace. Il continua à méditer sur ces pensées dans son coeur jusqu'au moment où un léger accès de fièvre, qui ne dura qu'une nuit, mit soudainement fin à ses jours. Serein et confiant, il s'envola vers le grand au-delà. (10.19)
Comme la vie du mu'tamid tirait à sa fin, le Báb fit appeler Siyyid Husayn-i-Yazdí et Mullá 'Abdu'l-Karím, les mit au courant de la nature des prédictions qu'il avait faites à son hôte, et les pria de dire aux croyants qui s'étaient réunis dans la ville qu'ils devaient se disperser pour aller à Káshán, Qum et Tihrán et attendre ce que la Providence, dans sa sagesse, choisirait de décréter.
Quelques jours après la mort du mu'tamid, une certaine personne qui était au courant du projet qu'il avait conçu et Réalisé dans le but de protéger le Báb, informa le successeur du mu'tamid, Gurgín Khán, (10.20) du véritable lieu de résidence du Báb dans l'`Imárat-i-Khurshíd, et lui décrivit les honneurs que prodiguait son prédécesseur à l'égard de son hôte dans l'intimité de sa propre maison. À la réception de cette dépêche inattendue, Gurgín Khán envoya son messager à Tihrán et le chargea de remettre le message suivant à Muhammad Sháh en personne: "Il y a quatre moi tout le monde croyait à Isfáhán qu'à la suite de votre ordre impérial, le mu'tamidu'd-dawlih, mon prédécesseur, avait envoyé le Siyyid-i-Báb au siège du gouvernement de Votre Majesté. Il est maintenant révélé que ce même siyyid se trouve actuellement à l"Imárat-i-Khurshíd, la résidence privée du mu'tamidu'd-dawlih. Il a été prouvé que mon prédécesseur lui-même avait offert l'hospitalité au Siyyid-i-Báb, et garda ce fait scrupuleusement caché aux yeux des habitants et des autorités de cette ville. Que Votre Majesté décrète ce qu'il lui plaît; je m'engage, sans la moindre hésitation, à l'exécuter."
Le sháh, qui était fermement convaincu de la loyauté du mu'tamid, réalisa, à la réception de ce message, que l'intention sincère du gouverneur disparu, avait été d'attendre une occasion propice au cours de laquelle il aurait pu ménager une rencontre entre lui, le sháh, et le Báb, mais que sa mort soudaine avait contrecarré l'exécution de ce projet.

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Il émit un ordre impérial sommant le Báb de se rendre dans la capitale. Dans son message écrit à Gurgín Khán, le Sháh ordonna à ce dernier d'envoyer le Báb en secret à Tihrán en compagnie d'une escorte montée (10.21) conduite par Muhammad Big-i-Chápárchí, (10.22) de la secte des 'Alíyu'lláhí; de faire preuve de la plus grande considération envers lui au cours de son voyage, et de maintenir son départ strictement secret. (10.23)
Gurgín Khán alla aussitôt voir le Báb et lui remit en mains propres le mandat du souverain. Puis il fit appeler Muhammad Big, lui transmit les ordres de Muhammad Sháh et le chargea d'entreprendre immédiatement les préparatifs du voyage. "Prenez garde, l'avertit-il, à ce que personne ne découvre son identité et ne suspecte la nature de votre mission. Personne à part vous, pas même les membres de son escorte, ne doit être amené à le reconnaître. Si quelqu'un vous interroge à son sujet, dites que c'est un marchand que l'on nous a chargé d'emmener à la capitale et sur l'identité duquel nous n'avons aucun renseignement." Peu après minuit, le Báb quittait la ville, conformément aux instructions reçues, et partait pour Tihrán.

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NOTE DU CHAPITRE 10:

(10.1) 1846 ap. J-C.

(10.2) "C'était (Manúchihr Khán) un homme énergique et courageux; en 1841, il écrasa complètement les tribus Bakhtíyárí qui s'étaient soulevées. Son administration énergique bien que sévère assurait aux habitants d'Isfáhán quelque justice". (C.R. Markham: "A General Sketch of the History of Persia", p. 487.)

(10.3) D'après Mírzá Abu'l-Fadl (manuscrit, p. 66), l'Imám-jum'ih d'Isfáhán s'appelait Mir Siyyid Muhammad et avait le titre de "Sultánu'l-'Ulamá"'. "La fonction de sadru's-sudúr, autrement dit principal prêtre de l'époque des Safaví, fut abolie par Nádir Sháh, et l'Imám-jum'ih d' Isfáhán est à présent le principal dignitaire ecclésiastique de la Perse." (C.R. Markham: "A General Sketch of the History of Persia", p. 365.)

(10.4) Signifiant: serpent femelle.

(10.5) Qur'án, 103.

(10.6) La "Mission spécifique" de Muhammad.

(10.7) Référence à sa propre mission et à la révélation ultérieure de Bahá'u'lláh.

(10.8) Voir note K, "A Traveller's Narrative", et Gobineau, pp. 65-73.

(10.9) "C'est alors que Muhammad s'étant tu, Mírzá Muhammad-Hasan, qui suivait la doctrine philosophique de Mullá Sadrá, interrogea le Bab pour l'inciter à expliquer trois miracles qu'il suffira d'énoncer pour édifier le lecteur. Le premier est le Tiyyu'l-Ard, ou si l'o n préfère le transport immédiat d'un personnage quelconque d'un endroit du monde à un autre endroit fort éloigné: les shi'ites sont convaincus que le troisième Imám, Javád, avait adopté cette façon facile et économique de voyager: par exemple il se transporta en un clin d'oeil de Médine en Arabie, à Tús dans le Khurásán. Le second miracle est la présence multiple et simultanée d'un même personnage à beaucoup d'endroits différents. 'Alí, entre autres, était à la même minute, l'hôte de soixante personnes différentes.

Enfin le troisième est un problème de cosmographie que je soumets à nos astronomes qui en apprécieront certainement la saveur. Il est dit dans les hadís que durant le règne d'un tyran, le ciel tourne rapidement, tandis que pendant celui d'un Imám il tourne lentement. D'abord, comment le ciel peut-il avoir deux mouvements; et ensuite que faisait-il durant le règne des 'Umayyads et des Abbassids. Ce serait la solution de ces insanités qu'on aurait proposée au Bab. Je ne m'y arrêterai pas plus longtemps mais je crois devoir faire remarquer ici mentalité des savants musulmans de la Perse. Et si l'on veut bien réfléchir, que depuis environ un millier d'années la science de l'Irán ne repose que sur de pareilles billevesées, que les hommes s'épuisent en recherches continues sur de pareilles matières, on comprendra facilement le vide et l'arrogance de toutes ces cervelles. Quoi qu'il en soit la réunion aurait été interrompue par l'annonce du dîner auquel chacun prit part pour rentrer ensuite chez soi." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 239-40.)

(10.10) Référence au mariage de Munirih Khánum avec 'Abdu'l-Bahá.

(10.11) D'après Mírzá Abu'l-Fadl, environ soixante-dix ulamás et notables éminents avaient apposé leur sceau sur un document qui condamnait le Bab en tant qu'hérétique et le déclarait digne de la peine de mort.

(10.12) Voir glossaire.

(10.13) Voir glossaire.

(10.14) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 13), le mu'tamid donna des ordres secrets pour qu'une fois arrivé à Múrchih-Khár (la deuxième étape à partir d'Isfáhán sur la route septentrionale, et distante d'environ 35 miles de cette ville), le Bab retournât à Isfáhán.

(10.15) "Ainsi cette pièce (dans laquelle je me trouve), qui n'a ni portes ni limites précises, est aujourd'hui la plus haute des pièces du Paradis, car l'arbre de vérité y habite. On dirait que tous les atomes de cette chambre chantent tous par la voix qui dit: "En vérité! je suis Dieu! il n'y a pas d'autre dieu que moi, le Seigneur de toutes choses." Et ils le chantent par-dessus toutes les pièces de la terre, même par-dessus celles qui sont ornées de glaces ou d'ornements d'or. Si cependant l'arbre de vérité réside dans une de ces pièces ornées, alors les atomes de ces miroirs chantent (cette phrase), ainsi que le faisaient et le font les atomes des miroirs du Palais Sadri, car à l'époque des jours de Sád (Isfáhán) il y demeurait." (" Le Bayán persan", vol 1, p. 128.)

(10.16) D'après "A Travellers's Narrative", p. 13, le Bab resta quatre mois dans cette maison.

(10.17) Le 4 mars, 1847, M. de Bonnière écrit au Ministre des affaires étrangères de France: Mu'tamidu'd-Dawlih, gouverneur d'Isfáhán, vient de mourir, laissant une fortune que l'on évalue à 40 millions de francs." ("Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", A.L.M. Nicolas p. 242, note 192.)

(10.18) Qur'án, 8: 42.

(10.19) Il mourut, d'après E.G. Browne ("A Traveller's Narrative," Note 1, p. 277), au mois de rabí'u'l-avval de l'an 1263 après l'hégire (février-mars, 1847 ap. J-C.)

(10.20) D'après A Traveller's Narrative", p. 13, il était le neveu du mu'tamid.

(10.21) D'après "A Traveller's Narrative", p. 14, les membres de l'escorte étaient des cavaliers de Nusayrí

(10.22) "Chápárchí" signifie "courrier

(10.23) Celui-ci, fantasque et capricieux, oubliant qu'il avait peu de temps auparavant ordonné le meurtre du Réformateur, sentit naître en lui le désir de voir enfin l'homme qui faisait tant parler de lui: il donna doue l'ordre à Gurgín Khán de le lui envoyer à Tihrán" (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", p. 242.)



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CHAPITRE XI : le séjour du Bab à Káshán

La veille de l'arrivée du Báb à Káshán, Hájí Mírzá Jání, surnommé Parpá, habitant bien connu de cette ville, vit en rêve, qu'il se tenait à une heure très avancée de l'après-midi devant la porte d'`Attár, l'une des portes de la cité, lorsque soudain il vit le Báb à cheval et portant, au lieu de son turban habituel, le kuláh (11.1) que portent généralement les marchands de la Perse. Devant, ainsi que derrière lui, s'avançaient quelques cavaliers à la garde desquels il semblait avoir été confié. Comme il approchait de la porte, le Báb le salua et dit: "Nous serons votre hôte durant trois nuits. Préparez-vous à nous recevoir."
Lorsqu'il se réveilla, le caractère vivace de son rêve le persuada de la réalité de sa vision. Cette apparition soudaine constituait à ses yeux un avertissement providentiel dont il estimait devoir tenir compte. Il se mit par conséquent à préparer sa maison en vue de la réception du visiteur, et à pourvoir à tout ce qui serait nécessaire à son confort. Dès qu'il eut achevé les arrangements préliminaires au banquet qu'il avait décidé d'offrir au Báb cette nuit-là, Hájí Mírzá Jání se rendit à la porte d'`Attár et y attendit les signes de l'arrivée espérée du Báb. A l'heure fixée, alors qu'il scrutait l'horizon, il distingua au loin quelque chose ressemblant à un groupe de cavaliers qui s'approchaient de la porte de la ville. Comme il se précipitait à leur rencontre, ses yeux reconnurent le Báb entouré de son escorte, portant les mêmes habits que la nuit précédente dans son rêve.

PHOTO: vue de Kashan

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Hájí Mírzá Jání s'approcha tout heureux du Báb et se courba pour baiser ses étriers. Le Báb l'en empêcha en disant: "Nous serons votre hôte pendant trois nuits. Demain c'est le jour de Naw-Rúz, nous le célébrerons ensemble chez vous." Muhammad Big, qui se trouvait près du Báb, pensa que celui-ci connaissait intimement Hájí Mírzá Jání. Se tournant vers ce dernier, il dit: "Je suis prêt à me conformer aux désirs du Siyyid-i-Báb. Je vous demanderai cependant d'obtenir l'approbation de mon collègue, qui partage avec moi la charge de conduire le Siyyid-i-Báb à Tihrán". Hájí Mírzá Jání soumit sa requête et se heurta à un refus catégorique. "Je décline votre suggestion", lui dit-il. "J'ai reçu l'ordre formel d'empêcher ce jeune homme d'entrer dans une ville avant son arrivée dans la capitale. J'ai l'obligation, en particulier, de passer la nuit en dehors des murs de la ville, d'arrêter ma marche au coucher du soleil et de la reprendre le jour suivant à l'aube. Je ne puis passer outre aux ordres qui m'ont été donnés." Ceci donna lieu à une vive altercation qui se termina finalement à l'avantage de Muhammad Big; celui-ci réussit à persuader son adversaire de laisser le Báb à la garde de Hájí Mírzá Jání à la condition formelle qu'au troisième jour, ce dernier leur livrât son hôte sain et sauf.

PHOTO: vue 1 de la porte d'Attár à Káshán

PHOTO: vue 2 de la porte d'Attár à Káshán

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Hájí MírzáJání, qui avait l'intention d'inviter chez lui toute l'escorte du Báb renonça à son projet, suivant en cela les conseils du Báb. "Personne à part vous, lui dit ce dernier, ne doit m'accompagner chez vous." Hájí Mírzá Jání demanda la permission de payer les frais du séjour de trois jours des cavaliers à Káshán. "C'est inutile, observa le Báb; rien, sinon ma volonté, n'aurait pu les inciter à me laisser entre vos mains. Toutes choses sont prisonnières de la main de sa puissance. Rien ne Lui est impossible. Il dissipe toutes les difficultés et franchit tous les obstacles." Les cavaliers furent logés dans un caravansérail situé dans le voisinage immédiat de la porte de la ville. Muhammad Big, suivant les instructions du Báb, accompagna celui-ci jusqu'au moment où ils furent à proximité de la maison de Hájí Mírzá Jání. S'étant assuré de la situation véritable de la maison, il repartit rejoindre ses compagnons.
La nuit où le Báb arriva à Káshán coïncidait avec la veille du troisième Naw-Rúz après la déclaration de sa mission, qui tombait le deuxième jour du mois de rabí'u'th-thini de l'an 1263 après l'hégire. (11.2) Cette même nuit, Siyyid Husayn-i-Yazdí, qui était venu à Káshán quelques jours auparavant suivant les directives du Báb, fut invité chez Hájí Mírzá Jání et introduit en présence de son maître. Au moment où le Báb lui dictait une tablette en l'honneur de son hôte, arriva un ami de ce demie un certain Siyyid 'Abdu'l-Báqí, connu à Káshán pour son savoir. Le Báb l'invita à entrer, lui permit d'entendre les versets qu'il révélait, mais refusa de dévoiler sa propre identité. Dans les derniers passages de la tablette qu'il adressait à Hájí Mírzá Jání, il priait en sa faveur, suppliait le Tout-Puissant d'éclairer son coeur de la lumière de divine connaissance, et de délier sa langue afin qu'il serve et proclame sa cause. Bien qu'il n'eût pas fréquenté d'école et qu'il fût illettré, Hájí Mírzá Jání devint capable, par la vertu de cette prière, d'impressionner par son discours même les théologiens les plus éminents de Káshán. Il fut doué d'un pouvoir tel qu'il put désormais réduire au silence tout vain simulateur qui osait défier les préceptes de sa foi. Même le hautain et arrogant Mullá Ja'far-i-Naráqí fut impuissant, en dépit de sa parfaite éloquence, à résister à la force de son argumentation, et dut reconnaître publiquement les mérites de la cause de son adversaire bien que, dans son coeur, il refusât de croire en la vérité de celle-ci.
Siyyid 'Abdu'l-Báqí s'assit et écouta le Báb. Il entendit sa voix, observa ses mouvements, regarda l'expression de son visage et nota les paroles qui jaillissaient sans cesse de ses lèvres, et pourtant ne fut pas touché par leur majesté et leur pouvoir.

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PHOTO: vue 1 de la maison de Hájí Mírzá Jání à Káshán, montrant la chambre où résida le Báb

PHOTO: vue 2 de la maison de Hájí Mírzá Jání à Káshán, montrant la chambre où résida le Báb

PHOTO: vue 3 de la maison de Hájí Mírzá Jání à Káshán, montrant la chambre où résida le Báb

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Enveloppé des voiles de sa propre imagination et de son propre savoir, il fut incapable d'apprécier la signification des paroles du Báb. Il ne prit même pas la peine de s'informer du nom ou du caractère de l'hôte auprès duquel il avait été introduit. Indifférent aux choses qu'il avait entendues et vues, il se retira, inconscient qu'il était de l'occasion unique que, par son apathie, il venait de perdre. Quelques jours plus tard, lorsqu'on l'informa du nom du jeune homme qu'il avait traité avec une telle indifférence, il fut saisi de chagrin et de remords. Il était, toutefois, trop tard pour lui de chercher à le rencontrer et de s'excuser pour sa conduite, car le Báb avait déjà quitté Káshán. Dans son chagrin, il abandonna la société et mena, jusqu'à la fin de ses jours, une vie de retraite monotone.
Parmi ceux qui eurent le privilège de rencontrer le Báb chez Hájí Mírzá Jání, il y eut un certain Mihdí qui devait par la suite, en l'an 1268 après l'hégire, (11.3) subir le martyre à Tihrán. Il fut, ainsi que d'autres personnes, affectueusement reçu durant ces trois jours par Hájí Mirzi Jání, dont la généreuse hospitalité lui valut la louange et l'éloge de son maître. Même envers les membres de l'escorte du Báb, cet homme fit preuve de la m me bonté; sa libéralité et le charme de ses manières lui valurent leur éternelle gratitude. Au matin du deuxième jour après Naw-Rúz, fidèle à sa promesse, il remit le prisonnier aux mains des cavaliers et, d'un coeur débordant de tristesse, lui adressa un ultime et émouvant adieu.


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NOTE DU CHAPITRE 11:

(11.1) Voir glossaire.

(11.2) 1847 ap. J-C

(11.3) 1851-2 ap. J-C



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CHAPITRE XII : le voyage du Bab de Kashan à Tabriz

Accompagné de son escorte, le Báb partit en direction de Qum. (12.1) Son charme séduisant associé à sa dignité imposante et à son inaltérable bienveillance avait cette fois, complètement désarmé et transformé ses gardes. Ils semblaient avoir renoncé à leurs droits et devoirs et s'être résignés à sa volonté et à son bon plaisir. Dans leur empressement à le servir et à lui faire plaisir, ils firent un jour cette remarque:

PHOTO: vues de la ville de Qum, montrant le Haram-i-Ma'sùmih

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"Le gouvernement nous a formellement interdit de vous laisser entrer dans la ville de Qum et nous a donné l'ordre de nous rendre directement, par un itinéraire peu fréquenté, à Tihrán. Nous avons également reçu l'ordre formel de ne pas nous approcher du Haram-i-Ma'súmih, (12.2) ce sanctuaire inviolable dans lequel les criminels les plus notoires sont à l'abri de toute arrestation. Nous sommes cependant disposés, par amour pour vous, à passer outre à toutes les instructions que nous avons reçues. Si vous le désirez, nous pourrons vous conduire sans la moindre hésitation à travers les rues de Qum et vous permettre de visiter le tombeau sacré de cette ville." "Le coeur du véritable croyant est le trône de Dieu", observa le Báb. "Celui qui est l'arche du salut et la forteresse imprenable du Tout-Puissant voyage à présent avec vous à travers ce désert. Je préfère la route de campagne à la visite de cette ville impie. L'être immaculé dont les restes sont enterrés dans ce tombeau, son frère et ses illustres ancêtres pleurent la condition de ce peuple inique. En parole, il rend hommage à cette sainte personne mais, par ses actes, il déshonore sans cesse son nom. Il sert et révère en apparence son tombeau mais, en fait, il avilit sa dignité."
Des sentiments aussi sublimes avaient instillé dans le coeur de ceux qui accompagnaient le Báb une confiance telle que si celui-ci avait, à un moment quelconque, décidé de revenir brusquement sur ses pas et de les quitter, aucun de ses gardes ne se serait senti troublé ou n'aurait tenté de le poursuivre. Voyageant par un itinéraire qui contournait, par le nord, la ville de Qum, ils s'arrêtèrent au village de Qumrúd qui appartenait à l'un des parents de Muhammad Big et dont les habitants étaient tous membres de la secte d"alíyu'lláhí. À l'invitation du chef du village, le Báb passa une nuit dans ce lieu et fut ému par la cordialité et la spontanéité de la réception que lui avait réservée ces gens dans leur simplicité. Avant de reprendre son voyage, il demanda en leur faveur les bénédictions du Tout-Puissant et réjouit leurs coeurs en les assurant de son appréciation et de son amour.
Après une marche de deux jours, ils arrivèrent, dans l'après-midi du huitième jour après Naw-Rúz, à la forteresse de Kinár-Gird, (12.3) qui se trouve à six farsangs au sud de Tihrán. Ils entendaient atteindre la capitale le jour suivant et avaient décidé de passer la nuit dans le voisinage de cette forteresse, lorsqu'un messager arriva brusquement de 'Tihrán, porteur d'un ordre écrit de Hájí Mírzá Áqásí destiné à Muhammad Big. Ce message lui ordonnait de partir aussitôt avec le Báb vers le village de Kulayn, (12.4) où Shaykh-i-Kulayní, Muhammad-ibn-i-Ya'qúb, auteur de l'Usúl-i-Káfí était né, avait été enterré auprès de son père, et dont les tombeaux sont fort honorés par les habitants du voisinage. (12.5)

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Muhammad Big devait aussi, vu l'incommodité des maisons de ce village, dresser une tente spéciale à l'intention du Báb et garder l'escorte dans le voisinage en attendant l'arrivée de nouvelles instructions.

PHOTO: le village de Qumrúd

PHOTO: ruines de la forteresse de Kinár-Gird

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Au matin du neuvième jour après Naw-Rúz, c'est-à-dire le onzième jour du mois de rabí'u'th-u-thàní de l'an 1263 après l'hégire, (12.6) dans le voisinage immédiat de ce village qui appartenait à Hájí Mírzá Áqásí, une tente qui avait servi à l'abriter lors de ses précédentes visites fut dressée à l'intention du Báb sur la pente d'une colline, dans un site plaisant de vastes vergers et de prairies souriantes. La paix de ce lieu, la luxuriance de sa végétation et le murmure incessant de ses ruisseaux plurent beaucoup au Báb. Celui-ci fut rejoint, deux jours plus tard, par Siyyid-Husayn-i-Yazdí, Siyyid Hasan, son frère; Mullá 'Abdu'l-Karím et Shaykh Hasan-i-Zunúzí, qui furent tous invités à loger à proximité immédiate de sa tente.

PHOTO: vue 1 du village de Kulayn

PHOTO: vue 2 du village de Kulayn

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Le quatorzième jour du mois de rabí'u'th-tháni, (12.7) correspondant au douzième jour après Naw-Rúz, Mullá Mihdíy-i-Khu'í et Mullá Muhammad-Mihdíy-i-Kandí arrivèrent de Tihrán. Le dernier nommé, qui avait été intimement lié à Bahá'u'lláh dans la capitale, avait été chargé par celui-ci de présenter au Báb une lettre scellée accompagnée de certains présents qui, à peine remis aux mains du Báb, devaient provoquer en lui des sentiments inhabituels de ravissement. Son visage rayonnait de joie lorsqu'il combla le porteur des marques de sa faveur et de sa gratitude.
Ce message, reçu à une heure d'incertitude et d'attente, apporta au Báb force et réconfort. Il dissipa la tristesse qui s'était installée en son coeur et donna à son âme la certitude de la victoire. La tristesse qui avait longtemps assombri son visage, et que les périls de sa captivité avaient aggravée, s'estompait visiblement. Il ne versa plus ces larmes d'angoisse qui coulaient à profusion de ses yeux depuis les jours de son arrestation et de so,n départ de Shiraz. Le cri de "Bien-Aimé, mon Bien-Aimé", qu'il lançait lors de ses moments de tristesse et de solitude amères, firent place à des témoignages de remerciement et de louange, d'espoir et de triomphe. L'exultation qui rayonnait sur son visage ne devait plus l'abandonner jusqu'au jour où la nouvelle du désastre qui frappait les héros de Shaykh Tabarsí vint à nouveau ternir l'éclat de sa face et la joie de son coeur.
J'ai entendu Mullá 'Abdu'l-Karím raconter l'incident suivant: "Mes compagnons et moi étions profondément endormis près de la tente du Báb lorsque le galop d'un cheval nous tira soudain de notre sommeil. Nous apprîmes bientôt que la tente du Báb était vide et que ceux qui étaient sortis à sa recherche n'avaient pu le retrouver. Nous entendîmes Muhammad Big discuter avec ses gardes. "Pourquoi êtes-vous troublés? soutenait-il. Ne vous a-t-il pas suffisamment prouvé la noblesse de son âme et sa magnanimité pour que vous doutiez encore de ce qu'il ne consentira jamais, pour son propre salut, à mettre les autres dans l'embarras? Il doit, sans aucun doute, s'être retiré, dans le silence de cette nuit éclairée par la lune, en un lieu où il peut chercher à communier en paix avec Dieu. Il reviendra à sa tente, cela ne fait aucun doute. Il ne nous abandonnera jamais." Dans son empressement à vouloir rassurer ses collègues, Muhammad Big partit à pied le long de la route menant à Tihrán. Moi aussi, avec mes compagnons, je le suivis. Peu après, on vit le reste des gardes, tous à cheval, venir derrière nous. Nous avions à peine couvert un Maydán (12.8) lorsqu'à la faible lueur de l'aube, nous discernâmes au loin la silhouette solitaire du Báb.

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Il venait vers nous de la direction de Tihrán. "Croyiez-vous que je m'étais échappé?" dit-il à Muhammad Big en s'approchant de lui. "Loin de moi de pareilles pensées", répondit aussitôt celui-ci en se jetant aux pieds du Báb. Muhammad Big était trop impressionné par la majesté sereine que manifestait cette face rayonnante ce matin-là, pour oser faire d'autres remarques. Une expression de confiance avait envahi le visage du Báb, ses paroles étaient dotées d'un pouvoir si transcendant qu'un sentiment de profonde révérence s'empara de nos âmes mêmes. Personne n'osa l'interroger sur le motif d'un changement aussi remarquable de son discours et de son attitude. Et il ne voulut pas, quant à lui, apaiser notre curiosité et notre émerveillement."
Pendant une quinzaine de jours, (12.9) le Báb demeura dans ce lieu. La tranquillité dont il jouissait au milieu de ce beau paysage fut brutalement interrompue par la réception d'une lettre que Muhammad Sháh (12.10) en personne lui avait adressée et qui était rédigée en ces termes : (12.11) "Malgré notre désir de vous rencontrer, nous nous trouvons dans l'impossibilité, vu notre départ imminent de la capitale, de vous recevoir, comme il convient, à Tihrán. Nous avons fait connaître notre désir de vous voir emmené à Mah-Ku et nous avons transmis les instructions nécessaires à 'Alí Khán, le gardien de cette forteresse, afin qu'il vous traite avec respect et considération. Nous espérons et envisageons de vous convoquer ici à notre retour et, à ce moment-là, nous prononcerons notre jugement définitif. Nous espérons ne pas vous avoir causé de déception et souhaitons vous voir nous informer à tout moment et sans hésitation des injustices dont vous seriez éventuellement l'objet. Nous serions heureux que vous continuiez à prier pour notre bien-être et pour la prospérité de notre royaume (Daté de rabí'u'th-thání, 1263 après l'hégire). (12.12)
Hájí Mírzá Áqásí (12.13) était sans aucun doute responsable des circonstances qui avaient incité le Sháh à envoyer une telle lettre au Báb. Il avait agi uniquement par crainte (12.14) de voir la rencontre prévue lui ravir sa position de chef incontesté des affaires de l'Etat et aboutir finalement à sa chute. Il ne nourrissait aucun sentiment de malveillance ou de ressentiment vis-à-vis du Báb. Il avait finalement réussi (12.15) à persuader son souverain d'exiler un adversaire aussi redoutable dans un coin retiré et perdu de son royaume et avait pu ainsi libérer son esprit d'une pensée qui l'avait continuellement obsédé. (12.16) Que son erreur était grande! Que sa bévue était sérieuse! Il ne pouvait réaliser, à ce moment-là, que par ses intrigues incessantes, il privait son roi et son pays des bienfaits incomparables d'une révélation divine qui seule avait le pouvoir de délivrer le pays de l'état de dégradation épouvantable dans lequel il était tombé.

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Par son acte, ce ministre borné non seulement retira à Muhammad Sháh le moyen par lequel celui-ci aurait pu restaurer un empire en rapide déclin, mais encore priva-t-il son souverain de cet intermédiaire spirituel qui lui aurait permis d'établir sa suprématie incontestée sur les peuples et les nations de la terre. Par sa folie, son extravagance et ses conseils perfides, il mina les fondements de l'Etat, abaissa son prestige, sapa la loyauté de ses sujets et plongea ceux-ci dans un abîme de détresse. (12.17) Incapable de tirer la leçon du sort de ses prédécesseurs, il ignora avec dédain les demandes et les intérêts du peuple, poursuivit avec un zèle infatigable des desseins visant à l'accroissement de son influence personnelle et, par sa dépravation et son extravagance, engagea le pays dans des guerres ruineuses contre ses voisins.

PHOTO: Muhammad Sháh

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Sa'd-iMa'ádh, qui n'était, ni de sang royal ni investi d'autorité, parvint, par la droiture de sa conduite et son inlassable dévouement envers la cause de Muhammad, à un rang si élevé que, même de nos jours, les chefs et les dirigeants de l'islám continuent à honorer sa mémoire et à louer ses vertus; tandis que Buzurg-Mihr, l'administrateur le plus capable, le plus sage et le plus chevronné des vazirs de Núshíraván-i-'Ádil, malgré sa position élevée, tomba finalement en disgrâce devant le public, fut jeté dans un cachot et devint l'objet du mépris et de la raillerie du peuple. Il se lamenta sur son état et pleura si amèrement qu'il en perdit finalement la vue. Ni l'exemple du premier ni le sort du second ne semblaient avoir mis ce ministre présomptueux devant l'évidence des périls de sa propre position. Il persista dans ses idées jusqu'à ce qu'il fût, lui aussi, déchu de son rang, qu'il perdît ses richesses (12.18) et qu'il sombrât dans la honte et l'humiliation. Les nombreux biens dont il s'était emparé par la force au détriment de sujets humbles et respectueux de la loi, le mobilier de valeur au moyen duquel il les avait embellis, les dépenses somptueuses en argent et en travail qu'il avait engagées en vue de 1eur amélioration-tout cela fut irrémédiablement perdu deux ans après qu'il eût publié le décret condamnant le Báb à une cruelle incarcération dans les montagnes inhospitalières d'Ádhirbáyján. Toutes se possessions furent Confisquées par l'Etat. Quant à lui, il tomba en disgrâce auprès de son souverain, fut misérablement expulsé de Tihrán et accablé de maux et de pauvreté. Privé d'espoir et plongé dans la misère, il languit à Karbilá jusqu'à sa mort. (12.19)
Le Báb avait donc reçu l'ordre de se rendre à Tabríz. (12.20) La même escorte qui se trouvait sous le commandement de Muhammad Big le suivit dans son voyage vers la province nord-occidentale d"Ádhirbáyján. Il fut autorisé à se choisir un compagnon et un assistant parmi ses disciples pour lui tenir compagnie durant son séjour dans cette province. Il porta son choix sur Siyyid Husayn-i-Yazdí et Siyyid Hasan, son frère. Il refusa d'employer pour lui-même la somme que le gouvernement avait allouée au paiement des frais de ce voyage. Il donna aux pauvres et aux nécessiteux tout l'argent fourni par l'Etat et employa, pour couvrir ses besoins personnels, l'argent qu'il avait gagné en exerçant son métier de marchand à Búshihr et à Shiraz.

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Comme l'ordre avait été donné d'éviter les villes lors du voyage vers Tabríz, un certain nombre de croyants de Qazvín, prévenus de l'approche de leur chef bien-aimé, se rendirent au village de Síyáh-Dihán (12.21) et purent ainsi le rencontrer.
L'un de ceux-ci s'appelait Mullá Iskandar; il avait été délégué par Hujjat pour rendre visite au Báb à Shiraz et enquêter sur sa cause. Le Báb le chargea de remettre le message suivant à Sulaymán Khán-i-Afshár, qui était un grand admirateur de feu Siyyid Kázim: "Celui dont feu Siyyid Kázim n'a cessé de chanter les louanges et à l'imminence de la révélation duquel il faisait continuellement allusion, s'est à présent manifesté. Je suis le Promis. Lève-toi et délivre-moi des mains de l'oppresseur." Quand le Báb confia ce message à Mullá Iskandar, Sulaymán Khán se trouvait à Zanján et se préparait à partir pour Tihrán. En l'espace de trois jours, ce message lui parvint. Il omit toutefois de répondre à cet appel.

PHOTO: Hájí Mirza Aqási

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Deux jours plus tard, un ami de Mullá Iskandar mettait Hujjat, qui avait été incarcéré dans la capitale à l'instigation des 'ulamás de Zanján, au courant de l'appel du Báb. Hujjat donna aussitôt aux croyants de sa ville natale l'ordre d'entreprendre tous les préparatifs et de rassembler les forces nécessaires à la libération de leur maître. Il leur enjoignit de procéder avec prudence et de tenter au moment propice, de s'emparer du Báb et de l'emmener là où il le désirerait. Ces hommes furent peu après rejoints par un certain nombre de croyants de Qazvín et de Tihrán qui se mirent, conformément aux directives de Hujjat, à exécuter son plan. Ils rattrapèrent les gardes vers minuit et, les trouvant plongés dans un sommeil profond, s' approchèrent du Báb et le prièrent de s'enfuir. "Les montagnes d'Ádhirbáyján réclament aussi leur droit", répondit-il confidentiellement en leur conseillant aimablement de renoncer à leur projet et de retourner chez eux. (12.22)
A proximité de la porte de Tabríz, Muhammad Big, sentant que l'heure de sa séparation d'avec son prisonnier était imminente, alla auprès de lui et, les larmes aux yeux, le pria de lui pardonner ses transgressions et ses fautes. "Le voyage d'Isfáhán, dit-il, a été long et difficile; j'ai manqué à mon devoir et ne vous ai pas servi comme je le devais. J'implore votre pardon et vous prie de m'accorder vos bénédictions." "Soyez rassuré! répondit le Báb, je vous considère comme membre de mon bercail. Ceux qui embrassent ma cause vous béniront et vous glorifieront éternellement; ils exalteront votre conduite et loueront votre nom." (12.23) Le reste des gardes suivirent l'exemple de leur chef, implorèrent des bénédictions de leur prisonnier, lui baisèrent les pieds et, les larmes aux yeux lui adressèrent un dernier adieu. Le Báb exprima à chacun d'eux son appréciation pour ses attentions dévouées et l'assura de ses prières en sa faveur. A contrecoeur, ceux-ci le remirent aux mains du gouverneur de Tabríz, héritier du trône de Muhammad Sháh. À ceux que ces assistants dévoués du Báb, témoins oculaires de sa sagesse et de son pouvoir surhumains, rencontrèrent par la suite, ils racontèrent avec crainte et admiration le récit de ces merveilles qu'ils avaient vues et entendues, et aidèrent ainsi, à leur propre manière, à la propagation de la connaissance de la nouvelle révélation.
La nouvelle de l'arrivée imminente du Báb à Tabríz émut les croyants de cette ville. Ils partirent tous à la rencontre de leur maître bien-aimé, empressés qu'ils étaient de l'accueillir. Les officiels du gouvernement à qui le Báb avait été confié refusèrent de les laisser s'approcher de lui et de recevoir ses bénédictions.

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Un jeune homme, cependant, incapable de se maîtriser, se précipita pieds nus à travers la porte de la ville et, dans son impatience de voir la face de son Bien-Aimé, parcourut au pas de course la distance d'un demi-farsang. (12.24) En s'approchant des cavaliers qui marchaient devant le Báb, il leur souhaita allègrement la bienvenue et, saisissant le pan du vêtement de l'un d'entre eux, baisa avec dévotion ses étriers. "Vous êtes les compagnons de mon Bien-Aimé!" s'exclama-t-il en pleurs. "Je vous aime comme la prunelle de mes yeux." Son comportement anormal et l'intensité de son émotion surprirent les gardes. Ils agréèrent aussitôt à sa demande d'aller auprès de son maître. Dès que le regard du jeune homme tomba sur celui-ci il lança un cri de joie. Il tomba face contre terre et pleura à chaudes larmes. Le Báb descendit de son cheval, le prit dans ses bras, essuya ses larmes et calma l'agitation de son coeur. De tous les croyants de Tabríz, seul ce jeune homme réussit à présenter ses hommages au Báb et à recevoir sa bénédiction de sa main. Tous les autres durent se contenter de l'apercevoir de loin, c'est ainsi qu'ils essayèrent de satisfaire leur ardent désir.
Dès son arrivée à Tabríz, le Báb fut emmené dans l'une des principales maisons de cette ville, qui avait été réservée à son incarcération. (12.25) Un détachement du régiment Násiri monta la garde à l'entrée de sa demeure. Personne parmi le public ou les disciples, si ce n est Siyyid Husayn et son frère, ne fut autorisé à le rencontrer. Ce même régiment qui avait été recruté parmi les habitants de Khamsih et qui jouissait d'honneurs spéciaux, devait par la suite être choisi pour tirer les balles qui causèrent la mort du Báb. Les circonstances de l'arrivée du Báb avaient profondément ému les habitants de Tabríz. Une foule bruyante s'était réunie pour assister à son entrée dans la ville. (12.26) Quelques-uns venaient par curiosité, d'autres désiraient sérieusement vérifier l'authenticité des bruits incontrôlables qui circulaient à son sujet; d'autres enfin étaient mus par leur foi et leur dévotion et voulaient parvenir en sa présence pour l'assurer de leur loyauté. Lors du passage du Báb dans les rues, les acclamations de la foule retentirent de tous côtés. La plupart de ceux qui virent son visage l'accueillirent aux cris d' ' 'Alláh-u-Akbar" (12.27) d'autres le glorifièrent et l'acclamèrent; quelques-uns invoquèrent sur lui les bénédictions du Tout-Puissant; d'autres enfin baisèrent avec respect la poussière des traces de ses pas. La clameur que son arrivée avait soulevée fut telle que l'on donna l'ordre à un crieur d'avertir

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la populace du danger qui menaçait ceux qui se hasardaient à rechercher sa présence. "Quiconque essaiera de s'approcher du Siyyid-i-Báb, poursuivit le crieur, ou cherchera à le rencontrer, sera condamné à l'emprisonnement à vie et verra tous ses biens confisqués."
Le lendemain de l'arrivée du Báb, Hájí Muhammad Taqíy-Mílání, marchand notoire de la ville, en compagnie de Hájí 'Alí-'Askar, eurent l'audace d'aller lui rendre visite. Leurs amis et ceux qui leur voulaient du bien les avertirent qu'ils risquaient, dans une pareille tentative, non seulement de perdre leurs biens, mais encore de mettre leur vie en péril. Ils refusèrent cependant de prêter l'oreille à de tels conseils. Alors qu'ils étaient à proximité de la porte de la maison ou le Báb se trouvait incarcéré, ils furent brusquement arrêtés. Siyyid Hasan, qui sortait à ce moment-là de chez le Báb, intervint aussitôt. "Le Siyyid-i-Báb m'a donné l'ordre", protesta-t-il avec véhémence, "de vous communiquer ce message: "Laissez entrer ces visiteurs, car c'est moi-même qui les ai invités à venir me voir." J'ai entendu Hájí 'Alí-'Askar affirmer ce qui suit: "Ce message réduisit aussitôt les adversaires au silence. Nous fûmes introduits directement auprès du Báb. Ce dernier nous accueillit par ces paroles: "Ces malheureux qui surveillent l'entrée de ma maison sont placés là pour me protéger contre la ruée de la foule qui afflue aux alentours. Ils sont impuissants à empêcher ceux que je désire rencontrer de parvenir jusqu'à moi." Nous passâmes environ deux heures en sa compagnie. Au moment de nous congédier, il me confia deux pierres en cornaline

PHOTO: panorama de la ville de Tabriz

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pour bagues, me chargeant d'y faire graver les deux versets qu'il m'avait donnés auparavant, de les faire monter et de les lui apporter dès qu'elles seraient prêtes. Il nous assura que personne ne pourrait nous empêcher de venir auprès de lui lorsque nous en exprimerions le désir. Plusieurs fois j'eus le courage d'aller chez lui afin d'avoir sa confirmation quant aux détails de la commission qu'il m'avait confiée. Je ne rencontrai à aucun moment la moindre opposition de la part de ceux qui gardaient l'entrée de sa maison. Ceux-ci ne prononcèrent pas la moindre parole offensante à mon égard, et ne semblèrent pas attendre la moindre récompense pour leur indulgence.
"Je me rappelle combien je fus impressionné, dans mes relations avec Mullá Husayn, par les multiples preuves de sa perspicacité et de son extraordinaire pouvoir. J'eus le privilège de l'accompagner dans son voyage de Shiraz à Mashhad, et visitai avec lui les villes de Yazd, Tabas, Bushrúyih et Turbat. Je regrettais alors de n'avoir pu rencontrer le Báb à Shiraz. "Ne soyez pas triste", m'assura Mullá-Husayn confidentiellement. "Le Tout-Puissant peut sans doute

PHOTO: arche (citadelle) de Tabriz, où fut emprisonné le Báb

PHOTO: intérieur et extérieur de la chambre que le Báb occupait

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compenser pour vous à Tabríz la perte que vous avez subie à Shiraz. Pour compenser la visite que vous avez manquée, il vous permettra, non pas une fois mais bien sept, de partager la joie de sa présence." Je fus étonné de la confiance avec laquelle il prononçait ces paroles. Ce n'est que lors de ma visite au Báb à Tabríz où, en dépit de circonstances adverses, je fus autorisé à me rendre plusieurs fois auprès de lui, que je me souvins des paroles de Mullá Husayn et m'émerveillai devant sa remarquable prévision. Que ma surprise fut grande lorsqu'à ma septième visite, le Báb parla en ces termes:
"Louanges à Dieu, qui vous a permis de compléter le nombre de vos visites et qui vous a accordé son aimante protection.

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PHOTO: forteresse de Mah-ku

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NOTE DU CHAPITRE 12:

(12.1) Emplacement du second tombeau le plus sacré de la Perse, et lieu d'inhumation de plusieurs des rois de ce pays, parmi lesquels Fath-'Alí et Muhammad Sháh.

(12.2) "A Qum gisent les restes de sa soeur (Imam Rida), Fátimiy-i-Ma'súMáh, c'est-à-dire l'immaculée, qui d'après certains, y vécut et y mourut, après avoir fui de Baghdád pour échapper à la persécution des Khalífs et qui, d'après d'autres, tomba malade et mourut à Qum, alors qu'elle allait voir son frère à Tús. Celui-ci pour sa part, rend, croient les shi'ahs pieux, compliment pour compliment en allant tous les vendredis de son tombeau à Mashhad pour la visiter (Lord Curzon, "Persia and the Persian Question", Vol. II, p. 8.)

(12.3) Station sur la vieille route d'Isfáhán, située à environ 28 miles de Tihrán ("A Traveller's Narrative", p. 14, note 2)

(12.4) Voir "A Traveller's Narrative", p. 14, note 3.

(12.5) "Le bruit s'en étant répandu, il fut impossible d'exécuter l'ordre du premier ministre Hájí Mírzá Áqásí. D'Isfáhán à Tihrán on ne parlait que de l'iniquité du clergé et du gouvernement par rapport à Bab; partout on murmurait, on criait à l'injustice." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 355.)

(12.6) Le 29 mars 1847 ap. J-C.

(12.7) Le 1er avril 1847 ap. J-C.

(12.8) Voir glossaire.

(12.9) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 14), le Bab resta vingt jours dans le village de Kulayn.

(12.10) Oh 'Muhammad Sháh", écrit Gobineau, "était un prince d'un caractère tout particulier, non point rare en Asie, mais tel que les Européens n'ont guère su l'y voir, et encore moins l'y comprendre. Bien qu'il ait régné dans un temps où les habitudes de la politique locale étaient encore assez dures, il était doux et endurant, et sa tolérance s'étendait jusqu'à assister d'un oeil fort placide aux désordres de son harem qui, pourtant, auraient eu quelque droit de le fâcher; car, même sous Fath-'Ali Sháh, le laisser-aller et le caprice des fantaisies ne furent jamais portés aussi loin.

On lui prête ce mot, digne de notre 18è siècle: "Que ne vous cachez-vous un peu, madame? Je ne veux pas vous empêcher de vous amuser." Mais chez lui ce n'était point affectation d'indifférence, c'était lassitude et ennui. Sa santé avait toujours été déplorable; goutteux au dernier degré, il souffrait des douleurs continuelles et avait à peine de relâche. Son caractère, naturellement faible, étai devenu très mélancolique et, comme il avait un grand besoin d'affection et qu'il ne trouvait guère de sentiments de ce genre dans sa famille, chez ses femmes, chez ses enfants, il avait concentré toutes ses affections sur le vieux Mullá, son précepteur. Il en avait fait son unique ami, son confident, puis son premier et tout puissant ministre, et enfin, sans exagération ni manière de parler, son Dieu. Elevé par cette idole dans des idées fort irrévérencieuses pour Islam, il ne faisait non plus de cas des dogmes du prophète que du Prophète lui-même. Les Imáms lui étaient très indifférents, et s'il avait quelques égards pour 'Ah, c'était en raison de cette bizarre opération de l'esprit par laquelle les Persans identifient ce vénérable personnage avec leur nationalité. Mais, en somme, Muhammad Sháh n'était pas musulman, non plus que chrétien, guèbre ou juif. Il tenait pour certain que la substance divine s'incarnait dans les Sages avec toute sa puissance; et comme il considérait Hájí Mírzá Áqásí comme le Sage par excellence, il ne doutait pas qu'il ne fût Dieu, et lui demandait dévotement quelque prodige. Souvent il lui arriva de dire à ses officiers, d'un air pénétré et convaincu: "Le Hájí m'a promis un miracle pour ce soir, vous verrez!"

En dehors du Hájí, Muhammad Sháh était donc d'une prodigieuse indifférence pour le succès où les revers de telle ou telle doctrine religieuse; il lui plaisait, au contraire, de voir s'élever des conflits d'opinions qui témoignaient à ses yeux de l'aveuglement universel." (de Gobineau, "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 131-2.)

(12.11) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 14), le Bab "envoya un message à la cour, demandant audience pour exposer la vérité de sa condition, croyant que cela était un moyen pour obtenir de grands avantages." Concernant cette lettre, Gobineau écrit ce qui suit: " 'Alí-Muhammad écrivit lui-même à la Cour, et sa lettre arriva en même temps que les accusations de ses adversaires. Sans prendre aucunement une attitude agressive vis-à-vis du roi, s'en remettant, au contraire, à son autorité et à sa justice, il remontrait que, depuis longtemps, la dépravation du clergé était, en Perse, un fait connu de tout le monde; que non seulement les bonnes moeurs s'en trouvaient corrompues et le bien-être de la nation tout à fait atteint, mais encore que la religion même, viciée par la faute de tant de coupables, était en péril et menaçait de disparaître en laissant le peuple dans les plus fâcheuses ténèbres; que, pour lui, appelé de Dieu, en vertu d'une mission spéciale, à écarter de tels malheurs, il avait déjà commencé à éclairer le peuple du Fârs que la saine doctrine avait fait les progrès les plus évidents et les plus rapides, que tous ses adversaires avaient été confondus et vivaient désormais dans l'impuissance et le mépris public; mais que ce n'était qu'un début, et que le Bab, confiant dans la magnanimité du roi, sollicitait la permission de venir dans la capitale avec ses principaux disciples, et là, d'établir des conférences avec tous les Mullás de l'Empire, en présence du souverain, des grands et du peuple; que, certainement, il les couvrirait de honte; il leur prouverait leur infidélité; il les réduirait au silence comme il avait fait des Mullás grands et petits qui avaient prétendu s'élever contre lui; que s'il était, contre son attente vaincu dans cette lutte, il se soumettait d'avance à tout ce que le roi ordonnerait, et était prêt à livrer sa tête et celle de chacun de ses partisans." (de Gobineau "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 124.)

(12.12) Du 19 mars au 17 avril 1847 ap. J-C.

(12.13) D'après le "Majma'u'l-Fusahá" de Hidáyat, Hájí Mírzá Áqásí s'appelait 'Abbás-'Alí. C'était le fils de Mírzá Muslim, l'un des théologiens bien connus d'Iraván. Son fils, 'Abbás-'Alí, alors qu'il se trouvait à Karbilá, avait été l'élève de Fakhru'd-Din 'Abdu's-Samad-i-Hamadání. De Karbilá, il s'était rendu à Hamadán, avait visité l'Ádhirbáyján et, de là, avait entrepris un pèlerinage à La Mecque. A son retour en Ádhirbáyján, dans des conditions de pauvreté extrême, il avait réussi à améliorer petit à petit sa position et avait été nommé précepteur des enfants de Mírzá Músá Khán, frère de feu Mírzá Abu'l-Qásim, le Qá'ím-maqám. Muhammad Mírzá, à qui il avait annonce son accession ultérieure au trône de la Perse, lui était fort dévoué. Il fut finalement nommé Premier ministre de celui-ci et se retira après la mort du monarque, à Karbilá, où il mourut au ramadán de l'an 1265 (Notes de Mírzá Abu'l-Fadl).

D'après Háji Mu'inu's-Saltanih (p. 120 de son récit), Hájí Mírzá Áqási était né à Máh-Ktu, où résidaient ses parents, depuis leur départ d'Iraván, dans le Caucase. ' 'Háji Mírzá Áqási natif d'Iraván, parvint à avoir une influence illimitée sur son maître à l'esprit débile, dont il avait été auparavant le précepteur; il professait la doctrine soufie. C'était un vieux gentilhomme railleur, au nez long et dont le visage trahissait l'originalité et l'orgueil de son caractère." ("A General Sketch of the History of Persia", p. 473). "Le Hájí, de son côté, était un Dieu d'une espèce particulière. Il n'est p s absolument certain qu'il ne crût pas de lui-même ce dont Muhammad Sháh était persuadé. ans tous les cas, il professait les mêmes principes généraux que le roi, et les lui avait inculqués de bonne foi. Mais cela ne l'empêchait pas de bouffonner. La bouffonnerie était le système, la règle, l'habitude de sa conduite et de sa vie.

Il ne prenait rien au sérieux, à commencer par lui-même: "Je ne suis pas un premier ministre, répétait-il constamment et surtout à ceux qu'il maltraitait; je suis un vieux Mullá, sans naissance et sans mérite, et si je me trouve à la place où je suis, c'est que le roi l'a voulu." Il ne parlait jamais de ses fils sans les appeler fils de drôlesse et fils de chien. C'est dans ces termes qu'il demandait de leurs nouvelles ou leur faisait transmettre des ordres par ses officiers quand ils étaient absents. Son plaisir particulier était de passer des revues de cavaliers où il réunissait, dans leurs plus somptueux équipages tous les Kháns nomades de la Perse. Quand ces belliqueuses tribus étaient rassemblées dans la plaine, on voyait arriver le Hájí, vêtu comme un pauvre, avec un vieux bonnet pelé et disloqué, un sabre attaché de travers sur sa robe, et monté sur un petit âne. Alors il faisait ranger les assistants autour de lui, les traitait d'imbéciles, tournait en ridicule leur attirail, leur prouvait qu'ils n'étaient bons à rien, et les renvoyait chez eux avec des cadeaux; car son humeur sarcastique s'assaisonnait de générosité." (de Gobineau "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 132-3.)

(12.14) "Une anecdote montre à quels sentiments obéissait le premier ministre quand il détermina en ce sens la volonté du Sháh. Le Prince Farhád Mírzá, jeune encore, était l'élève de Háji Mírzá Áqási. Il a raconté par la suite: "Quand S.M. eut pris l'avis de son premier ministre et eut écrit au Bab de se rendre à Máh-Kú, nous allâmes avec Hájí Mirzá Áqásí passer quelques jours dans le parc qu'il avait lui-même fait planter à Yaft-Ábád, aux environs de Tihrán. J'étais fort désireux d'interroger mon maître sur les événements qui se précipitaient, mais je n'osais le faire devant le monde. Un jour que je me promenais avec loi dans le jardin et qu'il se montrait de bonne humeur, je m'enhardis jusqu'à lui demander: "Hájí, pourquoi avez-vous envoyé le Bab à Máh-Kú?" Il me répondit : "Tu es jeune encore et tu ne peux comprendre certaines choses, mais sache que s'il était venu à Tihrán, nous ne serions pas en ce moment, toi et moi, à nous promener libres de tous soucis sous ces frais ombrages." (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", pp. 243-4.) D'après Hájí Mu'ínu's-Saltanih dans son histoire, (p. 129 de son récit), le mobile principal qui poussa Hájí Mírzá Aqásí à supplier Muhammad Sháh d'ordonner le bannissement du Bab dans l'Ádhirbáyján était la crainte de voir se réaliser la promesse que le Bab avait faite au souverain, promesse selon laquelle il le guérirait de sa maladie si celui-ci l'autorisait à être reçu à Tihrán. Il était sûr que si le Bab avait la possibilité de réaliser une telle guérison, le sháh tomberait sous l'influence de son prisonnier et cesserait de conférer à son Premier ministre les honneurs et les avantages dont celui-ci seul jouissait.

(12.15) D'après Mírzá Abu'l-Fadl, Hájí Mírzá Aqásí chercha par son allusion à la rébellion de Mohammad Hasan-Khán, le salir, dans le Khurásán, et à la révolte d'Aqá Khán-i-Ismá'ílí, dans le Kirmán, à inciter le souverain à abandonner le projet de convoquer le Bab dans la capitale, et à l'envoyer au contraire dans la province éloignée d'Ádhirbáyján.

(12.16) "Cependant, en cette circonstance, les calculs du grand Vazír se trouvèrent tout à fait en défaut. Dans la crainte que la présence du Bab à Tihrán n'occasionnât de nouveaux désordres (et il y en avait assez, grâce à ses fantaisies et à son mauvais système d'administration), il changea ses dispositions, et l'escorte qui conduisait le Bab d'Isfáhán à Tihrán reçut à une trentaine de km. de cette dernière capitale, l'ordre de n'y pas entrer et de conduire le prisonnier à Máh-Kú, ville où, dans la pensée du premier ministre, l'imposteur n'avait rien à espérer, parce que ses habitants, en reconnaissance des bienfaits et de la protection qu'ils avaient reçus de lui, prendraient des mesures pour étouffer les troubles qui pourraient naître. (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 356.)

(12.17) "La Perse ne se trouvait pas cependant dans un état satisfaisant, car Hájí Mírzá Áqási, qui la gouvernait virtuellement depuis treize ans, "ignorait totalement l'art de gouverner ainsi que le génie militaire; pourtant, il était trop vaniteux pour se laisser instruire et trop jaloux pour admettre un coadjuteur; brutal dans son langage; insolent dans son comportement; indolent ns ses habitudes; il porta le Trésor au bord de la banqueroute et le pays à deux doigts de la révolution. L'armée était généralement payée trois ou cinq ans en retard. La cavalerie des tribus était presque anéantie." Telle était - d'après les paroles graves de Rawlinson - la condition de la Pers au milieu du dix-neuvième siècle." (P.M. Sykes, "Une Histoire de la Perse", vol Il, pp. 439-40.)

(12.18) "Hájí Mírzá Áqásí, le vieux Premier ministre à demi-fou, avait l'entière administration dans ses mains et on contrôle complet sur le shih. Le mauvais gouvernement du pays empira de plus en plus, pendant ce temps, la famine régnait parmi le peuple, qui maudissait la dynastie Qájár ... L'état des provinces était déplorable; et tous ceux qui prétendaient avoir du talent ou du patriotisme étaient exilés par le vieux Hájí qui amassait avec diligence des richesses pour loi-même à Tihrán, au dépens do pays misérable. Le gouvernement des provinces était vendu aux plus offrants et derniers enchérisseurs, qui opprimaient le peuple d'une horrible manière." (C.R. Markham, "A General Sketch of the History of Persia", pp. 486-7.)

(12.19) Gobineau, au sujet de sa chute, écrit ce qui suit: "Hájí Mírzá Áqási, chassé d'un pouvoir dont il avait passé son temps à se moquer, s'était retiré à Karbilá, et il y employait ses derniers jours à faire des niches aux Mullás et on peu aussi à la mémoire des saints martyrs." ("Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 160.) "Cet homme rusé s'était si bien emparé de la volonté de Sháh défont que l'on pouvait dire avec raison que le ministre était le véritable souverain; aussi ne pot-il survivre à son ancienne fortune. A la mort de Mohammad Sháh, il avait disparu et avait pris le chemin de Karbilá, où, sous la protection du très saint Imám, un criminel d'État même trouve un asile inviolable. Il succomba bientôt sous le poids d'on chagrin rongeur qui bien plus que ses remords, abrégea sa vie." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, pp. 367-8.)

(12.20) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 16), le Bab "écrivit au cours du voyage une lettre adressée au Premier ministre et disant: "Vous m'avez fait appeler d'Isfáhán pour rencontrer les docteurs et parvenir à un arrangement définitif. Qu'est-il arrivé à présent pour que cette excellente intention ait changé en faveur de Máh-Kú et Tabriz?"

(12.21) D'après Samandar (manuscrit, pp. 4-5), le Bab yassa quelque temps dans le village de Siyáh-Dihán, dans le voisinage de Qazvín, en route vers l'Adhirbáyján. Au cours de ce voyage, on rapporte qu'il a révélé plusieurs Tablettes adressées aux principaux 'Ulamás de Qazvín, parmi lesquels se trouvaient les suivants: Hájí Mullá 'Abdu'l-Vahháb, Hájí Mullá Sálih, Hájí Mullá Taqí, et Hájí Siyyid Taqí. Ces Tablettes forent portées à leurs destinataires par Hájí Mullá Ahmad-i-Ibdál. Plusieurs croyants, parmi lesquels se trouvaient les deux fils de Hájí Mullá 'Abdu'l-Vahháb, purent rencontrer le Bab dorant la nuit qu'il passa dans ce village. C'est de ce village, dit-on, que le Bab a adressé son épître à Hájí Mírzá Áqásí.

(12.22) D'après le "Táríkh-i-Jadíd", Mohammad Big aurait raconté ce qui suit à Hájí Mírzá Jání: "Ainsi chevauchâmes-nous jusqu'à ce que nous arrivâmes à un caravansérail en briques situé à deux farsangs de la ville. Puis nous nous rendîmes à Milán, où de nombreux habitants vinrent voir Sa Sainteté, et forent frappés d'émerveillement par la majesté et la dignité de ce Seigneur de l'humanité. Le matin, alors que nous nous préparions à sortir de Mílán, une vieille femme amena un enfant teigneux, dont la tête était couverte de tant de gales qu'elle était blanche jusqu'au cou, et supplia Sa Sainteté de le guérir. Les gardes voulurent l'arrêter, mais Sa Sainteté les en empêcha et appela l'enfant à lui. Il étendit alors on mouchoir sur sa tète et répéta certaines paroles; à peine avait-il fait cela que l'enfant fut guéri. -Et en ce lieu, environ deux cents personnes crurent et se convertirent véritablement et sincèrement." (pp. 220-21).

(12.23) Mírzá Abu'l-Fadl déclare ans ses écrits qu'il rencontra lui-même, lors de son séjour à Tihrán, le fils de Muhammad Big, qui s'appelait 'Ali-Akbar Big, et qu'il l'entendit relater les remarquables expériences que son père avait faites au cours de son voyage à Tabriz en compagnie do Bab. 'Ali-Akbar Big était un fervent croyant en la cause de Bahá'u'lláh, et il était connu comme tel par les bahá'ís de la Perse.

(12.24) Voir glossaire.

(12.25) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 16), le Bab resta quarante jours à Tabriz. D'après le manuscrit de Hájí Mu'inu's-Saltanih (p. 138), le Bab passa la première nuit, à son arrivée à Tabriz, chez Muhammad Big. De là, il fut transféré dans une chambre à la citadelle (l'Arche) qui était contiguë au Masjid-i-'Alí Sháh.

(12.26) "Les progrès de cet homme énergique ( Mullá Yúsuf-i-Ardibílí) furent si grands et si rapides qu'aux portes de Taons (Tabriz) même 1 habitants d'un village fort peuplé se livrèrent à lui et prirent le nom de Babi. Il va sans dire que dans la ville même les Babis étaient assez nombreux, alors que le gouvernement prenait de mesures pour convaincre publiquement le Bab d'imposture, le punir et par là se justifier devant peuple." (Journal Asiatique, â866, tome VII, pp. 357-8.)

(12.27) "Dieu est le plus grand."



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CHAPITRE XIII : l'incarcération du Bab dans la forteresse de Mah-ku

On a entendu Siyyid Husayn-i-Yazdí raconter ce qui suit: "Durant les dix premiers jours de l'incarcération du Báb à Tabríz, personne ne savait ce qu'il adviendrait de lui. Les bruits les plus incontrôlés couraient dans cette ville. Un jour, j'osai lui demander s'il continuerait à rester où il était ou s'il allait être transféré en un autre lieu. "Avez-vous oublié, répondit-il aussitôt, la question que vous m'aviez posée à Isfáhán? Pour une période d'au moins neuf mois, nous demeurerons enfermés au sein du Jabal-i-Básit, (13.1) puis on nous transfèrera dans le Jabal-i-Shadíd. (13.2) Ces lieux sont tous deux situés dans les montagnes de Khuy, de part et d'autre de la ville du même nom." Cinq jours après que le Báb eut fait cette prédiction, ordre était donné de nous transférer, lui et moi, à la forteresse de Mah-Ku et de nous confier à la garde d' 'Alí Khán-i-Mah-ku'í."
La forteresse, un bâtiment en pierre à quatre tours, occupe le sommet d'une montagne au pied de laquelle 'étend la ville de Mah-Ku. L'unique route qui y mène passe par ce te ville et se termine par une porte qui est contiguë au siège du gouvernement et gardée fermée en permanence. Cette porte est distincte de celle de la forteresse. Située aux confins des empires ottoman et russe, cette forteresse servait, étant donné sa position culminante et ses avantages stratégiques, comme centre de reconnaissance. L'officier en exercice à cette station observait, en temps de guerre, les mouvements de l'ennemi, surveillait les régions environnantes et rapportait à son gouvernement les éventuels cas d'urgence qu'il remarquait. La forteresse est limitée à l'ouest par la rivière Araxes, qui marque la frontière entre le territoire du sháh et l'Empire russe. Au sud s'étend le territoire du sultan de Turquie, la ville-frontière de Báyazíd n'étant située qu'à une distance de quatre farsangs (13.3) du mont Mah-Ku. Le garde-frontière en exercice à la forteresse s'appelait 'Alí Khán. Les habitants de la ville sont tous des Kurdes et appartiennent à la secte sunní de l'islám. (13.4)

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Les shí`ahs, qui forment la grande majorité des habitants de la Perse, ont toujours été leurs pires ennemis déclarés. Ces Kurdes abhorrent particulièrement les siyyids de la confession shí`ah, qu'ils considèrent comme les chefs spirituels et principaux agitateurs parmi leurs adversaires. La mère d"Alí Khán étant kurde, le fils était tenu en grande estime et ses ordres étaient implicitement suivis par les habitants de Mah-Ku. Ces derniers le considéraient comme membre de leur propre communauté et avaient une confiance absolue en lui.
Hájí Mírzá Áqásí n'avait délibérément oeuvré en vue de l'exil du Báb dans un coin si perdu, si inhospitalier et si dangereusement situé du territoire impérial que, dans l'unique but d'arrêter le flot de son influence croissante et de couper tous les liens qui l'unissaient à ses disciples à travers tout le pays. Certain que peu de personnes, s'il y en eût, oseraient pénétrer dans une région aussi sauvage et aussi agitée, habitée par une population aussi rebelle, il s'imaginait sottement que cette séparation forcée de son prisonnier d'avec les intérêts et les occupations de ses disciples tendrait petit à petit à arrêter le mouvement à sa naissance même et aboutirait finalement à son extinction. (13.5) Il dut bientôt réaliser, cependant, qu'il s'était sérieusement trompé sur la nature de la révélation du Báb et qu'il avait sous-estimé la force de son influence. L'esprit turbulent de ce peuple insoumis devait être bientôt subjugué par les manières aimables du Báb, et son coeur devait s'adoucir sou l'effet ennoblissant de son amour. L'orgueil de ces gens devait se transformer en humilité grâce à sa modestie sans égale, et leur arrogance irraisonnée s'atténuer devant la sagesse de ses paroles. La ferveur que le Báb avait suscitée en leurs coeurs était telle que leur premier acte tous les matins, était de chercher un endroit d'où ils pourraient apercevoir son visage, converser intimement avec lui et l'implorer de bénir leur travail quotidien. En cas de conflit ils avaient pris l'habitude d'aller instinctivement à cet endroit, de fixer leur regard sur sa prison, d'invoquer son nom et de s'adjurer mutuellement de dire la vérité. 'Alí Khán essaya à plusieurs reprises de les en dissuader, mais se sentit incapable d'étouffer leur enthousiasme. Il accomplit ses fonctions avec la sévérité la plus extrême et refusa de permettre aux disciples reconnus du Báb de résider, ne fût-ce que pour une nuit, dans la ville de Mah-Ku. (13.6)
"Pendant les deux premières semaines", relata encore Siyyid Husayn, "personne ne fut autorisé à rendre visite au Báb. Seuls mon frère et moi pouvions aller auprès de lui. En compagnie de l'un des gardes, Siyyid Hasan descendait chaque jour dans la ville pour acheter ce dont nous avions besoin pour la journée.

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Shaykh Hasani-Zunúzí, qui était arrivé à Mah-Ku, passait les nuits dans un masjid situé au-delà de la porte de la ville. Il servait d'intermédiaire entre ceux des disciples du Báb qui, occasionnellement visitaient Mah-Ku et Siyyid Hasan, mon frère qui, à son tour, soumettait les demandes des fidèles à leur maître et mettait Shaykh Hasan au courant de sa réponse."
"Un jour, le Báb chargea mon frère d'informer Shaykh Hasan que lui, le Báb, demandait à 'Alí Khán de changer d'attitude envers les croyants qui visitaient Mah-Ku et de relâcher sa sévérité. "Dites-lui, ajouta-t-il, que je chargerai demain le gardien de l'amener ici." Je fus très surpris d'entendre un tel message. Comment l'autoritaire et obstiné 'Alí Khán pouvait-il, me dis-je, être amené à relâcher la sévérité de sa discipline? Le lendemain de bonne heure, alors que la porte de la forteresse était encore fermée, nous eûmes la surprise d'entendre frapper à la porte; nous savions très bien qu'ordre avait été donné de ne laisser entrer personne avant le lever du soleil. Nous reconnûmes la voix d' 'Alí Khán qui semblait faire des remontrances aux gardes; l'un de ceux-ci entra peu après et me déclara que le gardien de la forteresse insistait pour être reçu par le Báb. Je fis part de son message au Báb, qui me donna l'ordre de l'introduire auprès de lui. En traversant le seuil de son antichambre, je vis 'Alí-Khán debout sur le seuil dans une attitude de soumission totale, son visage trahissant un sentiment d'humilité et d'émerveillement inhabituels. Son orgueil et son sentiment de supériorité semblaient l'avoir totalement abandonné. Il répondit de manière humble et très courtoise à mon salut et me pria de lui permettre d'aller auprès du Báb. Je le conduisis à la chambre qu'occupait mon maître. Ses membres tremblaient au moment où il me suivit. Une agitation intérieure qu'il ne pouvait dissimuler se lisait sur son visage. Le Báb se leva de son siège et lui souhaita la bienvenue. S'inclinant avec respect, 'Alí Khan s'approcha de lui et se jeta à ses pieds. "Libérez-moi, demanda-t-il, de ma perplexité. Je vous supplie, par le Prophète de Dieu, votre illustre ancêtre, de dissiper mes doutes, car leur poids m'a presque brisé le coeur. J'allais à cheval par des endroits inhabités et m'approchais de la porte de la ville lorsque soudain, à l'aube, je vous vis debout au bord de la rivière, occupé à faire votre prière. Les bras ouverts et les yeux levés, vous invoquiez le nom de Dieu. Je restai debout et vous observai. J'attendais la fin de votre prière pour m'approcher de vous et vous réprimander pour avoir osé quitter la forteresse sans mon autorisation.

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Dans votre communion avec Dieu, vous étiez si absorbé dans l'adoration que vous étiez totalement oublieux de vous-même. Je m'approchai tranquillement de
vous mais, dans votre état d'extase, vous ne vous aperçûtes même pas de ma présence. Je fus pris soudain d'une grande peur et reculai devant l'idée de vous tirer de votre extase. Je décidai de vous quitter et d'aller vers les gardes afin de les blâmer pour leur conduite négligente. Je découvris peu après, à mon grand étonnement, que les portes extérieure et intérieure étaient toutes deux fermées. On les ouvrit à ma demande, on m'introduisit auprès de vous et, tout ébahi, je vous vois à présent assis devant moi. Je me sens totalement perdu. Je me demande si ma raison ne m'a pas abandonné." Le Báb répondit: "Ce dont vous avez été témoin est authentique et indéniable. Vous avez sous-estimé cette révélation et dédaigné avec mépris son auteur. Dieu, le Très-Miséricordieux, ne voulant pas vous affliger de son châtiment, a bien voulu vous révéler la vérité. Par sa divine intervention, il a instillé dans votre coeur l'amour de son élu et vous a fait reconnaître le pouvoir irrésistible de sa foi."
Cette merveilleuse expérience transforma le coeur d' 'Alí Khán. Ces paroles avaient calmé son agitation et vaincu son animosité acharnée. Par tous les moyens en son pouvoir, il décida de se racheter de ses actions passées. "Un pauvre homme, un shaykh," dit-il avec empressement au Báb, "désire ardemment venir auprès de vous. Il vit dans une mosquée située au-delà de la porte de Mah-Ku. Je vous prie de me permettre de l'amener ici afin qu'il puisse vous rencontrer. J'espère par cet acte voir mes mauvaises actions pardonnées et pouvoir effacer les souillures de mon comportement cruel envers vos amis." Sa demande fut acceptée, après quoi il alla directement chez Shaykh Hasan-i-Zunúzí et le conduisit auprès de son maître.
'Alí Khán commença à prendre, selon les limites qui lui étaient imposées, toutes les mesures propres à atténuer la rigueur de la captivité du Báb. La nuit, la porte de la forteresse restait encore fermée; durant le jour, cependant, ceux que le Báb désirait voir étaient autorisés à lui rendre visite, à s'entretenir avec lui et à recevoir ses instructions.
Pendant son incarcération dans cette forteresse, le Báb consacrait son temps à la rédaction du Bayan persan, le plus important, le plus lumineux et le plus complet de tous ses ouvrages. (13.7) Il y exposa les lois et les préceptes de sa dispensation, annonça clairement et avec force l'avènement d'une révélation ultérieure et demanda avec insistance à ses disciples de chercher et de trouver "celui que Dieu rendrait manifeste", (13.8) les avertissant de ne pas laisser les mystères et les allusions contenues dans le Bayan les empêcher de reconnaître sa cause. (13.9)

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J'ai entendu Shaykh Hasan-i-Zunúzí affirmer ce qui suit: "La voix du Báb, lorsqu'il dictait les enseignements et les principes de sa foi, pouvait être entendue avec netteté de ceux qui résidaient au pied de la montagne. La mélodie de sa récitation et le flot rythmé des versets qui jaillissaient de ses lèvres nous charmaient et pénétraient jusqu'au plus profond de notre âme. La montagne et la vallée retentissaient de la majesté de sa voix. Nos coeurs vibraient au plus profond d'eux-mêmes à l'appel de son verbe." (13.10)
Le relâchement progressif de la rigoureuse discipline imposée au Báb encouragea un nombre toujours croissant de ses disciples à venir des différentes provinces de la Perse pour lui rendre visite dans la forteresse de Mah-Ku. Un flot incessant de pèlerins dévots et passionnés étaient conduits aux portes de cette forteresse par les soins aimables et cléments d' 'Alí Khán. (13.11) Après un séjour de trois jours, ils étaient invariablement congédiés par le Báb, après avoir reçu l'ordre de retourner à leurs champs d'activité respectifs pour reprendre leurs travaux en vue de la consolidation de sa foi. 'Alí Khán lui-même ne manquait jamais de venir chaque vendredi présenter ses hommages au Báb et l'assurer de sa loyauté et de son dévouement inébranlables. Il lui apportait souvent les fruits les mieux choisi et les plus rares que l'on pût trouver aux alentours de Mah-Ku, et lui offrait toujours des friandises susceptibles, selon lui, de lui sembler agréables et savoureuses.
Le Báb passa ainsi l'été et l'automne dans cette forteresse. L'hiver qui suivit fut si rigoureux que même les ustensiles en cuivre souffrirent de l'intensité du froid. Le début de cette saison coïncida avec le mois de muharram de l'an 1264 après l'hégire. (13.12) L'eau dont se servait le Báb pour faire ses ablutions était si glaciale que les gouttes scintillaient en gelant au contact de son visage. Il faisait toujours venir Siyyid Husayn à la fin de chaque prière et lui demandait de lui lire à haute voix un passage du Muhriqu'l-Qulúb, une oeuvre rédigée par feu Hájí Mullá Mihdí, l'aïeul de Hájí Mírzá Kamálu'd-Dín-i-Naráqí, dans laquelle l'auteur exalte les vertus de l'Imám Husayn, se lamente sur sa mort et relate les circonstances de son martyre. Le récit de ces souffrances suscitait une intense émotion dans le coeur du Báb. Il ne pouvait retenir ses larmes en écoutant la narration des indescriptibles outrages qui avaient accablé l'Imám Husayn, et des horribles souffrances qu'il avait endurées de la part d'un ennemi perfide.

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Lorsqu'on lui décrivait les circonstances de cette vie tragique, le Báb pensait toujours à cette tragédie plus grande encore qui était destinée à marquer l'avènement du Husayn promis. Ces atrocités du passé ne représentaient pour lui qu'un symbole qui laissait présager des pires afflictions que son propre Husayn bien-aimé devait bientôt endurer aux mains de ses compatriotes. Il pleurait lorsqu'il se représentait les calamités que celui qui devait être manifesté était destiné à souffrir, calamités telles que l'Imam Husayn n'en avait point subi de pareilles, même au milieu de ses supplices. (13.13)
Dans l'un de ses Ecrits, révélé en l'an 60 après l'hégire, le Báb déclare ce qui suit: "L'esprit de prière qui anime mon âme est la conséquence directe d'un rêve que j'ai fait durant l'année précédant la déclaration de ma mission. Dans ma vision, je vis la tête de l'Imám Husayn, le siyyidu'sh-shuhadái', pendue à un arbre. Des gouttes de sang perlaient à profusion de sa gorge lacérée. Rempli de sentiments d'une joie inégalable, je m'approchai de cet arbre et, tendant mes bras, je recueillis quelques gouttes de ce sang sacre et les bus avec ferveur. Lorsque je sortis de mon rêve, je sentis que l'Esprit de Dieu avait pénétré en moi et pris possession de mon âme. Mon coeur débordait du bonheur de sa divine présence et dans toute leur gloire les mystères de sa révélation se trouvaient résolus devant mes yeux.
A peine Muhammad Sháh avait-il condamné le Báb à la captivité dans les montagnes fortifiées d'Ádhirbáyján qu'il fut affligé d'un soudain revers de fortune, revers tel qu'il n'en avait jamais connu de pareil et qui toucha les fondements mêmes de son Etat. Un désastre épouvantable frappa les forces qui avaient pour mission le maintien de l'ordre intérieur à travers les provinces. (13.14) L'étendard de la rébellion fut hissé dans le Khurásán, et la consternation provoquée par ce soulèvement fut si grande que la campagne projetée par le Sháh à Hiràt fut aussitôt abandonnée. La prodigalité et l'insouciance de Hájí Mírzá Áqásí avaient transformé en flammes les feux épars du mécontentement des masses, les exaspérant et les encourageant à la sédition et aux méfaits. Les éléments les plus turbulents du Khurásán, qui peuplaient les ré g ions de Qúchán, Bujnúrd et Shíraván se liguèrent avec le sálár, fils de 1'ásifu'd-dawlih, l'oncle maternel aîné du Sháh et gouverneur de la province, et rejetèrent l'autorité du gouvernement central. Toutes les forces qu'on envoya de la capitale furent aussitôt vaincues par les principaux instigateurs de la rébellion. Ja'far-Quli Khán-i-Námdár et Amir Arslán Khán, fils du Sálár, qui menait les opérations contre les forces du Sháh, firent preuve d'une cruauté extrême et, après avoir repoussé les attaques de l'ennemi, tuèrent sans merci leurs prisonniers.

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Mullá Husayn séjournait alors à Mashhad (13.15) et s'efforçait, en dépit du tumulte qu'avait causé cette révolte, de propager la connaissance de la nouvelle révélation. A peine avait-il découvert que le sâlàr, dans son désir d'étendre le champ d'action de la rébellion, s'était décidé à prendre contact avec lui et à obtenir son soutien, qu'il décida promptement de quitter la ville afin d'éviter d'être mêlé aux complots de ce chef fier et rebelle. En pleine nuit, suivi seulement de Qambar-'Alí qui était son serviteur, il partit à pied en direction de Tihrán, d'où il entendait aller visiter l'Ádhirbáyján, province où il espérait rencontrer le Báb. Ses amis, lorsqu'ils apprirent la façon dont il était parti, se procurèrent aussitôt ce qui pouvait ajouter au confort de son long et pénible voyage, et se hâtèrent de le rejoindre. Mullá Husayn déclina leur aide. "J'ai fait le voeu, dit-il, de parcourir à pied tout le trajet me séparant de mon Bien-Aimé. Je ne relâcherai mes efforts que lorsque j'aurai atteint ma destination." Il essaya même de persuader Qambar-'Alí de retourner à Mashhad mais finalement fut obligé de céder aux supplications de celui-ci qui lui demandait la permission de le servir durant son pèlerinage dans l'Ádhirbáyján.
Sur le chemin de Tihrán, Mullá Husayn reçut un accueil enthousiaste de la part des croyants des différentes villes par lesquelles il passa. Ceux-ci lui adressèrent la même demande et reçurent la même réponse. J'ai entendu le témoignage suivant de la bouche d'Áqáy-i-Kalím:
"Lorsque Mullá Husayn arriva à Tihrán, j'allai lui rendre visite en compagnie d'un grand nombre de croyants. Il nous sembla être l'incarnation même de la constance, de la piété et de la vertu. Il nous inspirait par la rectitude de son comportement et l'ardeur de sa loyauté. Sa force de caractère et l'intensité de sa foi étaient telles que nous eûmes la conviction qu'il serait capable, seul et sans appui, de faire triompher la foi de Dieu." Il fut introduit en secret auprès de Bahá'u'lláh et, peu après son entrevue, partit pour l'Ádhirbáyján.
La nuit précédant son arrivée à Mah-Ku, qui était la veille du quatrième Naw-Rúz après la déclaration de la mission du Báb et qui tombait, cette année-là, la 1264ème de l'hégire, (13.16) le 13 du mois de rabí'u'th-thání, 'Alí Khán fit un rêve. "Dans mon sommeil, raconte-t-il, je fus saisi d'apprendre subitement que Muhammad le prophète de Dieu, devait bientôt arriver à Mah-Ku, qu'il devait se rendre directement à la forteresse afin de rendre visite au Báb et lui présenter ses voeux à l'occasion de la fête de Naw-Rúz.

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Dans mon rêve, je courus à sa rencontre, empressé que j'étais d'offrir à un visiteur aussi sacré l'expression de mon humble bienvenue. Dans un état de joie indescriptible, je me précipitai à pied en direction de la rivière et, en arrivant au point qui se trouvait à une distance d'un maydan (13.17) de la ville de Mâh-Kú, je vis deux hommes qui s'avançaient vers moi. Je pris l'un d'eux pour le Prophète lui-même et l'autre, celui qui marchait derrière, me parut être l'un des ses distingués compagnons. Je me hâtais d'aller me jeter aux pieds de Muhammad, et j'étais en train de m'incliner pour baiser le pan de son vêtement, lorsque, soudain, je sortis de mon rêve. Une grande joie avait envahi mon âme. C'était comme si mon coeur avait reçu en don le paradis lui-même, avec toutes ses délices. Convaincu de la réalité de ma vision, je fis mes ablutions, puis ma prière, revêtis mes plus beaux habits, me parfumai ,et partis vers l'endroit où, la nuit auparavant, j'avais vu dans mon rêve le visage du Prophète. J'avais donné l'ordre à mes domestiques de seller trois de mes meilleurs et de mes plus rapides chevaux et de les conduire aussitôt sur le pont. Le soleil s'était à peine levé lorsque, seul et sans escorte, je sortis à pied de la ville de Mah-Ku pour aller à la rivière. En m'approchant du pont, je découvris, le coeur palpitant d'émerveillement, les deux hommes que j'avais vus dans mon rêve marchant l'un derrière l'autre et qui s'approchaient de moi. Instinctivement je tombai aux pieds de celui que je croyais être le Prophète, et les baisai avec dévotion. Je les priai alors, lui et son compagnon, de monter les chevaux que j'avais préparés en vue de leur entrée à Mah-Ku. "Jamais, répondit le premier; j'ai fait le voeu d'accomplir tout mon voyage à pied. C'est à pied que j'irai au sommet de cette montagne rendre visite à votre prisonnier."
Cette étrange expérience d' 'Alí Khán accrut encore son respect envers le Báb. Sa foi en la potentialité de sa révélation devint encore plus intense et plus grand encore son dévouement envers lui. Dans une attitude d'humilité et de soumission, il suivit Mullá Husayn jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à la porte de la forteresse. Dès que le regard de Mullá Husayn tomba sur le visage de son maître, qui se tenait debout sur le seuil de la porte, il s'arrêta aussitôt et, s'inclinant très bas devant lui, resta immobile à ses côtés. Le Báb lui tendit les bras et l'embrassa affectueusement. Le prenant par la main, il le conduisit à sa chambre. Il appela ensuite ses amis auprès de lui et célébra en leur compagnie la fête de Naw-Rúz. Des plats remplis de sucreries et de fruits succulents avaient été étalés devant lui.

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Il les distribua à ses amis réunis et, en offrant quelques coings et pommes à Mullá Husayn, il dit: "Ces fruits délicieux nous viennent de Mílán, 1' Ard-i-Jannat, (13.18) et ont été spécialement cueillis et consacrés à cette fête par Ismu'lláhu'l-Fatíq, Muhammad-Taqí."
Avant cette rencontre, personne, parmi les disciples du Báb, sinon Siyyid Husayn-i-Yazdí et son frère, n'avait été autorisé à passer la nuit à l'intérieur de la forteresse. Ce jour-là, 'Alí Khán vint auprès du Báb et lui dit: "Si vous désirez garder Mullá Husayn en votre compagnie pour cette nuit, je suis prêt à me conformer à votre désir, car je n'ai pas de volonté propre. Je m'engage à exécuter votre ordre, aussi longtemps que vous désirerez le garder auprès de vous." Les disciples du Báb continuèrent à arriver en nombre croissant à Mah-Ku et furent introduits, aussitôt et sans la moindre restriction, auprès de lui.
Un jour, alors qu'il regardait du toit de la forteresse, en compagnie de Mullá Husayn, le paysage de la campagne environnante, le Báb fixa l'ouest et, montrant l'Araxes qui serpentait au loin au-dessous de lui, se tourna vers Mullá Husayn et lui dit: "C'est de cette rivière que le poète Háfiz a parlé en ces termes: "O zéphir, si tu viens à passer par les rives de l'Araxes, dépose un baiser sur la terre de cette vallée et parfume ton souffle! Salut à toi, mille saluts à toi, ô demeure de Salmá! Comme la voix de tes chameliers m'est chère, comme le tintement de tes cloches m'est doux!" (13.19)

PHOTO: vue de Milan, dans l'Adhirbáyján

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Votre séjour dans ce pays tire à sa fin. S'il n'avait été de courte durée, nous vous aurions montré la "demeure de Salmá" comme nous avons révélé à vos yeux les "rives de l'Araxes". Par "demeure de Salmá", le Báb entendait la ville de Salmás, qui se trouve dans le voisinage de Chihriq et que les Turcs désignent sous ce nom. Poursuivant ses remarques, le Báb dit: "C'est l'influence directe du Saint-Esprit qui fait jaillir de la bouche des poètes des paroles telles que leur signification en reste souvent cachée aux yeux mêmes de leurs auteurs. Le verset suivant est également d'inspiration divine: "Shiraz sera la proie de tumultes; un jeune homme au verbe doux comme le miel apparaîtra. Je crains que le souffle de sa bouche ne provoque agitation et révolte à Baghdád. Le mystère que recèle ce verset demeure à présent caché; il sera révélé en l'an après Hin." (13.20) Le Báb cita ensuite cette fameuse tradition: "Des trésors gisent cachés en dessous du trône de Dieu; la clef de ces trésors est la langue des poètes." Il raconta ensuite à Mullá Husayn, dans l'ordre, les événements qui devaient arriver et le pria de ne les mentionner à personne. (13.21) "Quelques jours après votre départ de ce lieu", lui fit savoir le Báb, "l'on nous transfèrera vers une autre montagne. Avant votre arrivée à destination, la nouvelle de notre départ de Mah-Ku vous sera parvenue.
La prédiction qu'avait faite le Báb se réalisa peu après. Ceux qui avaient été chargés d'observer en secret les mouvements et la conduite d"Alí Khán soumirent à Hájí Mírzá Áqásí un rapport détaillé, dans lequel ils s'étendaient sur la dévotion extrême de celui-ci envers son prisonnier et décrivaient les événements qui tendaient à confirmer leurs déclarations. "Jour et nuit, lui écrivirent-ils, on peut voir le gardien de la forteresse de Mah-Ku en compagnie de son prisonnier dans un état de liberté et d' amitié sans entraves. 'Alí Khán, qui refusait obstinément de donner sa fille en mariage à l'héritier du trône de la Perse, sous le prétexte qu'un tel acte rendrait les parents sunnís de sa mère si furieux qu'ils n'hésiteraient pas à le tuer en même temps que sa fille, nourrissait comme plus cher désir l'hymen de cette même fille avec le Báb. Ce dernier refusa, mais 'Alí Khán persista dans sa supplication. S'il n'y avait eu le refus du prisonnier, le mariage aurait déjà été célébré." 'Alí Khán avait effectivement présenté une telle requête et avait même demandé à Mullá Husayn d'intercéder en sa faveur auprès du Báb, mais Mullá Husayn n'avait pu obtenir le consentement de son maître.
Ces rapports malveillants eurent un effet immédiat sur Hájí Mírzá Áqásí.

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La peur et le ressentiment poussèrent à nouveau ce ministre capricieux à promulguer un ordre péremptoire en vue du transfert du Báb à la forteresse de Chihriq.
Vingt jours après Naw-Rúz, le Báb fit ses adieux aux habitants de Mah-Ku qui, au cours de ses neuf mois de captivité avaient reconnu d'une manière remarquable la puissance de sa personnalité et la grandeur de son caractère. Mullá Husayn qui, conformément aux ordres du Báb, avait déjà quitté Mah-Ku, se trouvait encore à Tabríz lorsque lui parvint la nouvelle du transfert de son maître à Chihriq, transfert que celui-ci avait prédit. En faisant son dernier adieu à Mullá Husayn, le Báb lui adressa ces paroles: "Vous avez marché à pied pendant tout votre voyage qui vous a mené de votre province natale jusqu'ici. De même devrez-vous retourner à pied à votre destination, car les jours où vous devrez faire preuve de votre adresse en tant que cavalier sont pour plus tard. Vous êtes destiné à montrer un courage, une habileté et un héroïsme tels que les actes les plus formidables des héros du passé en seront éclipsés. Vos exploits audacieux vous gagneront la louange et l'admiration des habitants du royaume éternel. Vous devriez, sur votre chemin, rendre visite aux croyants de Khuy, d'Urúmíyyih, de Marághih, de Mílán, de Tabriz, de Zanján, de Qazvín et de Tihrán. Vous transmettrez, à chacun d'entre eux l'expression de mon amour et de ma tendre affection. Vous vous efforcerez d'enflammer à nouveau leur coeur par le feu de l'amour de la beauté de Dieu et de raffermir leur foi en sa révélation. De Tihrán, vous vous rendrez au Mázindarán, où sera manifesté à vos yeux 1e trésor caché de Dieu. Vous serez appelé à accomplir des actes d' une grandeur telle qu'ils minimiseront les plus grands exploits du passé. C'est là que la nature de votre tâche vous sera révélée et que force et conseils vous seront accordés afin que vous soyez apte à servir sa cause.
C'est au matin du neuvième jour après Naw-Rúz que Mullá Husayn se mit en route, conformément aux ordres de son maître, pour accomplir son voyage au Mázindarán. Quant à Qambar-'Alí, le Báb lui adressa les paroles d'adieu suivantes: "Le Qambar-'Alí du passé se glorifiera de ce que son homonyme a vécu assez longtemps pour témoigner d'un jour auquel celui (13.22) qui était le Seigneur de son seigneur avait aspiré en vain; jour dont il avait dit, avec une vive nostalgie: "Puissent mes yeux contempler les visages de mes frères qui ont eu le privilège de parvenir à ce jour!"

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NOTE DU CHAPITRE 13:

(13.1) Littéralement: "La Montagne ouverte", allusion à Máh-Kú. La valeur numérique de "Jabali-Básit" équivaut à celle de "Máh-Kú".

(13.2) Littéralement: "La Montagne terrible", allusion à Chihríq. La valeur numérique de "Jabal-i-SHadíd" équivaut à celle de "Chihriq."

(13.3) Voir glossaire.

(13.4) "Il habite une montagne dont les habitants ne peuvent même pas prononcer le mot "Jannat" (paradis), qui est un mot arabe: comment dès lors en pourraient-ils comprendre le sens. Vois dès lors ce qui se passe pour la vérité des existences." ("Le Bayán Persan", vol. IV, p. 14).

(13.5) "Patrie du premier ministre, sur la frontière de l'Ádhirbáyján, cette ville est sortie de son obscurité sous l'administration de ce ministre, et beaucoup de gens à Máh-Kú furent élevés aux premiers postes de l'État, grâce à leur servilité pour Háji Mírzá Áqási". (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 356, note 1.)

(13.6) "C'est le Bab lui-même qui nous indique comment sa vie se passait dans la prison où il était enfermé. Ses plaintes, si fréquentes dans le Bayán, doivent, je pense, être dues à des resserrements de discipline provenant d'ordres venus de temps en temps de Tihrán. Tous les historiens, en effet, tant les Babis, que les Musulmans, nous disent que, malgré les ordres sévères d'empêcher toutes communications du prisonnier avec le monde extérieur, le Bab recevait une foule de disciples, et d'étrangers dans sa prison. (L'auteur du Mutanabbiyyín écrit: "Les Babis de toutes les parties de la terre se rendaient en Adhirbáyján, en pèlerinage auprès de leur chef.") ... "Oh! Quel est ton aveuglement, ô ma créature! Ce que tu fais, tu le fais pensant me contenter! Et malgré ces versets qui me prouvent moi-même, ces versets qui découlent de ma puissance et dont le trésor est l'être même de ce personnage (le Bab), malgré ces versets qui ne sortent de sa bouche qu'avec ma permission, voilà que, sans aucune espèce de droit, vous l'avez mis au sommet d'une montagne dont les habitants ne sont même pas dignes qu'on les cite. Près de lui, ce qui est près de moi, il n'y a personne si ce n'est une des Lettres de la Vie de mon livre. Entre ses deux mains, qui sont mes deux mains, il n'y a même pas un serviteur, pour allumer, la nuit, la lampe. Et voilà que les hommes qui sont sur terre n'ont été créés que pour son existence: c'est par sa bienveillance qu'ils sont dans la joie, et ils ne lui donnent même pas une lumière!" (Unité 2, porte 1). 'Le fruit (de la religion islamique) c'est de croire à la Manifestation (du Bab) et on l'emprisonne à Máh-Kú!" (Unité 2, porte 7). Tout ce qui appartient à l'homme du Paradis est en Paradis.

Cette chambre solitaire (dans laquelle je suis) et qui n'a même pas de porte, est aujourd'hui le plus grand des jardins du Paradis, car l'arbre de la Vérité y est planté. Tous les atomes qui la composent crient En vérité, il n'y a pas d'autre dieu que Dieu ! En vérité je suis Dieu, et il n'y a as d'autre dieu que moi le Seigneur de l'Univers!" (Unité 2, porte 16). (Le fruit de cette porte est que les hommes voyant qu'il est permis de faire tout cela pour le Bayán (dépenser tant d'argent) qui n'est que la trace de celui que Dieu doit manifester, doivent se rendre compte de ce qu'il faut faire pour celui que Dieu doit manifester quand il apparaîtra, afin qu'il ne (lui) an-ive pas ce qui (m') arrive aujourd'hui. C'est-à-dire qu'il y a de par le monde beaucoup de Qur'án valant mille tumáns, alors que celui qui fait descendre des versets (le Bab) est mis sur une montagne dans une chambre construite en briques séchées au soleil. Et cependant cette chambre est l'Arche (9è ciel, séjour de la divinité) même. Que cela serve d'exemple aux Bayánís afin qu'ils ne fassent pas envers lui, ce que les Qur'ánis, ont fait vis-à-vis de moi." (Unité 3, porte 19) (A.L.M. Nicolas "Siyyid Alí-Muhammad dit le Bab", pp. 365-7.) t'Tous croient à lui, et ils l'ont emprisonné sur une montagne! Tous sont par lui dans l'allégresse, et ils l'ont abandonné tout seul ! Aucun feu n'est plus ardent pour ceux qui ont agi ainsi que leurs oeuvres mêmes; de même, pour les croyants, aucun Paradis n'est plus haut que leur foi même" ("Le Bayán Persan", vol. I, pp. 126-7.)

(13.7) "Une grande foule, continuait d'arriver de toutes parts pour visiter le Bab, et les Écrits qui émanèrent de sa plume inspirée durant cette période furent si nombreux qu'ils atteignirent et dépassèrent en tout les cent mille versets." (Le "Táríkh-i-Jadíd", p. 238.) "Voyez, environ cent mille lignes semblables à ces versets se sont répandues parmi les hommes sans compter les oraisons jaculatoires et les questions de science et de philosophie." ("Le Bayán Persan", Vol. 1, p. 43.) "Vois aussi au sujet du Point du Bayán. Ceux qui le connaissaient, savent quel était son rang avant la manifestation; mais après la manifestation et quoique jusqu'à aujourd'hui il ait produit plus de cinq cent mille bayts (versets) sur des sujets divers, on n'en prononce pas moins contre lui, des paroles que la plume se refuse à répéter." ("Le Bayán Persan", Vol. III, p. 113.) "Les versets qui ont pin de ce Nuage de divine bonté (le Bab), ont été si abondants que personne jusqu'à présent n'a encore été capable d'en estimer le nombre. On dispose actuellement d'une vingtaine de volumes. Combien en existent-ils encore qui sont hors de la portée de notre main! Combien ont été pillés et sont tombés aux mains de l'ennemi, ouvrages dont personne ne connaît le sort!" (Le "Kitábi-Iqán", pp. 182-3.)

(13.8) Allusion à Bahá'u'lláh. "À Mullá Báqir, une des Lettres du Vivant - que la gloire et la faveur de Dieu soient sur lui - il (le Bab) adresse ces paroles "Peut-être, au cours de la huitième année, jour de sa manifestation, pourras-tu parvenir en sa présence." ("l'Épître au fils du Loup", p. 129.)

(13.9) "C'est toujours dans le même ordre d'idées qu'une fois enfermé à Máh-Kú, il adresse une longue lettre au Sháh (Muhammad Sháh) que nous allons analyser ici. Le document commence, comme presque tous les documents littéraires du Bab, par une louange exaltée de l'Unité Divine. Le Bab continue en louant, comme il convient, Muhammad et les douze Imáms qui, comme on le verra dans le second volume de cet ouvrage, sont les pierres angulaires de l'édifice du Bayán. "Et moi j'affirme, s'écrie-t-il, que tout ce qui est dans ce monde de possibilités autre qu'eux n'est auprès d'eux que le néant absolu, et si on peut le mentionner, ce tout, ce n'est que comme l'ombre d'une ombre. Je demande pardon à Dieu de ces limites que je viens de leur assigner, car en vérité le dernier degré des louanges qu'on en peut faire est de reconnaître en face d'eux, qu'on ne peut les louer ...C'est pourquoi Dieu m'a créé d'une boue telle que personne n'a été créé d'une boue pareille. Et Dieu m'a donné ce que les savants dans leur science ne peuvent comprendre, ce que personne ne peut connaître à moins d'être complètement anéanti en face d'un signe d'entre mes signes ...

Sache, qu'en vérité, je suis une colonne de la première parole: cette parole que quiconque l'a connue a connu Dieu tout entier et est entré dans le bien universel. Celui qui n'a pas voulu la connaître est resté ignorant de Dieu et est entré dans le mal universel. J'en jure par ton Dieu, le Maître des deux mondes, celui qui vit ici-bas aussi longtemps que le permet la nature, et reste toute sa vie l'esclave de Dieu dans toutes les oeuvres de bien qu'embrasse la science de Dieu, s'il a dans son coeur de l'inimitié contre moi, fût-ce si peu que Dieu seul le pusse comprendre, alors toutes ses bonnes oeuvres et toute sa piété sont sans utilité et Dieu ne le regarde que d'un regard de châtiment, et celui-là est de ceux qui meurent. Dieu a fixé tout le bien que lui-même reconnaît comme bien dans l'oeuvre de m'obéir, et tout le mal qu'il connaît dans l'acte de me désobéir.

En vérité, aujourd'hui je vois, dans le rang que je tiens, tout ce que je viens d dire et les gens de mon amour et de mon obéissance dans les plus hautes demeures des cieux, tandis que mes ennemis sont plongés dans les profondeurs du feu ! Sur mon existence, je le jure , si je n'avais pas été obligé d'accepter d'être le Hujjat de Dieu, je ne t'eusse pas averti ..." Comme on le voit, le Bab continue ici très nettement et renouvelle ses affirmations du Kitáb-i-baynu'l-Haramayn. Il n'y ajoute rien, mais n'en retranche rien non plus. "Moi donc, dit-il, je suis le Point d'où tout ce qui existe a trouvé l'existence. Je suis cette Face de Dieu qui ne meurt pas, je suis cette Lumière qui ne s'éteint pas. Celui qui me connaît est accompagné de tout le bien, celui qui me repousse a derrière lui tout le mal. En vérité, Moïse, quand il demanda à Dieu ce qu'il demanda (il voulut voir Dieu) Dieu rayonna sur la montagne, de la lumière d'un des sectateurs d' 'Ah, et, comme l'explique le hadís, "cette lumière, j'en jure par Dieu, était ma lumière." Ne vois-tu pas que la valeur numérale des lettres qui composent mon nom est égale à la valeur numérale de celles qui composent le mot Rabb (Seigneur)? Or Dieu n'a-t-il pas dit dans le Qur'án: Et quand ton Rabb rayonna sur la montagne." Le Bab continue en étudiant les prophéties faites dans le Qur'án puis dans quelques hadís au sujet de la manifestation du Mihdí. Il rapporte le fameux hadís de Mufaddal qui est l'un des arguments les plus forts pour la vérité de sa mission.

Dans le Qur'án il est dit, chap. 32, verset 4: Dieu conduit les affaires (du monde) du ciel à la terre puis (tout) remonte à lui dans un jour dont la durée est de mille années de notre comput. D'autre part le dernier Imám a disparu en l'an 260 de l'Hégire, c'est à ce moment que la manifestation prophétique est terminée et que "la porte de la science est fermée". Or Mufaddal interrogea l'Imám Sádiq sur les signes de l'arrivée du Mihdí, et l'Imam lui répondit: "Il se manifestera en l'année 60 et son nom sera élevé. Ce qui veut dire en l'année 1260 qui est précisément l'année de la manifestation du Bab.

"J'en jure par Dieu, dit à ce sujet Siyyid 'Alí-Muhammad, je n'ai pas pris de leçons et mon éducation a été celle d'un marchand. En l'année 60 j'ai eu le coeur rempli de versets solides, de sciences certaines et du témoignage de Dieu. Et j'ai proclamé ma mission en cette année même ... Et cette année même je vous ai envoyé un messager (Muhli Husayn-i-Bushrú'i) porteur d'on Livre afin que le Gouvernement pût faire ce qu'il avait à faire vis-à-vis de l'Hujjat. Mais la volonté de Dieu étant que s'élevassent des guerres civiles qui assourdissent les oreilles, aveuglassent les yeux, et rendissent les coeurs endurcis, c'est pour cette raison qu'on n'a pas laissé mon messager parvenir jusqu'à vous.

Ceux qui se considèrent comme patriotes s'y opposèrent et jusqu'à aujourd'hui - quatre ans presque ont passé - sans que personne vous ait rien dit de la vérité de la question. Et maintenant, comme mon temps est proche, comme mon oeuvre est oeuvre divine et non pas humaine, c'est pourquoi je vous en ai écrit brièvement. J'en jure par Dieu! si tu savais ce qui pendant ces quatre ans m'est advenu de tes fonctionnaires et de tes délégués! Si tu le savais, la peur de Dieu t'empêcherait d'achever le souffle qui s'exhale en ce moment de tes lèvres, à moins que tu ne formes le dessein d'entrer dans l'obéissance de l'ordre de Hujjat, et de réparer immédiatement ce qui a eu heu.

J'étais à Shíráz, et de ce gouverneur mauvais et maudit, je subis des tyrannies telles que si tu en connaissais la moindre part, de par ta justice tu exercerais sur lui la peine du talion, car sa violence a attiré la punition du ciel jusqu'au jour du jugement sur l'étendue de l'Empire. Cet homme très orgueilleux et toujours ivre ne donnait aucun ordre empreint d'intelligence. Je fus forcé de sortir de Shíráz et je me dirigeai vers Tihrán pour aller te voir, mais feu Mu'tamidu'd-Dawhih comprit la vérité de ma mission et fit ce qu'exigeait la déférence vis-à-vis des élus du Seigneur. Des ignorants de la ville commencèrent une émeute, et c'est pourquoi je me cachai dans le palais Sadr jusqu'au moment où Mu'tamid mourut. Que Dieu le récompense! Il n'y a pas de doute que la cause de son salut du feu de l'enfer soit ce qu'il a fait pour moi. Ensuite Gurgín me fit durant sept nuits voyager avec cinq individus, sans rien de ce qui est nécessaire au voyage et avec mille mensonges et mille violences. Hélas! Hélas! sur ce qui m'est arrivé! Enfin le Sultán ordonna de me diriger sur Máh-Kú, sans même me donner une monture que je pusse monter! Hélas! Hélas! il m'est arrivé ce qui m'est arrivé! Enfin je parvins à ce village dont tous les habitants sont ignorants et grossiers. Ah! J'en jure par Dieu, si to savais en quel lieu je demeure, le premier qui aurait pitié de moi, ce serait toi-même! C'est un fortin, au sommet d'une montagne, et c'est à ta bienveillance que je dois une pareille demeure! Ceux qui y habitent sont deux hommes et quatre chiens! Pense à quoi je passe mon temps!

Je remercie Dieu, comme il doit être remercié, et je jure par Dieu que celui qui m'a emprisonné là est content de ce qu'il a fait. Et cependant, s'il savait avec qui il a agi ainsi, jamais lus il ne serait heureux. Et maintenant, je t'avise d'un secret: cet homme a emprisonné (en ma personne) tous les prophètes, tous les saints et celui que la science de Dieu a embrassé. Et il n'est resté de péché d'aucun genre sous lequel je n'ai gémi... Quand j'eus appris l'ordre que tu avais donné (de me conduire à Máh-Kú) j'ai écrit au Sadr-i-A'zam: "tue-moi et envoie ma tête où tu voudras, car vivre sans péché et aller où sont les pécheurs ne peut me convenir." Il ne me répondit rien: et je suis convaincu qu'il ne connaissait pas la vérité de la question, car attrister sans raison les coeurs des croyants et des croyantes est pire que de détruire la maison de Dieu.

Or, j'en jure par Dieu, c'est moi aujourd'hui la vraie maison de Dieu. Tout le bien s'attache à ceci que quelqu'un use fasse du bien, car c'est alors comme s'il faisait du bien à Dieu, à ses anges, à ses amis. Mais peut-être Dieu et ses amis sont trop élevés pour qu'arrive jusqu'à la poussière de leur seuil le bien ou le mal de quelqu'un, mais ce qui arrive à Dieu m'arrive à moi. J'en jure par Dieu, celui qui m'a emprisonné s'est emprisonné lui-même, et il ne m'arrive que ce que Dieu a ordonné. Alors hélas! hélas ! sur celui dont la main laisse échapper le mal, bienheureux celui qui prodigue le bien." Enfin, et pour résumer cette trop longue missive: "L'autre question est affaire de ce bas monde. Feu Mu'tamid, une nuit, fit retirer tous les assistants et même Hájí Mullá Ahmad, puis il me dit: "Je sais fort bien que tout ce que j'ai acquis, je l'ai acquis par la violence, et cela appartient au Sáhibu'z-Zamán. Je te le donne donc en entier, car tu es le Maître de la Vérité et je te demande la permission d'en devenir possesseur." Il retira même une bague qu'il avait au doigt, et me la donna. Je pris la bague et la lui rendis et l'envoyai en possession de tout son bien. Dieu est témoin de ce que je dis là, et son témoignage suffit. Je ne veux pas un dinar de ces biens, mais c'est à vous à ordonner comme bon vous semblera. Mais comme pour toute contestation Dieu a demandé lui-même le témoignage de deux témoins, au milieu de tous les savants, faites venir Siyyid Yahyá et Akhúnd Mullá 'Abdu'l-Kháliq. Ils vous montreront et vous expliqueront mes versets et de cet entretien ne subsistera qu'une seule chose, c'est la perfection de mon témoignage.

De ces deux personnages, l'un m'a connu avant la manifestation, l'autre après; tous deux me connaissent fort bien, et c'est pourquoi je les ai choisis." Et la lettre se termine par des preuves cabalistiques et des hadís. Ainsi donc le Bab se déplaisait vivement dans sa prison et il y resta relativement longtemps puisqu'en somme le document que nous venons de citer est de 1264 et l'exécution du martyr n'eut lieu que le 27 Sha'bán de l'an 1266 (8 juillet 1850)." (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Alí-Mohammad dit le Bab", pp. 367-73.)

(13.10) Voici ha prière que le Bab lui-même cite dans le "Dalá'il-i-Sab'ih" comme supplication dorant les mois de sa captivité dans la forteresse de Máh-Kú: "O mou Dieu! donne par sa personne à lui-même, à ses descendants, à sa famille, à ses amis, à ses sujets, à ses proches, à tous et à tous les habitants de la terre, un rayon qui éclaire leurs regards, facilite leur tâche, fais-les parvenir aux meilleures des oeuvres en ce monde et dans l'autre. En vérité! tu peux ce que tu veux. O mon Dieu! ressuscite en loi ce par quoi il peut renouveler ta religion et fais vivre par loi ce qui est changé dans ton livre; manifeste par lui ce que tu modifies dans tes ordres afin que par loi ta religion se lève de nouveau; donne-loi dans la main un livre nouveau, pur et saint; qu'aucun doute, aucune hésitation ne soient dans ce livre et que personne ne poisse se présenter qui le détruise ou bien le modifie. O mon Dieu! éclaire par ton resplendissement tout ce qui est obscur, et, par son pouvoir affermi, disperse les lois anciennes.

Par sa prééminence, ruine ceux qui n'ont pas suivi la route de Dieu. Par lui, fais périr tous les tyrans, éteins par son sabre toutes les discordes, efface par sa justice toutes les oppressions, fais obéir à ses ordres ceux qui ont le commandement; sous son empire renverse tous les empires. O mon Dieu! abaisse quiconque veut l'abaisser, tue quiconque est son ennemi; renie quiconque le renie et égare quiconque repousse sa vérité, renie ses ordres, s'efforce d'obscurcir sa lumière et d'éteindre son nom." Le Bab ajoute alors ces mots: "Ces bénédictions, répète-les souvent, et si tu n'as pas le temps de les répéter en entier, ne manque pas d'en dire la dernière partie. Sois éveillé le jour de l'apparition de celui que Dieu dot manifester, car cette prière est descendue du ciel pour lui quoique je sois dans l'espoir qu'aucun chagrin ne l'attend: j'ai instruit les gens de ma religion à ne se réjouir du malheur de personne. Aussi, e peut-il qu'à l'époque de l'apparition de ce soleil de la vérité, aucune souffrance ne t'atteigne." ( 'Le Livre des Sept Preuves' ', traduction par A.L.M. Nicolas, pp. 64-5.)

(13.11) "L'auteur du Mutanabiyyín écrit: "Les Babis de toutes les parties de la terre se rendaient en Ádhirbáyján, en pèlerinage auprès de leur chef." (L'auteur étant Prince 'Alí-Qulí Mírzá, I'tidádu 's-Saltanih.) (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", p. 365, note 227.)

(13.12) Du 9 décembre 1847 au 8 janvier 1848 ap. J.-C.

(13.13) "Durant son séjour à Máh-Kú le Bab composa un grand nombre d'ouvrages dont, parmi les plus importants, on peut citer en particulier le Bayán persan et les Sept Preuves (Dalá'il-i-Sab'ih), qui tous deux prouvent amplement par leur contenu qu'ils ont été écrits à cette époque. En fait, si nous devions croire une déclaration faite dans le Táríkh-i-Jadíd, sur la foi des dires de Mírzá 'Abdu'l-Vahháb, les divers écrits du Bab en circulation à Tabriz seul, se montent en tout à non moins d'un million de versets !" ("A Travehler's Narrative" Note L, p. 200.)

Concernant le "Dalá'il-i-Sab'ih", Nicolas écrit ce qui suit: "Le Livre des Sept Preuves est la plus importante des oeuvres de polémique sorties de la plume de Siyyid 'Alí-Muhammad, dit le Bab (Préface, p. 1.) "Son correspondant lui a évidemment demandé toutes les preuves de sa mission et la réponse qu'il reçoit est admirable de précision et de netteté. Elle se base sur deux versets du Qur'án: d'après le premier nul ne peut produire des versets, eut-il pour collaborateurs tous les hommes et tous les démons - d'après le second, nul ne comprend le sens des versets du Qur'án, si ce n'est Dieu et les hommes d'une science solide." (Préface, p. 5.) "Comme on le voit, l'argumentation du Bab est neuve et originale, et l'on peut déjà, par ce simple aperçu, se rendre compte do puissant intérêt qu'offre la lecture de son oeuvre littéraire. Le cadre de ce travail ne me laisse point la liberté d'exposer, même brièvement, les principaux dogmes d'une doctrine certainement hardie et dont la façade est certes brillante et sympathique. J'espère le faire par la suite, mais, j'ai encore , pour le moment, une observation à présenter sur "le Livre des Sept Preuves". En effet, vers la fin de son ouvrage, le Bab parle des miracles qui ont accompagné sa manifestation. Ceci étonnera sans doute le lecteur, car il aura vu, au cours de sa réponse, notre apôtre nier nettement les miracles matériels que l'imagination musulmane prête à Muhammad. Il affirme que pour lui-même, comme pour le Prophète Arabe, la seule preuve de sa mission est la descente des versets. Il n'en a pas d'autres, non qu'il soit incapable de produire des miracles - car Dieu fait ce qu'il veut - mais simplement parce que les prodiges matériels sont inférieurs aux miracles immatériels." (Préface, pp. 12-13.) ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas.)

(13.14) "Cette province était depuis quelque temps déjà en proie à des troubles qui offraient une certaine gravité. A la fin de l'année 1844 ou au commencement de l'année 1845, le gouverneur de Bujnúrd s'était révolté contre l'autorité du Sháh et s'était allié aux Turkomans contre la Perse. Le Prince Ásifu 'd-Dawhih, gouverneur du Khurásán, réclama des secours à ha capitale. Le général Khán Babá Khán, générai en chef de l'armée persane, reçut l'ordre d'envoyer dix mille hommes contre les rebelles, mais la pénurie du trésor l'empêcha d'obéir. Le Sháh forma dès lors pour le printemps, le projet d'une expédition à la tête de laquelle il devait se mettre. Les préparatifs pour cette expédition se poursuivirent avec vigueur. Bientôt dix bataillons de mille hommes chacun furent préparés, n'attendant que l'arrivée du prince Hamzih Mírzá nommé générai en chef de l'expédition. Tout d un coup, le gouverneur du Khurásán, Asifu'd-Dawhih, frère de la mère du roi, se sentant menacé dans sa sécurité par la suspicion qui s'élevait à Tihrán contre lui, vint à la cour se jeter aux pieds du roi, protester de son entier dévouement à sa personne et demander justice contre ses accusateurs.

Or, le principal de ses adversaires était Hájí Mírzá Áqásí, le tout-puissant premier ministre. La lutte fut donc longue mais se termina par la défaite du gouverneur, qui reçut l'ordre d'aller accomplir, avec la mère du roi, le pèlerinage de la Mecque. Le fils de Ásifu'd-Dawhih, Sálár, conservateur de la mosquée de Mashhad, riche par loi-même, fort de son alliance avec le chef kurde Ja'far-Qulí Khán, Ilkhání de la tribu Qájár, prit dès lors une attitude assez hostile, ce qui provoqua l'envoi immédiat de trois mille hommes et de douze pièces de canon, en même temps que le gouvernement du Khurásán était donné à Hamzih Mírzá. La nouvelle que Ja'far-Qulí Khán, à la tète d'une nombreuse troupe de cavaliers kurdes et turkomans, avait sabré quelques détachements de l'armée royale provoqua un envoi immédiat de cinq nouveaux régiments et de 18 canons. Ce fut vers le 28 octobre de l'année 1847 que cette révolte sembla complètement réprimée par la victoire de Sháh-rúd (15 septembre) et la dispersion et la fuite de Ja'far-Qulí Khán et de Sálár. "(A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab", pp. 257-8.)

(13.15) "Mashhad est le plus grand lieu de pèlerinage de toute la Perse, Karbilá étant, comme on le sait, en territoire ottoman. C'est là que repose l'Imám Ridá. Je ne m'appesantirai pas sur les centaines de miracles que le saint Tombeau a opérés jadis et continue à opérer chaque jour; qu'il suffise de savoir que chaque année des milliers de pèlerins se rendent à cette tombe et qu'ils ne s'en retournent chez eux qu'après avoir été soulagés de leurs derniers centimes par les habiles exploiteurs de cette productive industrie. Le fleuve d'or coule sans interruption entre les mains des heureux fonctionnaires. Mais ceux-ci ont naturellement besoin d'une infinité de comparses pour enserrer dans leurs filets leurs innombrables dupes. C'est certes, là, l'administration la mieux organisée de la Perse entière. Il s'ensuit que si une moitié de la ville vit de la mosquée, l'autre moitié, elle aussi, est intéressée à l'affluence des visiteurs: je veux parler des négociants, des restaurateurs, des hôteliers et même des filles qui y trouvent autant de maris, à l'heure ou à la journée, qu'elles eu peuvent désirer. Tous ces gens devaient naturellement s'unir contre le missionnaire dont ils ignoraient la doctrine mais qui leur semblait néanmoins menacer heur industrie. Tonner contre les abus était fort bien dans toute autre ville, mais n'était guère de mise là où tout le monde, petits et grands, ne vivait que de ces abus mêmes. Que l'Imám Mihdí parût, c'était évidemment son droit, mais c'était bien ennuyeux. Certes, c'était très beau de courir le monde avec lui et d'en opérer la conquête, mais c'était bien fatigant et bien hasardeux, puis, on y pouvait recevoir de mauvais coups. Tandis qu'actuellement on était bien tranquille, dans une bonne ville où l'on gagnait de l'argent sans risques et sans péril". (Ibidem, pp. 258-9.)

(13.16) 1848 ap. J-C.

(13.17) Voir glossaire.

(13.18) Littéralement: "Terre de paradis."

(13.19) D'après le récit de Hájí Mu'inu's-Saltanih (pp. 67-8), Mírzá Habíb-i-Shírází, mieux connu sous le nom de Qá'iní, l'un des poètes les pins éminents de la Perse, fut le premier à chanter les louanges du Bab et à exalter ha sublimité de sa station. Une copie manuscrite des poèmes de Qá'iní, contenant ces versets, a été montrée à l'auteur du récit. Les paroles suivantes, dit celui-ci, étaient écrites eu tête de l'éloge: "À la louange de la manifestation du Siyyid-i-Bab"

(13.20) Voir note 1, page 18.

(13.21) Dans le "Dalá'il-i-Sab'ih", le Bab révèle ce qui suit: "Le hadís Ádhirbáyján" est encore relatif à ce point: "Ce qui arrivera dans Ádhirbáyján est de toute nécessité pour nous; rien ne peut empêcher ce qui doit s'y produire. Restez donc dans vos maisons; mais si vous entendez qu'un agitateur y apparaît, alors courez vers lui." Et ce hadís continue en disant: "Hélas sur les Arabes, car la guerre civile est proche." Si, en prononçant ces dernières paroles, le Prophète avait voulu faire allusion à sa propre mission, elles eussent été vaines et sans valeur." ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, p. 47.)

(13.22) Référence au prophète Muhammad.



<P247>

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CHAPITRE XIV : voyage de Mullá Husayn au Mazindarán

Alí Khán invita cordialement Mullá Husayn à passer quelques jours chez lui avant son départ de Mah-Ku. Il exprima son ardent désir de le voir accepter certains moyens propres à faciliter son voyage au Mázindarán. Mullá Husayn refusa cependant d'ajourner son départ ou de profiter de l'aide qu' 'Alí Khán avait, avec tant de dévouement, mise à sa disposition.
Il s'arrêta, fidèle aux instructions qu'il avait reçues, dans toutes les villes et les villages que le Báb lui avait dit de visiter, réunit les fidèles, leur fit part de l'amour, des salutations et des assurances de leur maître bien-aimé, ranima leur zèle et les exhorta à rester fermes dans sa voie. A Tihrán, il eut à nouveau le privilège de rencontrer Bahá'u'lláh et de recevoir de ses mains cette nourriture spirituelle qui devait lui permettre de braver, avec un courage indompté, les périls qui allaient l'assaillir si farouchement aux derniers jours de sa vie.
De Tihrán, Mullá Husayn se rendit au Mázindarán, impatient qu'il était de témoigner de la révélation du trésor caché que lui avait promis son maître. Quddús vivait en ce temps-là à Bárfurúsh dans la maison qui avait autrefois appartenu à son père. Il fréquentait en toute liberté toutes les classes de la société et, par sa gentillesse et son grand savoir, s'était gagné l'affection et l'admiration sans réserve des habitants de cette ville. A son arrivée à Bárfurúsh, Mullá Husayn alla directement chez Quddús et fut reçu affectueusement par ce dernier. Quddús veilla en personne sur son hôte et fit son possible pour pourvoir à tout ce qui lui semblait nécessaire à son confort. De ses propres mains, il enleva la poussière des pieds de Mullá Husayn et lui en lava la peau couverte d'ampoules. Il lui offrit le siège d'honneur parmi le groupe de ses amis et l'introduisit avec un extrême respect auprès de chacun des fidèles qui s'étaient réunis pour le rencontrer.
La nuit de son arrivée, dès que les croyants qui avaient été invités à dîner pour rencontrer Mullá Husayn se furent retirés pour rentrer chez eux, l'hôte, se tournant vers son invité, lui demanda s'il voulait bien le mettre au courant des événements qu'il avait vécus en compagnie du Báb dans la forteresse de Mah-Ku.

<P248>

"Nombreuses et diverses, répondit Mullá Husayn, sont les choses que j'ai entendues et dont j'ai été témoin durant les neuf jours que j'ai passés en compagnie du Báb. Il me parla de choses concernant, tant directement qu'indirectement, sa foi. Il ne me donna cependant aucune directive précise quant à la marche à suivre pour la propagation de sa cause. Il me dit seulement ceci: "Sur le chemin de Tihrán, vous rendrez visite aux croyants de toutes les villes et de tous les villages par lesquels vous passerez. De Tihrán vous vous rendrez au Mázindarán, car là gît caché un trésor qui vous sera révélé, un trésor qui dévoilera à vos yeux le caractère de la tâche que vous êtes destiné à accomplir." Par ses allusions, je pus vaguement percevoir la gloire de sa révélation et fus capable de discerner les signes de l'ascendance prochaine de sa cause. De ses paroles, je conclus que je serais appelé ultérieurement à offrir ma vie indigne en sacrifice dans son sentier. Car, antérieurement, toutes les fois qu'il me congédiait, il m'affirmait invariablement que je serais encore appelé à le rencontrer. Cette fois-là cependant, en m'adressant ses paroles d'adieu, il ne me fit point une telle promesse, ni aucune allusion à la possibilité d'une nouvelle rencontre en tête-à-tête entre lui et moi en ce monde. "La fête du sacrifice, furent ses dernières paroles, approche rapidement. Levez-vous, ceignez-vous les reins de l'effort et ne laissez rien vous détourner de votre destinée. Ayant atteint votre destination, préparez-vous à nous recevoir car, nous aussi, nous vous suivrons avant longtemps
Quddús demanda à Mullá Husayn s'il avait apporté avec lui quelque écrit de son maître et, après avoir reçu une réponse négative, présenta à son hôte les pages d'un manuscrit qu'il avait en sa possession et lui demanda d'en lire certains passages. Dès que l'hôte eut achevé de lire une page de ce manuscrit, ses traits changèrent d'une manière brusque et complète. Son visage trahit une expression d'admiration et de surprise indéfinissable; la noblesse, la profondeur et, surtout, l'influence pénétrante des paroles qu'il venait de lire, provoquèrent en son coeur une agitation intense et l'incitèrent à exprimer des paroles de louange infinie. Déposant le manuscrit, il dit:
"Je puis parfaitement réaliser que l'auteur de ces paroles a tiré son inspiration de cette Source qui est incommensurablement supérieure à celles dont émane habituellement le savoir des hommes. J'affirme par là reconnaître sans réserve le caractère sublime de ces paroles et accepter inconditionnellement la vérité qu'elles révèlent."

<P249>

Constatant le silence qu'observait Quddús ainsi que l'expression que dénotait son visage, Mullá Husayn conclut que personne, à part son hôte, ne pouvait avoir écrit ces paroles. Il se leva aussitôt de son siège et, se tenant debout tête baissée sur le seuil de la porte, déclara avec respect: "Le trésor caché dont m'a parlé le Báb se trouve à présent dévoilé à mes yeux. Sa lumière a chassé les ténèbres de perplexité et de doute. Bien que mon maître soit actuellement caché au milieu des montagnes fortifiées de l'Ádhirbáyján, le signe de sa splendeur et la révélation de son pouvoir se trouvent manifestes devant mes yeux. J'ai trouvé au Mázindarán le reflet de sa gloire."
Comme l'erreur de Hájí Mírzá Áqásí était grave et terrible! Ce ministre insensé s'était vainement imaginé qu'en condamnant le Báb à une vie d'exil sans espoir dans un coin reculé et isolé d'Ádhirbáyján, il parviendrait à dérober aux yeux de ses compatriotes cette flamme du feu éternel de Dieu. Il ne pouvait penser qu'en posant la lumière de Dieu sur une colline, il contribuait à propager son éclat et à proclamer sa gloire. Par ses propres actes, par ses mauvais calculs, au lieu de cacher cette flamme céleste aux yeux des hommes, il lui donnait encore plus d'éclat et l'aidait à accroître son intensité. Comme, d'autre part, Mullá Husayn était admirable! Comme son jugement était précis et sûr! De ceux qui l'avaient vu et connu, aucun ne pouvait mettre en doute un seul instant l'érudition de ce jeune homme, son charme, sa haute intégrité et son étonnant courage. S'il s'était déclaré, après la mort de Siyyid Kázim, le Qá'im promis, les plus distingués de ses compagnons auraient unanimement reconnu sa revendication et se seraient soumis à son autorité. Mullá Muhammad-i-Mámáqání, ce disciple érudit et notoire de Shaykh Ahmad n'avait-il pas déclaré, après que Mullá Husayn l'eut mis au courant des revendications de la nouvelle révélation: "Je prends Dieu pour témoin! Si ce même Mullá Husayn avait revendiqué la station du Báb, j'aurais été, vu les traits de son caractère remarquable et son savoir immense, le premier à défendre sa cause et à la proclamer à tous les hommes. Etant donné cependant qu'il a choisi de se soumettre à une autre personne, j'ai cessé d'avoir confiance en sa parole et j'ai refusé de répondre à son appel." Siyyid Muhammad Báqir-i-Rashtí n'a-t-il pas témoigné, en des termes si éloquents, des vertus de Mullá Husayn lorsque celui-ci eut dissipé de façon magistrale les doutes qui avaient longtemps affligé son esprit; n'a-t-il pas dit: "Moi qui me croyais, de manière insensée, capable de confondre et de réduire au silence Siyyid Kázim-i-Rashtí, lorsque pour la première fois je rencontrai Mullá Husayn et conversai avec lui, lui qui prétendait n'être que l'humble disciple de ce maître, je réalisai le caractère profondément erroné de mon jugement.

<P250>

La force dont ce jeune homme semble être doué est telle que s'il venait à déclarer que le jour est la nuit, je le croirais malgré tout capable de sortir des preuves susceptibles de démontrer de façon concluante, aux yeux des théologiens érudits, la vérité de son affirmation."
Mullá Husayn, la nuit même où il fut amené à rencontrer le Báb, bien qu'au début il se sentît de beaucoup supérieur à celui-ci et porté à minimiser les revendications de ce fils d'un marchand obscur de Shiraz n'avait pas manqué de percevoir, dès que son hôte eut commencé à développer son thème, les incalculables bienfaits que recelait sa révélation. Il avait embrassé avec empressement sa cause et abandonné avec dédain tout ce qui aurait pu entraver ses propres efforts en vue de la compréhension exacte et de la promotion effective des intérêts de cette cause. Et lorsque, en temps voulu, Mullá Husayn eut l'occasion d'apprécier le caractère sublime et transcendant des écrits de Quddús, il put de même, avec sa sagacité habituelle et son infaillible jugement, estimer à leur juste valeur et selon leurs mérites les dons particuliers dont Quddús, ainsi que ses paroles, étaient doués. L'immensité de son propre savoir acquis se réduisait à néant devant les vertus infinies, accordées par Dieu, que manifestait l'esprit de ce jeune homme. A ce moment même, il promit sa loyauté éternelle à celui qui reflétait avec tant de puissance l'éclat de son propre maître bien-aimé. Il sentit que son premier devoir était de se soumettre entièrement à Quddús, de suivre ses pas, d'obéir à sa volonté et de faire son possible pour lui procurer tous les moyens nécessaires à son salut et à son bien-être. Jusqu'à l'heure de son martyre, Mullá Husayn devait rester fidèle à sa promesse. Le motif essentiel de l'extrême déférence que Mullá Husayn manifesta désormais à l'égard de Quddús était sa conviction ferme et inébranlable de la réalité de ces dons surnaturels qui distinguaient si nettement Quddús du reste de ses condisciples. Aucune autre considération ne le poussait à faire preuve d'une telle déférence et d'une telle humilité envers celui qui ne semblait être que son égal. Le sens de perception très aigu de Mullá Husayn lui permit de saisir rapidement la grandeur de la force qui gisait latente en cet homme, et la noblesse de son caractère l'incitait à montrer qu'il reconnaissait cette vérité.

<P251>

La transformation qui s'était opérée dans l'attitude de Mullá Husayn envers Quddús fut telle que les croyants qui se réunirent le lendemain matin chez ce dernier furent extrêmement surpris de trouver l'invité debout sur le seuil, dans une attitude d'humilité absolue au lieu d'occuper, comme la veille au soir, le siège d'honneur où il avait été l'objet d'une telle amabilité et d'une si généreuse hospitalité; en fait, cette fois, c'était Quddús qui avait pris la place de Mullá Husayn. Les premières paroles que Quddús lui adressa, en présence des fidèles rassemblés, furent celles-ci: "À présent, à cet instant même, vous devez vous lever et, armé du sceptre de la sagesse et du pouvoir, réduire au silence l'armée des vils comploteurs qui s'efforcent de discréditer le nom de la foi de Dieu. Vous devez faire face à cette multitude et confondre ses forces. Vous devez mettre votre confiance en la grâce de Dieu et considérer les machinations de ces gens-là comme de futiles tentatives destinées à ternir l'éclat de la cause. Vous devez rencontrer le sa`ídu'l-`ulamá', ce tyran notoire et faux, et dévoiler hardiment à ses yeux les traits distinctifs de cette révélation. De là, vous vous rendrez au Khurásán. Dans la ville de Mashhad, vous devrez bâtir une maison d'une conception telle qu'elle puisse à la fois nous servir de résidence privée et offrir les commodités adéquates en vue de l'hébergement de nos hôtes. Nous nous rendrons sous peu dans cette ville et résiderons dans cette maison. C'est là que vous inviterez toutes les âmes réceptives qui, nous l'espérons, pourront être guidées vers la rivière de vie éternelle. Nous les préparerons et les exhorterons a s'unir et à proclamer la cause de Dieu."
Mullá Husayn partit le lendemain, au lever du soleil, rencontrer le sa`ídu'l-`ulamá'. Seul et sans aide, il se rendit auprès de ce dernier et lui transmit le message du nouveau jour, obéissant ainsi aux ordres de Quddús. Courageux et éloquent, il plaida, au milieu des disciples réunis, la cause de son maître bien-aimé, fit appel à ce théologien afin qu'il anéantisse les idoles que son imagination fantaisiste avait forgées et qu'il implante sur les fragments brisés de celles-ci, l'étendard de la direction divine. Il fit appel à lui afin qu'il libère son esprit des credos gênants du passé et qu'il se hâte, libre et sans entrave, vers les rivages du salut éternel. Avec une vigueur caractéristique, il repoussa toutes les preuves grâce auxquelles ce sorcier trompeur cherchait à réfuter la vérité du message divin et exposa, en se servant de sa logique infaillible, les erreurs de toutes les doctrines qu'il s'efforçait de proposer. Saisi par la peur de voir la congrégation de ses disciples se rallier unanimement à la personne de Mullá Husayn, le sa`ídu'l-`ulamá' eut recours aux plus méprisables stratagèmes et donna libre cours au plus abusif des langages, espérant par là conserver intacte sa position.

<P252>

Il hurla ses calomnies à la face de Mullá Husayn et, ignorant avec dédain les preuves et les témoignages fournis par son adversaire, il se mit à affirmer avec assurance et sans la moindre justification, la futilité de la cause qu'il avait été appelé à embrasser. A peine Mullá Husayn avait-il réalisé l'impuissance totale du théologien à saisir la signification du message qu'il lui avait apporté, qu'il se leva de son siège et dit: "Mon discours n'a pas réussi à vous tirer de votre sommeil de négligence. Mes actes aux cours des prochains jours vous montreront le pouvoir du message que vous avez choisi de dédaigner." Il parla avec une telle véhémence et une telle émotion que le sa`ídu'l`ulamá' fut totalement confondu. Sa consternation fut telle qu'il fut incapable de répondre. Mullá Husayn se tourna alors vers l'un des auditeurs qui semblait avoir senti l'influence de ses paroles et le chargea de raconter à Quddús les circonstances de cette entrevue. "Dites-lui, ajouta-t-il: "Puisque vous ne m'avez pas donné l'ordre formel de venir vous voir, je me suis décidé à partir immédiatement pour le Khurásán. Je m'en vais exécuter dans leur entièreté les ordres que vous m'avez ordonnés d'accomplir."
Seul et d'un coeur détaché de tout sauf de Dieu, Mullá Husayn entreprit son voyage vers Mashhad. Son unique compagnon sur le chemin du Khurásán fut la pensée de voir les voeux de Quddús fidèlement réalisés et sa seule subsistance, la conscience de sa promesse infaillible. Il alla directement chez Mírzá Muhammad Báqir-i-Qá'iní et eut peu après la possibilité d'acheter, dans le voisinage de la maison de celui-ci à Bálá-Khíyibán, une parcelle de terre sur laquelle il commença à construire la maison que Quddús lui avait ordonné de bâtir, et à laquelle il donna le nom de Bábíyyih, nom qu'elle porte encore de nos jours. Peu de temps après l'inauguration de cette maison, Quddús arriva à Mashhad et l'accepta comme résidence. Un flot continu de visiteurs, que l'énergie et le zèle de Mullá Husayn avaient amenés à la foi, déferla chez Quddús, reconnut les revendications de la cause et s'engagea volontiers sous sa bannière. La vigilance dont Mullá Husayn fit preuve dans ses efforts visant à propager la nouvelle révélation, et la manière magistrale dont Quddús édifia ses adeptes en nombre toujours croissant, provoquèrent une vague d'enthousiasme qui déferla sur toute la ville de Mashhad dont les effets s'étendirent rapidement au-delà des confins du Khurásán. La maison Bábíyyih fut peu après transformée en un centre de réunions pour la foule des dévots qui étaient embrasés par la résolution inébranlable de démontrer, par tous les moyens en leur pouvoir, les grandes énergies latentes de leur foi.


<P254>

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CHAPITRE XV : voyage de Tahirih de Karbilá au Khurásán

Comme approchait l'heure fixée à laquelle, suivant les dispensations de la Providence, le voile qui cachait encore les vérités fondamentales de la foi devait être déchiré, brûla au coeur du Khurásán une flamme d'une intensité si dévorante que les obstacles les plus formidables jonchant la voie qui menait à la reconnaissance ultime de la cause disparurent sans laisser de trace. (15.1) Ce feu causa un tel embrasement dans le coeur des hommes que les effets de son pouvoir vivifiant se firent sentir dans les provinces les plus reculées de la Perse. Il fit disparaître toute trace des malentendus et des doutes qui avaient jusqu'alors accaparé le coeur des croyants et les avaient empêchés de saisir dans toute sa mesure la gloire de la cause. L'ennemi avait condamné à une réclusion perpétuelle celui qui était l'incarnation de la beauté de Dieu, et avait cherché ainsi à éteindre pour toujours la flamme de son amour. La main d'Omnipotence, cependant, était activement occupée, à un moment où la cohorte des malfaiteurs complotait dans l'ombre contre lui, à confondre leurs desseins et à anéantir leurs efforts. Dans la province la plus orientale de la Perse, le Tout-Puissant avait, grâce à Quddús, allumé un feu qui brillait de la flamme la plus ardente dans le coeur des habitants du Khurásán. Et à Karbilá, au-delà des confins occidentaux de cette terre, il avait engendré la lumière de Tahirih, lumière qui était destinée à répandre son éclat sur la Perse tout entière. De l'est comme de l'ouest de ce pays, la voix de l'Invisible invita ces deux grandes lumières à se précipiter vers la terre de Tá (15.2) l'étoile de gloire, la maison de Bahá'u'lláh. Elle pria chacun d'eux de rechercher et de graviter autour de la personne de cette étoile de vérité, de chercher ses conseils, de seconder ses efforts et de préparer la voie pour sa révélation prochaine.
Conformément au décret divin, alors que Quddús résidait encore à Mashhad, une Tablette révélée par la plume du Báb fut adressée à tous les croyants de la Perse, Tablette dans laquelle tout adhérent loyal de la foi était appelé à "partir en hâte vers la terre de Khá", la province de Khurásán (15.3).

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La nouvelle de cette importante injonction se répandit avec une prodigieuse rapidité et souleva l'enthousiasme de tous. Elle parvint aux oreilles de Tahirih, qui se trouvait alors à Karbilá et déployait tous ses efforts pour propager la foi qu'elle avait embrassée. (15.4) Elle avait quitté sa ville natale de Qazvin et était arrivée dans cette ville sainte après le décès de Siyyid Kázim, impatiente qu'elle était de témoigner des signes qu'avait prédits le regretté Siyyid. Dans les pages précédentes, nous avons vu comment elle avait été instinctivement amenée à découvrir la révélation du Báb et avec quelle spontanéité elle avait accepté sa vérité. Sans avoir été avertie ni invitée, elle perçut la lumière naissante de la révélation promise se levant sur la ville de Shiraz et fut appelée à rédiger son message pour prêter serment de fidélité à celui qui était le révélateur de cette lumière.
La réponse immédiate du Báb à la déclaration de foi qu'elle avait faite sans être parvenue en sa présence, avait ranimé son zèle et accru considérablement son courage. Elle se leva pour propager au loin ses enseignements, dénoncer avec véhémence la corruption et la perversité de sa génération et préconiser avec intrépidité une révolution fondamentale dans les habitudes et les moeurs de son peuple. (15.5) Son esprit indomptable fut ranimé par le feu de son amour pour le Báb, et la gloire de sa vision fut encore rehaussée par la découverte des bénédictions inestimables latentes dans sa révélation. L'intrépidité innée et la force de son caractère furent centuplées par la conviction inébranlable de l'ultime victoire de la cause qu'elle avait embrassée; son énergie illimitée fut revitalisée par sa reconnaissance de la valeur latente de la mission qu'elle avait décidé de défendre. Tous ceux qui la rencontrèrent à Karbilá furent charmés par son éloquence ensorcelante et sentirent la fascination de ses paroles. Personne ne put résister à son charme; seuls quelques-uns purent se soustraire à la contagion de sa croyance. Tous témoignèrent des traits extraordinaires de son caractère, s'émerveillèrent devant son étonnante personnalité et furent convaincus de la sincérité de ses convictions.
Elle put amener à la foi la veuve révérée de Siyyid Kázim, qui était née à Shiraz et qui fut la première femme de Karbilá à reconnaître sa vérité. J'ai entendu Shaykh Sultan décrire l'extrême dévotion de cette femme envers Tahirih, qu'elle considérait comme son guide spirituel et estimait comme sa compagne bien-aimée. Shaykh Sultan était aussi un admirateur fervent du caractère de la veuve du siyyid dont il exaltait souvent la gentillesse et la douceur: "Son attachement envers Tahirih était tel", entendait-on souvent Shaykh Sultan faire remarquer, "qu'elle se montrait extrêmement réticente à autoriser l'héroïne, qui était son hôte, à s'absenter, ne fût-ce que pour une heure.

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Un si grand attachement de sa part ne manquait pas d'exciter la curiosité et de ranimer la foi de ses amies persanes et arabes qui venaient constamment lui rendre visite. Au cours de la première année qui suivit son acceptation du message, elle tomba soudain malade et, après trois jours, quitta ce monde comme l'avait fait Siyyid Kázim."
Parmi les hommes de Karbilá qui, grâce aux efforts de Tahirih, acceptèrent avec empressement la cause du Báb, il y eut un certain Shaykh Sálih, un Arabe résidant dans cette ville et qui fut le premier à répandre son sang dans le sentier de la foi à Tihrán. Tahirih vantait tellement les vertus de Shaykh Sálih, que quelques-uns le suspectèrent d'être, en rang, l'égal de Quddús. Shaykh Sultan fut, lui aussi, de ceux qui tombèrent victimes du charme de Tahirih. A son retour de Shiraz, il s'identifia à la foi, promut avec courage et assiduité ses intérêts, et fit de son mieux pour exécuter les instructions et les voeux de Tahirih. Un autre admirateur de cette dernière fut Shaykh Muhammad-i-Shibl, père de Muhammad Mustafá, un Arabe natif de Baghdád et qui passait pour l'un des plus grands 'ulamás de cette ville. Grâce à l'aide de ce groupe de disciples choisis, capables et fermes, Tahirih put embraser l'imagination d'un nombre considérable des habitants arabes et perses de 1' 'Iraq et se gagner leur appui; la majorité de ces habitants furent amenés par elle à joindre leurs forces à celles de leurs frères de la Perse qui devaient peu apres être appelés à façonner par leurs actes la destinée de la cause de Dieu et à sceller son triomphe de leur sang.
L'appel du Báb, qui s'adressait originellement à ses disciples de la Perse, fut bientôt transmis aux adeptes de sa foi en 'Iraq Tahirih y répondit glorieusement. Son exemple fut immédiatement suivi par un grand nombre de ses fidèles admirateurs qui se déclarèrent tous prêts à partir aussitôt pour le Khurásán. Les 'ulamás de Karbilá cherchèrent à la dissuader d'entreprendre ce voyage. Percevant d'emblée le motif qui les poussait à lui donner un tel conseil, et consciente de leurs desseins malveillants, elle adressa à chacun de ces sophistes un long message dans lequel elle exposait ses raisons et mettait à nu leur dissimulation. (15.6)
De Karbilá, elle se rendit à Baghdád. (15.7) Une délégation représentative, comprenant les chefs les plus capables des shí`ahs, des sunnís, des chrétiens et des juifs de cette ville, rechercha sa présence et s'efforça de la convaincre de la folie de ses actes.

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Elle put cependant repousser leurs protestations et les étonna par la force de ses arguments. Déçus et confus, ils se retirèrent, profondément conscients de leur propre impuissance. (15.8)
Les 'ulamás de Kirmánsháh la reçurent avec respect et lui présentèrent l'expression de leur estime et de leur admiration. (15.9) À Hamadán, (15.10) cependant, les chefs religieux de la ville furent divisés quant à leur attitude vis-à-vis de Tahirih. Quelques-uns cherchèrent en cachette à inciter le peuple contre elle et à miner son prestige; d'autres furent portés à chanter ouvertement ses vertus et à applaudir son courage. "Il est de notre devoir", déclarèrent ces amis du haut de la chaire, "de suivre son noble exemple et de lui demander respectueusement de nous révéler les mystères du Qur'àn et de résoudre les points obscurs de ce Livre saint. Car nos plus hautes connaissances ne sont que gouttes comparées à l'immensité de son savoir." Lors de son séjour à Hamadán, Tahirih rencontra ceux que son père, Hájí Mullá Sálih, avait envoyés de Qazvín pour l'accueillir et la supplier de sa part d'aller visiter sa ville natale et de prolonger son séjour parmi eux. (15.11) Elle y consentit à contrecoeur. Avant son départ, elle pria ceux qui l'avaient accompagnée depuis 1' 'Iraq de partir pour leur pays natal. Parmi ceux-ci se trouvaient Shaykh Sultan, Shaykh Muhammad-i-Shibl et son jeune fils, Muhammad Mustafá, 'Abid et son fils Násir, à qui fut donné ultérieurement le surnom de Hájí 'Abbás. Ceux de ses compagnons qui avaient vécu en Perse, tels que Siyyid Muhammad-i-Gulpáyigání, dont le nom de plume était Tá'ir, et que Tahirih avait surnommé Fata'l-Malíh, et d'autres encore reçurent également l'ordre de retourner chez eux. Seuls deux de ses compagnons restèrent avec elle: Shaykh Sálih et Mullá Ibráhim-i-Gulpáyigání qui, tous deux, burent à la coupe du martyre, le premier à Tihrán et le second à Qazvín. De ses propres parents, Mírzá Muhammad-'Alí, l'une des Lettres du Vivant et son beau-frère, et Siyyid 'Abdu'l-Hádí, qui avait été fiancé à sa fille, voyagèrent en sa compagnie durant tout le trajet de Karbilá à Qazvín.
A son arrivée chez son père, son cousin, l'orgueilleux et faux Mullá Muhammad, fils de Mullá Taqí, qui se croyait, après son père et son oncle, le plus accompli de tous les mujtahids de la Perse, envoya quelques femmes choisies de parmi sa propre maisonnée auprès de Tahirih pour la persuader de transférer sa résidence de chez son père à sa propre maison.

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PHOTO: vue 1 de la maison dans lesquelles vécut Tahirih à Qazvín

PHOTO: vue 2 de la maison dans lesquelles vécut Tahirih à Qazvín

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"Répondez à mon arrogant et présomptueux parent", déclara-t-elle courageusement aux messagers, "que s'il avait vraiment voulu être mon compagnon fidèle, il se serait hâté de venir me rencontrer à Karbilá et aurait, à pied, guidé mon howdah (15.12) pendant tout le voyage jusqu'à Qazvín. Je l'aurais, durant ce voyage, tiré de son sommeil de négligence et lui aurais montré la voie de la vérité. Mais il ne devait pas en être ainsi. Trois années se sont écoulées depuis notre séparation. Ni dans ce monde, ni dans le prochain, je ne pourrai jamais le fréquenter. Je l'ai exclu pour toujours de ma vie."
Une réponse aussi sèche et inflexible fit entrer Mullá Muhammad et son père dans une colère monstre. Ils la déclarèrent aussitôt hérétique et s efforcèrent, jour et nuit, de miner sa position et de souiller son nom. Tahirih se défendit avec véhémence et persista à exposer la corruption de leur caractère. (15.13) Son père, homme pacifique et impartial, déplora ce conflit acrimonieux et tenta de réconcilier les adversaires et d'harmoniser leurs rapports, mais ses efforts demeurèrent vains.
Cet état de tension dura jusqu'au jour où un certain Mullá 'Abdu'lláh, natif de Shiraz et fervent admirateur de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kàzim, arriva à Qazvin au début du mois de ramadán de l'an 1263 après l'hégire. (15.14)

PHOTO: bibliothèque de Tahirih dans la maison de son père à Qazvin

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Par la suite, au cours de son jugement à Tihrán en présence du Sáhib Díván, ce même Mullá 'Abdu'lláh devait raconter ce qui suit: "Je n'ai jamais été un Bábí convaincu. Lorsque j'arrivai à Qazvín, j'étais sur le chemin de Mah-Ku, ayant l'intention de rendre visite au Báb et de m'informer de la nature de sa cause. Le jour de mon arrivée à Qazvín, j'appris que la ville était dans un état de grand tumulte. En traversant la place du marché, je vis une foule de malfaiteurs qui avaient ôté à un homme sa coiffure et ses souliers, lui avaient attaché son turban autour du cou et étaient en train de le tirer ainsi à travers les rues. Une multitude en colère proférait des menaces envers lui, le frappait de coups et le maudissait. "Sa faute impardonnable", me dit-on en réponse à ma question, "est d'avoir osé exalter en public les vertus de Shaykh Ahmad et de Siyyid Kázim. En conséquence, Hájí Mullá Taqí, le hujjatu'l-islám, l'a condamné comme hérétique et a décrété son expulsion de la ville."
"Je fus stupéfait d'entendre l'explication qu'on me donnait. Comment, me dis-je, peut-on considérer un shaykhi comme hérétique et le juger digne d'un si cruel traitement? Désireux d'aller vérifier auprès de Mullá Taqí l'authenticité de ce rapport, je me rendis à l'école de ce dernier et demandai s'il avait effectivement prononcé une telle sentence contre le pauvre homme. "Oui, répondit-il brusquement, le dieu qu'adorait feu Shaykh Ahmad-i-Bahrayní est un dieu auquel je ne pourrai jamais croire. Je les considère, lui ainsi que ses disciples, comme les incarnations mêmes de l'erreur." Je voulus, à ce moment-là, le frapper au visage en présence de ses disciples réunis. Je me retins cependant et jurai de transpercer un jour, avec la permission de Dieu, ses lèvres au moyen de mon épée, afin qu'il ne fût plus jamais capable de proférer un tel blasphème.
"Je quittai aussitôt Mullá Taqí et me dirigeai vers le marché, où j'achetai un poignard et un fer de lance fabriqué avec un acier des plus tranchants et des plus fins. Je les cachai en mon sein, prêt à satisfaire la passion qui dévorait mon âme. J'étais dans l'attente de cette opportunité lorsqu'une nuit, j'entrai dans le masjid où il avait l'habitude de diriger la prière en commun. J'attendis jusqu'à l'aube et vis alors une vieille femme entrer dans le masjid portant avec elle une couverture qu'elle étendit sur le sol du mihráb. (15.15) Peu après, je vis Mullá Taqí entrer seul, aller vers le mihráb et y faire sa prière. Avec précaution et sans faire de bruit, je le suivis et me tins debout derrière lui. Il se prosternait à terre lorsque je me ruai sur lui, tirai ma lance de fer et la lui plongeai dans la nuque.

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Il lança un grand cri. Je le renversai sur le dos et, dégainant mon poignard, je le frappai plusieurs endroits dans la poitrine et dans les côtes, et le laissai saignant dans le mihráb.
"Je montai aussitôt sur le toit du masjid et me mis à observer la fureur et l'agitation de la multitude. Une foule se rua à l'intérieur et, plaçant le Mullá sur une litière, le transporta chez lui. Ne pouvant identifier le meurtrier, les habitants saisirent l'occasion pour satisfaire leurs plus vils instincts. Ils se précipitèrent l'un sur l'autre, s'attaquèrent avec violence et s'accusèrent mutuellement en présence du gouverneur. Voyant qu'un grand nombre d'innocents avaient été sérieusement molestés et jetés en prison, je fus porté par la voix de ma conscience à confesser mon acte. J'allai donc chez le gouverneur et lui dis: "Si je vous livre l'auteur de ce meurtre, promettrez-vous de libérer tous les innocents qui sont en train de souffrir à sa place?" Dès que j'eus obtenu de lui l'assurance indispensable, je lui confessai que c'était moi qui avais commis le meurtre. Il ne voulut pas me croire tout d'abord. A ma demande, il fit appeler la vieille femme qui avait étendu son tapis dans le mihráb, mais refusa de se laisser convaincre par le témoignage que celle-ci apporta. Je fus finalement conduit au chevet de Mullá Taqí, qui était sur le point de rendre l'âme. Dès qu'il me vit, il reconnut mon visage. Dans son agitation, il me montra du doigt, indiquant par là que je l'avais attaqué. Il signifia son désir qu'on m'éloignât de sa présence. Peu après, il expira. Je fus aussitôt arrêté, accusé de meurtre et jeté en prison. Le gouverneur, cependant, ne tint pas sa promesse et refusa de relâcher les prisonniers."
La candeur et la sincérité de Mullá 'Abdu'lláh plurent beaucoup au Sáhib-Díván, qui donna, en secret, l'ordre à ses assistants de l'aider à fuir de sa prison. A minuit, le prisonnier alla se réfugier chez Ridà Khán-i-Sardár qui s'était, peu de temps auparavant, marié à la soeur du Sipah-Sálár, et resta caché dans cette maison jusqu'à la grande bataille de Shaykh Tabarsi, époque à laquelle il se décida à partager le sort des héroïques défenseurs de la forteresse. Il but finalement, comme Ridá Khán, qui l'avait suivi au Mázindarán, la coupe du martyre.
Les circonstances du meurtre firent éclater la colère des héritiers légaux de Mullá Taqí qui décidèrent, à partir de ce moment-là, de se venger sur Tahirih. Ils réussirent à la faire placer en réclusion chez son père et dirent aux femmes qu'ils avaient choisies pour la surveiller de ne permettre à leur captive de quitter sa chambre que pour ses ablutions quotidiennes.

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Ils l'accusèrent d'être la véritable instigatrice du crime. "Personne d'autre que vous, affirmèrent-ils, n'est coupable du meurtre de notre père. C'est vous qui avez donné l'ordre de l'assassiner." Ceux qu'ils avaient arrêtés et mis en prison furent emmenés par eux à Tihrán et incarcérés chez l'un des kad-khudás (15.16) de la capitale. Les amis et les héritiers de Mullá Taqí se dispersèrent de tous côtés, accusant leurs prisonniers d'avoir désavoué la loi islamique et demandant qu'ils fussent immédiatement mis à mort.
Bahá'u'lláh, qui vivait en ce temps-là à Tihrán, fut informé de l'état de ces prisonniers qui avaient été les compagnons et les partisans de Tahirih. Comme il connaissait déjà le kad-khudá chez qui ces hommes étaient incarcérés, il décida d'aller rendre visite à ceux-ci et d'intervenir en leur faveur. Ce fonctionnaire cupide et fourbe, qui connaissait l'extrême générosité de Bahá'u'lláh, exagéra grandement la misère qui avait frappé les malheureux prisonniers, espérant par là tirer un important profit pécuniaire pour lui-même. "Ils sont privés des nécessités les plus élémentaires de la vie", dit le kad-khudà. "Ils sont affamés et misérablement habillés." Bahá'u'lláh envoya aussitôt une aide financière à leur intention et pria le kad-khudá de relâcher la sévérité du règlement auquel étaient soumis les prisonniers. Ce dernier consentit à libérer ceux d'entre eux qui étaient incapables de supporter le poids de leurs chaînes et, pour les autres, fit ce qu'il pouvait pour atténuer la rigueur de l'emprisonnement. Poussé par la cupidité, il informa ses supérieurs de la situation et mit l'accent sur le fait que Bahá'u'lláh fournissait régulièrement de la nourriture et de l'argent à l'intention de ceux qui se trouvaient emprisonnés chez lui.
Ces fonctionnaires essayèrent à leur tour de tirer le meilleur profit de la libéralité de Bahá'u'lláh. Ils le convoquèrent, protestèrent contre son action et l'accusèrent de complicité dans l'affaire pour laquelle les prisonniers avaient été condamnés. "Le kad-khudá répondit Bahá'u'lláh, a plaidé leur cause auprès de moi et s'est longuement étendu sur leurs souffrances et leurs besoins. Il a lui-même témoigné de leur innocence et fait appel à moi pour leur venir en aide. Au lieu de me remercier pour l'aide que j'ai envoyée à sa demande, vous m'accusez à présent d'un crime que je n'ai pas commis." Espérant intimider Bahá'u'lláh par des menaces de châtiment immédiat, ils refusèrent de lui permettre de retourner chez lui.

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L'incarcération à laquelle il fut soumis marqua la première affliction qui frappa Bahá'u'lláh sur le sentier de la cause de Dieu, le premier emprisonnement qu'il endura pour l'amour de ceux qu'il aimait. Il resta en prison deux jours, après quoi Ja'far-Qulí Khán, frère de Mírzá Aqá Khán-i-Núrí, qui devait ultérieurement être nommé Grand vazír du Sháh, et un certain nombre d'autres amis intervinrent en sa faveur et, menaçant le kad-khudá en termes très durs, purent parvenir à le faire libérer. Ceux qui avaient été responsables de son incarcération caressaient l'espoir de recevoir, en échange de sa libération, la somme de mille túmán, (15.17) mais ils devaient bientôt découvrir qu'ils n'avaient qu'à se conformer aux désirs de Ja'far-Qulí Khán sans espérer la moindre récompense ni de ce dernier ni de Bahá'u'lláh. Ils durent livrer leur prisonnier entre ses mains, avec toutes leurs excuses et l'expression de leurs plus grands regrets.
Les héritiers de Mullá Taqí déployaient entre-temps tous leurs efforts pour venger le sang de leur distingué parent. Non satisfaits de ce qu'ils avaient déjà accompli, ils lancèrent un appel à Muhammad Sháh en personne et s'efforcèrent de gagner sa sympathie à leur cause. Le sháh, dit-on, leur aurait envoyé cette réponse: "Votre père, Mullá Taqí, ne pouvait assurément se prétendre supérieur à 1'Imám'Alí, le Commandeur des croyants. Ce dernier n'avait-il pas dit à ses disciples que, s'il tombait victime de l'épée d'Ibn-i-Muljam, seul le meurtrier devait payer de sa vie son acte, que personne d'autre que lui ne devait être exécuté? Pourquoi le meurtrier de votre père ne devrait-il pas être puni de la même façon? Dénoncez-moi son assassin, et j'ordonnerai qu'il soit livré entre vos mains afin que vous puissiez lui infliger le châtiment qu'il mérite."
L'attitude sans équivoque du sháh les incita à renoncer aux espoirs qu'ils avaient caressés. Ils déclarèrent Shaykh Sálih meurtrier de leur père, obtinrent son arrestation et l'exécutèrent ignominieusement. Shaykh Sálib fut le premier à verser son sang sur le sol persan dans le sentier de la cause de Dieu, le premier de ce groupe glorieux qui était destiné à sceller de son sang le triomphe de la sainte foi de Dieu. Alors qu'on l'emmenait vers la scène de son martyre, sa face rayonnait de joie et d'ardeur. Ils se précipita au pied de la potence et rencontra son bourreau comme s'il souhaitait la bienvenue à un cher et vieil ami. Il proférait sans cesse des paroles de triomphe et d'espoir. "J'ai abandonné" , s'écria-t-il au moment où sa fin était imminente, "les espoirs et les croyances des hommes à partir de l'instant où je t'ai reconnu, toi qui es mon espoir et ma croyance!"

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Ses restes furent enterrés dans la cour du tombeau de l'Imám-Zádih Zayd à Tihrán.
La haine insatiable qui animait ceux qui avaient été responsables du martyre de Shaykh Sálil porta ceux-ci à chercher d'autres moyens propres à servir leur desseins. Hájí Mírzá Áqásí, que le SáhibDíván avait réussi à convaincre de la conduite perfide des héritiers de Mullá Taqí, refusa de donner suite à leur appel. Nullement découragés par ce refus, ils soumirent leur cas au Sadr-i-Ardibílí, homme bien connu pour son orgueil et l'un des plus arrogants de tous les dirigeants ecclésiastiques de la Perse. "Voyez", affirmèrent-ils, "l'outrage dont furent l'objet ceux qui avaient pour fonction suprême la défense de l'intégrité de la loi. Comment pouvez-vous, vous qui êtes le représentant principal et illustre de celle-ci, laisser impuni un affront aussi grave à sa dignité? Êtes-vous réellement incapable de venger le sang de ce ministre du Prophète de Dieu que l'on vient de massacrer? Ne réalisez-vous pas que tolérer un crime aussi odieux laisserait la porte ouverte à un flot de calomnies contre ceux qui sont les principaux dépositaires des enseignements et des principes de notre foi? Votre silence n'encouragera-t-il pas les ennemis de l'islám à briser la structure que vos propres mains ont forgée? En conséquence, votre propre vie ne sera-t-elle pas mise en péril ?"
Le Sadr-i-Ardibílí eut très peur et, dans son impuissance, chercha à séduire son souverain. Il adressa la requête suivante à Muhammad Sháh: "J'implore humblement Votre Majesté de permettre que les prisonniers accompagnent les héritiers de ce chef martyr lors du retour de ceux-ci à Qazvín, afin que ces derniers puissent, de leur propre gré, pardonner publiquement leur action et leur permettre de recouvrer la liberté. Un tel geste de leur part renforcera considérablement leur position et leur gagnera l'estime de leurs. concitoyens." Le sháh, qui ignorait totalement les vils desseins de cet habile comploteur, accéda aussitôt à sa demande, sous la condition expresse qu'une déclaration écrite lui fût envoyée de Qazvín, déclaration l'assurant de la condition satisfaisante des prisonniers après leur libération et du fait qu'aucun mal n'était susceptible de les frapper à l'avenir.
Dès que les prisonniers furent livrés aux mains des malfaiteurs, ceux-ci se mirent à assouvir la haine implacable qu'ils leur portaient. La première nuit après que les prisonniers fussent remis à leurs ennemis, Hájí Asadu'lláh, frère de Hájí Alláh Vardi et oncle paternel de Muhammad-Hádí et de Muhammad-Javád-i-Farhádí, marchand notoire à Qazvín, qui s'était fait un renom par sa piété et sa droiture, égalant celui de son illustre frère, fut impitoyablement exécuté.

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Sachant parfaitement que, dans sa propre ville natale, ils seraient incapables de lui infliger le châtiment désiré, ses ennemis décidèrent de lui ôter la vie lors de son séjour à Tihrán de manière telle qu'ils restassent à l'abri de toute suspicion de meurtre. A minuit, ils perpétrèrent l'acte ignoble et, le matin suivant, annoncèrent que la maladie l'avait emporté. Ses amis et connaissances, pour la plupart natifs de Qazvín, et dont aucun n'avait pu découvrir le crime qui avait mis fin à une si noble vie, lui firent des funérailles dignes de son rang.
Le reste de ses compagnons, parmi lesquels se trouvaient Mullá Táhir-i-Shirazí et Mullá Ibráhím-i-Mahallátí, qui étaient tous deux tenus en grande estime pour leur savoir et leur caractère, furent sauvagement assassinés aussitôt après leur arrivée à Qazvín. La population tout entière, qu'on s'était empressé d'inciter à commettre le crime, exigea leur exécution immédiate. Une bande de scélérats sans scrupule, armée de couteaux, d'épées, de lances et de haches, les assaillirent et les mirent en pièces. Ils mutilèrent leurs corps avec une sauvagerie gratuite, si barbare, qu'on ne put trouver, pour les enterrer, aucune partie de leurs membres éparpillés.
Bonté divine! Des actes d'une si incroyable cruauté furent perpétrés dans une ville comme Qazvín, qui se glorifie de compter pas moins d'une centaine de chefs ecclésiastiques musulmans parmi ses habitants et, malgré cela, on ne put trouver personne parmi ceux-ci pour élever la voix et protester contre des meurtres aussi révoltants! Personne ne sembla mettre en cause leur droit de perpétrer des actes aussi iniques. Personne ne sembla réaliser la totale incompatibilité entre de tels actes féroces, commis par ceux qui se prétendaient les uniques dépositaires des mystères de l'islám, et la conduite exemplaire de ceux qui furent les premiers à manifester sa lumière au monde. Personne ne fut porté à s'exclamer avec indignation: "O génération mauvaise et perverse! Dans quels abîmes d'infamie et de honte as-tu sombré! Les abominations que tu as commises n'ont-elles pas surpassé, par leur caractère impitoyable, les actes des hommes les plus abjects? N'admettras-tu pas que ni les bêtes des champs ni aucun être vivant sur terre ne t'a jamais égalée dans la férocité de tes actes? Combien de temps encore durera ta négligence? Ne crois-tu pas que l'efficacité de toute prière en commun dépend de l'intégrité de celui qui la dirige? N'as-tu pas, à maintes reprises, déclaré qu'une telle prière n'est acceptable aux yeux e Dieu que si l'Imám qui la conduit a purifié son coeur de toute trace de malveillance? Et, cependant, tu considères ceux qui sont les instigateurs et les complices de telles atrocités comme les véritables chefs de ta foi, les incarnations mêmes de la justice et de l'équité.

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Ne leur as-tu pas confié les rênes de ta cause et n'estimes-tu pas qu'ils sont les maîtres de ta destinée?"
La nouvelle de ce carnage parvint à Tíhrán et se répandit avec une rapidité déconcertante à travers la ville. Hájí Mírzá Aqásí protesta avec véhémence. "Dans quel passage du Qur'án", se serait-il exclamé, "dans quelle tradition de Muhammad, le massacre d'un groupe de personnes a-t-il été justifié pour venger le meurtre d'un seul être?" Muhammad Sháh exprima lui aussi sa désapprobation catégorique du comportement perfide du Sadr-i-Ardibílí et de ses complices. Il dénonça sa couardise, le bannit de la capitale et le condamna à une vie obscure à Qum. Sa dégradation plut immensément au Grand vazír qui s'était efforcé en vain jusqu'alors de provoquer sa chute; son bannissement soudain de Tíhrán libérait le Grand vazír des appréhensions qu'il avait eues quant à l'extension de l'autorité du Sadr-i-Ardibílí. Sa propre dénonciation du massacre de Qazvín était motivée non pas tant par sa sympathie pour la cause et les victimes sans défense, que par son espoir de mettre le Sadr-i-Ardibílí dans une situation telle, qu'il tomberait inévitablement en disgrâce aux yeux de son souverain.
Le fait que le sháh et son gouvernement n'avaient pas infligé un châtiment immédiat aux malfaiteurs incita ceux-ci à chercher d'autres moyens de satisfaire leur haine inassouvie envers leurs adversaires. Ils dirigèrent alors leur attention contre la personne même de Tahirih et se décidèrent à lui faire subir, de leurs propres mains, le même sort que celui de ses compagnons. Alors qu'elle se trouvait encore incarcérée, Tahirih, dès qu'elle fut informée des plans de ses ennemis, adressa le message suivant à Mullá Muhammad qui était parvenu à occuper la position de son père et qui était maintenant reconnu comme l'imám-jum'ih de Qazvin: "Ils éteindraient volontiers la lumière de Dieu avec leurs bouches: mais Dieu ne désire que perfectionner sa lumière, bien que les infidèles l'abhorrent." (15.18) Si ma cause est celle de la Vérité, si le Seigneur que j'adore n'est autre que le seul vrai Dieu, il me délivrera du joug de votre tyrannie avant que neuf jours se soient écoulés. S'il ne réalise pas ma libération vous êtes libre d'agir selon votre désir. Vous aurez irrévocablement prouvé la fausseté de ma croyance." Mullá Muhammad, reconnaissant son impuissance à accepter un défi aussi hardi, décida d'ignorer totalement le message de Tahirih et chercha, par tous les artifices, à accomplir son dessein.

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En ces jours, avant que l'heure fixée par Tahirih pour sa libération ait sonné, Bahá'u'lláh signifia son désir de la voir libérée de la prison et emmenée à Tihrán. Il décida d'établir, aux yeux de l'adversaire, la vérité de ses paroles, et de déjouer les plans que ses ennemis avaient conçus en vue de sa mort. Il convoqua donc Muhammad Hádíy-i-Farhádí et lui confia la tâche de réaliser le transfert immédiat de Tahirih à son domicile à Tihrán. Muhammad-Hádí fut chargé de remettre une lettre cachetée à sa femme, Khátún-Ján, de lui dire de se rendre, déguisée en mendiante, à la maison où Tahirih était incarcérée, de lui remettre la lettre en mains propres, d'attendre quelque temps à l'entrée de sa maison jusqu'à ce que Tahirih vînt la rejoindre, et de se hâter de venir ensemble auprès de Muhammad-Hádí pour la confier à ses soins. "Dès que Tahirih vous aura rejoint", dit Bahá'u'lláh à l'émissaire, "partez aussitôt pour Tihrán. Cette nuit même, je dépêcherai un domestique aux alentours de la porte de Qazvín avec trois chevaux que vous prendrez et attacherez à un endroit désigné en dehors des murs de Qazvín. Vous conduirez Tahirih à cet endroit-là; vous monterez les chevaux et vous vous efforcerez de rejoindre à l'aube, par une route déserte, les faubourgs de la capitale. Dès qu'on aura ouvert les portes, vous devrez entrer dans la ville et vous rendre aussitôt chez moi. Vous devrez agir avec la plus extrême prudence, de peur qu'on ne reconnaisse son identité. Le Tout-Puissant guidera assurément vos pas et vous entourera de son infaillible protection.
Raffermi par l'assurance de Bahá'u'lláh, Muhammad-Hádí partit aussitôt exécuter les instructions qu'il avait reçues. Ne se laissant point arrêter par les obstacles, il s'acquitta de sa tâche magistralement avec fidélité, et put conduire Tahirih saine et sauve, à l'heure fixée, chez son maître. Le départ de Tahirih de Qazvín, départ à la fois soudain et mystérieux, mit ses amis comme ses ennemis dans la consternation. Toute la nuit, ceux-ci fouillèrent les maisons, mais leurs efforts pour la trouver demeurèrent vains. La réalisation de la prédiction qu'elle avait faite étonna même les plus sceptiques de ses adversaires. Quelques-uns en vinrent à percevoir le caractère surnaturel de la foi qu'elle avait embrassée, et acceptèrent volontiers les revendications de celle-ci. Mírzá 'Abdu'l Vahháb, son propre frère, reconnut, ce jour-là, la vérité de la révélation mais prouva ultérieurement, par ses actes, le manque de sincérité de sa foi. (15.19)
L'heure que Tahirih avait fixée pour sa mise en liberté la trouva déjà installée en sécurité à l'ombre protectrice de Bahá'u'lláh.

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Elle savait fort bien auprès de qui elle avait été introduite; elle était parfaitement consciente du caractère sacré de l'hospitalité qui lui avait été si gracieusement offerte. (15.20) Comme pour son acceptation de la foi proclamée par le Báb, lorsqu'elle avait, sans être avertie ni appelée, salué son message et reconnu sa vérité, elle discerna, grâce à son savoir intuitif, la future gloire de Bahá'u'lláh. Ce fut en l'an 60, alors qu'elle se trouvait à Karbilá, qu'elle fit allusion dans ses odes à son acceptation de la Vérité que celui-ci devait révéler. J'ai moi-même vu à Tihrán, chez Siyyid Muhammad, à qui Tahirih avait donné le surnom de Fata'l-Malíh, les versets qu'elle avait écrits de sa propre main et dont chaque lettre porte un témoignage éloquent de sa foi dans les missions exaltées du Báb et de Bahá'u'lláh. Dans cette ode, on trouve le verset suivant: "L'éclat de la beauté d'Abhá a percé le voile de la nuit; regarde les âmes de ceux qui l'aiment, danser, semblables à des grains de poussière, dans la lumière qui a jailli de sa face." Ce fut sa ferme conviction en la puissance irrésistible de Bahá'u'lláh qui la poussa à faire sa prédiction avec autant de confiance et à lancer son défi de façon si téméraire à la face de ses ennemis. Seule une foi inébranlable en l'efficacité infaillible de cette puissance pouvait l'avoir incitée, aux heures les plus sombres de sa captivité, à affirmer avec un tel courage et une telle assurance l'imminence de sa victoire.
Quelques jours après l'arrivée de Tahirih à Tihrán, Bahá'u'lláh décida de l'envoyer au Khurásán en compagnie des croyants qui se préparaient à partir pour cette province. Il avait, lui aussi, pris la décision de quitter la capitale et d'aller dans la même direction quelques jours plus tard. Il appela donc Aqáy-i-Kalím auprès de lui et le chargea de prendre aussitôt les mesures nécessaires en vue du départ de Tahirih, ainsi que de son assistante Qánitih, vers un lieu situé en dehors des murs de la capitale, d'où elles devaient ensuite se rendre au Khurásán. Aqáy-i-Kalím devait faire preuve d'une attention et d'une vigilance extrêmes, afin que les gardes qui se trouvaient à l'entrée de la ville, et qui avaient reçu l'ordre de refuser le passage aux femmes n'ayant pas d'autorisation, ne pussent découvrir l'identité de Tahirih et interdire son départ.
J'ai entendu Aqáy-i-Kalím raconter ce qui suit: "Plaçant notre confiance en Dieu, nous sortîmes à cheval, Tahirih, son assistante et moi, vers un lieu se trouvant à proximité de la capitale. Aucun des gardes qui se trouvaient à la porte de Shimirán ne fit la moindre objection et ne demanda de renseignement quant à notre destination. A une distance de deux farsangs (15.21) de la capitale, nous fîmes halte au milieu d'un verger abondamment irrigué et situé au pied d'une montagne, au milieu duquel se trouvait une maison apparemment déserte.

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En allant à la recherche du propriétaire, je rencontrai un vieillard qui arrosait ses plantes. En réponse à ma question, il m'expliqua qu'un différend avait éclaté entre le propriétaire et ses locataires à l'issue duquel ceux qui occupaient la maison l'avaient désertée. "Le propriétaire m'a demandé, ajouta-t-il, de surveiller son domaine jusqu'au moment où une solution au différend serait trouvée." Je me réjouis fort de cette information et demandai au vieil homme de venir partager notre déjeuner. Lorsque, plus tard dans la journée, je voulus partir pour Tihrán, je vis qu'il était disposé à surveiller Tahirih et son assistante et à prendre soin d'elles. En confiant celles-ci à ses soins, je lui assurai que je reviendrais le soir même ou enverrais un domestique et que, dans ce dernier cas, je serais là le lendemain matin avec tout ce qui était nécessaire à notre voyage au Khurásán.
A mon arrivée à Tihrán j'envoyai Mullá Báqir, l'une des Lettres du Vivant, accompagné d'un assistant, rejoindre Tahirih. Je mis Bahá'u'lláh au courant de notre départ sans encombres de la capitale. Il fut très heureux de cette nouvelle et donna à ce verger le nom de "Bágh-i-Jannat". (15.22) "Cette maison, observa-t-il, a été aménagée par la Providence pour vous accueillir et pour que vous puissiez y recevoir les bien-aimés de Dieu."
Tahirih demeura sept jours en ce lieu, après quoi elle partit, accompagnée de Muhammad-Hasan-i-Qazvíní, surnommée Fatá, et de quelques autres amis, en direction du Khurásán. Bahá'u'lláh me donna l'ordre de préparer son départ et de pourvoir à tout ce dont elle aurait besoin au cours de son voyage.

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NOTE DU CHAPITRE 15:

(15.1) "On n'étonnera personne", écrit Clément Huart, "en faisant remarquer que la nouvelle secte se répandit dans le Khurásán plus rapidement que partout ailleurs. Le Khurásán a eu cette fortune singulière que les idées nouvelles y ont toujours trouvé le champ le plus approprié; c'est de cette province que sont parties bien des révolutions qui ont changé la face des choses dans l'Orient musulman; il suffit de rappeler que c'est dans le Khurásán que débuta l'idée de la rénovation persane après la conquête arabe, et, que c'est là que se forma l'armée qui, sous les ordres d' 'Abú-Muslim, alla porter les Abbassides sur le trône des Khalifes en renversant l'aristocratie mecquoise qui l'occupait depuis l'avènement des Umayyads". ("La Religion de Bab," pp. 18-19.)

(15.2) Tihrán.

(15.3) "On croit", écrit le lieut-col. P.M. Sykes, "que le douzième Imám ne mourut jamais, mais qu'il disparût en l'an 260 après l'hégire (873 ap. 1.-C.) dans une retraite miraculeuse, de laquelle il réapparaîtra au Jour du Jugement dans la mosquée de Gawhar-Shád à Mashhad, pour être salué en tant que Mihdí ou "Guide" et pour emplir la terre de justice." ("A History of Persia", vol Il, p. 45.)

(15.4) D'après Muhammad Mustafá (p. 108), Táhirih arriva à Karbilá en l'an 1263 après l'hégire. Elle visita Kúfih et le district avoisinant, et s'occupa à répandre les enseignements du Bab. Elle communiqua aux gens qu'elle rencontra les Ecrits de son Maître, parmi lesquels se trouvait son commentaire sur la súrih de Kawthar.

(15.5) "Ce fut dans sa famille qu'elle entendit parler pour la première fois des prédications du Bab à Shíráz et de la nature des doctrines qu'il prêchait. Ce qu'elle en apprit, tout incomplet et imparfait que ce fût, lui plut extrêmement. Elle se mit en correspondance avec le Bab, et bientôt embrassa toutes ses idées. Elle ne se contenta pas d'une sympathie passive; elle confessa en public la foi de son maître; elle s'éleva non seulement contre la polygamie, mais contre l'usage du voile, et se montra à visage découvert sur les places publiques, au grand effroi et au grand scandale des siens et de tous les musulmans sincères, mais aux applaudissements des personnes déjà nombreuses qu partageaient son enthousiasme et dont ses prédications publiques augmentèrent de beaucoup le cercle. Son oncle, le docteur, son père, le juriste, son mari, épuisèrent tout pour la ramener au m ms à une conduite plus placide et plus réservée. Elle les repoussa par ces arguments sans réplique d la foi impatiente du repos." (Comte de Gobineau, "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie centrale", pp. 137-8.)

(15.6) D'après Samandar (manuscrit, p. 9), le principal motif de l'agitation des habitants de Karbilá, motif qui les décida à accuser Táhirih devant le gouverneur de Baghdád, fut son acte hardi de négliger l'anniversaire du martyre de Husayn que l'on commémorait aux premiers jours du mois de muharram chez feu Siyyid Kázim à Karbilá, et de célébrer à la place l'anniversaire de la naissance du Bab qui tombait le premier de ce même mois. On dit même qu'elle aurait prié ses soeurs et ses parents de quitter leurs habits de deuil et de porter à leur place un vêtement de couleur gaie, défiant ainsi ouvertement les coutumes et les traditions des gens à cette occasion.

(15.7) D'après Muhammad Mustafá (pp. 108-9), les disciples et les compagnons suivants accompagnaient Táhirih lorsque celle-ci arriva à Baghdád: Mullá Ibráhim-i-Mahallati, Shaykh Sálih-iKarimí, Siyyid Ahmad-i-Yazdí (père de Siyyid Husayn, le secrétaire du Bab), Siyyid Muhammad-iBáyigání, Shaykh Sultán-i-Karbilá'i, la mère de Mullá Husayn et sa fille, l'épouse de Mírzá Hádiy-i-Nahrí et sa mère. D'après le "Kashfu'l-Ghitá" (p. 94), la mère et la soeur de Mullá Husayn se trouvaient parmi les femmes et les disciples qui accompagnèrent Táhirih dans son voyage de Karbilá à Baghdád. À leur arrivée, ils s'installèrent tous chez Shaykh Muhammad-Ibn-i-Shiblu'l-'Aráqí, après quoi ils furent, par ordre du gouverneur de Baghdád, transférés à la maison du mufti, Siyyid Mahmúd-i-Álúsí, le célèbre auteur du non moins fameux commentaire qui a pour titre "Rúhu'l-Ma'ání", en attendant la réception de nouvelles instructions du sultán à Constantinople. Le "Kashfu'l-Ghitá" ajoute plus loin (p. 96) qu'on aurait trouvé dans le "Rúhu'l-Ma'ání" des références aux conversations que le muftí avait eues avec Táhirih, à qui il aurait adressé ces paroles: Ô Qurratu'l-'Ayn! Je jure par Dieu que je partage ta croyance. Je crains cependant les épées de la famille d' Uthmán." "Elle se rendit directement chez le muftí en chef, devant qui elle défendit sa croyance et sa conduite avec un grand talent. La question de savoir si on devait lui permettre de continuer son enseignement fut d'abord soumise au Páshá de Baghdád, puis au gouvernement central; en conséquence, elle reçut l'ordre de quitter le territoire turc." Ç 'A Traveller's Narrative", note Q, p. 310.)

(15.8) D'après Muhammad Mustafá (p. 111), les personnes suivantes accompagnèrent Táhirih de Khániqín (sur la frontière persane) à Kirmánsháh: Shaykh Sálih-i-Karímí, Shaykh Muhammad-i-Shibl, Shaykh Sultán-i-Karbilá'i, Siyyid Ahmad-i-Yazdí, Siyyid Muhammad-i-Báyigání, Siyyid Muhsin-i-Kázimí, Mullá Ibráhim-i-Mahallátí, et environ trente croyants arabes. Ils passèrent trois jours dans le village de Karand, où Táhirih proclama avec hardiesse les enseignements du Bab et réussit largement à susciter l'intérêt pour la nouvelle révélation parmi toutes les classes de la population. Douze cents personnes se seraient, dit-on, déclarées prêtes à la suivre et a obéir à ses ordres.

(15.9) D'après Muhammad Mustafá (p. 112), on réserva à Táhirih un accueil enthousiaste à son arrivée à Kirmánsháh. Princes, 'Ulamás et officiels du gouvernement se hâtèrent d'aller lui rendre visite et furent fort impressionnés par son éloquence, sa hardiesse, son vaste savoir et la force de son caractère. Le commentaire sur la súrih de Kawthar, révélé par le Bab, fut lu en public et traduit. La femme de l'amír, le gouverneur de Kirmánsháh, fut de celles qui rencontrèrent Táhirih et l'entendirent exposer les enseignements sacrés. L'amír lui-même, ainsi que sa famille, reconnurent la vérité de la cause et témoignèrent de leur admiration et de leur amour pour Táhirih. D'après Muhammad Mustafá (p. 116), Táhirih passa deux jours dans le village de Sahnih, sur le chemin de Hamadán, où elle reçut un accueil non moins enthousiaste que celui qu'on lui avait réservé au village de Karand. Les habitants du village la prièrent de leur permettre de réunir les membres de leur communauté et de prêter main forte au corps de ses disciples dans la propagation et la promotion de la cause. Elle leur conseilla cependant de rester sur place, loua et bénit leurs efforts et partit pour Hamadán.

(15.10) D'après "Memorials of the Faithful" (p. 275), Táhirih passa deux mois à Hamadán.

(15.11) " D'après Muhammad Mustafá (p. 117), parmi ceux qui avaient été envoyés de Qazvín se trouvaient les frères de Táhirih.

(15.12) Voir glossaire.

(15.13) "Comme une femme, créature si faible en Perse, et surtout dans une ville comme Qazvín, où le clergé possède une si grande influence, où les 'Ulamás, par leur nombre et leur importance, attirent l'attention du gouvernement et du peuple, comment se peut-il que là, justement, dans des conditions si peu favorables, une femme ait pu organiser un parti si puissant d'hérétiques? C'est là une question qui déconcerte quelque peu même l'historien de la Perse, Sipihr; c'était en effet sans exemple dans le passé." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 474)

(15.14) 13 août - 12 septembre 1847 ap. J-C.

(15.15) Voir glossaire.

(15.16) Voir glossaire.

(15.17) Voir glossaire.

(15.18) Qur'án, 9: 33.

(15.19) D'après le "Kashfu'l Ghitá" (p. 110), Mullá Husayn aurait, selon les dires de Mullá Ja'far-i-Vá'iz-i-Qazvíni, rencontré Táhirih à Qazvín, chez Áqá Hádí, qui n'est probablement autre que Muhammad Hádíy-i-Farhádí, qui fut chargé par Bahá'u'lláh d'amener Táhirih à Tihrán. La rencontre, y déclare-t-on, aurait eu lieu avant le meurtre de Mullá Taqí.

(15.20) 'Abdu'l-Bahá raconte, dans "Memorials of the Faithful" (p. 306), les circonstances relatives à une visite rendue par Vahíd à Táhirih au moment où celle-ci résidait chez Bahá'u'lláh à Tihrán. "Táhirih, écrit-il, écoutait, voilée, les paroles de Vahíd, qui discourait avec ferveur et éloquence sur les signes et les versets qui témoignaient de l'avènement de la nouvelle Manifestation. J'étais alors un enfant, et j'étais assis sur ses genoux tandis qu'elle suivait le récit des remarquables témoignages qui jaillissaient sans cesse de la bouche de cet homme érudit. Je me rappelle très bien comment elle l'interrompit soudain et, élevant la voix, déclara avec véhémence: Ô Yahyá! Que les actes, et non les paroles, témoignent de ta foi, si tu es on homme de savoir authentique. Cesse de répéter vainement les traditions du passé, car le jour du service, de l'action soutenue, est venu. Il est temps, à présent, de manifester les véritables signes de Dieu, de déchirer les voiles des vaines imaginations, de promouvoir le Verbe de Dieu, et de nous sacrifier dans son sentier. Ornons-nous d'actes, et non de paroles."

(15.21) Voir glossaire.

(15.22) "Jardin du paradis".



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CHAPITRE XVI : la conférence de Badasht

Peu après le départ de Tahirih pour le Khurásán, Bahá'u'lláh chargea Áqáyi-i-Kalím de faire les préparatifs nécessaires au départ qu'il envisageait pour cette province. Il lui confia sa famille et lui demanda de pourvoir à tout ce qui pourrait contribuer à assurer sa sécurité et son bien-être.
Lorsque Bahá'u'lláh arriva à Sháh-Rúd, il y rencontra Quddús qui avait quitté Mashhad, ville où il avait résidé, dès qu'il avait appris sa venue pour aller lui souhaiter la bienvenue. La province de Khurásán tout entière était en ce temps-là en proie à une violente agitation. Les activités de Quddús et de Mullá Husayn, leur zèle, leur courage, leur langage franc, avaient sorti les gens de leur léthargie, avaient allumé dans le coeur de certains d'entre eux les plus nobles sentiments de foi et de dévotion, et suscité chez d'autres un fanatisme et une malveillance passionnés. Une foule de chercheurs affluaient sans cesse de partout vers Mashhad, cherchant impatiemment la résidence de Mullá Husayn et, par ce dernier, étaient introduits auprès de Quddús.
Leur nombre atteignit bientôt des proportions telles qu'il suscita l'appréhension des autorités. L'officier de paix voyait d'un oeil soucieux des multitudes de personnes agitées affluer continuellement vers tous les quartiers de la ville sainte. Désireux d'affirmer ses droits, d'intimider Mullá Husayn, et d'amener celui-ci à limiter le champ de ses activités, il décréta l'ordre d'arrêter aussitôt l'assistant personnel de ce dernier, un nommé Hasan, et de le soumettre à un traitement cruel et ignoble. On lui perça le nez, puis on passa à travers l'orifice une corde par laquelle on le tira pour le promener à travers les rues.
Mullá Husayn se trouvait auprès de Quddús lorsqu'il apprit la nouvelle du traitement ignominieux qui frappait son serviteur. De peur que cette triste nouvelle ne brisât le coeur de son chef bien-aimé, il se leva et se retira en silence. Ses compagnons se rassemblèrent bientôt autour de lui, lui exprimèrent leur indignation devant l'attaque atroce portée contre un disciple de leur foi aussi innocent, et le prièrent de venger l'affront. Mullá Husayn tenta de calmer leur colère.

<P274>

"Ne vous laissez pas affliger ni troubler, plaida-t-il, par l'indigne traitement dont a été victime notre Hasan, car Husayn est encore parmi vous, il va le libérer et vous le ramener sain et sauf dès demain."
Devant une assurance aussi solennelle, ses compagnons n'osèrent plus faire aucune remarque. Leurs coeurs, cependant, brûlaient de réparer ce tort cruel. Certains d'entre eux décidèrent finalement de s'unir et de lancer très haut le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán !" (16.1) à travers les rues de Mashhad, pour protester contre ce brusque affront porté à la dignité de leur foi. Ce cri fut le premier en son genre à être lancé dans le Khurásán au nom de la cause de Dieu. La ville retentit du son de ces voix. L'écho de leurs cris atteignit même les régions les plus lointaines de la province, souleva un grand tumulte dans le coeur des habitants et fut le signal de départ de formidables événements ni qui devaient voir le jour ultérieurement.
Au milieu de la confusion qui s'ensuivit, ceux qui tenaient la corde par laquelle Hasan était traîné à travers les rues périrent par l'épée. Les compagnons de Mullá Husayn conduisirent le prisonnier relâché chez leur chef et informèrent celui-ci du sort qu'avait subi l'oppresseur. "Vous avez refusé", aurait observé Mullá Husayn "de tolérer les épreuves auxquelles Hasan a été soumis; comment pourriez-vous vous résigner au martyre de Husayn ?" (16.2)
La ville de Mashhad qui venait de retrouver la paix et le calme après la rébellion que le Sálár avait provoquée, fut plongée à nouveau dans la confusion et la détresse. Le prince Hamzih Mírzá se tenait
avec ses hommes et ses munitions à une distance d'environ 4 farsangs (16.3) de la ville, prêt à faire face à tout danger, lorsque soudain lui parvint la nouvelle des troubles qui venaient d'éclater. Il envoya aussitôt vers la ville un détachement chargé d'obtenir l'aide du gouverneur pour l'arrestation de Mullá Husayn et d'amener ce dernier auprès de lui. 'Abdu'l-'Alí Khán-i-Marághiyí, capitaine de l'artillerie du prince, intervint aussitôt. "Je me considère, fit-il valoir, comme l'un de ceux qui aiment et admirent Mullá Husayn. Si vous avez l'intention de lui faire le moindre mal, je vous prie de m'ôter d'abord la vie et de procéder ensuite à l'exécution de votre plan, car je ne puis, aussi longtemps que je suis en vie, tolérer le moindre irrespect envers cet homme."
Le prince, qui savait parfaitement combien il avait besoin de cet officier, fut fort embarrassé par cette déclaration inattendue. "Moi aussi, j'ai rencontré Mullá Husayn", répondit-il en essayant de dissiper l'appréhension d'Abdu'l-'Alí Khán.

<P275 >

"Moi aussi, je nourris la plus grande dévotion à son égard. En l'appelant dans mon camp, j'espère réduire l'ampleur des méfaits qui ont été suscités, et sauvegarder sa personne." Le prince adressa alors de sa propre main une lettre à Mullá Husayn, dans laquelle il exprimait le caractère hautement souhaitable du transfert de sa résidence, pour quelques jours, à son quartier général, et l'assura de son désir sincère de le protéger contre les attaques de ses adversaires exaspérés. Il donna l'ordre de dresser sa propre tente richement ornée à proximité de son camp et de la réserver à la réception de son hôte attendu.
Dès qu'il reçut cette lettre, Mullá Husayn la présenta à Quddús qui lui conseilla de répondre à l'invitation du prince. "Aucun mal ne vous sera fait", lui assura Quddús. "Quant à moi, je partirai cette nuit même en compagnie de Mírzá Muhammad 'Alíy-i-Qazvíní, l'une des Lettres du Vivant, pour le Mázindarán. Plût à Dieu que vous aussi, vous puissiez par après, à la tête d'un grand groupe de fidèles, et précédé par les "étendards noirs", quitter Mashhad et me rejoindre. Nous nous rencontrerons alors à l'endroit que le Tout-Puissant aura décrété."
Mullá Husayn accepta joyeusement ces projets. Il se jeta aux pieds de Quddús et l'assura de sa ferme détermination de mener à bien avec fidélité les obligations dont il l'avait chargé. Quddús le prit affectueusement dans ses bras et, après lui avoir baisé les yeux et le front, le confia à la protection infaillible du Tout-Puissant. Tôt cet après-midi-là, Mullá Husayn prit sa monture et se rendit à cheval, calme et digne, au camp du prince Hamzih Mírzá et fut conduit, avec cérémonie, par 'Abdu'l-'Alí Khán qui, avec quelques officiers, avait été désigné par le prince pour aller souhaiter la bienvenue à son hôte, dans la tente qui avait été spécialement dressée à son intention.
Cette nuit-là, Quddús appela auprès de lui Mírzá Muhammad Báqir-i-Qá'iní, qui avait construit le Bábíyyih, ainsi que certains de ses compagnons les plus éminents, leur enjoignit d'obéir inconditionnellement à Mullá Husayn et d'exécuter tout ce qu'il pût être amené à leur demander. "Des tempêtes orageuses nous attendent", leur dit-il. "Des journées de tension et d'agitation violentes sont imminentes. Restez attachés à lui, car seule l'obéissance à ses ordres peut vous sauver."

<P276>

Par ces paroles, Quddús dit adieu à ses compagnons et, suivi de Mírzá Muhammad 'Alíy-i-Qazvíní, quitta Mashhad. Quelques jours après, il rencontra Mírzá Sulaymán-i-Núrí, qui le mit au courant des circonstances relatives à la libération de Tahirih de son emprisonnement à Qazvín, de son voyage vers le Khurásán et du départ ultérieur de Bahá'u'lláh de la capitale. Mírzá Sulaymán, ainsi que Mírzá Muhammad-'Alí, restèrent en compagnie de Quddús jusqu'à leur arrivée à Badasht. Ils atteignirent ce hameau à l'aube et y trouvèrent un grand rassemblement de personnes qu'ils reconnurent comme étant leurs frères dans la foi. Ils décidèrent cependant de reprendre leur voyage et de se rendre directement à Sháh-Rúd. A proximité de ce village, Mírzá Sulaymán, qui les suivait à quelque distance, rencontra Muhammad-i-Haná-Sáb qui faisait route vers Badasht. En réponse à sa question concernant l'objet de ce rassemblement, Mírzá Sulaymán apprit que Bahá'u'lláh et Tahirih avaient, quelques jours auparavant, quitté Sháh-Rúd pour ce hameau, qu'un grand nombre de croyants étaient déjà arrivés d'Isfáhán, de Qazvín et d'autres villes de la Perse, et attendaient Bahá'u'lláh pour l'accompagner dans son voyage prévu vers le Khurásán. "Dites à Mullá Ahmad-iIbdál, qui est à présent à Badasht", remarqua Mírzá Sulaymán, "que ce matin même une lumière a brillé sur vous, lumière dont vous n'avez pas reconnu l'éclat." (16.4)

PHOTO: village de Sháh-Rúd

<P277>

Dès que Bahá'u'lláh apprit, par l'intermédiaire de Muhammad-i-Haná-Sáb, que Quddús était arrivé à Sháh-Rúd, il décida d'aller le rejoindre. Assisté de Mullá Muhammad-i-Mu'allim-i-Núrí, il partit à cheval, le même soir, vers ce village et retourna avec Quddús à Badasht le lendemain au lever du soleil.
C'était alors le début de l'été. A son arrivée, Bahá'u'lláh loua trois jardins; il en mit un à la disposition exclusive de Quddús, un autre à celle de Tahirih et de son assistante, et réserva le troisième pour lui-même. Ceux qui s'étaient réunis à Badasht étaient au nombre de quatre-vingt-un; ils furent tous, depuis leur arrivée jusqu'à la conclusion de la réunion, les hôtes de Bahá'u'lláh. Chaque jour, celui-ci révélait une Tablette que Mírzá Sulaymán-i-Núrí psalmodiait en présence des croyants réunis. A chacun de ceux-ci, il conféra un nouveau nom. Il fut lui-même désormais désigné sous le nom de Bahá ; à la dernière Lettre du Vivant fut attribué le nom de Quddús et à Qurratu'l-'Ayn celui de Tahirih. A l'intention de chacun de ceux qui s'étaient réunis à Badasht, le Báb devait révéler une Tablette spéciale dans laquelle il les appelait par le nom qui leur avait été récemment octroyé. Lorsque, plus tard, quelques-uns des condisciples parmi les plus stricts et les plus conservateurs décidèrent d'accuser Tahirih de rejeter inconsidérément les traditions de tout temps respectées dans le passé, le Báb, à qui ces plaintes avaient été adressées, répondit: "Que puis-je dire de celle que la Langue de puissance et de gloire a surnommée Tahirih (la pure)?"
Chaque journée de cette mémorable réunion vit l'abrogation d'une nouvelle loi et le rejet d'une tradition établie de longue date. Les voiles qui protégeaient la sainteté des rites de l'islám furent impitoyablement déchirés, et les idoles qui avaient si longtemps été l'objet de l'adoration de leurs fidèles aveugles furent brutalement brisées.

PHOTO: hameau de Badasht

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Personne ne sut, cependant, de quelle source procédaient ces innovations hardies et provocatrices; personne ne soupçonna la main qui dirigeait si fermement et si inébranlablement leurs cours. Même l'identité de celui qui avait conféré un nouveau nom à chacun de ceux qui s'étaient réunis dans ce hameau resta ignorée de ceux qui les avaient pro reçus. Chacun fit des suppositions suivant son propre degré de compréhension. Peu de gens, s'il en fut, soupçonnèrent que Bahá'u'lláh était l'auteur des réformes de grande portée qui venaient d'être introduites avec tant de courage.
Shaykh Abú-Turáb, l'un des mieux informés quant à la nature événements de Badasht, aurait raconté l'incident suivant: "La maladie avait un jour obligé Bahá'u'lláh à garder le lit. Dès que Quddús apprit son indisposition, il se hâta d'aller lui rendre visite. Il s'assit, lorsqu'il fut introduit auprès de lui, à la droite de Bahá'u'lláh. Les autres compagnons vinrent petit à petit se grouper autour de lui. A peine s'étaient-ils réunis que Muhammad Hasan-i-Qazvíní, le messager de Tahirih, à qui venait d"être donné le surnom de Fata'l-Qazvíní, entra soudain et transmit à Quddús une invitation pressante de Tahirih à venir lui rendre visite dans son propre jardin. "Je me suis totalement séparé d'elle", répondit Quddús avec hardiesse et d'un ton résolu. "Je refuse de la rencontrer." (16.5) Le messager se retira aussitôt, puis revint peu après renouveler la même demande et presser Quddús de se conformer à l'appel urgent de Tahirih. "Elle insiste pour que vous lui rendiez visite, furent ses paroles. Si vous persistez dans votre refus, elle viendra elle-même vous voir." Voyant l'attitude intransigeante de Quddús, le messager dégaina son épée, la posa aux pieds de celui-ci et dit: "Je refuse de partir sans vous. Ou bien vous m'accompagnez chez Tahirih, ou bien vous me coupez la tête avec cette épée." "J'ai déjà exprimé mon intention de ne pas aller voir Tahirih", répondit Quddús en colère. "Je suis prêt à me conformer au choix que vous me proposez."
"Muhammad-Hasan, qui s'était assis aux pieds de Quddús, avait tendu son cou pour recevoir le coup fatal lorsque soudain la figure de Tahirih, parée et sans voile, apparut aux yeux des compagnons
assemblés. La consternation s'empara aussitôt de tous. (16.6) Tous furent frappés de stupeur devant cette apparition soudaine et des plus inattendues. Contempler son visage dévoilé leur paraissait chose inconcevable. Même regarder son ombre était considéré par eux comme un acte impur étant donné qu'ils voyaient en elle l'incarnation même de Fátimih (16.7) l'emblème de chasteté le plus noble à leurs yeux.

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"Tranquillement, en silence et avec une dignité extrême, Tahirih s'avança vers Quddús et alla s'asseoir à sa droite. Sa sérénité imperturbable contrastait vivement avec les traits effrayés de ceux qui regardaient son visage. La peur, la colère et l'étonnement remuaient les profondeurs de leur âme. Cette révélation soudaine semblait avoir paralysé leurs facultés. 'Abdu'l-Kháliq-i-Isfáhání fut si gravement bouleversé qu'il se coupa la gorge de ses propres mains. Couvert de sang et hurlant d'émotion, il s'enfuit de la vue de Tahirih. Quelques-uns, suivant son exemple, abandonnèrent leurs compagnons et délaissèrent la foi. On vit certains d'entre eux rester muets devant Tahirih, tout ébahis. Quddús, pendant ce temps, était resté assis à sa place, tenant dans sa main l'épée nue, sa face trahissant un sentiment de colère inexprimable. C'était comme s'il attendait le moment où il pourrait porter son coup fatal à Tahirih.
"Son attitude menaçante ne parvint toutefois pas à émouvoir Tahirih. Son expression gardait la même dignité et la même confiance qu'elle révélait depuis le moment de son apparition devant les croyants assemblés. Un sentiment de joie et de triomphe éclairait à présent son visage. Elle se leva de son siège et, nullement troublée par le tumulte qu'elle avait provoqué chez ses compagnons, commença à s'adresser au reste de l'assemblée. Sans la moindre préméditation et dans un langage qui ressemblait de manière frappante à celui du Qur'án, elle lança son appel avec une inégalable éloquence et une profonde ferveur. Elle conclut par le verset suivant du Qur'án: "En vérité, au milieu de jardins et de rivières, les âmes pieuses demeureront sur le siège de vérité, en présence du puissant Roi." En prononçant ces paroles, elle jeta un regard furtif à la fois sur Quddús et sur Bahá'u'lláh, de sorte que ceux qui la regardaient ne purent savoir auquel d'entre eux elle faisait allusion. Aussitôt après, elle déclara: "Je suis la parole que le Qá'im doit prononcer, la parole qui fera fuir les chefs et les nobles de la terre!" (16.8)
"Elle se tourna ensuite vers Quddús et le blâma d'avoir manqué d'accomplir dans le Khurásán ce qui lui semblait à elle essentiel à la sauvegarde de la foi. "Je suis libre de suivre l'aiguillon de ma propre conscience, rétorqua Quddús. Je ne suis pas soumis à la volonté et au bon plaisir de mes condisciples." Se détournant alors de lui, Tahirih invita ceux qui étaient présents à célébrer d'une manière digne cette grande rencontre. "Ce jour est le jour de festivité et de réjouissance universelles, ajouta-t-elle, le jour où les entraves du passé sont brisées. Que ceux qui ont participé à cette grande réalisation se lèvent et s'embrassent."

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Cette journée mémorable, ainsi que celles qui la suivirent immédiatement, virent naître les réformes les plus révolutionnaires dans la vie et les habitudes des disciples du Báb réunis. La manière cultuelle de ceux-ci subit une transformation soudaine et fondamentale. Les prières et les rites auxquels ces adorateurs dévots avaient été formés furent irrévocablement abandonnés. Une grande Confusion régna cependant parmi ceux qui s'étaient levés avec tant de zèle pour défendre ces réformes. Quelques-uns condamnèrent un changement si radical car ils y voyaient l'essence de l'hérésie, et refusèrent d'annuler ce qu'ils considéraient comme les préceptes inviolables de l'islám. Certains considérèrent Tahirih comme l'unique juge en de telles affaires et la seule personne qualifiée pour exiger une obéissance inconditionnelle de la part des fidèles. D'autres, qui dénoncèrent son comportement, s'en tinrent à Quddús en qui ils voyaient l'unique représentant du Báb, la seule personne habilitée à se prononcer sur des sujets aussi importants. D'autres encore, qui reconnurent aussi bien l'autorité de Tahirih que celle de Quddús, ne virent dans tout cet épisode qu'une épreuve envoyée par Dieu et destinée à séparer le vrai du faux et à distinguer le fidèle du perfide.
Tahirih elle-même se hasarda en quelques occasions à rejeter l'autorité de Quddús. "Je le considère, aurait-elle déclaré, comme un élève que le Báb m'a envoyé pour que je l'édifie et l'instruise. Je ne le vois pas sous un autre angle." Quddús ne manqua pas, de son côté, de dénoncer Tahirih comme "l'auteur d'hérésie" et stigmatisa l'attitude de ceux qui soutenaient ses vues en les traitant de "victimes de l'erreur". Cet état de tension persista pendant quelques jours jusqu'au moment où Bahá'u'lláh intervint et que de sa manière magistrale, il réalisa entre eux une réconciliation complète. Il guérit les plaies que cette vive controverse avait causées et dirigea les efforts des deux adversaires sur le chemin du service constructif. (16.9)
Le but de cette mémorable réunion avait été atteint. (16.10) L'appel du nouvel ordre avait été lancé. Les conventions surannées qui avaient entravé la conscience des hommes furent hardiment défiées et balayées avec intrépidité. La voie était libre pour la proclamation des lois et des préceptes qui étaient destinés à introduire la nouvelle dispensation. Le reste des compagnons qui s'étaient réunis à Badasht décida par conséquent de partir pour le Mázindarán. Quddús et Tahirih prirent place dans le même howdah, (16.11) que Bahá'u'lláh avait préparé en vue de leur voyage. Chemin faisant, Tahirih composa chaque jour une ode et pria ceux qui l'accompagnaient de la psalmodier en suivant son howdah.

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Les montagnes et les vallées résonnaient des cris par lesquels ce groupe enthousiaste annonçait, tout en allant vers le Mázindarán, l'extinction du jour ancien et la naissance du jour nouveau.
Le séjour de Bahá'u'lláh à Badasht dura vingt-deux jours. Au cours de leur voyage vers le Mázindarán, quelques disciples du Báb tentèrent d'abuser de la liberté que la répudiation des lois et des préceptes d'une foi surannée leur avait conférée. Ils voyaient dans le geste sans précédent de Tahirih, qui avait consisté à ôter le voile, un signal pour transgresser les limites de la modération et satisfaire leurs désirs égoïstes. Les excès dans lesquels tombèrent quelques-uns provoquèrent la colère du Tout-Puissant et entraînèrent leur dispersion immédiate. Dans le village de Níyálá, ils furent cruellement éprouvés et subirent de graves dommages des mains de leurs ennemis. Cet éparpillement étouffa les méfaits que quelques irresponsables parmi les adeptes de la foi avaient cherché à provoquer, et préserva l'honneur et la dignité de celle-ci.
J'ai entendu Bahá'u'lláh lui-même décrire cet incident: "Nous étions tous réunis dans le village de Níyálá et nous reposions au pied d'une montagne, lorsqu'à l'aube nous fûmes soudain réveillés par les pierres que les gens du voisinage lançaient sur nous du sommet de la montagne.

PHOTO: le howdah persan

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La férocité de leur attaque incita nos compagnons à s'enfuir, terrifiés et consternés. J'habillai Quddús de mes propres vêtements et l'envoyai vers un endroit sûr où j'entendais le rejoindre. Lorsque j'y parvins, je découvris qu'il était parti. Personne parmi nos compagnons n'était resté à Níyálá, hormis Tahirih et un jeune homme de Shiraz, Mírzá 'Abdu'lláh. La violence de l'attaque menée contre nous avait semé la désolation dans notre camp. Je ne trouvai personne à qui je puisse Confier Tahirih, personne à part ce jeune homme qui fit preuve a cette occasion d'un courage et d'une détermination vraiment surprenants. L'épée à la main, indompté malgré le sauvage assaut des habitants de ce village qui s'étaient rués pour piller nos biens, il bondissait en avant pour arrêter la main de l'assaillant. Bien qu'il fût lui-même blessé à plusieurs endroits du corps, il risqua sa vie pour protéger nos biens. Je le priai de renoncer à son acte. Lorsque le tumulte se fut apaisé, je m'approchai de quelques-uns des habitants du village et je pus les persuader de la cruauté et de l'ignominie de leur comportement. Je parvins ensuite à recouvrer une partie de nos biens pillés."
Bahá'u'lláh se rendit à Nur en compagnie de Tahirih et de l'assistant de celle-ci. Il désigna Shaykh Abú-Turáb pour veiller sur elle et assurer sa protection et sa sécurité. Pendant ce temps, les fauteurs de troubles s'efforçaient d'exciter la colère de Muhammad Sháh contre Bahá'u'lláh et, en présentant celui-ci comme le premier auteur des troubles de Sháh-Rúd et du Mázindarán, parvinrent enfin à persuader le souverain de le faire arrêter. "J'ai jusqu'à présent", aurait remarqué le Sháh avec colère, "refusé de prêter attention à ce qu'on racontait contre lui. Mon indulgence était motivée par ma reconnaissance pour les services que son père a rendus à mon pays. Cette fois-ci, cependant, je suis décidé à le mettre à mort."
Il donna en conséquence l'ordre à l'un de ses officiers qui se trouvait à Tihrán d'envoyer à son fils, qui résidait au Mázindarin, les instructions nécessaires pour arrêter Bahá'u'lláh et l'emmener à la capitale. Le fils de cet officier reçut la communication le jour précédant la réception qu'il avait préparée à l'intention de Bahá'u'lláh, auquel il était profondément attaché. Il fut fort affligé et ne divulgua la nouvelle à personne. Bahá'u'lláh, cependant, s'aperçut de sa tristesse et lui conseilla de mettre sa confiance en Dieu. Le jour suivant, alors que son ami l'accompagnait chez lui, ils rencontrèrent un cavalier qui venait de Tihrán. "Muhammad Sháh est mort!" s'exclama l'hôte dans le dialecte de Mázindarán en se hâtant d'aller rejoindre Bahá'u'lláh, après une brève conversation avec le messager.

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Il tira de sa poche l'ordre impérial et le montra à Bahá'u'lláh. Le document avait perdu son efficacité. Cette nuit-là, Bahá'u'lláh la passa en compagnie de son hôte dans une atmosphère de joie et de calme que rien ne vint troubler.
Quddús était, pendant ce temps, tombé aux mains de ses adversaires et avait été emprisonné à Sárí chez Mírzá Muhammad-Taqí, le principal mujtahid de cette ville. Le reste de ses compagnons, après leur dispersion à Níyálá, s'étaient éparpillés en tous sens, chacun apportant à ses condisciples la nouvelle des importants événements de Badasht.

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NOTE DU CHAPITRE 16:

(16.1) "Ô seigneur de l'Age!" l'un des titres du Qá'ím promis.

(16.2) Allusion à son propre martyre.

(16.3) Voir glossaire.

(16.4) Allusion à Quddús.

(16.5) D'après le "Kashfu'l-Ghitá", une décision avait été prise auparavant par Quddús et Táhirih, décision selon laquelle cette dernière devait proclamer publiquement le caractère indépendant de la Révélation du Bab et insister sur l'abrogation des lois et ordonnances de la Dispensation précédente. Quddús, d'autre part, devait s'opposer à ses affirmations et rejeter avec force ses vues. Cet arrangement avait été mis sur pied dans le but d'atténuer les effets d'une proclamation aussi défiante et d'aussi grande portée, afin d'écarter les dangers et les périls qu'une innovation aussi foudroyante devait à coup sûr entraîner (p. 211). Bahá'u'lláh semble avoir pris une attitude neutre dans cette controverse quoiqu'en réalité, il en fût le promoteur, et qu'il contrôlât et dirigeât les différentes phases de cet épisode mémorable.

(16.6) "Mais l'effet produit avait été foudroyant. Les uns se cachèrent la face avec leurs mains, d'autres se prosternèrent, d'autres s'enveloppèrent la tête de leur vêtement pour ne point voir le visage de Son Altesse la Pure. Si regarder le visage d'une femme inconnue et qui passe est un grave péché, quel crime n'était-ce pas que de porter les yeux sur la sainte qu'elle était ... La séance fut levée au milieu d'un tumulte indescriptible. Les injures pleuvaient à l'adresse de la femme assez indécente pour se montrer ainsi à visage découvert, les uns affirmèrent qu'elle était devenue subitement folle, les autres que c'était une dévergondée, quelques-uns bien rares prirent sa défense." (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Bab," pp. 283-4)

(16.7) Fille de Muhammad, et femme de l'Imám'Álí.

(16.8) Se référer à la page 15.

(16.9) "Ce fut cet acte hardi de Qurratu'l-'Ayn qui secoua les fondements d'une croyance littérale aux doctrines islamiques parmi les Persans. L'on pourrait ajouter que le premier fruit de l'enseignement de Qurratu'l-'Ayn ne fut autre que l'héroïque Quddús, et que l'éloquent professeur devait probablement elle-même sa perspicacité à Bahá'u'lláh. En fait, l'hypothèse selon laquelle son plus grand ami aurait censuré son acte n'est qu'une amusante ironie." ("The Reconciliation of Races and Religions", pp. 103-4).

(16.10) 'On a suggéré que le véritable motif de la convocation de cette assemblée était l'anxiété qu'on avait pour le sort du Bab et un désir d'amener celui-ci vers un lieu sûr . Mais l'opinion la plus admise - celle selon laquelle le problème posé devant le concile était la relation des Babis avec les lois islamiques - est également la plus probable (Ibid, p. 80). "L'objectif de la conférence était de corriger un malentendu fort répandu. Il y avait beaucoup de gens qui pensaient que le nouveau chef venait accomplir, dans le sens le plus littéral, la Loi islamique. Ils se rendaient compte, en fait, que l'objectif de Muhammad était d'apporter un royaume universel de droiture et de paix, usais ils pensaient que ceci devait se faire en avançant à travers des courants de sang, et grâce aux jugements divins. Le Bab, d'autre part, quoique n'étant pas toujours d'accord, commençait à pencher, avec quelques-uns de ses disciples, pour une persuasion morale; son arme unique était "l'épée de l'Esprit, qui est le Verbe de Dieu." A l'apparition du Qá'ím, toutes choses seraient renouvelées. Mais le Qá'ím était sur le point d'apparaître, et tout ce qui restait à faire était de préparer sa venue. Il ne devait plus y avoir de distinction entre races supérieures et inférieures, ou entre homme et femme. Désormais, le long voile enveloppant ne devait plus être le signe distinctif de l'infériorité de la femme.

La femme douée de talent dont nous parlons avait sa solution propre et caractéristique du problème... On dit, sous forme de tradition, que Qurratu'l-'Ain elle-même assista voilée à la conférence. S'il en est ainsi, elle ne doit pas avoir perdu de temps pour s'en débarrasser et s'exclamer (on nous le dit) avec ardeur: "Je suis le sou de la trompette, je suis l'appel du clairon", "Gabriel, je réveillerais des âmes endormies." On dit également que ce bref exposé de la femme intrépide fut suivi de la récitation par Bahá'u'lláh de la Súrih de la Résurrection (75). De telles lectures ont souvent un effet écrasant. Le sens profond de tout ceci était que l'humanité était en passe d'entrer dans un nouveau cycle cosmique, pour lequel un nouvel ensemble de lois et de coutumes serait indispensable. "(Dr. T.K. Cheyne, The Reconciliation of Races and Religions", pp. 101-3).

(16.11) Voir glossaire.



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CHAPITRE XVII : l'incarcération du Bab dans la forteresse de Chihriq

L'incident de Níyálá eut lieu au milieu du mois de sha'bàn de l'an 1264 après l'hégire. (17.1) Vers la fin de ce même mois, le Báb fut emmené à Tabriz où il devait subir des mains de ses oppresseurs un affront sévère et humiliant. Cet affront délibéré porté à sa dignité coïncida à peu près avec l'attaque des habitants de Níyálá dirigée contre Bahá'u'lláh et ses compagnons. L'un reçut une volée de pierres lancées par des gens ignorants et batailleurs, tandis que l'autre essuyait des coups de fouet donnés par un ennemi cruel et perfide.
Je raconterai à présent les circonstances qui conduisirent à cette odieuse insulte que les persécuteurs du Báb avaient décidé de lui infliger. Celui-ci avait été, conformément aux ordres de Hájí Mírzá Áqásí, transféré à la forteresse de Chihriq (17.2) et placé sous la surveillance de Yahyá Khán-i-Kurd, dont la soeur était l'épouse de Muhammad Sháh et la mère du Náyibu's-Saltanih. Des instructions explicites et strictes avaient été données par le Grand vazír à Yahyá Khán, instructions l'enjoignant de ne laisser entrer personne auprès de son prisonnier. On l'avait surtout averti de ne pas suivre l'exemple d' 'Alí Khán-i-Mah-Ku'í, qui avait été amené peu à peu à passer outre aux ordres qu'il avait reçus. (17.3)

PHOTO: forteresse de Chihriq

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En dépit du ton emphatique de cet ordre et malgré l'opposition inflexible du tout-puissant Hájí Mírzá Áqásí, Yahyá Khán se trouva dans l'impossibilité de respecter ces instructions. Lui aussi en vint bientôt à ressentir la fascination qu'exerce son prisonnier; lui aussi oublia, dès qu'il entra en contact avec l'esprit du Báb, le devoir qu'il avait à remplir. Dès le début même, l'amour du Báb pénétra son coeur et revendiqua tout son être. Les Kurdes qui vivaient à Chihriq, et dont la haine et le fanatisme contre les shí`ahs dépassaient l'aversion que les habitants de Mah-Ku nourrissaient à l'égard de ce peuple, subirent aussi l'influence transformatrice du Báb. L'amour que celui-ci avait allumé en leurs coeurs fut tel que chaque matin, avant de commencer leur travail quotidien, ils se dirigeaient vers sa prison et, regardant de loin la forteresse qui gardait enfermé leur Bien-Aimé, invoquaient son nom et réclamaient ses bénédictions. Ils se jetaient à terre et cherchaient à raviver leurs âmes par son souvenir. Ils se racontaient volontiers les merveilles de son pouvoir et de sa gloire et se disaient les rêves qui portaient témoignage de la puissance créatrice de son influence. Yahyá Khán ne refusait à personne l'entrée de la forteresse. (17.4) Comme Chihriq ne pouvait en soi héberger le nombre croissant de visiteurs qui affluaient à ses portes, on permit à ceux-ci d'obtenir les logements indispensables à Iskí-Sháhr le vieux Chihriq, qui se trouvait à une heure de marche de la forteresse. Tous les approvisionnements nécessaires au Báb étaient effectués dans la vieille ville et transportés vers sa prison.
Un jour, le Báb demanda qu'on lui achetât du miel. Le prix auquel celui-ci avait été acheté lui sembla exorbitant. Il le refusa et dit: "On aurait certes pu acheter du miel de meilleure qualité à un prix inférieur. Moi qui suis votre exemple, j'ai été marchand de profession. Il vous incombe, dans toutes vos transactions, de suivre ma voie. Vous ne devez ni escroquer votre prochain, ni lui permettre de vous escroquer. Telle était la voie que suivait votre maître. L'homme le plus rusé et le plus capable ne pouvait le tromper; quant à lui, il n'agissait pas mesquinement à l'égard de la créature la plus nécessiteuse et la plus impuissante." Il insista pour que l'assistant qui avait fait cet achat retournât le miel et revînt avec du miel de meilleure qualité acheté à un prix inférieur.

Durant la captivité du Báb dans la forteresse de Chihriq, des événements d'un caractère saisissant causèrent de graves perturbations dans le gouvernement.

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Il devint bientôt évident que quelques-uns des siyyids les plus éminents, les 'ulamás et les officiels du gouvernement de Khuy, avaient épousé la cause du prisonnier et s'étaient totalement identifiés à sa foi. Parmi eux figuraient Mírzá Muhammad-'Alí et son frère Búyúk-Áqá, tous deux siyyids de grand mérite qui s'étaient levés fiévreusement pour proclamer leur foi aux gens de toutes classes et de toutes conditions parmi leurs compatriotes. Ainsi, un flot continuel de chercheurs et de croyants confirmés allaient et venaient entre Khuy et Chihriq.
Il arriva qu'en ce temps-là, un éminent fonctionnaire possédant un grand talent littéraire, Mírzá Asadu'lláh, que le Báb surnomma par la suite Dayyán, et dont les dénonciations véhémentes relatives à son message avaient déçu les espoirs de ceux qui s'étaient efforcés de le convertir, fit un rêve. Lorsqu'il se réveilla, il décida de ne le raconter à personne et, fixant son choix sur deux versets du Qur'án, il adressa au Báb la requête suivante: "J'ai conçu trois choses bien définies dans mon esprit. Je vous demande de m'en révéler la nature." Mírzá Muhammad-'Alí fut chargé de soumettre cette requête écrite au Báb. Quelques jours plus tard, Mírzá Asadu'lláh recevait une réponse écrite de la main du Báb, dans laquelle celui-ci développait dans leur intégralité les circonstances relatives à ce rêve et révélait le texte exact des deux versets du Qur'án. L'authenticité de la réponse provoqua la conversion soudaine de Dayyán. Bien que peu habitué à la marche à pied, il se hâta par le chemin pierreux et escarpé qui menait de Khuy à la forteresse. Ses amis essayèrent de le persuader de se rendre à cheval à Chihriq, mais il refusa leur proposition. Sa rencontre avec le Báb le confirma dans sa croyance et attisa cette ardeur bouillante dont il continua à faire preuve jusqu'à la fin de sa vie.
Cette même année, le Báb avait exprimé son désir de voir quarante de ses compagnons entreprendre chacun la rédaction d'un traité et chercher, à l'aide de versets et de traditions, à établir la validité de sa mission. Ses voeux furent aussitôt exaucés et le résultat des travaux fut soumis à son attention. Le traité de Mírzá Asadu'lláh gagna l'admiration sans réserve du Báb et fut jugé le meilleur à ses yeux. Il lui conféra le nom de Dayyán et révéla en son honneur le Lawh-i-Hurúfát, (17.5) dans lequel il fit la déclaration suivante: "Si le Point du Bayan (17.6) n'avait d'autre témoignage pour établir sa vérité que le fait d'avoir révélé une Tablette semblable à celle-ci, une Tablette telle qu'aucune sommité de savoir ne pourrait produire, cela suffirait."
Le peuple du Bayan, qui ne put concevoir le but fondamental de cette Tablette, pensa qu'elle n'était qu'une simple exposition de la science de Jafr. (17.7)

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Lorsque plus tard, au cours des premières années de l'incarcération de Bahá'u'lláh dans la prison d'Akkà, Jináb-iMuballigh lui fit, de Shiraz, une requête lui demandant d'éclaircir les mystères de cette Tablette, il révéla, par sa plume, une explication, que ceux qui avaient mal interprété les paroles du Báb feraient bien d'examiner. Bahá'u'lláh tirait des déclarations du Báb la preuve irréfutable que l'apparition du Man-Yuzhiruhu'lláh (17.8) devait avoir lieu au moins dix-neuf années après la déclaration du Báb. Le mystère du Mustagháth (17.9) avait pendant longtemps tenu en échec les esprits les plus chercheurs parmi le peuple du Bayan et s'était avéré un obstacle insurmontable sur le chemin de la reconnaissance du Promis. Le Báb avait lui-même, dans cette Tablette, dévoilé ce mystère; personne, cependant, ne fut capable de comprendre l'explication qu'il avait donnée. C'était Bahá'u'lláh qui devait la dévoiler aux yeux de tous les hommes.
Le zèle infatigable dont fit preuve Mírzá Asadu'lláh incita son père, qui était un ami intime de Hájí Mírzá Aqásí, à raconter à ce dernier les circonstances qui menèrent à la conversion de son fils, et à l'informer de sa négligence dans l'exécution des devoirs que l'Etat lui avait imposés. Il insista longuement sur l'empressement avec lequel un serviteur du gouvernement aussi capable s'était levé pour servir son nouveau maître, et sur le succès qui avait couronné ses efforts.
Une autre cause d'appréhension pour les autorités gouvernementales résidait dans l'arrivée à Chihriq d'un dervish qui était venu de l'Inde et qui, dès sa première rencontre avec le Báb, reconnut la vérité de sa mission. Tous ceux qui rencontrèrent ce dervish, que le Báb avait surnommé Qahru'lláh, durant son séjour à Iskí-Sháhr, ressentirent la chaleur de son enthousiasme et furent profondément impressionnés par la fermeté de sa conviction. Un nombre croissant de personnes s'étaient éprises du charme de sa personnalité et avaient reconnu spontanément la puissance de sa foi. L'influence qu'il exerçait sur elles était telle que certains croyants furent portés à le considérer comme un interprète de la révélation divine, bien que lui-même désavouât totalement de telles prétentions. On l'entendait souvent raconter ce qui suit: "Au temps où j'occupais la sublime position d'un navváb en Inde, le Báb m'apparut en rêve. Il me regarda et gagna totalement mon coeur. Je me levai et avais commencé à le suivre lorsqu'il me fixa et dit: "Débarrassez-vous de vos habits somptueux, quittez votre pays natal et hâtez-vous de venir à pied me rencontrer en Ádhirbáyján.

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À Chihriq, vous atteindrez le désir de votre coeur." Je suivis ses directives et suis à présent parvenu à mon but."
La nouvelle du tumulte que cet humble dervish avait pu soulever parmi les chefs kurdes de Chihriq arriva bientôt à Tabríz et, de là, fut communiquée à Tihrán. Dès que l'information parvint à la capitale, ordre fut donné de transférer aussitôt le Báb à Tabriz dans l'espoir de calmer l'excitation que son séjour prolongé avait provoquée dans cette localité. Avant que la nouvelle du nouvel ordre soit parvenue à Chihriq, le Báb chargea 'Azím d'informer Qahru'lláh de son désir de le voir retourner en Inde et de consacrer sa vie au service de sa cause. "Seul et à pied, ordonna le Báb, il doit retourner d'où il est venu. Avec la même ardeur et le même détachement qui ont caractérisé son pèlerinage, il doit à présent regagner son pays natal et oeuvrer sans cesse au progrès des intérêts de la cause." Il le pria aussi de charger Mírzá 'Abdu'l Vahháb-i-Turshízí, qui habitait Khuy, de se rendre aussitôt à Urúmíyyih, où il promit de le rejoindre. 'Azim lui-même reçut l'ordre de partir pour Tabríz pour informer Siyyid Ibráhím-i-Khalíl de l'arrivée imminente du Báb dans cette ville. "Dites-lui, ajouta le Báb, que le feu de Nimrod va sous peu être allumé à Tabríz, mais, malgré l'intensité de sa flamme, aucun mal n'accablera nos amis."
Dès que Qahru'lláh reçut le message de son maître, il se leva pour réaliser ses voeux. A tous ceux qui désiraient l'accompagner, il disait: "Vous ne pourrez jamais supporter les épreuves de ce voyage. Renoncez à l'idée de m'accompagner. Vous succomberiez certainement en cours de route et, de plus, le Báb m'a donné l'ordre de retourner seul dans mon pays." La force irrésistible de sa réponse réduisait au silence ceux qui le priaient de leur permettre de l'accompagner dans son voyage. Il refusa d'accepter de l'argent ou des vêtements de qui que ce fût. Seul, vêtu d'habits très simples, le bâton de pèlerin à la main, il retourna à pied dans son pays. Personne ne sait ce qu'il advint finalement de lui. Muhammad 'Alíy-i-Zunúzí, surnommé Anís, fut de ceux qui entendirent le message du Báb à Tabríz, et fut embrasé par l'ardent désir de se rendre à Chihriq auprès de lui. Les paroles contenues dans ce message avaient suscité chez cet homme une irrépressible aspiration au sacrifice dans son sentier. Siyyid 'Alíy-i-Zunúzí, son beau-père, un notable de Tabríz, s'opposa fermement à son départ de la ville et fut finalement incité à l'emprisonner dans sa propre maison et à le garder sous une stricte surveillance.

<P291>

Son fils languit dans prison jusqu'au moment où son Bien-Aimé vint à Tabríz pour être ramené à sa prison à Chihriq.
J'ai entendu Shaykh Hasan-i-Zunúzí raconter ce qui suit: "'Á peu près au même moment où le Báb congédia 'Azím, je fus chargé par lui de réunir toutes les Tablettes disponibles qu'il avait révélées durant son incarcération dans les forteresses de Mah-Ku et de Chihriq, de les remettre à Siyyid Ibráhím-i-Khalíl, qui vivait alors à Tabríz, de le prier de les cacher et de les conserver avec le plus grand soin.
"Durant mon séjour dans cette ville, je rendais fréquemment visite à Siyyid 'Alíy-i-Zunúzí, qui était un de mes parents et je l'entendis souvent déplorer le triste sort de son fils. "Il semble avoir perdu la raison", se plaignait-il avec amertume. "Il a, par son comportement, attiré sur moi le reproche et la honte. Essayez de calmer l'agitation de son coeur et incitez-le à cacher ses convictions." Chaque fois que j'allai lui rendre visite, je vis des larmes couler continuellement de ses yeux. Après le départ du Báb de Tabríz, un jour où j'allais le voir, je fus surpris de noter que son visage rayonnait de joie et de bonheur. Sa belle figure était souriante quand il s'avança pour me recevoir. "Les yeux de mon Bien-Aimé", dit-il en m'embrassant, "ont vu ce visage, et ces yeux ont regardé ses traits." "Laissez-moi, ajouta-t-il, vous dire le secret de mon bonheur. Après le retour du Báb à Chihriq, un jour alors que je restais confiné dans ma cellule, je tournai mon coeur vers lui et le suppliai en ces termes: 'Tu vois, ô mon Bien-Aimé, ma captivité et mon impuissance, et tu sais avec quelle ardeur je languis de jeter un regard sur ton visage. Dissipe les ténèbres qui oppressent mon coeur par la lumière de ta face." Quelles larmes d'atroce douleur n'ai-je versées en cette heure-là! J'étais si écrasé par l'émotion que je semblais avoir perdu conscience. Soudain, j'entendis la voix du Báb, et voilà qu'il m'appelait. Il me pria de me lever. Je contemplais la majesté de ses traits lorsqu'il apparut devant moi. Il souriait en me regardant dans les yeux. Je me précipitai vers lui et me jetai à ses pieds. "Réjouissez-vous, dit-il; l'heure approche où, dans cette même ville, je serai pendu sous le regard de la foule et tomberai victime du feu de l'ennemi. Je ne choisirai personne d'autre que vous pour partager avec moi la coupe du martyre. Soyez assuré que cette promesse que je vous fais se Réalisera." J'étais en extase devant la beauté de cette vision. Lorsque je revins à moi, je me sentis plongé dans un océan de joie, une joie dont l'éclat ne pouvait être terni par tous les soucis du monde.

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Cette voix résonne encore à mes oreilles. Cette vision me hante le jour et la nuit. Le souvenir de ce sourire ineffable a dissipé la solitude de mon emprisonnement. Je suis fermement convaincu que l'heure à laquelle sa promesse doit se réaliser ne peut être différée plus longtemps." Je l'exhortai à être patient et à dissimuler ses émotions. Il me promit de ne pas divulguer ce secret et s'engagea à faire preuve de la plus extrême réserve envers Siyyid 'Alí. Je me hâtai d'assurer le père de la détermination de son fils et parvins à obtenir sa libération. Ce jeune homme continua, jusqu'au jour de son martyre, de fréquenter, dans un état de sérénité et de joie parfaites, ses parents et ses proches. Son comportement envers ses amis et ses relations fut tel qu'au jour où il sacrifia sa vie pour son Bien-Aimé, tous les habitants de Tabríz le pleurèrent et se lamentèrent sur son sort."

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NOTE DU CHAPITRE 17:

(17.1) 3 juillet - 1er août 1848 ap. J-C.

(17.2) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 18), le Báb resta trois mois à la forteresse de Chihríq avant d'être emmené à Tabríz pour y être interrogé.

(17.3) "Le Báb, à Chihríq fut soumis, à un emprisonnement plus strict et plus rigoureux que celui dont Il avait été l'objet à Máh-Kú. Pour cette raison il avait l'habitude d'appeler Chihríq "La Montagne terrible" (Jabal-i-Shadíd, la valeur numérique du mot 'Shadíd - 318 - étant la même que celle du nom Chihríq), et celui-ci la "Montagne ouverte" (Jabal-i-Básit. (A Traveller's Narrative, note L, p. 276).

(17.4) Là, comme partout, le peuple s'empressa auprès de lui. M. Mochenin dit dans ses mémoires sur le Báb: "Au mois de juin 1850 (ne serait-ce pas plutôt en 1849), m'étant rendu à Chihríq pour les affaires de mon service, je vis le Bálá-Khánih du haut duquel Báb enseignait sa doctrine. L'affluence du peuple était si grande que la cour n'étant pas assez vaste pour contenir tous les auditeurs, la plupart restaient dans la rue, et écoutaient avec recueillement les vers du nouveau Qur'án. Peu de temps après, Báb fut transféré à Tabríz pour y être condamné à mort." (Journal Asiatique, 1866, tome 7, p. 371).

(17.5) Littéralement: "Tablette des Lettres".

(17.6) L'un des titres du Báb.

(17.7) Science de la divination.

(17.8) Référence à Bahá'u'lláh. Voir glossaire.

(17.9) Voir glossaire.


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CHAPITRE XVIII : interrogatoire du Bab à Tabríz

Le Báb, en prévision de l'heure imminente de son martyre, avait dispersé ses disciples qui s'étaient réunis à Chihriq, et attendait dans le calme et la résignation l'ordre qui devait le convoquer à Tabríz. Ceux à la garde desquels il fut confié estimèrent plus sage de ne pas passer par la ville de Khuy qui se trouvait sur leur itinéraire menant à la capitale d'Ádhirbáyján. Ils décidèrent d'aller par Urúmíyyih et d'éviter ainsi les démonstrations que la populace excitée de Khuy était susceptible d'organiser en signe de protestation contre la tyrannie du gouvernement. Lorsque le Báb arriva à Urúmíyyih, Malik Qásim Mírzá l'accueillit avec faste et lui accorda l'hospitalité la plus chaleureuse. Auprès de lui, le prince fit preuve de déférence et refusa d'admettre le moindre manque de respect de la part de ceux qui étaient autorisés à le rencontrer.
Un certain vendredi où le Báb se rendait au bain public, le prince, qui était curieux de connaître le degré de courage et de pouvoir de son hôte, donna l'ordre à son garçon d'écurie de lui offrir de monter un de ses chevaux les plus sauvages. Craignant que le Báb ne subît quelque mal, le domestique s'approcha en secret de lui et essaya de le persuader de refuser une monture qui avait déjà renversé les cavaliers les plus braves et les plus habiles. "Ne crains rien, répondit le Báb. Agis conformément aux ordres qu'on t'a donnés et confie-nous aux soins du Tout-Puissant." Les habitants d'Urúmíyyih, qui avaient été informés de l'intention du prince, avaient envahi la place publique, impatients qu'ils étaient de témoigner de ce qui pouvait advenir au Báb. Dès que le cheval lui fut amené, il s'en approcha tranquillement et, prenant la bride que lui tendait le groom, caressa doucement l'animal et mit le pied à l'étrier. Le cheval resta tranquille et immobile comme s'il était conscient de la force qui le dominait. La foule qui regardait ce spectacle inhabituel fut émerveillée par le comportement de l'animal. A leur esprit simpliste, cet incident extraordinaire semblait presque un miracle. Ils se hâtèrent, dans leur enthousiasme, d'aller baiser les étriers du Báb, mais en furent empêchés par les domestiques du prince, qui craignaient qu'une telle ruée de personnes ne lui causât quelque mal.

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PHOTO: la maison occupée par le Báb à Urúmíyyih, le Bálá-khánih (x) montre la chambre dans laquelle le Báb résida

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Le prince lui-même, qui avait accompagné son hôte à pied jusqu'à proximité du bain, fut prié par le Báb de retourner à sa résidence avant que la foule n'atteignît l'entrée de l'établissement public. Sur tout le parcours, les valets du prince s'efforcèrent de retenir les gens qui, de tous côtés, affluaient pour entrevoir le Báb. A son arrivée, celui-ci renvoya tous ceux qui l'avaient accompagné et ne garda avec lui que le domestique privé du prince et Siyyid Hasan, qui l'attendirent dans l'anti-chambre et l'aidèrent à se déshabiller. A son retour du bain, le Báb monta à nouveau le même cheval et fut acclamé par la même foule. Le prince vint à pied à sa rencontre et l'escorta sur le trajet de retour jusqu'à sa résidence.
A peine le Báb eut-il quitté le bain public que les habitants d'Urúmíyyih se ruèrent vers l'établissement pour emporter, jusqu'à la dernière goutte, l'eau qui avait servi à ses ablutions. Une grande agitation régna ce jour-là dans la ville. Le Báb, en observant les signes
d'un enthousiasme délirant, se rappela la tradition bien connue, généralement attribuée à l'Imám 'Alí, le Commandeur des croyants, et qui se réfère spécifiquement à l'Ádhirbáyján. Le lac d'Urúmíyyih, affirme cette même tradition dans ses passages finaux, bouillonnera, débordera, et inondera la ville. Lorsqu'il fut informé, par la suite, de la manière dont l'écrasante majorité des habitants s'était spontanément levée pour proclamer son allégeance inconditionnelle à sa cause, il observa calmement: "Les gens croient-ils qu'en disant "Nous croyons"ils seront laissés à eux-mêmes et ne seront pas mis à l'épreuve?" (18.1) Ce commentaire devait pleinement se justifier par l'attitude dont ce même peuple fit preuve lorsque lui parvint la nouvelle du traitement terrible que le Báb avait subi à Tabríz. A peine une poignée d'entre ceux qui avaient, avec tant d'ostentation, proclamé leur foi en lui persévéra, au moment de l'épreuve, dans son serment d'allégeance à sa cause. Au premier rang se trouvait Mullá Imám-Vardí qui fut si ferme dans sa foi que seul Mullá Jalíl-i-Urúmí, natif d'Urúmíyyih et l'une des Lettres du Vivant, put le surpasser. L'adversité ne servit qu'à intensifier l'ardeur de sa dévotion et à renforcer sa croyance en la rectitude de la cause qu'il avait embrassée. Il parvint par la suite auprès de Bahá'u'lláh, dont il reconnut aussitôt l'authenticité de la mission, mission pour l'avancement de laquelle il lutta avec le même sérieux et la même fièvre qui avaient caractérisé ses efforts antérieurs déployés pour la promotion de la cause du Báb.

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En signe de reconnaissance pour les services rendus de longue date, ils eurent, lui et sa famille, l'honneur de recevoir de nombreuses tablettes écrites de la plume de Bahá'u'lláh et dans lesquelles ce dernier louait ses réalisations et invoquait les bénédictions du Tout-Puissant sur ses efforts. Il continua, avec une détermination inébranlable, à oeuvrer pour le progrès de la foi jusqu'au-delà de ses quatre-vingts ans, âge auquel il quitta ce monde.
Les récits des signes et des prodiges dont les admirateurs innombrables du Báb avaient été les témoins furent bientôt transmis de bouche à oreilles et soulevèrent une vague d'enthousiasme sans précédent qui se propagea avec une rapidité déconcertante à travers tout le pays. Elle déferla sur Tihrán et poussa les dignitaires ecclésiastiques du royaume à fournir de nouveaux efforts contre le Báb. Ils tremblaient en effet devant les progrès d'un mouvement qui, s'ils lui laissaient suivre son cours, allait, croyaient-ils avec certitude, engloutir bientôt les institutions desquelles leur autorité, que dis-je, leur existence même, dépendait. Ils voyaient partout les signes croissants d'une foi et d'une dévotion telles qu'eux-mêmes avaient été incapables de soulever, d'une loyauté qui frappait à la base même de l'édifice qu'ils avaient élevé de leurs propres mains, loyauté que malgré toutes les ressources de leurs pouvoirs, ils n'avaient pas jusqu ici réussi à miner.
Tabríz, en particulier, fut en proie à l'agitation la plus sauvage. La nouvelle de l'arrivée imminente du Báb avait enflammé l'imagination de ses habitants et avait suscité une animosité des plus farouches chez les dirigeants ecclésiastiques d'Ádhirbáyján. Eux seuls, parmi tous les habitants de Tabríz, refusèrent de prendre part aux démonstrations par lesquelles une population reconnaissante acclamait le retour du Báb dans sa ville. La ferveur de l'enthousiasme populaire qu'avait provoquée la nouvelle fut telle que les autorités décidèrent de loger le Báb en un lieu situé au-delà des portes de la ville. Seuls ceux qu'il désirait rencontrer eurent le privilège de l'approcher. Ordre formel fut donné de ne laisser entrer personne d'autre.
Durant la seconde nuit qui suivit son arrivée, le Báb appela 'A4m auprès de lui et, au cours de sa conversation avec celui-ci, affirma avec insistance sa prétention de n'être autre que le Qá'im promis. Il le trouva cependant peu disposé à reconnaître sans réserve cette revendication. Voyant son agitation intérieure, il dit: "Demain je proclamerai ma mission en présence du valí-`ahd (18.2) et au milieu de l'assemblée des 'ulamás et des notables de la ville. Quiconque se sent porté à me demander tout autre témoignage que les versets que j'ai révélés n'aura qu'à chercher satisfaction auprès du Qá'im de sa vaine imagination."

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J'ai entendu 'Azím affirmer ce qui suit: "Cette nuit-là, je me trouvais dans un état de grande agitation. Je restai éveillé et inquiet jusqu'au lever du soleil. Cependant, j'eus à peine offert ma prière du matin, que je réalisai qu'un grand changement avait eu lieu en moi. Une nouvelle porte semblait avoir été déverrouillée et ouverte en face de moi. Je commençai à m'apercevoir que, si je voulais rester fidèle à ma foi en Muhammad, l'apôtre de Dieu, je devais forcément, et sans réserve, reconnaître les revendications avancées par le Báb et devais me soumettre, sans crainte ni hésitation, à tout ce qu'il pourrait décider de décréter. Cette conclusion calma l'agitation de mon coeur. Je me hâtai d'aller auprès du Báb et le priai de me pardonner. "C'est une preuve supplémentaire de la grandeur de cette cause, remarqua-t-il, puisque même 'Azím (18.3) s'est senti excessivement troublé et ébranlé par sa force et par l'immensité de sa revendication." "Soyez assuré, ajouta-t-il, que la grâce du Tout-Puissant vous permettra de fortifier les pusillanimes et de raffermir les pas des indécis. Votre foi sera si grande que, si l'ennemi mettait votre corps en pièce dans l'espoir de diminuer d'un brin ou d'un iota l'ardeur de votre amour, il n'y parviendrait point. Vous rencontrerez très certainement face à face, dans les jours à venir, celui qui est le Seigneur de tous les mondes, et partagerez la joie que procure sa présence. Ces paroles dissipèrent les ténèbres de mes appréhensions. A partir de ce jour-là, aucune trace de peur ou d'agitation ne projeta son ombre sur moi.
La détention du Báb en dehors des murs de Tabríz n'apaisa point l'excitation qui régnait dans la ville. Toutes les mesures de précaution, toutes les restrictions que les autorités avaient imposées ne servirent qu'à aggraver une situation qui était déjà inquiétante et menaçante. Hájí Mírzá Áqásí donna l'ordre de convoquer aussitôt les dignitaires ecclésiastiques de Tabríz à la résidence officielle du gouverneur d'Ádhirbáyján, dans l'unique but d'accuser le Báb et de rechercher les moyens les plus efficaces d'étouffer son influence. Hájí Mullá Mahmúd, surnommé le Nizámu'l-'Ulamá', qui était le tuteur de Násiri'-d-Dín-Mírzá, le valí-'ahd, (18.4) Mullá Muhammad-i- Mámáqání, Mírzá `Alí-Asghar le shaykhu'l-islám, et quelques-uns des shaykhís et théologiens les plus éminents, furent de ceux qui se réunirent dans ce but. (18.5) Násiri'd-Dín-Mírzá en personne assista à cette réunion.

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PHOTO: Nasiri'd-din sháh enfant, avec Mírzá Abu'l-Qqasim, le Qaim-Maqám à sa droite, et Haji Mírzá Aqasi à sa gauche; tout à fait gauche (x) se tient Manûchihr Khan, le Mu'tamidud-Dawlih

La présidence fut confiée au nizámu'l-'ulamá' qui, dès que les préparatifs eurent commencé, au nom de l'assemblée chargea un officier de l'armée d'introduire le Báb auprès d'eux. Une foule de personnes avait entre-temps assiégé l'entrée de la salle d'audience et attendait avec impatience le moment où elle pourrait apercevoir le visage du Báb. Les gens affluaient en si grand nombre que l'on dut frayer un passage pour le Báb à travers la foule massée devant la porte.
A son arrivée, le Báb vit que tous les sièges étaient occupés dans la salle, sauf celui qui était destiné au valí-'ahd. Il salua l'assemblée et, sans la moindre hésitation, alla occuper cette place vacante. La majesté de son allure, l'expression de confiance qui se lisait sur son front et, surtout, l'esprit de puissance que rayonnait tout son être semblèrent avoir, pendant un moment, étouffé l'âme de ceux qu'il avait salués. Un silence profond et mystérieux les envahit soudain. Pas une seule âme, parmi cette éminente assemblée n'osa souffler mot. Finalement, le silence qui les avait saisis fut rompu par le nizámu'l-'ulamâ'. "Pour qui vous prenez-vous ?" demanda-t-il au Báb, "et quel est le message que vous avez apporté?" "Je suis", s'exclama trois fois le Báb, "je suis, je suis le Promis! Je suis celui dont vous avez invoqué le nom pendant un millier d'années, celui à la mention de qui vous vous êtes levés, celui dont vous avez désiré l'avènement et celui, enfin, dont vous avez demandé à Dieu de hâter l'heure de la révélation.

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En vérité je le dis, il incombe aux peuples de l'Orient comme à ceux de l'Occident d'obéir à ma parole et de prêter serment d'allégeance à ma personne." Nul n'osa répondre si ce n'est Mullá Muhammad-i-Mámáqání, un dirigeant de la communauté shaykhíe, qui avait été lui-même disciple de Siyyid Kázim. C'était à son manque de foi et de sincérité que le siyyid avait, les larmes aux yeux, fait allusion, c'était sa nature perverse qu'il avait déplorée. Shaykh Hasan-i-Zunúzí, qui avait entendu Siyyid Kázim formuler ces critiques, m'a raconté ce qui suit: "Je fus fort surpris du ton de son allusion à Mullá Muhammad, et j'étais curieux de connaître le comportement ultérieur de celui-ci pour voir s'il méritait de telles expressions de pitié et de condamnation de la part de son maître. Ce n'est que le jour où je découvris son attitude envers le Báb que je réalisai l'étendue de son arrogance et de son aveuglement. Je me tenais en compagnie d'autres personnes à l'extérieur de la salle et pouvais suivre la conversation de ceux qui se trouvaient à l'intérieur. Mullá Muhammad était assis à gauche du valí-'ahd. Le Báb occupait un siège entre eux deux. Dès qu'il se déclara le Promis, un sentiment de terreur s'empara de l'assistance. Tous baissèrent la tête en silence et dans la confusion. La pâleur de leurs visages trahissait l'agitation de leurs coeurs. Mullá Muhammad, ce renégat borgne à la barbe blanche, le blâma avec insolence:
"Vous avez déjà causé des troubles et des subversions en 'Iraq; désirez-vous à présent soulever un tumulte semblable dans l'Ádhirbáyján?"

PHOTO: Nasirid-Din Sháh

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"Votre Honneur, répliqua le Báb, Je ne suis pas venu ici de mon propre chef. J'y ai été convoqué." "Gardez votre calme", rétorqua Mullá Muhammad furieux, "vous, disciple pervers et méprisable de Satan!" "Votre Honneur", répondit à nouveau le Báb, "je maintiens ce que j'ai déjà déclaré."
"Le nizámu'l-`ulamá' pensa qu'il était plus sage de défier ouvertement la mission du Báb. "La revendication que vous avez avancée, dit-il au Báb, est stupéfiante; elle doit être étayée par la preuve la plus irréfutable." "La preuve la plus convaincante et la plus puissante de la vérité de la mission du Prophète de Dieu, répondit le Báb, est, de l'aveu de tous, sa propre parole. Muhammad en personne affirme cette vérité en disant: "N'est-ce pas assez pour eux que nous ayons fait descendre sur toi le Livre ?" (18.6) Le pouvoir de produire une telle preuve m'a été donné par Dieu. En l'espace de deux jours et de deux nuits, je me déclare capable de révéler des versets qui égaleront en nombre la totalité du Qur'án." "Décrivez oralement, si vous dites la vérité", demanda le nizámu'l-`ulami, "les actes de cette assemblée dans un langage qui ressemble à la phraséologie du Qur'án, afin que le valí-'ahd et les théologiens assemblés puissent témoigner de l'authenticité de votre revendication." Le Báb accéda aussitôt à la demande du nizámu'l'ulami'. A peine avait-il prononcé les paroles: "Au nom de Dieu, le Miséricordieux, le Compatissant, louange à celui qui a créé le ciel et la terre", que Mullá Muhammad-i-Mámáqání lui coupa la parole et attira son attention sur une infraction aux règles de grammaire. "Cette personne qui s'est désignée elle-même le Qá'im", s'écria-t-il avec un orgueilleux dédain, "a, dès le début de son allocution, trahi son ignorance des règles les plus élémentaires de la grammaire!"

PHOTO: Nasirid-Din Sháh

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"Le Qur'án lui-même, fit valoir le Báb, n'est nullement en accord avec les règles et les conventions en usage parmi les hommes. La parole de Dieu ne pourra jamais être sujette aux limitations de ses créatures. Que dis-je, les règles et les critères que les hommes ont adoptés proviennent du texte de la parole de Dieu et sont fondés sur celui-ci. Ces hommes ont découvert, dans les textes mêmes de ce Livre sacré, pas moins de trois cents exemples d'erreurs grammaticales semblables à celle que vous venez de critiquer. Etant donné que c'était la parole de Dieu, ils n'ont eu d'autre alternative que de se soumettre à sa volonté." (18.7)
Le Báb répéta ensuite les mêmes paroles que celles qu'il avait prononcées, paroles auxquelles Mullá Muhammad opposa de nouveau la même objection. Peu après, une autre personne osa poser la question suivante au Báb: "A quel temps appartient le mot Ishtartanna ?" En réponse à cette question, le Báb cita ce verset du Qur'án: "Loin de la gloire de ton Seigneur, le Seigneur de toute grandeur, soit ce qu'on lui impute, et paix sur ses apôtres! Louange à Dieu, le Seigneur des mondes !" Aussitôt après, il se leva et quitta la réunion." (18.8)
Le nizámu'l-`ulamá fut fort vexé par la manière dont les débats avaient été menés. "Que le manque de courtoisie des gens de Tabríz est scandaleux!" l'entendit-on s'exclamer par la suite. "Quelles relations peut-il y avoir entre ces vaines remarques et la considération de problèmes aussi importants, aussi lourds de conséquences ?" Plusieurs autres personnes furent enclines à dénoncer le traitement déshonorant réservé au Báb lors de cette réunion. Mullá Muhammad-i-Mámáqání, cependant, persista dans ses véhémentes dénonciations.

PHOTO: éminents mujtahids persans

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"Je vous avertis", protesta-t-il à haute voix, "que si vous laissez ce jeune homme poursuivre sans entraves le cours de ses activités, le jour viendra où la population de Tabríz tout entière aura hissé son étendard. Si, lorsqu'arrivera ce jour, il signifie son désir que tous les 'ulamás de Tabríz, le valí'ahd lui-même, soient expulsés de la ville, et qu'il assume seul les charges des autorités civiles et ecclésiastiques, aucun d'entre vous qui, actuellement, considérez avec apathie sa cause, ne pourra s'opposer efficacement à lui. La cité tout entière, que dis-je, toute la province d'Ádhirbáyján, le défendront unanimement ce jour-là."

PHOTO: marqué d'un x, le coin où le Báb subit la bastonnade

PHOTO: le namâz-khanih de Shaykhu'l-Islam à Tabriz

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Les dénonciations persistantes de ce vil comploteur suscitèrent la crainte des autorités de Tabríz. Ceux qui tenaient en leurs mains les rênes du pouvoir se concertèrent pour trouver les mesures les plus efficaces susceptibles de s'opposer au progrès de sa foi. Quelques-uns demandèrent que, vu le manque de respect marqué dont avait fait preuve le Báb envers le valí-'ahd en occupant le siège de ce dernier, sans sa permission, et aussi du fait qu'il n'avait pas obtenu le consentement du président pour quitter la réunion, il soit convoque a nouveau devant une assemblée semblable et reçoive des mains des membres de celle-ci un châtiment humiliant. Násiri'd-Dín Mírzá, cependant, refusa d'admettre leur proposition. Finalement, on décida d'emmener le Báb chez Mírzá 'Alí Asghar, qui était en même temps le shaykhu'l-islám de Tabríz et siyyid, et de le faire punir comme il le méritait par le garde du corps du gouverneur. Le garde refusa d'accéder à cette demande, préférant ne pas intervenir dans une affaire qu'il considérait comme du seul ressort des 'ulamás de la ville. Le shaykhu'l-islám en personne décida d'infliger le châtiment. Il convoqua le Báb chez lui et, de ses propres mains, lui donna vingt coups de verge sur les pieds. (18.9)
Cette année-là, cet insolent tyran fut frappé de paralysie et, après avoir enduré les douleurs les plus atroces, mourut d'une mort misérable. Son caractère déloyal, avare et égoïste était connu de tous les habitants de Tabríz. Le peuple de cette ville, qui craignait sa cruauté et sa vilenie très marquées, le méprisait, gémissait sous son joug et priait d'en être délivré. Les circonstances misérables de sa mort rappelèrent à ses amis et à ses adversaires le châtiment auquel doivent s'attendre forcément ceux que, ni la peur de Dieu ni la voix de la conscience ne peuvent faire renoncer à leur perfide cruauté envers leurs semblables. Après sa mort, les fonctions de shaykhu'l-islám furent abolies à Tabríz. Son infamie fut telle que le nom même de l'institution à laquelle il avait été associé fut désormais abhorrée.
Et pourtant, son comportement, pour vil et perfide qu'il fût, n'était qu'un exemple de la conduite ignoble dont firent preuve les chefs ecclésiastiques envers le Báb. Qu'ils étaient loin du sentier de la justice et de l'équité! Que leur rejet des conseils du Prophète de Dieu et des exhortations des Imáms de la foi fut dédaigneux! Ces derniers n'ont-ils pas explicitement déclaré que "si un jeune homme descendant de Baní-Háshim (18.10) se manifestait et appelait les hommes à accepter un nouveau Livre et de nouvelles lois, tous devraient se hâter sa d'aller à lui et d'embrasser sa cause?" Malgré les déclarations claires et nettes de ces mêmes Imáms, disant que "Ses ennemis seront pour la plupart des 'ulamás", ce peuple ignoble et aveugle décida de suivre l'exemple de ses chefs et de considérer le comportement de ces derniers comme le modèle de la justice et de la droiture.

<P305>

Il suit leurs pas, obéit implicitement à leurs ordres et se prend pour le "peuple du salut", "l'élu de Dieu" et le "gardien de sa Vérité".
De Tabríz, le Báb fut ramené à Chihriq où il fut à nouveau confié à la garde de Yahyá Khán. Ses persécuteurs avaient vainement imaginé qu'en le convoquant chez eux, ils l'inciteraient, par des menaces et des intimidations, à abandonner sa mission. Cette réunion permit au Báb d'exposer avec force, en présence des dignitaires les plus illustres assemblés dans la capitale d'Ádhirbáyján, les traits distinctifs de sa revendication et de réfuter, dans un langage bref et convaincant, les arguments de ses adversaires. La nouvelle de cette importante déclaration, riche de conséquences à longue portée, se répandit à travers toute la Perse et ranima, plus profondément encore, les sentiments des disciples du Báb. Elle leur redonna du zèle, renforça leur position, et fut le signal d'événements formidables qui devaient bientôt secouer cette terre.
Dès que le Báb fut rentré à Chihriq, il écrivit, en un langage hardi et émouvant, une déclaration dans laquelle il dénonçait le caractère et l'action de Hájí Mírzá Aqásí. Dans les passages introductifs de cette épître, à laquelle il donna le nom de Khutbiy-i-Qahríyyih (18.11) l'auteur s'adresse au Grand vazír de Muhammad Sháh en ces termes: "O toi qui as refusé de croire en Dieu et qui t'es détourné de ses signes!" Cette longue épître fut envoyée à Hujjat, qui se trouvait alors emprisonné à Tihrán. Celui-ci fut chargé de la remettre en personne à Hájí Mírzá Aqásí.
J'ai eu le privilège d'entendre de la bouche de Bahá'u'lláh, alors que celui-ci se trouvait dans la ville-prison d"Akká, le récit suivant: "Mullá Muhammad-'Alíy-i-Zanjání, peu après avoir remis cette tablette à Hájí Mírzá Áqásí, vint me rendre visite. J'étais en compagnie de Mírzá Masíh-i-Núrí et de quelques autres croyants lorsqu'il arriva. Il relata les circonstances relatives à la remise de la tablette et récita devant nous le texte entier, qui pouvait remplir environ trois pages, et qu'il avait apprises par coeur." Le ton de Bahá'u'lláh au moment où il faisait allusion à Hujjat reflétait le grand plaisir que lui avaient procuré la pureté et la noblesse de la vie de ce dernier et sa profonde admiration pour son courage invincible, sa volonté inébranlable, son détachement, et sa constance qui jamais ne se démentit.

<P306>

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NOTE DU CHAPITRE 18:

(18.1) Qur'án 29: 2.

(18.2) L'héritier du trône.

(18.3) Signifiant littéralement "grand".

(18.4) Né le 17 juillet 1831; son règne commença en septembre 1848; il mourut en 1896. "Ce prince quitta Tihrán pour aller rejoindre son gouvernement le 23 janvier 1848 pour, son père étant mort, le 4 septembre, en revenir le 18 de la même année en qualité de Sháh." (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Báb", p. 243, note 195.)

(18.5) "A Traveller's Narrative" (p. 19) mentionne également le nom de Mírzá Ahmad, l'ImámJum`ih.

(18.6) Qur'án 29: 51.

(18.7) "Que si l'on élève un reproche contre la grammaire ou la syntaxe (de ces versets) ce reproche est vain, car les règles (de grammaire) doivent être tirées des versets et non les versets construits d'après elles. Il n'y a d'ailleurs aucun doute que le Maître des versets ait nié ces règles, ait nié qu'il en eût connaissance, et cela lui-même." ("Le Bayán Persan", vol. 1, pp. 45-6.)

(18.8) "Et comme pour les récits islamiques, ceux que nous possédons ne portent pas le cachet de la vérité: ils semblent être de pure invention. Etant donné ce que nous connaissons du Báb, il est probable qu'il l'emporta dans la discussion et que les docteurs et les fonctionnaires qui assistaient à la réunion n'ont pas voulu enregistrer leur propre échec." (Dr T.K. Cheyne, "The Reconciliation of Races and Religions" , p. 62.) "Il est difficile de décider dans quelle mesure on peut ajouter foi au récit précédent (la version mahométane de l'interrogatoire du Báb à Tabríz).
Très probablement des questions semblables à celles qui y sont rapportées - et assurément certaines d'entre celles-ci sont suffisamment frivoles et même indécentes - ont été posées; mais, même si le Báb n'a pu y répondre, il est bien plus probable qu'il ait, comme il est dit dans le Táríkh-i-Jadíd, gardé un silence digne au lieu de proférer les absurdités que lui attribuent les écrivains musulmans. Celles-ci, en fait, détruisent leur propre position; car, en voulant prouver que le Báb n'était pas doué d'une sagesse surhumaine, ils le représentent comme quelqu'un faisant preuve d'une ignorance à laquelle nous pouvons à peine croire.
Que tout l'interrogatoire ait été une farce, que la sentence ait été une décision prise à l'avance, qu'aucune tentative sérieuse tendant à saisir la nature, et la preuve de la revendication et de la doctrine du Báb n'ait eu lieu, et que, du début à la fin, on ait suivi une suite systématique de dédain, d'ironie et de moquerie sont pour moi des faits, prouvés aussi bien par les récits d'écrivains musulmans que par ceux des Bábís concernant ces procédés d'inquisition. ("A Traveller's Narrative", Note M, p. 290.)

(18.9) Ce qui suit est le récit fait par le Dr. Cormick concernant ses impressions personnelles sur Mírzá 'Alí-Muhammad le Báb, et extrait de lettres écrites par lui au Révérend Benjamen Labaree, DD. (le Dr. Cormick était un médecin anglais qui avait longtemps vécu à Tabríz, où on le respectait beaucoup.
Le document a été communiqué au professeur E.G. Browne, de l'Université de Cambridge, par Mr. W.A. Shedd qui a écrit, dans une lettre datée du 1er mars 1911, à ce sujet: "Cher Professeur Browne, en fouillant les papiers de mon père (feu Révérend J.H.Shedd, D.D., de la mission américaine à Urúmíyyih, en Perse, de la même mission que celle du Dr. Benjamin Labaree), j'ai trouvé quelque chose qui peut, je le pense, avoir une certaine valeur au point de vue historique. Je n'ai ici aucun livre pour vérifier si cette pièce de témoignage a été employée ou non. Je pense qu'elle ne l'a probablement pas été, et je suis sûr que je ne puis rien faire de mieux que de vous l'envoyer, avec l'espoir que vous pourrez vous en servir comme bon vous semble. Il ne peut subsister aucun doute quant à l'authenticité des papiers."
"Vous me demandez certains détails de mon entrevue avec le fondateur de la secte connue sous le nom de Bábie. Rien d'important n'a transpiré de cette entrevue étant donné que le Báb savait que j'avais été envoyé, en compagnie de deux autres docteurs persans pour voir s'il était sain d'esprit ou tout simplement fou, et trancher la question qui était de savoir s'il fallait l'exécuter. Sachant cela, il était peu disposé à répondre aux questions qu'on lui posait. A toutes les demandes, il nous regardait simplement d'un regard doux tout en psalmodiant d'une voix basse et mélodieuse certains hymnes, je suppose.
Deux autres Siyyids, qui étaient ses amis intimes, étaient également présents; ils devaient par la suite être exécutés avec lui. Il y avait aussi plusieurs officiels du gouvernement. Il daigna une seule fois me répondre et ce lorsque je lui dis que je n'étais pas musulman, que je voulais m'informer sur sa religion, et qu'il se pouvait que je me sentisse enclin à l'adopter. Il me regarda très attentivement à ce moment-là, et répondit qu'il était certain que tous les Européens embrasseraient se religion. Notre rapport au sháh, en ce temps-là, fut de nature à lui épargner la vie.
Il fut exécuté quelque temps après par ordre de l'Amir-Nizám Mírzá Taqí Khán. A la suite de notre rapport, il reçut simplement quelques coups de bâton, opération au cours de laquelle, intentionnellement ou non, un farrásh le frappa au visage au moyen du bâton qui devait servir à le frapper au pied; ce coup lui causa une grande blessure et une enflure au visage. Lorsqu'on lui demanda si un médecin persan devait être appelé pour le traiter, il exprima le désir de me voir, et je le traitai donc pendant quelques jours mais, au cours des entrevues qui s'ensuivirent, je ne pus jamais avoir un entretien confidentiel avec lui, car des gens du gouvernement étaient toujours présents, l'homme étant un prisonnier.
Il me remercia beaucoup pour mes attentions envers lui. C'était un homme très doux et d'aspect délicat, plutôt petit et très beau pour un Persan; il avait une voix douce et mélodieuse qui me frappa beaucoup. Puisqu'il était Siyyid, il était vêtu de l'habit de cette secte, comme ses deux compagnons d'ailleurs. En fait, tout son aspect et son comportement lui faisaient gagner la sympathie de chacun. Je n'entendis rien de sa doctrine de sa propre bouche, quoique je susse qu'il y avait une certaine ressemblance entre sa religion et le Christianisme. Certains menuisiers arméniens, qui avaient été envoyés faire quelques réparations dans sa prison, le virent lire la Bible; il ne se donna point la peine de cacher ce livre; bien au contraire, il leur en parla.
Très certainement, le fanatisme musulman n'existe pas dans sa religion vis-à-vis des Chrétiens; il n'existe pas non plus une restriction des droits des femmes, comme c'est le cas de nos jours". Concernant ce document, le Professeur Browne écrit ce qui suit: "Le premier de ces deux documents est très valable car il donne l'impression personnelle produite par le Báb, durant la période de son emprisonnement et de ses souffrances, sur un esprit occidental impartial et cultivé. Très peu de Chrétiens occidentaux ont eu l'occasion de voir le Báb, et encore moins de converser avec lui, et je n'en connais aucun qui ait enregistré ses impressions." (E.G. Browne: "Materials for the Study of the Bábí Religion", pp. 260-62, 264.)

(18.10) Háshim était le bisaïeul de Muhammad.

(18.11) Littéralement: Sermon de la colère».


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CHAPITRE XIX : le soulèvement de Mázindarán

Au cours de ce même mois de sha'bàn qui vit les affronts dont fut affligé le Báb à Tabríz et les afflictions frapper Bahá'u'lláh et ses compagnons à Níyálá, Mullá Husayn revint du camp du prince Hamzih Mírzá à Mashhad, d'où il devait partir sept jours plus tard pour Karbilá, accompagné de tous ceux qu'il pourrait désirer garder auprès de lui. Le prince lui offrit une certaine somme pour les dépenses qu'il aurait à faire durant son voyage; il déclina cette offre et renvoya l'argent accompagné d'un message demandant au prince de le consacrer aux pauvres et aux nécessiteux. 'Abdu'l-'Alí Khán voulut, lui aussi, fournir à Mullá Husayn tout ce qui lui était nécessaire pour son pèlerinage et exprima son ardent désir de payer également les frais de tous ceux qu'il se choisirait pour compagnons de voyage. Mais Mullá Husayn n'accepta de lui qu'un sabre et un cheval, qu'il devait plus tard employer pour repousser, avec habileté et courage, les assauts d'un ennemi perfide. Ma plume ne pourra jamais décrire de manière adéquate la dévotion que Mullá Husayn avait suscitée dans le coeur des habitants de Mashhad; elle ne pourra pas davantage embrasser l'étendue de son influence. Sa maison, en ce temps-là, était continuellement assiégée par des foules impatientes qui le priaient de leur permettre de l'accompagner dans son voyage. Les mères amenaient leurs fils, et les soeurs, leurs frères; elles le suppliaient, les yeux baignés de larmes, de les accepter en signe de leurs plus chères offrandes sur l'autel du sacrifice.
Mullá Husayn était encore à Mashhad lorsqu'un messager arriva, lui apportant le turban du Báb et lui apprenant qu'un nouveau nom, celui de Siyyid 'Alí, lui avait été conféré par son maître. "Pare-toi la tête, disait le message, de mon turban vert, emblème de ma lignée et, avec l'étendard noir (19.1) déployé devant toi, hâte-toi d'aller vers le Jazíriy-i-khasdrá (19.2) pour prêter main-forte à mon Quddús bien-aime."
Dès que le message lui parvint, il se leva pour réaliser les voeux de son maître. Il quitta Mashhad et se rendit à un lieu situé à une distance d'un farsang3 de la ville; il hissa l'étendard noir, se mit le turban du Báb sur la tête, rassembla ses compagnons, monta à cheval et donna le signal du départ vers Jazíriy-i-Khadrà (19.3).

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Ses compagnons, au nombre de deux cent deux, le suivirent pleins d'enthousiasme. Ce jour mémorable était le 19 sha`bán de l'an 1264 après l'hégire. (19.4) Partout où ils séjournaient, dans chaque village ou hameau par lesquels ils passaient, Mullá Husayn et ses condisciples proclamaient courageusement le message du nouveau jour, invitaient les gens à embrasser sa vérité, en choisissaient quelques-uns parmi ceux qui répondaient à leur appel, et leur demandaient de les accompagner dans leur voyage.
Dans la ville de Nishápúr, Hájí 'Abdu'l-Majíd, le père de Badí, (19.5) qui était un marchand de renom, s'engagea sous la bannière de Mullá Husayn. Bien que son père jouît du privilège inégalé de posséder la mine de turquoise la plus fameuse de Níshápúr, il promit cependant son entière loyauté à Mullá Husayn, abandonnant tous les honneurs et les avantages matériels que sa ville natale lui avait conférés. Dans le village de Míyámay, trente des habitants se déclarèrent partisans de la nouvelle foi et se joignirent à ce groupe. Ces trente personnes, à l'exception de Mullá 'Ísá, devaient toutes subir le martyre au fort de Shaykh Tabarsí (19.6)
En arrivant à Chashmih-`Alí, lieu situé près de la ville de Dámghán et sur la grand-route vers le Mázindarán, Mullá Husayn décida de s'y arrêter pendant quelques jours. Il établit son campement à l'ombre d'un grand arbre, au bord d'une rivière. "Nous sommes à la croisée des chemins", dit-il à ses compagnons.

PHOTO: village de Nishapur

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"Nous attendrons son décret quant à la direction que nous devons prendre." Vers la fin du mois de shavvál, (19.7) un grand vent se leva et brisa une branche de l'arbre; alors Mullá Husayn fit cette remarque: "L'arbre de la souveraineté de Muhammad Sháh a été déraciné et jeté à terre par la volonté de Dieu." Trois jours après la prédiction de Mullá Husayn, un messager qui se rendait à Mashhad arriva de Tihrán et annonça la nouvelle de la mort de son souverain. (19.8) Le jour suivant, le groupe décida de partir pour le Mázindarán. Son chef se leva, montra du doigt la direction du Mázindarán et dit: "Voici le chemin qui mène à notre Karbilá. Quiconque ne se sent pas préparé à affronter les grandes épreuves qui nous attendent doit à présent regagner sa maison et renoncer au voyage." Il répéta plusieurs fois cet avertissement et, à proximité du village de Savád-Kúh, déclara explicitement: "Moi, ainsi que soixante-douze de mes compagnons, serons tués pour l'amour du Bien-Aimé. Quiconque est incapable de renoncer au monde, doit s'en aller à cet instant même, car, après cela, il ne pourra plus s'échapper." Vingt de ses compagnons décidèrent de rebrousser chemin car ils se sentaient impuissants à résister aux épreuves auxquelles leur chef faisait continuellement allusion.
La nouvelle de l'arrivée imminente du groupe de Mullá Husayn dans la ville de Bárfurúsh alarma le sa`ídu'l-`ulamá'. La popularité croissante de Mullá Husayn, les circonstances relatives à son départ de Mashhad, l'étendard noir qui flottait devant lui, et, par-dessus tout, le nombre, la discipline et l'enthousiasme de ses compagnons provoquèrent la haine implacable de ce mujtahid cruel et arrogant. Il ordonna au crieur d'appeler les habitants de Bárfurúsh au masjid et d'annoncer qu'un sermon si important quant à ses conséquences allait être prononcé par lui, qu'aucun adepte loyal de l'islám habitant le voisinage ne pouvait se permettre de l'ignorer. Une foule immense composée d'hommes et de femmes afflua au masjid, vit le théologien monter en chaire, jeter son turban à terre, se mettre à nu la poitrine et déplorer l'état dans lequel était tombée la foi. "Réveillez-vous", hurla-t-il du haut de la chaire, "car nos ennemis se trouvent à nos portes, prêts à balayer tout ce que nous chérissons de plus pur et de plus saint dans l'islám! Si nous ne leur résistons pas, personne ne survivra à leur assaut. Celui qui est le chef de cette bande vint seul un jour assister à mes cours. Il m'ignora totalement et me traita avec un dédain bien marqué en présence de mes disciples réunis. Comme je refusais de lui accorder les honneurs auxquels il s'attendait, il se leva en colère et me lança son défi.

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PHOTO: vue du village de Míyámay

PHOTO: extérieur du masjid

PHOTO: intérieur du masjid dans lequel priaient Mullá Husayn et ses compagnons

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Cet homme eut l'audace, à une époque où Muhammad Sháh régnait encore et se trouvait à l'apogée de sa puissance, de m'attaquer avec beaucoup d'âpreté. Quels excès ce fauteur de troubles, qui vient à présent vers nous à la tête de sa bande sauvage, ne commettra-t-il pas maintenant que la main protectrice de Muhammad Sháh s'est soudain retirée! Il est du devoir de tous les habitants de Bárfurúsh, jeunes et vieux, hommes et femmes, de s'armer contre ces méprisables destructeurs de l'islám, et de résister à leurs attaques par tous les moyens en leur pouvoir. Demain à l'aube, levez-vous tous et sortez de la ville pour exterminer leurs forces."
La congrégation tout entière se leva pour répondre à son appel. Son éloquence passionnée, l'autorité incontestée qu'il exerçait sur eux et leur terreur à l'idée de perdre leur propre vie et leurs biens, tout cela incita les habitants de cette ville à se mettre sur pied de guerre en vue de la rencontre imminente. Tous se munirent de toutes les armes qu'ils pouvaient trouver ou inventer et, au lever du jour, quittèrent la ville de Bárfurúsh, absolument déterminés à faire face aux ennemis de leur foi, à les tuer et à piller leurs biens. (19.9)
Dès qu'il eut décidé de continuer sa marche vers le Mázindarán et après avoir offert sa prière du matin, Mullá Husayn demanda à ses compagnons d'abandonner toutes leurs possessions. "Débarrassez-vous de tout ce qui vous appartient, les exhorta-t-il, et contentez-vous uniquement de votre monture et de votre sabre, ainsi tout le monde pourra témoigner que vous avez renoncé à toutes choses terrestres, et réaliser que ce petit groupe composé des compagnons élus de Dieu n'aspire point à sauvegarder ses propres biens ni, à plus forte raison, à s'accaparer le bien d'autrui." Tous obéirent aussitôt, déchargèrent leurs chevaux et joyeusement le suivirent. Le père de Badí` fut le premier à jeter sa sacoche qui contenait une grande quantité de turquoises qu'il avait rapportées de la mine de son père. Un seul mot de Mullá Husayn avait suffit à l'inciter à abandonner au bord de la route ce qui était sans nul doute son bien le plus précieux, et à se conformer au désir de son chef.
A un farsang (19.10) de Bárfurúsh, Mullá Husayn et ses compagnons se trouvèrent face à face avec leurs adversaires. Une multitude de gens, complètement équipés d'armes et de munitions, s'était massée à cet endroit et leur bloquait le passage. Une expression de sauvagerie féroce se lisait sur leurs visages, et les injures les plus répugnantes sortaient sans cesse de leurs bouches. Les compagnons, face au vacarme causé par cette populace en colère, firent semblant de dégainer leurs épées.

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"Pas encore! ordonna leur chef. Avant que l'agresseur nous ait forcés à nous protéger, nous ne tirerons pas nos épées de leurs fourreaux." A peine avait-il prononcé ces mots que le feu de l'ennemi fut dirigé contre eux. Six de ses compagnons roulèrent aussitôt à terre. "Chef bien-aimé", s'exclama l'un des amis de Mullá Husayn, "nous nous sommes levés et t'avons suivi avec l'unique désir de nous sacrifier sur le sentier de la cause que nous avons embrassée. Permets-nous, nous t'en prions, de nous défendre, et ne nous laisse pas tomber si ignominieusement victimes du feu de l'ennemi." "Le moment n'est pas encore venu, répondit Mullá Husayn; le nombre est jusqu'à présent incomplet. "Une balle perça aussitôt après la poitrine de l'un de ses compagnons, un siyyid de Yazd (19.11) qui avait parcouru tout le chemin de Mashhad à cet endroit et qui comptait parmi ses partisans les plus fermes. A la vue de ce compagnon dévoué tombé mort à ses pieds, Mullá Husayn leva les yeux vers le ciel et pria: "Vois, ô Dieu, mon Dieu, l'état de tes compagnons élus, et sois témoin de l'accueil que ces gens ont réservé à tes bien-aimés. Tu sais que nous ne nourrissions d'autre désir que celui de les guider dans la voie de la vérité et de leur apporter la connaissance de ta révélation. Tu nous as toi-même donné l'ordre de défendre nos vies contre les assauts de l'ennemi. Fidèle à ton commandement, je me lève à présent avec mes compagnons pour résister à l'attaque qu'il a lancée contre nous." (19.12)
Mullá Husayn dégaina son épée, lança sa monture au milieu de l'ennemi et poursuivit avec une prodigieuse intrépidité l'assaillant de son compagnon qui venait de rendre l'âme. Son adversaire, qui eut peur de lui faire face, se réfugia derrière un arbre, tint en l'air son fusil et chercha à se protéger. Mullá Husayn le reconnut aussitôt, se rua sur lui et, d'un seul coup d'épée, découpa en six le tronc de l'arbre, le canon du fusil et le corps de son adversaire. (19.13) L'étonnante force de ce coup mit l'ennemi dans la confusion et paralysa ses efforts. Ils furent tous pris de panique devant une si extraordinaire manifestation d'habileté, de force et de courage. Cet exploit fut le premier du genre à confirmer la vaillance et l'héroïsme de Mullá Husayn; il lui valut les louanges du Báb. Quddús, lui aussi, devait féliciter Mullá Husayn pour la calme intrépidité dont il avait fait preuve à cette occasion. Il aurait cité, après que la nouvelle lui fut parvenue, le verset suivant du Qur'án: "Ainsi ce n'était pas vous qui les frappiez, mais Dieu! Il mettait à l'épreuve les fidèles par une épreuve émanant de Lui-même et qu'Il leur consentait dans sa miséricorde; en vérité, Dieu entend et sait. Ceci est arrivé, pour que Dieu puisse aussi réduire à néant la force des infidèles."

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J'ai moi-même entendu, lors de mon séjour à 'Tihrán, en l'an 1265 après 1'hégire (19.14), un mois après la fin de la mémorable bataille de Shaykh Tabarsí, Mírzá Ahmad raconter les circonstances de cet épisode en présence de quelques croyants dont Mírzá Muhammad-Husayn-i-Hakamíy-i-Kirmání, Hájí Mullá Ismá'íl-i-Faráhání, Mírzá Habíbu'lláh-i-Isfáhání et Siyyid Muhammad-i-Isfáhání.
Lorsque, par la suite, je visitai le Khurásán et restai chez Mullá Sádiq-i-Khurásání à Mashhad, où j'avais été invité pour enseigner la cause, je demandai à Mírzá Muhammad-i-Furúghí en présence de quelques croyants, dont Nabíl-i-Akbar et le père de Badi', de me mettre au courant du véritable caractère de cet étonnant récit. Mírzá Muhammad déclara avec force: "J'ai moi-même été témoin de cet acte de Mullá Husayn. Si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux, je ne l'aurais jamais cru." A ce propos, le même Mírzá Muhammad nous raconta l'histoire suivante: "Après l'engagement de Vás-Kas, alors que le prince Mihdí-Qulí Mírzá avait été complètement mis en déroute et avait fui pieds nus devant les compagnons du Báb, l'amír-nizám (19.15) le blâma avec sévérité. "Je vous ai chargé, écrivit-il, de la mission qui consistait à subjuguer une poignée de jeunes et méprisables étudiants. J'ai mis à votre disposition l'armée du Sháh et, malgré cela, vous vous êtes laissé battre de façon si dégradante! Que serait-il advenu de vous, je me le demande, si je vous avais confié la mission de battre les forces réunies des gouvernements russe et ottoman?" Le prince préféra confier à un messager les fragments du canon de ce même fusil qui avait été coupé en deux par l'épée de Mullá Husayn, et le chargea de les présenter à l'amír-nizám en personne. "Telle est", devait dire le messager à l'amír, "la force méprisable d'un adversaire qui, d'un seul coup d'épée, a éparpillé en six morceaux l'arbre, le fusil et son porteur."
"Un témoignage aussi convaincant de la force de son ennemi constituait, aux yeux de l'amír-nizám, un défi qu'aucun homme de sa position et jouissant de son autorité ne pouvait se permettre d'ignorer. Il décida de maîtriser le pouvoir qui, par un acte aussi audacieux, avait cherché à s'affirmer contre ses propres forces. Incapable, malgré le nombre écrasant de ses hommes, de battre Mullá Husayn et ses compagnons d'une manière loyale et honorable, il devait avoir recours avec bassesse à la tromperie et à la fraude, afin de parvenir à son but.

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Il donna l'ordre au prince d'apposer son cachet sur le Qur'án et de jurer sur l'honneur que ses officiers s'abstiendraient dorénavant de tout acte d'hostilité envers les occupants du fort. Grâce à ce moyen, il réussit à les décider à déposer les armes et à infliger à ses adversaires sans défense une défaite écrasante et sans gloire."
Une manifestation aussi remarquable de dextérité et de force ne pouvait manquer d'attirer l'attention d'un nombre considérable d'observateurs dont l'esprit avait été jusqu'alors exempt de préjugés ou de malveillance. Elle provoqua l'enthousiasme de poètes qui, dans différentes villes de la Perse, furent portés à célébrer les exploits de l'auteur d'un acte aussi audacieux. Leurs poèmes contribuèrent à propager la connaissance de cet acte grandiose et à en immortaliser le souvenir. Parmi ceux qui chantèrent la bravoure de Mullá Husayn se trouvait un certain Ridá-Qulí Khán-i-Lalíh-Báshí qui, dans le "Táríkh-i-Násirí", prodiguait ses éloges pour la force prodigieuse et l'habileté inégalée qui avaient caractérisé cette action.
Je me hasardai à demander à Mírzá Muhammad-i-Furúghí s'il savait que, dans le "Násikhu't-Taváríkh" était mentionné le fait que Mullá Husayn avait, dans sa tendre jeunesse, appris l'art de l'escrime et qu'il n'avait acquis une certaine adresse qu'après une longue période d'entraînement. "C'est de la pure fantaisie, affirma Mullá Muhammad. Je connais Mullá Husayn depuis son enfance et je l'ai fréquenté, en tant qu'ami et camarade de classe, pendant longtemps. Je n'ai jamais su qu'il était doué d'une telle force et d'un tel pouvoir. Je me crois même supérieur à lui quant à la vigueur et à l'endurance physique. Sa main tremblait lorsqu'il écrivait, et il exprimait souvent son incapacité à écrire aussi parfaitement et aussi fréquemment qu'il le désirait. Il était fort handicapé à cet égard, et continua d'en subir les effets jusqu'au jour de son voyage vers le Mázindarán. A l'instant où il dégaina son épée, cependant, pour repousser cette sauvage attaque, une mystérieuse force sembla soudain l'avoir transformé. Lors de toutes les rencontres ultérieures, on devait le voir foncer le premier et éperonner son destrier jusque dans le camp de l'agresseur. Sans aide, il devait faire face aux forces combinées de ses adversaires, les combattre et remporter lui-même la victoire. Nous qui le suivions à l'arrière devions nous contenter de ceux qui avaient déjà été mis hors de combat et qui étaient affaiblis par les coups qu'ils avaient reçus. Son nom seul suffisait à semer la terreur dans le coeur de ses adversaires. Ceux-ci s'enfuyaient en entendant son nom; ils tremblaient à son approche. Même ceux qui étaient constamment en sa compagnie restaient bouche bée, s'émerveillant de ses exploits.

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Nous étions frappés par sa force stupéfiante, sa volonté indomptable et son intrépidité sans borne. Nous étions tous convaincus qu'il avait cessé d'être le Mullá Husayn que nous avions connu, et qu'en lui résidait désormais un esprit que Dieu seul pouvait conférer."
Ce même Mírzá Muhammad-i-Furúghí m'a raconté ce qui suit: "A peine Mullá Husayn avait-il porté ce coup mémorable à son adversaire, qu'il disparut de notre vue. Nous ne savions pas où il était allé. Seul son assistant, Qambar-'Alí, avait eu la permission de le suivre. Il nous informa ultérieurement que son maître s'était jeté tête baissée sur ses ennemis et qu'il avait pu, d'un seul coup de son épée, abattre tous ceux qui avaient l'audace de l'attaquer. Insouciant des balles qui pleuvaient sur lui, il s'était forcé un passage à travers les rangs de l'ennemi et avait foncé vers Bárfurúsh. Il était allé tout droit à la résidence du sa`ídu'l-`ulamá', avait fait trois fois le tour de sa maison et s'était écrié: "Que ce méprisable couard, qui a incité les habitants de cette ville à la guerre sainte contre nous et qui s'est honteusement caché derrière les murs de sa maison, sorte de sa retraite peu glorieuse. Qu'il démontre, par son exemple, la sincérité de son appel et la droiture de sa cause. A-t-il oublié que celui qui prêche une guerre sainte doit obligatoirement marcher lui-même à la tête de ses disciples et, par ses propres actes, enflammer leur ardeur et soutenir leur enthousiasme?"
La voix de Mullá Husayn couvrit la clameur de la foule. Les habitants de Bárfurúsh s'étaient rendus, et, peu après, avaient lancé le cri de "paix, paix!" Aussitôt après cette reddition, les acclamations des disciples de Mullá Husayn, que l'on vit alors galoper vers Bárfurúsh, se firent entendre de tous côtés. Le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán !" (19.16) qu'ils lançaient de toute la force de leurs poumons, sema la consternation dans le coeur de ceux qui l'entendirent. Les compagnons de Mullá Husayn, qui avaient abandonné l'espoir de le retrouver vivant, furent fort surpris de le voir assis droit sur son cheval, indemne et point affecté par la férocité de cette attaque. Chacun d'entre eux s'approcha de lui et baisa ses étriers.
L'après-midi de ce jour-là, la paix que les habitants de Bárfurúsh avaient implorée leur fut accordée. A la foule qui s'était assemblée autour de lui, Mullá Husayn parla en ces termes: "Ô disciples du Prophète de Dieu et shí`ahs des Imáms de sa foi! Pourquoi vous êtes-vous levés pour nous combattre? Verser notre sang vous semble-t-il un acte méritoire aux yeux de Dieu? Avons-nous jamais répudié la vérité de votre foi?

<P317>

PHOTO: maison du Sa`idu'l-`ulamá' à Bárfurúsh, Mázindarán

Est-ce là l'hospitalité que l'Apôtre de Dieu a enjoint à ses adeptes d'accorder aux fidèles comme aux infidèles? Qu'avons-nous fait pour mériter une telle condamnation de votre part? Voyez: moi seul, sans aucune autre arme que mon épée, j'ai pu faire face à la pluie de balles que les habitants de Bárfurúsh dirigeaient contre moi, et je suis sorti indemne du feu par lequel vous m'avez assiégé. Moi et mon cheval, nous sommes sortis sains et saufs de votre écrasante attaque. A part la légère égratignure que j'ai reçue au visage, vous avez été incapables de me blesser. Dieu m a protégé et a désiré établir à vos yeux le caractère sublime de sa foi."
Aussitôt après, Mullá Husayn se rendit au caravansérail du Sabzih-Maydán. Il descendit de cheval et, se tenant debout à l'entrée de l'auberge, attendit l'arrivée de ses compagnons. Dès que ceux-ci eurent fini de s'y réunir et de s'y installer, il envoya chercher du pain et de l'eau. Ceux qui furent chargés d'aller les chercher revinrent les mains vides et l'informèrent qu'ils n'avaient pu se procurer ni du pain chez le boulanger ni de l'eau à la place publique. "Vous nous avez exhortés, lui dirent-ils, à mettre notre confiance en Dieu et à nous résigner à sa volonté. "Rien, sinon ce que Dieu nous destine, ne peut nous advenir. Notre Seigneur est Lui et c'est en Dieu que le croyant doit placer sa confiance!" (19.17)
Mullá Husayn donna l'ordre de fermer les portes du caravansérail. Il réunit ses compagnons et leur demanda de rester groupés autour de lui jusqu'au coucher du soleil. Comme le soir approchait, il demanda si quelqu'un parmi eux était prêt à se lever et, renonçant à sa vie pour l'amour de sa foi, à monter sur le toit du caravansérail pour lancer l'adhán. (19.18) Un jeune homme répondit joyeusement à cet appel. A peine les mots de "Alláh-u-Akbar" étaient-ils sortis de bouche qu'une balle le frappa soudain et le tua aussitôt. "Qu'un autre parmi vous se lève, demanda Mullá Husayn, pour continuer, avec la même abnégation, la prière que ce jeune homme n'a pu terminer."

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PHOTO: vue 1 du caravansérail de Sabzih-maydán, dans le Mázindarán

PHOTO: vue 2 du caravansérail de Sabzih-maydán, dans le Mázindarán

PHOTO: vue 3 du caravansérail de Sabzih-maydán, dans le Mázindarán

<P319>

Un autre jeune homme bondit sur ses pieds et, à peine avait-il prononcé les mots "je porte témoignage que Muhammad est l'apôtre de Dieu", qu'il fut, lui aussi, abattu par une autre balle tirée par l'ennemi. Un troisième jeune homme essaya, à la demande de son chef, de compléter la prière que ses compagnons martyrs avaient été obligés de laisser inachevée. Il subit, lui aussi, le même sort. En arrivant à la fin de sa prière, au moment où il prononçait les mots de "Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu", il tomba mort à son tour.
La mort de ce troisième compagnon décida Mullá Husayn à ouvrir la porte du caravansérail et à se lever, en compagnie de ses amis, pour repousser cette attaque inattendue d'un ennemi perfide. Sautant à cheval, il donna le signal de charger les assaillants qui s'étaient massés devant les portes et avaient rempli le Sabzih-Maydán. L'épée à la main et suivi de ses compagnons, il réussit à décimer les forces qui avaient été déployées contre lui. Les quelques hommes qui échappèrent à leurs épées s'enfuirent devant eux, pris de panique, demandèrent à nouveau la paix et implorèrent leur grâce. Vers le soir, toute la foule avait disparu de la place. Le Sabzih-Maydán qui, quelques heures auparavant, était bondé d'une foule grouillante d'adversaires, était désormais désert. La clameur de la multitude s'était tue. Jonché des cadavres des victimes, le Maydán et ses alentours offraient un spectacle triste et émouvant, une scène qui témoignait de la victoire de Dieu sur ses ennemis.
Une si foudroyante victoire (19.19) poussa certains nobles et chefs parmi le peuple a intervenir pour implorer la grâce de Mullá Husayn en faveur de leurs concitoyens. Ils vinrent à pied lui soumettre leur pétition. "Dieu est notre témoin, dirent-ils, nous ne nourrissons d'autre intention que celle d'établir la paix et la réconciliation entre nous. Restez assis sur votre monture pendant quelque temps afin que nous vous exposions notre cause." Après avoir remarqué le caractère sérieux de leur appel, Mullá Husayn descendit de cheval et les invita à le rejoindre dans le caravansérail. "Contrairement aux habitants de cette ville, nous savons comment recevoir les étrangers chez nous", dit Mullá Husayn en les invitant à s'asseoir auprès de lui et en donnant l'ordre de leur servir du thé. "Le sa`idu'l-`ulamá', répondirent-ils, est seul responsable d'une telle vague de méfaits. Les gens de Bárfurúsh ne doivent en aucun cas être impliqués dans le crime qu'il a commis. Oublions à présent le passé. Nous voudrions suggérer, dans l'intérêt des deux parties, que vous et vos compagnons partiez demain pour Ámul.

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Bárfurúsh est en proie à une violente agitation; nous craignons que ses habitants ne soient de nouveau poussés à vous attaquer." Mullá Husayn, tout en faisant allusion au manque de sincérité du peuple, accepta leur proposition. Là-dessus, 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání (19.20) et Hájí Mustafá Khán se levèrent ensemble et, jurant sur le Qur'án qu'ils avaient apporté avec eux, déclarèrent solennellement leur intention de considérer Mullá Husayn et ses compagnons comme leurs hôtes pour cette nuit-là, et le jour suivant de charger Khusraw-i-Qádí-Kalá'í (19.21) et une centaine de cavaliers de leur assurer la traversée de Shír-Gáh en toute sécurité. "Que la malédiction de Dieu et de ses prophètes soit sur nous, en ce monde et dans l'autre, ajoutèrent-ils, si nous venions jamais à permettre que l'on vous infligeât, à vous et à votre groupe, le moindre mal."
Aussitôt après leur déclaration, leurs amis qui étaient allés chercher des aliments pour les compagnons et du fourrage pour leurs chevaux arrivèrent. Mullá Husayn pria ses compagnons de rompre le jeûne, puisqu'aucun d'entre eux n'avait pris ce jour-là, un vendredi, le douze du mois de dhi'l-qa`dih, (19.22) ni nourriture ni boisson depuis l'aube. Le nombre des notables et celui de leurs assistants qui s'étaient massés dans le caravansérail ce jour-là était si élevé que ni Mullá Husayn ni aucun de ses compagnons n'avaient bu du thé qu'ils avaient offert à leurs visiteurs.
Cette nuit-là, environ quatre heures après le coucher du soleil, Mullá Husayn ainsi que ses amis dînèrent en compagnie d' 'Abbás-Qulí Khán et de Hájí Mustafá Khán. Au milieu de cette même nuit, le sa`ídu'l-`ulamá' convoqua Khusraw-i-Qádí-Kalà'í et lui confia en secret son désir de le voir, à l'endroit et au moment de son choix, s'emparer de tous les biens du groupe qui lui avait été confié et d'en tuer tous les membres, sans la moindre exception. "Ne sont-ce pas là des adeptes de l'islám? observa Khusraw. Ces gens- là n'ont-ils pas, comme je l'ai déjà appris, préféré sacrifier trois de leurs compagnons plutôt que de laisser inachevé l'appel à la prière qu'ils avaient lancé? Comment pourrions-nous, nous qui caressons de tels desseins et perpétrons de tels actes, être jugés dignes du nom d'adepte de l'islám ?" Cet infâme mécréant insista pour que ses ordres fussent fidèlement suivis. "Tuez-les", dit-il en pointant le doigt vers son cou, "et ne craignez rien, je répondrai de votre acte. Je répondrai au jour du Jugement devant Dieu en votre nom. Nous qui tenons le sceptre de l'autorité, nous sommes mieux informés que vous et pouvons mieux distinguer la meilleure façon d'extirper cette hérésie."

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Au lever du soleil, 'Abbás-Qulí Khán fit appeler Khusraw auprès de lui et lui ordonna de faire preuve de la plus grande considération envers Mullá Husayn et ses compagnons, de leur assurer la traversée de Shír-Gáh en sécurité, et de refuser toute récompense qu'ils pourraient souhaiter lui offrir. Khusraw fit mine de se soumettre à ces instructions, lui assura que ni lui ni ses cavaliers ne relâcheraient leur vigilance, et qu'ils ne reculeraient devant rien pour prouver leur dévouement envers eux. "A notre retour, ajouta-t-il, nous vous montrerons le témoignage écrit du sentiment de satisfaction de Mullá Husayn pour les services que nous lui aurons rendus."
Lorsque Khusraw fut amené, par 'Abbás-Qulí Khán, Hájí Mustafá Khán et d'autres chefs représentatifs de Bárfurúsh, auprès de Mullá Husayn et introduit auprès de lui, ce dernier remarqua: "Si vous vous comportez bien, cela vous profitera et si vous vous comportez mal, le mal se retournera contre vous." (19.23) Si cet homme nous traite bien, grande sera sa récompense et, s'il se comporte traîtreusement envers nous, sévère sera son châtiment. C'est à Dieu que nous confions notre cause, et nous sommes totalement résignés à sa volonté."
Après avoir prononcé ces paroles, Mullá Husayn donna le signal du départ. Une fois de plus, on entendit Qambar-'Alí lancer l'appel de son maître: "Montez vos coursiers, ô héros de Dieu!" appel qu'il lançait toujours en de telles occasions. A ces paroles, tous se précipitèrent vers leurs montures. Un détachement de cavaliers de Khusraw forma l'avant-garde. Celle-ci fut aussitôt suivie de Khusraw et de Mullá Husayn, qui chevauchaient côte à côte au centre du groupe. Derrière eux suivait le reste des compagnons et à leur droite et à leur gauche vinrent se ranger les cent cavaliers que Khusraw avait armés en tant qu'instruments volontaires de l'exécution de son plan. Il avait été convenu que le groupe partirait tôt le matin de Bárfurúsh et arriverait le jour même à midi à ShírGáh. Deux heures après le lever du soleil, ils partirent vers leur destination. Khusraw prit intentionnellement la route qui passait par la forêt, un itinéraire qu'il estimait plus approprié à la réalisation de son dessein.
A peine le groupe eut-il pénétré dans la forêt que Khusraw donna le signal de l'attaque. Ses hommes se jetèrent férocement sur les compagnons, s'emparèrent de leurs biens, en tuèrent un certain nombre, dont le frère de Mullá Sádiq, et capturèrent les autres.

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Dès que leurs cris d'agonie et de détresse parvinrent aux oreilles de Mullá Husayn, il s'arrêta, descendit de cheval et protesta contre le comportement perfide de Khusraw. "L'heure de midi est depuis longtemps passée, lui dit-il, nous n'avons pas encore atteint notre destination. Je refuse d'aller plus loin avec vous. Je puis me passer de vous comme guide et compagnon, ainsi que de vos hommes. Se tournant alors vers Qambar-'Alí, il lui demanda d'étaler son tapis de prière, afin qu'il pût faire ses dévotions. Il était en train de procéder à ses ablutions lorsque Khusraw, qui était également descendu de cheval, appela un de ses assistants et le pria de faire savoir à Mullá Husayn que, s'il voulait parvenir sain et sauf à destination, il devait lui remettre son épée et son cheval. Mullá Husayn refusa de répondre et alla prier. Peu de temps après, Mírzá Muhammad-Taqíy-i-Juvayníy-i-Sabzivárí, homme de lettres accompli et au courage sans limite, alla auprès d'un domestique qui préparait le qalyán (19.24) de Khusraw et lui demanda la permission de le lui remettre en personne; sa demande fut aussitôt acceptée. Mírzá Muhammad-Taqí, au moment où il se penchait pour a allumer le qalyán, enfonça brusquement sa main dans le sein de Khusraw, en retira son poignard et le lui plongea jusqu'aux entrailles. (19.25)
Mullá Husayn priait encore lorsque le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán" (19.26) fut lancé à nouveau par ses compagnons. Ceux-ci se jetèrent sur les assaillants perfides et, en un seul assaut, les abattirent tous, excepté le domestique qui avait préparé le qalyán. Effrayé et sans défense, celui-ci tomba aux pieds de Mullá Husayn et implora son assistance. On lui donna le qalyán orné de joyaux, qalyán qui appartenait à son maître, avec pour instruction de retourner à Bárfurúsh et de raconter à 'Abbás-Qulí Khán tout ce dont il avait été témoin. "Racontez-lui, lui dit Mullá Husayn, avec quelle fidélité Khusraw a accompli sa mission. Ce fourbe mécréant imaginait sottement que ma mission était terminée, que mon épée et mon cheval avaient accompli leur tâche. Il ne pouvait pas penser que leur mission ne faisait que commencer et qu'avant l'accomplissement total des services qu'ils pourront rendre, ni son pouvoir ni celui d'aucun autre homme auprès de lui ne pourront me les arracher."
Comme la nuit allait tomber, le groupe décida de s'attarder en ce lieu jusqu'à l'aube. Au lever du jour, Mullá Husayn, après avoir offert sa prière, réunit ses compagnons et leur dit: "Nous sommes à proximité de notre Karbilá, notre ultime destination."

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Aussitôt après, il partit à pied vers cette ville, suivi de ses compagnons. Voyant que quelques-uns cherchaient à prendre avec eux les biens de Khusraw et de ses hommes, Mullá Husayn leur donna l'ordre de laisser tout derrière eux, sauf les épées et les chevaux. "Il vous incombe, les exhorta-t-il, d'arriver en ce lieu saint dans un état de détachement absolu, entièrement sanctifiés de tout ce qui appartient à ce monde." (19.27) Il avait parcouru un maydán (19.28) lorsqu'il arriva au tombeau de Shaykh Tabarsí. (12.29) Le shaykh avait été l'un de ceux qui avaient transmis les traditions attribuées aux Imáms de la foi, et son tombeau était visité par les habitants des alentours. En arrivant en ce lieu, Mullá Husayn récita le verset suivant du Qur'án: "O mon Seigneur, bénis mon arrivée en ce lieu, car toi seul peux conférer de telles bénédictions."
La nuit précédant leur arrivée, le gardien du tombeau avait vu dans un rêve le Siyyidu'sh-Shuhadá', l'Imám Husayn, arriver à Shaykh Tabarsí en compagnie de non moins de soixante-douze guerriers et d'un grand nombre de ses compagnons. Ce gardien les avait également vus dans son rêve séjourner en ce lieu, engager la plus héroïque des batailles et triompher, lors de toutes les rencontres, sur les forces de l'ennemi; il avait vu le Prophète de Dieu y arriver en personne, une nuit, et se joindre à ce groupe béni. Lorsque Mullá Husayn arriva le lendemain, le gardien reconnut aussitôt en lui le héros qu'il avait vu dans son rêve, se jeta à ses pieds et les baisa avec dévotion. Mullá Husayn l'invita à s'asseoir à côté de lui et l'écouta raconter son histoire.

PHOTO: le tombeau de Shaykh Tabarsi

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"Tout ce que vous avez vu", affirma-t-il au gardien du tombeau, "doit arriver. Ces scènes glorieuses se dérouleront à nouveau devant vos yeux." Ce serviteur devait finalement partager le sort des héroïques défenseurs du fort, et tomba martyr à l'intérieur de ses murs.
Au jour même de leur arrivée, qui était le 14 de dhi'l-qa`dih (19.30), Mullá Husayn donna à Mírzá Muhammad-Báqir, qui avait construit le Bábíyyih, les instructions préliminaires concernant le plan du fort qui devait être construit pour leur défense. Vers le soir du même jour, les compagnons se trouvèrent soudain entourés par une foule désordonnée composée de cavaliers qui avaient surgi de la forêt et se préparaient à ouvrir le feu sur eux.

PHOTO: le tombeau de Shaykh Tabarsi

PHOTO: site du fort qui entourait le tombeau de Shaykh Tabarsi

"Nous sommes des habitants de Qád-Kalá, s'écrièrent-ils. Nous venons venger le sang de Khusraw. Nous ne serons satisfaits que lorsque nous vous aurons tous passés par le fil de l'épée." Assiégé par une foule sauvage prête à se jeter sur lui, le groupe dut tirer à nouveau l'épée pour se défendre. Lançant le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán", ils bondirent tous en avant, repoussèrent les assaillants et les mirent en fuite. Le cri fut si terrible que les cavaliers disparurent aussi soudainement qu'ils étaient apparus. Mírzá Muhammad-Taqíy- i-Juvayní avait, à sa propre demande, pris le commandement lors de cette rencontre.
De crainte que les assaillants ne revinssent sur eux et n'eussent recours à un massacre général, ils les poursuivirent jusqu'à un village qui était, croyaient-ils, celui de Qádí-Kalá.

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A leur vue, tous les hommes s'enfuirent avec terreur. La mère de Nazar Khán, le propriétaire du village, fut tuée accidentellement dans l'obscurité de la nuit, au milieu de la confusion qui s'ensuivit. Les cris de femmes, qui protestaient avec véhémence qu'elles n'avaient rien à voir avec les habitants de Qádí-Kalá, parvinrent bientôt aux oreilles de Muhammad Taqí, qui donna aussitôt à ses compagnons l'ordre d'arrêter le massacre jusqu'à ce qu'ils fussent certains du nom et de la nature du lieu.

PHOTO: entrée du tombeau de Shaykh Tabarsi, dans le Mázindarán

Les compagnons s'aperçurent bientôt que le village appartenait à Nazar Khán et que la femme qui venait de perdre la vie n'était autre que sa mère. Fort affligé par la découverte d'une erreur aussi grave de la part de ses compagnons, Mírzá Muhammad-Taqí s'exclama avec tristesse: "Nous n'avions l'intention de molester ni les hommes ni les femmes de ce village. Notre unique but était de mettre un terme à la violence des habitants de Qádí-Kalá, qui étaient sur le point de nous mettre tous a mort. ' Il s'excusa avec gravité pour la regrettable tragédie dont ses compagnons avaient été inconsciemment les acteurs.

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Nazar Khán qui, pendant ce temps s'était caché dans sa maison, fut convaincu de la sincérité des regrets exprimés par Mírzá Muhammad-Taqí. Quoique souffrant de cette perte cruelle, il fut porté à aller voir ce dernier et à l'inviter chez lui. Il lui demanda même de l'introduire auprès de Mullá Husayn et lui exprima son ardent désir de connaître les préceptes d'une cause qui pouvait susciter une telle ferveur dans les coeurs de ses adeptes.
A l'aube, Mírzá Muhammad-Taqí, accompagné de Nazar Khán arriva au tombeau de Shaykh Tabarsí et trouva Mullá Husayn occupé à diriger la prière en commun. L'extase qui se lisait sur le visage de celui-ci était telle que Nazar Khán se sentit irrésistiblement porté à se joindre aux adorateurs et à répéter les prières que ceux-ci prononçaient. A la fin de la prière, Mullá Husayn fut informé de la perte qu'avait subie Nazar Khán. Il exprima, dans un langage des plus touchants, la sympathie que lui et le groupe de ses condisciples tout entier ressentaient pour lui dans son grand deuil. "Dieu sait, lui assura-t-il, que notre unique intention était de protéger nos vies plutôt que de troubler la paix du voisinage." Mullá Husayn se mit alors à raconter les circonstances qui avaient conduit à l'attaque dirigée contre eux par les habitants de Bárfurúsh, et expliqua la conduite perfide de Khusraw. Il assura de nouveau Nazar Khán du chagrin que lui causait la mort de sa mère. "Ne vous affligez pas", répondit spontanément Nazar Khán. "Si on m'avait donné cent fils, je les aurais tous avec joie mis à vos pieds et les aurais offerts en sacrifice au Sáhibu'z-Zamán!" Il promit, en cet instant même, sa loyauté immuable à Mullá Husayn et se hâta de retourner à son village pour rapporter toutes les provisions dont le groupe pourrait avoir besoin.
Mullá Husayn donna l'ordre à ses compagnons d'entamer la construction du fort dont on avait dressé le plan. A chaque groupe, il assigna une partie du travail, et les encouragea tous à se hâter de finir l'ouvrage. Au cours de ces opérations, les compagnons furent continuellement harcelés par les habitants des villages avoisinants qui, à l'instigation persistante du sa`ídu'l-`ulamá', sortaient de leur retraite et se jetaient sur eux. Toutes les attaques de l'ennemi furent repoussées et finirent dans l'échec et la honte. Point découragés parla férocité de leurs attaques répétées, les compagnons résistaient vaillamment à leurs assauts et parvinrent finalement à subjuguer pour un temps les forces qui les cernaient de tous côtés.

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Lorsque la construction du bâtiment fut achevée, Mullá Husayn entreprit les préparatifs nécessaires au siège que le fort était destiné à soutenir et pourvut, malgré les obstacles qui lui barraient le chemin, à tout ce qui lui semblait essentiel à la sécurité de ses occupants.
Le travail était à peine achevé lorsque Shaykh Abú-Turáb arriva, portant la nouvelle de l'arrivée de Bahá'u'lláh au village de Nazar Khán. Il dit à Mullá Husayn qu'il avait été spécialement chargé par Bahá'u'lláh de les informer qu'ils allaient tous être ses hôtes cette nuit-là et qu'il se joindrait lui-même à eux ce même après-midi. J'ai entendu Mullá Mírzá Muhammad-i-Furúghí raconter ce qui suit: "La nouvelle qu'apportait Shaykh Abú-Turáb procura une joie indescriptible au coeur de Mullá Husayn. Il se précipita chez les compagnons et les pria de s'activer en vue de la réception de Bahá'u'lláh.

PHOTO: fort de Shaykh Tabarsi

Il se joignit lui-même à eux en balayant et en arrosant les alentours du tombeau, et assista en personne à tous les préparatifs en vue de l'arrivée du visiteur bien-aimé. Dès qu'il le vit s'approcher du fort en compagnie de Nazar Khán il se précipita vers eux, embrassa tendrement Bahá'u'lláh et le conduisit à la place d'honneur qu'il avait réservée à son intention.

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Nous étions trop aveugles alors pour reconnaître la gloire de celui que notre chef avait introduit auprès de nous avec tant de respect et d'amour. Notre perception bornée ne pouvait encore reconnaître ce que Mullá Husayn avait déjà discerné. Avec quelle sollicitude l'avait-il pris dans ses bras! Quels sentiments de délice et d'extase envahirent son coeur lorsqu'il le vit! Il était si perdu dans son admiration qu'il était devenu totalement oublieux de nous tous. Son âme était si absorbée dans la contemplation de ce visage que nous, qui attendions sa permission pour nous asseoir, dûmes rester longtemps debout à côté de lui. Ce fut Bahá'u'lláh lui-même qui nous pria finalement de nous asseoir. Nous aussi, nous en vînmes bientôt à ressentir, quoique imparfaitement, le charme de son verbe, même si aucun d'entre nous cependant ne put se douter, même vaguement, de la puissance infinie qui était latente en ses paroles.
"Bahá'u'lláh, au cours de cette visite, inspecta le fort et exprima sa satisfaction devant l'oeuvre qui avait été accomplie. Lors de sa conversation avec Mullá Husayn, il expliqua en détail les points qui lui semblaient vitaux au bien-être et à la sécurité de ses compagnons. "La seule chose qui manque à ce fort et à ce groupe, dit-il, est la présence de Quddús. Sa présence parmi cette compagnie la rendrait complète et parfaite." Il chargea Mullá Husayn de dépêcher Mullá Mihdíy-i-Khu'í avec six personnes à Sárí pour demander à Mírzá Muhammad-Taqí de leur remettre aussitôt Quddús. "La crainte de Dieu et la terreur qu'inspire son châtiment", affirma-t-il à Mullá Husayn, "l'inciteront à libérer sans hésitation son prisonnier."
Avant de partir, Bahá'u'lláh enjoignit aux compagnons d'être patients et résignés à la volonté du Tout-Puissant. "Si telle est sa volonté, nous viendrons vous rendre visite à nouveau ici même afin de vous prêter assistance. Vous avez été choisis par Dieu pour être l'avant-garde de son armée et les fondateurs de sa foi. Son armée sera, en vérité, victorieuse. Quoi qu'il advienne, la victoire vous appartient, une victoire qui est complète et certaine." Par ces paroles, il confia ces vaillants compagnons aux soins de Dieu et repartit vers le village en compagnie de Nazar Khán et de Shaykh Abú-Turáb. De là, il retourna à Tihrán en passant par Nur."
Mullá Husayn se mit aussitôt à exécuter les instructions qu'il avait reçues. Il appela Mullá Mihdí, le pria de se rendre en compagnie de six autres compagnons à Sárí, pour demander au mujtahid de libérer son prisonnier.

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Dès qu'il reçut le message de Mullá Husayn, Mírzá Muhammad-Taqí accéda inconditionnellement à sa demande. Le pouvoir dont ce message avait été doté sembla l'avoir complètement désarmé. "Je ne l'ai considéré", se hâta-t-il d'affirmer aux messagers, "que comme un hôte honorable dans ma maison. Il serait déplacé de ma part de prétendre l'avoir congédié ou relâché. Il est libre de faire ce qui lui plaît. S'il venait à désirer que je l'accompagne, je le suivrais volontiers.
Mullá Husayn avait dans l'intervalle prévenu ses compagnons de l'arrivée de Quddús et leur avait enjoint de faire preuve envers lui d'un respect semblable à celui qu'ils estimaient nécessaire de manifester envers le Báb lui-même. "Quant à moi, ajouta-t-il, je dois être considéré par vous comme son humble serviteur.

PHOTO: maison de Mírzá Muhammad-Taqí (le mujtahid) à Sárí, Mázindarán

Vous devez lui témoigner une telle loyauté que s'il vous donnait l'ordre de m'ôter la vie, vous obéiriez sans hésiter. Si vous hésitez, si vous montrez votre indécision, vous aurez prouvé votre infidélité envers votre foi. Vous ne devez en aucune façon vous aventurer à lui imposer votre présence tant qu'il ne vous a pas appelé auprès de lui. Vous devez renoncer à vos désirs pour vous attacher à sa volonté et à son bon plaisir. Vous devez vous abstenir de lui baiser les pieds ou les mains, car son coeur béni répugne à de telles preuves d'affection révérencieuse. Votre attitude doit être telle que je puisse me sentir fier de vous devant lui. La gloire et l'autorité dont il a été investi doivent forcément être reconnues de chacun de ses compagnons, si insignifiant soit-il. Quiconque s'écarte de l'esprit et de la lettre de mes exhortations sera certes l'objet d'un cruel châtiment."

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L'incarcération de Quddús dans la demeure de Mírzá Muhammad-Taqí, le mujtahid le plus éminent de Sárí, avec lequel il avait des liens de parenté, dura quatre-vingt-quinze jours. Bien qu'enfermé, Quddús fut traité avec une déférence marquée et fut autorisé à recevoir la plupart des compagnons qui avaient assisté à la réunion de Badasht. A personne, cependant, il ne donna la permission de rester à Sárí. Tous ceux qui avaient été le voir furent priés, en termes pressants, de s'enrôler sous l'étendard noir hissé par Mullá Husayn. C'est de ce même étendard que Muhammad, le prophète de Dieu, a parlé en ces termes: "Si vos yeux contemplent les étendards noirs arrivant du Khurásán, hâtez-vous d'aller vers eux, même si vous deviez pour cela ramper sur la neige, car ils proclament l'avènement du Mihdí (19.31) promis, le vicaire de Dieu." Cet étendard fut déployé par ordre du Báb, au nom de Quddús, et par les mains de Mullá Husayn. Il fut porté haut dans le ciel sur tout le chemin allant de la ville de Mashhad jusqu'au tombeau de Shaykh Tabarsí. Durant onze mois à compter du début du mois de sha`bán de l'an 1264 après l'hégire (19.32), jusqu'à la fin de jamádíyu'th-thání de l'an 1265, (19.33) cet emblème terrestre d'une souveraineté surnaturelle flotta continuellement au-dessus de ce petit et vaillant groupe, invitant la multitude qui le regardait à renoncer au monde et à embrasser la cause de Dieu.
Lors de son séjour à Sárí, Quddús tenta à maintes reprises de convaincre Mírzá Muhammad-Taqí de la vérité du message divin. Il discuta en toute liberté avec lui des questions les plus importantes ayant trait à la révélation du Báb. Ses remarques hardies et franches furent exprimées dans un langage si aimable, si persuasif et si courtois, présentées avec tant d'humour et de cordialité, que ceux qui les entendirent ne se sentirent nullement offensés. Ils s'étaient même mépris sur le sens de ses allusions au Livre sacré, croyant qu'il s'agissait là d'observations humoristiques destinées à divertir les auditeurs. Mírzá Muhammad-Taqí, malgré la cruauté et la méchanceté qui étaient latentes en lui et qu'il devait manifester ultérieurement par sa position consistant à insister sur l'extermination des survivants des défenseurs du fort de Shaykh Tabarsí, se sentit empêché par une force intérieure de faire preuve du moindre signe d'irrespect envers Quddús alors que ce dernier était emprisonné chez lui. Il s'était même senti enclin à empêcher les habitants de Sárí d'offenser Quddús, et on l'a souvent entendu les blâmer pour le mal qu'ils désiraient lui infliger.

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La nouvelle de l'arrivée imminente de Quddús émut les occupants du fort de Tabarsí. Vers la fin de son voyage, Quddús dépêcha un messager pour annoncer son arrivée. L'heureuse nouvelle donna aux compagnons un regain de courage et de force. Poussé par une explosion de joie qu'il ne pouvait réprimer, Mullá Husayn se leva et, escorté par environ cent de ses compagnons, se hâta d'aller à la rencontre du visiteur attendu. Il mit deux chandelles dans les mains de chacun d'entre eux, les alluma lui-même, et les pria de partir à la rencontre de Quddús. L'obscurité de la nuit fut dissipée par le rayonnement que ces coeurs joyeux répandaient en allant vers leur bien-aimé. Au milieu de la forêt du Mázindarán, leurs yeux reconnurent instantanément le visage qu'ils avaient tant désiré voir. Ils se groupèrent impatiemment autour de sa monture et, avec toutes les marques de dévotion, lui firent part de leur affection et de leur allégeance éternelle. Tenant encore les chandelles allumées dans leurs mains, ils le suivirent à pied vers leur destination. Quddús, qui chevauchait parmi eux, apparaissait tel l'astre du jour brillant au milieu de ses satellites. Tout en s'avançant lentement vers le fort, le groupe d'admirateurs enthousiastes entonna l'hymne de glorification et de louange. "Saint, saint est le Seigneur notre Dieu, le Seigneur des anges et de l'esprit!" chantaient autour de lui leurs voix joyeuses. Mullá Husayn lançait l'heureux refrain, auquel le groupe tout entier répondait. La forêt du Mázindarán retentissait du son de leurs acclamations.
Ils atteignirent ainsi le tombeau de Shaykh Tabarsí. Les premières paroles de Quddús, après être descendu de cheval et s'être appuyé contre le tombeau, furent: "le Baqíyyatu'llàh (19.34) sera meilleur pour vous si vous êtes de ceux qui croient." (19.35) Par cette parole s'accomplissait la prophétie de Muhammad telle qu'elle est rappelée dans la tradition suivante: "Et lorsque le Mihdí (19.36) sera manifesté, il s'appuiera contre la Ka`bih et s'adressera en ces termes aux trois cent treize disciples qui se seront réunis autour de lui: "Le Baqíyyatu'lláh sera meilleur pour vous si vous êtes de ceux qui croient." Par "Baqíyyatu'lláh", Quddús n'entendait nul autre que Bahá'u'lláh. Mullá Mírzá Muhammad-i-Furúghí a témoigné de cela en me relatant ce qui suit: "J'étais moi-même présent lorsque Quddús descendit de cheval. Je le vis s'appuyer contre le tombeau et l'entendis prononcer ces mêmes paroles. A peine l'avait-il fait qu'il mentionna Bahá'u'lláh et, se tournant vers Mullá Husayn, lui demanda de ses nouvelles. Mullá Husayn l'informa que, sauf dans le cas où Dieu en décréterait autrement, Bahá'u'lláh avait signifié son intention de retourner à Shaykh Tabarsí avant le premier jour de muharram. (19.37)

<P332>

"Peu après, Quddús confia à Mullá Husayn quelques homélies qu'il lui demanda de lire à haute voix devant les compagnons réunis. La première homélie qu'il lut était entièrement consacrée au Báb; la deuxième concernait Bahá'u'lláh, et la troisième se rapportait à Tahirih. Nous nous hasardâmes à exprimer à Mullá Husayn nos doutes quant au fait que la deuxième homélie se référait à Bahá'u'lláh, ce dernier y apparaissant vêtu de la robe de noblesse. La question fut soumise à Quddús qui nous assura que, plût à Dieu, son secret nous serait révélé en temps voulu. Totalement inconscients en ce temps-là du caractère de la mission de Bahá'u'lláh, nous ne pouvions comprendre le sens de ces allusions et nous échafaudions de vaines hypothèses quant à leur signification probable. Dans mon empressement à dévoiler les traditions concernant le Qá'ím promis, j'allai plusieurs fois auprès de Quddús et lui demandai de m'éclairer à ce sujet. Bien que réticent au début, celui-ci accéda finalement à ma demande. Sa manière de répondre, ses explications convaincantes et lumineuses contribuèrent à rehausser le sentiment de crainte et de vénération qu'inspirait sa présence. Il dissipait tous les doutes qui subsistaient dans nos esprits, et les preuves de sa perspicacité étaient telles que nous en vînmes à croire qu'il avait été doté du pouvoir de lire nos pensées les plus profondes et d'apaiser le trouble le plus violent de nos coeurs.
Plus d'une nuit, je vis Mullá Husayn faire le tour du tombeau dans l'enceinte duquel dormait Quddús. Combien de fois le vis-je sortir de sa chambre au beau milieu de la nuit, se diriger tranquillement vers ce lieu et murmurer ce même verset que nous chantions pour souhaiter la bienvenue au visiteur bien-aimé! Avec quelle émotion puis-je encore me le représenter s'avançant vers moi, dans le calme de ces heures sombres et solitaires que je consacrais à la méditation et à la prière, et me chuchotant à l'oreille ces paroles: "Chasse de ton esprit, ô Mullá Mírzá Muhammad, ces subtilités troublantes et, libéré de leurs entraves, lève-toi et viens avec moi boire à la coupe
du martyre. Alors pourras-tu comprendre, lorsque l'an 80 (19.38) apparaîtra à l'horizon du monde, le secret des choses qui demeurent à présent cachées à tes yeux."
Quddús, à son arrivée au tombeau de Shaykh Tabarsí, chargea Mullá Husayn de s'assurer du nombre des compagnons rassemblés. Il les compta un par un et les fit passer par la porte du fort: ils étaient trois cent douze en tout. Il pénétrait lui-même dans le fort pour informer Quddús du résultat lorsqu'un jeune homme, qui avait parcouru à pied toute la route séparant Bárfurúsh de Shaykh Tabarsí, se précipitant vers Mullá Husayn et, saisissant le pan de son vêtement, lui demanda d'être admis parmi ses compagnons et d'avoir droit au sacrifice de la vie, au moment où celui-ci serait requis, dans le sentier de son Bien-Aimé.

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Son voeu fut aussitôt exaucé. Lorsque Quddús fut informé du nombre total des compagnons, il remarqua: "Tout ce que la langue du Prophète de Dieu a dit concernant le Promis doit forcément se réaliser, (19.39) afin que son témoignage soit ainsi complet aux yeux des théologiens qui estiment être les uniques interprètes de la loi et des traditions de l'islám. Par eux, les gens reconnaîtront la vérité et admettront l'accomplissement de ces traditions." (19.40)
Chaque matin et tous les après-midi durant ces jours, Quddús appelait auprès de lui Mullá Husayn et les plus distingués de ses compagnons pour leur demander de psalmodier les Écrits du Báb. Assis dans le maydán, la place découverte contiguë au fort, et entouré de ses amis fidèles, il écoutait attentivement les paroles de son maître et faisait de temps en temps des commentaires sur celles-ci. Ni les menaces de l'ennemi, ni la férocité de leurs assauts successifs ne purent l'inciter à renoncer à sa ferveur ou à rompre la régularité de ses prières. Ignorant tout danger et oublieux de ses besoins et désirs personnels, il continua, même dans les circonstances les plus affligeantes, sa communion quotidienne avec son Bien-Aimé, écrivit des louanges à son égard et redonna force et courage aux défenseurs du fort. Bien qu'exposé aux balles qui ne cessaient de pleuvoir sur ses compagnons assiégés, il poursuivit ses travaux dans un état de calme imperturbable, sans être jamais découragé par la férocité de l'attaque. "Mon âme est liée à ta mention!" avait-il l'habitude de s'exclamer. "Ton souvenir est le soutien et la consolation de ma vie! Je me glorifie de ce que je fus le premier à souffrir ignominieusement pour l'amour de toi à Shiraz. J'aspire ardemment à être le premier à mourir dans ton sentier, d'une mort qui sera digne de ta cause.
Il demandait quelquefois à ses compagnons 'Iráqí de psalmodier divers passages du Qur'án qu'il écoutait avec une attention toute particulière et dont il dévoilait souvent la signification. Au cours de l'une de ces psalmodies, le verset suivant vint à être chanté: "Nous t'éprouverons sûrement par la peur, la faim, la perte de richesses, de vies et de fruits, mais porte la bonne nouvelle au patient." "Ces paroles, fit remarquer Quddús, furent originellement révélées en référence à Job et aux afflictions qui l'accablèrent. En ce jour, cependant, elles s'appliquent à nous, qui sommes destinés à subir les mêmes afflictions.

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Le degré de notre calamité sera tel que personne, hormis celui qui a été doué de constance et de patience, ne pourra y survivre."
Le savoir et la sagacité dont Quddús faisait preuve à ces occasions, la confiance avec laquelle il parlait, l'habilité et la hardiesse qu'il montrait dans les instructions qu'il donnait à ses compagnons, renforcèrent son autorité et rehaussèrent son prestige. Ceux-ci supposèrent tout d'abord que le profond respect que manifestait Mullá Husayn envers Quddús était dicté par les exigences de la situation plutôt que par un sentiment spontané de dévouement à sa personne. Les écrits personnels de Quddús et son comportement général dissipèrent peu à peu de tels doutes et contribuèrent à l'établir encore plus ferme-ment dans l'estime de ses compagnons. Aux jours de son emprisonnement dans la ville de Sárí, Quddús, à qui Mírzá Muhammad-Taqí avait demandé d'écrire un commentaire sur la súrih d'Ikhlás, mieux connue comme súrih de Qul Huva'lláhu'l-Ahad, composa, dans le cadre de sa seule interprétation du Sád de Samad, un traité qui est trois fois plus volumineux que le Qur'án lui-même. Cet exposé magistral et exhaustif avait profondément impressionné Mírzá Muhammad-Taqí et avait été la cause de la considération marquée que celui-ci devait désormais porter à Quddús bien qu'il ait finalement rejoint le sa`ídu'l-`ulamá' pour comploter la mort des martyrs héroïques de Shaykh Tabarsí. Quddús continua, alors qu'il était assiégé dans ce fort, à écrire son commentaire sur cette súrih et put, en dépit de la véhémence des assauts de l'ennemi, composer autant de versets qu'il en avait écrits auparavant à Sárí lors de son interprétation de cette même lettre. La rapidité et la richesse de sa composition, les trésors inestimables que révélaient ses écrits remplirent d'émerveillement ses compagnons et justifièrent sa position de chef à leurs yeux. Ils lurent avec empressement les pages de ce commentaire que Mullá Husayn leur apportait chaque jour et auquel lui-même rendait hommage.
L'achèvement de la construction du fort et l'approvisionnement en tout ce qui s'avéra essentiel à sa défense, ranimèrent l'enthousiasme des compagnons de Mullá Husayn et excitèrent la curiosité des gens du voisinage. (19.41) Quelques-uns par simple curiosité, d'autres à la recherche d'intérêts matériels, et d'autres encore poussés par leur dévouement envers la cause que symbolisait cette construction, cherchèrent à être admis dans ses murs et s'émerveillèrent de la rapidité avec laquelle elle avait été érigée. Quddús, dès qu'il eut vérifié le nombre de ses occupants, donna l'ordre de ne permettre à aucun visiteur d'y entrer.

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Les éloges que ceux qui l'avaient déjà inspectée avaient prodigués à son sujet furent transmis de bouche en bouche, parvinrent à l'oreille du sa`ídu'l-ùlamá' et suscitèrent en son coeur une implacable jalousie. Dans la haine qu'il portait envers ceux qui avaient été responsables de sa construction, il proclama l'interdiction formelle à quiconque de s'approcher de son enceinte et demanda instamment à tous de mettre en interdit les compagnons de Mullá Husayn. En dépit de la sévérité de ses ordres, quelques-uns négligèrent ses voeux et apportèrent toute l'aide en leur pouvoir à ceux qu'ils avaient si indûment persécutés. Les afflictions auxquelles furent soumis ces martyrs furent telles qu'à certains moments ils ressentaient un besoin désespéré des nécessités les plus élémentaires de la vie. Dans les heures sombres de l'adversité, cependant, la lumière de la délivrance divine, qui leur apparaissait soudain, ouvrait devant eux la porte d'un soulagement inattendu.
La manière providentielle dont les occupants du fort furent soulagés de la détresse qui pesait sur eux fit éclater la colère de l'obstiné et hautain sa`ídu'l-`ulamá'. Poussé par une haine implacable, il adressa un appel enflammé à Násiri'd-Dín Sháh qui venait d'accéder au trône, et insista sur les dangers dont sa dynastie, la monarchie même, était menacée. "L'étendard de la révolte, faisait-il valoir, a été hissé par la méprisable secte des Bábís. Ce vil groupe d'agitateurs irresponsables a osé s'attaquer aux fondements mêmes de l'autorité dont Votre Majesté Impériale a été investie. Les habitants de certains villages situés dans le voisinage immédiat de leur quartier général ont déjà rallié leur étendard et prêté serment d'allégeance à leur cause. Ils ont eux-mêmes construit un fort et se sont retranchés dans cette forteresse massive, prêts à diriger une campagne contre vous. Avec une obstination inébranlable, ils ont décidé de proclamer leur souveraineté indépendante, souveraineté qui jettera à terre le diadème impérial de vos illustres ancêtres. Vous êtes au seuil de votre règne. Quel triomphe plus grand pourrait marquer votre avènement que l'élimination de cette secte haïssable qui a osé conspirer contre vous? Il contribuera à établir Votre Majesté dans la confiance de votre peuple. Il rehaussera votre prestige et dotera votre couronne d'une gloire impérissable. Si vous hésitez dans votre politique, si vous trahissez la moindre indulgence envers eux, je sens qu'il est de mon devoir de vous avertir que le jour est imminent où non seulement la province de Mázindarán, mais bien toute la Perse, d'un bout à l'autre, aura répudié votre autorité et se sera rendue à leur cause."

<P336>

Násiri'd-Dín Sháh, peu expérimenté jusqu'alors dans les affaires de l'État, soumit la question aux officiers qui commandaient l'armée du Mázindarán et qui se trouvaient à son service. (19.42) Il leur donna l'ordre de prendre toutes les mesures qu'ils estimaient nécessaires à la disparition radicale des agitateurs de son royaume. Hájí Mustafá Khán-i-Turkamán soumit ses vues à son souverain: "Je viens moi-même du Mázindarán. J'ai pu estimer les forces dont ils disposent. La poignée d'étudiants peu entraînés et chétifs que j'ai vus est totalement impuissante à tenir tête aux forces que commande Votre Majesté. L'armée que vous entendez envoyer sur les lieux sera, selon moi, inutile. Un petit détachement de cette armée suffira à les anéantir. Ils sont complètement indignes de l'attention et de la considération de mon souverain. Si Votre Majesté veut bien signifier son désir, dans un message impérial adressé à mon frère 'Abdu'lláh Khán-i-Turkamán, de le voir investi de l'autorité nécessaire pour subjuguer cette bande, je suis convaincu qu'en l'espace de deux jours, il étouffera leur rébellion et brisera leurs espérances."

PHOTO: village d'Afra

Le Sháh donna son consentement et décréta son farmán (19.43) destiné à ce même 'Abdu'lláh Khán, ordonnant à celui-ci de recruter sans délai, dans toutes les régions de son royaume, les forces que pourrait requérir l'exécution de son plan. Il envoya avec son message un emblème royal, qu'il lui octroya en signe de confiance en sa capacité à entreprendre cette tâche. La réception du farmán impérial et le signe de l'honneur que son souverain lui avait conféré fortifia 'Abdu'lláh Khán dans sa résolution d'exécuter sa mission de manière adéquate.

<P337>

En peu de temps, il leva une armée d'environ douze mille hommes, en majeure partie composée de membres des communautés Usanlú, Afghan et Kúdár. (19.44) Il les équipa de toutes les munitions requises et les fit stationner dans le village d'Afrá, qui appartenait à Nazar Khán et dominait le fort de Tabarsí. A peine avait-il établi son camp sur ce monticule, qu'il se mit à intercepter le pain que l'on portait quotidiennement aux compagnons de Mullá Husayn. Même l'eau devait bientôt leur être refusée, car la sortie du fort assiégé était rendue impossible par le feu nourri de l'ennemi.
L'armée reçut l'ordre d'ériger quelques barricades en face du fort et d'ouvrir le feu sur quiconque se hasarderait au-delà de sa porte. Quddús interdit à ses compagnons de sortir pour aller chercher de l'eau dans le voisinage. "Notre pain a été intercepté par l'ennemi", se plaignit Rasúl-i-Bahnimírí. "Qu'adviendra-t-il de nous si l'eau venait aussi à nous être refusée?" Quddús qui était alors, au moment du coucher du soleil, en train d'observer l'armée ennemie en compagnie de Mullá Husayn, à partir de la terrasse du fort, se tourna vers ce dernier et dit: "La rareté de l'eau a affligé nos compagnons. Plût à Dieu que, cette nuit même, des averses surprennent nos ennemis, suivies d'une importante chute de neige, qui nous aideraient à repousser l'assaut qu'ils projettent."
Cette nuit-là, l'armée d''Abdu'lláh Khán fut surprise par une pluie torrentielle qui inonda la région s'étendant autour du fort. Une grande partie des munitions fut irrémédiablement endommagée. A l'intérieur des murs du fort fut amassée une quantité importante d'eau qui suffit, pendant une longue période, à la consommation des assiégés. Au cours de la nuit suivante, une chute de neige telle que les gens du voisinage n'en avait jamais connue de pareille, même au coeur de l'hiver, augmenta considérablement les dégâts que la pluie avait causés. La nuit suivante, qui était celle précédant le 5 muharram de l'an 1265 après l'hégire, (19.45) Quddús décida de quitter le fort. "Louange à Dieu", fit-il observer à Rasúl-i-Bahnimírí en marchant paisiblement et avec sérénité dans le voisinage de la porte, "qui a daigné répondre à notre prière et a fait que tombent la pluie et la neige sur nos ennemis, semant la désolation dans leur camp et apportant le réconfort dans notre forteresse."
Comme approchait l'heure de l'attaque à laquelle cette grande armée se préparait activement, en dépit des pertes qu'elle avait subies, Quddús décida de faire une sortie pour disperser les forces de l'ennemi.

<P338>

Deux heures après le lever du soleil, il enfourcha sa monture et, escorté par Mullá Husayn et de trois autres de ses compagnons qui chevauchaient à ses côtés, sortit par la porte, suivi par le groupe entier des piétons qui fermaient la marche. A peine étaient-ils hors du fort qu'ils lancèrent le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán" (19.46) semant la consternation dans le camp de l'ennemi. Le rugissement que ces disciples du Báb au coeur de lion lancèrent au milieu de la forêt du Mázindaránn dispersa l'ennemi effrayé qui était embusqué dans ses retranchements. Le scintillement de leurs armes nues les aveugla et la menace que celles-ci leur inspiraient suffit à les frapper de stupeur et à les écraser. Ils s'enfuirent dans une honteuse déroute devant la ruée des compagnons, abandonnant tous leurs biens. En l'espace de quarante-cinq minutes, le cri de victoire avait été lancé. Quddús et Mullá Husayn avaient réussi à placer sous leur contrôle le restant de l'armée défaite. 'Abdu'lláh Khán-i-Turkamán, ainsi que deux de ses officiers, Habíbu'lláh Khán-i-Afghán et Nuru'lláh Khán-i-Afghán, et non moins de quatre cent trente de leurs hommes, avaient péri.
Quddús retourna au fort alors que Mullá Husayn poursuivait encore la tâche qui avait été menée à bien avec tant de vaillance. La voix de Siyyid 'Abdu'l-'Azím-i-Khu'í se fit bientôt entendre invitant le Mullá Husayn, de la part de Quddús, à retourner aussitôt au fort. "Nous avons repoussé les assaillants, remarqua Quddús; nous n avons pas besoin de pousser plus loin le châtiment. Notre but est de nous protéger afin que nous puissions poursuivre notre oeuvre de régénération de l'humanité.

PHOTO: village de Si-iir-gah

<P339>

Nous n'avons nullement l'intention de faire du mal inutilement à quiconque. Ce que nous avons déjà accompli témoigne suffisamment de la puissance invincible de Dieu. Nous, un petit groupe de ses adeptes, avons pu, grâce à son aide, venir à bout de l'armée organisée et entraînée de nos ennemis.
Malgré cette défaite, aucun des disciples du Báb ne perdit la vie au cours de cette rencontre. Personne, hormis un homme appelé Qulí, qui chevauchait devant Quddús, ne fut sérieusement blessé. Les compagnons reçurent tous l'ordre de ne s'emparer d'aucun bien de leurs adversaires, sauf des épées et des chevaux.
Comme les signes d'un rassemblement des forces qu'avait commandées 'Abdu'lláh Khán devenaient évidents, Quddús demanda à ses compagnons de creuser un fossé autour du fort, destiné à les protéger contre une nouvelle attaque. Dix-neuf jours s'écoulèrent, pendant lesquels les compagnons firent de leur mieux pour accomplir la tâche qu'ils étaient chargés de réaliser. Ils travaillèrent gaiement nuit et jour afin de finir le travail qui leur avait été confié.
Peu après l'achèvement de l'ouvrage, on annonça que le prince Mihdí-Qulí Mírzá (19.47) s'avançait vers le fort à la tête d'une grande armée, et qu'il avait établi son camp à Shír-Gáh. Quelques jours plus tard, on apprit qu'il avait transféré son quartier général à Vás-Kas. A son arrivée, il envoya un de ses hommes informer Mullá Husayn qu'il avait reçu du Sháh l'ordre de vérifier le but de ses activités et de demander à être mis au courant de l'objectif qu'il avait en vue. "Dites à votre maître", répondit Mullá Husayn à l'envoyé, "que nous nous défendons de la moindre intention de renverser les fondements de la monarchie ou d'usurper l'autorité de Násiri'd-Dín Sháh. Notre cause concerne la révélation du Qá'im promis et a trait essentiellement aux intérêts de l'ordre religieux de ce pays. Nous pouvons exposer des arguments irréfutables et en déduire des preuves infaillibles à l'appui de la vérité du message que nous portons." La sincérité passionnée avec laquelle Mullá Husayn plaida sa cause, et les détails qu'il cita pour démontrer la validité de ses revendications, touchèrent le coeur du messager à un point tel qu'il eut les larmes aux yeux. "Que devons-nous faire?" s'exclama-t-il. "Que le prince, répondit Mullá Husayn, ordonne aux 'ulamás de Sárí et de Bárfurúsh de se rendre en ce lieu pour nous demander de démontrer la validité de la révélation proclamée par le Báb. Que le Qur'án décide qui dit la vérité. Que le prince en personne juge notre cas et prononce le verdict. Qu'il choisisse aussi la manière dont il nous traitera si nous manquons d'établir, à l'aide de versets et de traditions, la vérité de cette cause."

<P340>

PHOTO: village de Ríz-Ab

PHOTO: VILlage de Fírúz-Kúh

PHOTO: village de Vás-Kas

<P341>

Le messager exprima son entière satisfaction de la réponse qu'il avait reçue et promit qu'avant trois jours, les dignitaires ecclésiastiques se réuniraient comme il l'avait suggéré.
La promesse donnée par le messager était destinée à demeurer inaccomplie. Trois jours plus tard, le prince Mihdí-Qulí Mírzá se prépara à lancer son attaque contre les occupants du fort, à une échelle qui n'avait pas de précédent. A la tête de trois régiments d'infanterie et de plusieurs régiments de cavalerie, il établit son armée sur une hauteur qui dominait le fort et donna le signal d'ouvrir le feu dans la direction de celui-ci.
Le jour ne s'était pas encore levé lorsque, par le signal de "Montez vos coursiers, ô héros de Dieu!" Quddús donna l'ordre de rouvrir les portes du fort. Mullá Husayn et deux cent deux de ses compagnons coururent vers leurs chevaux et suivirent Quddús alors que celui-ci partait en direction de Vás-Kas. Point découragés par les forces écrasantes déployées contre eux, et en dépit de la neige et de la boue qui s'étaient accumulées sur les routes, ils foncèrent, sans s'arrêter un seul instant, dans l'obscurité qui les entourait, vers la forteresse qui servait de base aux opérations de l'ennemi.
Le prince, qui observait les mouvements de Mullá Husayn, le vit s'approcher, venant de son fort, et donna l'ordre à ses hommes d'ouvrir le feu sur lui. Les balles qui furent tirées ne parvinrent point à arrêter son avance. Il se força un passage à travers la porte et fonça dans les appartements privés du prince; celui-ci, sentant soudain que sa vie était en danger, se jeta par une fenêtre dans un fossé et s'enfuit pieds nus. (19.48) Son armée, privée de chef et frappée de panique, s'enfuit en déroute devant ce petit groupe qu'elle était incapable de subjuguer, malgré son écrasante supériorité et les moyens que le trésor impérial avait mis à sa disposition. (19.49)
En se forçant un passage à travers la partie du fort réservée au prince, les vainqueurs abattirent deux princes de sang royal (19.50) qui tentaient de tirer sur les assaillants. Lorsqu'ils pénétrèrent dans les appartements princiers, ils découvrirent, dans l'une des chambres, des coffres remplis d'or et d'argent, auxquels ils dédaignèrent de toucher. A l'exception d'un pot de poudre à canon et de l'épée favorite du prince qu'ils emportèrent en tant que preuve de leur triomphe pour Mullá Husayn, les compagnons feignirent d'ignorer le mobilier de valeur que le propriétaire avait abandonné dans son désespoir.

<P342>

Lorsqu'ils apportèrent leur butin à Mullá Husayn, ils s'aperçurent que celui-ci avait, par suite du bris de son épée par une balle, changé la sienne contre celle de Quddús avec laquelle il était occupé à repousser l'assaillant.
En ouvrant la porte de la prison qui avait été aux mains de l'ennemi, les compagnons entendirent la voix de Mullá Yùsuf-i-Ardibílí qui avait été fait prisonnier en se rendant vers le fort et qui languissait parmi les autres captifs. Mullá Yúsuf intercéda en faveur de ses compagnons d'infortune et parvint à obtenir leur libération immédiate.
Au matin de ce mémorable engagement, Mullá Husayn rassembla ses compagnons autour de Quddús dans les faubourgs de Vás-Kas, mais resta lui-même à cheval en prévision d'une nouvelle attaque de l'ennemi. Il observait les mouvements de celui-ci lorsqu'il vit soudain une armée innombrable foncer vers lui de tous côtés. Tous les compagnons se levèrent et, lançant à nouveau le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán !" , se hâtèrent de faire face au défi. Mullá Husayn éperonna sa monture et se lança dans une direction déterminée alors que Quddús et ses compagnons partaient dans une autre. Le détachement qui était en train de charger Mullá Husayn changea brusquement de direction et, fuyant devant lui, alla prêter main forte à l'autre flanc de l'ennemi, encerclant Quddús et ceux qui étaient avec lui. A un moment donné, ils tirèrent un millier de balles dont l'une atteignit Quddús à la bouche, brisant plusieurs de ses dents et lui blessant la langue et la gorge. Le vacarme que produisirent les décharges simultanées d'un millier de balles, et que l'on put entendre à une distance de dix farsangs, (19.51) suscita la crainte de Mullá Husayn, qui se hâta d'aller au secours de ses amis. Dès qu'il parvint à eux, il descendit de cheval et, confiant celui-ci à son assistant Qambar-'Alí, courut vers Quddús. La vue du sang qui coulait à profusion de la bouche de son chef bien-aimé le frappa de frayeur et de consternation. Il leva les bras horrifié et était sur le point de se frapper la tête lorsque Quddús le pria de renoncer à son geste. Mullá Husayn obéit aussitôt à son chef, lui demanda de lui remettre de ses propres mains son épée qui fut aussitôt tirée de son fourreau et utilisée pour éparpiller les forces qui s'étaient massées autour de lui. Suivi de cent dix de ses condisciples, il s'en alla faire face aux forces déployées contre lui. Tenant d'une main l'épée de son chef bien-aimé et, de l'autre, celle
de son adversaire indigne, il mena un combat désespéré contre l'ennemi et en l'espace de trente minutes, durant lesquelles il fit preuve d'un prodigieux héroïsme, il parvint à mettre en fuite l'armée tout entière.

<P343>

La retraite déshonorante de l'armée du prince Mihdí-Qulí Mírzá permit à Mullá Husayn et à ses compagnons de retourner au fort. Avec peine et regret, ceux-ci conduisirent leur chef blessé à l'abri de sa forteresse. A son arrivée, Quddús adressa un appel écrit à ses amis qui déploraient sa blessure et, par ces mots de réconfort, apaisa leur douleur. "Nous devons nous soumettre, les exhorta-t-il, à ce qui est la volonté de Dieu. Nous devons rester fermes et résolus à l'heure de l'épreuve. La pierre de l'infidèle cassa les dents du Prophète de Dieu; c'est la balle de l'ennemi qui a brisé les miennes. Bien que mon corps soit affligé, mon âme est plongée dans un océan de joie. Ma gratitude envers Dieu ne connaît pas de bornes. Si vous m aimez, ne souffrez pas que cette joie soit ternie par la vue de vos lamentations."
Cet engagement mémorable eut lieu le 25 muharram de l'an 1265 après l'hégire. (19.52) Au début de ce même mois, Bahá'u'lláh, fidèle à la promesse qu'il avait faite à Mullá Husayn, quittait Nur en compagnie de plusieurs amis pour se rendre au fort de Tabarsí. Parmi ceux qui l'accompagnaient, il y avait notamment Hájí Mírzá Jáníy-iKáshání, Mullá Báqir-i-Tabrízí, une des Lettres du Vivant, et Mírzá Yahyá, frère de Bahá'u'lláh. Ce dernier avait signifié son désir de se rendre directement à sa destination, sans faire halte au cours du voyage. Son intention était d'atteindre ce lieu de nuit, puisque des ordres stricts avaient été donnés, depuis le moment où 'Abdu'lláh Khán avait pris le commandement, de ne laisser parvenir en aucun cas une aide quelconque aux occupants du fort. Des gardes avaient été postés en différents endroits pour assurer l'isolement des assiégés. Les compagnons de Bahá'u'lláh le poussèrent cependant à interrompre son voyage pour prendre quelques heures de repos. Bien qu'il sût que ce retard comportait un grave risque de se voir surpris par l'ennemi, il se conforma à leur ardente requête. Ils firent halte dans une maison isolée qui se trouvait au bord de la route. Après le souper, ses compagnons se retirèrent tous pour aller dormir. Lui seul, en dépit des épreuves qu'il avait endurées, demeura éveillé. Il connaissait parfaitement les dangers auxquels ses compagnons et lui-même étaient exposés et se représentait parfaitement les éventualités qu'impliquait son arrivée hâtive au fort.
Alors qu'il surveillait les alentours, les émissaires secrets de l'ennemi informèrent les gardes du voisinage de l'arrivée du groupe et leur donnèrent l'ordre de saisir immédiatement tout ce qu'ils pourraient trouver en sa possession. "Nous avons reçu l'ordre formel", dirent ces derniers à Bahá'u'lláh qu'ils reconnurent aussitôt comme étant le chef du groupe, "d'arrêter toute personne que nous rencontrerons dans le voisinage et de la conduire, sans aucune investigation préalable, à Ámul pour la remettre entre les mains du gouverneur."

<P344 >

"L'affaire vous a été présentée sous un faux jour, fit remarquer Bahá'u'lláh. Vous faites erreur quant à notre but. Je vous conseille de ne pas agir d'une façon que vous pourriez regretter par la suite." Cet avertissement, exprimé avec dignité et sérénité, incita le chef des gardes à faire preuve de considération et de courtoisie envers ceux qu'il avait arrêtés. Il les pria de monter à cheval et de se rendre sa compagnie à Ámul. Comme ils approchaient du lit d'une rivière, Bahá'u'lláh fit signe à ses compagnons, qui chevauchaient à quelque distance des gardes, de jeter à l'eau tous les manuscrits qu'ils avaient en leur possession.
Au lever du jour, comme ils approchaient de la ville, un messager fut envoyé en avant pour informer le gouverneur en exercice de l'arrivée du groupe qui avait été capturé alors qu'il se rendait au fort de Tabarsí. Le gouverneur lui-même reçut l'ordre de se joindre, en compagnie des membres de sa garde personnelle, à l'armée du prince Mihdí Qulí Mirzá, et chargea son secrétaire de le remplacer en son absence. Dès que le message lui parvint, il se rendit au masjid d'Ámul et appela les 'ulamás et les principaux siyyids de la ville à se réunir pour rencontrer le groupe. Il fut fort surpris lorsqu'il vit et reconnut le Bahá'u'lláh, et regretta alors profondément les ordres qu'il avait don-nés. Il feignit de le réprimander pour l'action qu'il avait entreprise, et ce dans l'espoir d'apaiser le tumulte et de calmer l'excitation de ceux qui s'étaient rassemblés dans le masjid. "Nous ne sommes pas responsables, déclara Bahá'u'lláh, du crime qui nous est imputé. Notre innocence sera finalement établie à vos yeux. Je vous conseille d'agir de façon à ce que vous n'ayez rien à regretter par la suite." Le gouverneur faisant fonction demanda aux 'ulamás qui étaient présents de poser toutes les questions qu'ils désiraient. A toutes leurs demandes, Bahá'u'lláh donna des réponses explicites et convaincantes. Alors qu'on était en train de l'interroger, quelques-uns découvrirent sur l'un de ses compagnons un manuscrit qu'ils reconnurent comme étant l'un des Écrits du Báb et qu'ils remirent au chef des 'ulamás présent à la réunion. Dès que celui-ci eut parcouru quelques lignes du manuscrit, il le mit de côté et, se tournant vers ceux qui étaient autour de lui, s'exclama: "Ces gens, qui présentent des revendications aussi extravagantes, ont démontré dans la phrase que je viens de lire leur ignorance des règles les plus élémentaires de l'orthographe."

<P345>

"O théologien estimé et savant, répondit Bahá'u'lláh, ces paroles que vous critiquez ne sont pas celles du Báb. C'est l'Imám 'Alí, le Commandeur des croyants, qui les a lui-même prononcées dans sa réponse à Kumayl-ibn-i-Zíyád, qu'il s'était choisi pour compagnon."
Les circonstances que Bahá'u'lláh se mit à exposer, relativement à la réponse et à la remise de celle-ci, persuadèrent l'arrogant mujtahid de sa propre stupidité et de sa bévue. Ne pouvant contredire une déclaration aussi écrasante, il préféra garder le silence. Un siyyid lança avec colère: "Cette déclaration même démontre de manière convaincante que son auteur est lui-même un Bábí et un éminent interprète des préceptes de cette secte." Il demanda, dans un langage véhément, que ses disciples fussent mis à mort. "Ces obscurs sectaires sont les ennemis jurés de l'Etat et de la foi islamique! s'écria-t-il. Nous devons, à tout prix, exterminer cette hérésie." Il fut appuyé dans sa dénonciation par les autres siyyids présents qui, enhardis par les imprécations exprimées à cette réunion, insistaient pour que le gouverneur se conformât sans hésiter à leurs voeux.
Le gouverneur faisant fonction fut fort embarrassé et réalisa que tout signe d'indulgence de sa part pouvait avoir de graves conséquences quant au maintien de sa position. Désireux de faire cesser les passions qui avaient été soulevées, il donna l'ordre à ses assistants de préparer les verges et d'infliger promptement un châtiment adéquat aux prisonniers. Nous les garderons ensuite en prison, ajouta-t-il, en attendant le retour du gouverneur qui les enverra à Tihrán où ils recevront, des mains du souverain, le châtiment qu'ils méritent."
Le premier appelé à recevoir la bastonnade fut Mullá Báqir. "Je ne suis qu'un valet d'écurie de Bahá'u'lláh, dit-il. J'étais en route vers Mashhad lorsqu'on m'arrêta brusquement et m'amena en ce lieu." Bahá'u'lláh intervint et réussit à le faire relâcher. Il intercéda également en faveur de Hájí Mírzá Jání qui, dit-il, était "un simple commerçant" qu'il considérait comme son "invité" et, par conséquent, il était "responsable de toutes les accusations portées contre lui". Mírzá Yahyá qu'on commençait à lier fut, lui aussi, mis en liberté dès que Bahá'u'lláh eut déclaré qu'il était son assistant. "Aucun de ces hommes", dit-il au gouverneur faisant fonction, "n'est coupable d'aucun crime. Si vous persistez à vouloir infliger votre châtiment, je m'offre moi-même comme victime volontaire." Le gouverneur faisant fonction fut obligé, à contre-coeur, de donner l'ordre d'infliger à Bahá'u'lláh seul l'outrage qu'il avait initialement l'intention de faire subir à ses compagnons. (19.53)

<P346>

Le même traitement dont le Báb avait été l'objet cinq mois auparavant à Tabríz fut infligé à Bahá'u'lláh en présence des 'ulamás d'Ámul assemblés. Le premier emprisonnement que subit le Báb des mains de ses ennemis eut lieu chez 'Abdu'l-Hamíd Khán, l'officier de paix de Shiraz; la première détention de Bahá'u'lláh eut lieu chez l'un des kad-khudás de Tihrán. Le Báb passa son second emprisonnement dans la forteresse de Mah-Ku, tandis que Bahá'u'lláh subit le sien à la résidence privée du gouverneur d'Ámul. Le Báb fut flagellé dans le namáz-Khánih (19.54) du shaykhu'l-islám de Tabríz, et Bahá'u'lláh subit la même peine dans le namáz-Khánih du mujtahid d'Ámul. La troisième incarcération du Báb eut lieu dans la forteresse de Chihriq, tandis que celle de Bahá'u'lláh eut lieu dans le siyah-chal (19.55).

PHOTO: vue d'ámul

PHOTO: maison du gouverneur d'Amul

<P347>

Le Báb, dont les épreuves et les souffrances avaient, dans la plupart des cas, précédé celles de Bahá'u'lláh, s'était offert en sacrifice pour sauver son bien-aimé des périls qui devaient assaillir cette précieuse vie; Bahá'u'lláh, de son côté, ne voulant pas que celui qui l'aimait si ardemment fût le seul à souffrir, partagea chaque fois la coupe qui avait touché ses lèvres. Un tel amour ne s'est jamais vu et une telle dévotion mutuelle n'a jamais été conçue par un coeur humain. Si les branches de chaque arbre étaient transformées en plumes, les océans en encre, et la terre et le ciel enroulés en un seul parchemin, l'immensité de cet amour demeurerait néanmoins inexplorée et les profondeurs de cette dévotion, insondées.
Bahá'u'lláh et ses compagnons restèrent quelque temps emprisonnés dans l'une des pièces qui formaient une partie du masjid. Le gouverneur faisant fonction, qui était toujours déterminé à protéger son prisonnier contre les assauts d'un ennemi invétéré, donna en secret l'ordre à ses assistants d'ouvrir, à une heure inattendue, une brèche dans le mur de la chambre où se trouvaient emprisonnés les captifs, et de transférer aussitôt leur chef à sa résidence. Il était lui-même en train de conduire Bahá'u'lláh chez lui lorsqu'un siyyid surgit et, lançant ses plus sauvages invectives contre celui-ci, leva le gourdin qu'il tenait à la main pour le frapper. Le gouverneur s'interposa aussitôt et, faisant appel à l'assaillant, "l'adjura par le Prophète de Dieu" de retirer sa main. "Quoi !" dit le siyyid fou de colère. "Comment osez-vous relâcher un homme qui est l'ennemi juré de la foi de vos pères?" Une foule de malfaiteurs s'était pendant ce temps réunie autour de lui et, par ses hurlements de dérision et d'injures, ajoutait à la clameur qu'il avait soulevée. Malgré le tumulte croissant, les assistants du gouverneur faisant fonction parvinrent à conduire Bahá'u'lláh sain et sauf à la résidence de leur maître, faisant preuve à cette occasion d'un courage et d'une présence d'esprit vraiment surprenants.
En dépit des protestations de la foule, les autres prisonniers furent conduits au siège du gouvernement et purent ainsi échapper aux dangers qui les avaient menacés. Le gouverneur faisant fonction s'excusa beaucoup auprès de Bahá'u'lláh pour le traitement que les habitants d'Ámul lui avaient réservé. "Sans l'intervention de la Providence, dit-il, aucune force n'aurait pu réaliser votre libération de la poigne de ce peuple malveillant. Sans l'efficacité du voeu que j'avais fait de risquer ma propre vie pour vous, j'aurais été, moi aussi, victime de leur violence et foulé aux pieds." Il se plaignit avec amertume de la conduite outrageante des siyyids d'Ámul et dénonça la bassesse de leur caractère.

<P348>

Il déclara qu'il était lui-même sans cesse tourmenté par leurs desseins malveillants. Il se mit à servir Bahá'u'lláh avec dévouement et bonté et on l'entendait remarquer souvent, lors de ses conversations avec lui: "Loin de moi l'idée de vous considérer comme un prisonnier chez moi. Cette maison, je le crois, fut bâtie dans le but même de vous fournir un refuge contre les desseins de vos ennemis.
J'ai entendu Bahá'u'lláh lui-même raconter ce qui suit: "Jamais on n'a vu prisonnier être traité comme je l'étais, avec autant de considération et d'estime. Le gouverneur intérimaire d'Ámul me servait avec libéralité et portait la plus grande attention à tout ce qui pouvait affecter ma sécurité et mon confort. Je ne pouvais cependant passer la porte de la maison. Mon hôte craignait que le gouverneur, qui avait des liens de parenté avec 'Abbás-Quli Khán-i-Láríjání, ne revînt du fort de Tabarsí et ne me portât préjudice. Je tentai de dissiper ses craintes. "La même Omnipotence, lui affirmai-je, qui nous a libérés des mains des malfaiteurs d'Ámul et nous a permis d'être reçus par vous avec tant d'hospitalité, est capable de transformer le coeur du gouverneur et de l'amener à nous traiter avec autant de considération et d'affection."
"Une nuit, nous fûmes réveillés soudainement par la clameur des gens qui s'étaient réunis devant la porte de la maison. La porte fut ouverte et on annonça que le gouverneur était revenu à Ámul. Nos compagnons, qui s'attendaient à un nouvel assaut, furent complètement surpris lorsqu'ils entendirent la voix du gouverneur blâmer ceux qui nous avaient si cruellement dénoncés le jour de notre arrivée. "Pour quelle raison", l'entendîmes-nous réprimander à haute voix, "ces misérables coquins ont-ils décidé de traiter avec tant d'irrespect un invité dont les mains sont liées et à qui l'on n'a pas donné l'occasion de se défendre? Pour quel motif ont-ils demandé qu'il fût immédiatement mis à mort? Quelles preuves ont-ils pour étayer leurs prétentions? S'ils sont sincères dans leurs affirmations quant à leur fidèle attachement à l'islám en qualité de gardiens de ses intérêts, qu'ils se rendent eux-mêmes au fort de Shaykh Tabarsí pour démontrer leur aptitude à défendre la foi dont ils se prétendent les défenseurs."
L'héroïsme que le gouverneur d'Ámul avait constaté chez les défenseurs du fort lui avait complètement transformé l'esprit et le coeur. Il revenait plein d'admiration pour une cause qu'il avait auparavant méprisée et au progrès de laquelle il s'était fermement opposé. Les scènes dont il avait été témoin avaient dissipé sa colère et refréné son orgueil.

<P349>

Avec humilité et respect, il se rendit auprès de Bahá'u'lláh et s'excusa pour l'insolence des habitants d'une ville dont il était gouverneur. Il le servit avec un dévouement extrême, négligeant complètement sa propre position et son rang. Il exalta les vertus de Mullá Husayn et s'étendit sur son ingéniosité, son intrépidité, son habileté et sa noblesse d'âme. Quelques jours plus tard, il parvenait à organiser le départ sans encombre de Bahá'u'lláh et de ses compagnons pour Tihrán.
Le souhait de Bahá'u'lláh de partager le sort des défenseurs du fort de Shaykh Tabarsí devait rester inexaucé. Bien que lui-même fût extrêmement désireux de prêter toute l'assistance en son pouvoir aux assiégés, il échappa, grâce à la mystérieuse dispensation de la Providence, au sort tragique qui devait bientôt frapper les principaux participants à ce mémorable combat.

PHOTO: vues du Masjid d'Amul

PHOTO: la marque x montre l'endroit où l'ouverture fut pratiquée dans le mur

<P350>

S'il avait pu atteindre le fort, s'il avait été autorisé à rejoindre les membres de ce groupe héroïque, comment aurait-il pu jouer son rôle dans le grand drame qu'il était destiné à dévoiler? Comment aurait-il pu parfaire l'oeuvre qui avait été si glorieusement conçue et si merveilleusement inaugurée? Il était dans la fleur de l'âge lorsque l'appel de Shiraz lui parvint. À vingt-sept ans, il se leva pour consacrer sa vie au service du Báb, s'identifia avec hardiesse à ses enseignements et se distingua par le rôle exemplaire qu'il joua dans la propagation de sa cause. Aucun effort n'était trop grand pour l'énergie dont il était doué, et aucun sacrifice trop affligeant pour la dévotion que lui avait inspiré sa foi. Il écarta avec force toute considération de renommée, de richesse et de rang pour poursuivre la tâche qu'il avait à coeur d'accomplir. Ni les reproches de ses amis ni les menaces de ses ennemis ne purent l'amener à cesser de défendre une cause que ceux-ci considéraient comme celle d'une secte obscure et proscrite.
La première incarcération qu'il subit à cause de l'aide qu'il avait apportée aux prisonniers de Qazvín; la manière magistrale dont il réalisa la libération de Tahirih; la façon exemplaire dont il dirigea les débats tumultueux à Badasht; celle dont il sauva la vie de Quddús à Níyálá; la sagesse qu'il montra dans la délicate situation créée par l'impétuosité de Tahirih, et la vigilance dont il fit preuve pour la protéger ; les conseils qu'il donna aux défenseurs du fort de Tabarsí; le plan qu'il conçut pour joindre les forces de Quddús à celles de Mullá Husayn et de ses compagnons; la spontanéité avec laquelle il se leva pour soutenir les efforts de ces braves défenseurs; la magnanimité qui le poussa à souffrir à la place de ses compagnons qui étaient exposés à de dures épreuves; la sérénité avec laquelle il fit face aux violences qui s'abattirent sur lui à la suite de l'attentat contre la vie de Násiri'd-Dín Sháh; les maux qui l'accablèrent tout le long du trajet de Lavásán au quartier général de l'armée impériale et, de là, à la capitale; le poids blessant des chaînes qu'il porta alors qu'il gisait dans l'obscurité du siyah-chal de Tihrán-tous ces faits ne sont que quelques exemples témoignant avec éloquence de la position qu'il occupa en tant que premier animateur des forces qui étaient destinéesà refaçonner le visage de son pays natal. Ce fut lui qui dispensa ces forces, qui dirigea leur cours, qui harmonisa leur action et les mena finalement vers la perfection dans la cause qu'il était lui-même destiné à révéler par la suite.

<P351>

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NOTE DU CHAPITRE 19:

(19.1) Voir page 211.

(19.2) Littéralement: "Ile verdoyante".

(19.3) Voir glossaire.

(19.4) 21juillet 1848 ap. J.-C.

(19.5) Porteur de la Tablette de Bahá'u'lláh à Násiri'd-Dín Sháh.

(19.6) "Il (Mullá Husayn) arriva d'abord à Míyámay où il s'adjoignit trente bábís dont le chef, Mírzá Zaynu'l-'Àbidín, élève du défunt Shaykh Ahmad-i Ahsá'í, était un vieillard pieux et respecté. Son zèle était si ardent qu'il amena avec lui son gendre, jeune homme de 18 ans qui s'était, il y avait à peine quelques jours, marié avec sa fille. "Viens, lui dit-il, viens avec moi faire le dernier voyage. Viens, car je veux être pour toi un véritable père et te faire participer aux joies du salut." Ils partirent donc, et c'est à pied que le vieillard voulut faire les étapes qui devaient le conduire au martyre. ' (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 290.)

(19.7) 31 août - 29 septembre 1848 ap. J.-C.

(19.8) Muhammad Sháh mourut la veille du 6 shavvál (4 septembre 1848 ap. J-C.) "Il eut un interrègne de 2 mois environ. On organisa un gouvernement provisoire composé de quatre membres administrateurs, sous la présidence de la veuve du Sháh défunt. À la fin, et après beaucoup d'agitations, l'héritier légitime, le jeune prince, gouverneur de l'Ádhirbáyján, Násiri'd-Dín Mírzá, fut élevé au trône." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 367).

(19.9) "Le ministre (Mírzá Taqí Khán) avec un arbitrage extrême, sans avoir reçu d'instruction ni avoir demandé de permission, envoya partout des ordres pour punir et châtier les Bábís. Les gouverneurs et les magistrats cherchèrent un prétexte pour s'enrichir, et les officiels un moyen pour réaliser des profits; les docteurs accomplis poussèrent, de leur chaire, les hommes à mener un assaut général; les forces des autorités civiles et religieuses se donnèrent la main pour s'efforcer de déraciner et de détruire ce peuple. Celui-ci n'avait pas encore acquis une connaissance exacte et nécessaire des principes fondamentaux et des doctrines cachées des enseignements du Báb, et ne reconnut pas ses devoirs.
Ses conceptions et ses idées étaient traditionalistes, et sa conduite et son comportement en accord avec les usages du passé. S'approcher du Báb était d'ailleurs chose interdite, et la flamme de l'agitation soufflait visiblement de toutes parts. Selon le décret du plus accompli des docteurs, le gouvernement et, en fait, le peuple lui-même avaient, avec une force irrésistible, inauguré de toutes parts la rapine et le pillage, et étaient occupés à punir et à torturer, à tuer et à dépouiller, afin d'étouffer ce feu et d'écraser ces pauvres âmes.
Dans les villes où celles-ci étaient en nombre limité, toutes, les mains liées, étaient passées par le fil de l'épée, tandis que dans les cités où elles étaient nombreuses, elles se levaient pour se défendre, d'accord en cela avec leurs croyances antérieures, puisqu'elles ne pouvaient se renseigner quant à leur devoir, et que toutes les portes étaient closes." ("A Traveller's Narrative", pp. 34-5).

(19.10) Voir glossaire.

(19.11) «La balle atteignit en pleine poitrine et étendit raide mort le nommé Siyyid Ridá. C'était un homme de moeurs pures et simples, d'une conviction ardente et sincère. Par respect pour son chef, il était toujours à pied à côté de son cheval, prêt à le servir à la moindre occasion." ("Siyyid'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 294)

(19.12) "On ne doit tuer personne à cause de son athéisme, car tuer une âme est exclu de la religion de Dieu; ... et si quelqu'un l'ordonne, celui-là n'est pas et n'a pas été du Bayán, et aucun péché ne peut être plus grand pour lui que celui-ci." ("The Bayán". Voir 'journal of the Royal Asiatic Society", octobre 1889, art. 12, pp. 927-8.)

(19.13) "Mais la douleur et la colère décuplèrent les forces de ce dernier (Mullá Husayn) qui, d'un seul coup de son arme, coupa en deux le fusil, l'homme et l'arbre. (Mírzá Jání ajoute que le Bushrú'í se servit en cette occasion de la main gauche. Les musulmans eux-mêmes ne mettent pas en doute l'authenticité de cette anecdote.) (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 295 et note 215.) "Alors Jináb-i-Bábu'l-Báb se tourna et dit: "Ils nous ont maintenant obligés de nous protéger;" il saisit la poignée de son épée et, obéissant à ce que la divine providence avait ordonné, commença à se défendre.
Malgré sa constitution fragile et chétive et sa main tremblante, sa vaillance et sa prouesse ce jour-là furent telles que tous ceux qui avaient des yeux pour discerner la vérité purent clairement voir qu'une telle force et qu'un tel courage ne pouvaient être que de Dieu, puisqu'ils étaient au-delà de toute capacité humaine...
Je vis alors Mullá Husayn dégainer son épée et lever son visage vers le ciel, et je l'entendis s'exclamer: «Ô Dieu, j'ai accompli la preuve pour cette foule, mais elle n'en a pas profité." Alors il commença à nous attaquer à droite et à gauche. Je jure par Dieu que, ce jour-là, il jongla avec son épée d'une façon telle qu'elle transcende la force de l'homme. Seuls les cavaliers du Mázíndarán restèrent sur place et refusèrent de fuir. Et lorsque Mullá Husayn eut pris l'habitude du combat au point de se décontracter, il poursuivit un soldat fugitif. Celui-ci s'abrita derrière un arbre et s'efforça encore de s'abriter derrière son mousquet. Mullá Husayn lui asséna un tel coup d'épée qu'il les coupa lui, l'arbre et le mousquet en six morceaux." (Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 49, 107-8).

(19.14) 1848-9 ap. J.-C.

(19.15) Mírzá Taqí Khán, i'timádu'd-dawlih, Grand vazír et successeur de Hájí Mírzá Aqási. L'allusion suivante lui est faite dans «A Traveller's Narrative" (pp. 32-3): Mírzá Taqí Khán Amír-Nizám, qui était Premier ministre et régent en chef, prit dans sa poigne despotique les rênes des affaires de la communauté et lança la monture de son ambition dans l'arène de l'obstination et de l'égoïsme.
Ce ministre était une personne dépourvue de toute expérience, ne considérant pas les conséquences de ses actes; il était assoiffé de sang et effronté, disposé et prompt à verser le sang. Etre sévère dans la punition lui paraissait une sagesse d'administration, et se faire prier instamment, causer la détresse, intimider et terrifier le peuple était considéré par lui comme un point d'appui pour l'avancement de la monarchie.
Et comme Sa Majesté le Roi était dans sa prime jeunesse, le ministre sombra dans d'étranges caprices et battit le tambour de l'absolutisme dans la conduite des affaires: de sa propre résolution irrévocable, sans demander la permission du roi ni prendre conseil auprès d'hommes d'État avisés, il émit des ordres pour que l'on persécutât les Bábís, imaginant que par une force outrecuidante il pouvait extirper et supprimer des affaires de ce genre, et que la sévérité porterait ses fruits; alors qu'en fait, intervenir dans des affaires de conscience équivaut simplement à leur donner plus de force et d'ampleur; plus on s'efforce d'étouffer la flamme, plus celle-ci brûle avec intensité, et ce surtout en matière de foi et de religion, qui se propagent et acquièrent de l'influence dès que le sang est versé, ce qui affecte puissamment le coeur de l'homme.

(19.16) Voir glossaire.

(19.17) Qur'án, 9: 52.

(19.18) "Le Bábu'l-Báb voulant, dit notre auteur, en même temps qu'accomplir un devoir religieux donner un exemple de la fermeté des convictions des sectaires, de leur mépris de la vie, et démontrer au monde l'impiété et l'irréligion de ceux qui se disent musulmans, donna l'ordre à l'un des siens de monter sur une terrasse et d'y chanter l'adhán." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid AhMuhammad dit le Báb", pp. 295-6). "C'est à Marand, écrit Lady Sheil, que j'entendis pour la première fois l'adhán, autrement dit l'appel des musulmans à la prière, appel si solennel et si impressionnant, spécialement quand il est bien chanté car, en fait, c'est un chant...
Il se tourna vers La Mecque et, se posant les mains ouvertes sur la tête, proclama d'une voix haute et sonore: "Alláh-u-Akbar", qu'il répéta quatre fois; puis "Asllad-u-an-lá-iláh-a-illa'lláh' ' - (Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre dieu que Dieu), deux fois; puis "Asllad-u-inna-MuhammadanRasú'lláh" - (Je témoigne que Muhammad est le prophète de Dieu), deux fois, et alors "Je témoigne qu' 'Alí, le Commandeur des croyants, est l'ami de Dieu" ...
Le seul tintement du glas lorsqu'on transporte les défunts vers leur ultime demeure terrestre évoque, peut-être à cause de l'association, des idées d'une profonde solennité; de même le son de la trompette résonnant à travers le camp lorsqu'on porte le dragon vers sa tombe; mais plus solennel et plus terrifiant encore est le tintement lorsqu'il vole au loin à travers vallées et collines de Munster, annonçant qu'un Gaêl a rejoint ses aïeux.
L'adhán provoque une impression différente. Il évoque dans l'esprit un ensemble de sentiments, de dignité, de solennité et de dévotion devant lequel, lorsqu'on l'y compare, le tintement des cloches devient insignifiant. C'est une chose imposante que d'entendre, on pleine nuit, les premiers appels du mu'adhdhin proclamant "Alláh-u-Akbar' ' - Le Seigneur est puissant - Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre dieu que Dieu « Saint Pierre et saint Paul réunis ne peuvent rien produire de pareil." ("Ghimpses of Life and Manners in Persia", pp. 84, 85.)

(19.19) "Sa'ídu'l-' Ulamá', voulant en finir à tout prix, réunit autant de monde qu'il put et mit de nouveau le siège devant le caravansérail: la bataille durait depuis cinq ou six jours, quand parut 'Abbás-Qulí Khán Sardár-i-Láríjání. Entre temps, en effet, et dès le début de l'action, les 'ulamás de Bárfurúsh, exaspérés des nombreuses conversions que Quddús avait su faire en ville - trois cents en une semaine, constatent avec quelque mauvaise humeur les historiens musulmans - en avaient référé au Gouverneur de la province, le Prince Khánlar Mírzá; celui-ci ne fit aucune attention à leurs doléances, ayant en tête bien d'autres préoccupations. La mort de Muhammad Sháh l'inquiétait beaucoup plus pour lui-même que les criailleries des mullás et il se préparait à aller à Tihrán saluer le nouveau souverain dont il espérait se concilier les bonnes grâces.
N'ayant pas réussi de ce côté et les événements se précipitant, les 'ulamás écrivirent une lettre fort pressante au chef militaire de la province, 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání. Ce dernier, jugeant inutile de se déranger lui-même, envoya Muhammad Bik, yávar (capitaine), à la tête de trois cents hommes pour remettre les choses en ordre. C'est alors que les musulmans vinrent assiéger le caravansérail. La hutte s'organisa, mais, si dix Bábís furent tués, un nombre infiniment plus grand d'assaillants mordit la poussière. Les choses traînant en longueur, 'Abbás-Qulí Khán crut devoir venir lui-même pour se rendre compte de visu de la situation." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 296-7).

(19.20) Gobineau à décrit en ces termes: "Les nomades turks et persans passent leur vie à chasser, souvent aussi à guerroyer, et surtout à parler de chasse et de guerre. Ils sont bravos, mais non tous les jours, et ils tomberaient sous le coup de la remarque de Brantôme, qui, dans son expérience des guerres de son époque, avait beaucoup rencontré de pareils courages, qu'il nomme assez bien journaliers. Mais ce que sont ces nomades d'une manière très uniforme et constante, c'est grands parleurs, grands démanteleurs de villes, grands massacreurs de héros, grands exterminateurs de multitudes; en somme, naïfs, très à découvert dans leurs sentiments, très vifs dans l'expression de ce qui échauffe leurs têtes, extrêmement amusants. 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání, homme très bien né assurément, était un type de nomade accompli." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale», p. 171.)

(19.21) Scélérat notoire qui se rebella souvent contre le gouvernement.

(19.22) 10 octobre 1848 ap. J.-C.

(19.23) Qur'án, 17: 7.

(19.24) Voir glossaire.

(19.25) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 36), c'est Mírzá Lutí-'Alí, le secrétaire, qui tira son
poignard et frappa Khusraw.

(19.26) Voir glossaire.

(19.27) "Puis se tournant vers ses compagnons: "Pour ces quelques jours que nous avons encore à vivre, évitons que des richesses périssables nous divisent et nous séparent. Que tout ceci nous soit commun et que chacun en profite." Les Bábís y consentiront avec joie, et c'est ce sacrifice merveilleux, cette abnégation parfaite qui les ont fait et les font encore accuser de vouloir la communauté des biens et dos femmes!" (A.L.M. Nicohas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 299.)

(19.28) Voir glossaire.

(19.29) Tombeau de Shaykh Ahmad-ibn-i-Abí-Tálb-i-Tabarsí, situé à environ quatorze milles au sud-est de Bárfurúsh. Le professeur Browne, de l'université de Cambridge, visita le lieu le 26 septembre 1888, et vit le nom du saint inhumé inscrit sur une tablette au moyen dos paroles employées lors de sa "visitation", la tablette étant accrochée à la grille entourant le tombeau. "Celui-ci comprend à présent, écrit le professeur, une enceinte plate, herbeuse, entourée d'une haie, et contenant, outre les bâtiments du tombeau et une autre construction près de la porte (en face de laquelle, mais à l'extérieur de l'enceinte, se trouve la maison du mutavallí, ou gardien du tombeau), seulement doux ou trois orangers et quelques tombes couvertes de pierres plates, lieux de repos, peut-être, de quelques défenseurs bábís.
Le bâtiment se trouvant près de la porte, haut de deux étages, est traversé par le passage donnant accès à l'enceinte, et couvert de tuiles. Les bâtiments du tombeau, qui se trouvent à l'autre extrémité de l'enceinte, sont plutôt mieux soignés. Leur plus grande longueur (environ 20 pas) s'étend des côtés est et ouest; leur largeur est d'environ dix pas; et, outre le portique couvert à l'entrée, ils comprennent doux chambres faiblement éclairées par un grillage en bois sur les portos. La tombe du shaykh, qui donne son nom au lieu, est entourée d'une clôture en bois au contre de la chambre intérieure, à laquelle on accède soit par une porte communiquant avec la chambre extérieure, soit par une autre s'ouvrant vers l'extérieur dans l'enceinte." (Concernant les plans et les esquisses, voir la traduction du "Táríkh-i Jadíd".) (E.G.Browne: A year amongst the Persians", p. 565.)

(19.30) 12 octobre 1848 ap. J.-C.

(19.31) Voir glossaire.

(19.32) 3 juillet - 1er août 1848 ap. J.-C.

(19.33) 24 avril - 23 mai 1849 ap. J.-C.

(19.34) Littéralement: "Vestige de Dieu.»

(19.35) Qur'án 11: 85.

(19.36) Voir glossaire.

(19.37) 27 novembre 1848 ap. J.-C.

(19.38) Référence à l'an 1280 après l'hégire (1863 - 4 ap. J-C.), où Bahá'u'lláh déclara sa mission à Baghdád.

(19.39) Le rassemblement de trois cent treize adeptes élus de l'imám à Táhiqán, au Khúrásán, est l'un des signes qui doit forcément annoncer l'avènement du Qá'im promis. (E.G. Browne: "A History of Persian Literature in Modem Times" (1500 à 1924 ap. J.-C.), p. 399.)

(19.40) "Parmi eux se trouvait également Ridá Khán, le fils de Muhammad Khán, le Turkamán, Grand écuyer de feu Sa Majesté Muhammad Sháh. Et c'était un jeune homme de constitution bien faite, au visage accueillant, doué de toutes sortes de talents et de vertus, digne, tempéré, doux, généreux, courageux et viril.
Pour l'amour et le service de Sa Sainteté, il abandonna à la fois son poste et son salaire et dédaigna le rang comme le nom, la renommée comme la honte, les reproches de ses amis comme les injures de ses ennemis. Dès le départ, il abandonna dignité, richesse, position, et tout le pouvoir et la considération dont il jouissait, dépensa de fortes sommes d'argent (quatre ou cinq mille túmáns au moins) pour la cause, et montra à maintes occasions qu'il était prêt à offrir volontairement sa vie.
L'une de celles-ci eut lieu lorsque Sa Sainteté Suprême arriva au village de Khánliq près de Tihrán et, pour éprouver la fidélité de ses disciples, dit: "Il ne serait pas mauvais que quelques cavaliers me délivrent du joug des rebelles et de leurs machinations." En entendant ces paroles, plusieurs cavaliers expérimentés et bien entraînés, complètement équipés et armés, se préparèrent promptement à se mettre à l'oeuvre et, renonçant à tout ce qu'ils avaient, se présentèrent en toute hâte devant Sa Sainteté. Parmi ceux-ci se trouvaient Mírzá Qurbán'Alí, d'Astarábád, et Ridá Khán.
Lorsqu'ils arrivèrent auprès de Sa Sainteté, il soumit et dit: "La montagne d'Àdhirbáyján me réclame aussi", et les pria de faire demi-tour. A son retour, Ridá Khán se consacra au service des amis de Dieu, et sa maison était souvent le lieu de réunion dos croyants, parmi lesquels Jináb-i-Quddús et Jináb-i-Bábu'l-Báb fument pendant quelque temps ses invités très honorés. En fait, il n'épargna aucun effort et ne manqua d'ailleurs jamais de servir ce groupe.
Malgré sa haute position, il s'efforça avec coeur et âme de promouvoir les intérêts dos serviteurs de Dieu. Lorsque, par exemple, Jináb-i-Quddús commença à prêcher la doctrine dans le Mázíndarán et que le sa'ídu'h- 'ulamá', en étant informé, fit des efforts acharnés pour lui porter tort, Ridai Khán se hâta d'aller dans le Mázíndarán et, chaque fois que Jináb-i-Quddús s'éloignait de sa maison, il marchait à pied devant lui, malgré sa haute position et le respect dont il était habituellement l'objet, son épée sur l'épaule; en voyant cela, ceux qui avaient de mauvaises intentions craignaient de se permettre un acte hostile... Pendant quelque temps, Ridá Khán resta ainsi dans le Mázíndarán, puis il accompagna Jináb-i-Quddús à Mashhad.
A son retour, il assista aux troubles qui eurent lieu à Badasht, où il rendit les plus précieux services, et fut chargé d'importantes et délicates missions. Après la réunion de Badasht, il tomba malade et vint à Tihrán en compagnie de Mírzá Sulaymán-Qulí de Núr (un des fils de feu Shátir-báshí et homme connu pour ses vertus, son savoir et son dévouement). La maladie de Ridá Khán dura quelque temps et, lorsqu'elle le quitta, le siège de la forteresse de Tabarsí avait déjà atteint son paroxysme. Il décida aussitôt d'aller secourir la garnison du fort. Etant cependant un homme fort connu et de marque, il ne put quitter la capitale sans donner quoique maison plausible. Il prétendit donc vouloir reprendre son travail antérieur, et demanda à pouvoir être envoyé pour participer à la guerre du Mázíndarán tout en s'excusant pour son passé.
Le roi accéda à sa requête, et il fut désigné pour accompagner le corps d'armée qui marchait, sous le commandement du prince Mihdí-Qulí Mírzá, contre le fort. Durant la marche, il disait continuellement au prince; Je ferai ceci" et "Je ferai cela"; de sorte que le prince vint à fonder de grands espoirs sur lui et lui promit un poste en relation avec ses services; effectivement, jusqu'au jour où la bataille devint inévitable et la paix impossible, il fut au premier rang de l'armée et très actif dans la direction de ses opérations. Mais, le jour où la bataille éclata, il commença par lancer son cheval au galop et pratiqua d'autres exercices martiaux, jusqu'à ce qu'il effectuât, sans avoir soulevé de suspicion, une jonction avec les "Frères de Pureté» après avoir donné libre cours au galop de son cheval. A son arrivée parmi ceux-ci, il baisa le genou de Jináb-i-Quddús et se prosterna devant lui en signe de gratitude.
Il retourna alors au champ de bataille et commença à injurier et à damner le prince, en disant: "Qui est assez homme pour fouler aux pieds la pompe et la cérémonie du monde, se libérer des lions des plaisirs charnels, et rejoindre comme moi les saints de Dieu? Moi, pour ma part, je ne semai satisfait que lorsque ma tête tombera, couverte de poussière et de sang, dans cotte plaine." Alors, tel un lion vorace, il se rua sur eux l'épée tirée et se comporta avec une telle bravoure que tous les officiers royalistes en furent étonnés et diront: "Une telle bravoure doit lui avoir été accordée d'en haut, ou bien un nouvel esprit a été insufflé dans son corps." En effet, il arriva plus d'une fois qu'il tua de son épée un artilleur alors qu'il était en train de mettre le feu à son canon et, comme tant d'officiers principaux de l'armée royale tombaient sous ses coups, le prince et les autres commandants désiraient plus ardemment se venger sur lui que sur tout autre Bábí.
Pour cette raison, la veille du jour où Jináb-iQuddús devait se soumettre au camp royal, Ridá Khán, sachant qu'à cause de la haine féroce qu'on portait contre lui on le tuerait après l'avoir cruellement torturé, alla de nuit aux quartiers d'un officier du camp qui était son fidèle et ancien ami et camarade. Après le massacre des autres bábís, on rechercha Ridá Khán qui, finalement, fut découvert. L'officier qui lui avait donné abri proposa d'offrir pour lui une rançon de doux mille túmáns comptant, mais son offre fut repoussée et, quoiqu'il fût prêt à augmenter la somme et s'efforçât sérieusement de sauver son ami, il échoua car le prince, à cause de la haine excessive qu'il avait pour Ridá Khán, ordonna qu'il fût déchiqueté." ("The Táríkh-i Jadíd", pp. 96-101.)

(19.41) D'après les descriptions que j'en ai entendu faire, le château construit par Mullá Husayn ne laissa pas que de devenir un édifice assez fort. La muraille dont il était entouré avait environ dix mètres de hauteur. Elle était en grosses pierres. Sur cotte base, on éleva des constructions en bois faites avec des troncs d'arbres énormes, au milieu desquelles on ménagea un nombre convenable de meurtrières; puis on ceignit le tout d'un fossé profond. En somme c'était une espèce de grosse tour, ayant le soubassement en pierres et les étages supérieurs en bois, garnie de trois rangs superposés de meurtrières et où l'on pouvait placer autant de tufang-chís que l'on voudrait ou plutôt que l'on en aurait.
On perça beaucoup de portes et de poternes, afin d'avoir par où entrer et sortir facilement; l'on fit des puits et on eut de l'eau en abondance; on creusa des passages souterrains pour se créer, en cas de malheur, quelques lieux de refuge, on établit des magasins qui furent aussitôt fournis et remplis de toutes sortes de provisions de bouche achetées ou peut-être bien prises dans les villages des environs; enfin, on composa la garnison du château des Bábís les plus énergiques, les plus dévoués, les plus sûrs que l'on eût sous la main." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 156.)

(19.42) "Ainsi, forcené pour le bon ordre, l'Amír-Nizám avisa bien vite aux affaires du Mázíndarán, et quand les grands de cotte province, venus à Tihrán pour faire leur cour au moi, furent au moment de leur départ, on leur commanda de prendre de telles mesures que la sédition des Bábís ne se prolongeât pas davantage. Ils promirent d'agir pour le mieux.
«En effet, aussitôt de retour, ces chefs se miment en mouvement afin de réunir leurs forces et de se concerter. Chacun écrivit à 505 parents de venir le joindre. Hájí Mustafá Khán manda son frère 'Abdu'lláh. 'Abbás-Qulí Khán-i-Lárijání appela Muhammad-Sultán et Alí Khán de Savád-Kúh. Tous ces gentilshommes avec leur monde s'arrêtèrent au dessein d'attaquer les Bábís dans leur château avant que ceux-ci ne songeassent à prendre eux-mêmes l'offensive. Les officiers royaux voyant les chefs du pays en aussi bonne disposition, rassemblèrent de leur côté un grand conseil, où s'empressèrent de se rendre les soigneurs nommés tout à l'heure, puis Mírzá Áqá, Mustawfí du Mázíndarán ou contrôleur des finances, le chef des 'ulamás et beaucoup d'autres personnages de grande considération." (Ibid., pp. 160 - 61.)

(19.43) Voir glossaire.

(19.44) De son côté, le contrôleur des finances lova une troupe parmi les Afgháns domiciliés à Sári et y joignit quelques hommes des tribus turques placées sous son administration. 'Alí-Ábád, le village si rudement châtié par les Bábís et qui aspirait à une revanche, fournit ce qu'il put et se renforça d'une partie des hommes de Qádí, qui, en raison du voisinage, se laissèrent embaucher." (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 161.)

(19.45) 1er décembre 1848 ap. J-C.

(19.46) Voir glossaire.

(19.47) "L'Amír-Nizám entra dans un transport de violente colère en apprenant ce qui venait de se passer. Il s'indigna aux terreurs qu'on lui dépeignait. Trop loin du théâtre de l'action pour bien apprécier l'enthousiasme sauvage des rebelles, ce qu'il en comprit, ce fut qu'il était besoin d'en finir avec eux avant que leur énergie n'eût encore été exaltée par dos succès trop réels. Le prince Mihdí-Qulí Mírzá, nommé lieutenant du moi dans la province menacée, partit avec dos pouvoirs extraordinaires. On donna ordre de dresser la liste des morts tombés dans le combat devant le château dos Bábís et dans le sac de Forma, et dos pensions furent promises aux survivants. Hájí Mustafá Khán, frère d' 'Abdu'lláh, reçut dos marques solides de la faveur royale; enfin on fit ce qui était possible pour relever les courages et rendre aux musulmans un pou de confiance en eux-mêmes." (Comte de Gobinoau: "Les Religions et les Philosophes dans l'Asie Centrale", pp. 163-4.)

(19.48) "Nous avons laissé Mihdí-Qulí Mírzá courant loin de sa maison incendiée et errant seul dans la campagne, à travers les neiges et les ténèbres. À l'aube il se trouva dans un défilé inconnu, perdu en des lieux horribles, mais en réalité éloigné seulement d'un peu plus d'une demi-lieue du lieu du carnage. Le vent apportait à ses oreilles le bruit dos décharges de la mousqueterie.
"Dans ce triste état et ne sachant que devenir, il fut rencontré par un Mázíndarání monté sur un cheval assez bon, qui, en passant près de lui, le reconnut. Cet homme mit pied à tomme, fit monter le prince à sa place et s'offrit à lui servir de guide. Il le mena dans une maison de paysans, où il l'installa dans l'écurie; ce n'est pas un séjour méprisé en Perse. Tandis que le prince mangeait et se reposait, le Mázíndarání remonta à cheval, et, battant le pays, alla donner à tous les soldats qu'il put rencontrer l'heureuse nouvelle que le prince était sain et sauf. Ainsi, bande par bande, il lui amena tout son monde, ou au moins un rassemblement assez respectable.
Si Mihdí-Qulí Mírzá avait été un de ces esprits altiers que les échecs n'abattent point, il eût peut-être jugé sa situation médiocrement modifiée par le malheur de la nuit précédente; il eût considéré l'affaire comme le résultat d'une surprise, et, avec les troupes qui lui restaient, se fût efforcé de sauver au moins les apparences en maintenant son terrain, car, de fait, les Bábís s'étaient retirés et on n'en voyait plus nulle part. Mais le Sháhzádih, loin de se piquer de tant de fermeté, était un pauvre caractère, et il s'empressa, quand il vit sa personne si bien gardée, de sortir de son écurie pour se diriger vers le village de Qádí-Kalá, d'où il se rendit en toute hâte à Sárí. Cette conduite eut pour effet d'augmenter encore dans toute la province l'impression produite par la première nouvelle de la surprise de Váskas.
Partout on perdit la tête: les villes ouvertes se crurent exposées à tous les périls, et malgré la rigueur de la saison, on vit des caravanes d'habitants paisibles, mais fort désolés, qui emmenaient leurs femmes et leurs enfants dans les solitudes du Damávand, pour les soustraire aux inévitables dangers qu'indiquait manifestement, pour tout ce monde, la prudente conduite du Sháhzádih. Quand les Asiatiques perdent une fois la tête, ce n'est pas à demi." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 169-70.)

(19.49) "En quelques instants, son armée, déjà si fort en désordre, était dissipée par les trois cents hommes de Mullá Husayn. N'était-ce pas l'épée du Soigneur et de Gédéon ?"(Ibid., p. 167.)

(19.50) D'après Gobineau (p. 167), il y avait Sultán Husayn Mírzá, fils de Fath-'Alí Sháh, et Dawúd Mírzá, fils de Zíllu's-Sultán, oncle du Sháh. A.L.M. Nicolas, dans son livre "Siyyid AlíMuhammad dit le Báb" (p. 308), y ajoute Mustawfí Mírzá 'Abdu'l-Báqí.

(19.51) Voir glossaire.

(19.52) 21 décembre 1848 ap. J.-C.

(19.53) "Ô Shaykh! Des choses qu'un oeil n'a jamais vues ont été commises par ces misérables. Joyeusement et avec la plus grande résignation, j'ai accepté de souffrir, afin qu'ainsi les âmes puissent être éclairées et le Verbe de Dieu établi. Lors de notre emprisonnement dans le pays de Mím (Mázíndarán) nous fûmes un jour livrés aux 'ulamás. Ce qui s'en suivit, tu peux bien te l'imaginer!" ("L'Epître au fils du Loup", p. 57.)

(19.54) Littéralement: maison de prière».

(19.55) Littéralement: «trou noir», le donjon souterrain dans lequel Bahá'u'lláh fut emprisonné.


<P358>

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CHAPITRE XX : le soulèvement du Mázindarán (suite)

Les forces commandées par le prince Mihdí-Qulí Mírzá étaient pendant ce temps sorties de l'état de démoralisation complète dans lequel elles étaient plongées et se préparaient activement à renouveler leur attaque contre les occupants du fort de Tabarsí. Ces derniers se trouvèrent de nouveau encerclés par une grande armée à la tête de laquelle marchaient 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání et Sulaymán Khán-i-Afshár-i-Sháhríyárí qui s'étaient hâtés, en compagnie de plusieurs régiments d'infanterie et de cavalerie, de prêter main forte au groupe des soldats du prince. (20.1) Leurs forces combinées campèrent dans le voisinage du fort (20.2) et commencèrent à élever autour de ce dernier une série de sept barricades. Ils cherchèrent d'abord, avec une arrogance extrême, à montrer l'importance des forces dont ils disposaient, et se livrèrent quotidiennement, avec un zèle croissant, à l'exeRcice de leurs armes.
La rareté de l'eau avait, pendant ce temps, obligé les assiégés à creuser un puits à l'intérieur du fort. Le jour où ce travail allait être achevé, le 8 du mois de rabí'u'l-avval, (20.3) MulIà Husayn, qui regardait ses compagnons accomplir leur tâche, leur dit: "Aujourd'hui, nous aurons toute l'eau nécessaire pour prendre un bain. Débarrassés de toutes souillures terrestres, nous chercherons la cour du Tout-Puissant et nous nous hâterons d'aller vers notre demeure éternelle. Quiconque désire partager la coupe du martyre doit se préparer et attendre l'heure où il pourra sceller de son sang sa foi en sa cause. Cette nuit, avant l'aube, que ceux qui désirent se joindre à moi s'apprêtent à sortir de ces murs et, après avoir dispersé une nouvelle fois les forces obscures qui se trouvent sur notre sentier, à s'élever librement vers les sommets de gloire."
Cet après-midi là, Mullá Husayn fit ses ablutions, mit de nouveaux habits, s'orna la tête du turban du Báb et se prépara à la rencontre imminente. Une joie indescriptible illumina son visage. Il fit, avec sérénité, allusion à l'heure de son départ et continua, jusqu'aux derniers moments, à ranimer le zèle de ses compagnons.

<P359>

Seul avec Quddús, qui lui rappelait avec tant de vivacité son Bien-Aimé, tandis qu'il s'assit à ses pieds en ces ultimes instants de sa vie terrestre, il déchargea tout ce qu'une âme en extase ne pouvait contenir plus longtemps. Peu après minuit, dès que l'étoile du matin se fut levée lui annonçant la lumière aurorale de la réunion éternelle avec son Bien-Aimé, il se leva et, enfourchant sa monture, donna le signal de l'ouverture de la porte du fort. Au moment où il sortait, à la tête de trois cent treize de ses compagnons, pour aller à la rencontre de l'ennemi, le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán" (20.4) se fit entendre de nouveau, un cri si intense et si puissant que la forêt, le fort et le camp vibrèrent ensemble à son écho.
Mullá Husayn chargea d'abord la barricade que défendait Zakaríyyáy-i-Qádí-Kalá'í, l'un des officiers les plus vaillants de l'ennemi. En peu de temps, il avait forcé cette barrière, s'était débarrassé de son commandant et avait dispersé ses hommes. Se relançant alors sur l'ennemi avec la même rapidité et la même intrépidité, il vainquit la résistance de la deuxième et de la troisième barricades, semant dans sa marche désespoir et consternation parmi ses ennemis. Point découragé par les balles qui pleuvaient continuellement sur lui et ses compagnons, il chargea l'ennemi jusqu'à ce que les dernières barricades fussent toutes vaincues et renversées. Au milieu du tumulte qui s'ensuivit, 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání grimpa à un arbre et, se cachant dans ses branches, y demeura dans l'attente de surprendre ses adversaires. Protégé par l'obscurité qui l'entourait, il put suivre de sa cachette les mouvements de Mullá Husayn et de ses compagnons, qui étaient exposés à la lumière éblouissante de la conflagration qu'ils avaient provoquée. La monture de Mullá Husayn se prit la jambe dans la corde d'une tente voisine et, avant que le cavalier eut pu se dégager, une balle tirée par son perfide assaillant vint le frapper en pleine poitrine. 'Abbás-Qulí Khán, quant à lui, ignorait l'identité du cavalier qu'il venait de blesser. Mullá Husayn, qui saignait à profusion, descendit de son cheval, fit quelques pas et, incapable d'aller plus loin, tomba épuisé sur le sol. Deux de ses jeunes compagnons du Khurásán, Quli et Hasan, vinrent à son secours et le portèrent jusqu'au fort. (20.5)
J'ai entendu le récit suivant de la bouche de Mullá Sádiq et de celle de Mullá Mírzá Muhammad-i-Furúghí: "Nous étions de ceux qui étaient restés au fort avec Quddtuis. Dès que l'on eut amené Mullá Husayn, qui semblait avoir perdu connaissance, nous reçûmes l'ordre de nous retirer.

<P360>

"Laissez-moi seul avec lui", dit Quddús en demandant à Mírzá Muhammad-Báqir de fermer la porte et de refuser l'entrée à quiconque désirait le voir. "Il y a certains sujets confidentiels que je désire lui communiquer, à lui seul." Nous fûmes surpris lorsque, quelques instants plus tard, nous entendîmes la voix de Mullá lylusayn répondant aux questions de Quddús. Ils continuèrent pendant deux heures à discuter ensemble. Nous fûmes étonnés de voir Mírzá Muhammad-Báqir en proie à une si grande agitation. "J'observais Quddús", nous dit-il par la suite, "à travers une fissure de la porte. Dès qu'il appela Mullá Husayn par son nom, je vis celui-ci se lever et s'agenouiller comme à l'accoutumée, à côté de lui. La tête baissée et les yeux regardant le sol, il écoutait tout ce que racontait Quddús et répondit à ses questions." "Vous avez avancé l'heure de votre départ", pus-je entendre Quddús lui-dire, "et vous me laissez à la merci de mes ennemis. Plût à Dieu que je vous rejoigne bientôt pour goûter à la douceur des ineffables délices du paradis." Je pus recueillir les paroles suivantes prononcées par Mullá Husayn: "Puisse ma vie constituer une rançon pour vous. Etes-vous content de moi?"
"Un long temps s'écoula avant que Quddús demandât à Mírzá Muhammad-Báqir d'ouvrir la porte et de laisser entrer ses compagnons. "Je lui ai dit mon dernier adieu", fit-il au moment où nous entrions dans la salle. "Les choses que je ne croyais pas pouvoir lui communiquer auparavant lui ont été dites à présent." Nous nous aperçûmes, à notre arrivée, que Mullá Husayn avait expiré. Un léger sourire se lisait encore sur son visage. Le calme de ses traits était tel qu'on eut dit qu'il s'était endormi. Quddús assista à son enterrement, l'habilla de sa propre chemise et donna l'ordre de l'étendre au sud du tombeau de Shaykh Tabarsí, juste à côté de ce dernier. (20.6)

PHOTO: arbre d'ou fut tirée la balle qui tua Mullá Husayn

<P361>

"Heureux sois-tu, car tu es resté fidèle jusqu'à ta dernière heure à l'alliance de Dieu", dit-il en déposant un baiser d'adieu sur ses yeux et sur son front. "Je prie Dieu de ne permettre aucune séparation entre toi et moi." Il parla d'un ton si poignant que les sept compagnons qui se tenaient à ses côtés pleurèrent à chaudes larmes et souhaitèrent avoir été sacrifiés à sa place. Quddús déposa, de ses propres mains, le corps dans la tombe et prévint ceux qui se tenaient à côté de lui de garder secret l'endroit qui servait de lieu de repos à Mullá Husayn et de le cacher même aux yeux des autres compagnons. Il donna ensuite l'ordre d'enterrer les corps des trente-six martyrs, qui étaient tombés au cours de cet engagement, dans une seule et même sépulture sur le côté nord du tombeau de Shaykh Tabarsí. "Que les bien-aimés de Dieu", l'entendit-on dire au moment où il les mettait dans leur tombe, "tiennent compte de l'exemple de ces martyrs de notre foi. Qu'ils soient et restent dans la vie aussi unis que le sont ceux-ci maintenant dans la mort."
Non moins de quatre vingt-dix des compagnons furent blessés cette nuit-là, et la plupart d'entre eux succombèrent. Depuis le jour de leur arrivée à Bárfurúsh jusqu'à la mort de Mullá Husayn à l'aube du 9 rabí'u'l-avval de l'an 1265 après l'hégire, (20.8) en passant par le jour de la première attaque, c'est-à-dire le 12 dhi'l-qa'dih de l'an 1264 après l'hégire, (20.7) soixante-douze compagnons étaient, d'après les estimations de Mírzá Muhammad-Báqir, tombés martyrs.
Depuis le moment où Mullá Husayn fut assailli par ses ennemis jusqu'à celui de son martyre, cent seize jours s'étaient écoulés, période rendue mémorable par des actes si héroïques que même ses ennemis les plus acharnés se sentirent obligés de confesser leur émerveillement. A quatre occasions bien distinctes, il atteignit un tel degré de courage et de force que peu de gens, en vérité, pourraient égaler. La première rencontre eut lieu le 12 dhi'l-qa'dih, (20.9) dans les faubourgs de Bárfurúsh; la deuxième, dans le voisinage immédiat du fort de Shaykh Tabarsí, le 5 du mois de muharram, (20.10) contre les forces d"Abdu'lláh Khán-i-Turkamán; la troisième à Vás-Kas, le 25 muharram, (20.11) et dirigée contre l'armée du prince Mihdí-Qulí Mírzá. La dernière bataille, la plus mémorable de toutes, fut dirigée contre les forces combinées de 'Abbás-Qulí Khán, du prince Mihdí-Quli Mírzá et de Sulaymán Khán-i-Afshár assistées d'une compagnie de quarante-cinq officiers d'élite chevronnés. Mullá Husayn, en dépit du caractère féroce de ces engagements et des forces écrasantes déployées contre lui, sortit indemne et triomphant du combat.

<P362>

Lors de chaque rencontre, il se distingua par des actes de bravoure, de chevalerie, d'habileté et de force tels que chacun d'eux suffirait, seul, à établir à jamais le caractère transcendant d'une foi pour la protection de laquelle il avait si vaillamment combattu et dans le sentier de laquelle il avait, avec tant de noblesse, offert sa vie. Les traits de caractère et d'esprit qu'il avait montrés dès sa tendre jeunesse, la profondeur de son savoir, la fermeté de sa foi, son courage intrépide, son but unique, son sens élevé de la justice et son dévouement inébranlable, le distinguèrent en tant que personnage extraordinaire parmi ceux qui, par leur vie, ont porté témoignage de la gloire et de la puissance de la nouvelle révélation. Il avait trente-six ans lorsqu'il but la coupe du martyre. À dix-huit ans, il avait connu, à Karbilá, Siyyid Kázim-i-Rashtí. Durant neuf ans, il était allé s'asseoir à ses pieds pour s'imprégner des leçons qui devaient le préparer à accepter le message du Báb. Les neuf dernières années de sa vie, il les passa dans une activité incessante, fiévreuse, qui devait finalement le mener au champ du martyre, dans des circonstances qui ont conféré une gloire impérissable à l'histoire de son pays. (20.12)
Une déroute si humiliante et si totale paralysa pour quelque temps les efforts de l'ennemi. Quarante-cinq jours s'écoulèrent avant qu'il pût à nouveau rassembler ses forces et repasser à l'attaque. Durant cet intervalle, qui prit fin le jour de Naw-Rúz, le froid intense qui régnait l'avait incité à différer son assaut contre un adversaire qui l'avait couvert de tant de honte et d'opprobre. Bien qu'ayant suspendu leurs attaques, les officiers à la tête des restes de l'armée impériale n'en avaient pas moins donné l'ordre strict d'interdire l'arrivée au fort à toute forme de renforts. Lorsque les provisions en vivres furent presque épuisées, Quddús chargea Mírzá Muhammad-Báqir de distribuer à ses compagnons le riz que Mullá Husayn avait emmagasiné pour la durée du siège. Après que chacun eut reçu sa part, Quddús appela ses compagnons et dit: "Que celui qui se sent assez fort pour résister aux calamités qui vont bientôt nous frapper reste avec nous dans ce fort. Et que celui qui perçoit en lui la moindre trace d'hésitation et de peur s'éloigne de ce lieu. Qu'il parte immédiatement avant que l'ennemi ait à nouveau rassemblé ses forces et attaqué le fort. La voie sera bientôt barrée devant nous; nous devrons sous peu affronter les plus cruelles épreuves et tomber victimes d'afflictions accablantes."
La nuit même où Quddús avait donné cet avertissement, un siyyid de Qum, Mírzá Husayn-i-Mutavallí, fut porté à trahir ses compagnons.

<P363>

"Pourquoi", écrivit-il à 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání, "avez-vous laissé inachevée l'oeuvre que vous aviez commencée? Vous vous êtes déjà débarrassé d'un formidable ennemi. Par la mort de Mullá Husayn, qui était la force animatrice derrière ces murs, vous avez démoli le pilier sur lequel reposaient la puissance et la sécurité de ce fort. Si vous aviez patienté un jour de plus, vous vous seriez assurément emparé des lauriers de la victoire. Je vous donne ma parole qu'avec moins de cent hommes, vous pourriez, en l'espace de deux jours, investir le fort et obtenir la reddition inconditionnelle de ses occupants. Ils sont décimés par la faim et cruellement éprouves." La lettre scellée fut Confiée à un certain Siyyid 'Alíy-i-Zargar qui, prenant la part de riz qu'il avait reçue de Quddús, s'enfuit loin du fort à l'heure de minuit pour aller la remettre à 'Abbás-Qulí Khán, qu'il connaissait déjà. Le message parvint à ce dernier alors qu'il se trouvait dans un village situé à une distance de quatre farsangs (20.13) du fort, et dans lequel il avait cherché refuge; il ne savait pas s'il devait retourner à la capitale et se présenter à son souverain après une défaite aussi humiliante, ou se réfugier chez lui à Lâríján, où il était sûr d'encourir les reproches de ses connaissances et de ses amis.
Il était à peine sorti de son lit, au lever du soleil, lorsque le siyyid lui apporta la lettre. La nouvelle de la mort de Mullá Husayn lui redonna courage. Craignant que le messager ne diffusât le rapport concernant la mort d'un adversaire aussi redoutable que Mullá Husayn, il le tua aussitôt et tenta, par quelqu'étrange artifice, de détourner de sa personne la suspicion du meurtre. Décidé à tirer le meilleur parti de la détresse des assiégés et de l'épuisement de leurs forces, il entreprit aussitôt les préparatifs nécessaires à la reprise de ses attaques. Dix jours avant Naw-Rúz, il avait établi son camp à un demi farsang du fort et vérifié l'authenticité du message que lui avait apporté le perfide siyyid. Dans l'espoir d'obtenir pour lui-même tout le crédit possible en récompense de la reddition finale de ses adversaires, il refusa de divulguer, même à ses officiers les plus proches, l'information qu'il avait reçue.
Le jour venait de poindre lorsqu'il hissa son étendard (20.14) et, marchant à la tête de deux régiments d'infanterie et de cavalerie, encercla le fort et donna l'ordre à ses hommes d'ouvrir le feu sur les sentinelles qui gardaient les tourelles. "Le traître", dit Quddús à Mírzá Muhammad-Báqir, qui s'était hâté de le mettre au courant de la gravité de la situation, "a annoncé la mort de Mullá Husayn à 'Abbás Qulí Khán.

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Encouragé par sa mort, celui-ci est à présent décidé à prendre d'assaut notre forteresse et à s'assurer l'honneur d'avoir été son unique conquérant. Faites une sortie et, avec l'aide de dix-huit hommes qui marcheront à vos côtés, infligez un châtiment adéquat à l'agresseur et à son armée. Qu'il réalise que, si Mullá Husayn n'est plus, la puissance invincible de Dieu continue à soutenir ses compagnons et à leur permettre de triompher des forces de leurs ennemis.
A peine Mírzá Muhammad-Báqír eut-il choisi ses compagnons qu'il donna l'ordre d'ouvrir la porte du fort. Sautant sur leurs montures et lançant le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán", ils foncèrent, tête baissée, dans le camp de l'ennemi. L'armée tout entière s'enfuit dans la Confusion devant une charge aussi terrible. Seuls quelques adversaires parvinrent à s'échapper. Ils atteignirent Bárfurúsh totalement démoralisés et couverts de honte. 'Abbás-Qulí Khán fut saisi d'une telle crainte qu'il tomba de cheval. Abandonnant dans sa détresse une de ses bottes pendant à un étrier, il s'enfuit en courant, à moitié abasourdi et avec un pied nu, dans la direction qu'avait prise l'armée. Complètement désespéré, il se précipita chez le prince et confessa la honteuse défaite qu'il venait de subir (20.15) Mírzá Muhammad-Báqir de son côté sortant, en compagnie de ses dix-huit compagnons, indemnes de cet engagement et tenant dans la main l'étendard qu'avait abandonné un ennemi terrifié, regagna le fort et remit à son chef, qui lui avait inspiré un tel courage, la preuve de sa victoire.
Une déroute aussi complète de l'ennemi soulagea immédiatement les compagnons durement éprouvés. Elle cimenta leur unité et leur rappela une nouvelle fois l'efficacité de ce pouvoir dont ils avaient été dotés par leur foi. Leur nourriture, hélas! était alors réduite à la viande provenant des chevaux qu'ils avaient ramenés du camp abandonné par l'ennemi. Avec force d'âme, ils endurèrent les afflictions qui les assaillaient de toutes parts. Leurs coeurs étaient accordés aux désirs de Quddús; le reste leur importait peu. Ni la sévérité de leur détresse ni les menaces constantes de l'ennemi ne pouvaient les amener à s'écarter-fût-ce de l'épaisseur d'un cheveu-du sentier que leurs compagnons disparus avaient foulé avec tant d'héroïsme. Quelques-uns faillirent par la suite, aux heures les plus sombres de l'adversité, à leur foi. La lâcheté de quelques-uns fut cependant de peu d'importance devant l'éclat que l'ensemble de leurs compagnons au coeur magnanime répandirent à l'heure du destin accompli.
Le prince Mihdí-Qulí Mírzá, qui s'était installé à Sárí, accueillit avec un réel plaisir la nouvelle de la défaite que venaient de subir les forces sous le commandement de son collègue 'Abbás-Qulí Khán.

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Bien qu'il fût lui-même désireux d'exterminer le groupe qui avait cherché refuge derrière les murs du fort, il se réjouit en apprenant que son rival n'avait pas réussi à s'assurer la victoire qu'il convoitait. (20.16) Il écrivit aussitôt à Tihrán et demanda que des renforts sous forme de bombes et d'artillerie mobile, avec tous les équipements requis, fussent envoyés sans retard au voisinage du fort, car il était décidé, cette fois, à subjuguer complètement ses occupants obstinés.
Alors que l'ennemi se préparait à attaquer leur forteresse avec une férocité accrue, les compagnons de Quddús, complètement indifférents aux afflictions qui les torturaient, accueillirent avec joie et reconnaissance l'approche de Naw-Rúz. Au cours de cette fête, ils donnèrent libre cours à leurs sentiments de gratitude et de louange envers le Tout-Puissant qui leur avait conféré de multiples bénédictions. Quoiqu'accablés par la faim, ils se mirent à chanter et à se divertir, au mépris du danger qui les menaçait. Le fort retentissait de leurs cris de gloire et de louange qui, jour et nuit, montaient des coeurs de ce joyeux groupe. Le verset "Saint, saint est le Seigneur notre Dieu, le Seigneur des anges et de l'esprit" sortait sans cesse de leurs lèvres, renforçant leur enthousiasme et ranimant leur courage.
Du bétail qu'ils avaient amené au fort, il ne restait qu'une vache que Hájí Nasíru'd-Dín-i-Qazvíní avait laissée de côté et avec le lait de laquelle il préparait chaque jour un entremets destiné au repas de Quddús. Ne voulant pas priver ses amis affamés de leur part de la friandise que son compagnon dévoué lui avait préparée, Quddús distribuait invariablement entre eux, après en avoir pris quelques cuillerées, le reste de ce plat: "Je n'ai plus de goût depuis le départ de Mullá Husayn", l'entendait-on souvent leur dire, "aux mets et à la boisson que l'on prépare à mon intention. Mon coeur saigne lors-que je vois mes compagnons affamés, épuisés et amaigris autour de moi." Malgré ces circonstances adverses, il continuait imperturbablement à éclaircir dans son commentaire la signification du Sád de Samad et à exhorter ses amis à persévérer jusqu'au bout dans leurs efforts héroïques. Le matin et le soir, Mírzá Muhammad-Báqir psalmodiait, en présence des fidèles réunis, des versets de ce commentaire dont la lecture ranimait leur enthousiasme et leur redonnait de l'espoir.
J'ai entendu Mullá Mírzá Muhammad-i-Furúghí affirmer ce qui suit: "Dieu sait que nous ne pensions plus à la nourriture.

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Nos pensées n'étaient plus occupées par des questions concernant notre pain quotidien. La ravissante mélodie de ces versets nous jetait dans un tel état d'extase que, si nous avions dû rester pendant des années dans cet état, aucune trace de fatigue et de lassitude n'aurait pu dissiper notre enthousiasme ou ternir notre joie. Et chaque fois que le manque de nourriture tendait à miner notre vitalité et à diminuer nos forces, Mírzá Muhammad-Báqir se précipitait chez Quddús et le mettait au courant de notre situation. Une vision fugitive de son visage, la magie de ses paroles tandis qu'il marchait parmi nous, transformaient notre abattement en une joie immense. Nous étions ranimés par une force d'une telle intensité que, si les armées de nos ennemis étaient apparues soudain devant nous, nous nous serions sentis capables de les vaincre.
Au jour de Naw-Rúz qui tomba le 24 rabí'u'th-thàní de l'an 1265 après l'hégire, (20.17) Quddús fit allusion, dans un message écrit adressé à ses compagnons, à l'imminence d'épreuves susceptibles d'amener dans leur sillage le martyre d'un nombre considérable de ses amis. Quelques jours plus tard, une immense armée, (20.18) commandée par le prince Mihdí-Qulí Mírzá (20.19) et soutenue par les forces réunies de Sulaymán Khán-i-Afshár, d' 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání et de Ja'Far-Qulí Khán, et assistée d'environ quarante autres officiers, établit son campement au voisinage du fort et se mit à construire une série de tranchées et de barricades à proximité immédiate de celui-ci. (20.20) Le 9 du mois de Bahá, (20.21) le commandant donna l'ordre à ceux qui étaient chargés de l'artillerie d'ouvrir le feu sur les assiégés. Alors que le bombardement se poursuivait, Quddús sortit de sa chambre et se rendit au centre du fort. Son visage débordait de joie et son attitude reflétait la plus grande sérénité. Alors qu'il marchait de long en large, un boulet de canon vint soudain s'abattre devant lui. "Comme ils sont inconscients" dit-il en faisant rouler de son pied le boulet, "du pouvoir de la colère vengeresse de Dieu, ces agresseurs arrogants! Ont-ils oublié qu'une créature aussi insignifiante qu'un moustique fut capable de faire mourir le - tout-puissant Nemrod? N'ont-ils pas appris que la tempête à elle seule put anéantir les peuples d' 'Ad et de Thamùd et détruire leurs forces? Cherchent-ils à intimider les héros de Dieu, aux yeux de qui la pompe de la royauté n'est qu'un mirage vide de sens, avec .de telles marques méprisables de leur cruauté? Vous êtes", ajouta-t-il en se tournant vers ses amis, "ces mêmes compagnons dont Muhammad, l'apôtre de Dieu, a parlé en ces termes: "Oh! comme je languis de voir le visage de mes frères qui apparaîtront à la fin du monde!

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Bénis sommes-nous; bénis sont-ils; ils le sont plus encore que nous." Prenez garde que votre moi ou vos désirs ne viennent altérer une station aussi glorieuse. Ne craignez point les menaces des méchants et ne soyez pas effrayés par la clameur des impies. Chacun d'entre vous a son heure fixée et, lorsque celle-ci sonnera, ni les assauts de votre ennemi ni les efforts de vos amis ne pourront la retarder ou l'avancer. Si les puissances de la terre se liguent contre vous, elles ne pourront, avant que cette heure ait sonné, diminuer-ne fût-ce que d'un brin ou d'un iota-la durée de votre vie. Si vous laissez vos coeurs s'agiter, ne fût-ce qu'un instant, par les détonations de ces canons qui continueront, avec une violence accrue, à cribler de boulets ce fort, vous vous serez écartés vous-mêmes de la forteresse de protection divine."
Un aussi puissant appel ne pouvait manquer de susciter la Confiance de ceux qui l'entendirent. Quelques uns cependant, dont le visage trahissait l'hésitation et la peur, allèrent se mettre dans un coin abrite du fort, serres les uns contre les autres et observant avec envie et surprise le zèle qui animait leurs compagnons. (20.22)
L'armée du prince Mihdí-Qulí Mírzá continua pendant quelques jours à tirer en direction du fort. Ses hommes furent surpris de voir que les détonations de leurs canons ne faisaient pas taire la voix qui priait et les acclamations de joie que lançaient les assiégés en réponse à leurs menaces. Au lieu de la reddition inconditionnelle qu'ils escomptaient, ils entendaient sans cesse l'appel du mu'adhdhin (20.23) la récitation des versets du Qur'án et le choeur de voix joyeuses entonnant des hymnes de remeRciement et de louange.
Exaspérés par ces signes de ferveur inépuisable et poussés par un brûlant désir de supprimer l'enthousiasme qui s'élevait du sein de ses adversaires, Ja'far-Qulí Khán construisit une tour sur laquelle il posta ses canons (20.24) et, de cette hauteur, dirigea leur tir sur le centre du fort. Quddús appela aussitôt Mírzá Muhammad-Báqir et lui dit de faire de nouveau une sortie et d'infliger à 1' ' 'orgueilleux nouveau-venu" une défaite humiliante aussi écrasante que celle qu'avait subie 'Abbás-Qulí Khán. "Qu'il sache, ajouta Quddús, que les guerriers de Dieu au coeur de lion peuvent, lorsqu'ils sont poussés par la faim, accomplir des actes si héroïques qu'aucun mortel ordinaire ne peut les égaler. Qu'il sache que plus leur faim est grande, plus les effets de leur exaspération seront dévastateurs."
Mírzá Muhammad-Báqir ordonna de nouveau à dix-huit de ses compagnons de se précipiter vers leurs chevaux et de le suivre.

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Les portes du fort furent ouvertes et le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán !"- plus fort et plus vibrant que jamais-sema la panique et la consternation dans les rangs de l'ennemi. Ja'far-Qulí Khán, ainsi que trente de ses hommes, furent passés au fil de l'épée par leurs adversaires qui se ruèrent vers la tour, s'emparèrent des canons et les précipitèrent à terre. Puis ils foncèrent sur les barricades qui avaient été dressées, en détruisirent plusieurs et, s'il n'y avait eu l'obscurité imminente de la nuit, auraient pris et détruit les autres.
Triomphants et indemnes, les compagnons regagnèrent le fort, ramenant avec eux certains des étalons les plus forts et les mieux nourris qui avaient été abandonnés. Quelques jours passèrent, durant lesquels il n'y eut aucun signe de contre-attaque. (20.25) Une explosion soudaine dans l'une des réserves de munitions de l'ennemi, qui avait causé la mort de plusieurs officiers d'artillerie et de certains de leurs camarades de combat, obligea les assiégeants à suspendre pendant tout un mois leurs attaques contre la garnison. (20.26) Cette accalmie permit à quelques compagnons de sortir occasionnellement de leur forteresse pour récolter l'herbe qu'ils pouvaient trouver dans les champs et qui était le seul moyen propre à apaiser leur faim. La viande des chevaux, et même le cuir de leurs selles, avaient été consommés par ces compagnons durement éprouvés. Ils cuisaient l'herbe et la dévoraient avec une avidité pitoyable. (20.27) Comme leurs forces diminuaient et qu'ils languissaient, épuisés, à l'intérieur des murs de leur fort, Quddús multiplia ses tournées d'inspection et s'efforça, par ses paroles de réconfort et d'espoir, d'alléger le fardeau de leur agonie.
Le mois de jamádíyu'th-thání (20.28) venait à peine de commencer lorsque l'artillerie de l'ennemi se fit de nouveau entendre, dirigeant une pluie de balles sur le fort. Simultanément aux détonations des
canons, un détachement de l'armée, commandé par quelques officiers et comprenant plusieurs régiments d'infanterie et de cavalerie, se lança à l'assaut du fort. Le bruit de leur approche poussa Quddús à appeler promptement son vaillant lieutenant, Mírzá Muhammad-Báqir, pour le prier de sortir avec trente-six de ses compagnons et de repousser l'attaque. "Jamais depuis que nous occupons ce fort, ajouta-t-il, nous n' avons, en aucun cas, essayé de mener une offensive contre nos adversaires. Nous ne nous sommes levés pour défendre nos vies que lorsque l'attaque fut déclenchée contre nous. Si nous avions eu l'ambition de faire la guerre sainte contre eux, si nous avions nourri la moindre intention d'assurer, par la force de nos armes, notre supériorité sur les incroyants, nous ne serions pas demeurés, jusqu'à ce jour, assiégés derrière ces murs.

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La force de nos armes aurait à l'heure qu'il est, comme ce fut le cas pour les compagnons de Muhammad dans le passé, ébranlé les nations de la terre et les aurait préparées à accepter notre message. Telle n'est pas, cependant, la voie que nous avons choisi de suivre. Depuis que nous sommes entrés dans ce fort, notre unique et inaltérable but a été de prouver, par nos actes et par notre empressement à répandre notre sang dans le sentier de notre foi, le caractère exalté de notre mission. L'heure où nous pourrons parfaire cette tâche est imminente."
Mírzá Muhammad-Báqir sauta une fois de plus sur son cheval et, avec les trente-six compagnons qu'il avait choisis, fit face à l'ennemi et dispersa les forces qui les avaient assiégés. Il ramena avec lui au fort la bannière qu'un ennemi terrorisé avait abandonnée dès que fut lancé le cri vibrant de "Yá Sáhibu'z-Zamán". Cinq des compagnons tombèrent martyrs au cours de cet engagement; il les transporta tous au fort et les enterra dans une seule tombe près de la dernière demeure de leurs frères disparus.
Le prince Mihdí-Qulí Mírzá, épouvanté par cette nouvelle preuve de la vitalité inépuisable de ses adversaires, tint conseil avec les chefs de son état-major et leur demanda d'imaginer des moyens propres à lui permettre d'en finir rapidement avec cette coûteuse entreprise. Trois jours durant, il délibéra avec eux et aboutit finalement à la conclusion que le plus sage était de suspendre toutes formes d'hostilités pendant quelques jours dans l'espoir de voir les assiégés, épuisés par la faim et poussés à bout par le désespoir, se décider à sortir de leur retraite et à se rendre sans condition.
Alors que le prince attendait la réalisation du plan qu'il avait conçu, un messager arriva de Tihrán porteur d'un farmán (20.29) de son souverain. Cet homme était un habitant du village de Kand, situé non loin de la capitale. Il réussit à obtenir la permission du prince d'entrer dans le fort et de tenter d'inciter deux de ses occupants, Mullá Mihdí et son frère Mullá Báqir-i-Kandí, à fuir le danger imminent auquel leurs vies étaient exposées. En s'approchant des murs du fort, il appela les sentinelles et leur demanda d'informer Mullá Mihdí-i-Kandí qu'une de ses connaissances désirait le voir. Mullá Mihdí rapporta l'affaire devant Quddús, et ce dernier lui permit de rencontrer son ami.
J'ai entendu Aqáy-i-Kalím faire le récit suivant, qu'il avait recueilli de la bouche du même messager à son retour à Tihrán: "Je vis, me dit le messager, Mullá Mihdí apparaître au-dessus du mur du fort; son visage révélait une expression de volonté inflexible qu'il est impossible de décrire.

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Il semblait aussi féroce qu'un lion; son épée était attachée à sa ceinture par-dessus une longue chemise blanche, à la manière des Arabes, et il portait autour de la tête un foulard blanc. "Que cherches-tu?" demanda-t-il avec impatience. "Dis-le vite, car j'ai peur que mon maître ne m'appelle et ne me trouve absent." La détermination qui brillait dans ses yeux me confondit. Je restai muet devant son apparence et son attitude. L'idée me vint de réveiller un sentiment latent en son coeur. Je lui rappelai son enfant Rahmán qu'il avait abandonné au village, dans son impatience à s'enrôler sous l'étendard de Mullá Husayn. A cause de la grande affection qu'il portait à cet enfant, il avait spécialement composé un poème qu'il chantait aux moments où il balançait son berceau pour l'endormir. Ton Rahmán bien-aimé, dis-je, soupire après l'affection que tu lutas prodiguée autrefois. Il est seul et abandonné, et désire ardemment te voir. Dites-lui de ma part, répondit aussitôt le père, que l'amour du vrai Rahmán, (20.30) un amour qui surpasse toutes les affections terrestres, m'a tellement envahi qu'il ne m'a point laissé de place pour un amour autre que le sien." Il prononça ces paroles d'une manière si poignante que les larmes coulèrent de mes yeux. "Maudits soient", m'exclamai-je avec indignation, "ceux qui estiment que toi et tes condisciples vous vous êtes écartés du sentier de Dieu!" "Que dirais-tu, lui demandai-je, si je m'aventurais à entrer dans le fort pour me joindre à vous?" "Si ton mobile est de chercher et de trouver la vérité, répondit-il calmement, je te montrerai volontiers la voie. Et si tu cherches à me rendre visite en tant que vieil ami de toujours, je te dirai la bienvenue dont le Prophète de Dieu a dit: "Accueillez vos amis même s'ils sont parmi les infidèles." Je t'offrirai, fidèle à cet ordre, l'herbe bouillie et les os broyés qui me servent de nourriture et qui sont ce que je puis t'offrir de mieux. Mais si ton intention est de me nuire, je t'avertis que je me défendrai et que je te jetterai des hauteurs de ces murs." Son obstination inébranlable suffit à me convaincre de la futilité de mes efforts. Je pus m'apercevoir qu'il était embrasé d'un tel enthousiasme que si les théologiens du royaume se réunissaient et s'efforçaient de le dissuader de la voie qu'il s'était tracée, il annihilerait, seul et sans appui, leurs efforts. J'étais également persuadé que tous les potentats de la terre ne parviendraient pas à le détourner, par la ruse, du Bien-Aimé de son coeur. "Puisse la coupe à laquelle tes lèvres ont goûté", fus-je porté à lui dire, "t'apporter toutes les bénédictions que tu cherches." "Le prince, ajoutai-je, a juré que quiconque mettrait les pieds hors du fort n'aurait rien à craindre, qu'il recevrait même un sauf-conduit ainsi que tout l'argent qui serait nécessaire à son voyage de retour chez lui."

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Mullá Mihdí promit de communiquer le message du prince à ses compagnons. "Désires-tu me dire encore quelque chose? ajouta-t-il. J'ai hâte de rejoindre mon maître." "Que Dieu, répondis-je, t'assiste dans l'accomplissement de ton but." "Il m'a effectivement assisté!" s'exclama-t-il dans l'exultation. "Autrement, comment aurais-je pu être libéré des ténèbres de la prison qu'était ma maison à Kand? Comment aurais-je pu parvenir à cette sublime forteresse?" À peine avait-il prononcé ces mots que, se détournant de moi, il disparut de ma vue.
Dès qu'il eut rejoint ses compagnons, Mullá Mihdí leur communiqua le message du prince. L'après-midi de ce même jour, Siyyid Mírzá Husayn-i-Mutavallí quitta le fort en compagnie de son serviteur pour aller directement rejoindre le prince dans son camp. Le lendemain, Rasûl-i-Bahnimíri et certains de ses compagnons, incapables de résister aux ravages de la famine et encouragés par les assurances explicites du prince, se séparèrent tristement et à regret de leurs amis. À peine avaient-ils mis le pied hors du fort qu'ils furent massacrés aussitôt par ordre d"Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání.
Durant les quelques jours qui suivirent cet incident, l'ennemi, encore établi dans le voisinage du fort, s'abstint de tout acte d'hostilité envers Quddús et ses compagnons. Le mercredi matin, le 16 jamádíyu'th-thàní, (20.31) un émissaire du prince arriva au fort et demanda que deux représentants fussent délégués par les assiégés pour mener des négociations confidentielles avec l'ennemi dans l'espoir d'aboutir à un règlement pacifique des différends qui subsistaient entre eux. (20.32)
Quddús chargea en conséquence Mullá Yúsuf-i-Ardibílí et Siyyid Ridáy-i-Khurásání de servir de représentants et les pria de faire savoir au prince qu'il était prêt à se conformer à son voeu. Mihdí Qulí Mírzá reçut les délégués avec courtoisie et les invita à partager le thé qu'il avait préparé. "Nous considérerions", dirent-ils en déclinant l'offre, "comme déloyal de notre part de prendre soit de la nourriture, soit de la boisson alors que notre chef bien-aimé languit, épuisé et affamé, dans le fort." "Les hostilités entre nous, dit le prince, ont été indûment prolongées. Nous nous sommes longtemps battus des deux côtés et avons cruellement souffert. Mon ardent désir est de parvenir à un règlement à l'amiable au sujet de nos différends." Il prit une copie du Qur'án qui se trouvait à côté de lui et écrivit de sa propre main, pour confirmer sa déclaration, les mots suivants en marge de la súrih d'introduction:

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"Je jure par ce Livre très sacré, par la justice de Dieu qui l'a révélé, et la mission de celui qui fut inspiré de ses versets, que je ne nourris d'autre dessein que celui de promouvoir la paix et l'amitié entre nous. Sortez de votre forteresse et soyez assurés qu'aucune main ne se lèvera sur vous. Vous-même et vos compagnons, je le déclare solennellement, êtes sous la protection du Tout-Puissant, de Muhammad son prophète et de Násiri'd Dín Sháh notre souverain. Je jure sur mon honneur qu'aucun homme, soit de cette armée, soit du voisinage, ne tentera jamais de vous attaquer. La malédiction de Dieu, le Vengeur omnipotent soit sur moi si, dans mon coeur, je chéris d'autre désir que celui que je viens de déclarer."
Il apposa son sceau sur sa déclaration et, remettant le Qur'án entre les mains de Mullá Yùsuf, lui demanda de transmettre à son chef ses salutations et de lui présenter cette assurance formelle et écrite.

PHOTO: village de Dízvá

"J'enverrai, conformément à ma déclaration, ajouta-t-il, à la porte du fort, cet après-midi même, quelques chevaux que, j'ose le croire, lui-même et ses principaux compagnons accepteront de monter afin de se rendre au voisinage de ce camp où une tente spéciale aura été dressée à leur intention. Je leur demanderai d'être nos invités jusqu'au moment où je pourrai organiser leur retour chez eux, à-mes frais."
Quddús reçut le Qur'án de la main de son messager, le baisa avec respect et dit: "Ô notre Seigneur, sois juge entre nous et notre peuple avec équité; car tu es celui qui juge le mieux." (20.33)

<P373>

Aussitôt après, il dit au reste de ses compagnons de se préparer à quitter le fort. "Par notre réponse à leur invitation, leur dit-il, nous leur permettrons de démontrer la sincérité de leurs intentions."
Comme l'heure du départ approchait, Quddús s'orna la tête du turban vert que le Báb lui avait fait parvenir au moment où il envoya celui que portait Mullá Husayn le jour de son martyre. A la porte du fort, ils montèrent les chevaux qui avaient été mis à leur disposition, Quddús prenant la monture préférée du prince que ce dernier avait envoyée à son intention. Ses principaux compagnons, parmi lesquels se trouvaient plusieurs siyyids et des théologiens érudits, chevauchaient derrière lui, suivis du reste des compagnons qui marchaient, transportant ce qui restait de leurs armes et de leurs biens. Lorsque le groupe, comprenant deux cent deux personnes, atteignit la tente que le prince avait fait monter pour Quddús à proximité du bain public du village de Dízvá, qui surplombait le camp de l'ennemi, les cavaliers descendirent de cheval et se mirent à occuper leurs logements dans le voisinage de cette tente.
Peu après leur arrivée, Quddús sortit de sa tente, réunit ses autres compagnons et leur adressa ces paroles: "Vous devez faire preuve d'un renoncement exemplaire, car un tel comportement de votre part exaltera notre cause et contribuera à sa gloire. Tout ce qui n'est pas détachement total ne servira qu'à ternir la pureté de son nom et à éclipser sa splendeur. Priez le Tout-Puissant pour que, même à votre dernière heure, il daigne vous aider par sa grâce à contribuer à l'exaltation de sa foi."
Quelques heures après le coucher du soleil, on servit aux compagnons le dîner qui était envoyé du camp par le prince. La nourriture, qu'on leur offrit dans des plateaux séparés, dont chacun était destiné à un groupe de trente compagnons, était pauvre et insuffisante. "Neuf d'entre nous", racontèrent par la suite ceux qui étaient avec Quddús, "furent invités par notre chef à partager avec lui le repas qu'on lui avait servi dans sa tente. Comme il refusait d'y goûter, nous suivîmes nous aussi son exemple et nous abstînmes de toute nourriture. Les domestiques qui nous servaient furent ravis de goûter aux plats auxquels nous avions refusé de toucher et dévorèrent leur contenu avec avidité et contentement. Nous entendîmes quelques-uns de nos compagnons, qui dînaient en dehors de la tente, faire des remontrances aux domestiques, disant qu'ils étaient prêts à leur acheter, même à un prix exorbitant, le pain dont ils avaient besoin.

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Quddús désapprouva vigoureusement leur conduite et les blâma d'avoir formulé une telle demande. Sans l'intervention de Mírzá Muhammad Báqir, il les aurait sévèrement châtiés pour avoir négligé aussi totale-ment ses exhortations les plus pressantes.
Au lever du jour, un messager arriva invitant Mírzá Muhammad Báqir à se rendre auprès du prince. Avec le consentement de Quddús, il répondit à l'invitation et revint une heure plus tard informant son chef que le prince avait, en présence de Sulaymán Kháni-Afshár, réitéré les assurances qu'il avait données, et l'avait traité avec grande considération et amabilité. "Mon serment, m'assura-t-il", expliqua Mírzá Muhammad-Báqir, "est irrévocable et sacré."
Il cita le cas de Ja'far-Qulí Khán qui, malgré son ignoble massacre de milliers de soldats de l'armée impériale lors de l'insurrection fomentée par le Sálár, fut gracié par son souverain et rapidement investi de nouveaux honneurs par Muhammad Sháh. Demain, le prince entend vous accompagner dans la matinée jusqu'au bain public, d'où il se rendra sous votre tente, après quoi il se procurera les chevaux requis pour le transport de tout le groupe à Sang-Sar, d'où celui-ci se dispersera; quelques-uns retourneront chez eux en 'Iraq, d'autres se rendront au Khurásán. A la demande de Sulaymán Khán, qui dit que la présence d'un groupe aussi nombreux dans un centre aussi fortifié que Sang-Sar comporterait des dangers, le prince décida que le groupe se disperserait à Fírúz-Kúh. Je pense que son coeur ne croit pas du tout à ce que sa langue professe." Quddús, qui partageait l'avis de Mírzá Muhammad-Báqir, pria ses compagnons de se disperser cette nuit même et déclara qu'il se rendrait lui-même peu après à Bárfurúsh. Les compagnons se hâtèrent d'aller l'implorer de ne pas se séparer d'eux et le prièrent de leur permettre de continuer à jouir des bénédictions que leur conférait sa compagnie. Il leur conseilla d'être calmes et patients et leur assura que, quelles que fussent les afflictions que leur réserverait l'avenir, ils le rencontreraient à nouveau. "Ne pleurez pas", furent ses paroles d'adieu; "la réunion qui suivra cette séparation sera telle qu'elle durera à jamais. Nous avons
confié notre cause aux soins de Dieu; nous accepterons avec joie tout ce que décréteront sa volonté et son bon plaisir."
Le prince ne tint pas sa promesse. Au lieu de rejoindre Quddús sous sa tente, il le convoqua, avec plusieurs de ses compagnons, a son quartier général et l'informa, dès leur arrivée à la tente du farrásh-báshí, (20.34) qu'il l'appellerait lui-même à midi auprès de lui. Peu après, quelques domestiques du prince arrivèrent et dirent au reste des compagnons que Quddús leur donnait la permission de le rejoindre au quartier général de l'armée.

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Plusieurs d'entre eux furent dupés par ce rapport, faits prisonniers, et finalement vendus comme esclaves. Ces malheureuses victimes constituèrent le reste des compagnons du fort de Shaykh Tabarsí qui survécurent à cette bataille héroïque et furent épargnés afin de transmettre à leurs compatriotes le triste récit de leurs souffrances et de leurs épreuves.
Peu après, les assistants du prince firent pression sur Mullá Yúsuf pour qu'il informât le reste de ses compagnons du désir de Quddús de les voir se débarrasser immédiatement de leurs armes. "Que leur direz-vous exactement ?" lui demandèrent-ils en le conduisant en un lieu quelque peu éloigné du quartier général de l'armée. "Je les préviendrai, répondit-il hardiment, que, quelle que soit désormais la nature du message que vous décidez de leur transmettre de la part de leur chef, ce message n'est que pur mensonge." Ces paroles étaient à peine sorties de la bouche de Mullá Yúsuf qu'il fut aussitôt impitoyablement massacre.
Après cet acte sauvage, l'ennemi porta son attention vers le fort, le pilla et se mit à le bombarder et à le démolir complètement. (20.35) Puis il encercla aussitôt le restant des compagnons et ouvrit le feu sur eux. Tous ceux qui échappèrent aux balles furent passés au fil de l'épée par les officiers ou transpercés par les lances de leurs hommes. (20.36) L'on put entendre ces héros invincibles prononcer, au moment même de leur trépas, les paroles de "Saint, saint, ô Seigneur notre Dieu, Seigneur des anges et de l'esprit", paroles qu'ils avaient prononcées dans leurs moments d'exultation, et qu'ils répétaient à présent, à l'heure suprême de leur vie, avec la même ferveur.
Dès que ces atrocités eurent été perpétrées, le prince donna l'ordre d'introduire ceux qui avaient été gardés prisonniers, l'un après l'autre, auprès de lui. Ceux d'entre eux qui étaient bien connus comme, par exemple, le père de Badí', (20.37) Mullá Mírzá Muhammad-i-Furúghí, et Hájí Nasír-i-Qazvíní, (20.38) furent confiés aux assistants qui devaient les conduire à Tihrán et obtenir, en échange de leur libération, une rançon proportionnelle à leurs aptitudes et à leurs richesses. Quant aux autres, le prince donna l'ordre à ses bourreaux de les mettre à mort aussitôt. Quelques-uns eurent le corps coupé en morceaux par l'épée, (20.39) d'autres furent déchiquetés; un certain nombre d'entre eux furent attachés à des arbres et criblés de balles, d'autres encore furent projetés par la gueule des canons et livrés aux flammes. (20.40)
Ce terrible massacre était à peine achevé que trois des compagnons de Quddús, qui habitaient Sang-Sar, furent introduits auprès du prince.

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L'un d'eux se nommait Siyyid Ahmad; son père, Mír Muhammad'Alí, admirateur dévoué de Shaykh Ahmad-i-Ahsá'f, avait été un homme de grand savoir et de rang fort distingué. Il était parti pour Karbilá en compagnie de ce même Siyyid Ahmad et du frère de celui-ci, Mír Abu'l-Qásim, l'année précédant la déclaration du Báb, avec l'intention de présenter ses deux fils à Siyyid Kázim. Mír Muhammad'Alí devait trouver la mort la nuit même où Mullá Husayn rendit l'âme. Avant son arrivée, le siyyid avait quitté ce monde. Il décida aussitôt de partir pour Najaf. Pendant son séjour dans cette ville, le prophète Muhammad lui apparut une nuit en rêve, priant l'Imám 'Alí, le Commandeur des croyants, de lui annoncer qu'après sa mort, ses deux fils, Siyyid Ahmad et Mír Abu'l-Qásim, parviendraient en la présence du Qá'im promis et tomberaient tous deux martyrs en son sentier. Dès son réveil, il appela son fils Siyyid Ahmad et le mit au courant de sa volonté et de ses derniers désirs. Sept jours après ce rêve, il mourut.
A Sang-Sar, deux autres personnes, Karbilá'í`Alí et Karbilá'í Abú Muhammad, toutes deux connues pour leur piété et leur grandeur d'esprit, s'efforcèrent de préparer les gens à accepter la révélation promise dont l'avènement était, selon eux, imminent. En l'an 1264 après l'hégire, (20.41) ils annoncèrent publiquement que, cette année-là, un homme nommé Siyyid 'Alí partirait, précédé par un étendard noir et accompagné de certains de ses compagnons élus, de la province de Khurásán pour se rendre au Mázindarán. Ils demandèrent instamment à chaque adepte loyal de l'islám de se lever pour lui prêter toute l'assistance possible. "L'étendard qu'il hissera, avaient-ils déclaré, ne sera nul autre que celui du Qá'im promis; celui qui le déploiera, nul autre que son lieutenant et principal promoteur de sa cause. Quiconque le suit sera sauvé, et quiconque se détourne de lui sera parmi les égarés." Karbilá'í Abú-Muhammad pria instamment ses deux fils, Abu'l-Qásim et Muhammad-'Alí, de se lever pour faire triompher la nouvelle révélation et de sacrifier toute considération matérielle pour parvenir à cette fin. Karbilá'í Abú-Muhammad et Karbilá'í 'Alí devaient tous deux décéder au printemps de cette même année.
Ces deux fils de Karbilá'í Abú-Muhammad furent les deux compagnons qui avaient été introduits, en même temps que Siyyid Ahmad, auprès du prince. Mullá Zaynu'l-'Abidín-i-Sháhmírzádí l'un des conseillers les plus érudits et les plus écoutés du gouvernement, mit le prince au courant de leur passé et lui raconta les aventures et les activités du père de chacun d'eux.

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"Pour quelle raison", demanda-t-on à Siyyid Ahmad, "avez-vous décidé de suivre une voie qui vous a entraînés, vous et vos parents, vers une situation aussi misérable et déshonorante? Ne pouviez-vous satisfaire votre curiosité auprès des innombrables théologiens érudits et illustres que l'on trouve dans ce pays et en 'Iraq?". "Ma foi en cette cause, répondit-il hardiment, n est pas née d'une vaine imitation. Je me suis impartialement renseigné sur ses préceptes et suis convaincu de sa vérité. Lors de mon séjour à Najaf, j'ai osé demander au plus éminent mujtahid de cette ville, Shaykh Muhammad-Hasan-i-Najafí, de m'exposer certaines vérités concernant les principes secondaires qui sont à la base des enseignements islamiques. Il refusa d'accéder à ma requête. Je réitérai mon appel, après quoi il me réprimanda avec colère et persista dans son refus. Comment puis-je espérer, après une telle expérience, être éclairé sur les points abstrus de la foi islamique par un théologien, quelque illustre qu'il soit, qui refuse de répondre à mes questions sur des sujets aussi simples et aussi banals, et exprime son indignation de me voir lui poser de telles questions?" "Quelle est ta croyance concernant Hájí Muhammad-'Alí?" demanda le prince. "Nous croyons, répondit Siyyid Ahmad, que Mullá Husayn a été le porteur de l'étendard dont Muhammad a dit: "Si vous voyez les étendards noirs partir de Khurásán, hâtez-vous d'aller vers eux, même si vous deviez pour cela ramper dans la neige." C'est pour cela que nous avons renoncé au monde et que nous nous sommes portés en grand nombre vers son étendard, qui n'est qu'un symbole de notre foi. Si vous désirez m'accorder une faveur, donnez l'ordre à votre bourreau de mettre fin à ma vie et de me permettre de rejoindre le groupe de mes compagnons immortels. Car le monde et tous ses charmes ont cessé de m'attirer. Je brûle de quitter cette vie et de retourner à mon Dieu." Le prince, qui hésitait à ôter la vie à un siyyid, refusa d'ordonner son exécution. Ses deux compagnons, cependant, furent aussitôt mis à mort. Il fut remis, en compagnie de son frère Siyyid Abú-Tálib, aux mains de Mullá Zaynu'l-'Abidín, qui fut chargé de les conduire à Sang-Sar.
Pendant ce temps, Mírzá Muhammad-Taqí, accompagné de sept 'ulamás de Sárí, partait de cette ville pour prendre part à l'action méritoire consistant à infliger la peine de mort aux compagnons de Quddús. Lorsqu'ils s'aperçurent que ceux-ci avaient déjà été exécutés, Mírzá Muhammad-Taqí pria le prince de reconsidérer sa décision et d'ordonner l'exécution immédiate de Siyyid Ahmad, faisant valoir que son arrivée à Sári serait le signal de nouveaux troubles aussi graves que ceux qui les avaient déjà affligés.

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Le prince céda finalement, à la condition expresse qu'il fût considéré comme son invité jusqu'à sa propre arrivée à Sárí, moment où il prendrait toutes les mesures requises pour l'empêcher de troubler la paix du voisinage.
A peine Mírzá Muhammad-Taqí avait-il pris la direction de Sárí qu'il se mit à injurier Siyyid Ahmad et le père de celui-ci. "Pourquoi maltraiter un invité que le prince a confié à vos soins ?" fit valoir le prisonnier. "Pourquoi ignorer l'injonction du Prophète, qui a dit: "Honore ton hôte même s'il est un infidèle ?" Furieux, Mírzá Muhammad-Taqí tira son épée, suivi en cela par ses sept compagnons, et mit le corps de Siyyid Ahmad en morceaux. On l'entendit invoquer dans son dernier souffle, l'aide du Sáhibu'z-Zamán. Quant à son frère Siyyid Abú-Tálib, il fut conduit sain et sauf à Sang-Sar par Mullá Zaynu'l-'Abidín, et habite encore de nos jours avec son frère Siyyid Muhammad-Ricjà dans le Mázindarán. Tous deux sont occupés à servir la cause et sont au nombre de ses défenseurs actifs.
Dès que son travail fut achevé, le prince retourna, en compagnie de Quddús, à Bárfurúsh. Ils y arrivèrent un vendredi après-midi, le 18 jamádíyu'th-thání. (20.42) Le sa`ídu'l-'ulamá', ainsi que tous les 'ulamás de la ville, sortirent pour accueillir le prince à son retour triomphal et lui exprimer leurs félicitations. Toute la ville fut pavoisée pour célébrer la victoire, et les feux de joie qu'on alluma cette nuit-là témoignèrent du bonheur que ressentait une population reconnaissante au retour du prince. Trois jours de festivités s'écoulèrent ainsi, durant lesquels le prince ne donna aucune indication quant à ses intentions concernant le sort de Quddús. Il hésitait et se montrait peu disposé à maltraiter son prisonnier. Il refusa tout d'abord de permettre au peuple de satisfaire ses sentiments de haine impitoyable et parvint à contenir sa furie. Il avait, à l'origine, envisagé de conduire Quddús à Tihrán, de le remettre aux mains de son souverain et de se libérer ainsi d'une responsabilité qui le tracassait.
L'hostilité indomptable du sa`ídu'l-'ulamá', cependant, vint contrecarrer l'exécution de ce plan. La haine que Quddús et sa cause lui inspiraient se transforma en une rage furieuse lorsqu'il vit les preuves de plus en plus nombreuses de l'inclination qu'avait le prince à permettre à un adversaire aussi redoutable de s'échapper. Jour et nuit, il lui faisait des remontrances et, au moyen de tous les artifices que son cerveau fécond pouvait concevoir, cherchait à le dissuader de poursuivre une politique qu'il jugeait à la fois désastreuse et lâche. Dans la furie de son désespoir, il en appela à la foule et tenta, en enflammant ses passions, d'éveiller en elle les sentiments de vengeance les plus vils.

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Tout Bárfurúsh s'était soulevé à son appel persistant. Son habileté diabolique lui attira bientôt la sympathie et le soutien des masses. "J'ai juré", protestait-il impérieusement, "de me priver de nourriture et de sommeil jusqu'au moment où je pourrai mettre fin, de mes propres mains, à la vie de Hájí Muhammad-'Alí!" Les menaces d'une populace agitée renforcèrent son argument et parvinrent à susciter les appréhensions du prince. Craignant que sa propre vie ne fût mise en danger, il appela auprès de lui les principaux 'ulamás de Bárfurúsh, dans le but de les consulter au sujet des mesures qui devaient être prises pour apaiser le tumulte provoqué par la populace excitée. Tous ceux qui avaient été invités répondirent, à l'exception de Mullá Muhammad-i-Hamzih, qui demanda à être dispensé d'assister à cette réunion. Cet homme s'était auparavant efforcé à plusieurs reprises, durant le siège du fort, de persuader le peuple de s'abstenir de toute violence. C'est à lui que Quddús, quelques jours avant d'abandonner le fort, avait remis, par l'intermédiaire d'un de ses compagnons sûrs du Mázindarán, une sacoche fermée contenant le texte de sa propre interprétation du Sád de Samad ainsi que tous les autres écrits et les papiers personnels qu'il avait en sa possession et dont le sort demeure ignoré à ce jour.
A peine les 'ulamás s'étaient-ils réunis que le prince donna l'ordre d'amener Quddús auprès d'eux. Depuis le jour où il avait quitté le fort, Quddús, qui avait été Confié à la garde du farrásh-báshí, n'avait pas été convoqué auprès du prince. Dès qu'il arriva, le prince se leva et l'invita à s'asseoir à côté de lui. Se tournant vers le sa`ídu'l'ulamá', il le pria de discuter en toute impartialité et conscience avec le prisonnier. "Nos discussions, affirma-t-il, doivent graviter autour des versets du Qur'án et des traditions, et doivent s'appuyer sur ceux-ci; ainsi seulement parviendrez-vous à démontrer la vérité ou la fausseté de vos affirmations." "Pourquoi", demanda avec impertinence le sa`ídu'l-'ulamá', "vous êtes-vous, en décidant de placer sur votre tête un turban vert, arrogé un droit auquel seul peut prétendre celui qui est un véritable descendant du Prophète? Ne savez-vous pas que quiconque défie cette tradition sacrée est maudit de Dieu?" "Est-ce que Siyyid Murtadá, répondit calmement Quddús, que tous les 'ulamás reconnus louent et estiment, était un descendant du Prophète par son père ou par sa mère?" L'un des participants à cette réunion déclara aussitôt que seule la mère était siyyid. "Pourquoi alors me faire des reproches, rétorqua Quddús, puisque ma mère a toujours été reconnue par les habitants de cette ville comme une descendante en ligne directe de l'Imám Hasan?

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N'était-elle pas, à cause de sa descendance, honorée, que dis-je, vénérée par chacun d'entre vous?"
Personne n'osa le contredire. Le sa`ídu'l-'ulamá' fut pris d'un accès d'indignation et de désespoir. Il jeta avec colère son turban à terre et se leva pour quitter la réunion. "Cet homme", gronda-t-il avant de partir, "a réussi à vous prouver qu'il est un descendant de l'Imám Hasan. Il justifiera bientôt sa prétention d'être le porte-parole de Dieu et le révélateur de sa volonté!" Le prince fut amené à faire la déclaration suivante: "Je décline toute responsabilité pour le mal qui pourrait frapper cet homme. Vous êtes libres de faire de lui ce que vous voulez. Vous serez vous-mêmes responsables devant Dieu au jour du Jugement." Aussitôt après avoir prononcé ces paroles, il fit venir son cheval et partit, en compagnie de ses assistants, pour Sárí. Intimidé par les imprécations des 'ulamás et oublieux de son serment, il remit, d'une manière abjecte, Quddús aux mains d'un ennemi impitoyable; ces loups voraces n'aspiraient qu'au moment où ils pourraient se jeter sur leur proie et donner libre cours aux passions les plus exacerbées de vengeance et de haine.
A peine le prince les avait-il libérés de la contrainte qu'il exerçait sur eux, que les 'ulamás et les habitants de Bárfurúsh, agissant sous les ordres du sa`ídu'l-'ulamá', (20.43) se levèrent pour perpétrer sur le corps de leur victime des actes d'une cruauté si atroce qu'aucune plume ne saurait les décrire. D'après le témoignage de Bahá'u'lláh, ce jeune héros, qui était encore au seuil de sa vie, fut soumis à des tortures et à une mort telles que même Jésus, à l'heure la plus sombre de son agonie, n'en connut de pareilles. L'absence de toute entrave de la part des autorités gouvernementales, la barbarie ingénieuse dont firent preuve avec tant de talent les bourreaux de Bárfurúsh, le fanatisme féroce qui enflammait les coeurs de ses habitants shí`ahs, l'appui moral que leur accordaient les dignitaires de l'Église et de l'État dans la capitale et, par-dessus tout, les actes d'héroïsme qu'avaient accomplis leur victime et ses compagnons et qui avaient servi à intensifier leur exaspération, tout cela concourut à donner de la vigueur aux assaillants et à accroître la férocité diabolique qui caractérisa le martyre de Quddús.
Les circonstances de ce martyre furent telles que le Báb, qui était alors emprisonné dans la forteresse de Chihriq, ne put, pendant une période de six mois, ni écrire ni dicter. Le profond chagrin qu'il ressentit fit taire la voix de la révélation et rendit muette sa plume.

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Avec quelle profonde tristesse déplora-t-il la perte de son disciple! Quels cris d'angoisse dut-il lancer, lorsqu'on lui relata le siège, les souffrances indicibles, la honteuse trahison et le massacre général des compagnons de Shaykh Tabarsí, et que le cours de ces événements lui fut dévoilé!

PHOTO: vue 1 du madrisih de Mírzá Zakí, à Bárfurúsh, la dernière demeure de Quddús

PHOTO: vue 2 du madrisih de Mírzá Zakí, à Bárfurúsh, la dernière demeure de Quddús

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Quelle horrible tristesse dut-il ressentir lorsqu'il apprit quel traitement ignoble le peuple de Bárfurúsh avait infligé à son Quddús bien-aimé à l'heure de son martyre; la manière dont ses vêtements lui avaient été arrachés; dont le turban que le Báb lui avait octroyé avait été foulé aux pieds; comment il avait été promené à travers les rues, pieds nus, tête nue et chargé de chaines, suivi et raillé par la population entière de la ville, dont la foule houleuse avait craché sur lui et l'avait maudit; comment le rebut des habitants du sexe féminin l'avait attaqué avec des couteaux et des haches; comment son corps fut percé et mutilé et, finalement, livré aux flammes!
Au beau milieu de ses souffrances, on entendit Quddús murmurer, demandant le pardon pour ses ennemis. "Pardonne, ô mon Dieu, avait-il dit, les offenses de ce peuple. Sois miséricordieux envers lui car il ne sait pas ce que nous avons déjà découvert et chéri. Je me suis efforcé de lui montrer le sentier qui conduit à son salut; vois comme il s'est levé pour m'accabler et me tuer! Montre-lui, ô Dieu, la voie de la Vérité, et transforme son ignorance en foi." A l'heure de son agonie, on vit le Siyyid-i-Qumí, qui avait si traîtreusement déserté le fort, passer à côté de Quddús. Voyant son impuissance, il le frappa au visage: "Tu prétendais, s'écria-t-il avec dédain, que ta voix était celle de Dieu. Si tu dis vrai, brise tes liens et libère-toi des mains de tes ennemis." Quddús fixa du regard son visAge, soupira profondément et dit: "Que Dieu te récompense pour ton acte dans la mesure où tu as contribué à augmenter mes afflictions." Vers le Sabzih-Maydán, Quddús leva le ton et dit: "Si ma mère était là avec moi et pouvait voir de ses propres yeux la splendeur de mes noces!" A peine avait-il prononcé ces paroles que la foule enragée se rua sur lui et, après avoir déchiqueté son corps, en jeta les membres éparpillés dans le feu qu'elle avait allumé à cet effet. Au milieu de la nuit, ce qui restait des fragments de ce corps brûlé et mutilé fut ramassé par un ami dévoué (20.44) et enterré en un lieu peu éloigné de la scène de son martyre. (20.45)
Il serait opportun ici de rappeler les noms des martyrs qui participèrent à la défense du fort de Shaykh Tabarsí, espérant que les générations futures pourront, avec orgueil et gratitude, se souvenir des noms autant que des actes de ces pionniers qui, par leur vie et leur mort, ont tant enrichi les annales de la foi immortelle de Dieu. Ces noms que j'ai pu rassembler en les prenant à des sources diverses, et pour lesquels je me sens particulièrement endetté envers le Ismu'lláhu'l-Mím, Ismu'llihu'l-Javád et Ismu'llihu'l-Asad, je m'en vais à présent les énumérer, confiant que, de même que dans l'au-delà, leurs âmes ont été investies de la lumière de gloire impérissable, de même leurs noms demeureront à jamais sur les langues des hommes; que leur mention continuera à susciter un égal esprit d'enthousiasme et de dévotion dans le coeur de ceux à qui a été transmis cet héritage inestimable.

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De ceux qui m'ont informé, j'ai pu obtenir non seulement les noms de la plupart de ceux qui tombèrent au cours de ce mémorable siège, mais encore une liste représentative, bien qu'incomplète, de tous ces martyrs qui, depuis l'an 60 (20.46) jusqu'à ce jour, c'est-à-dire la deuxième quinzaine du mois de rabí'u'l-avval de l'an 1306 après l'hégire (20.47) ont sacrifié leurs vies sur le sentier de la cause de Dieu. Il est de mon intention de mentionner chacun de ces noms en relation avec l'événement particulier auquel il est principalement lié. Quant à ceux qui burent à la coupe du martyre en défendant le fort de Tabarsi, leurs noms sont les suivants:
1. Le premier et le plus éminent d'entre eux est Quddús, à qui le Báb conféra le nom d'Ismu'lláhu'l-Ákhar ; (20.48) lui, la dernière Lettre du Vivant et le compagnon élu du Báb lors de son pèlerinage à La Mecque et à Médine, fut, avec Mullá Sádiq et Mullá 'Alí-Akbari-Ardistání, le premier à être persécuté sur le sol de la Perse pour l'amour de la cause de Dieu. Il n'avait que dix-huit ans lorsqu'il quitta sa ville natale de Bárfurúsh pour Karbilá. Il suivit, pendant quatre ans environ, les cours de Siyyid Kázim et, à l'âge de vingt-deux ans, rencontra et reconnut son Bien-Aimé dans la ville de Shiraz. Cinq années plus tard, le 23 jamádíyu'th-thání de l'an 1265 après l'hégire, (20.49) il devait tomber victime de la barbarie la plus gratuite et la plus raffinée de ses ennemis sur le Sabzih-Maydán de Báfurúsh. Le Báb et, par la suite, Bahá'u'lláh ont tous deux, dans d'innombrables Tablettes et prières, déploré sa perte et lui ont prodigué leurs éloges. L'honneur que lui accorda Bahá'u'lláh fut tel que, dans son commentaire sur le verset de Kullu't-Ta'àm, (20.50) qu'il révéla lors de son séjour à Baghdád, il lui conféra le rang unique de Nuqtiy-iUkhrá, (20.51) un rang qui suit immédiatement celui du Báb lui-même (20.52)
6. Mullá Husayn, surnommé le Bábu'l-Báb, fut le premier à reconnaître et à embrasser la nouvelle révélation. A l'âge de dix-huit ans, il était, lui aussi, parti de sa ville natale de Bushrúyih dans le Khurásán pour Karbilá et, durant neuf ans, fréquenta assidûment Siyyid Kázim. Quatre ans avant la déclaration du Báb, il avait, selon les instructions de Siyyid Kázim, rencontré à Isfáhán le savant mujtahid Siyyid Báqir-i-Rashtí et, à Mashhad, Mírzá 'Askarí, à qui il avait remis avec dignité et éloquence les messages que lui avait confiés son chef.

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Les circonstances relatives à son martyre suscitèrent chez le Báb une indicible affliction, qui devait lui inspirer des éloges et des prières d'un nombre si élevé que l'ensemble équivaudrait à trois fois le Qur'án. Dans l'une de ses Tablettes de visitation, le Báb affirme que la poussière même du lieu où gisent les restes de Mullá Husayn est douée d'un pouvoir capable d'apporter la joie au coeur de l'affligé et la guérison au malade. Dans le Kitáb-i-Iqàn, Bahá'u'lláh exalte avec plus de force encore les vertus de Mullá Husayn. "Sans lui, écrit-il, Dieu n'aurait pas été établi sur le siège de sa miséricorde et ne serait
pas monté sur le trône de gloire éternelle !" (20.53)
3. Mírzá Muhammad-Hasan, le frère de Mullá Husayn
4. Mírzá Muhammad-Báqir, le neveu de Mullá Husayn. Lui, ainsi que Mírzá Muhammad-Hasan, accompagnèrent Mullá Husayn de Bushrùyih à Karbilá et de là à Shiraz où ils embrassèrent le message du Báb et furent choisis parmi les Lettres du Vivant. A l'exception du voyage de Mullá Husayn à la forteresse de Mah-Ku, ils avaient toujours été en sa compagnie jusqu'au moment où ils tombèrent martyrs au fort de Tabarsí.
5. Le beau-frère de Mullá Husayn, le père de Mírzá Abu'l-Hasan et de Mírzá Muhammad-Husayn, qui se trouvent tous deux actuellement à Bushrúyih et à qui est confiée Varaqatu'l-Firdaws, la soeur
de Mullá Husayn. Tous deux sont des adeptes fermes et dévoués de la foi.
6. Le fils de Mullá Ahmad, le frère aîné de Mullá Mírzá Muhammad-i-Furúghí. Contrairement à son oncle, Mullá Mírzá Muhammad, il subit le martyre; il fut, comme son oncle l'a certifié, un jeune homme de grande piété et distingué pour son savoir et son caractère intègre.
7. Mírzá Muhammad-Báqir, connu sous le nom de Harátí bien qu'il fût à l'origine un résident de Qâyin. C'était un ami intime du père de Nabíl-i-Akbar et il fut le premier habitant de Mashhad à embrasser la cause. C'est lui qui construisit le Bábíyyih et qui servit Quddús avec dévouement durant le séjour de celui-ci dans cette ville. Lorsque Mullá Husayn hissa l'étendard noir, il s'enrôla, en compagnie de son fils, Mírzá Muhammad-i-Kázim, sous sa bannière et s'en alla avec lui au Mázindarán. Cet enfant devait finalement être sauvé et est devenu maintenant un partisan fervent et actif de la foi dans la ville de Mashhad. Ce fut Mírzá Muhammad-Báqir qui fit fonction de porte-étendard du groupe, qui conçut le plan du fort, de ses murs, de ses tourelles et du fossé qui l'entourait, qui succéda à Mullá Husayn dans l'organisation des forces de ses compagnons et dans le commandement des attaques lancées contre l'ennemi, et qui fit office de compagnon intime, de lieutenant et de conseiller sûr de Quddús jusqu'au moment où il tomba martyr dans le sentier de la cause.

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8. Mírzá Muhammad-Taqíy-i-Juvayní, natif de Sabzihvár, qui s'était distingué par ses talents littéraires et à qui Mullá Husayn confiait souvent la tâche de mener la charge contre les assaillants. Sa tête, ainsi que celle de son compagnon, Mírzá Muhammad-Báqir, furent empalées sur des lances et promenées parmi les rues de Bárfurúsh à travers les cris et les huées d'une populace excitée.
9. Qambar-'Alí, l'intrépide et fidèle serviteur de Mullá Husayn, qui l'accompagna lors de son voyage à Mah-Ku et qui souffrit le martyre la nuit même où son maître tomba victime des balles de l'ennemi.
10. Hasan et
11.Qulí qui, en compagnie d'un nommé Iskandar, natif de Zanján, porta le corps de Mullá Husayn au fort la nuit de son martyre et le plaça aux pieds de Quddús. C'est ce même Hasan qui fut promené par ordre du commissaire de police de Mashhad, la corde au cou, à travers les rues de cette ville.
12. Muhammad-Hasan, le frère de Mullá Sádiq, que les camarades de Khusraw tuèrent sur la route entre Bafurúsh et le fort de Tabarsí. Il se distingua par sa constance inébranlable et avait été l'un des serviteurs du tombeau de l'Imám Ridá.
13. Siyyid Ridá qui, en compagnie de Mullá Yúsuf-i-Ardibílí, fut chargé par Quddús de rencontrer le prince, et qui revint avec l'exemplaire scellé du Qur'án portant le serment que le prince avait écrit. C'était l'un des siyyids renommés du Khurásán, et l'on reconnaissait partout son savoir ainsi que son caractère intègre.
14. Mullá Mardán-'Alí, l'un des compagnons éminents du Khurásán, un habitant du village de MíYámay, site d'une forteresse bien renforcée située entre Sabzihvár et Sháh-Rúd. Il s'engagea, avec trente-trois compagnons, sous la bannière de Mullá Husayn le jour du passage de ce dernier dans ce village. Ce fut dans le masjid de Míyámay, où Mullá Husayn s'était arrêté pour faire la prière en commun du vendredi, qu'il lança son émouvant appel dans lequel il soulignait l'accomplissement de la tradition relative à l'apparition de l'étendard noir au Khurásán, et se déclarait porteur de celui-ci. Son discours éloquent impressionna profondément ses auditeurs, à tel point que, ce même jour, la majorité de ceux qui l'entendirent, hommes de mérite éminent pour la plupart, se levèrent pour le suivre.

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Seul un de ces trente-trois compagnons, un certain Mullá 'Isi, devait survivre; ses fils se trouvent maintenant dans le village de MiYámay et sont activement occupés à servir la cause. Les noms des compagnons martyrs de ce village sont les suivants:
15. Mullá Muhammad-Mihdí,
16. Mullá Muhammad-Ja'far,
17. Mullá Muhammad-ibn-i-Mullá Muhammad,
18. Mullá Rahím,
19. Mullá Muhammad-Ridá,
20. Mullá Muhammad-Husayn,
21. Mullá Muhammad,
22. Mullá Yúsuf,
23. Mullá Ya'qúb,
24. Mullá 'Alí,
25. Mullá Zaynu'l-Abidín,
26. Mullá Muhammad, fils de Mullá Zaynu'l-'Ábidín,
27. Mullá Báqir,
28. Mullá 'Abdu'l-Muhammad,
29. Mullá Abu'l-Hasan,
30. Mullá Ismá'íl,
31. Mullá 'Abdu'l-'Alí,
32. Mullá Aqá-Bábá,
33. Mullá 'Abdu'l-Javád,
34. Mullá Muhammad-Husayn,
35. Mullá Muhammad-Báqir,
36. Mullá Muhammad,
37. Hájí Hasan,
38. Karbilá'i 'Alí,
39. Mullá Karbilá'í 'Alí,
40. Karbilá'í Nur-Muhammad,
41. Muhammad-Ibráhím,
42. Muhammad-Sá'im,
43. Muhammad-Hádí,
44. Siyyid Mihd,
45. Abú-Muhammad.
Des compagnons du village de Sang-Sar, qui fait partie du district de Simnán, dix-huit furent martyrisés. Leurs noms sont les suivants:
46. Siyyid Ahmad, dont le corps fut coupé en morceaux par Mírzá Muhammad-Taqí et les sept 'ulamás de Sárí. C'était un éminent théologien, fort estimé pour son éloquence et sa piété.

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47. Mir Abu'l-Qásim, le frère de Siyyid Ahmad, qui gagna la couronne du martyre la nuit même où Mullá Husayn trouva la mort.
48. Mír Mihdí, l'oncle paternel de Siyyid Ahmad.
49. Mír Ibráhím, le beau-frère de Siyyid Ahmad.
50. Safar-'Alí, le fils de Karbilá'í'Alí, qui s'était ardemment efforcé, en compagnie de Karbilá'í Muhammad, de tirer les habitants de Sang-Sar de leur sommeil de négligence. Tous deux ne purent, à cause de leurs infirmités, se rendre au fort de Tabarsí.
51. Muhammad-'Alí, le fils de Karbilá'i Abú-Muhammad,
52. Abu'l-Qásim, le frère de Muhammad-'Alí,
53. Karbilá'i Ibràhim,
54. 'Alí-Ahmad,
55. Mullá 'Alí-Akbar,
56. Mullá Husayn-'Alí,
57. 'Abbás-'Alí,
58. Husayn-'Alí,
59. Mullá 'Alí-Asghar,
60. Karbilá'í Ismá`íl,
61. 'Alí Khán,
62. Muhammad-Ibráhím,
63. 'Abdu'l-'Azim.
Du village de Sháh-Mírzád, deux personnes tombèrent défendant le fort:
64. Mullá Abú-Rahím et
65. Karbilá'í Kázim.
Quant aux adeptes de la foi au Mázindarán, vingt-sept martyrs ont été jusqu'ici enregistrés:
66. Mullá Ridáy-i-Sháh,
67. 'Azím,
68. Karbilá'í Muhammad-Ja'far,
69. Siyyid Husayn,
70. Muhammad-Báqir,
71. Siyyid Razzáq,
72. Ustád Ibráhím,
73. Mullá Sa`íd-i-Zirih-Kinári,
74. Ridáy-i- 'Arab,
75. Rasúl-i-Bahnimírí,
76. Muhammad-Husayn, le frère de Rasúl-i-Bahnimírí,

<P388>

77. Táhir,
78. Shafí',
79. Qásim,
80. Mullá Muhammad-Jàn,
81. Masíh, le frère de Mullá Muhammad-Ján,
82. Itá-Bábá,
83. Yúsuf,
84. Fadlu'lláh,
85. Bábá,
86. Saff-Qulí,
87. Nizám,
88. Rúhu'lláh,
89. 'Alí-Quli,
90. Sultán,
91. Ja'far,
92. Khalíl.
Des croyants de Savád-Kúh, les cinq noms suivants sont jusqu'à présent considérés comme martyrs:
93. Karbilá'í Qambar-Kálish,
94. Mullá Nád- ' Alíy-i-Mutavalli,
95. 'Abdu'l-Haqq,
96. Ítábakí-Chúpán,
97. Fils de Ítábakí-Chúpán.
De la ville d'Ardistán, tombèrent martyrs:
98. Mírzá 'Álí-Muhammad, fils de Mírzá Muhammad-Sa`íd,
99. Mírzá 'Abdu'l-Vási', fils de Hájí 'Abdu'l-Vahháb,
100. Muhammad-Husayn, fils de Hájí Muhammad-Sádiq,
101. Muhammad-Mihdí, fils de Hájí Muhammad-Ibráhím,
102. Mírzá Ahmad, fils de Muhsin,
103. Mírzá Muhammad, fils de Mír Muhammad-Taqí.
De la ville d'Isfáhán, on a enregistré à ce jour trente martyrs:
104. Mullá Ja'far, le tamiseur de froment dont le nom a été mentionné par le Báb dans le Bayan Persan.
105. Ustád Aqá, surnommé Buzurg-Banni,
106. Ustád Hasan, fils d'Ustád Aqá, -
107. Ustád Muhammad, fils d'Ustád Aqá,
108. Muhammad-Husayn, fils d'Ustád Aqá, dont le frère cadet Ustád Ja'far fut plusieurs fois vendu par ses ennemis avant qu'il pût atteindre sa ville natale, où il réside actuellement.
109. Ustád Qurbán-'Alíy-i-Banná,
<P389>

110. 'Alí-Akbar, fils de Ustád Qurbán-'Alíy-i-Banná,
111. 'Abdu'lláh, fils d' Ustád Qurbán- ' Alíy-i-Banná,
112. Muhammad-i-Báqir-Naqsh, l'oncle maternel de Siyyid Yahyá et fils de Mírzá Muhammad-'Alíy-i-Nahrí. Il n'avait que quatorze ans et fut martyrisé la nuit même où Mullá Husayn trouva la mort.
113. Mullá Muhammad-Taqí,
114. Mullá Muhammad-Ridá, tous deux frères de feu 'Abdu'l-Sálib, le jardinier du Ridván à 'Akká.
115. Mullá Ahmad-i-Saffár,
116. Mullá Husayn-i-Miskar,
117. Ahmad-i-Payvandí,
118. Hasan-i-Sha'r-Báf-i-Yazdí,
119. Muhammad-Taqí,
120. Muhammad-'Attár, frère de Hasan-i-Sha'r-Báf,
121. Mullá 'Abdu'l-Kháliq, qui se coupa la gorge à Badasht et que Tahirih surnomma Dhabíh.
122. Husayn,
123. Abu'l-Qásim, frère de Husayn,
124. Mírzá Muhammad-Ridá,
125. Mírzá Haydar, frère de Mírzá Muhammad-Ridá,
126. Mírzá Mihdí,
127. Muhammad-Ibráhím,
128. Muhammad-Husayn, surnommé Dastmál-Girih-Zan,
129. Muhammad-Hasan-i-Chít-Sáz, un célèbre fabricant de tissu qui parvint en présence du Báb.
130. Muhammad-Husayn-i-'Attár,
131. Ustád Hájí Muhammad-i-Banná,
132. Mahmúd-i-Muqári'í, marchand de tissu bien connu. Il venait de se marier et était parvenu à rencontrer le Báb dans la forteresse de Chihriq. Le Báb le pressa de se rendre au Jazíriy-i-Khadrá pour prêter assistance à Quddús. Lors de son séjour à Tihrán, il reçut une lettre de son frère lui annonçant la naissance d'un fils et le suppliant de se hâter de venir à Isfáhán pour voir celui-ci, et de se rendre ensuite là où bon lui semblerait. "Je me suis trop enflammé, répondit-il, de l'amour de cette cause pour pouvoir prêter quelque attention à mon fils. Je suis impatient de rejoindre Quddús et de m'enrôler sous sa bannière."
133. Siyyid Muhammad-Ridáy-i-Pá-Qal'iyí, siyyid distingué et théologien fort estimé, dont le but déclaré de s'enrôler sous la bannière de Mullá Husayn causa un grand tumulte parmi les 'ulamás d'Isfáhán.

<P390>

Parmi les croyants de Shiraz, ceux dont les noms suivent ont atteint au rang du martyre:
134. Mullá 'Abdu'lláh, connu également sous le nom de Mírzá Sálih,
135. Mullá Zaynu'l-'Ábidin,
136. Mírzá Muhammad.
Parmi les adeptes de la foi à Yazd, seuls quatre ont jusqu'à présent été enregistrés:
137. Le siyyid qui parcourut à pied tout le chemin du Khurásán à Bárfurush, où il tomba victime des balles de l'ennemi.
138. Siyyid Ahmad, le père de Siyyid Husayn-I-'Azíz et secrétaire du Báb.
139. Mírzá Muhammad-'Alí, fils de Siyyid Ahmad, qui eut la tête
emportée par le boulet d'un canon alors qu'il se tenait à l'entrée du fort et qui, à cause de son jeune âge, était fort admiré et aimé de Quddús.
140. Shaykh 'Alí, fils de Shaykh 'Abdu'l-Kháliq-i-Yazdí, un habitant de Mashhad, jeune homme dont l'enthousiasme et l'énergie inépuisable étaient l'objet des louanges de Mullá Husayn et de
Quddús.
Des croyants de Qazvín, ceux dont les noms suivent tombèrent martyrs:
141. Mírzá Muhammad-'Alí, théologien célèbre, dont le père, Hájí Mullá 'Abdu'l-Vahháb, était l'un des mujtahids les plus éminents de Qazvín. Il parvint en présence du Báb à Shiraz et fut inscrit parmi les Lettres du Vivant.
142. Muhammad-Hádí, un marchand respecté et fils de Hájí 'Abdu'l-Karím, surnommé Bághbán Báshí,
143. Siyyid Ahmad,
144. Mírzá 'Abdu'l-Jalíl, théologien réputé,
145. Mírzá Mihdí.
146. Du village de Lahárd, il y eut comme martyr un certain Hájí Muhammad-'Alí, qui avait terriblement souffert à la suite du meurtre de Mullá Taqí à Qazvín.
Des croyants de Khuy, ceux dont les noms suivent connurent le martyre:
147. Mullá Mihdí, théologien distingué, qui avait été l'un des disciples éminents de Siyyid Kázim. Il était connu pour son savoir, son éloquence et la fermeté de sa foi.
148. Mullá Mahmúd-i-Khu'í, frère de Mullá Mihdí, l'une des Lettres du Vivant et théologien éminent.

<P391>

149. Mullá Yúsuf-i-Ardibílí, l'une des Lettres du Vivant, connu pour son savoir, son enthousiasme et son éloquence. Ce fut lui qui suscita les appréhensions de Hájí Karím Khán à son arrivée à Kirmán, et qui fut la terreur de ses adversaires. "Cet homme", a-ton entendu dire Hájí Karím Khán à sa congrégation, "doit être expulsé de force de cette ville car, si on l'autorise à y rester, il causera certainement à Kirmán le même tumulte qu'il a déjà soulevé à Shiraz. Le mal qu'il infligera sera irréparable. La magie de son éloquence et la force de sa personnalité, si elles ne surpassent pas déjà celles de Mullá Husayn, ne leur sont certainement pas inférieures. Ainsi, ce théologien réussit à forcer Mullá Yúsuf à écourter son séjour à Kirmán et à l'empêcher de s'adresser au peuple depuis la chaire. Le Báb lui donna les instructions suivantes: "Vous devez visiter les villes et les cités de la Perse et inviter leurs habitants à accepter la cause de Dieu. Au premier jour du mois de muharram de l'an 1265 après l'hégire, (20.54) vous devrez vous trouver au Mázindarán et vous lever pour prêter à Quddús toute l'assistance en votre pouvoir." Mullá Yúsuf, fidèle aux instructions de son maître, refusa de prolonger son séjour au-delà d'une semaine dans quelque ville ou cité qu'il visita. A son arrivée au Mázindarán, il fut fait prisonnier par les forces du prince Mihdí-Qulí Mírzá, qui le reconnut immédiatement et le fit emprisonner. Il devait finalement être relâché, comme nous l'avons déjà observé, par les compagnons de Mullá Husayn le jour où eut lieu la bataille de Vás-Kas.
150. Mullá Jalíl-i-Urúmí, l'une des Lettres du Vivant, connu pour son savoir, son éloquence et la ténacité de sa foi.
151. Mullá Ahmad, un habitant de Marághih, l'une des Lettres du Vivant, et disciple éminent de Siyyid Kázim.
152. Mullá Mihdíy-i-Kandí, compagnon intime de Bahá'u'lláh et tuteur des enfants de sa maisonnée.
153. Mullá Báqir, frère de Mullá Mihdí; tous deux étaient hommes d'un savoir immense et dont les talents ont été confirmés par Bahá'u'lláh dans le "Kitáb-i-Iqán".
154. Siyyid Kázim, un habitant de Zanján, dont il était l'un des marchands les plus connus. Il parvint en la présence du Báb à Shiraz et l'accompagna à Isfáhán. Son frère, Siyyid Murtadá, fut l'un des sept martyrs de Tihrán.
155. Iskandar, également habitant de Zanján et qui, en compagnie de Hasan et de Qulí, porta le corps de Mullá Husayn au fort.
156. Ismá'íl,

<P392>

157. Karbilá'í 'Abdu'l-'Alí,
158. 'Abdu'l-Muhammad,
159. Hájí 'Abbás,
160. Siyyid Ahmad, tous habitants de Zanján.
161. Siyyid Husayn-i-Kuláh-Dúz, un habitant de Bárfurúsh dont la tête fut empalée sur une lance et promenée à travers les rues.
162. Mullá Hasan-i-Rashtí,
163. Mullá Hasan-i-Bayájmandí,
164.Mullá-Ni'matu'lláh-i-Bárfurúshí,
165. Mullá Muhammad-Taqíy-i-Qarákhílí,
166. Ustád Zaynu'l-'Ábidín,
167. Ustád Qásim, fils d'Ustád Zaynu'l-'Ábidín,
168. Ustád 'Alí-Akbar, frère d'Ustád Zaynu'l-'Abidín.
Les trois derniers étaient maçons de profession, natifs de Kirmán, et habitaient Qáyin dans la province de Khurasan.
169 - 170. Mullá Ridáy-i-Sháh et un jeune homme de Bahnimír; ils furent tués deux jours après l'abandon du fort par Quddús, dans le Panj-Shanbih-Bázár de Bárfurúsh. Hájí Mullá Muhammad-i-
Hamzih, surnommé le Sharí'at-Madár, parvint à enterrer leurs corps dans le voisinage du Masjid-i-Kázim-Big, et à inciter leur meurtrier à se repentir et à demander pardon.
171. Mullá Muhammad-i-Mu'allim-i-Núrí, compagnon intime de Bahá'u'lláh qu'il fréquenta à Nur, à Tihrán et au Mázindarán. Il était connu pour son intelligence et son savoir; il devait subir les plus cruelles atrocités, après celles de Quddús, qu'ait jamais endurées un défenseur du fort de Tabarsí. Le prince avait promis qu'il le relâcherait à condition qu'il exécrât le nom de Quddús, et avait donné sa parole qu'au cas où il abjurerait sa foi, il le ramènerait à Tihrán et ferait de lui le tuteur de ses fils. "Je ne consentirai jamais, avait-il répondu, à vilipender le bien-aimé de Dieu par ordre d'un homme tel que vous. Même si vous me confériez le royaume de Perse tout entier, je ne détournerais point, ne fût-ce qu'un instant, mon visage de mon chef bien-aimé. Mon corps est à votre meRci, mais mon âme, vous ne pourrez l'assujettir. Torturez-moi autant que vous vouIez, afin que je puisse vous démontrer la vérité du verset: "Alors, aspirez à la mort, si vous êtes des hommes de vérité." (20.55) Le prince, rendu furieux par cette réponse, donna l'ordre de couper son corps en morceaux et de n'épargner aucun effort pour lui infliger le plus humiliant des châtiments.
172. Hájí Muhammad-i-Karrádí, dont la maison se trouvait dans l'une des palmeraies situées autour du vieux Baghdád, était un homme de grand courage; il avait combattu et commandé cent hommes dans la guerre contre Ibráhím Páshá d'Egypte.

<P393>

Il avait été un fervent disciple de Siyyid Kázim et avait rédigé un long poème dans lequel il s'étendait sur les vertus et les mérites du siyyid. Il avait soixante-quinze ans lorsqu'il embrassa la foi du Báb, dont il chanta également les louanges dans un poème éloquent et détaillé. Il se distingua par ses actes héroïques lors du siège du fort, et tomba finalement victime des balles de l'ennemi.
173. Sa`íd-i-Jabbáví, natif de Baghdád, qui fit preuve d'un courage extraordinaire durant le siège. Il fut atteint à l'abdomen et, quoique gravement blessé, parvint à marcher jusqu'à ce qu'il atteignît la présence de Quddús. Il se jeta joyeusement à ses pieds et expira.
Les circonstances du martyre de ces deux derniers compagnons furent relatées par Siyyid Abú-Tálib-i-Sang-Sarí, l'un de ceux qui survécurent à ce mémorable siège, dans une communication adressée à Bahá'u'lláh. Dans celle-ci, il raconte en outre sa propre histoire ainsi que celle de ses deux frères, Siyyid Ahmad et Mír Abú'l-Qásim, qui tombèrent tous deux martyrs en défendant le fort. "Le jour où Khusraw fut tué, écrit-il, je me trouvais par hasard invité chez un certain Karbilá'í 'Alí-Ján, le kad-khudá (20.56) de l'un des villages situés dans le voisinage du fort. Il était parti pour participer à la protection de Khusraw puis était revenu et me relatait les circonstances relatives à la mort de celui-ci. Ce jour-là, un messager m'informa que deux Arabes étaient arrivés à ce village et étaient désireux de rejoindre les occupants du fort. Ils exprimèrent la crainte que leur inspiraient les habitants du village de Qádí-Kalá, et promirent qu'ils récompenseraient amplement quiconque serait prêt à les conduire à leur destination. Je me souvins alors des conseils de mon père, Mír Muhammad-'Alí, qui m'exhortait à me lever pour aider à promouvoir la cause du Báb. Je me décidai aussitôt à saisir l'occasion qui se présentait à moi, et partis vers le fort en compagnie de ces deux Arabes; avec l'aide et l'assistance du kad-Khudá, je rencontrai Mullá Husayn et décidai de consacrer le restant de mes jours au service de la cause qu'il avait choisi de suivre.
Voici les noms de quelques-uns des officiers qui se distinguèrent parmi les ennemis des compagnons de Quddús:
1. Le prince Mihdí-Qulí Mírzá, frère de feu Muhammad Sháh,
2. Sulaymán Khán-i-Afshár
3. Hájí Mustafá Khán-i-Súr-Tíj,
4. 'Abdu'lláh Khán, frère de Hájí Mustafá Khán,

<P394>

5. 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání, qui tua d'une balle Mullá Husayn,
6. Núru'llih Khán-i-Afghán,
7. Habíbu'lláh Khán-i-Afghán,
8. Dhu'l-Faqár Khán-i-Karávulí,
9. 'Alí-Asghar Khán-i-Du-Dungi'í,
10. Khudá-Murád Khán-i-Kurd,
11. Khálíl Khán-i-Savád-Kúhí,
12. Ja'far-Qulí Khán-i-Surkh-Karri'í,
13. Le sartíp du Fawj-i-Kalbát,
14. Zakaríyyáy-i-Qádí-Kalá'í, l'un des cousins de Khusraw et son successeur.
PHOTO: Muhammad Ridá, l'un des compagnons de Quddús, qui survécut à la bataille de Shaykh Tabarsi

<P395>

Quant aux croyants qui participèrent à ce siège mémorable et qui échappèrent à sa fin tragique, je n'ai pu jusqu'ici vérifier complètement ni leurs noms ni leur nombre. Je me suis contenté d'une liste représentative, bien qu'incomplète, des noms des martyrs de ce siège, confiant que, dans les jours à venir, les vaillants promoteurs de la foi se lèveront pour combler cette lacune et pourront, par leur recherche et leur assiduité, remédier aux imperfections de cette description tout à fait insuffisante de ce qui doit rester à jamais comme l'un des épisodes les plus émouvants des temps modernes.

PHOTO: mirza Abú-tálíb, compagnon de Quddús, qui survécut à la bataille de Shaykh Tabarsi

<P396>

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NOTE DU CHAPITRE 20:

(20.1) "Ainsi perplexe et ne sachant où se tourner, le Sháh-Zádih, pauvre homme, donna des ordres pour qu'on réunît de nouvelles forces et qu'on mît sur pied une autre armée. L'empressement était faible de la part de la population des villes à aller servir sous un chef dont on venait de voir le mérite et l'intrépidité à l'épreuve. Toutefois, moyennant quelque argent et beaucoup de promesses, les mullás surtout, qui ne perdaient par leur cause de vue et qui étaient assurément les plus intéressés dans toutes ces affaires, s'agitant beaucoup, on finit par rassembler bon nombre de tufang-chís. Quant aux cavaliers des tribus, du moment que leurs chefs montent à cheval, ils en font autant et n'en demandent pas davantage. 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání obéit sans hésiter à l'ordre d'envoyer un nouveau contingent.
Seulement, cette fois, soit par défiance de ce que l'ineptie du prince pourrait faire courir de risques inutiles à ses parents et à ses sujets, soit par une certaine ambition de se signaler lui-même, il ne confia plus à personne la conduite de ses gens. Il se mit à leur tête, et, par un coup hardi, au lieu de rejoindre l'armée royale, il s'en alla tout droit attaquer les Bábís dans leur refuge, puis il donna avis au prince qu'il était arrivé devant le château de Shaykh Tabarsí et qu'il en faisait le siège. Du reste il annonçait qu'il n'avait aucun besoin de secours ni d'aide, que ses gens lui suffisaient et au-delà, et que seulement s'il plaisait à son Altesse Royale de se donner de sa personne le spectacle de la façon dont lui, 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjání, allait traiter les rebelles, il lui ferait honneur et plaisir." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 170-71.)

(20.2) "Mihdí-Qulí Mírzá n'aurait pu se donner, lui, pour un guerrier bien téméraire, on vient de le voir; mais il remplaçait l'intempérance de l'intrépidité par une qualité utile aussi à un général: il ne prenait pas au pied de la lettre les fanfaronnades de ses lieutenants. Craignant donc qu'il n'arrivât malheur à l'imprudent nomade, il lui envoya immédiatement des renforts. Ainsi partirent en toute hâte Muhsin Khán-i-Súrití avec ses cavaliers, une troupe d'Afgháns, Muhammad-Karím Khán-i-Ashrafí avec des tufang-chís de la ville et Khalíl Khán, de Savád-Kúh avec les hommes de Qádí-Kalá." (Ibid., p. 171.)

(20.3) 1er février 1849 ap. J-C.

(20.4) Voir glossaire.

(20.5) "Ainsi blessé, le chef Bábí n'en continua pas moins à donner des ordres et à conduire et activer les mouvements des siens jusqu'au moment où, voyant que la somme des résultats possibles était acquise, il donna le signal de la retraite en se tenant lui-même à l'arrière-garde.» (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 174.)

(20.6) Ses restes (ceux de Mullá Husayn) reposent encore dans la petite chambre intérieure du tombeau de Shaykh Tabarsí où, sous la direction de Mullá Muhammad-'Alí Bárfurúshí, ils avaient été déposés avec respect par ses camarades en deuil au début de l'an 1849 après J-C." ("A Traveller's Narrative", Note F, p. 245.)

(20.7) 10 octobre 1848 ap. J.-C.

(20.8) 2 février 1849 ap. J.-C.

(20.9) 10 octobre 1848 ap. J.-C.

(20.10) 1er décembre 1848 ap. J.-C.

(20.11) 21 décembre 1848 ap. J-C.

(20.12) "Parmi eux se trouvait Mullá Husayn, qui avait été le bénéficiaire de la gloire éclatante du Soleil de Révélation. Sans lui, Dieu n'aurait pas été établi sur le siège de sa miséricorde, n'aurait pas gravi le trône de gloire éternelle." ("Le Kitáb-i-Iqán", p. 188). Voir note 5, p. 23. Chétif de corps mais soldat intrépide et adorateur passionné de Dieu, il réunissait en lui des qualités et des caractéristiques que l'on trouve rarement associées chez une seule personne, même parmi l'aristocratie spirituelle de la Perse." (Dr.T.K. Cheyne: "la Réconciliation des races et des religions», p. 83.)
"Enfin, écrit Gobineau, il expira, et la religion nouvelle, qui reçut en lui son protomartyr, perdit du même coup un homme dont la force de caractère et l'habileté lui auraient rendu des services bien utiles, si sa vie avait pu se prolonger. Les musulmans ont naturellement une profonde horreur pour le souvenir de ce chef; les Bábís lui vouent une vénération correspondante. Ils ont raison des deux parts.
Ce qui est certain, c'est que Mullá Husayn-i-Bushrú'í a le premier donné au Bábísme, dans l'empire persan, cette situation qu'un parti religieux ou politique ne gagne dans l'esprit des peuples qu'après avoir fait acte de virilité guerrière." (Comte de Gobineau: «Les Religions et les Philosophies dans l'Asie centrale", p. 176.) "Feu Hájí Mírzá Jání écrit: "J'ai moi-même rencontré Mírzá Muhammad-Hasan, frère cadet de Mullá Husayn, lorsqu'il emmenait sa mère et sa soeur de Karbilá à Qazvín et de Qazvín à Tihrán.
Sa soeur était l'épouse de Shaykh Abú-Turáb de Qazvín, qui était un de ces philosophes et érudits comme on en rencontre peu, et croyait avec une sincérité et une pureté d'intention extrêmes, alors que son amour et sa dévotion pour le Báb étaient tels que si quelqu'un citait simplement le nom de Sa Sainteté Suprême (que toutes les âmes, en dehors de la sienne, lui soient sacrifiées) il ne pouvait retenir ses larmes.
Je l'ai souvent vu, lorsqu'il était occupé à lire les écrits de Sa Sainteté Suprême, devenir presque un autre homme, en extase, et presqu'emporté par la joie. Il parlait de sa femme en ces termes: Je l'ai épousée il y a trois ans à Karbilá. Elle n'était alors qu'une étudiante médiocre même en persan mais, à présent, elle est capable d'exposer des textes du Qur'án et d'expliquer les questions les plus difficiles et les points les plus subtils de la doctrine de l'Unité divine, de sorte que je n'ai jamais vu un homme qui l'égale dans ce domaine ou qui soit prompt à la comprendre. Ces dons lui ont été conférés par la bénédiction de Sa Sainteté Suprême et par les conversations qu'elle a eues avec sa sainteté la Pure (Qurratu'l-'Ayn).
J'ai trouvé en elle une patience et une résignation rares même chez les hommes les plus détachés car, durant ces trois années, bien que je ne lui eusse pas envoyé un seul dínár pour ses dépenses et qu'elle n'ait subsisté qu'avec la plus grande difficulté, elle n'a jamais soufflé mot; et maintenant qu'elle est venue à Tihrán, elle s'abstient de parler du passé, et quoiqu'à présent elle désire, suivant les voeux exprimés par Jináb-i-Bábu'l-Báb, se rendre au Khurásán et qu'elle n'ait littéralement rien pour se vêtir que l'unique robe bien usée qu'elle porte, elle ne demande jamais des habits ou de l'argent pour le voyage, mais cherche toujours des excuses plausibles pour me mettre à l'aise et éviter que j'éprouve de la honte. Sa pureté, sa chasteté et sa vertu sont infinies et, durant tout ce temps, aucune personne peu privilégiée n'a seulement entendu sa voix."
Mais les vertus de la fille étaient surpassées par celles de la mère, qui possédait des talents et des dons exceptionnels, et qui avait composé de nombreux poèmes et des élégies éloquentes ayant pour thème les afflictions de ses fils. Bien que Jinib-i-Bábu'l-Báb l'eût avertie de l'imminence de son martyre et lui eût prédit toutes les calamités qui l'attendaient, elle continua cependant à faire preuve de la même dévotion ardente et de la même résignation joyeuse, se réjouissant de ce que Dieu avait accepté le sacrifice de ses fils en priant même pour que ceux-ci puissent atteindre à cette grande dignité et ne pas être privés d'une si grande grâce.
On est en fait émerveillé lorsqu'on pense à cette famille sainte et vertueuse, les fils si remarquables pour leur dévotion et leur abnégation, la mère et la fille si patientes et si résignées. Lorsque moi, Mírzá Jání, je rencontrai Mírzá Muhammad-Hasan, il n'avait que dix-sept ans et, cependant, je vis en lui une dignité, une gravité, un calme et une vertu qui m'étonnèrent. Après la mort de Jináb-i-Bábu'l-Báb, Hadrat-i-Quddús lui conféra l'épée et le turban de ce glorieux martyr, et le fit capitaine des troupes du Vrai Roi.
Quant à son martyre, les avis diffèrent sur le point de savoir s'il fut tué à la table de déjeuner dans le camp, ou s'il souffrit le martyre avec Jináb-i-Quddús sur la place de Bárfurúsh." (Le "Tarikh-i-Jadíd' ' ,pp. 93-5) La soeur de Mullá Husayn fut surnommée "Varaqatu'l Firdaws", et fut l'amie intime de Táhirih lors du séjour de celle-ci à Karbilá. ("Mémoires du fidèle", p. 270.)

(20.13) Voir glossaire.

(20.14) «Cette fois la terreur fut à son comble dans la province; le peuple surexcité par les défaites successives de l'Islám commençait à pencher pour la nouvelle religion: les chefs militaires sentaient leur autorité chancelante, les chefs religieux voyaient leur échapper les consciences, la situation était tendue à l'extrême, et le moindre incident pouvait précipiter le Mázíndarán aux pieds du Réformateur." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb, p. 315.)
Mais lorsque le sa'ídu'l'ulamá' fut informé à ce sujet, il fut rempli de trouble et de consternation, craignant que les Bábís n'entrassent à Bárfurúsh et ne lui réservassent la punition qu'il méritait; il écrivit plusieurs lettres successives à 'Abbás-Qulí Khán, disant: "Je vous félicite pour votre courage et votre discrétion, mais combien il est dommage qu'après avoir eu de telles peines, perdu tant de vos cavaliers, et remporté enfin une victoire si remarquable, vous n'en ayez pas tiré parti.
Vous avez fait passer une grande multitude au fil de l'épée et êtes retourné, ne laissant derrière vous que quelques survivants décrépits et âgés. Hélas! après tous vos efforts et votre persévérance, le prince s'apprête à présent à marcher sur la forteresse et à faire prisonniers ces quelques pauvres diables, de sorte qu'après tout ce sera lui qui se gagnera le crédit de cette remarquable victoire et qui s'appropriera tout l'argent et tous les biens des vaincus! Vous devez considérer comme votre affaire primordiale et la plus importante votre retour à la forteresse avant qu'il se soit mis en route, car le gouvernement d'une province comme le Mázíndarán n'est pas quelque chose que l'on traite à la légère. Efforcez-vous donc de gagner le crédit entier de cette victoire, et que vos efforts accomplissent ce que votre ardeur a entamé."
"Il écrivit également une longue lettre au clergé d'Ámul, l'exhortant instamment à faire de son mieux pour que le sartíp 'Abbás-Qulí Khán entrât immédiatement en action. Ainsi ces membres du clergé rappelèrent-ils sans cesse à ce dernier que son devoir était de marcher à toute vitesse sur la forteresse; et le sartíp, bien qu'il sût que ce que le sa'ídu'l-'ulamá' lui avait écrit était entièrement faux et sans fondement, était désireux, au cas où celà était possible, de réparer ce qui venait de se passer et de se réhabiliter ainsi quelque peu aux yeux des femmes Láríjání dont il avait sacrifié les maris et auprès desquelles il était tombé en disgrâce, ainsi qu'à ceux du gouvernement. Mais, en son for intérieur, l'anxiété le dévorait; il craignait de manquer, comme dans la campagne précédente, d'accomplir ce qu'il voulait réaliser.
La plupart de ses hommes, eux aussi, étaient blessés, tandis que beaucoup s'étaient enfuis et cachés dans les villages environnants, qui se trouvaient à quatre ou cinq farsangs de la ville. Aussi, comme pis-aller écrivit-il ce qui suit au clergé d'Ámul: Si, en fait, cette guerre est une guerre religieuse, vous qui êtes des défenseurs si zélés de la foi, et qui êtes considérés comme exemples par le peuple, vous devriez prendre la direction des opérations et faire le premier pas, pour que les autres puissent vous suivre.
Le clergé, qui n'avait pas de réponse convenable et ne cherchait pas un moyen de s'excuser, fut obligé d'envoyer un message déclarant qu'il s'agissait là d'une guerre religieuse. Un vaste groupe composé de marchands, de gens ordinaires et de voyous fut réuni et entama, avec le clergé et les étudiants, ce qui en apparence était l'accomplissement d'un devoir religieux mais qui, en réalité, tendait vers le pillage et la rapine. La plupart de ces gens allèrent à Bárfurúsh et se joignirent à la marche du prince Mihdí-Qulí Mírzá qui, arrivé à un village situé à un farsang de la forteresse, envoya un corps de ses hommes en reconnaissance pour réunir des informations sur les mouvements de la garnison Bábíe." (Le "Tárikh-i-Jadíd", pp. 72-3.)

(20.15) Les vénérables théologiens, qui étaient venus avec leurs élèves prendre part à la guerre sainte, étaient à peine capables de s'endormir la nuit, tant leur peur était grande (quoique leurs quartiers fussent établis en un lieu situé à deux farsangs de la forteresse) et, dans leur conversation, injuriaient abondamment et sans cesse le prince et 'Abbás-Qulí Khán, et maudissaient le sa'ídu'l'ulamá'; «car, disaient-ils, ils nous ont, sans raison suffisante, privés de nos études, de nos discussions et de notre gagne-pain, tout en nous entraînant dans un terrible péril, puisque combattre avec des gens comme ceux-là, qui ont renoncé au monde et sont prêts au sacrifice, comporte un grand risque." Ainsi, le verset sacré "Ne vous jetez pas dans le péril de vous-mêmes devint leur expression quotidienne. L'un dit: "Certaines circonstances me dispensent du devoir de prendre part actuellement à cette guerre."
Un autre (avançant trente prétextes différents) dit: "Je suis légalement excusé et obligé de faire demi-tour."
Un troisième dit: «J'ai de petits enfants qui dépendent de moi; que puis-je faire? "
Un quatrième dit: «Je n'ai pas fait de provisions pour ma femme; aussi dois-je partir mais, s'il était nécessaire, je reviendrais à nouveau.»
Un cinquième dit: "Mes comptes avec certaines personnes ne sont pas encore réglés; si je tombais martyr, ma richesse serait gaspillée et une injustice serait commise envers ma femme et mes enfants; et le gaspillage, de même que l'injustice, sont condamnés comme des actes répugnants par notre religion sacrée, et déplaisants aux yeux de Dieu.»
Un sixième dit: «Je dois de l'argent à certaines personnes et n'ai personne qui puisse payer ma dette à ma place. Si je venais à tomber, ma dette ne me permettrait pas de traverser le pont de Sirát."
Un septième dit: "Je suis parti sans le dire à ma mère, et elle m'avait dit: "Si tu pars, le lait dont je t'ai nourri te sera, par ma volonté, illégitime. «Je crains par conséquent d'être rejeté comme désobéissant par ma mère."
Un huitième pleura et dit: «J'ai fait le voeu de visiter Karbilá cette année; faire une fois le tour du saint sépulcre du chef des martyrs équivaut, quant au mérite, à cent mille martyres ou à mille pèlerinages à La Mecque. Je crains de ne pouvoir accomplir mon voeu et d'être ainsi privé de cette grande bénédiction."
D'autres dirent: "Nous, pour notre part, n'avons pas vu chez ces gens, ni entendu sur leur compte, quelque chose prouvant qu'ils sont des infidèles, car eux aussi disent: «Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu, Muhammad est l'apôtre de Dieu, et 'Alí est l'ami de Dieu." Tout au plus maintiennent-ils que l'avènement de l'Imám Mihdí a eu lieu. Qu'ils le fassent! car, tout compte fait, ils ne sont pas pires que les sunnís, qui rejettent les douze Imáms et les quatorze saints immaculés, admettent une personne comme 'Umar en tant que calife, préfèrent 'Uthmán à 'Alí-ibn-i-Abí-Tálib et acceptent Abú-Bakr comme successeur de notre saint Prophète. Pourquoi nos théologiens laisseraient-ils ceux-là tranquilles et combattraient-ils ceux-ci sur des questions dont les détails n'ont pas été correctement déterminés?»
Bref, partout dans le camp s'élevaient des murmures et des complaintes; chacun avait sa propre chanson et inventait un prétexte différent; et tous n'attendaient qu'une excuse plausible pour se décider à fuir.
Aussi, lorsque 'Abbás-Qulí Khán s'aperçut des faits, fut-il obligé, de peur de voir cette terreur se propager et s'emparer de ses soldats, d'accepter les excuses de ces théologiens et de leurs disciples et adeptes; ceux-ci s'en allaient aussitôt avec grande joie, en disant des prières pour le succès du sartíp." (Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 74-6.)

(20.16) Mihdí-Qulí Mírzá fut un peu surpris. Ce n'était pas ce à quoi il s'attendait. Mais, en somme, ce qui le frappa d'avantage, c'est que le Sardár pouvait être considéré comme ayant été battu aussi bien qu'il l'avait été lui-même, et cette réflexion, accompagnée de tous les corollaires consolants pour son amour-propre, lui rendit l'affaire très agréable. Non seulement il ne craignait plus qu'un de ses lieutenants se fût paré d'une gloire enviable en prenant le château des Bábís, mais encore ce n'était plus seulement lui qui avait échoué : il avait un compagnon et un compagnon auquel il espérait bien faire porter la responsabilité des deux défaites.
Enchanté, il réunit ses chefs, grands et petits, et leur fit part de la nouvelle, en déplorant, bien entendu, le triste sort du Sardár, et en faisant des voeux ardents pour qu'une autre fois ce vaillant soldat fût plus heureux.» (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 179.)

(20.17) 1849 ap. J.-C.

(20.18) «Le prince distribua les postes que chacun aurait à garder sur le développement de cette ligne d'investissement; il chargea de l'approvisionnement des troupes Hájí Khán Núrí et Mírzá 'Abdu'lláh Navayy. Pour principaux officiers, il prit le Sardár 'Abbás-Qulí Khán-i-Láríjáni, auquel, depuis son peu de succès, il portait plus d'intérêt; puis Nasru'lláh Khán-i-Bandibi, autre chef de tribu, et Mustafá Khán, d'Ashraf, auquel il donna le commandement des braves tufang-chís de cette ville et celui des súritís. D'autres seigneurs moins considérables commandèrent les gens de Dúdánkih et de Bálá-Rastáq, ainsi qu'un certain nombre de nomades turks et kurdes, qui ne se trouvaient pas compris dans les bandes des grands chefs. Ces nomades turks et kurdes furent plus particulièrement chargés de la surveillance de l'ennemi.
On commençait, après des expériences assez multipliées, à admettre qu'il ne serait pas mal de se garder un peu mieux que par le passé. Turks et Kurdes furent donc chargés de ne pas perdre de vue, soit de jour, soit de nuit, ce qui se ferait du côté de l'ennemi, et d'avoir l'oeil au guet de manière à prévenir les surprises." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 180-81.)

(20.19) Mihdí-Qulí Mírzá, pourtant, voulut réunir aux moyens antiques quelque chose des inventions modernes, afin de ne rien négliger, et il fit venir de Tihrán deux pièces de canon et deux mortiers avec les munitions nécessaires. Il se procura en même temps le secours d'un homme de Hirát, qui avait le secret d'une substance explosive, laquelle, étant allumée, se projetait à sept cents mètres et incendiait tout. On en fit l'épreuve, et les résultats furent satisfaisants. Cette composition fut lancée dans le château, et elle y mit en flammes et bientôt en cendres toutes les habitations de bois, de roseau ou de paille que les Bábís s'étaient construites à l'intérieur, soit dans la cour, soit sur le rempart.
Tandis que cette destruction avait lieu, les bombes lancées par les mortiers et les boulets faisaient un tort considérable à une bâtisse élevée à la hâte par des gens qui n'étaient pas architectes, encore bien moins ingénieurs, et qui n'avaient pas songé qu'on pût venir les attaquer avec de l'artillerie. En peu de temps, les défenses du château furent démantelées; ce n'étaient plus que poutres écroulées sous l'action du feu, débris de bois noircis et fumants, tas de pierres bouleversées." (Ibid., pp. 181-2.)

(20.20) "Ces précautions établies, on creusa des trous et des fossés pour y placer des tufang-chís, qui reçurent l'ordre de tirer sur tous les Bábís qui se montreraient. On construisit de grandes tours, d'une élévation égale et même supérieure à celles des différents étages de la forteresse, et au moyen d'un feu plongeant continu, on rendit plus difficile encore aux ennemis de circuler sur leurs murailles ou de traverser même la cour intérieure. C'était un avantage considérable. Mais au bout de quelques jours, les chefs Bábís profitant de la longueur des nuits, exhaussèrent leurs retranchements de telle sorte que les tours d'attaque se trouvèrent dépassées." (Ibid., p. 181.)

(20.21) Le neuvième jour après Naw-Rúz.

(20.22) "Une fois, en fait, quelques-uns d'entre eux sortirent pour essayer de se procurer un peu de thé et de sucre pour Jináb-i-Quddús. Le plus éminent était Mullá Sa'íd de Zarkanád. C'était un homme de science si accompli que lorsque certains érudits, parents de Mùllá Muhammad-Taqí de Núr s'adressèrent par lettre à Jináb-i-Quddús pour se faire expliquer certaines questions concernant les sciences de la divination et de l'astrologie, celui-ci dit à Mullá Sa'íd: «Ecrivez rapidement à leur intention une réponse brève et succincte pour que leur messager ne soit pas obligé d'attendre et, par la suite, une réponse plus détaillée sera rédigée.»
Ainsi Mullá Sa'íd, quoique pressé par la présence du messager et distrait par le tumulte du siège, écrivit rapidement un exposé des plus éloquents dans lequel, tout en répondant aux questions demandées, il introduisit environ une centaine de traditions authentiques se rapportant à la vérité de la nouvelle Manifestation de la Preuve promise, et dont plusieurs prédisaient l'hésitation de ceux qui avaient cru au Seigneur au sujet de Tabarsí et de leur martyre. Les érudits de Núr furent ahuris par-delà toute mesure de son érudition, et dirent: "La bonne foi nous oblige d'admettre qu'une telle présentation de ces sujets constitue un grand miracle, et qu'une telle érudition et une telle éloquence dépassent de loin celles du Mullá Sa'íd que nous connaissions. Assurément ce talent lui a été conféré d'en haut, et il l'a révélé à son tour à notre intention."
Mullá Sa'íd et ses compagnons tombèrent, alors qu'ils se trouvaient hors de la forteresse, aux mains des troupes royales, et furent emmenés devant le prince. Celui-ci s'efforça par tous les moyens de leur tirer quelques informations au sujet de l'état de la garnison Bábíe, de son nombre, et de la quantité de leurs munitions, mais, malgré tout ce qu'il fit, il ne put rien obtenir. Aussi, lorsqu'il s'aperçut que Mullá Sa'id était homme de talent et d'entendement, il lui dit: "Repentez-vous, et je vous relâcherai et ne permettrai pas que vous soyez tué.»
Mullá Sa'íd répondit: «Jamais personne ne s'est repenti d'avoir obéi au commandement de Dieu; alors, pourquoi devrais-je le faire,? C'est plutôt vous qui devriez vous repentir, vous qui agissez contrairement à son bon plaisir, et dont les actes ont jusqu'ici été pires que ceux du plus grand des malfaiteurs. Et il dit encore beaucoup de choses semblables, de sorte qu'on l'envoya finalement à Sárí enchaîné et lié, et qu'on l'y tua dans des circonstances d'une cruauté extrême, en même temps que ses compagnons, qui semblent avoir été au nombre de cinq." (Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 79-80.)

(20.23) Voir glossaire.

(20.24) Celui-ci construisit donc quatre tours sur les quatre côtés de la forteresse, et les éleva si haut qu'elles purent dominer l'intérieur du fort avec leurs canons et faire de la garnison la cible de leurs balles. Alors le fidèle, voyant cela, commença à creuser des passages souterrains et à s'y retirer. Mais la nappe phréatique n'est pas profonde au Mázíndarán et le sol est gorgé d'humidité; de plus, il pleuvait continuellement, ce qui augmentait les dégâts; ainsi, ces pauvres martyrs demeurèrent dans la boue et l'eau jusqu'au moment où leurs vêtements furent décomposés par l'humidité...
Chaque fois que l'un de leurs camarades tombait martyr devant leurs yeux, au lieu de se lamenter, ils se réjouissaient. Une fois, par exemple, un obus tomba sur le toit d'une hutte, qui prit feu. Shaykh Sálih de Shíráz alla éteindre le feu. Une balle le frappa à la tête et lui brisa le crâne. Juste au moment où on enlevait son corps, une seconde balle emporta la main de Aqá Mírzá Muhammad-'Ali le fils de Siyyid Ahmad qui était le père de Aqá Siyyid Husayn le bien-aimé". Ainsi Aqá Siyyid Husayn, "le bien-aimé", un enfant âgé de dix ans, fut également tué sous les yeux de son père, et tomba en roulant dans la boue et dans le sang, les membres tremblants comme ceux d'un oiseau à moitié tué." (Le "Táríkh-i-Jadid", pp. 81-3.)

(20.25) "Il y avait quatre mois que cela durait; aussi le Sháh commença-t-il à s'impatienter: les succès Bábís enflammèrent sa colère qu'il exhala en ces termes, suivant l'historien persan: "Nous pensions que notre armée entrerait sans hésiter dans l'eau ou dans le feu, que sans peur elle lutterait contre un lion et une baleine. Nous l'avons envoyée combattre une poignée d'hommes faibles et sans force et elle ne fait rien! Les grands du Mázíndarán pensent-ils que ces retards nous agréent? Laissent-ils grandir l'incendie pour grandir leurs succès? Eh bien qu'ils le sachent, je ferai comme si Alláh n'avait pas créé le Mázíndarán et j'en exterminerai les habitants jusqu'au dernier!" (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 322.)

(20.26) Le siège durait depuis quatre mois et on ne faisait pas de progrès sensibles. Les fortifications primitives avaient été renversées; mais, avec une énergie qui ne se démentait pas, les Bábís les avaient remplacées par d'autres et, jour et nuit, les réparaient et les augmentaient. On ne pouvait prévoir l'issue de cette affaire, d'autant que, comme je le raconterai tout à l'heure, le Mázíndarán n'était plus la seule partie de la Perse où les partisans de la religion nouvelle donnassent de si terribles preuves de leur foi, de leur zèle et de leur intrépidité.
Le roi et le premier ministre, inquiets d'une telle situation, firent éclater leur colère contre les chefs envoyés par eux. On ne se borna pas à leur reprocher leur incapacité dans les termes les plus amers, on les menaça, eux et tous les peuples de la province, de les traiter comme des Bábís si l'affaire n'était terminée au plus vite. Là-dessus le commandement fut ôté à Mihdí-Qulí Mírzá et donné à l'Afshár Sulaymán Khán, homme d'une fermeté connue et d'une grande influence, non seulement sur sa propre tribu, une des plus nobles de la Perse, mais encore sur tous les gens de guerre, qui le connaissaient et le tenaient en grande estime. Il emporta les instructions les plus rigoureuses.» (Comte de Gobineau: «Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 183-4.)
«Ceux qui restaient fermes avaient achevé de manger, non seulement leurs dernières provisions, mais le peu d'herbes qu'ils avaient pu recueillir dans leur enceinte et l'écorce entière des arbres. Il leur restait le cuir de leurs ceinturons et les fourreaux de sabre. Ils recouraient aussi à l'expédient indiqué jadis par l'ambassadeur d'Espagne aux ligueurs assiégés dans Paris: ils broyaient des ossements de morts et en faisaient une sorte de farine. Enfin, poussés à bout, ils se déterminèrent à une sorte de profanation. Le cheval de Mullá Husayn était mort des blessures qu'il avait reçues dans cette nuit sanglante où son maître avait succombé.
Les Bábís l'avaient enterré par respect pour la mémoire de leur saint, et quelques rayons de sa gloire, quelque chose de la vénération profonde qu'il inspirait, flottaient sur la tombe du pauvre animal. Un conseil de guerre se réunit et, en déplorant la nécessité de discuter de semblables sujets, on mit en délibération de savoir si l'excès de la détresse pouvait autoriser les fidèles à déterrer le coursier sacré et à s'en faire un aliment. Avec une douleur vive on décréta que l'action serait excusable. On reprit donc à la terre ce qu'on lui avait donné, on se partagea les lambeaux du cheval, et, les ayant fait cuire avec de la farine d'ossements, on les mangea, puis on reprit les fusils." (Ibid., pp. 186-7.)

(20.27) 'Abdu'l-Bahá fait allusion, dans les "Mémoires des Fidèles" (pp. 16-17), aux épreuves et aux souffrances endurées par les héroïques défenseurs du fort de Shaykh Tabarsí. Il exalte avec emphase la constance, le zèle et le courage des assiégés, en mentionnant particulièrement Mullá Sádiq-i-Muqaddas. "Ils restèrent sans nourriture durant dix-huit jours, dit-il. Ils mangeaient le cuir de leurs souliers. Ceux-ci aussi furent épuisés, et il ne leur resta plus que de l'eau. Ils en buvaient une gorgée chaque matin, et gisaient, affamés et épuisés, dans leur fort. Lorsqu'ils étaient attaqués, cependant, ils se dressaient aussitôt sur leurs pieds et faisaient preuve, devant l'ennemi, d'un courage magnifique et d'une résistance étonnante... Dans de pareilles circonstances, conserver une foi et une patience inébranlables est chose extrêmement difficile, et endurer des calamités si terribles, un phénomène rare.

(20.28) 24 avril - 23 mai 1849 ap. J.-C.

(20.29) Voir glossaire.

(20.30) Référence à Dieu, le mot Rahmán signifiant «miséricordieux».

(20.31) 9 mai 1849 ap. J-C.

(20.32) "Ce courage sombre et désespéré, cette ardeur invincible, cet enthousiasme irréductible donnaient fort à penser aux chefs de l'armée impériale. Désespérant d'arriver à forcer des retranchements d'où ils avaient été si souvent repoussés, ils songèrent à la ruse. Le prince y était naturellement porté, et Sulaymán Khán-i-Afshár envoyé en dernier lieu par le Sháh pour contrôler les opérations militaires y poussait de toutes ses forces, songeant que de plus longs délais compromettaient sa fortune et sa vie." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 325.)

(20.33) Qur'án, 7: 88.

(20.34) Voir glossaire.

(20.35) On rasa toutes les constructions élevées par les Bábís, on nivela le sol afin de ne laisser aucun vestige de l'héroïque défense de ceux qui étaient morts pour leur foi, s'imaginant ainsi qu'on bâillonnerait l'histoire." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Báb", p. 327.)

(20.36) "On les fit aligner sur un rang et l'on s'amusa à leur fendre le ventre: opération d'autant plus réjouissante que, des intestins fendus, sortait de l'herbe, non encore digérée, témoignage éclatant des souffrances qu'ils avaient éprouvées, mais aussi de la foi qui les avait soutenus. Quelques-uns, bien rares, parvinrent à s'enfuir dans la forêt." (Ibid.)

(20.37) Hájí 'Abdu'l-Majíd-i-Níshábúrí, qui tomba finalement martyr au Khurásán.

(20.38) "Ce fut alors, dit Mírzá Jání, que l'Islám donna au monde un honteux spectacle. Les vainqueurs, si l'on peut leur donner ce titre, voulurent s'offrir les ivresses du triomphe. On couvrit de chaînes Quddús, Mírzá Muhammad-Hasan Khán, frère du Bábu'l-Báb, Akhúnd Mullá Muhammad-Sádiq-i-Khurásání, Mírzá Muhammad Sádiq-i-Khurásání, Hájí Mírzá Hasan-i-Khurásání, Shaykh Ni'matu'lláh-i-Amulí, Hájí Násír-i-Qazvíní, Mullá Yúsuf-i-Ardibílí, Áqá Siyyid'Abdu'l-'Azím-i-Khu'í et quelques autres.
On les plaça au milieu du cortège qui se mit en marche au son des tambours et de la musique: et on les frappait chaque fois que l'on passait dans un endroit habité." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 327-8.) "Là ne se bornèrent pas les scènes de sauvagerie. Si quelques-uns échappèrent à la mort, ayant été vendus comme esclaves, d'autres furent martyrisés. Ceux qui trouvèrent des acquéreurs bienveillants furent Ákhúnd Mullá Muhammad-Sádiq-i-Khurásání, Mullá Muhammad-i-Mahvalátíy-i-Dúgh-Abádí, Aqásiyyid 'Azím-i-Khu'í, Hájí Násír-i-Qazviní, Hájí 'Abdu'l-Majíd-i-Nishábúrí, Mírzá Husayni-Mutavallíy-i-Qumí.
Quatre Bábís souffrirent le martyre à Bárfurúsh. Deux furent envoyés à Ámul: parmi ces derniers, Mullá Ni'matu'lláh-i-Ámulí, l'autre Mírzá Muhammad-Báqir-i-Khurásáníy-i-Qá'iní, cousin de notre auteur Bábi. Qá'ini demeurait auparavant à Mashhad, dans l'avenue nommée Khíyábán-Bálá, et sa maison, qu'on avait surnommée Bábíyyih, était le lieu de rendez-vous des secrétaires en même temps que la demeure des religionnaires en voyage. C'est là que demeurèrent Quddús et le Bábu'l-Báb dans leur voyage au Khurásán. Outre sa science religieuse, Qá'iní était fort adroit de ses mains et c'est à lui qu'étaient dues les fortifications de Shaykh Tabarsí." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid'Ali-Muhammad dit le Báb", p. 329.)

(20.39) "Quant au reste, il fit étendre par terre, les uns à côté des autres, tous les captifs, et, un à un, on leur ouvrit le ventre. On remarqua qu'il y eut plusieurs de ces malheureux dont les entrailles étaient remplies d'herbe crue. Cette exécution achevée, on trouva qu'il restait encore quelque chose à faire et on assassina les transfuges auxquels on avait pardonné. Il y avait aussi des enfants et des femmes; on les égorgea de même. Ce fut une journée complète. On tua beaucoup et on ne risqua rien." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 189.)
«À l'arrivée à Àmul, Mullá Ni'matu'lláh fut torturé avec une implacable férocité. Peut-être ce spectacle porta-t-il la fureur de Qá'iní à son comble. Toujours est-il que, quand le bourreau s'approcha de lui, Qá'iní brisa les liens qui l'enveloppaient, sauta sur l'exécuteur, lui arracha son sabre et l'en frappa avec tant de violence que sa tête alla rouler à quinze pas. La foule se précipita sur lui, mais, terrible, il abattit à ses pieds tous ceux qui s'approchaient à portée de son arme. On fut obligé de le tuer de loin à coups de fusil. Après sa mort, on trouva dans sa poche un morceau de viande de cheval rôtie, souvenir des misères qu'il avait endurées pour sa foi.» (Ibid., pp.329-30.)

(20.40) Le monde entier s'émerveillait en voyant comment ils se sacrifiaient esprit est confondu lorsqu'il considère leurs actes, et l'âme s'émerveille de leur courage et de leur endurance physique... Ces saints flambeaux endurèrent avec héroïsme, durant dix-huit ans, les torrents d'afflictions qui pleuvaient de tous côtés sur eux. Avec quel amour, quelle dévotion, quelle exultation et quelle sainte extase sacrifièrent-ils leur vie dans le sentier du Très-Glorieux! Tous témoignent de la vérité de cela.
Et pourtant, comment peut-on minimiser cette révélation? Y a-t-il un âge qui ait vu d'aussi importants événements? Si ces compagnons ne sont pas des gens qui aspirent à Dieu, qui donc pourrait porter ce nom? Ces compagnons ont-ils cherché le pouvoir ou la gloire? Ont-ils jamais désiré la richesse? Ont-ils chéri d'autre désir que le bon plaisir de Dieu? Si ces compagnons, avec tous leurs merveilleux témoignages et leurs prodigieux travaux, ne sont pas véridiques, qui donc est digne de prétendre à la vérité? Par Dieu! Leurs actes mêmes sont un témoignage suffisant et une preuve irréfutable pour tous les peuples de la terre s'ils méditaient en leurs coeurs les mystères de la révélation divine. Et ceux qui agissent avec iniquité sauront bientôt quel sort les attend!" (Le "Kitáb-i-Iqán", pp. 189-91.)

(20.41) 1847-8 ap. J-C.

(20.42) 11 mai 1849 ap. J-C.

(20.43) «Les Bábís remarquent avec intérêt que quelque temps après, Sa'ídu'l-'Ulamá' fut pris d'une maladie étrange. Malgré les fourrures dont il s'enveloppait, malgré le feu qui brûlait continuellement dans sa chambre, il grelottait de froid, et cependant le feu intérieur qui le dévorait était si intense, que rien ne pouvait calmer sa soif inextinguible. Il mourut, et sa maison qui était fort belle resta abandonnée. Elle tomba en ruines et, petit à petit, on prit l'habitude d'aller jeter les ordures sur l'emplacement où elle s'élevait autrefois. Ces faits se sont gravés si profondément dans la mémoire des Mázíndaránís que, quand ils s'insultent entre eux, ils finissent toujours par se dire: Que ta maison rencontre le même sort que celle de Sa'ídu'l-'Ulamá'." (A.L.M. Nicolas: «Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 330.)

(20.44) "En tous cas, il semble qu'après le martyre de Jináb-i-Quddús, un théologien pieux, Hájí Muharnmad-'Alíy-i-Hamzíh, dont l'habileté dans l'exégèse et les dons spirituels étaient admis de tous, envoya en secret plusieurs personnes pour enterrer les restes mutilés dans le collège en ruine dont il a déjà été question. Et, loin d'approuver la conduite du sa'ídu'l-'ulamá', il le maudissait et l'avilissait, et ne prononça jamais une peine de mort contre aucun Bábí mais, au contraire, obtenait pour ceux qui avaient été tués par le sa'idu'l-'ulamá', un enterrement décent.
Et lorsqu'on l'interrogeait sur la garnison de la forteresse, il répondait: Je ne les condamne pas et ne dis pas de mal d'eux. «Pour cette raison, la moitié de la ville de Bárfurúsh resta neutre car, au début, il interdisait aux hommes de calomnier ou de molester les bábís, bien que par la suite, lorsque le trouble prit des dimensions énormes, il crut prudent de garder le silence et de se cloîtrer dans sa maison. Or, sa vie austère, sa piété, son érudition et sa vertu étaient aussi bien connues du peuple de Mázíndarán que l'irréligion, l'immoralité et le caractère mondain du sa'ídu'l-'ulamá'. ("Le Tárikh-i-Jadíd", p. 92.)

(20.45) «Celui qui le connut et qui fit le pèlerinage avec lui [Quddús] est celui-là même sur lequel huit unités ont passé et Dieu l'honora auprès de ses anges au plus haut des cieux à cause de la façon dont il s'était séparé de tous, et son acte d'être sans reproche dans le contentement de Dieu." (Le Bayán Persan", vol. Il, p. 164.) «Ce qui est encore plus merveilleux que les événements décrits ci-dessus, c'est le récit de ces derniers donné par 'Abbás-Qulí Khán, avec de nombreuses marques d'admiration, au prince Ahmad Mírzá. Feu Hájí Mírzá Jání écrit: "Environ deux ans après le désastre de Shaykh Tabarsí, j'ai entendu une personne qui, bien que n'étant pas croyante, était honnête, véridique et digne de foi, relater ce qui suit: «Nous étions assis ensemble lorsqu'on fit quelque allusion à la guerre menée par quelques-unes des personnes présentes contre Hadrat-i-Quddús et Jináb-i-Bábu'l-Báb. Le prince Ahmad Mírzá et 'Abbás-Quli Khán se trouvaient dans le groupe.
Le prince interrogea 'Abbás-Qulí Khán sur cette affaire et celui-ci répondit ainsi: "La vérité est que celui qui n'avait pas vu Karbilá, s'il avait vu Tabarsí, aurait non seulement compris ce qui eut lieu, mais aurait cessé de le considérer; et si cette personne avait vu Mullá Husayn de Bushrúyih, elle aurait été convaincue que le Roi des Martyrs était revenu sur la terre; et si elle avait vu mes actes, elle aurait dit assurément: "C'est Shimr qui revient avec son épée et sa lance.»
Je jure par la plume sacrée de Sa Majesté le Centre de l'univers qu'un jour Mullá Husayn, portant sur la tête un turban vert, et sur l'épaule un linceul, sortit du fort, s'arrêta en plein champ et, s appuyant sur une lance qu'il tenait à la main, dit: "Ô gens, pourquoi, sans vous être informés, et sous l'influence de la passion de faux rapports pleins de préjugés, agissez-vous avec tant de cruauté envers nous, et vous efforcez-vous de répandre sans motif le sang des innocents? Ayez honte devant le Créateur de l'univers, et laissez-nous au moins un passage pour que nous puissions quitter cette terre. Voyant que les soldats étaient émus, j'ouvris le feu et donnai l'ordre aux troupes de crier de manière que sa voix fût étouffée. Je le vis à nouveau se pencher sur sa lance et l'entendis crier: Y a-t-il quelqu'un qui soit prêt à m'aider?" trois fois de suite, de sorte que tous entendirent son cri.
A ce moment, tous les soldats se turent, quelques-uns se mirent à pleurer, et de nombreux cavaliers étaient visiblement affectés. Craignant que l'armée ne fût séduite et refusât obéissance, je lui donnai à nouveau l'ordre de faire feu et de crier. Je vis alors Mullá Husayn dégainer son épée, lever son visage vers le ciel, et l'entendis s'exclamer: "Ô Dieu, j'ai rendu la preuve complète pour cette armée, mais elle n'en a pas tenu compte."
Il commença alors à nous attaquer à droite et à gauche. Je jure par Dieu que ce jour-là il mania l'épée d'une façon qui transcende le pouvoir de l'homme. Seuls les cavaliers du Mázíndarán purent rester sur place et refusèrent de fuir. Et lorsque Mullá Husayn se fut habitué à l'ambiance de la bataille, il rattrapa un soldat en fuite. Le soldat s'abrita derrière un arbre et s'efforça ensuite de se protéger derrière son mousquet. Mullá Husayn lui asséna un tel coup de son épée qu'il le coupa, ainsi que l'arbre et le mousquet, en six morceaux.
Et, durant toute cette guerre, pas une seule fois il ne frappa en vain; tous les coups qu'il donnait frappaient juste. Et par la nature de leurs blessures ,je pus reconnaître tous ceux que Mullá Husayn avait frappés de son épée, et comme j'avais entendu, et savais que personne d'autre que le chef des croyants ne pouvait manier correctement l'épée, et qu'il était presque impossible qu'une épée frappât aussi juste, j'interdis à tous ceux qui étaient conscients de cela de le mentionner ou de le faire connaître, de peur que les troupes n'en fussent découragées et ne se sentissent plus faibles lors des batailles.
Mais, en réalité, je ne sais pas ce qu'on avait montré à ces gens-là, ou ce qu'ils avaient vu, pour qu'ils vinssent à la bataille avec tant d'ardeur et de joie et qu'ils s'engageassent avec tant d'empressement dans la lutte, sans que leurs visages trahissent la moindre trace de peur ou d'appréhension.
On aurait pensé qu'à leurs yeux l'épée aiguisée et le poignard meurtrier n'étaient que des moyens qui leur permissent de parvenir à la vie éternelle, tant leurs cous et leurs poitrines les accueillaient avec empressement alors qu'ils circulaient telles des salamandres sous la pluie de balles qui faisait rage. Et ce qui était étonnant, c'est que tous ces gens étaient des érudits et des hommes de savoir, des reclus sédentaires venant des collèges et des cloîtres, nourris avec délicatesse et de constitution fragile, habitués en fait à l'austérité, mais étrangers au rugissement du canon, au bruit des fusils et au champ de bataille.
En outre, durant les trois derniers mois du siège, ils furent complètement privés de pain et d'eau, et amenés à une faiblesse extrême par le manque de la plus infime quantité de nourriture, nécessaire à la vie. Malgré cela, il semblait qu'au moment de la bataille un nouvel esprit leur était insufflé, au point que l'imagination de l'homme ne peut concevoir l'intensité de leur courage et de leur hardiesse. Ils exposaient leurs corps aux balles des fusils et aux boulets de canon non seulement avec intrépidité et courage, mais encore avec empressement et joie, comme si le champ de bataille était pour eux un banquet et qu'ils avaient un penchant pour le sacrifice de leurs vies." (Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 106-9.)

(20.46) 1844 ap. J-C.

(20.47) Novembre-décembre 1888 ap. J-C.

(20.48) Littéralement: "Le Dernier Nom de Dieu".

(20.49) 16 mai 1849 ap. J-C.

(20.50) Qur'án, 3: 93.

(20.51) Littéralement: "Le Point Ultime".

(20.52) Voir note 45.

(20.53) Voir note 12.

(20.54) 27 novembre 1848 ap. J-C.

(20.55) Qur'án, 2: 94.

(20.56) Voir glossaire.


<P405>

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CHAPITRE XXI : les sept martyrs de Tihran

La nouvelle du sort tragique des héros de Tabarsí suscita dans le coeur du Báb une immense tristesse. Incarcéré dans sa prison-forteresse de Chihriq, séparé du petit groupe de ses disciples combattants, il observait avec une profonde anxiété le progrès de leurs travaux et priait avec un zèle constant pour leur victoire. Comme son affliction fut grande lorsqu'aux premiers jours de sha'bán de l'an 1265 après l'hégire, (21.1) il apprit les épreuves qu'ils avaient rencontré sur leur route, l'agonie qu'ils avaient eu à subir, la trahison à laquelle un ennemi exaspéré s'était senti forcé de recourir, et l'abominable massacre qui avait mis fin à leur vie.
"Le Báb eut le coeur brisé lorsqu'il reçut cette dépêche inattendue", racontera par la suite son secrétaire, Siyyid Husayn-i-'Azíz. "Il était écrasé par le chagrin, un chagrin qui fit taire sa voix et sa plume. Durant neuf jours, il refusa de rencontrer ses amis. Même moi qui étais son assistant intime de toujours, je n'étais pas autorisé à aller le voir. Il refusa de toucher à quelque nourriture ou quelque boisson que nous lui offrions. Des larmes coulaient sans cesse de ses yeux et on ne l'entendait prononcer que des paroles d'angoisse. Je pouvais l'entendre de derrière les rideaux donner libre cours à ses sentiments de tristesse alors qu'il communiait avec son Bien-Aimé dans l'intimité de sa cellule. J'essayais de noter les effusions de son chagrin au fur et à mesure qu'elles débordaient de son coeur blessé. Soupçonnant mon intention de garder pour la postérité les lamentations qu'il exprimait, il me pria de détruire tout ce que j'avais relaté. Rien ne demeure des pleurs et des plaintes par lesquels ce coeur accablé cherchait à se libérer de la souffrance extrême qui l'avait envahi. Durant une période de cinq mois, il languit, plongé dans un océan de tristesse et d'abattement.
Avec l'avènement du mois de muharram de l'an 1266 après l'hégire, (21.2) le Báb reprit le travail qu'il avait été obligé d'interrompre. La première page qu'il écrivit fut consacrée à la mémoire de Mullá Husayn. Dans la Tablette de Visitation révélée en son honneur, il exalta en termes émouvants la fidélité inébranlable avec laquelle Mullá Husayn servit Quddús tout au long du siège du fort de Tabarsí.

<P406>

Il lui prodigua ses éloges pour sa conduite magnanime, raconta ses exploits et affirma sa réunion certaine dans l'au-delà avec le chef qu'il avait si noblement servi. Le Báb écrivit qu'il rejoindrait bientôt ces deux immortels dont chacun avait, par sa vie et sa mort, conféré un éclat impérissable à la foi de Dieu. Durant une semaine entière, le Báb continua d'écrire ses louanges concernant Quddús et Mullá Husayn, ainsi que ses autres compagnons qui avaient gagné la couronne du martyre à Tabarsí.
A peine avait-il terminé ses éloges concernant ceux qui avaient immortalisé leurs noms lors de la défense du fort, qu'il appela, au jour d' 'Áshúrá, (21.3) Mullá Ádí-Guzal, (21.4) l'un des croyants de Marághih qui, durant les deux derniers mois, avait rempli les fonctions d'assistant en remplacement de Siyyid Hasan, le frère de Siyyid Husayn-i-'Azíz. Il le reçut affectueusement, lui conféra le nom de Sayyáh, lui confia les Tablettes de Visitation qu'il avait révélées à la mémoire des martyrs de Tabarsí, et le pria d'accomplir de sa part un pèlerinage en ce lieu. "Lève-toi, l'exhorta-t-il, et, d'un détachement absolu, rends-toi en qualité de voyageur au Mázindarán pour y visiter, de ma part, le lieu où reposent les corps de ces immortels qui ont, de leur sang, scellé leur foi en ma cause. En t'approchant de l'enceinte de ce sol sacré, enlève tes souliers et, tête baissée en signe de respect à leur mémoire, invoque leurs noms et fais pieusement le tour de leur tombeau. Rapporte-moi, en souvenir de ta visite, une poignée de cette terre sacrée qui recouvre les restes de mes bien-aimés, Quddús et Mullá Husayn. Efforce-toi d'être de retour avant le jour de Naw-Rúz, afin que tu puisses célébrer avec moi cette fête, la seule probablement, qu'il me sera donné de voir encore." Fidèle aux instructions qu'il avait reçues, Sayyih se mit en route pour son pèlerinage au Mizindarin. Il parvint à destination le premier jour de rabí'u'l-avval de l'an 1266 après l'hégire (21.5) et, le neuf c. de ce même mois, (21.6) le premier anniversaire du martyre de Mullá n Husayn, il avait déjà accompli sa visite et s'était acquitté de la mission que lui avait confiée le Báb. De là, il se rendit à Tihrán.
J'ai entendu Aqiy-i-Kalím, qui reçut Sayyáh à l'entrée de la maison de Bahá'u'lláh à Tihrán, raconter ce qui suit: "C'est au coeur de l'hiver que Sayyáh, de retour de son pèlerinage, vint rendre visite à Bahá'u'lláh. En dépit du froid et de la neige d'un hiver rigoureux, il apparut habillé du vêtement d'un pauvre dervish, pieds nus et échevelé.

<P407>

Son coeur était embrasé par la flamme que ce pèlerinage avait allumée en lui. Dès que Siyyid Yahyáy-i-Dárábí, surnommé Vahíd, qui se trouvait alors comme invité chez Bahá'u'lláh, apprit le retour de Sayyáh du fort de Tabarsí, il se hâta d'aller se jeter aux pieds du pèlerin, oubliant la pompe et l'apparat auxquels était habitué un homme de son rang. Prenant dans ses bras les jambes couver-tes de boue jusqu'aux genoux, il les baisa avec dévotion. Je fus surpris, ce jour-là, de voir les multiples preuves d'affectueuse sollicitude que Bahá'u'lláh manifesta envers Vahíd. Il lui prodigua des faveurs que je ne l'avais jamais vu accorder à qui que ce fût. Le ton de sa conversation ne laissa pour moi aucun doute sur le fait que ce même Vahíd devait bientôt se distinguer par des actes non moins remarquables que ceux qui avaient immortalisé les défenseurs du fort de Tabarsí"
Sayyáh passa quelques jours dans cette maison. Il fut cependant incapable de percevoir, comme l'avait fait Vahíd, la nature de ce pouvoir qui gisait latent en son hôte. Bien qu'il fût lui même l'objet de la faveur extrême de Bahá'u'lláh, il ne saisit pas pour autant la signification des bénédictions que celui-ci lui conférait. Je l'ai entendu relater les expériences qu'il avait vécues et ce, durant son séjour à Famagouste: "Bahá'u'lláh me combla de ses bontés. Quant à Vahíd, malgré l'éminence de son rang, il me donnait invariablement la préséance chaque fois que nous étions en présence de son hôte. Le jour de mon arrivée du Mázindarán, il alla jusqu'à me baiser les pieds. Bien que plongé dans un océan de bonté, je ne pus, en ces jours, apprécier le rang qu'occupait alors Bahá'u'lláh ni soupçonner, même faiblement, la nature de la mission qu'il était destiné à accomplir."
Avant le départ de Sayyáh de Tihrán, Bahá'u'lláh lui confia une épître dont il avait dicté le texte à Mirzá Yahyá, (21.7) et l'envoya en son nom. Peu après, nous parvint une réponse écrite de la main même du Báb et dans laquelle celui-ci Confiait Mírzá Yabyi aux soins de Bahá'u'lláh, le priant d'accorder une attention particulière à son éducation et à son instruction. Cette communication fut l'objet d'un mal entendu pour le peuple du Bayan, (21.8) qui vit en elle une preuve des revendications exagérées (21.9) qu'il avait avancées en faveur de son chef. Bien que le texte de cette réponse soit absolument dépourvu de telles prétentions et ne contienne, à part la louange qu'elle prodigue à Bahá'u'lláh et la demande qu'elle formule pour l'éducation de Mírzá Yahyá, aucune allusion à sa prétendue position, les disciples de celui-ci ont cependant imaginé que cette lettre constitue une affirmation de l'autorité dont ils ont eux-mêmes investi Mírzá Yahyá. (21.10)

<P408>

À ce stade de ma narration, après avoir déjà relaté les événements saillants qui eurent lieu au cours de l'année 1265 après l'hégire, (21.11) je me rappelle que cette même année vit l'événement le plus significatif de ma propre vie, un événement qui marqua ma renaissance spirituelle, ma délivrance des entraves du passé et mon acceptation du message de cette révélation. Je prie le lecteur d'être indulgent si je m'étends trop longuement sur les circonstances de ma vie d'autrefois et si je raconte trop en détail les événements qui conduisirent à ma conversion. Mon père appartenait à la tribu de Táhirí, qui menait une vie de nomade dans la province de Khurásán. Il s'appelait Ghulám 'Alí et était le fils de Husayn-i-'Arab. Il avait épousé la fille de Kalb-'Alí et, par elle, avait eu trois fils et trois filles. Je fus son second fils et reçus le nom de Yár-Muhammad. Je naquis le 18 safar de l'an 1247 après l'hégire (21.12) dans le village de Zarand. J'étais un berger de profession et reçus, dans mon jeune âge, une éducation des plus rudimentaires. Je désirais ardemment consacrer plus de temps à mes études, mais ne pus y parvenir à cause des exigences de ma situation. Je lisais le Qur'án avec un vif intérêt, en apprenais par coeur certains passages et les psalmodiais tout en surveillant mon troupeau à travers champs. J'aimais la solitude, et la nuit observais les étoiles avec joie et émerveillement. Dans la paix de la solitude, je récitais certaines prières attribuées à l'Imim-'Alí, le Commandeur des croyants et, tournant mon visage vers le Qiblih, (21.13) je suppliais le Tout-Puissant de guider mes pas et de me permettre de trouver la Vérité.
Mon père m'emmenait souvent avec lui à Qum où je prenais connaissance des enseignements de l'islám et des coutumes et des manières de ses chefs. C'était un fervent disciple de cette foi, et il était en rapport étroit avec les chefs ecclésiastiques qui se rassemblaient dans cette ville. Je l'observais lorsqu'il priait au Masjid-i-Imám-Hasan et accomplissait avec un soin des plus scrupuleux et une extrême piété, tous les rites et les cérémonies prescrits par sa foi. J'entendais les sermons de plusieurs mujtahids éminents qui venaient de Najaf, assistais à leurs cours et écoutais leurs discussions. Petit à petit, j'en vins à percevoir leur manque de sincérité et à ressentir du dégoût pour la bassesse de leur caractère. Avide comme je l'étais d'établir la véracité des croyances et des dogmes qu'ils s'efforçaient de m'imposer, je ne pus ni trouver le temps ni obtenir les facilités propres à satisfaire mon désir. Je fus souvent réprimandé par mon père à cause de ma témérité et de ma turbulence. "Je crains, remarquait-il souvent, que ton aversion pour ces mujtahids ne t'entraîne un jour dans de grandes difficultés et ne te procure reproches et opprobre."

<P409>

Je me trouvais dans le village de Rubát-Karím, en visite chez mon oncle maternel, lorsqu'au douzième jour après Naw-Rúz de l'an 1263, après l'hégire, (21.14) je surpris accidentellement, dans le masjid de ce village, une conversation entre deux hommes qui me fit connaître, pour la première fois, la révélation du Báb. "Avez-vous entendu, fit remarquer l'un deux, que le Siyyid-i-Báb a été conduit au village de Kinár-Gird et qu'il est en route pour Tihrán?" Constatant que son ami ignorait cet épisode, l'homme se mit à lui raconter toute l'histoire du Báb, donna un compte-rendu détaillé des circonstances relatives à sa déclaration, à son arrestation à Shiraz, à son départ pour Isíihin, à la réception que lui avaient réservée l'Imám-jum'ih et Manúchihr Khán, à la manifestation de ses merveilles et de ses prodiges et, enfin, au verdict prononcé contre lui par les 'ulamis d'Isfáhán. Chaque détail de cette histoire suscita ma curiosité et provoqua en moi une profonde admiration pour un homme qui pouvait charmer de telle façon ses compatriotes. Sa lumière semblait avoir inondé mon âme; je me sentais comme déjà converti à sa cause.
De Rubát-Karím, je retournai à Zarand. Mon père remarqua mon trouble et exprima sa surprise devant mon comportement. J'avais perdu l'appétit et le sommeil, et j'étais décidé à cacher à mon père le secret de mon agitation intérieure, de peur que cette découverte ne vînt entraver la réalisation finale de mes espoirs. Je restai dans cet état jusqu'à ce qu'un certain Siyyid Husayn-i-Zavári'í arrivât à Zarand et pût m'éclairer sur un sujet qui était devenu la passion dominante de ma vie. Notre connaissance se transforma bientôt en une amitié qui m encouragea à lui faire part des ardents désirs de mon coeur. A ma grande surprise, je m'aperçus qu'il était déjà captivé par le secret du thème que j'avais commencé à lui dévoiler. "Un de mes cousins", commença-t-il à me raconter, "qui s'appelait Siyyid Ismi'fl-i-Zaviri'í, m'a convaincu de la vérité du message proclamé par le Siyyid-i-Báb. Il m'a dit qu'il avait à plusieurs reprises rencontré le Báb chez l'imimjum'ih d'Isfáhán et qu'il l'avait vu effectivement révéler en présence de son hôte, un commentaire sur la súrih de Va'l-'Asr. (21.15)La rapidité de composition du Báb, et la force et l'originalité de son style, avaient suscité sa surprise et son admiration. Il était étonné de constater que, lors de la révélation de son commentaire, le Báb avait pu, sans ralentir la vitesse de son écriture, répondre à toutes les questions que ceux qui étaient présents lui avaient posées. L'intrépidité avec laquelle mon cousin se leva pour prêcher le message souleva l'hostilité des kad-Khudás (21.16) et des siyyids de Zavárih, qui l'obligèrent à retourner à Isfáhán, où il avait résidé récemment.

<P410>

Moi aussi, ne pouvant rester à Zavirih, je partis pour Káshán, ville où je passai l'hiver et rencontrai Hájí Mírzá Jání, personne dont mon cousin avait parlé et qui me donna un traité écrit par le Báb et intitulé "Risáliy-i-'Adlíyyih", me priant de le lire soigneusement et de le lui rapporter après quelques jours. Je fus si charmé par le thème et le langage de ce traité que je commençai aussitôt à en transcrire le texte en entier. Lorsque je le rendis à son propriétaire, celui-ci m'informa, à mon profond regret, que je venais de manquer l'occasion de rencontrer son auteur. "Le Siyyid-i-Báb en personne, me dit-il, est arrivé la veille de Naw-Rúz et a passé trois nuits chez moi en qualité d'invité. Il est à présent en route pour Tihrán et, si vous partez immédiatement, vous le rejoindrez certainement." Je me levai aussitôt et partis pour faire à pied tout le chemin de Káshán à une forteresse se trouvant dans le voisinage de Kinár-Gird. Je me reposais à l'ombre de ses murs lorsqu'un homme d'aspect engageant sortit de cette forteresse et me demanda mon identité et ma destination. "Je suis un pauvre siyyid, répondis-je, un voyageur et un étranger en ces lieux." Il m'emmena chez lui et m'invita à y passer la nuit. Au cours de notre conversation, il me dit: "Je vous soupçonne d'être un adepte du siyyid qui est resté quelques jours dans cette forteresse, d'où il a été transféré au village de Kulayn et qui, il y a trois jours, est parti pour l'Ádhirbáyján. Je me considère comme l'un de ses disciples. Je m'appelle Hájí Zaynu'l-'Ábidin. Je n'avais pas l'intention de me séparer de lui, mais il m'a demandé de rester ici, de transmettre à tous ses amis que je rencontrerais ses affectueuses salutations, et de les dissuader de le suivre. Dites-leur, m'a-t-il ordonné, de consacrer leur g vie au service de ma cause, afin que les barrières qui entravent les progrès de cette foi puissent être éliminées et que mes disciples puissent, en sûreté et en toute liberté, adorer leur Dieu et observer les préceptes de leur foi." J'abandonnai aussitôt mon projet et, au lieu de retourner à Qum, je décidai de venir ici.
L'histoire que ce Siyyid Husayn-i-Zavári'í me raconta contribua à calmer mon agitation. Il me fit part de la copie du "Risá1iy-i-'Adlíyyih" qu'il avait apportée avec lui, et dont la lecture raffermit et soulagea mon âme. En ce temps-là, j'étais l'élève d'un siyyid qui m' enseignait le Qur'án et dont l'incapacité à m'éclairer sur les principes de sa foi devenait de plus en plus évidente à mes yeux. Siyyid Husayn, à qui je demandai des renseignements supplémentaires sur la cause, me conseilla d'aller voir Siyyid Ismi'fl-i-Zaviri'i, qui avait pour habitude d'aller chaque printemps visiter les tombeaux des imámzádihs (21.17) à Qum.

<P411>

Je décidai mon père, qui était peu disposé à se séparer de moi, à m'envoyer dans cette ville afin que j'y perfectionne ma connaissance de la langue arabe. Je lui cachai soigneusement mon but véritable, de peur que sa découverte ne l'entraînât dans des ennuis avec le qádí (21.18) et les 'ulamis de Zarand et m'empêchât d'atteindre mon objectif.
Lors de mon séjour à Qum, ma mère, ma soeur et mon frère vinrent me rendre visite à l'occasion de la fête de Naw-Rúz, et restèrent avec moi pendant environ un mois. Au cours de leur visite, je pus mettre ma mère et ma soeur au courant de la nouvelle révélation, et réussis à susciter dans leur coeur l'amour de son auteur. Quelques jours après leur retour à Zarand, Siyyid Ismá'íl, que j'attendais avec impatience, arriva et put, au cours des discussions qu'il eut avec moi, m'exposer en détail tout ce dont j'avais besoin pour accepter totalement la cause. Il souligna la continuité de la révélation divine, affirma l'unité fondamentale des prophètes du passé, et expliqua leur étroite liaison à la mission du Báb. Il dévoila aussi la nature de l'oeuvre accomplie par Shaykh Ahmad-i-Ahsá'i et Siyyid Kizim-i-Rashtí, dont je n'avais pas entendu parler auparavant. Je lui demandai le devoir qui incombait alors à tout adepte loyal de la foi. "L'ordre du Báb, répondit-il, est que tous ceux qui ont accepté son message se rendent au Mizindarin et prêtent assistance à Quddús, qui est à présent encerclé par les forces d'un ennemi impitoyable." J'exprimai mon ardent désir de me joindre à lui, puisqu'il entendait lui-même se rendre au fort de Tabarsí. Il me conseilla cependant de rester à Qum en compagnie d'un certain Mírzá Fathu'lláh-i-Hakkák, un jeune homme de mon âge qu'il venait de guider vers la cause, jusqu'à la réception de son message de Tihrán.
J'attendis en vain ce message et, voyant qu'aucune nouvelle ne venait de sa part, décidai de partir pour la capitale. Mon frère Mírzá Fatbu'lhih me suivit ultérieurement. Il fut finalement arrêté et partagea le sort de ceux qui furent mis à mort en l'an 1268 après l'hégire (21.19), à la suite de l'attentat à la vie du shih. En arriva à Tihrán, je me rendis directement au Masjid-i-Sháh, qui se trouvait en face d'un madrisih (21.20) à l'entrée duquel, quelque temps après, je devais rencontrer de manière inattendue Siyyid Ismá'íl-i-Zavári'í, qui se hâta de m'informer qu'il venait de m'écrire une lettre et qu'il était sur le point de l'envoyer à Qum.

<P412>

Nous nous préparions à partir pour le Mázindarán lorsque nous parvint la nouvelle que les défenseurs du fort de Tabarsí avaient été traîtreusement massacrés et que le fort avait été réduit en poussière. Nous fûmes remplis de détresse à la réception de cette épouvantable nouvelle et nous nous lamentâmes sur le sort tragique de ceux qui avaient, avec tant d'héroïsme, défendu leur cause bien-aimée. Un jour, je rencontrai par hasard mon oncle maternel, Naw-Rúz-'Alí, qui était venu exprès pour me chercher. J'en parlai à Siyyid Ismá'íl, qui me conseilla de partir pour Zarand et de ne plus soulever davantage l'hostilité de c eux qui souhaitaient instamment mon retour.

PHOTO: vue 1 du masjid-i-sháh a Tihran

PHOTO: vue 2 du masjid-i-sháh a Tihran

<P413>

A mon arrivée dans mon village natal, je pus amener mon frère à la cause que ma mère et ma soeur avaient déjà embrassée. Je réussis également à décider mon père à me permettre d'aller une nouvelle fois à Tihrán. Je m'établis dans le même madrisih où j'avais logé lors de ma visite antérieure et, là, je rencontrai un certain Mullá 'Abdu'lKarím à qui, comme je l'appris par la suite, Bahá'u'lláh avait donné le nom de Mírzá Ahmad. Il me reçut avec affection et me dit que Siyyid Ismá'íl m'avait confié à ses soins et désirait me voir rester en sa compagnie jusqu'à son retour à Tihrán. Les jours que je passai en compagnie de Mírzá Ahmad ne s'effaceront jamais de ma mémoire. Je découvris qu'il était l'incarnation même de l'amour et de la bonté. Les paroles par lesquelles il inspira et ranima ma foi sont à jamais gravées dans mon coeur.
Par son truchement, je fus introduit auprès des disciples du Báb, que je me mis alors à fréquenter et de qui je pus recueillir d'autres informations concernant les enseignements de la foi. Mírzá Ahmad, en ce temps-là, gagnait sa vie comme scribe et consacrait ses soirées à la transcription du Bayan persan et d'autres Ecrits du Báb. Les copies qu'il prépara avec tant de dévotion furent remises à ses condisciples à titre de cadeaux de sa part. Je dus moi-même porter à plusieurs reprises des cadeaux adressés à la femme de Mullá Mihdíy-i-Kandí, qui avait abandonné son fils encore enfant et s'était hâté d'aller rejoindre les occupants du fort de Tabarsí.
Durant ces jours, j'appris que Tahirih qui, depuis la conclusion de la réunion de Badasht vivait à Nur, était arrivée à Tihrán et se trouvait emprisonnée dans la maison de Mabmúd Khán-i-Kalantar où, quoique prisonnière, elle était traitée avec courtoisie et considération.
Un jour, Mírzá Ahmad me conduisit à la maison de Bahá'u'lláh dont la femme, la Varaqatu'l-`Ulyá, (21.21) mère de la plus grande Branche, (21.22) m'avait déjà guéri les yeux avec un onguent qu'elle avait préparé elle-même et qu'elle m'avait envoyé par l'intermédiaire de ce même Mírzá Ahmad. La première personne que je rencontrai dans cette maison fut son fils bien-aimé, qui était alors un enfant de six ans. Il me souhaita la bienvenue en souriant alors qu'il se tenait debout à la porte de la chambre qu'occupait Bahá'u'lláh. Je passai devant cette porte et fus introduit auprès de Mírzá Yahyá, qui était inconscient du rang de l'occupant de la chambre devant laquelle je venais de passer.

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Lorsqu'on me laissa en tête à tête avec Mírzá Yahyá, je fus, dès que je vis ses traits et notai sa conversation, édifié quant à sa totale indignité du rang revendiqué pour lui.
A une autre occasion, lors de ma visite à cette même maison,)' allais entrer dans la chambre qu'occupait Mírzá Yahyá, lorsque Aqáy-i-Kalím, que j'avais rencontre auparavant, s'approcha de moi et me demanda de conduire "Aqá" (21.23) au Madrisiy-i-Mírzá-Sálih et de revenir ensuite en ce lieu, parce qu'Isfandíyár, leur serviteur, était allé au marché et n'était pas encore rentré. J'acceptai avec joie et, tandis que je me préparais à partir, je vis la plus grande Branche, un enfant d'une exquise beauté, portant le kuláh (21.24) et vêtu du jubbiy-i-hizári'í, (21.25) sortir de la chambre qu'occupait son père et descendre les marches conduisant à la porte de la maison. Je m'avançai et tendis les bras pour le porter. "Nous marcherons ensemble", dit-il en me prenant par la main et me conduisant hors de la maison. Nous bavardâmes tout en marchant main dans la main en direction du madrisih
connu en ce temps-là sous le nom de Pá-Minár. En arrivant à sa classe, il se tourna vers moi et me dit: "Revenez cet après-midi pour me ramener chez moi, car Isfandíyár ne peut venir me cherche . Mon
père aura besoin de lui aujourd'hui." J'acceptai avec joie et retournai aussitôt chez Bahá'u'lláh. Là, je rencontrai de nouveau Mírzá Yahyá, qui me confia une lettre qu'il me demanda de porter au Madrisiy-i-Sadr et de remettre à Bahá'u'lláh que, dit-il, je trouverais dans la chambre occupée par Mullá Báqir-i-Bastámí.

PHOTO: le madrisih de mírzá Sálih à tihrán

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Il me demanda de rapporter immédiatement la réponse. Après avoir accompli cette mission, je retournai au madrisih à temps pour ramener de l'école la plus grande Branche.
Un jour, Mírzá Ahmad m'invita à rencontrer Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, l'oncle maternel du Báb, qui venait de rentrer de Chihriq et demeurait chez Muhammad Big-i-Chapárchí, dans le voisinage de la porte de Shimírán. Je fus frappé, en voyant son visage, par la noblesse de ses traits et la sérénité de son expression. Mes visites ultérieures chez lui contribuèrent à accroître mon admiration pour la douceur de son tempérament, sa piété mystique et sa force de caractère. Je me rappelle très bien comment Aqáy-i-Kalím le pria, lors d'une certaine réunion, de quitter Tihrán, où le feu de l'agitation couvait dangereusement, pour échapper à son atmosphère périlleuse. "Pourquoi se faire du souci pour ma sécurité?" répondit-il avec assurance. "Puissé-je, moi aussi, prendre part au banquet que le main de la Providence prépare pour ses élus!"
Peu de temps après, les fauteurs de troubles purent soulever un grand tumulte dans cette ville. La cause première en était due aux mesures prises par un certain siyyid de Káshán, qui vivait au Madrisiy-i-Dáru'sh-Shafá' et que le Siyyid Muhammad bien connu avait amené en secret chez lui et prétendait avoir converti à la cause Bábíe. Mírzá Muhammad-Husayn-i-Kirmání, qui logeait dans ce même madrisih et qui était un célèbre professeur des doctrines métaphysiques de l'islám, tenta à plusieurs reprises de persuader Siyyid Muhammad, qui était l'un de ses élèves, de mettre un terme à ses relations avec ce siyyid peu sûr et de lui refuser l'accès aux réunions des croyants. Siyyid Muhammad refusa cependant de suivre cet avertissement et continua à le fréquenter jusqu'au début du mois de rabi'u'th-thání de l'an 1266 après l'hégire, (21.26) époque à la quelle le traître siyyid alla chez un certain Siyyid Husayn, l'un des 'ulamás de Káshán, et lui remit les noms et les adresses d'environ cinquante des croyants qui résidaient alors à Tihrán. Cette même liste fut aussitôt soumise par Siyyid Husayn à Mahmtiid Khán-i-Kalantar, qui donna l'ordre de les arrêter tous. Quatorze d'entre eux furent saisis et traduits devant les autorités.
Le jour où ils furent faits prisonniers, je me trouvais par hasard avec mon frère et mon oncle maternel, qui étaient arrivés de Zarand et qui étaient descendus dans un caravansérail au-delà de la porte de Naw. Le lendemain matin, ils partaient pour Zarand et, de retour au Madrisiy-i-Dáru'sh-Shafá', je découvris dans ma chambre un paquet sur lequel on avait mis une lettre qui m'était adressée par Mírzá Ahmad.

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Cette lettre m'apprenait que le traître siyyid nous avait finalement dénoncés et qu'il avait soulevé une violente agitation dans la capitale. "Le paquet que j'ai laissé dans cette chambre, écrivait-il, contient tous les Ecrits sacrés qui sont en ma possession. Si tu parviens sain et sauf en ce lieu, prends-les avec toi au caravansérail de Hájí Nád-'Alí, où tu trouveras dans l'une de ses chambres un homme portant ce même nom, un natif de Qazvín, à qui tu remettras le paquet et la lettre qui l'accompagne. De là, rends-toi aussitôt au Masjid-i-Sháh, où j'espère pouvoir te rencontrer." Suivant ses directives, j'allai remettre le paquet au Hájí et réussis à atteindre le masjid où
je rencontrai Mírzá Ahmad et l'entendis raconter comment il avait été assailli et avait cherché refuge dans le masjid, dans l'enceinte duquel il se trouvait à l'abri de toute attaque ultérieure.
Pendant ce temps, Bahá'u'lláh avait envoyé du Madrisiy-i-Sadr un message à Mírzá Ahmad pour l'informer des desseins de l'amír-nizám qui avait déjà, à trois reprises, demandé son arrestation à l'Imám-jum'ih. Il l'avertissait aussi que l'amír feignait d'ignorer le droit d'asile dont le masjid avait été investi, et entendait arrêter ceux qui avaient cherché refuge dans ce sanctuaire. Mírzá Ahmad était également prié de partir déguisé pour Qum, et chargé de m'ordonner de retourner chez moi à Zarand.

PHOTO: le madrisih-i-sadr à Tihran; l'on voit, marquée d'un x, la pièce occupée par Bahá'u'lláh

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En même temps, mes amis qui m'avaient reconnu dans le Masjidi-Sháh me poussèrent à partir pour Zarand, faisant valoir que mon père, à qui on avait dit par erreur que j'avais été arrêté et que mon exécution était imminente, était dans une grande affliction, et qu'il était de mon devoir de me hâter d'aller le libérer de son angoisse. Suivant le conseil de Mírzá Ahmad qui me dit de saisir cette occasion providentielle, je partis pour Zarand et célébrai la fête de Naw-Rúz au sein de ma famille, une fête qui fut doublement bénie puisqu'elle coïncidait avec le 5 jaMádíyu'l-avval de l'an 1266 après l'hégire, (21.27) anniversaire du jour où le Báb avait déclaré sa mission.

PHOTO: le madrisih de Daru'sh-shafay-i-masjid-i-sháh à Tihrán

Le Naw-Rúz de cette année-là a été mentionné dans le "Kitáb-i-Panj-Sha'n", l'un des derniers ouvrages du Báb. "Le sixième Naw-Rúz après la déclaration du Point du Bayan (21.28), écrit-il dans ce livre, est tombé le 5 jamádiyu'l-avval de la septième année lunaire après cette même déclaration." Dans ce même passage, le Báb fait allusion au fait e le Naw-Rúz de cette année-là serait le dernier qu'il était destiné à célébrer sur cette terre.
Au milieu des festivités que mes parents célébraient à Zarand, mon coeur était dirigé vers Tihrán et mes pensées concentrées sur le sort qui pouvait advenir à mes condisciples dans cette ville agitée.

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Je languissais d'apprendre qu'ils étaient sains et saufs. Bien que je fusse chez mon père et entouré de la sollicitude de mes parents, je me sentais oppressé par la pensée d'être séparé de ce petit groupe dont je pouvais m'imaginer les difficultés et dont je souhaitais tant partager les afflictions. La terrible incertitude dans laquelle je vivais, lors de mon séjour chez moi, fut rompue de manière inattendue par l'arrivée de Sádiq-i-Tabrízí, qui venait de Tihràn et fut reçu dans la maison de mon père. Bien qu'il me délivra des incertitudes qui avaient tant pesé sur mon esprit, il raconta cependant, à ma grande horreur, un récit d'une cruauté si terrifiante que les anxiétés de l'attente pâlissaient devant la lumière blafarde que cette lugubre histoire jetait sur mon coeur.
Les circonstances relatives au martyre de mes frères arrêtés à Tihrán-car tel avait été leur sort-je m'en vais à présent les raconter. Les quatorze disciples du Báb, qui avaient été arrêtés, restèrent
prisonniers dans la maison de Mahmúd Khán-i-Kalantar du premier au vingt-deux rabí'u'th-thání (21.29). Tahirih fut aussi emprisonnée à l'étage supérieur de cette maison. On leur infligea toutes sortes de mauvais traitements. Leurs persécuteurs cherchèrent, par tous les artifices possibles, à les inciter à fournir les renseignements qu'ils désiraient, mais ne purent obtenir une réponse satisfaisante. Parmi les prisonniers se trouvait un certain Muhammad Husayn-i-Marághi'í, qui refusa obstinément de prononcer un seul mot en dépit de la vive pression exercée sur lui. On le tortura, on eut recours à tous les moyens possibles pour lui arracher un petit indice susceptible de servir leur dessein, mais on ne put y parvenir. Son obstination fut si inébranlable que ses oppresseurs le crurent muet. Ils demandèrent à Hájí Mullá Ismá'íl, qui l'avait converti à sa foi, s'il pouvait parler. "Il est silencieux, mais non muet, répondit-il, il parle couramment et est libre de toute entrave." A peine l'avait-il appelé par son nom que la victime répondit, l'assurant qu'il était prêt à se conformer à ses voeux.
Convaincus de leur impuissance à briser leur volonté, les persécuteurs soumirent l'affaire à Mahmúd Khán, qui, à son tour, soumit leur cas à l'amír-nizám, Mírzá Taqí Khán, (21.30) le Grand vazír de Násiri'd-Dín Sháh. Le souverain, en ce temps-là, s'abstenait de toute ingérence directe dans les affaires ayant trait à la communauté persécutée, et ignorait souvent les décisions qui étaient prises au sujet de ses membres. Son Grand vazír était investi des pleins pouvoirs pour agir envers ceux-ci comme il l'entendait.

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Personne ne discutait ses décisions, ou n'osait désapprouver la manière dont il exerçait son autorité. Il décréta aussitôt un arrêté péremptoire menaçant de la peine capitale quiconque, parmi ces quatorze prisonniers, se montrerait peu disposé à rejeter sa foi. Sept d'entre eux furent obligés de céder à la pression dont ils étaient l'objet, et furent aussitôt relâchés. Les sept autres constituèrent les sept martyrs de Tihrán:
1. Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, surnommé Khàl-i-A'zam, (21.31) l'oncle maternel du Báb et l'un des principaux marchands de Shiraz. Ce fut ce même oncle à qui fut confié le Báb après la mort de son père et qui, au retour du pèlerinage de son neveu à Hijáz et lors de son arrestation par Husayn Khán, assuma l'entière responsabilité de sa personne en donnant par écrit sa parole. Ce fut lui qui l'entoura, alors qu'il lui était confié, d'une sollicitude constante, qui le servit avec tant de dévouement et fit fonction d'intermédiaire entre lui et les foules de ses disciples qui affluaient à Shiraz pour le voir. Son unique fils, Siyyid Javád, mourut alors qu'il était encore un enfant. Vers le milieu de l'année 1265 après l'hégire, (21.32) ce même Hájí Mírzá Siyyid'Alí quitta Shiraz et rendit visite au Báb dans la forteresse de Chihriq. De là, il se rendit à Tihrán et, quoique n'ayant pas d'occupation spéciale, il resta dans cette ville jusqu'à l'éclatement de la sédition qui devait finalement causer son martyre.
Bien que ses amis lui demandassent de fuir le tumulte désormais imminent, il refusa de suivre leur conseil et fit face jusqu'à sa dernière heure, avec une totale résignation, à la persécution dont il était l'objet. Un nombre considérable de marchands, parmi les plus influents qui le connaissaient, offrirent de payer sa rançon, mais il refusa leur offre. Il fut finalement emmené devant l'amír-nizám. "Le magistrat en chef de ce royaume, lui dit le Grand vazír, est peu disposé à infliger le moindre tort aux descendants du Prophète. D'éminents marchands de Shiraz et de Tihrán sont désireux-que dis-je, impatients-de payer votre rançon. Le Maliku't-Tujjár a même intercédé en votre faveur. Un seul mot d'abjuration de votre part suffit à vous rendre la liberté et à garantir votre retour, avec tous les honneurs, dans votre ville natale. Je donne ma parole que, si vous vouliez répondre affirmativement, vous passeriez le reste de vos jours dans l'honneur et la dignité sous la protection de votre souverain. "Votre Excellence", répondit hardiment Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, "si d'autres avant moi ont décidé de rejeter un appel sembla e à celui que vous me lancez à présent, et ont bu avec joie à la coupe du martyre, sachez en toute certitude que je désire, aussi ardemment qu'eux, décliner une telle requête.

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Mon désaveu des vérités contenues dans cette révélation équivaudrait au rejet de toutes les révélations qui l'ont précédée. Refuser de reconnaître la mission du Siyyid-i-Báb signifierait rejeter la foi de mes ancêtres et renier le caractère divin du message que Muhammad, Jésus, Moïse et tous les prophètes du passé ont révélé. Dieu le sait, quoi que j'aie entendu et lu concernant les paroles et les actes de ces messagers, j'ai eu le privilège de les observer chez ce jeune homme, ce membre bien-aimé de ma famille, depuis sa tendre enfance jusqu'à ce jour, où il atteint la trentième année de sa vie. Tout en lui me rappelle son illustre ancêtre et les Imáms de sa foi, dont les vies ont été décrites dans nos traditions. Je vous demande seulement de me permettre d'être le premier à sacrifier ma vie dans le sentier de mon parent bien-aimé."
L'amír-nizám fut stupéfait d'une telle réponse. Dans un mouvement désespéré, et sans dire un seul mot, il donna l'ordre d'emmener Hájí Mírzá Siyyid 'Alí et de le décapiter. Au moment où l'on emmenait la victime vers son lieu d'exécution, on l'entendit, à plusieurs reprises, répéter ces paroles de Háfiz: "Grande est ma gratitude envers toi, ô mon Dieu, car tu m'as si généreusement accordé tout ce que je te demandais." "Ecoute-moi, ô peuple!" cria-t-il devant la foule qui se pressait autour de lui, "je me suis offert en sacrifice, volontairement, dans le sentier de la cause de Dieu. La province du Fárs tout entière, ainsi que l"Iraq au-delà des confins de la Perse, reconnaîtront volontiers la rectitude de ma conduite, ma piété sincère et ma noble descendance. Durant plus de mille ans, vous avez prié et priez encore pour que le Qá'im promis soit manifesté. A la mention de son nom, combien de fois n'avez-vous pas crié du tréfonds de votre coeur: "Hâte, ô Dieu, sa venue; supprime tous les obstacles qui se dressent sur le chemin de son apparition! "Et à présent qu'il est venu, vous le bannissez dans un exil sans espoir et un coin perdu et désolé de l'Ádhirbáyján, et vous vous levez pour exterminer ses compagnons. Si j'invoquais sur vous la malédiction de Dieu, je suis certain que son courroux vengeur vous affligerait cruellement. Telle n'est cependant pas ma prière. Dans mon dernier souffle, je prie le Tout-Puissant d'effacer la tache de votre crime et de vous permettre de sortir du sommeil de négligence." (21.33)
Ces paroles émurent profondément le bourreau. Sous le prétexte que l'épée qu'il tenait à la main, prête à s'abattre, avait besoin d'être aiguisée, il s'en alla en toute hâte, décidé à ne plus jamais revenir.

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"Lorsqu'on me désigna pour ce service l'entendit-on se plaindre tout en pleurant amèrement, "l'on s'engagea à ne me livrer que ceux qui avaient été accusés de meurtre et de vol de grands chemins. On me donne à présent l'ordre de verser le sang de quelqu'un qui est aussi saint que l'Imám Músáy-i-Kázim (21.34) lui-même!" Peu après, il partit pour le Khurásán et chercha à gagner sa vie se faisant porteur et crieur. Aux croyants de cette province, il racontait le récit de cette tragédie et exprimait son repentir pour l'acte qu'il avait été contraint de perpétrer. Chaque fois qu'on lui rappelait cette circonstance, chaque fois qu'on mentionnait devant lui le nom de Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, des larmes qu'il ne pouvait retenir coulaient de ses yeux, témoignant de l'affection que ce saint homme avait instillée dans son coeur.
2. Mírzá Qurbán-'Alí, (21.35) natif de Barfurúsh dans la province de Mázindarán, et personnalité dominante de la communauté connue sous le nom de Ni'matu'lláhi. C'était un homme sincèrement pieux et doué d'une grande noblesse de caractère. La pureté de sa vie était telle qu'un nombre considérable des notables du Mázindarán, du Khurásán et de Tihrán lui avaient promis leur loyauté et le considéraient comme l'incarnation même de la vertu. Ses compatriotes l'estimaient tellement qu'à l'occasion de son pèlerinage à Karbilá, un vaste groupe d'admirateurs dévoués afflua sur son passage afin de lui rendre hommage. À Hamadán ainsi qu'à Kirmánsháh, une grande foule de personnes fut touchée par sa personnalité et se joignit au groupe de ses disciples. Partout où il allait, il était accueilli par les acclamations du peuple. Ces démonstrations d'enthousiasme populaire lui déplaisaient cependant beaucoup. Il évitait la foule, méprisait la pompe et l'apparat dus au rang de chef. Sur la route de Karbilá, alors qu'il passait à travers Mandalíj, un shaykh particulièrement influent fut si épris de lui qu'il renonça à tout ce qu'il avait chéri jusqu'alors et, abandonnant ses amis et ses disciples, le suivit jusqu'à Ya'qúbíyyih. Mírzá Qurbán-'Alí, cependant, parvint à le décider à retourner à Mandalíj et à reprendre le travail qu'il avait abandonné.
A son retour de pèlerinage, Mírzá Qurbán-'Alí rencontra Mullá Husayn et, grâce à celui-ci, embrassa la cause. La maladie l'empêcha d'aller rejoindre les défenseurs du fort de Tabarsí mais, s'il n'avait été incapable de voyager jusqu'au Mázindarán, il aurait été le premier à se joindre aux occupants du fort. A part Mullá Husayn, parmi les disciples du Báb, Vahid était la personne à laquelle il était le plus attaché.

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Durant ma visite à Tihrán, j'appris que ce dernier avait consacré sa vie au service de la cause et s'était levé avec un dévouement exemplaire pour promouvoir partout les intérêts de celle-ci. J'entendais souvent Mírzá Qurbán-'Alí, qui se trouvait alors dans la capitale, déplorer sa maladie. "Comme je regrette", l'entendis-je dire plusieurs fois, "de ne pas avoir eu ma part de la coupe que Mullá Husayn et ses compagnons ont bue! Je brûle de rejoindre Vahíd, de m'enrôler sous sa bannière et de m'efforcer de racheter mon erreur passée." Il se préparait à quitter Tihrán lorsqu'il fut subitement arrêté. Ses habits modestes témoignaient du degré de son détachement. Vêtu d'une tunique blanche à la manière des Arabes, recouvert d'un 'abá (21.36) au tissu grossier et portant le couvre-chef des habitants de 1''Iraq, il paraissait, lorsqu'il marchait à travers les rues, l'incarnation même du renoncement. Il pratiquait scrupuleusement tous les rites de sa foi et faisait ses dévotions avec une piété exemplaire. "Le Báb lui-même se conforme aux observances de sa foi dans les moindres détails, disait-il souvent. Dois-je, quant à moi, négliger les choses qui sont observées par mon chef?"
Lorsque Mírzá Qurbán-'Alí fut arrêté et emmené devant l'amír-nizám, il se produisit une agitation, telle que Tihrán en avait rarement connue. De grandes foules affluèrent aux abords du quartier général du gouvernement, avides de savoir ce qu'il lui adviendrait. "Depuis la nuit dernière", lui dit l'amír dès qu'il le vit, "je suis assiégé par toutes les classes de fonctionnaires qui ont vigoureusement intercédé en votre faveur. (21.37) D'après ce que j'apprends sur la position que vous occupez et sur l'influence qu'exercent vos paroles, j'en déduis que vous n'êtes pas si inférieur au Siyyid-i-Báb lui-même. Si vous aviez revendiqué pour vous la position de chef, c'eut été préférable à la déclaration d'allégeance envers quelqu'un qui est certainement inférieur à vous quant au savoir." "Le savoir que j'ai acquis", rétorqua Mírzá Qurbán-'Alí avec hardiesse, "m' a amené à m'incliner devant celui que j'ai reconnu comme mon seigneur et mon chef. Depuis que j'ai atteint l'âge de la maturité, je considère la justice et l'équité comme les mobiles directeurs de ma vie. Je l'ai jugé avec équité et suis arrivé à la conclusion que, si ce jeune homme, dont amis comme ennemis affirment le pouvoir transcendant, devait être dans l'erreur, chaque prophète de Dieu, depuis les temps immémoriaux jusqu'à nos jours, devrait être dénoncé comme étant l'incarnation même de l'erreur! Je suis assuré du dévouement sans réserve de plus de mille admirateurs et, cependant, je suis impuissant à changer le coeur du plus petit d'entre eux.

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Ce jeune homme, toutefois, s'est montré capable de transformer, grâce à l'élixir de son amour, les âmes des plus déchus de ses semblables. Il a, sur un millier de personnes telles que moi, exercé, seul et sans aide, une telle influence que, sans même atteindre à sa présence, elles ont rejeté leurs propres désirs et se sont passionnément attachées à sa volonté. Parfaitement conscientes de l'insuffisance du sacrifice qu'elles ont fait, elles n'aspirent qu à offrir leurs vies par amour pour lui, dans l'espoir que cette preuve supplémentaire de leur dévouement puisse être digne de mention à sa cour."
"Je suis peu enclin, remarqua l'amír-nizám - que vos paroles émanent ou non de Dieu - à prononcer la sentence de mort contre le possesseur d'un rang si exalté." "Pourquoi hésiter? s'écria l'impatiente victime. Ne savez-vous pas que tous les noms descendent du ciel? Celui dont le nom est 'Alí, (21.38) et dans le sentier duquel j'offre ma vie a, depuis des temps immémoriaux, inscrit mon nom, Qurbán-'Alí, (21.39) sur le parchemin de ses martyrs élus. C'est aujourd'hui, en vérité, que je célèbre la fête de Qurbán, c'est aujourd'hui que je scellerai de mon sang ma foi en sa cause. N'hésitez donc pas, et soyez assure que je ne vous blâmerai jamais pour votre acte. Plus tôt vous me décapiterez, plus grande sera ma gratitude envers vous." "Sortez-le d'ici! s'écria l'amír. Un moment de plus, et ce dervísh m'aura ensorcelé!" "Vous êtes immunisé contre cette magie, répondit Mírzá Qurbán-'Alí, une magie qui ne peut charmer que les coeurs purs. Vous et vos semblables ne pourrez jamais Réaliser le pouvoir enchanteur de cet élixir divin qui, rapide comme l'éclair, transforme l'âme humaine."
Exaspéré par la réponse, l'amír-nizam se leva de son siège et, tout son être tremblant de colère, s'exclama: "Seul le fil de l'épée peut faire taire ces gens induits en erreur!" "Il n'est plus nécessaire", dit-il aux bourreaux qui attendaient ses ordres, "d'amener devant moi d'autres membres de cette secte haïssable. Les paroles s'avèrent impuissantes à vaincre leur obstination inébranlable. Relâchez tous ceux que vous pouvez persuader de répudier leur foi; quant aux autres, décapitez-les!"
En s'approchant de la scène de son martyre, Mírzá Qurbán-'Alí, enivré par la perspective de sa réunion imminente avec son Bien-Aimé, lança des paroles d'allégresse. "Hâtez-vous de me tuer, s'écria-t-il avec ravissement, car, par cette mort, vous m'aurez offert le calice de vie éternelle. Quoique vous m'enleviez à présent mon dernier souffle, c'est avec une myriade de vies que je serai récompensé par mon Bien-Aimé, des vies que nul coeur mortel ne peut concevoir!

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Prêtez l'oreille à mes paroles, vous qui vous prétendez les disciples de l'Apôtre de Dieu", demanda-t-il en se tournant vers la foule des spectateurs. "Muhammad, l'astre du jour de la direction divine qui, dans un âge passé, se leva à l'horizon de Hijáz, s'est aujourd'hui levé à nouveau en la personne d' 'Alí-Muhammad, à l'horizon de Shiraz, répandant le même éclat et conférant la même chaleur. Une rose est une rose, dans quelque jardin et à quelque période qu'elle fleurisse." Voyant que de tous côtés le peuple restait sourd à son appel, il s'écria: "O génération perverse! Comme tu négliges le parfum que répand cette rose impérissable! Bien que mon âme déborde d'extase, je ne puis hélas! trouver un seul coeur pour partager avec moi son charme ni un seul esprit pour saisir sa gloire."
À la vue du corps de Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, décapité et saignant à ses pieds, son excitation enfiévrée atteignit son paroxysme. "Salut", s'écria-t-il en se jetant sur lui, "salut ô jour de mutuelle réjouissance, jour de notre réunion avec notre Bien-Aimé! Approche-toi", cria-t-il au bourreau en tenant le corps dans ses bras, "et porte ton coup, car mon fidèle camarade ne désire pas se séparer de mon étreinte et me dit de me hâter d'aller avec lui à la cour du Bien-Aimé." Un coup du bourreau le frappa aussitôt à la nuque. Quelques instants plus tard, l'âme de ce grand homme montait vers le ciel. Ce coup cruel suscita chez les spectateurs des sentiments d'indignation et de sympathie mêlés. Des cris de tristesse et de lamentation montèrent du coeur de la multitude et provoquèrent une détresse qui rappela les accès de chagrin par lesquels, chaque année, le peuple fête le jour d' Áshúrá. (21.40)
3. Vint alors le tour de Hájí Mullá Ismá'íl-i-Qumí, qui était natif de Faráhán. Dans sa prime jeunesse, il partit pour Karbilá en quête de la vérité qu'il s'efforçait avec zèle de découvrir. Il avait fréquenté tous les principaux 'ulamás de Najaf et de Karbilá, s'était assis aux pieds de Siyyid Kázim, et avait acquis de celui-ci le savoir et la compréhension qui lui permirent, quelques années plus tard, lors de son séjour à Shiraz, de reconnaître la révélation du Báb. Il se distingua par la fermeté de sa foi et la ferveur de sa dévotion. Dès que lui parvint l'ordre du Báb, selon lequel ses disciples devaient se hâter d'aller au Khurásán, il y répondit avec enthousiasme, se joignit aux compagnons qui se rendaient à Badasht, et reçut là le surnom de Sirru'l-Vujúd. En leur compagnie, sa compréhension de la cause se fit plus profonde et son zèle pour la promotion de celle-ci s'accrut en conséquence.

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Il devint finalement l'incarnation même du détachement et se sentit de plus en plus impatient de manifester, de manière adéquate, l'esprit que lui avait inspiré sa foi. Dans l'explication du sens des versets du Qur'án et des traditions de l'islám, il fit preuve d'une vue spirituelle que peu de personnes pouvaient égaler, et l'éloquence avec laquelle il exposa ces vérités lui gagna l'admiration de ses condisciples. Pendant les jours où le fort de Tabarsí était devenu le centre de ralliement pour tous les disciples du Báb, il languissait, inconsolable, sur son lit de malade, incapable de prêter son assistance et de jouer son rôle dans la défense du fort. A peine avait-il retrouvé la santé, qu'en apprenant que ce siège mémorable s'était terminé par le massacre de ses condisciples, il se leva avec une détermination accrue pour compenser par ses propres efforts d'abnégation la perte qu'avait subie la cause. Cette détermination le mena finalement au champ du martyre et lui en fit gagner la couronne.
Conduit au billot de l'échafaud, alors qu'il attendait le moment de son exécution, il tourna son regard vers ces deux martyrs qui l'avaient précédé et qui gisaient immobiles dans les bras l'un de l'autre. "Bravo, compagnons bien-aimés!" s'écria-t-il en fixant son regard sur leurs têtes ensanglantées. "Vous avez transformé Tihrán en un paradis! Si seulement j'avais pu vous précéder!" Tirant de sa poche une pièce de monnaie, il la tendit à son bourreau en le priant d'acheter pour lui-même quelque chose pour s'adoucir la bouche. Il prit quelques bonbons et donna le reste au bourreau, en disant: "Je t'ai pardonné ton acte; approche-toi et porte ton coup. Il y a trente ans que je désire ardemment voir ce jour béni, et je craignais de devoir emporter ce désir avec moi dans la tombe." "Accepte-moi, ô mon Dieu! ", s'écria-t-il en regardant le ciel, "tout indigne que je sois, et daigne inscrire mon nom sur le parchemin de ces immortels qui ont offert leur vie sur l'autel du sacrifice." Il était encore en train de dire sa prière lorsque le bourreau, à sa demande, mit brusquement un terme à sa supplication. (21.41)
4. Il avait à peine expiré que Siyyid Husayn-i-Turshízí le mujtahid, fut conduit à son tour à l'échafaud. Il était né à Turshiz, village du Khurásán, et était très estimé pour sa piété et la rectitude de sa conduite. Il avait étudié pendant quelques années à Najaf et avait été chargé par ses collègues mujtahids de se rendre au Khurásán et d'y propager les principes qui lui avaient été enseignés. Lors de son arrivée à Kázimayn, il rencontra Hájí Muhammad Taqíy-i Kirmání, l'une de ses vieilles connaissances, qui comptait parmi les marchands les plus éminents de Kirmán et qui avait ouvert une succursale dans le Khurásán.

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Comme il était en route pour la Perse, il décida de l'accompagner. Ce Hájí Muhammad-Taqí avait été un ami intime de Hájí Mírzá Siyyid 'Alí, l'oncle maternel du Báb, grâce auquel il avait été converti à la cause en l'an 1264 après 1'hégire, (21.42) au moment où il se préparait à quitter Shiraz pour son pèlerinage à Karbilá. Lorsqu'il fut informé du voyage projeté par Hájí Mírzá Siyyid 'Alí à Chihriq dans le but de rendre visite au Báb, il exprima son ardent désir de l'accompagner. Hájí Mírzá Siyyid 'Alí lui avait conseillé de mettre à exécution son projet initial qui était de se rendre à Karbilá et d'y attendre sa lettre qui lui apprendrait s'il était souhaitable de le rejoindre. De Chihriq, Hájí Mírzá Siyyid 'Alí reçut l'ordre de partir pour 'Tihrán dans l'espoir de pouvoir renouveler sa visite à son neveu après un court séjour dans la capitale. Lors de son séjour à Chihriq, il dit qu'il était peu disposé à retourner à Shiraz car il ne pouvait plus supporter l'arrogance croissante de ses habitants. A son arrivée à Tihrán, il demanda à Hájí Muhammad-Taqí de se joindre à lui. Siyyid Husayn l'accompagna de Baghdád à la capitale et, grâce à lui, fut converti à la foi.
Regardant la foule qui s'était rassemblée autour de lui pour assister à son martyre, Siyyid Husayn éleva la voix et dit: "Ecoutez-moi, ô adeptes de l'islám! Je m'appelle Husayn et suis descendant du Siyyidu'sh-Shuhadá, qui portait également ce nom. (21.43) Les mujtahids des cités saintes de Najaf et de Karbilá ont unanimement attesté de ma position d'interprète autorisé de la loi et des enseignements de leur foi. Ce n'est que récemment que j'ai entendu le nom du Siyyidi-Báb. La maîtrise que j'ai acquise sur les mystères des enseignements islamiques m'a permis d'apprécier la valeur du message que le Siyyid-i-Báb a apporté. Je suis persuadé que, si je reniais la vérité qu'il a révélée, je renoncerais, par cet acte même, à ma fidélité envers chaque révélation qui l'a précédée. Je demande à chacun d'entre vous de faire appel aux 'ulamás et mujtahids de cette ville et de réunir une assemblée où je me chargerai d'établir en leur présence la véracité de cette cause. Qu'ils jugent alors si je suis capable de démontrer la validité des prétentions avancées par le Báb. S'ils sont satisfaits des preuves que je fournirai pour appuyer mon discours, qu'ils s'abstiennent de répandre le sang des innocents et, si j'échoue dans ma tentative, qu'ils m'infligent le châtiment que je mérite." Ces paroles étaient à peine prononcées qu'un officier au service de l'amír-nizám intervint avec dédain:

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"Je porte sur moi ton arrêt de mort signé et scellé par sept des mujtahids reconnus de Tihrán; ils t'ont condamné, de leur propre écriture, comme infidèle. Je répondrai moi-même devant Dieu, au jour du Jugement, de ton exécution et en ferai porter la responsabilité sur ces chefs aux jugements desquels nous avons été priés de placer notre confiance et aux décisions desquels nous avons été contraints de nous soumettre." En disant ces mots il tira son poignard et frappa Siyyid Husayn avec une telle force qu'il tomba aussitôt mort à ses pieds.
5. Peu après, Hájí Muhammad-Taqíy-i-Kirmáni fut emmené sur le lieu d'exécution. Le spectacle lugubre qu'il observa provoqua en lui une violente indignation. "Approche-toi, misérable tyran sans coeur", s'écria-t-il en se tournant vers son bourreau, "et hâte-toi de me tuer, car je suis impatient de rejoindre mon bien-aimé Husayn. Vivre après sa mort est une torture que je ne puis endurer."
6. Dès que Hájí Muhammad-Taqí eut prononcé ces paroles, Siyyid Murtadá, qui était l'un des marchands en vue de Zanján, se hâta de devancer ses compagnons. Il se jeta sur le corps de Hájí Muhammad Taqí et fit valoir qu'étant siyyid, son martyre serait plus méritoire aux yeux de Dieu que celui de Hájí Muhammad-Taqí. Au moment où le bourreau dégainait son épée, Siyyid Murtadá invoqua la mémoire de son frère martyrisé, qui avait combattu aux côtés de Mullá Husayn, et ses allusions furent telles que les spectateurs s'émerveillèrent devant la fermeté inébranlable de la foi qui l'inspirait.
7. Au milieu du tumulte que les paroles émouvantes de Siyyid Murtadá avaient provoqué, Muhammad Husayn-i-Marághi'í se précipita en avant et pria qu'on lui permît d'être martyrisé immédiatement, avant que ses compagnons fussent passés par le fil de l'épée. Dès que son regard tomba sur le corps de Hájí Mullá Ismá'íl-i-Qumí, auquel il portait une profonde affection, il se jeta spontanément sur lui et, le tenant dans ses bras, s'exclama: "Jamais je ne consentirai à me séparer de mon ami chèrement aimé, en qui j'ai placé la plus grande confiance et de qui j'ai reçu tant de preuves d'une affection sincère et profonde!"
Leur impatience à se devancer l'un l'autre pour offrir leur vie dans le chemin de leur foi étonna la foule qui se demandait lequel des trois serait préféré à ses compagnons. Ceux-ci parlèrent avec une telle ferveur qu'ils furent finalement décapités, tous les trois, au même moment.
L'oeil humain a rarement observé une si grande foi et de telles preuves d'une cruauté effrénée.

<P428>

Bien qu'ils fussent peu nombreux, lorsque nous nous rappelons les circonstances de leur martyre, nous sommes obligés d'admettre le caractère stupéfiant de cette force qui pouvait susciter un esprit d'abnégation aussi rare. Lorsque nous nous souvenons du rang exalté que ces victimes avaient occupé, que nous observons le degré de leur renoncement et la vitalité de leur foi, que nous évoquons la pression que les milieux influents avaient exercée sur eux pour les détourner du danger dont leurs vies étaient menacées et, par-dessus tout, lorsque nous nous représentons l'esprit qui brava les atrocités qu'un ennemi sans coeur s'efforçait par tous les moyens de leur infliger, nous sommes obligés de considérer cet épisode comme l'un des événements les plus tragiques dans les annales de cette cause. (21.44)

PHOTO: porte de Naw à Tihrán

PHOTO: le Sabzih-maydán de Tihrán où beaucoup de croyants souffrirent le martyre.


<P429>

Arrivé à ce stade de mon récit, j'eus le privilège de soumettre à Bahá'u'lláh les parties de mon ouvrage que j'avais déjà révisées et complétées. Comme il appréciait mes travaux, lui dont la faveur seule m'intéresse et pour la satisfaction de qui je me suis engagé dans cette tâche! Il m'appela avec bonté auprès de lui et m'accorda ses bénédictions. J'étais chez moi dans la ville-prison d"Akká et habitais dans le voisinage de la maison d'Àqáy-i-Kalím, lorsque me parvint la convocation de mon Bien-aimé. Ce jour-là, le 7 du mois de rabí'u'th-thàni de l'an 1306 après l'hégire, (21.45) je ne l'oublierai jamais. Je reproduis ici l'essentiel des paroles qu'il m'adressa en cette mémorable occasion:
"Dans une Tablette que nous avons révélée hier, nous avons expliqué le sens des mots "Détournez votre regard" (21.46), en faisant allusion aux circonstances relatives à la réunion de Badasht. Nous célébrions, en compagnie d'un certain nombre de notables éminents, les noces de l'un des princes de sang royal à Tihrán, lorsque Siyyid Ahmad-i-Yazdí, père de Siyyid Husayn, le secrétaire du Báb, apparut soudain à la porte. Il nous fit signe qu'il était porteur d'un important message qu'il désirait nous remettre immédiatement. Nous ne pouvions cependant quitter la réunion à ce moment-là et lui proposâmes d'attendre. Lorsque la réunion fut terminée, il nous informa que Tahirih se trouvait sévèrement emprisonnée à Qazvin et que sa vie était en grand danger. Nous appelâmes aussitôt Muhammad-Hádiy-i-FarHádí et lui donnâmes les directives nécessaires pour la délivrer de sa captivité et l'accompagner jusqu'à la capitale. Comme l'ennemi s'était emparé de notre maison, nous ne pouvions la garder indéfiniment chez nous. Nous fîmes donc le nécessaire pour son transfert de notre domicile à celui du ministre de la Guerre (21.47) qui, en ce temps-là, était en disgrâce auprès de son souverain et se trouvait exilé à Káshán. Nous demandâmes à sa soeur, qui était encore l'une de nos amies, de faire office d'hôtesse auprès de Tahirih.
"Tahirih resta en sa compagnie jusqu'à ce que nous parvint l'appel du Báb nous ordonnant de nous rendre au Khurásán. Nous décidâmes de faire partir aussitôt Tahirih pour cette province, et chargeâmes Mírzá (21.48) de la conduire en un lieu situé hors des murs de la ville et, de là, vers une localité avoisinante qui lui semblerait adéquate. Elle fut amenée dans un verger à proximité duquel se trouvait un bâtiment abandonné, où ils rencontrèrent un vieillard qui remplissait les fonctions de gardien. Mírzá M6sá revint, nous informa de l'accueil qui leur avait été réservé, et vanta la grande beauté du paysage environnant.

<P430>

Nous fîmes ensuite le nécessaire en vue de son départ pour le Khurásán et promîmes que nous la suivrions quelques jours plus tard.
"Nous la rejoignîmes peu après à Badasht, où nous louâmes un jardin à son intention et désignâmes le même Muhammad-Hádí, qui avait obtenu sa libération, pour être son portier. Environ soixante-dix de nos compagnons se trouvaient avec nous et logeaient en un lieu proche de ce jardin.
"Nous tombâmes un jour malade et dûmes garder le lit. Tahirih nous adressa une requête afin que nous la convoquions. Nous fûmes surpris de son message et ne savions que répondre. Soudain nous la vîmes à la porte, le visage dévoilé devant nous. Comme Mírzá Áqá Ján (21.49) a bien commenté cet incident! "Le visage de Fátimih, dit-il, doit être révélé au jour du Jugement et apparaître sans voile aux yeux des hommes. A ce moment-là, on entendra la voix de l'Invisible dire: "Détournez votre regard de ce que vous avez vu"!
"Comme la consternation qui saisit les compagnons ce jour-là fut grande! La peur et la confusion envahirent leurs coeurs. Quelques-uns, ne pouvant tolérer ce qu'ils considéraient comme une déviation révoltante des coutumes établies de l'Islám, s'enfuirent horrifiés devant sa face. Effrayés, ils cherchèrent refuge dans un château désert du voisinage. Parmi ceux qui furent scandalisés par son comportement et se séparèrent complètement d'elle se trouvaient le Siyyid-i-Nahrí (21.50) et son frère Mírzá Hádí, auxquels nous envoyâmes un mot disant qu'il était inutile pour eux de fuir leurs compagnons et de se réfugier dans un château.
"Nos amis se dispersèrent finalement, nous laissant à la merci de nos ennemis. Lorsque, plus tard, nous allâmes à Ámul, le tumulte que le peuple avait soulevé fut tel que plus de quatre mille personnes s'étaient rassemblées dans le masjid et avaient afflué sur les toits de leurs maisons. Le principal Mullá de la ville nous dénonça avec sévérité. "Vous avez dénaturé la foi islamique", cria-t-il en dialecte Mázindarání, "et souillé son renom! La nuit dernière, je vous vis en rêve entrer dans le masjid, qui était rempli d'une foule impatiente d'assister à votre arrivée. Comme la foule se pressait autour de vous, que vis-je! le Qá'im se tenant dans un coin, le regard fixé sur votre visage, ses traits reflétant une grande surprise. Ce rêve, je le considère comme une preuve de ce que vous vous êtes écarté du sentier de la vérité." Nous lui affirmâmes que l'expression de surprise qui se lisait sur le Qá'im était un signe de vive désapprobation du traitement que lui et ses concitoyens nous avaient réservé.

<P431>

Il nous interrogea sur la mission du Báb. Nous l'informâmes que, bien que nous ne l'eussions jamais rencontré en tête-à-tête, nous avions néanmoins une grande affection pour lui. Nous exprimâmes notre profonde conviction qu'il n'avait, en aucun cas, agi contrairement à la foi islamique."
"Le Mullá et ses adeptes, cependant, refusèrent de nous croire et rejetèrent notre témoignage, le prenant pour une falsification de la vérité. Ils nous jetèrent finalement en prison et interdirent à nos amis de nous rencontrer. Le gouverneur en exercice d'Ámul réussit à organiser notre fuite de la prison. A travers une brèche qu'il avait ordonné à ses hommes de pratiquer dans le mur, il nous permit de quitter cette cellule et nous conduisit chez lui. Dès que les habitants furent informés de cet acte, ils se levèrent contre nous, assiégèrent la résidence du gouverneur, nous lapidèrent et hurlèrent à notre face les injures les plus ignobles.
"Au moment où nous envisagions d'envoyer Muhammad Hádiyi-Farhádí à Qazvín, afin qu'il obtint la libération de Tahirih et la conduisît à Tihrán, Shaykh Abú-Turáb nous écrivit une lettre dans laquelle il insistait sur le fait qu'une telle tentative comportait de sérieux risques et qu'elle pouvait provoquer un tumulte sans précédent. Nous refusâmes de nous laisser détourner de notre but. Ce shaykh, doué d'un coeur généreux, était simple et fort humble de caractère, et se comportait avec beaucoup de dignité. Il manquait cependant de courage et de détermination, et trahissait sa faiblesse en certaines occasions.

PHOTO: panorama de Yazd

<P432>

Je dois à présent ajouter un mot concernant les phases finales de la tragédie qui témoigna de l'héroïsme des sept martyrs de Tihrán. Durant trois jours et trois nuits, ceux-ci gisèrent abandonnés sur le Sabzih-Maydán, qui était contigu au palais royal, exposés aux indignités indicibles d'un ennemi impitoyable. Des milliers de shí`ahs dévots se réunirent autour de leurs cadavres, leur donnèrent des coups de pieds et crachèrent sur leur visage. Ils furent lapidés, maudits et raillés par la foule en colère. Les passants jetèrent des tas de détritus sur leurs dépouilles, et les atrocités les plus abominables furent perpétrées sur leurs corps. Aucune voix ne s'éleva pour protester, aucune main ne se tendit pour arrêter le bras de l'oppresseur barbare.
Après avoir apaisé le tumulte de leur passion, les habitants les enterrèrent en dehors de la capitale, en un lieu situé au-delà des limites du cimetière public contigu au fossé qui se trouvait entre les portes de Naw et de Sháh 'Abdu'l-'Azím. Ils furent tous étendus dans la même tombe, demeurant ainsi unis corporellement, comme ils l'avaient été en esprit durant leur vie terrestre. (21.51)
La nouvelle de leur martyre constitua un nouveau choc pour le Báb, qui était déjà plongé dans la tristesse à cause du sort advenu aux héros de Tabarsí. Dans la Tablette détaillée qu'il révéla en leur honneur, et dont chaque mot témoigne de la position exaltée qu'ils occupaient à ses yeux, il parle d'eux comme des "sept chèvres" auxquelles font allusion les traditions islamiques et qui, au jour du Jugement, "marcheront devant le Qá'im promis". Ils symboliseront par leur vie l'esprit d'héroïsme le plus noble et, par leur mort, manifesteront la véritable soumission à sa volonté. "Par ces mots: "ils précéderont le Qá'im", explique le Báb, l'on veut dire que leur martyre précédera celui du Qá'im lui-même, qui est leur Pasteur." Ce que le Báb avait prédit devait se réaliser, puisque son propre martyre eut lieu quatre mois plus tard à Tabríz.
Cette année mémorable vit, en plus du martyre du Báb et de celui de ses sept compagnons à Tihrán, les formidables événements de Nayríz qui atteignirent leur apogée avec la mort de Vahíd. Vers la fin de cette même année, Zanján aussi devait devenir le centre d'une tempête déchaînée, déferlant avec une exceptionnelle violence à travers la région environnante, et amenant dans son sillage le massacre d'un grand nombre des disciples les plus fermes du Báb. Cette année-là, rendue mémorable par l'héroïsme glorieux dont firent preuve les partisans de sa foi, sans parler des circonstances relatives à son propre martyre, doit rester à jamais comme l'un des plus glorieux chapitres jamais enregistrés dans l'histoire de cette foi écrite avec le sang.

<P433>

Le visage entier du pays fut assombri par les atrocités que continuait à commettre en toute liberté un ennemi cupide et cruel. Du Khurásán aux confins orientaux de la Perse, jusqu'à Tabríz située à l'Ouest, théâtre du martyre du Báb, et des villes du Nord telles que Zanján et 'Tihrán, jusqu'à l'extrême Sud, c'est-à-dire Nayriz dans la province de Fárs, tout le pays fut plongé dans une obscurité qui annonçait l'aurore de la révélation que le Husayn attendu devait bientôt manifester, révélation plus puissante et plus glorieuse que celle que le Báb lui-même avait proclamé (21.52)

<P434>

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NOTE DU CHAPITRE 21:

(21.1) 22 juin - 21 juillet 1849 ap. J.-C.

(21.2) 17 novembre - 17 décembre 1849 ap. J-C.

(21.3) Le 10 muharram, anniversaire du martyre de l'Imám Husayn qui tombait, cette année-là, le 26 novembre 1849 ap. J-C.

(21.4) D'après le "Kashfu'l-Ghitâ" (p. 241), son nom complet était Mírzá 'Alíy-i-Sayyáh-iMarághih'í. Il avait servi le Báb comme domestique à Máh-Kú, était l'un de ses principaux compagnons, et embrassa ultérieurement le message de Bahá'u'lláh.

(21.5) 15 janvier 1850 ap. J-C.

(21.6) 23 janvier 1850 ap. J.-C.

(21.7) Surnommé Subh-i-Azal.

(21.8) Disciples de Mírzá Yahyá.

(21.9) "Les prétentions de ce jeune homme étaient fondées sur une déclaration écrite qui est à présent entre les mains du professeur Browne, et ont été appuyées par une lettre donnée en version française par monsieur Nicolas. La falsification, cependant, a joué un si grand rôle dans les documents écrits de 1' Orient que j'hésite à reconnaître l'authenticité de cette déclaration. Et je pense qu'il est fort improbable qu'un groupe d'hommes éminemment sérieux aient accepté le document de préférence à la preuve de leur propre connaissance concernant les dons inadéquats de Subh-iAzal...
Il est probable que l'arrangement déjà fait fut sanctionné par la suite, à savoir que Bahá'u'lláh devait momentanément prendre la direction privée des affaires et exercer ses grands dons à titre d'enseignant, alors que Subh-i-Azal (un jeune homme vaniteux) donna son nom comme chef apparent, surtout à l'intention des profanes et des agents du gouvernement." (T.K.Cheyne: "la Réconciliation des races et des religions", pp. 118-19.)

(21.10) "Je t'adjure par Dieu, l'Unique, le Puissant, l'Omnipotent, de méditer en ton coeur ces écrits qui furent envoyés en son nom [celui de Mírzá Yahyá au Premier Point [le Báb], afin que tu puisses reconnaître et distinguer, aussi manifestement que le soleil, les signes du seul vrai Dieu ("l'Épître au fils du Loup", p. 125.)

(21.11) 1848-9 ap. J.-C.

(21.12) 29 juillet 1831 ap. J-C.

(21.13) Voir glossaire.

(21.14) 1847 ap. J.-C.

(21.15) Qur'án, 103.

(21.16) Voir glossaire.

(21.17) Voir glossaire.

(21.18) Voir glossaire.

(21.19) 1851-2 ap. J.-C.

(21.20) Voir glossaire.

(21.21) Littéralement: "La Feuille la plus exaltée".

(21.22) Titre d' 'Abdu'l-Bahá.

(21.23) Signifiant "Maître", titre par lequel on désignait alors 'Abdu'l-Bahá.

(21.24) Voir glossaire.

(21.25) Sorte de pardessus.

(21.26) 14 février - 15 mars 1850 ap. J.-C.

(21.27) 1850 ap. J.-C.

(21.28) L'un des titres du Báb.

(21.29) 14 février - 15 mars 1850 ap. J.-C.

(21.30) C'était le fils de Qurbán, le cuisinier en chef du Qá'im-Magám, le prédécesseur de Hájí Mírzá Áqási.

(21.31) Littéralement: "Le plus grand oncle".

(21.32) 1848 - 9 ap. J.-C.

(21.33) "Il ôta son turban et, levant son visage vers le ciel, s'exclama: "Ô Dieu! Tu vois comment ils sont en train de tuer le fils de ton plus honorable Prophète sans qu'il ait commis de faute." Puis il se tourna vers le bourreau et récita ce verset: Combien de temps le chagrin d'être séparé de lui me tuera-t-il? Coupe-moi la tête, afin que l'amour puisse m'en octroyer une". (Mathnaví, Livre 6, p. 649,1,2; éd. 'Alá'u'd-Dawlih.) ("A Traveller's Narrative", Note B, p. 174.)

(21.34) Le septième Imám.

(21.35) D'après le récit de Hájí Mu'ínu's-Saltanih (p. 131), Mírzá Qurbán-'Alí le dervish rencontra le Báb au village de Khánliq.

(21.36) Voir glossaire.

(21.37) "Mírzá Qurbán-'Ali était célèbre parmi les mystiques et les dervíshs, et avait beaucoup d'amis et de disciples à Tihrán, tout en étant bien connu de la plupart des nobles et des grands, et même de la mère du sháh. Celle-ci, à cause de l'amitié qui la liait à lui et de la compassion qu'elle éprouvait pour son sort, dit à Sa Majesté le roi: "Il n'est pas bábí, mais a été faussement accusé." Aussi l'envoya-t-on chercher et lui dit-on: "Tu es dervísh, érudit et homme de savoir; tu n'appartiens pas à cette secte égarée; une fausse plainte a été déposée contre toi."
Il répondit: "Je me déclare l'un des disciples et serviteurs de Sa Sainteté, bien que je ne sache s'il m'a accepté comme tel. "Lorsqu'ils persistèrent à le persuader en lui offrant l'espoir d'une pension et d'un salaire, il dit: "Cette vie et ces gouttes de sang qui sont miennes comptent peu; si l'empire du monde m'appartenait et si j'avais un millier de vies, je les jetterais volontiers toutes aux pieds de ses amis :
"Offrir en sacrifice sa tête au Bien-Aimé,
N'est en réalité que chose aisée à mes yeux;
Ferme-toi la bouche et cesse de parler de médiation,
Car les amants n'ont guère besoin de médiation."
Ils renoncèrent donc finalement, désespérés qu'ils étaient, et signifièrent qu'il devait mourir."
(Le "Táríkh-i-Jadid", p. 254.)

(21.38) Référence au Báb. __

(21.39) Qurbán signifie "Sacrifice"; d'où: "Sacrifice au Báb".

(21.40) "Lorsqu'on l'amena au pied du poteau d'exécution, le bourreau leva son épée et lui donna un coup à la nuque par derrière. Le coup ne lui fit qu'incliner la tête, et fit rouler le turban du dervísh sur le sol à quelques pas de lui. Aussitôt, comme avec son dernier souffle, il suscita une vive douleur dans le coeur de tous ceux qui pouvaient être émus en récitant ces versets:
"Heureux celui que l'ivresse de l'amour
A tant emporté qu'il sait à peine
Si aux pieds du Bien-Aimé
Il jette la tête ou le turban!"
(Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 254-5.)

(21.41) "Alors qu'ils étaient prêts à commencer leur travail de décapitation et de massacre, et que c'était au tour de Hájí Mullá Ismá'íl de mourir, quelqu'un vint à lui et dit: "Un tel de tes amis donnera une telle somme d'argent pour te sauver de la mort, à condition que tu rejettes ta foi, pour qu'ils soient ainsi amenés à t'épargner la vie. Dans ce cas de nécessité cruelle, alors qu'il y va de ta vie, quel mal y a-t-il à dire simplement: "Je ne suis pas Bábí", pour qu'ils aient un prétexte pour te relâcher?"
Il répondit: "Si je désirais rejeter ma foi, personne ne me toucherait, même sans argent. "Voyant qu'on le pressait et qu'on l'importunait beaucoup, il se dressa sur ses jambes pour atteindre sa taille maximum parmi la foule et s'exclama, pour que tout le monde l'entendît:
"Zéphir, de grâce porte de ma part un message
À cet Ismá'íl qui ne fut pas tué:
"Puisque je vis dans la rue du Bien-Aimé,
L'amour ne me permet pas de revenir."
(Le "Táríkh-i Jadid", pp. 253-4.)

(21.42) 1847-8 ap. J.-C.

(21.43) L'Imám Husayn.

(21.44) "Après avoir détaillé les événements que j'ai brièvement évoqués ci-dessus, l'historien Bábi commence à mettre en relief la valeur spéciale et le caractère unique du témoignage donné par les «sept martyrs". C'était des hommes qui représentaient toutes les plus importantes classes de la Perse - théologiens, dervíshs, marchands, boutiquiers, et officiels du gouvernement; c'étaient des gens qui jouissaient du respect et de la considération de tous; ils moururent avec intrépidité, volontiers, presque avec empressement, refusant de racheter leur vie par ce simple désavoeu oral que les shí`ahs reconnaissent, sous le nom de kitmán ou de taqíyyih, comme un subterfuge parfaitement justifiable en cas de péril; ils ne furent pas amenés à désespérer de la grâce comme le furent ceux qui moururent à Shaykh Tabarsí et à Zanján; et ils scellèrent leur foi de leur sang sur la place publique de la capitale persane où se trouvent les résidences des ambassadeurs étrangers accrédités à la cour du shah.
Et, en disant cela, l'historien bábí a raison: même ceux qui parlent généralement avec sévérité du mouvement Bábí, le caractérisant de communisme destructeur de tout ordre et de toute moralité, expriment leur compassion pour ces victimes innocentes. L'éloquente réflexion de Gobineau à l'occasion d'une tragédie similaire, deux années plus tard, peut très bien s'appliquer au jour de leur martyre. "Cette journée donna au Báb plus de partisans secrets que bien des prédications n'auraient pu le faire.
Je l'ai dit tout à l'heure, l'impression produite sur le peuple par l'effroyable impassibilité des martyrs fut profonde et durable. J'ai souvent entendu raconter les scènes de cette journée par des témoins oculaires, par des hommes tenant de près au gouvernement, quelques-uns occupant des fonctions éminentes. A les entendre, on eut pu croire aisément que tous étaient Bábís, tant ils se montraient pénétrés d'admiration pour des souvenirs où l'Islám ne jouait pas le plus beau rôle, et par la haute idée qu'ils avouaient des ressources, des espérances, et des moyens de succès de la secte." ("A Traveller's Narrative", Note B, pp. 175-6.)

(21.45) 11 décembre 1888 ap. J-C.

(21.46) D'après des traditions islamiques, Fátimih, la fille de Muhammad, apparaîtra sans voile au moment où elle traversera le pont "Sirát" au jour du Jugement. Lorsqu'elle apparaîtra, une voix du ciel déclarera: "Détournez vos regards, ô assemblée du peuple!"

(21.47) Mírzá Aqá Khán-i-Núrí, qui succéda à l'amír-nizám comme Grand vazír de Násiri'd-Dín Sháh.

(21.48) Aqáy-i-KAlím, frère de Bahá'u'lláh.

(21.49) Secrétaire de Bahá'u'lláh.

(21.50) Mírzá Muhammad-'Alíy-i-Nahrí.

(21.51) Si "Lorsque les bourreaux eurent accompli leur oeuvre sanglante, les spectateurs, composés de la lie du peuple, effrayés pendant un certain temps par le patient courage des martyrs, laissèrent de nouveau leur fanatisme féroce s'extérioriser par des outrages aux restes de ceux dont l'esprit se trouvait désormais au-delà du champ d'action de leur malignité. Ils jetèrent des pierres et des immondices sur les cadavres immobiles, les dénigrant et s'écriant: "Voilà la récompense réservée au peuple de l'affection et à ceux qui suivent le sentier de la sagesse et de la vérité!" Ils n'eurent même pas le droit d'avoir leurs corps enterrés dans un cimetière; on les jeta dans une fosse en dehors de la porte du Shah 'Abdu'l-'Azím, fosse que l'on remplit ensuite." ("A Traveller's Narrative", Note B, pp 174-5.)

(21.52) "Pendant que ces événements se déroulaient au nord de la Perse, les provinces du centre et du sud étaient profondément remuées par les prédications enflammées des missionnaires de la nouvelle doctrine. Le peuple, léger, crédule, ignorant, superstitieux à l'excès était frappé de stupeur par les miracles continuels qu'à chaque instant il entendait raconter; les mullás anxieux, sentant leur troupeau frémissant prêt à leur échapper, redoublaient de calomnies et d'imputations infamantes; les mensonges les plus grossiers, les imaginations les plus sanglantes étaient par eux répandus dans la populace hésitante, partagée entre l'horreur et l'admiration." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 387.)


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CHAPITRE XXII : le soulèvement de Nayriz

Aux premiers jours du siège du fort de Tabarsí, Vahíd était occupé à propager les enseignements de la cause à Burújird, ainsi que dans la province du Kurdistán. Il avait résolu d'amener à la foi du Báb la majorité des habitants de ces régions, et avait l'intention de se rendre ensuite au Fárs pour y poursuivre ses activités. Dès qu'il apprit le départ de Mullá Husayn pour le Mázindarán, il se hâta d'aller vers la capitale et y entreprit les préparatifs nécessaires à son voyage au fort de Tabarsí. Il se préparait à partir lorsque Bahá'u'lláh revint du Mázindarán et l'informa de l'impossibilité de rejoindre ses frères. Vahíd fut fort attristé par cette nouvelle et, en ces jours, trouva son unique consolation dans les visites qu'il rendait fréquemment à Bahá'u'lláh et dans les avantages qu'il tirait de ses conseils avisés et inestimables. (22.1)
Vahíd décida finalement de partir pour Qazvín afin d'y reprendre la tâche à laquelle il s'était engagé. De là, il se rendit à Qum et à Káshán, où il rencontra ses condisciples et put stimuler leur enthousiasme et consolider leurs efforts. Il poursuivit son voyage vers Isfáhán, Ardistán et Ardikán; dans chacune de ces villes, il proclama, avec zèle et intrépidité, les enseignements fondamentaux de son Maître et parvint à gagner à la cause un nombre considérable de partisans capables. Il atteignit Yazd juste à temps pour célébrer la fête de Naw-Rúz avec ses frères, qui exprimèrent leur joie de le voir arriver et furent grandement encouragés par sa présence parmi eux. Etant un homme dont l'influence était connue de tous, Vahíd possédait, en plus de sa maison de Yazd où s'étaient établis sa femme et ses quatre fils, une maison à Dáráb, qui avait été la résidence de ses ancêtres, et une autre à Nayríz, qui était superbement meublée.
Vahíd arriva à Yazd le premier jour du mois de jamádíyu'l-avval de l'an 1266 après l'hégire (22.2), dont le cinquième jour, anniversaire de la déclaration du Báb, coïncidait avec la fête de Naw-Rúz. Les principaux 'ulamás et notables de cette ville vinrent tous ce jour-là le saluer et lui présenter leurs meilleurs voeux. Navváb-i-Radaví, le plus vil et le plus en vue de ses adversaires, était présent à cette occasion et fit allusion, de façon malveillante, à l'extravagance et à la splendeur de cette réception.

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"Le banquet impérial du sháh, l'entendit-on affirmer, peut à peine espérer égaler les somptueux repas que vous avez étalés devant nous. Je suppose qu'en plus de cette fête nationale que nous célébrons aujourd'hui, vous en commémorez une autre encore." La réponse hardie et sarcastique de Vahíd provoqua le rire de tous les assistants. Tous applaudirent, étant donné l'avarice et la malveillance du navváb, à l'opportunité de sa remarque. Le navváb, qui n'avait jamais été ridiculisé par un groupe aussi nombreux et aussi distingué, fut piqué au vif par cette réponse. Le feu qui couvait en lui et qui était dirigé contre son adversaire devait se manifester avec une intensité accrue et le pousser à satisfaire sa soif de vengeance.
Vahíd saisit l'occasion pour proclamer, avec intrépidité et sans réserve, au cours de cette réunion, les principes fondamentaux de sa foi et démontrer leur validité. La majorité de ceux qui l'entendirent ne connaissait que partiellement les traits distinctifs de la cause et ignorait la pleine portée de celle-ci. Certains d'entre eux furent irrésistiblement attirés et l'embrassèrent avec empressement; les autres,
incapables de défier publiquement ses revendications, la dénoncèrent dans leur coeur et jurèrent de l'exterminer par tous les moyens en leur pouvoir. Son éloquence et son exposé hardi de la Vérité enflammèrent leur hostilité et renforcèrent leur détermination de chercher sans délai à supprimer son influence.

PHOTO: maison de Vahid à Yazd

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Ce même jour vit la coalition de leurs forces contre lui et marqua le début d'un épisode qui était destiné à entraîner dans son sillage tant de souffrances et de détresses. (22.3)
Anéantir la vie de Vahíd devint désormais l'objectif principal de leur activité. Ils répandirent la nouvelle selon laquelle, au jour de Naw-Rúz, parmi les dignitaires assemblés de la ville, tant civils qu'ecclésiastiques, Siyyid Yahyáy-i-Dárábí avait eu l'audace de dévoiler les traits provocateurs de la foi du Báb et avait fourni, pour appuyer ses arguments, des preuves et des signes recueillis à la fois dans le Qur'án et dans les traditions islamiques. "Bien que ses auditeurs, dirent-ils avec insistance, comptassent parmi les plus illustres mujtahids de la ville, aucun d'eux, dans cette assemblée, ne se hasarda à protester contre ses affirmations véhémentes concernant les revendications de sa croyance. Le silence que gardèrent ceux qui l'écoutaient causa une vague d'enthousiasme en sa faveur, enthousiasme qui déferla sur la ville et amena non moins de la moitié de ses habitants à ses pieds, alors que le reste se trouve à présent rapidement attiré par cette doctrine.
Ce rapport se répandit comme une traînée de poudre à travers Yazd et la région environnante. Il suscita d'une part la haine la plus vive et contribua, d'autre part, à accroître considérablement le nombre de ceux qui s'étaient déjà identifiés à cette foi. D'Ardikán et de Manshád, ainsi que des villes et des villages plus éloignés, des foules de personnes, avides d'entendre le nouveau message, affluèrent chez Vahíd. "Que devons-nous faire?" lui demandèrent-elles. "De quelle façon nous conseillez-vous de montrer la sincérité de notre foi et l'intensité de notre dévotion?" Du matin au soir, Vahíd ne faisait que vaincre leurs perplexités et guider leurs pas dans le sentier du service.
Durant quarante jours, cette activité fébrile persista chez tous les partisans zélés, aussi bien hommes que femmes. La maison de Vahíd était devenue le centre de ralliement d'une armée innombrable de dévots, qui souhaitaient démontrer dignement l'esprit de la foi qui avait enflammé leurs âmes. L'agitation qui s'ensuivit fournit au Navváb-i-Radaví un nouveau prétexte pour s'assurer l'appui du gouverneur de la ville, (22.4) qui était jeune et inexpérimenté dans les affaires de l'Etat, dans sa lutte contre son adversaire. Le gouverneur tomba bientôt victime des intrigues et des machinations de ce vil comploteur, qui parvint à le décider à envoyer une force composée d'hommes armés assiéger la maison de Vahíd.

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Alors qu'un régiment de l'armée se rendait vers ce lieu, une foule composée des éléments foi les plus abjects de la ville, à l'instigation du navváb, dirigeait ses pas vers ce même endroit, déterminée à intimider les occupants par ses menaces et ses imprécations.
Bien qu'assiégé de tous côtés par des forces hostiles, Vahíd continua, de la fenêtre de l'étage supérieur de sa maison, d'animer le zèle de ses partisans et d'expliquer tout ce qui leur semblait encore obscur. A la vue d'un régiment entier, appuyé par une foule en furie, se préparant à les attaquer, ceux-ci dans leur détresse se tournèrent vers Vahíd et le prièrent de leur donner des directives. "Cette même épée qui gît devant moi", répondit ce dernier en se tenant assis près de la fenêtre, "m'a été donnée par le Qá'im lui-même. Dieu le sait, si j'avais été autorisé par celui-ci à mener la guerre sainte contre ce peuple, j'aurais, seul et sans aide, anéanti ses forces. J'ai cependant reçu l'ordre de m'abstenir d'un tel acte." "Cette même monture", ajouta-t-il en jetant un regard sur le cheval que son serviteur Hasan avait sellé et amené devant sa maison, "feu Muhammad Sháh me la donna pour que je pusse entreprendre la mission qu'il m'avait confiée, et qui consistait à mener une enquête impartiale sur la nature de la foi proclamée par le Siyyid-i-Báb. Il me demanda de lui rapporter en personne les résultats de mes recherches, car j'étais le seul parmi les chefs ecclésiastiques de Tihrán, en qui il pouvait placer une confiance absolue. J'entrepris cette mission avec la ferme résolution de détruire les arguments de ce siyyid, de le décider à abandonner ses idées, de l'amener à reconnaître mon rang de chef, et de l'emmener finalement avec moi à Tihrán en tant que témoin de mon triomphe à venir. Cependant, lorsque je fus introduit auprès de lui et que j'entendis ses paroles, l'inverse de ce que j'avais imaginé se produisit. Au cours de ma première entrevue avec lui, je fus totalement décontenancé; au terme de la deuxième audience, je me sentis comme un enfant impuissant et ignorant; la troisième me vit aussi humble que la poussière sous ses pieds. Il avait en effet cessé d'être le méprisable siyyid que j'avais imaginé auparavant. Pour moi, il était désormais la manifestation de Dieu Lui-même, la vivante incarnation de l'Esprit divin. Depuis ce jour-là, je n'aspire qu'à offrir ma vie en sacrifice par amour pour lui. Je me réjouis de savoir que le jour que j'ai tant en attendu est imminent."
Voyant l'agitation qui s'était emparée de ses amis, Vahíd les exhorta à être calmes, patients, et certains que le Vengeur omnipotent infligerait bientôt, de sa main invisible, une défaite écrasante aux forces qu'on avait déployées contre ses bien-aimés.

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A peine avait-il prononcé ces paroles qu'une nouvelle arriva, selon laquelle un certain Muhammad-'Abdu'lláh, que personne n'imaginait être encore en vie, était soudain sorti, en compagnie de certains de ses camarades également disparus, qu'il s'était jeté, en lançant le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán !" (22.5) sur leurs assaillants, et avait dispersé leurs forces. Il avait fait preuve d'un tel courage que le détachement tout entier, abandonnant ses armes, avait cherché refuge, avec le gouverneur, dans le fort de Nárín.

PHOTO: vue 1 du fort de Nárin, à Yazd

PHOTO: vue 2 du fort de Nárin, à Yazd


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Cette nuit-là, Muhammad-'Abdu'lláh demanda à être introduit auprès de Vahíd. Il l'assura de sa foi en la cause et le mit au courant des plans qu'il avait conçus pour subjuguer l'ennemi. "Bien que votre intervention, répondit Vahíd, ait aujourd'hui éloigné de cette maison le danger d'une calamité imprévue, vous devez cependant reconnaître que, jusqu'à présent, notre différend avec le peuple se limitait à un débat centré sur la révélation du Sáhibu'z-Zamán. Le navváb sera désormais incité à soulever le peuple contre nous, et prétendra que je me suis levé pour établir ma souveraineté incontestée sur la province tout entière et que j'entends étendre celle-ci à la Perse." Vahíd lui conseilla de quitter aussitôt la ville et de s'en remettre aux soins et à la protection du Tout-Puissant. "L'ennemi, lui affirma-t-il, ne pourra nous infliger le moindre mal avant que notre heure soit arrivée."
Muhammad- 'Abdu-lláh préféra cependant ignorer l'avis de Vahíd. "Ce serait lâche de ma part", l'entendit-on dire au moment où il se retirait, "que d'abandonner mes amis à la merci d'un adversaire meurtrier et excité. Quelle différence y aurait-il alors entre moi et ceux qui abandonnèrent le Siyyidu'sh-Shuhadá (22.6) au jour de 1' 'Áshúrá (22.7) et le laissèrent seul sur la plaine de Karbilá? Un Dieu miséricordieux sera, je le crois, indulgent envers moi et me pardonnera mon acte."
Ayant prononcé ces paroles, Muhammad-'Abdu'lláh se dirigea vers le fort de Nárín, obligea les forces qui s'étaient massées dans son voisinage à chercher un refuge peu glorieux à l'intérieur de ses murs, et réussit à garder le gouverneur prisonnier avec ceux qui étaient assiégés. Il monta lui-même la garde, prêt à intercepter tous les renforts qui pourraient tenter de leur parvenir.
Pendant ce temps, le navváb réussissait à provoquer une insurrection générale à laquelle la masse des habitants devait prendre part. Ceux-ci se préparaient à attaquer la maison de Vahíd lorsque ce dernier appela Siyyid 'Abdu'l-'Azím-i-Khu'í, surnommé le Siyyid-i-Khál-Dár, qui avait pris part durant quelques jours à la défense du fort de Tabarsí, et dont la dignité de comportement attirait
l'attention de beaucoup, et lui dit de monter son propre cheval et de lancer publiquement, à travers les rues et les bazars, un appel de sa part à toute la foule pour l'exhorter à embrasser la cause du Sáhibu'z-Zamán.

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"Qu'elle sache, ajouta-t-il, que je me défends d'avoir l'intention que l'on me prête de mener la guerre sainte contre elle. Qu'elle soit avertie cependant que, si elle persiste à assiéger ma maison et poursuit ses attaques contre ma personne, au mépris de mon rang et de ma descendance, je serai contraint pour me défendre à la repousser et à la disperser. Si elle décide de rejeter mon conseil et cède aux médisances du rusé navváb, je donnerai l'ordre à sept de mes compagnons de la repousser et d'anéantir ses espoirs."
Siyyid-i-Khá1-Dár enfourcha sa monture et, escorté de quatre de ses frères choisis entre tous, alla à travers le marché lancer, dans un langage majestueux, l'avertissement qu'il était chargé de proclamer. Non satisfait par le message qui lui avait été confié, il osa y ajouter, à sa propre manière inimitable, quelques paroles par lesquelles il essaya d'accroître l'effet qu'avait produit la proclamation. "Gare à vous, gronda-t-il, si vous dédaignez notre appel. Ma haute voix, je vous en avertis, suffira à faire trembler les murs mêmes de votre fort, et la puissance de mon bras sera capable de briser la résistance de ses portes!"
Sa voix de stentor se fit entendre telle une trompette et sema la consternation dans les coeurs de ceux qui l'entendirent. D'une seule voix, la population terrifiée déclara son intention de déposer les épées et de cesser de molester Vahíd, dont la descendance, disait-elle, serait désormais reconnue et respectée.
Contraint par le refus massif du peuple de combattre Vahíd, le navváb le persuada de diriger son attaque contre Muhammad'Abdu'lláh et ses camarades, qui stationnaient dans le voisinage du fort. Le choc de ces forces détermina le gouverneur à sortir de son refuge et à donner l'ordre au détachement assiégé de prêter main forte à ceux qui avaient été recrutés par le navváb. Muhammad-'Abdu'lláh avait commencé à disperser la foule qui s'était ruée vers lui lorsqu'il fut soudain assailli par le feu que les troupes ouvraient sur lui par ordre du gouverneur. Une balle l'atteignit au pied et le fit tomber à terre. Certains de ses partisans furent également blessés. Son frère l'emporta en hâte en un lieu sûr et, de là, le transporta, sur sa demande, chez Vahíd.
L'ennemi le suivit jusqu'à cette maison, absolument décidé à s'emparer de lui et à le tuer. La clameur de la foule qui s'était massée autour de sa maison obligea Vahíd à donner l'ordre à Mullá Muhammad-Ridáy-i-Manshádí, l'un des 'ulamás les plus éclairés de Manshád, qui s'était débarrassé de son turban et s'était offert comme portier, de faire une sortie et, avec l'aide de six compagnons de son choix, d'éparpiller leurs forces.

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"Que chacun de vous élève la voix, leur commanda-t-il, et répète sept fois les mots "Alláh-u-
Akbar" (22.8) et, à la septième invocation, qu'il se lance en avant, au même moment, au milieu des assaillants."
Mullá Muhammad-Ridá, que Bahá'u'lláh avait surnommé Rada'r-Rúh, se leva d'un bond et se mit aussitôt, avec ses compagnons, à exécuter les instructions qu'il avait reçues. Ceux qui l'accompagnèrent, quoique frêles de corps et inexpérimentés dans le maniement de l'épée étaient embrasés par une telle foi qu'ils devinrent la terreur de leurs adversaires. Sept des plus redoutables ennemis périrent ce jour-là, c'est-à-dire le 27 jamádíyu'th-thání. (22.9) "A peine avions-nous mis l'ennemi en déroute, relata Mullá Muhammad-Ridá, et nous en retournions-nous chez Vahíd, que nous trouvâmes Muhammad-'Abdu'lláh gisant blessé devant nous. Il fut emmené chez notre chef, et partagea le repas que l'on servit à ce dernier. Ensuite, il fut transporté vers une cachette où il resta à l'abri jusqu'à sa guérison. Il devait finalement être saisi par l'ennemi et mis à mort."
Cette nuit-là, Vahíd ordonna à ses compagnons de se disperser et de faire preuve de la plus grande vigilance pour assurer leur salut. Il conseilla à sa femme de se rendre, avec ses enfants et tous leurs biens, chez son père, et de laisser derrière elle tout ce qui lui appartenait à lui. "Cette somptueuse résidence, lui dit-il, je l'ai construite dans l'unique intention qu'elle soit finalement détruite dans le sentier de la cause, et le mobilier imposant avec lequel je l'ai décorée a été acheté dans l'espoir qu'un jour je pourrai le sacrifier pour l'amour de mon Bien-Aimé. Alors, ami comme ennemi réaliseront que celui à qui appartenait cette maison était doté d'un héritage si grand et si inestimable, qu'une résidence terrestre aussi somptueuse qu'elle fût et pourvue d'un mobilier aussi magnifique, n'avait aucune valeur à ses yeux; qu'elle s'était réduite en un tas d'ossements qui ne pouvait
attirer que les chiens de la terre. Si seulement une preuve aussi irréfutable de l'esprit de renoncement pouvait ouvrir les yeux à ce peuple pervers et susciter en lui le désir de suivre le sentier de celui qui a manifesté cet esprit!"
Vers le milieu de cette même nuit, Vahíd se leva, rassembla les Écrits du Báb qu'il avait en sa possession, ainsi que les copies de tous les traités qu'il avait lui-même rédigés, les confia à son serviteur Hasan et lui ordonna de les porter en un lieu situé hors de la porte de la ville, à la bifurcation de la route de Mihríz. Il lui dit aussi d'y attendre son arrivée et l'avertit que, s'il négligeait ses instructions, il ne pourrait plus jamais le revoir.

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A peine Hasan avait-il enfourché sa monture et se préparait-il à partir, que les cris des sentinelles qui surveillaient l'entrée du fort parvinrent à ses oreilles. Craignant qu'elles ne le capturassent et ne se saisissent des précieux manuscrits qu'il avait en sa possession, il décida de suivre une route différente de celle que son maître lui avait ordonné de prendre. Au moment où il passait derrière le fort, les sentinelles le reconnurent, abattirent son cheval et s'emparèrent du cavalier.
Pendant ce temps, Vahíd se préparait à quitter Yazd. Laissant ses deux fils, Siyyid Ismá'íl et Siyyid 'Alí-Muhammad, aux soins de leur mère, il partit, accompagné de ses deux autres fils, Siyyid Ahmad et Siyyid Mihdí, ainsi qu'avec deux de ses compagnons résidant à Yazd, qui lui avaient demandé l'autorisation de l'accompagner dans son voyage. Le premier Ghulàm-Ridá, était un homme d'un courage exceptionnel alors que le second, Ghulám-Ridáy-i-Kúchik s'était distingué dans l'art de tirer. Vahíd choisit la même route qu'il avait conseillée à son serviteur, arriva sain et sauf à l'endroit fixé et fut surpris de ne pas y trouver Hasan. Il comprit aussitôt que celui-ci avait négligé ses directives et avait été capturé par l'ennemi. Il déplora le sort de son serviteur et se souvint de l'initiative de Muhammad'Abdu'lláh, qui avait également agi contre sa volonté et, en conséquence, avait été blessé. Ils apprirent ultérieurement qu'au matin de ce jour-là, Hasan avait été projeté de la gueule d'un canon (22.10) et qu'un certain Mírzá Hasan, qui avait été l'imám de l'un des quartiers de Yazd et qui était bien connu pour sa piété, avait également été capturé une heure plus tard et avait subi le même sort que son camarade.
Le départ de Vahíd de Yazd incita l'ennemi à déployer de nouveaux efforts. Il se rua sur la maison de celui-ci, pilla ses biens, et la démolit complètement. (22.11) Vahíd lui-même se dirigeait, pendant ce temps, vers Nayríz. Quoique peu habitué à marcher, il couvrit cette nuit-là sept farsangs (22.12) alors que ses fils étaient, sur une partie du trajet, portés par ses deux compagnons. Au cours de la journée suivante, il se cacha dans les vallées d'une montagne avoisinante. Dès que son frère, qui résidait dans les parages et nourrissait une profonde affection pour lui, apprit son arrivée, il envoya en secret les provisions dont Vahíd pourrait avoir besoin. Ce même jour, un détachement de la suite montée du gouverneur, qui était parti à la poursuite de Vahíd, arriva dans ce village, se rendit à la maison de son frère où il supposait le trouver caché et s'empara d'une grande partie de ses biens. Incapable de le retrouver, le détachement repartit alors pour Yazd.

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Vahíd, pendant ce temps, poursuivait son chemin à travers les montagnes et arrivait au district de Bavánit-i-Fárs. La plupart des habitants de ce village, qui étaient de ses fervents admirateurs, embrassèrent volontiers la cause; parmi, eux se trouvait le célèbre Hájí Siyyid Ismá'íl, le shaykhu'l-islám de Bavánát. Un nombre considérable des habitants de ce lieu l'accompagnèrent jusqu'au village de Fasá, dont la population refusa de répondre au message qu'il lui apportait.
Tout au long de sa route, partout où il séjournait, la première pensée de Vahíd était, dès sa descente de cheval, de chercher la mosquée avoisinante, où il appelait le peuple à l'entendre annoncer la nouvelle du jour nouveau. Totalement oublieux des fatigues de son voyage, il montait rapidement à la chaire et proclamait avec hardiesse, devant l'assistance, le caractère de la foi qu'il avait décidé de défendre. Il passait une seule nuit en cet endroit dans le cas où il réussissait à gagner à la cause des âmes auxquelles il pouvait confier la tâche de la propager après son départ. Autrement, il reprenait aussitôt sa marche et refusait de rester plus longtemps en leur compagnie. "A travers quelque village où je passe, disait-il souvent, et où je ne hume pas chez ses habitants la fragrance de la croyance, sa nourriture et sa boisson me répugnent."
En arrivant au village de Rúníz dans le district de Fasá, Vahíd décida d'y passer quelques jours. Ces coeurs qu'il trouva réceptifs à son appel, il s'efforça de les attirer et de les enflammer par le feu de l'amour de Dieu. Dès que la nouvelle de son arrivée parvint à Nayríz, toute la population du quartier de Chinár-Súkhtih se hâta d'aller à sa rencontre. Des gens d'autres quartiers aussi, poussés par
leur amour et leur admiration envers lui, décidèrent de se joindre aux premiers. Craignant que Zaynu'l-'Ábidín Khán le gouverneur de Nayríz, ne leur refusât la permission d'aller voir Vahíd, la plupart d'entre eux partirent de nuit. Du quartier de Chinár-Súkhtih seul, plus d'une centaine d'étudiants, précédés de leur chef Hájí Shaykh 'Abdu'l-'Alí, le beau-père de Vahíd et juge de haut rang bien connu dans tout le district, se joignirent à quelques notables parmi les plus
éminents de Nayríz pour accueillir le visiteur attendu, lors de son arrivée dans leur ville. Parmi ceux-ci se trouvaient Mullá 'Abdu'l-Husayn, vénérable vieillard de quatre-vingts ans, qui était fort estimé pour sa piété et son savoir;

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Mullá Báqir qui était l'Imám du quartier de Chinár-Súkhtih; Mírzá Husayn-i-Qutb, le kad-khudá (22.13) du quartier du Bázár, suivi de tous ses parents; Mírzá Abu'l-Qásim, un parent du gouverneur; Hájí Muhammad-Taqí-qui a été cité par Bahá'u'lláh dans le "Súriy-i-Ayyúb"-accompagné de son gendre; Mírzá Nawrà et Mírzá 'Alí-Ridá, tous deux du quartier de Sádát. (22.14)
Toutes ces personnes, certaines de jour, d'autres de nuit, allèrent jusqu'au village de Rúníz afin d'y exprimer leur bienvenue au visiteur et de l'assurer de leur immuable dévouement. Bien que le Báb eut révélé une Tablette générale adressée spécialement à ceux qui venaient d'embrasser sa cause à Nayríz, ses destinataires, cependant, n'en comprirent ni la signification ni les principes fondamentaux. Elle fut remise à Vahíd qui devait les éclairer quant à sa véritable portée et leur exposer ses traits distinctifs.
A peine Zaynu'l-'Ábidín Khán fut-il informé de l'exode considérable qui s'était produit à l'occasion de l'arrivée de Vahíd, qu'il envoya un messager spécial pour rattraper et informer ceux qui étaient déjà partis, de sa détermination d'ôter la vie, de capturer les femmes et de confisquer les biens de quiconque persistait à prêter serment de fidélité à Vahíd. Aucun de ceux qui étaient partis ne tint compte de cet avertissement; au contraire, tous s'attachèrent plus passionnément encore à leur chef. Leur détermination inébranlable et leur dédain du messager du gouverneur remplirent ce dernier de consternation. Craignant qu'ils ne se soulevassent contre lui, il décida de transférer sa résidence au village de Qutrih, où se trouvait sa maison natale, et qui était situé à une distance de huit farsangs (22.15) de Nayríz. Il choisit ce village car, à proximité, se dressait une forteresse massive qui pouvait lui servir de refuge en cas de danger. Il était, en outre, assure que ses habitants étaient des tireurs d'élite et qu'il pouvait compter sur eux pour le défendre à tout moment.
Vahíd, pendant ce temps, avait quitté Rúníz pour le tombeau de Pír-Murád, qui se trouvait en dehors du village d'Istahbánát. Malgré l'interdiction d'y accéder, prononcée par les 'ulamás de ce village, au moins vingt de ses habitants sortirent pour souhaiter la bienvenue à Vahíd et l'accompagner jusqu'à Nayríz. Lorsqu'ils arrivèrent dans cette ville, dans la matinée du 15 rajab, (22.16) la première chose que fit Vahíd dans son quartier natal de Chinár-Súkhtih, avant même d'aller chez lui, fut d'entrer dans le masjid et d'inviter les fidèles qui s'y étaient réunis à reconnaître et à embrasser le message du Báb. Impatient de voir la multitude qui l'attendait, et encore habillé de ses vêtements chargés de poussière, il monta à la chaire et parla avec une éloquence si persuasive que tout l'auditoire fut comme électrisé par son appel. (22.17)

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Pas moins de mille personnes, toutes natives du quartier de Chinár-Súkhtih, et cinq cents autres de divers autres quartiers de Nayríz, qui avaient toutes envahi le bâtiment, répondirent spontanément à son appel. "Nous avons entendu et nous obéissons!" s'écria, avec un enthousiasme effréné, la foule joyeuse tout en s'avançant vers lui pour l'assurer de son hommage et de sa gratitude. Les auditeurs furent si charmés par cette allocution passionnée que l'on vit pour la première fois une telle conversion à Nayríz.
"Mon unique but en venant à Nayríz", poursuivit Vahíd en s'expliquant auprès de son auditoire, dès que le premier accès d'excitation fut passé, "est de proclamer la cause de Dieu. Je le remercie
et le glorifie de m'avoir permis de toucher vos coeurs par son message. Il est inutile que je séjourne plus longtemps parmi vous car, d si je prolonge mon séjour, je crains que le gouverneur ne vous mal-traite à cause de moi. Il pourrait faire venir des renforts de Shiraz, détruire vos maisons et vous faire subir d'indicibles outrages." "Nous sommes prêts et résignés à la volonté de Dieu", répondirent unanimement les fidèles. "Que Dieu daigne nous accorder sa grâce pour que nous résistions aux calamités qui peuvent encore nous frapper. Nous ne pouvons, cependant, nous résoudre à être aussi brusquement et hâtivement séparés de vous."

PHOTO: panorama de Nayriz

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À peine ces paroles furent-elles prononcées qu'hommes et femmes joignirent leurs mains pour porter Vahíd en triomphe chez lui. Emportés par l'excitation et exultant de joie, ils se pressèrent autour de lui et, avec applaudissements et acclamations, l'escortèrent jusqu'à l'entrée même de sa maison.
Les quelques jours que Vahíd consentit à demeurer à Nayríz furent passés en grande partie dans le masjid où il continua, avec son éloquence habituelle et sans la moindre réserve, à exposer les enseignements fondamentaux qu'il avait reçus de son maître. Chaque jour voyait s'accroître le nombre de ses auditeurs et, partout, les preuves de sa merveilleuse influence devenaient de plus en plus manifestes.
La fascination qu'il exerçait sur les gens ne pouvait manquer de rendre furieuse l'hostilité latente de Zaynu'l-'Abidín Khán. Il décida de recourir à la force et donna l'ordre de lever une armée dans le but juré de déraciner une cause qui, sentait-il, était en train de miner rapidement sa propre position. Il parvint bientôt à recruter environ un millier d'hommes, comprenant aussi bien de la cavalerie que de l'infanterie, tous bien entraînés dans l'art de la guerre et équipés d'une ample réserve de munitions. Son plan était de capturer Vahíd grâce à une attaque surprise.
Dès que Vahíd fut informé des intentions du gouverneur, il donna l'ordre à vingt de ses compagnons, qui avaient quitté Istahbánát pour lui souhaiter la bienvenue et l'avaient accompagné jusqu'à Nayríz, d'occuper le fort de Khájih, qui se trouvait dans le voisinage du quartier de Chinár-Súkhtih.

PHOTO: maison de Vahid à Nayriz

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Il désigna Shaykh Hádí, fils de Shaykh Muhsin, comme chef du groupe, et pressa ses adeptes qui habitaient dans ce quartier de fortifier les portes, les tourelles et les murs de cette forteresse.
Le gouverneur avait pendant ce temps transféré son siège à sa maison du quartier du Bázár. La troupe qu'il avait levée l'accompagna et occupa le fort situé à proximité de ce quartier. Ses tours et ses murs, qu'il commença à fortifier, dominaient la ville tout entière. Après avoir obligé Siyyid Abu-Tálib, le kad-khudà (22.18) de ce quartier et l'un des compagnons de Vahíd, à évacuer sa maison, il fortifia le toit de celle-ci, y plaça quelques-uns de ses hommes sous le commandement de Muhammad'Alí Khán, et donna l'ordre d'ouvrir le feu sur son adversaire.

PHOTO: pièce du fort occupée par Vahíd

PHOTO: le fort de Khajih

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La première victime fut ce même Mullá 'Abdu'l-Husayn qui, en dépit de son âge avancé, était sorti pour accueillir Vahíd. Il faisait sa prière sur le toit de sa maison lorsqu'une balle le frappa au pied droit, le faisant abondamment saigner. Ce coup cruel suscita la sympathie de Vahíd, qui se hâta d'exprimer, dans un message écrit à la victime, son chagrin devant la blessure qu'il avait reçue, et de le consoler par la pensée qu'il était, à ce stade avancé de sa vie, le premier à avoir été choisi pour victime dans le sentier de la cause.
La soudaineté de l'attaque jeta la consternation parmi un certain nombre des compagnons qui avaient en toute hâte embrassé le message et n'avaient pu en apprécier la pleine signification. Leur foi fut si sérieusement ébranlée que quelques-uns, au coeur de la nuit, se séparèrent de leurs compagnons pour aller prêter main forte à l'ennemi. Dès que Vahíd apprit leurs agissements, il se leva à l'aube, monta à cheval et, en compagnie de certains de ses partisans, sortit de la ville pour se rendre au fort de Khájih, où il établit sa demeure.
Son arrivée marqua le début d'une nouvelle attaque dirigée contre lui. Zaynu'l-'Abidín Khán envoya aussitôt son frère aîné, 'Alí-Asghar Khán accompagné d'un millier d'hommes, tous armés et bien entraînés, assiéger ce fort dans lequel soixante-douze des compagnons s'étaient déjà réfugiés. Au lever du soleil, quelques-uns d'entre eux, agissant suivant les instructions de Vahíd, firent une sortie et, avec une rapidité extraordinaire, forcèrent les assiégeants à se disperser.
Seuls trois des compagnons trouvèrent la mort au cours de cet engagement. Le premier fut Táju'd-Dín, un homme renommé pour son intrépidité et dont le métier consistait à fabriquer des kuláhs (22.19) en laine; le deuxième, qui s'appelait Zayníl, était le fils d'Iskandar, agriculteur de profession; le troisième, enfin, était Mírzá Abu'l-Qásim, homme de grand mérite.
Cette déroute complète et soudaine souleva les appréhensions du prince Fírúz Mírzá, le Nusratu'd-Dawlih, gouverneur de Shiraz, qui donna l'ordre d'exterminer promptement les occupants du fort. Zaynu'l-'Abidín Khán envoya l'un des assistants du prince auprès de Vahíd pour le prier de partir de Nayríz puisque leurs relations étaient tendues; il espérait ainsi pouvoir bientôt étouffer l'agitation qui avait été soulevée. "Dites-lui, fut la réponse de Vahíd, que mes deux enfants et leurs deux serviteurs constituent toute ma suite.

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Si ma présence dans cette ville cause des troubles, je suis prêt à partir. Pourquoi, au lieu de nous réserver l'accueil qui convient à un descendant du Prophète, nous a-t-il privé d'eau et a-t-il incité ses hommes à nous assiéger et à nous attaquer? S'il persiste à nous refuser les nécessités de la vie, je l'avertis que sept de mes compagnons, qu'il considère comme les plus méprisables des hommes, infligeront à ses forces réunies une défaite humiliante."
Voyant que Zaynu'l-'Abidín Khán ignorait son avertissement, Vahíd donna l'ordre à ses compagnons de sortir du fort et de châtier les assaillants. Avec un courage et une confiance admirables, ils réussirent, malgré leur extrême jeunesse et leur manque d'expérience dans
l'usage des armes, à démoraliser une armée organisée et entraînée. 'Alí-Asghár Khán lui-même périt, et deux de ses fils furent faits prisonniers. Zaynu'l-'Abidín Khán se retira honteusement, avec ce
qui restait encore de ses forces éparpillées, dans le village de Qutrih, mit le prince au courant de la gravité de la situation et le pria d'envoyer immédiatement des renforts, soulignant en particulier les besoins en artillerie lourde et le fait qu'un important détachement d'infanterie et de cavalerie était indispensable.
Vahíd, de son côté, constatant que l'ennemi était décidé à les exterminer, donna l'ordre de renforcer les défenses du fort, de construire une citerne pour l'eau à l'intérieur des murs et de dresser, à l'extérieur des portes, les tentes qu'ils avaient apportées avec eux. Ce jour-là, quelques-uns des compagnons se virent confier des fonctions et des tâches particulières. Karbilá'í Mírzá Muhammad devint le portier du fort; Shaykh Yúsuf, le trésorier; Karbilá'í Muhammad, fils de Shamsu'd-Dín, le super intendant des jardins contigus au fort et à ses barricades; Mírzá Ahmad, l'oncle d' 'Alíy-i-Sardár, fut désigné comme officier chargé de la tour du moulin connu sous le nom de Chinár et situé dans le voisinage du fort; Shaykháy-i-Shivih-Kash, comme bourreau; Mírzá Muhammad-Ja'far, cousin de Zaynu'l-'Abidín Khán, comme chroniqueur; Mírzá Fadlu'lláh fut chargé de lire ces chroniques; Mashhadí Taqí-Baqqál devint geôlier, Hájí Muhammad-Taqí greffier et Ghulám-Ridáy-i-Yazdí, capitaine des troupes. En plus des soixante-douze compagnons qui étaient avec lui à l'intérieur du fort et qui l'avaient accompagné d'Istahbánát à Nayríz, Vahíd fut amené, à la demande instante de Siyyid Ja'far-i-Yazdí, théologien bien connu, et de Shaykh 'Abdu'l-'Alí, le beau-père de Vahíd, à admettre au fort un certain nombre de résidents du quartier du Bázár ainsi que plusieurs de ses propres parents.

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Zaynu'l-'Abidín Khán renouvela son appel au prince et joignit cette fois à sa pétition, qui exigeait des renforts urgents et adéquats, la somme de cinq mille túmáns (22.20) a titre de cadeau personnel au prince. Il confia sa lettre à l'un de ses amis intimes, Mullá Báqir, lui donna la permission de monter son propre cheval, et le chargea de remettre son message au prince en personne. Il avait choisi cet homme pour son intrépidité, sa grande facilité d'élocution et son tact. Mullá Báqir prit une route peu fréquentée et, après un jour de voyage, atteignit le lieu dit Hudashtak, à proximité d'un fort autour duquel les tribus nomades de la région dressaient parfois leurs tentes.
Mullá Báqir descendit de cheval près de l'une de ces tentes et, alors qu'il parlait à ses occupants, Hájí Siyyid Ismá'íl, le shaykhu'l-islám de Bavánát, arriva. Il avait obtenu la permission de Vahíd de se rendre dans son village natal pour régler une affaire urgente et de retourner aussitôt à Nayríz. Après son déjeuner, il vit qu'un cheval richement caparaçonné était attaché aux cordes de l'une des tentes avoisinantes. Ayant appris qu'il appartenait à un des amis de Zaynu'l-'Ábidín Khán qui était arrivé de Nayríz et faisait route vers Shiraz, Hájí Siyyid Ismá'íl, qui avait un courage exceptionnel, alla aussitôt vers cette tente, monta le cheval et, dégainant son épée, adressa avec dureté les paroles suivantes au propriétaire de la tente avec qui Mullá Báqir conversait encore: "Arrête ce scélérat qui a fui devant le visage du Sáhibu'z-Zamán. (22.21) Attache-lui les mains et livre-le moi !" Effrayé par les paroles et le comportement de Háji Mullá Ismá'íl, les occupants de la tente obéirent aussitôt. Ils lièrent les mains de Mullá Báqir et remirent la corde au moyen de laquelle ils l'avaient lié à Ijáji Siyyid Ismá'íl, qui éperonna sa monture, fonça en direction de Nayríz et obligea son prisonnier à le suivre. A une distance de deux farsangs de cette ville, il atteignit le village de Rastáq et remit son captif aux mains du kad-khudá de ce village, qui s'appelait Hájí Akbar, le priant de le conduire auprès de Vahíd. Lorsque l'homme fut amené devant Vahíd, ce dernier l'interrogea sur le but de son voyage à Shiraz, et le prisonnier apporta une réponse franche et détaillée. Bien que Vahíd fût prêt à pardonner à Mullá Báqir, celui-ci fut finalement, à cause de son attitude envers Vahíd, exécuté par les compagnons.
Zaynu'l-'Abidín Khán loin de faiblir dans sa détermination de solliciter l'aide de Shiraz dont il avait besoin, fit cette fois appel au prince avec une véhémence accrue, le priant de redoubler ses efforts en vue d'exterminer ce qu'il considérait comme la plus grave menace à la sécurité de sa province.

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Point satisfait par cette supplication, il envoya à Shiraz quelques-uns de ses hommes les plus sûrs, à qui il remit de nombreux présents pour le prince, espérant ainsi le décider à agir promptement. Dans un effort supplémentaire pour faire aboutir ses tentatives, il adressa plusieurs appels aux principaux 'ulamás et siyyids de Shiraz, appels dans lesquels il dénaturait manifestement les intentions de Vahíd, s'étendait sur ses activités subversives et les priait d'intercéder auprès du prince et de le supplier d'accélérer l'envoi de renforts.
Le prince accéda volontiers à leur requête. Il donna l'ordre à'Abdu'lláh Khán, le Shujá'u'l-Mulk, de se rendre aussitôt à Nayríz, accompagné des régiments Hamadáni et Silákhurí, à la tête desquels se trouvaient plusieurs officiers et qui étaient dotés d'une artillerie suffisante. Il ordonna en outre à son représentant à Nayríz de recruter tous les hommes physiquement aptes du district environnant, y compris les villages d'Istahbánát, d'Iraj, de Panj-Ma'ádin, de Qutrih, de Bashnih, de Dih-Cháh, de Mushkán et de Rastáq. A cela, il ajouta les membres de la tribu connue sous le nom de Vísbaklariyyih, à laquelle il donna l'ordre de rejoindre l'armée de Zaynu '1- 'Abidín Khán.
Une armée innombrable encercla soudain le fort dans lequel Vahíd et ses compagnons étaient assiégés, et commença à creuser des tranchées tout autour et à dresser des barricades le long de ces tranchées. (22.22) Dès que le travail fut achevé, elle ouvrit le feu sur les occupants du fort. Un boulet frappa le cheval sur lequel se tenait l'un des assistants de Vahíd, alors qu'il surveillait la porte. Un autre suivit aussitôt le premier et pénétra la tourelle qui se trouvait au-dessus de cette porte. Au cours de ce bombardement, l'un des compagnons, visant de son fusil l'officier en chef de l'artillerie, le tua instantanément, après quoi le grondement du canon cessa. Les assaillants se retirèrent et se cachèrent dans leurs tranchées. Cette nuit-là, ni les assiégés ni ceux qui les attaquaient n'osèrent sortir de leurs abris.
La deuxième nuit, cependant, Valíld appela Ghulám-Ridáy-iYazdí et lui ordonna de faire une sortie en compagnie de quatorze de ses camarades, afin de repousser l'ennemi. Ceux qui furent appelés à accomplir cette tâche étaient pour la plupart des hommes d'un âge avancé, que personne n'aurait crus capables de supporter la violence d'un tel combat. Parmi eux se trouvait un cordonnier qui, bien qu'âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, montra un enthousiasme et une vigueur tels qu'aucun jeune homme ne pourrait espérer le surpasser.

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Les treize autres étaient des hommes simples peu entraînés jusqu'alors à faire face aux périls et à endurer le rude effort qu'impliquait une telle sortie. L'âge, cependant, importait peu à ces héros qu'une volonté indomptable et une confiance immuable en la haute destinée de leur cause avaient complètement transformés. Leur chef leur ordonna de se séparer immédiatement après leur départ du fort et, lançant simultanément le cri d" 'Alláh-u-Akbar !" (22.23) de se ruer sur l'ennemi.
A peine le signal avait-il été donné qu'ils se levèrent et, se précipitant sur leurs montures et leurs fusils, franchirent la porte du fort. Point découragés par le feu qui jaillissait de la gueule des canons et par les boulets qui pleuvaient autour d'eux, ils plongèrent, tête baissée, au milieu de leurs adversaires. Cet engagement soudain ne dura pas moins de huit heures, durant lesquelles ce groupe intrépide fit preuve d'une telle habileté et d'une telle bravoure que les vétérans dans les rangs de l'ennemi en furent stupéfaits. De la ville de Nayríz, ainsi que des fortifications environnantes, les renforts se précipitèrent pour venir en aide à la petite compagnie qui avait si vaillamment tenu tête aux forces combinées de toute une armée. Comme le champ de bataille s'étendait, l'on entendit de tous côtés les voix des femmes de Nayríz, qui s'étaient ruées sur le toit de leur maison, acclamant l'héroïsme dont faisaient preuve, avec tant d'éclat, les combattants. Ces cris d'encouragement s'ajoutaient au bruit des canons, et les cris d' "Alláh-u-Akbar!" que lançaient les compagnons au milieu du tumulte, dans une frénésie d'excitation, ne firent qu'augmenter. Le vacarme causé par les femmes, leur surprenante audace et leur confiance démoralisèrent totalement leurs adversaires et paralysèrent leurs efforts. Le camp de l'ennemi apparut bientôt désolé et abandonné; il n'offrait plus qu'un triste spectacle lorsque les vainqueurs revinrent sur leurs pas pour rentrer au fort. Ils emportèrent avec eux, en plus de ceux qui étaient gravement blessés, pas moins de soixante morts parmi lesquels se trouvaient:
1. Ghulám-Ridáy-i-Yazdí (à ne pas confondre avec le capitaine des troupes qui portait le même nom),
2. Le frère de Ghulám-Ridáy-i-Yazdí,
3. 'Alí, fils de Khayru'lláh,
4. Khájíh Husayn-i-Qannád, fils de Khájih Ghaní,
5. Asghar fils de Mullá Mihdí,
6. Karbilá'í 'Abdu'l-Karím,

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7. Husayn, fils de Mashhadi Muhammad,
8. Zaynu'l-'Abidín, fils de Mashhadí Báqir-i-Sabbágh,
9. Mullá Ja'far-i-Mudhahhib,
10. 'Abdu'lláh, fils de Mullá Músá,
11. Muhammad, fils de Mashhadí Rajab-i-Haddád,
12. Karbilá'í Hasan, fils de Karbilá'í Shamsu'd-Dín-i-Malikí-Dúz,
13. Karbilá'í Mírzá Muhammad-i-Zári',
14. Karbilá'í Báqir-i-Kafsh-Dúz,
15. Mírzá Ahmad, fils de Mírzá Husayn-i-Káshí-Sáz,
16. Mullá Hasan, fils de Mullá 'Abdu'lláh,
17. Mashhadí Hájí Muhammad,
18. Abú-Tálib, fils de Mír Ahmad-i-Nukhud-Biríz,
19. Akbar, fils de Muhammad-i-'Ashúr,
20. Taqíy-i-Yazdí,
21. Mullá 'Alí, fils de Mullá Ja'far,
22. Karbilá'í Mírzá Husayn,
23. Husayn Khán, fils de Sharíf
24. Karbilá'í Qurbán,
25. Khájih Kázim, fils de Khájih 'Alí,
26. Aqá, fils de Hájí 'Alí,
27. Mírzá Nawrá, fils de Mírzá Mu 'íná.

Une défaite aussi complète persuada Zaynu'l-'Ábidín Khán et son état-major de la futilité de leurs efforts qui tendaient à obliger leurs adversaires à se soumettre lors d'un combat ouvert. (22.24) Comme dans le cas de l'armée du prince Mihdí-Qulí Mírzá, qui avait vainement tenté de vaincre loyalement ses adversaires sur le champ de bataille, la tromperie et la fraude se montrèrent finalement les uniques armes au moyen desquelles un peuple couard pouvait triompher d'un ennemi invincible. Par les artifices auxquels Zaynu'l-'Abidín Khán et son état-major eurent finalement recours, l'ennemi trahit son impuissance, malgré les grands moyens mis à sa disposition et le soutien moral que lui apportaient le gouverneur du Fárs et les habitants de toute la province, à vaincre ce qui ne constituait apparemment qu'une poignée de personnes méprisables et sans entraînement. Dans leur coeur, ils étaient convaincus que, derrière les murs de ce fort, se trouvait enfermé un groupe de volontaires qu'aucune force à leurs ordres ne pouvait affronter ni défaire.
En lançant le cri de paix, l'adversaire ne cherchait qu'à tromper, par fourberie, ces coeurs nobles et purs. Durant quelques jours, il suspendit toute forme d'hostilité, puis il adressa aux assiégés un appel solennel et écrit dans lequel il disait en substance:

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"Jusqu'ici, étant donné que nous ignorions le vrai caractère de votre foi, nous nous sommes laissés convaincre par les fauteurs de troubles que chacun d'entre vous avait violé les préceptes sacrés de l'islám. C'est pour cela que nous nous sommes levés contre vous et que nous nous sommes efforcés d'exterminer votre foi. Durant ces derniers jours, nous nous sommes aperçus que vos activités ne comportent aucun motif politique, qu'aucun de vous ne nourrit l'espoir de renverser les fondements de l'Etat. Nous avons été convaincus également du fait que vos enseignements ne comportent aucune grave déviation des enseignements fondamentaux de l'islám. Tout ce que vous semblez soutenir est l'affirmation qu'un homme est apparu, quelqu'un dont les paroles sont inspirées, dont le témoignage est sûr, et que tous les adeptes de l'islám doivent reconnaître et défendre. Nous ne pouvons, en aucune façon, être convaincus de la validité de cette revendication, à moins que vous ne consentiez à placer la plus grande confiance en notre sincérité et à accepter notre demande de permettre à quelques-uns de vos représentants de sortir du fort et de nous rencontrer dans ce camp où nous pourrions, en l'espace de quelques jours, vérifier le caractère de votre croyance. Si vous vous montrez capables de démontrer les véritables revendications de votre foi, nous aussi, nous embrasserons volontiers celle-ci, car nous ne sommes pas les ennemis de la vérité et aucun d'entre nous ne désire la rejeter. Votre chef, nous l'avons toujours reconnu comme l'un des défenseurs les plus capables de l'islám, et nous le considérons comme notre guide et notre exemple. Ce Qur'án, sur lequel nous apposons nos sceaux, est le témoignage de l'intégrité de notre but. Que ce Livre sacré décide si la revendication que vous avancez est vraie ou fausse. Que la malédiction de Dieu et de son Prophète nous frappe si nous essayons de vous tromper. Votre acceptation de l'invitation que nous vous adressons sauvera toute une armée de la destruction, alors que votre refus la livrera au doute et à l'indécision. Nous donnons notre parole que, dès que nous serons convaincus de l'authenticité de votre message, nous nous efforcerons de montrer le même zèle et le même dévouement que vous avez déjà manifestés d'une manière si frappante. Vos amis seront nos amis et vos ennemis, nos ennemis. Nous nous engageons à obéir à tout ce qu'ordonnera votre chef. D'autre part, si nous ne sommes pas convaincus de la véracité de votre revendication, nous promettons solennellement que nous n'empêcherons en aucun cas votre retour sain et sauf au fort, et reprendrons volontiers notre combat contre vous.

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Nous vous supplions de ne plus laisser le sang se répandre avant de tenter d'établir la vérité de votre cause."
Vahíd reçut le Qur'án avec un grand respect et le baisa pieusement. "Notre heure fixée a sonné, observa-t-il. Notre acceptation de l'invitation leur fera certainement comprendre la bassesse de leur tromperie." "Bien que je sois parfaitement au courant de leurs desseins", ajouta-t-il en se tournant vers ses compagnons, "je considère de mon devoir d'accepter leur appel et de saisir l'occasion de tenter une nouvelle fois d'exposer les vérités de ma foi bien-aimée." Il leur dit de continuer à accomplir leur tâche et de ne placer nulle confiance en ce que leurs adversaires pourraient déclarer croire. Il les exhorta en outre à suspendre toute forme d'hostilité jusqu'à nouvel ordre.
Là-dessus, il dit adieu à ses compagnons et, accompagné de cinq assistants parmi lesquels se trouvaient Mullá 'Alíy-i-Mudhahhib et le traître Hájí Siyyid 'Abid, partit pour le camp de l'ennemi. Zaynu'l'Àbidín Khán, suivi de Shujá'u'l-Mulk et de tous les membres de son état-major, sortit pour l'accueillir. Vahíd fut reçu avec cérémonie; il fut conduit sous une tente qu'on avait spécialement dressée à son intention, et on l'introduisit auprès du reste de la compagnie. Il s'assit sur une chaise alors que le reste du groupe, à l'exception de Zaynu'l-'Abidín Khán, de Shujá'u'l-Mulk et d'un autre officier, auxquels il fit signe de s'asseoir, resta debout devant lui. Les paroles que Vahíd leur adressa furent telles que même un homme au coeur de pierre n'aurait pu manquer d'en ressentir le pouvoir. Bahá'u'lláh, dans le "Súriy-i-Sabr", a immortalisé ce noble appel et en a révélé, dans sa plénitude, la signification. "Je suis venu à vous, déclara Vahíd, armé du témoignage que mon Seigneur m'a confié. Ne suis-je pas un descendant du Prophète de Dieu? Pourquoi vous êtes-vous levés pour me tuer? Pour quels motifs avez-vous prononce ma sentence de mort et refusé de reconnaître les droits incontestés que m'a conférés ma descendance?"
La majesté de son comportement, associée à son éloquence persuasive, confondit ses auditeurs. Durant trois jours et trois nuits, ils le servirent avec prodigalité et le traitèrent avec un respect marqué. Ils le suivirent avec constance dans leurs prières en commun et écoutèrent attentivement ses sermons. Bien qu'apparemment ils parussent se conformer à sa volonté, ils complotaient cependant en secret contre sa vie et conspiraient pour exterminer le reste de ses compagnons.

<P459>

Ils savaient parfaitement que, s'ils lui infligeaient le moindre mal alors que ses compagnons restaient retranchés derrière les murs de leur fort, ils s'exposeraient à un péril encore plus grand que celui qu'ils avaient déjà été obligés d'affronter. Ils tressaillaient en pensant à la furie et à la vengeance de leurs femmes, aussi bien qu'à la bravoure et à l'habileté de leurs hommes. Ils réalisaient que toutes les ressources de l'armée avaient été impuissantes à vaincre une poignée d'adolescents et de vieillards décrépits. Seul un stratagème hardi et bien conçu pouvait leur assurer la victoire finale. La peur qui envahit leurs coeurs était en grande partie inspirée par les paroles de Zaynu'l-'Ábidín Khán qui, avec une détermination inébranlable, cherchait à maintenir intacte la haine dont il leur avait enflammé le coeur. Les exhortations répétées de Vahíd avaient soulevé les appréhensions de ce dernier; il avait peur en effet que celui-ci ne réussît, par la magie de ses paroles, à les inciter à obéir désormais à un adversaire aussi éloquent.
Zaynu'l-'Abidín Khán et ses amis décidèrent finalement de demander à Vahíd d'adresser, de sa propre main, un message à ses compagnons qui se trouvaient encore dans le fort, les informant qu'un arrangement à l'amiable de leurs différends avait été conclu, et les priant de le rejoindre au quartier général de l'armée, ou de retourner chez eux. Bien que peu disposé à donner son consentement à une telle requête, Vahíd se vit finalement forcé de s'y soumettre. En complément à ce message, il informa secrètement ses compagnons, dans une seconde lettre, des desseins malveillants de l'ennemi, et les avertit de ne pas se laisser duper. Il confia les deux lettres à Hájí Siyyid 'Ábid, en le chargeant de détruire la première et de remettre la seconde à ses compagnons. Il 1e chargea en outre de les pousser à choisir les plus capables d'entre eux pour faire une sortie en pleine nuit et disperser les forces de l'ennemi.
A peine Hájí Siyyid 'Ábid eut-il reçu ces directives qu'il les communiqua traîtreusement à Zaynu'l-'Abidín Khán. Celui-ci chercha aussitôt à le décider à dire aux occupants du fort, et ce au nom de leur chef, de se disperser, promettant qu'il le récompenserait généreusement en retour. Le messager déloyal remit la première lettre aux compagnons de Vahíd et les informa que leur chef était parvenu à gagner à sa foi l'armée tout entière, et que du fait de cette conversion, il leur avait conseillé de rentrer chez eux.
Bien qu'il fussent extrêmement surpris par un tel message, les compagnons se sentirent incapables de négliger les voeux que Vahíd avaient si clairement exprimés.

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PHOTO: vue 1 du masjid-i-jámi` à Nayriz ou Vahíd s'adressa aux fidèles

PHOTO: vue 2 du masjid-i-jámi` à Nayriz ou Vahíd s'adressa aux fidèles

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Ils se dispersèrent à contre-coeur, laissant toutes les fortifications sans surveillance. Obéissant aux ordres écrits de leur chef, plusieurs d'entre eux se débarrassèrent de leurs armes et se dirigèrent vers Nayríz.
Zaynu'l-'Ábidín Khán, prévoyant l'évacuation immédiate du fort, envoya un détachement intercepter les croyants qui se rendaient à la ville. Ceux-ci se trouvèrent bientôt encerclés par une foule d'hommes armés que relevaient continuellement des renforts du quartier général de l'armée. Se voyant donc brusquement assiégés, ils décidèrent de repousser l'attaque de l'ennemi par tous les moyens en leur pouvoir et de gagner le Masjid-i-Jámi' aussi rapidement que possible. Quelques-uns à l'aide des épées et des fusils qu'ils portaient sur eux, d'autres uniquement au moyen de gourdins et de pierres, cherchèrent à se forcer un passage vers la ville. Le cri d' "Alláh-u'Akbar !" (22.25) se fit de nouveau entendre, plus fier et plus irrésistible que jamais. Quelques-uns des compagnons tombèrent martyrs au moment où ils se frayaient un chemin à travers les rangs de leurs perfides assaillants. Les autres, quoique blessés et harcelés par de nouveaux renforts qui les pressaient de tous côtés, réussirent finalement à trouver refuge dans le masjid.
Pendant ce temps, Mullá Hasan, fils de Mullá Muhammad-'Alí, officier dans l'armée de Zaynu'l-'Abidín Khán, réussissait, en compagnie de ses hommes, à devancer ses adversaires et, se cachant dans l'un des minarets de ce masjid, y demeura dans l'attente des fugitifs. Dès que le groupe éparpillé parvint à proximité de ce bâtiment, il ouvrit le feu sur lui. Un certain Mullá Husayn le reconnut et, en lançant le cri de "Alláh-u-Akbar!" grimpa sur le minaret, visa de son fusil ce lâche officier et le précipita à terre. Ses amis le transportèrent en un endroit où il put guérir de sa blessure.
Les compagnons, qui ne pouvaient plus trouver refuge dans le masjid, furent obligés de se cacher dans tous les lieux sûrs qu'ils pouvaient trouver, en attendant de s'assurer du sort de leur chef. La première idée qu'ils avaient eue après la trahison avait été d'aller auprès de lui et de se conformer aux instructions qu'il désirait leur donner. Ils n'avaient pu cependant savoir ce qui lui était advenu et tremblaient à l'idée qu'il pouvait avoir été exécuté.
Entre-temps, Zaynu'l-'Abidín Khán et son état-major, enhardis par la dispersion des compagnons, s'efforçaient de concevoir les moyens par lesquels ils pourraient passer outre aux obligations contenues dans leur serment solennel et procéder sans entraves à l'assassinat de leur principal adversaire.

<P462>

Ils s'efforcèrent, par un artifice spécieux, de ne pas tenir leurs promesses sacrées et de se hâter d'accomplir un désir longtemps nourri. Au milieu de leurs délibérations, 'Abbás-Qulí Khán, un homme connu pour sa cruauté et son caractère impitoyable, assura ses camarades que, si la pensée d'avoir pris part à ce serment les tracassait, il n'avait lui-même en aucune façon participé à cette déclaration, et qu'il était prêt à exécuter ce qu'ils estimaient être incapables d'accomplir. "Je puis arrêter à n'importe quel moment", s'écria-t-il dans un accès d'indignation, "et mettre à mort toute personne que j'estime coupable d'avoir violé les lois du pays." Il fit venir ensuite tous ceux dont les parents avaient péri et leur demanda d'exécuter la sentence de mort prononcée contre Vahíd. Le premier à se présenter fut Mullá Ridá dont le frère, Mullá Báqir, avait été fait prisonnier par le shaykhu'l-ishm de Bavánát; le suivant fut un certain Safar, dont le frère Sha'bán avait été tué; le troisième fut Aqá Khán, dont le père, 'Alí-Asghar Khán, frère aîné de Zaynu'l-`Ábidin Khán, avait subi le même sort.
Dans leur empressement à mettre à exécution la suggestion d"Abbás-Qulí Khán, ces hommes arrachèrent le turban de la tête de Vahíd, le nouèrent autour de son cou et, l'attachant à un cheval, le traînèrent ignominieusement à travers les rues. (22.26) Les indignités dont Vahíd fut accablé rappelèrent à ceux qui voyaient cet horrible spectacle la fin tragique de l'Imám Husayn, dont le corps avait été abandonné à la merci d'un ennemi en furie et qu'une foule de cavaliers avait piétiné sans pitié. Les femmes de Nayríz, excitées au plus haut degré par les cris de triomphe que lançait un ennemi sanguinaire, affluèrent de tous côtés autour du corps et, accompagnées par les tambours et les cymbales, donnèrent libre cours à leurs sentiments de fanatisme effréné. Elles dansèrent joyeusement autour de lui, méprisant les paroles que Vahíd avait prononcées en pleine agonie, paroles que l'Imám Husayn avait dites avant lui et dans des circonstances similaires: "Tu sais, ô mon Bien-Aimé, que j'ai délaissé ce monde par amour pour toi et que j'ai placé ma confiance en toi seul. Je suis impatient de venir à toi, car la beauté de ta face a été dévoilée à mes yeux. Tu es témoin des vils desseins que mon misérable persécuteur nourrit à mon égard. Non, jamais je ne me soumettrai à ses voeux et ne lui prêterai serment de fidélité." Ainsi fut-il mis fin à une vie noble et héroïque. Une carrière aussi brillante et aussi fertile en événements, caractérisée par un si vaste savoir, (22.27) un courage aussi indomptable et un esprit d'abnégation aussi rare nécessitait sûrement, pour l'auréoler, une mort aussi glorieuse que celle qui acheva son martyre. (22.28)

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La fin de cette vie fut le signal d'un assaut féroce contre la vie et les biens de ceux qui s'étaient identifiés à cette foi. Pas moins de cinq mille hommes furent chargés d'accomplir cette vile mission. Les hommes furent saisis, enchaînés, maltraités et, finalement, massacrés. Les femmes et les enfants furent capturés et soumis à des brutalités qu'aucune plume ne saurait décrire. Leurs biens furent confisqués et leurs maisons détruites. Le fort de Khájih fut complètement incendié. La plupart des hommes furent d'abord emmenés enchaînés à Shiraz afin d'y subir, pour la plupart, une mort cruelle. (22.29) Ceux que Zaynu'l-'Abidín Khán avait envoyés, pour des raisons d'intérêts personnels, dans des cachots souterrains et obscurs furent remis, une fois l'objectif du tyran atteint, aux mains de ses myrmidons qui perpétrèrent sur eux des actes d'une indicible cruauté. (22.30) On les promena d'abord à travers les rues de Nayriz, après quoi ils furent soumis à un traitement atroce dans l'espoir de tirer d'eux tous les avantages matériels que leurs persécuteurs n'avaient pu jusque-là obtenir. Ceux-ci, après avoir satisfait leur cupidité, réservaient alors, à chacune de leurs victimes, une mort atroce. Tous les moyens de torture que leurs bourreaux pouvaient imaginer furent employés pour étancher leur soif de vengeance. On les marqua au fer, on leur arracha les ongles, on leur fouetta le corps, on leur fit un trou dans le nez à travers lequel on fit passer une petite corde et l'on traîna chacun d'eux, dans cet état pitoyable, à travers les rues, en faisant un objet de mépris et de dérision pour la populace.
Parmi les victimes, il y eut un certain Siyyid Ja'far-i-Yazdí, qui avait exercé auparavant une immense influence et avait été tenu en grande estime par le peuple. Le respect que l'on avait pour lui était si grand que Zaynu'l-'Abidín Khán lui donnait la priorité sur lui-même et le traitait avec une déférence et une courtoisie extrêmes. Cependant, il donna l'ordre de piétiner et de jeter au feu son turban. Dépourvu de l'emblème de sa descendance, le pauvre homme fut exposé aux yeux du public qui marchait devant lui et l'accablait d'injures et de ridicule. (22.31)
Une autre victime de leur tyrannie s'appelait Hájí Muhammad Taqí, qui avait joui auparavant d'une telle réputation d'honnêteté et de justice que les juges de la Cour considéraient toujours son opinion comme le mot décisif de leur jugement. Un homme aussi grand et aussi estimé fut, au coeur de l'hiver, déshabillé, jeté dans un bassin et sévèrement fouetté. Siyyid Ja'far et Shaykh 'Abdu'l-'Alí, qui était le beau-père de Vahíd et le théologien le plus éminent de Nayríz ainsi que juge de grande renommée, durent, en compagnie de Siyyid Husayn, l'un des notables de la ville, subir le même sort que les précédents.

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PHOTO: lieu où se déroulèrent les martyres à Nayríz

PHOTO: tombes des martyres de Nayríz

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Alors qu'ils étaient exposés au froid, le rebut de la population fut invité à accabler d'abominables cruautés leurs corps frissonnants. Beaucoup de ces pauvres hommes qui se hâtèrent d'aller recevoir la récompense promise pour cette vile tâche, se révoltèrent lorsqu'on les informa de la nature de l'acte qu'ils devaient accomplir et, refusant l'argent, se détournèrent avec dégoût et mépris. (22.32)

PHOTO: tombeau de Vahíd à Nayríz

Le jour où eut lieu le martyre de Vahíd était le 18 sha'bán de l'an 1266 après l'hégire. (22.33) Dix jours plus tard, le Báb était fusillé à Tabríz.

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NOTE DU CHAPITRE 22:

(22.1) Lorsqu'après quelque temps, écrit Mírzá Jání, j'eus de nouveau l'honneur de rencontrer Aqá Siyyid Yahyá à Tihrán, je remarquai sur cet auguste visage les signes d'une gloire et d'un pouvoir que je n'avais pas notés ni durant mon premier voyage avec lui à la capitale, ni lors d'autres rencontres, et je sus que ces signes annonçaient l'imminence de son départ de ce monde.
Par la suite, plusieurs fois au cours de la conversation, il prononça ces paroles: "C'est mon dernier voyage et, désormais, vous ne me verrez plus"; et il exprimait souvent, soit explicitement, soit implicitement, cette même pensée. Quelquefois, lorsque nous étions ensemble et que la conversation prenait une tournure adéquate, il remarquait: "Les saints de Dieu sont capables de prédire les événements futurs, et je jure, par ce Bien-Aimé dans le pouvoir de qui gît mon âme, que je sais et que je pourrais dire où et comment je serai tué et qui me tuera. Et comme il est glorieux et béni que mon sang soit versé pour l'exaltation de la parole de vérité! "(Le "Táríkh-i-Jadíd", p. 115.)

(22.2) 1850 ap. J-C.

(22.3) Son ardeur l'entraînait, et, rempli de l'amour de Dieu, il voulut faire connaître à la Perse tout entière la gloire et la joie de l'unique et éternelle Vérité. "Aimer et cacher son secret est chose impossible», a dit le poète: aussi notre Siyyid se mit-il à prêcher ouvertement, dans les mosquées, dans les rues, dans les bazars, sur les places publiques, enfin partout où il rencontrait des auditeurs. Un tel enthousiasme porta ses fruits, et les conversions vinrent à lui, nombreuses et désintéressées: les mullás s'émurent et dénoncèrent violemment le sacrilège au Gouverneur de la ville." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 390.)

(22.4) Il s'appelait Aqá Khán.

(22.5) Voir glossaire.

(22.6) L'Imám Husayn.

(22.7) Le 10 muharram, jour où eut lieu le martyre de l'Imám Husayn.

(22.8) Dieu est le Plus Grand".

(22.9) 10 mai 1850 ap. J-C.

(22.10) "Lorsqu'on l'eut attaché le dos vers le canon, il dit: «Attachez-moi, je vous en prie, le visage tourné vers le canon, pour que je puisse le voir en feu." Les artilleurs et ceux qui se tenaient à côté comme spectateurs furent tous étonnés par son sang-froid et son entrain et, de fait, celui qui peut être joyeux dans pareille situation doit forcément avoir une grande foi et une grande force d'âme. (Le "Táríkh-i-Jadíd", p. 117.)

(22.11) "Áqá Khán, quand il eut constaté la disparition du rebelle, poussa un soupir de soulagement. Il jugea d'ailleurs que la poursuite des fugitifs pouvait offrir quelques dangers et qu'il était infiniment plus pratique, plus salutaire, plus profitable et moins dangereux de torturer - à la condition qu'ils fussent riches - les Bábís ou soi-disant tels qui restaient dans la ville. Il fit donc rechercher les plus opulents, les fit mettre à mort et confisqua leurs biens, vengeant ainsi la religion outragée, ce qui peut-être lui importait peu, mais remplissant ainsi ses coffres, ce qui lui plaisait infiniment." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 391.)

(22.12) Voir glossaire.

(22.13) Voir glossaire.

(22.14) "Les Nayrízís accueillirent Siyyid Yahyá avec le plus grand enthousiasme; il n'y avait pas deux jours qu'il était arrivé qu'une foule de gens venaient le voir de nuit, par crainte du Gouvernement, dit le Fárs-Námih, et se mirent à sa disposition en haine de l'autorité. D'autres, fort nombreux, et habitant plus particulièrement le quartier du Chinár-Súkhtih, se convertirent en masse.
Ceci en entraîna d'autres et bientôt les Bábís comptèrent dans leurs rangs les tullábs de ChinárSúkhtih qui étaient environ une centaine, leur chef Hájí Shaykh 'Abdu'l-'Ali- père de la femme de Siyyid Yahyá -, feu Ákhùnd Mullá 'Abdu'l-Husayn, homme fort âgé et versé dans les lettres religieuses, Ákhúnd Mullá Báqir, pish-namáz du quartier, Mullá Ah Katib, un autre Mullá Alí avec ses quatre frères, et le kad-khudá, et des Rísh-Safíd, et des gens du quartier, dit Bázár, tels que feu Mashhadí Mírzá Husayn surnommé Qutb, avec toute sa famille et ses parents, feu Mírzá Abu'l-Qásim qui était neveu du Gouverneur, feu Hájí Muhammad-Taqí, surnommé Ayyúb et son gendre, Mírzá Husayn et bien d'autres du quartier des Sádáts [Siyyids], et le fils de Mírzá Nawrá, et Mírzá 'Alí-Ridá, fils de Mírzá Husayn, et le fils de Hájí Alí, etc., etc. Tous se convertirent, les uns de nuit et en tremblant, les autres sans peur et en plein jour." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 393.)

(22.15) Voir glossaire.

(22.16) 27 mai 1850 ap. J-C.

(22.17) "Il monta sur la chaire et s'écria: «Ne suis-je donc pas celui que vous avez toujours considéré comme votre pasteur et votre guide? N'est-ce pas sur mon avis et sur mes ordres que vous dirigiez vos consciences dans la voie du salut? Ne suis-je pas celui dont vous avez toujours écouté la parole et les conseils? Que s'est-il donc passé que vous me traitiez aujourd'hui en ennemi de votre religion et de vous-mêmes? Quelle chose licite ai-je défendue? Quelle chose défendue ai-je permise? Quelle impiété ai-je commise? Dans quelle erreur vous ai-je engagés? Et voilà que parce que j'ai dit la vérité, que parce que loyalement j'ai cherché à vous instruire, on m'opprime et on me torture! Mon coeur brûle d'amour pour vous, et vous me martyrisez. Souvenez-vous, souvenez-vous bien que quiconque me contriste, contriste mon aïeul, Muhammad le radieux Prophète, et quiconque me vient en aide vient à son secours. Au nom de tout ce que vous avez de plus sacré, quiconque aime le Prophète me suive!" (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 395.)

(22.18) Voir glossaire.

(22.19) Voir glossaire.

(22.20) Voir glossaire.

(22.21) Voir glossaire.

(22.22) "L'auteur du Násikhu't-Taváríkh constate sans la moindre mélancolie que les troupes impériales étaient mal exercées et fort peu désireuses de se battre: aussi, ne songeant pas une seconde à donner l'assaut, elle établirent un camp qu'elles se hâtèrent de fortifier le plus possible." (A.L.M. Nicohas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 401.)

(22.23) Voir glossaire.

(22.24) «Quoique les pertes fussent à peu près égales cette fois, les troupes impériales n'en avaient pas moins fort peur: les choses traînaient en longueur, et pouvaient au surplus tourner à la confusion des musulmans. Ceux-ci résolurent donc d'user de ruse." (A.L.M. Nicohas: "Siyyid AlíMuhammad dit le Báb", p. 403.)

(22.25) Voir glossaire.

(22.26) "Il s'empara de la ceinture verte de Yahyá, symbole de sa descendance sacrée, la lui noua autour du cou par un noeud et se prit à le traîner par terre. Puis vint Safar, dont le frère Sha'bán était tombé victime de la guerre, puis Aqá Ján, fils de 'Alí-Asghar Khán, frère de Zaynu'h-'Ábidín Khán. Et les musulmans, excités par ce spectacle, lapidèrent le malheureux et l'achevèrent à coups de bâton. On lui coupa alors la tête, on en arracha la peau qu'on remplit de paille et l'on envoya ce trophée à Shíráz." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 406.)

(22.27) D'après le témoignage d' 'Abdu'l-Bahá, il connaissait par coeur pas moins de trente mille traditions. (Manuscrit intitulé "Martyrs bahá'ís".)

(22.28) Bahá'u'lláh parle de lui comme de "cette unique et incomparable figure de son temps". (Le "Kitáb-i-Iqán", p. 188.) Le Báb, faisant allusion à lui dans le "Dahá'il-i-Sab'ih, dit: "Vois encore le nombre du nom de Dieu (Siyyid Yahyá). Cet homme vivait tranquille et pur au point que personne, ami ou ennemi ne nie ses talents et sa sainteté; tous admirèrent sa grandeur dans les sciences et la hauteur à laquelle il s'était élevé dans la philosophie. Reporte-toi au commentaire de la Súratu'h-Kawthar (Qur'án: S. 108) et aux autres traités qui ont été écrits pour lui et qui prouvent l'élévation du rang qu'il occupe près de Dieu!" ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, pp. 54-5.)

(22.29) "Siyyid Yahyá fut étranglé au moyen de sa propre ceinture par une personne dont les deux frères avaient été tués durant le siège, et les autres Bábís furent tués de la même manière par les mains du bourreau. Les têtes des victimes furent remplies de paille et l'armée victorieuse, emportant avec elle ces trophées macabres signes de sa prouesse, ainsi que quelque quarante ou cinquante femmes Bábíes et un enfant en bas âge comme captifs, retourna à Shíráz.
Son entrée dans cette ville donna lieu à des réjouissances générales; les prisonniers furent promenés à travers les rues et les bazars et finalement amenés devant le prince Fírúz Mírzá, qui festoyait dans une résidence d'été appelée Kuháh-i-Farangí. En sa présence, Mihr-'Alí Khán, Mírzá Na'ím, et les autres officiers relatèrent les détails de leur victoire, et reçurent des félicitations et des marques de faveur.
Les femmes captives furent finalement emprisonnées dans un vieux caravansérail à l'extérieur de la porte d'Isfáhán. Quant au traitement que leur réservèrent les ravisseurs, on nous le laisse imaginer.» (A Travehler's Narrative", Note H, p. 190.) «C'était un jour de fête, ce jour-là, raconte un témoin oculaire. Les habitants s'étaient répandus dans les campagnes avoisinantes, apportant leur repas et beaucoup d'entre eux buvant, à la dérobée, de pleines bouteilles de vin. L'air retentissait des sons de musique, des chants des musiciennes, des cris et des rires des filles publiques: le bazar était pavoisé, la joie éclatait partout. Soudain ce fut un grand silence.
Le peuple venait d'apercevoir trente-deux chameaux, chargés, chacun d'un malheureux prisonnier, d'une femme ou d'un enfant, ficelés et jetés en travers de la selle comme un paquet. Tout autour, des soldats portaient de longues lances au bout desquelles étaient fichées les têtes des Bábís tués à Nayríz. La hideur du spectacle saisit violemment la mobile population de Shíráz, et chacun rentra tristement chez soi. L'horrible caravane traversa les bazars et parvint jusqu'au palais du Gouverneur. Celui-ci se trouvait dans son jardin et avait réuni dans son kiosque, surnommé Kuláh-i-Farangí, tout ce que Shíráz comptait d'hommes riches ou éminents. La musique se tut d'elle-même, les danseurs s'arrêtèrent et Muhammad-'Alí_Khán ainsi que Mírzá Na'im, deux petits chefs de tribu qui avaient pris part àla campagne, vinrent raconter leurs hauts faits et nommer les prisonniers un à un." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ah-Muhammad dit le Báb", p. 407.)

(22.30) "Il semble, hélas! que tout ce sang répandu eût dû suffire à apaiser la haine et la cupidité des musulmans; il n'en fut rien. Mírzá Zaynu'l-'Ábidín_Khán, se sentant menacé par le désir de vengeance des gens qu'il avait trompés et vaincus, ne laissa ni trêve ni repos aux survivants de la secte: sa haine s'était déchaînée, elle ne devait finir qu'avec sa vie. C'était, en effet, les pauvres diables qu'on avait envoyés à Shíráz, les riches avaient été retenus.
Zaynu'h-'Ábidín Khán les confia à un individu chargé de les promener en les bâtonnant à travers la ville. On s'amusait à Nayríz, en ce moment-là. On pendait les Bábís à quatre clous, et chacun venait se repaître de l'angoisse du malheureux supplicié, on leur mettait des roseaux enflammés sous les ongles, on les brûlait au fer rouge, on les privait d'eau et de pain, on leur faisait un trou dans le nez, on y introduisait une ficelle et on les promenait ainsi comme des ours." (Ibid., p. 408.)

(22.31) "Áqá Siyyid Ja'far-i-Yazdí vit les bourreaux lui brûler son turban, puis le promener lui-même de porte en porte en réclamant de l'argent aux propriétaires." (A.L.M. Nicolas: «Siyyid 'Alí Muhammad dit le Báb", p. 408.)

(22.32) "Aqá Siyyid Abú-Tálib, qui était fort riche, fut chargé de chaînes, envoyé par le Gouverneur de Nayríz à Ma'dan et là empoisonné par Hájí Mírzá Nasír, le même qui à Shíráz avait ordonné au Báb de baiser la main de Shaykh Abú-Turáb. Deux femmes Bábíes, avant d'être faites prisonnières, se jetèrent dans un puits et se tuèrent. Quelques Bábís, désireux de se venger de Mírzá Zaynu'l-'Ábidín Khán, se dirigèrent sur Tihrán pour aller se plaindre à S.M. des atrocités qui avaient été commises.
Ils étaient arrivés jusqu'à deux ou trois stations de la capitale et se reposaient des fatigues du voyage quand une caravane de Shírází vint à passer qui les reconnurent, les arrêtèrent tous, sauf un certain Zaynu'l-'Ábidín qui put parvenir à Tihrán. On conduisit les autres à Shíráz où le prince les fit exécuter aussitôt. Là moururent Karbilá'i Abu'l-Hasan, faïencier, Aqá Shaykh Hádí, oncle de la femme de Vahíd, Mírzá Alí et Abu'l-Qásim-ibn-i-Hájí-Zayná, Akbar-ibn-i-'Ábid, Mírzá Hasan et son frère Mírzá Bábá." (ibid., pp. 408-9.)

(22.33) 29 juin 1850 ap. J.-C.


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CHAPITRE XXIII : le martyre du Bab

LE récit de la tragédie qui marqua la phase finale du soulèvement de Nayríz se répandit à travers la Perse et suscita un étonnant enthousiasme dans le coeur de ceux qui l'entendirent. Il plongea les autorités de la capitale dans la consternation et les renforça dans leur ultime résolution. L'amír-nizám, le Grand vazir de Násiri'd-Din Sháh, était particulièrement hanté par ces manifestations répétées d'une volonté indomptable, d'une fermeté de foi farouche et inflexible. Bien que les forces de l'armée impériale eussent partout triomphé, bien que les compagnons de Mulláh Husayn et de Vahíd aient été successivement abattus dans un carnage impitoyable par les mains de ses officiers, pour les esprits rusés des dirigeants de Tihrán, cependant, il était clair et évident que l'esprit responsable d'un héroïsme aussi rare n'avait en aucune façon disparu, que son pouvoir était loin d'être anéanti.

PHOTO: mirza Taqí Khan, l'Amir-nizám

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La loyauté que les survivants du groupe éparpillé portaient à leur chef prisonnier restait encore inaltérée. Rien n'avait jusqu'alors réussi, malgré les pertes terrifiantes qu'ils avaient subies, à saper cette loyauté ou à miner cette foi. Loin d'être éteint, cet esprit était devenu plus intense et plus dévastateur que jamais. Blessé par le souvenir des indignités dont il avait été l'objet, ce groupe persécuté s'attachait plus passionnément que jamais à sa foi et dirigeait son attention, avec une ferveur et un espoir toujours croissants, vers son chef. (23.1) Et puis surtout, celui qui avait allumé cette flamme et nourri cet esprit était encore en vie et, malgré son isolement, il pouvait encore exercer pleinement son influence. Même une vigilance toujours en éveil n'avait pu endiguer la marée qui déferlait sur le pays tout entier et qui avait pour force animatrice l'existence prolongée du Báb. Eteindre cette lumière, arrêter le courant à sa source même, et le torrent qui avait causé tant de dévastation s'assècherait de lui-même. Ainsi pensait le Grand vazír de Násiri'd-Dín Sháh. Oter la vie au Báb semblait à ce ministre insensé le moyen le plus efficace de relever son pays de la honte dans laquelle, pensait-il, il avait sombré. (23.2)
Pressé d'agir, il convoqua ses conseillers, leur fit part de ses craintes et de ses espoirs, et les mit au courant de ses plans. "Voyez, s'exclama-t-il, l'orage que la foi du Siyyid-i-Báb a provoqué chez mes compatriotes! Seule, à mon avis, son exécution publique permettra à ce pays divisé de recouvrer sa tranquillité et sa 'paix. Qui oserait estimer les forces qui ont péri au cours des engagements de Shaykh Tabarsí? Qui peut évaluer les efforts fournis pour assurer cette victoire? A peine l'agitation qui déchirait le Mázindarán était-elle terminée que les flammes d'une autre sédition apparaissaient dans la province du Fárs, causant tant de souffrances à mon peuple. Nous avions à peine réussi à mâter la révolte qui avait ravagé le Sud, qu'une autre insurrection éclatait dans le Nord, balayant dans son tourbillon Zanján et ses environs. Si vous pouvez me conseiller un remède, faites-le, car mon unique but est d'assurer à mes citoyens la paix et l'honneur.
Pas une seule voix, à part celle de Mírzá Aqá Khán-i-Núri, le ministre de la Guerre, n'osa s'élever; celui-ci fit valoir que mettre à mort un siyyid exilé pour les actes commis par une bande d'agitateurs irresponsables serait un acte de cruauté manifeste . Il rappela l'exemple de feu Muhammad Sháh, qui avait l'habitude de dédaigner les viles calomnies que les ennemis de ce siyyid lui rapportaient continuellement.

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PHOTO: la chapelle et la chevalière du Báb

PHOTO: qur`án ayant appartenu au Báb

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L'amír-nizám fut fort irrité. "De telles considérations, protesta-t-il, n'ont rien à voir ave le problème auquel nous sommes confrontés. Les intérêts de l'Etat sont en danger et nous ne pouvons en aucun cas tolérer ces soulèvements périodiques. L 'Imám Husayn ne fut-il pas, dans le but essentiel de sauvegarder l'unité de l'Etat, exécuté par ces mêmes personnes qui l'avaient vu plus d'une fois être l'objet d'une affection exceptionnelle de la part de Muhammad, son grand-père? N'a-t-on pas, en de telles circonstances, refusé de considérer les droits que lui conférait son lignage? Seul le remède que je préconise peut déraciner ce mal et nous apporter la paix à laquelle nous aspirons."
Dédaignant l'avis de son conseiller, l'amír-niám envoya a Navváb Hamzih Mírzá, le gouverneur d'Ádhirbáyján, qui se distinguait des autres princes de sang royal par sa bonté et la rectitude de sa conduite, l'ordre de convoquer le Báb à Tabríz. (23.3) Il prit soin de ne pas divulguer au prince son véritable but. Le navváb, croyant que l'intention du ministre était de permettre à son prisonnier de regagner sa maison, chargea aussitôt l'un de ses officiers les plus sûrs de se rendre, en compagnie d'une escorte montée à Chihriq où le Báb était encore prisonnier, et de le ramener à Tabríz. Il le recommanda à leurs soins et les pria de faire preuve envers lui de la plus grande considération.
Quarante jours avant l'arrivée de cet officier à Chihriq, le Báb réunit tous les documents et les tablettes en sa possession, les plaça avec son plumier, ses sceaux et ses bagues d'agate, dans un coffret qu'il confia aux soins de Mullá Báqir, l'une des Lettres du Vivant. C'est à ce dernier qu'il remit également une lettre adressée à Mírzá Ahmad, son secrétaire, dans laquelle il inséra la clef de ce coffret. Il le pria de prendre le plus grand soin de ce dépôt, en souligna le caractère sacré, et pria Mullá Báqir d'en cacher à tous le contenu sauf à Mírzá Ahmad.
Mullá Báqir partit aussitôt pour Qazvin. Dix-huit jours plus tard, il atteignit cette ville et apprit que Mírzá Ahmad était parti pour Qum. Il quitta aussitôt la ville pour cette destination où il arriva vers le milieu du mois de shá'bán. (23.4) Je me trouvais alors à Qum en compagnie d'un certain Sádiq-i-Tabríz, que Mírzá Ahmad avait envoyé de Zarand pour me chercher. J'habitais la même maison que Mírzá Ahmad, une maison qu'il avait louée dans le quartier de Bágh-Panbih.

<P473>

En ce temps-là, Shaykh 'Azím, Siyyid Ismá'íl et quelques autres compagnons demeuraient avec nous dans cette maison. Mullá Báqir remit le dépôt entre les mains de Mírzá Ahmad qui, sur l'insistance de Shaykh 'Azím, l'ouvrit devant nous. Nous nous émerveillâmes de voir, parmi les choses que contenait ce coffre, un parchemin en papier bleu, d'une texture des plus fines, sur lequel le Báb avait, de sa propre écriture dans le style d'un fin shikastih, écrit sous forme d'un pentacle quelque cinq cents versets constitués de dérivés du mot "Bahá" (23.5) Ce parchemin était parfaitement conservé, absolument immaculé, et donnait l'impression, de prime abord, d'être une page imprimée plutôt qu'écrite. L'écriture était si fine et si enchevêtrée que, vu de loin, le texte apparaissait comme une seule tache d'encre sur le papier. Nous débordions d'admiration devant un chef-d'oeuvre qu'aucun calligraphe, croyions-nous, ne pouvait égaler. Ce parchemin fut replacé dans le coffret et remis à Mírzá Ahmad qui, le jour même où il le reçut, partit pour Tihrán. Avant de s'en aller, il nous informa que tout ce qu'il pouvait divulguer de cette lettre était l'injonction qu'elle contenait, selon laquelle le dépôt devait être remis aux mains de Jináb-i-Bahá (23.6) à Tihrán. (23.7)Quant à moi, je reçus de Mírzá Ahmad l'ordre de me rendre à Zarand et de rejoindre mon père, qui attendait avec anxiété mon retour.
Fidèle aux instructions qu'il avait reçues de Navváb Hamzih Mírzá, cet officier conduisit le Báb à Tabríz et fit preuve envers lui d'un respect et d'une considération extrêmes. Le prince avait chargé l'un de ses amis de loger chez lui le Báb et de le traiter avec une parfaite déférence. Trois jours après l'arrivée du Báb, parvint un nouvel ordre du Grand vazir selon lequel le prince devait procéder, le jour même de l'arrivée du farmán, (23.8) à l'exécution de son prisonnier. Toute personne qui se prétendait son disciple devait également être condamnée à mort. Le régiment arménien d'Urúmíyyih, dont le colonel avait pour nom Sám Khán, reçut l'ordre de fusiller le Báb dans la cour de la caserne de Tabríz, qui était située au centre de la ville.
Le prince exprima sa consternation au porteur du farmán, Mírzá Hasan Khán, le vazír-nizám et frère du Grand vazír. "L'amír, lui dit-il, ferait mieux de me confier des services d'un plus grand mérite que celui dont il vient de me charger. La tâche que je suis appelé à réaliser est une tâche que seuls des gens ignobles accepteraient. Je ne suis ni Ibn-i-Zíyád ni Ibn-i-Sa'd (23.9) pour qu'il fasse appel à moi pour exécuter un descendant du Prophète de Dieu aussi innocent que cet homme." Mírzá Hasan Khán rapporta ces dires du prince à son frère; celui-ci lui ordonna alors de suivre lui-même, sans délai et dans leur totalité, les instructions qu'il avait déjà données.

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"Libère-nous, supplia le vazír, de cette anxiété qui pèse lourdement sur nos coeurs et mets un terme à cette affaire avant que le mois de ramadán ait commencé, afin que nous puissions entrer dans la période du jeûne avec une tranquillité absolue." Mírzá Hasan Khán essaya de mettre le prince au courant de ces nouvelles instructions, mais il échoua dans ses efforts, car le prince refusa de le rencontrer, prétextant la maladie. Point découragé par ce refus, Mírzá Hasan Khán donna des instructions pour qu'on transférât aussitôt le Báb et ceux qui se trouvaient en sa compagnie, de la maison où ils se trouvaient à l'une des chambres de la caserne. Il chargea en outre Sám Khán d'envoyer dix de ses hommes garder l'entrée de la chambre où le Báb devait être emprisonné.
Privé de son turban et de sa ceinture, les deux emblèmes de sa noble descendance, le Báb ainsi que Siyyid Husayn, son secrétaire, furent conduits vers une nouvelle prison qui, comme il le savait parfaitement, ne constituait qu'un pas en avant sur le chemin qui allait le mener vers le but qu'il s'était assigné. Ce jour-là vit Tabríz en proie à une formidable agitation. La grande convulsion associée, dans l'esprit des habitants de cette ville, au jour du Jugement, semblait enfin les frapper. Jamais cette ville n'avait connu un tumulte aussi farouche et aussi mystérieux que celui qui s'empara de ses habitants le jour où le Báb fut emmené là où devait avoir lieu son martyre. Comme il approchait de la cour de la caserne, un jeune homme qui, dans son impatience à rattraper le Báb s'était forcé un passage à travers la foule, négligeant totalement les risques et les périls que pouvait comporter une telle tentative, s'élança soudain vers lui. Ses yeux
étaient hagards, ses pieds nus et ses cheveux en désordre. A bout de souffle et épuisé par la fatigue, il se jeta aux pieds du Báb et, saisissant le pan de son vêtement, l'implora passionnément en ces termes:
"Ne me renvoie pas, ô mon maître! Laisse-moi te suivre partout où tu vas." "Muhammad 'Alí, répondit le Báb, lève-toi, et sois certain que tu seras avec moi. (23.10) Demain, tu témoigneras de ce que Dieu a décrété." Deux autres compagnons, incapables de se contenir, se ruèrent en avant et l'assurèrent de leur immuable loyauté. Ceux-ci, ainsi que Mírzá Muhammad-'Alíy-i-Zunúzi, furent faits prisonniers et placés dans la même cellule que le Báb et Siyyid Husayn.
J'ai entendu Siyyid Husayn confirmer ce qui suit: "Cette nuit-là, le visage du Báb rayonnait de joie, une joie qu'on n'avait jamais vue jusqu'alors sur son visage.

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Indifférent à la tempête qui faisait rage autour de lui, il conversait avec nous avec gaieté et entrain. Les soucis qui l'avaient tant accablé semblaient s'être totalement évanouis. Leur poids paraissait s'être réduit à néant devant l'idée de la victoire imminente. "Demain, nous dit-il, sera le jour de mon martyre. Oh! Si quelqu'un parmi vous pouvait se lever maintenant et, de ses propres mains, mettre fin à ma vie! Je préfère être tué par la main d'un ami que par celle d'un ennemi." Les larmes coulèrent de nos yeux lorsque nous l'entendîmes exprimer ce désir. Nous reculions cependant devant l'idée de supprimer de nos propres mains une vie si précieuse. Nous refusâmes, et gardâmes le silence. Mírzá Muhammad'Alí se leva d'un bond et se déclara prêt à Réaliser tout ce que pourrait désirer le Báb. "Ce même jeune homme qui s'est levé pour se conformer à mon voeu", déclara le Báb dès que nous intervînmes pour le forcer à renoncer à cette idée, "subira avec moi le martyre. C'est lui que je choisirai pour en partager la couronne.
Tôt le matin, Mírzá Hasan Khán donna l'ordre à son farrásh-báshí (23.11) d'emmener le Báb auprès des principaux mujtahids de la ville pour obtenir d'eux l'autorisation requise pour son exécution. (23.12) Au moment où le Báb quittait la caserne, Siyyid Husayn lui demanda ce qu'il devait faire. "Ne confesse pas ta foi", lui conseilla-t-il. "Tu pourras ainsi, une fois l'heure venue, communiquer à ceux qui sont destinés à t'entendre les choses que toi seul connais." Le Báb était en train de mener une conversation confidentielle avec lui lorsque le farrásh-báshí les interrompit soudain et, prenant Siyyid Husayn par la main, l'éloigna du Báb et le blâma sévèrement. "Aucune force terrestre ne peut me faire taire", fut l'avertissement du Báb au farrásh-báshi, "avant que je lui aie dit tout ce que je désire lui dire. Même si le monde entier s'armait contre moi, il serait encore impuissant à m'empêcher d'accomplir, jusqu'à la dernière parole, mon intention." Le farrásh-báshí fut ahuri devant une affirmation aussi hardie. Il ne répondit pas cependant et ordonna à Siyyid Husayn de se lever pour le suivre.
Lorsque Mírzá Muhammad-'Alí fut introduit auprès des mujtahids, ceux-ci le prièrent à plusieurs reprises, étant donné la position qu'occupait son beau-père, Siyyid 'Alíy-i-Zunúzí, de rejeter sa foi. "Jamais, s'exclama-t-il, je ne renoncerai à mon maître. Il est l'essence de ma foi et l'objet de ma véritable adoration. En lui j'ai trouvé mon paradis et, dans le respect de sa loi, je reconnais l'arche de mon salut." "Tais-toi" cria d'une voix tonnante Mutlá Muhammad-i-Mámáqání, devant qui fut amené ce jeune homme.

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"De telles paroles trahissent la folie; je puis parfaitement t'excuser pour des paroles dont tu n'es pas responsable." "Je ne suis pas fou, rétorqua-t-il. Une telle accusation devrait plutôt être portée contre vous, qui avez condamné à mort un homme aussi saint que le Qá'im promis. Celui qui a embrassé sa foi et désire ardemment verser son sang dans son sentier n'est pas un insensé."
Le Báb fut, à son tour, amené devant Mullá Muhammad-Mámáqání. Dès que celui-ci le reconnut, il s'empara de l'arrêt de mort qu'il avait rédigé auparavant, le tendit à son assistant et le pria de le remettre au farrásh-báshi. "Inutile, s'écria-t-il, d'amener le Siyyid-i-Báb auprès de moi. Cet arrêt de mort, je l'ai écrit le jour même où je l'ai rencontré à la réunion présidée par le valí-'ahd. C'est sûrement le même homme que j'ai vu à cette occasion et il n'a, depuis lors, renoncé à aucune de ses revendications."
De là, on emmena le Báb chez Mírzá Báqir, fils de Mírzá Ahmad, dont il venait de prendre la succession. Lorsqu'ils y arrivèrent, ils trouvèrent son domestique debout à la porte et tenant à la main l'arrêt de mort du Báb. "Inutile d'entrer, leur dit-il. Mon maître a déjà consenti, car son père a eu raison de prononcer la sentence de mort de cet homme. Il ne peut mieux faire que de suivre son exemple."
Mullá Murtadá-Qulí, suivant le chemin tracé par les deux autres mujtahids, avait publié antérieurement son propre témoignage écrit, et refusa de rencontrer face à face son redoutable adversaire.

PHOTO: ruines de la maison de mullá Muhammad-Mámáqáni, le mujtahid de Tabríz

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Dès que le farrásh-báshi eut recueilli les documents indispensables, il remit son prisonnier à Sám Khán, lui affirmant qu'il pouvait exécuter sa tâche puisqu'il avait obtenu la sanction des autorités civiles et ecclésiastiques du royaume.
Siyyid Husayn était resté emprisonné dans la chambre où il avait passé la nuit précédente en compagnie du Báb. On allait placer Mírzá Muhammad-'Alí dans cette même chambre lorsque celui-ci éclata en sanglots et supplia qu'on lui permette de rester avec son maître. Il fut remis entre les mains de Sám Khán, qui reçut l'ordre de l'exécuter également au cas où il persisterait dans son refus de renier sa foi.
Sám Khán se sentait cependant de plus en plus touché par la conduite de son prisonnier et par la manière dont on l'avait traité. Une grande peur s'était emparée de lui; il craignait, en effet, de voir son action lui attirer la colère divine. "Je professe la foi chrétienne, expliqua-t-il au Báb, et ne nourris aucun mauvais désir contre vous. Si votre cause est celle de la vérité, permettez-moi de me libérer de l'obligation de répandre votre sang." "Suivez vos instructions, répondit le Báb, et si votre intention est sincère, le Tout-Puissant peut assurément vous libérer de votre embarras."
Sám Khán donna l'ordre à ses hommes de planter un clou dans le pilier qui se trouvait entre la porte de la chambre occupée par Siyyid Husayn et l'entrée de la pièce voisine, et d'y attacher eux cordes auxquelles le Báb et son compagnon devaient être suspendus séparément. (23.13) Mírzá Muhammad-'Alí pria Sám Khán de le placer de telle façon que son propre corps protégeât celui du Báb. (23.14) Il fut finalement suspendu dans une position telle que sa tête reposa sur la poitrine de son maître. Dès qu'on eut fini de tes attacher, un régiment de soldats s'aligna en trois files, chacune de deux cent cinquante hommes; elles reçurent l'ordre d'ouvrir le feu l'une après l'autre jusqu'à ce que le détachement tout entier eut tiré sa salve. (23.15) La fumée provoquée par la décharge des sept cent cinquante fusils fut si épaisse que l'éclat du plein soleil de midi se changea en ténèbres. Il y avait foule sur le toit de la caserne ainsi que sur ceux des maisons avoisinantes; environ dix mille personnes assistèrent à ce triste et émouvant spectacle.
Dès que le nuage de fumée se fut dissipé, une multitude ébahie vit une scène à laquelle ses yeux pouvaient à peine croire. Devant elle, debout et indemne, se tenait le compagnon du Báb, alors que celui-ci avait disparu, sain et sauf, de sa vue.

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Bien que les cordes au moyen desquelles ils étaient suspendus fussent déchiquetées par les balles, leurs corps avaient miraculeusement échappé à la salve. (23.16) Même la tunique que portait Mírzá Muhammad-'Alí était restée intacte en dépit de l'épaisseur de la fumée. "Le Siyyid-i-Báb a disparu de notre vue!" entendit-on crier la foule ébahie. On se mit activement à la recherche du Báb, et on le trouva finalement assis dans la chambre même qu'il avait occupée la nuit précédente, en train de terminer sa conversation interrompue avec Siyyid Husayn. Une expression de calme absolu se lisait sur son visage. Son corps était sorti indemne de la pluie de balles que le régiment avait tirée sur lui. "J'ai fini ma conversation avec Siyyid Husayn", dit le Báb au farrásh-báshí. "À présent, tu peux te mettre à exécuter ton dessein." L'homme était trop bouleversé pour reprendre ce qu'il avait déjà essayé de réaliser. Refusant d'accomplir son devoir, il quitta ce lieu et démissionna de son poste. Il raconta tout ce qu'il avait vu à son voisin, Mírzá Siyyid Muhsin, l'un des notables de Tabríz qui dès qu'il entendit l'histoire, fut converti à la foi.
J'eus le privilège de rencontrer par la suite ce même Mírzá Siyyid Muhsin, qui me conduisit vers le lieu du martyre du Báb et me montra le mur où il avait été suspendu. Je fus amené dans la chambre où on l'avait trouvé conversant avec Siyyid Husayn, et l'on me montra l'endroit même où il s'était assis. Je vis le clou que ses ennemis avaient enfoncé dans le mur et auquel on avait attaché la corde qui supporta le poids de son corps.
Sám Khán lui aussi, fut stupéfait par la force de cette formidable révélation. Il ordonna à ses hommes de quitter aussitôt la caserne, et refusa à jamais de participer, lui et son régiment, à tout acte qui impliquerait le moindre tort infligé au Báb. Il jura, en quittant cette cour, de ne plus jamais reprendre cette tâche, même si son refus devait lui coûter la vie.
A peine Sám Khán était-il parti qu'Áqá Ján Khán-i-Khamsih, colonel de la garde, connu aussi sous les noms de Khamsih et de Násirí, s'offrit comme volontaire pour réaliser l'ordre d'exécution. On suspendit à nouveau le Báb et son compagnon au même mur et de la même façon, alors que le régiment se mettait en ligne pour ouvrir le feu sur eux. Contrairement à la fois précédente, où seule la corde au moyen de laquelle on les avait suspendus avait été coupée en morceaux, cette fois-ci leurs corps furent déchiquetés et se mêlèrent en une seule masse de chair et d'os. (23.17) "Si vous aviez cru en moi, ô génération rebelle", furent les dernières paroles qu'adressa le Báb à la foule qui le regardait alors que le régiment se préparait à tirer l'ultime salve, "chacun d'entre vous aurait suivi l'exemple de ce jeune homme qui était supérieur à la plupart d'entre vous quant au rang, et vous vous seriez volontairement sacrifiés dans mon sentier. Le jour viendra où vous me reconnaîtrez; ce jour-là, j'aurai cessé d'être parmi vous." (23.18)

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PHOTO: la cour de la caserne de Tabríz où le Báb subit le martyre ; l'on peut voir, marqué d'un x, l'endroit où il fut suspendu et fusillé

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Au moment même où eut lieu la fusillade, un grand vent d'une violence exceptionnelle se leva et balaya toute la ville. Un tourbillon de poussière d'une incroyable épaisseur obscurcit la lumière du soleil et aveugla les gens. La cité tout entière resta enveloppée dans cette obscurité de midi jusqu'à la nuit. Même un phénomène aussi étrange, suivant immédiatement cette tentative manquée et plus stupéfiante encore du régiment de Sám Khán, ne put émouvoir les coeurs des habitants de Tabríz ni les décider à s'arrêter un moment pour réfléchir sur la signification d'événements aussi importants. Ils furent témoins de l'effet qu'un fait aussi extraordinaire avait exercé sur Sám Khán; ils virent la consternation du farrásh-báshí et assistèrent à son irrévocable décision; ils purent même observer cette tunique qui, malgré la décharge de tant de balles, était restée entière et immaculée; ils purent lire sur le visage du Báb, qui était sorti indemne de cette tourmente, l'expression d'une sérénité absolue alors qu'il reprenait sa conversation avec Siyyid Husayn; et, cependant, aucun d'entre eux ne se donna la peine de rechercher la signification de ces signes et de ces prodiges.
Le martyre du Báb eut lieu à midi, le dimanche 28 sha`bán de l'an 1266 après l'hégire, (23.19) trente et une années lunaires, sept mois et vingt-sept jours après sa naissance à Shiraz.
Le soir de ce même jour, les corps intimement mêlés du Báb et de son compagnon furent enlevés de la cour de la caserne pour être déposés au bord des douves en dehors des murs de la ville. Quatre compagnies, comprenant chacune dix sentinelles, reçurent l'ordre de monter la garde à tour de rôle à côté de ces corps. Le lendemain du jour du martyre au matin, le consul de Russie à Tabríz se rendit en ce lieu en compagnie d'un peintre et dit à ce dernier de faire un croquis des dépouilles alors qu'elles gisaient à côté des douves. (23.20)
J'ai entendu Hájí 'Alí-'Askar raconter ce qui suit: "Un fonctionnaire du consulat de Russie, qui était un de mes parents, me montra ce tableau le jour même où il fut dessiné. Comme le portrait du Báb que j'eus devant les yeux était fidèle! Aucune balle n'avait frappé son front, ses joues ou ses lèvres.

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Je vis un sourire qui semblait encore se lire sur son visage. Son corps, cependant, avait été cruellement mutilé. Je pus reconnaître les bras et la tête de son compagnon, qui semblait le tenir étroitement embrassé, mon coeur faiblissait à mesure que je regardais, frappé d'horreur, cette peinture obsédante, et que je voyais comment ses nobles traits avaient été défigurés. Je me détournai plein d'angoisse, regagnai ma maison et m'enfermai dans ma chambre. Durant trois jours et trois nuits, je ne pus ni dormir ni manger, tant j'étais écrasé par l'émotion. Cette courte vie tumultueuse avec tous ses soucis, ses troubles, ses exils et, enfin, ce martyre horrible par lequel elle avait été couronnée, semblait repasser devant mes yeux. Je me retournais sur mon lit, me tordant dans l'angoisse et la douleur."
L'après-midi du second jour qui suivit le martyre du Báb, Hájí Sulaymán Khán, fils de Yahyá Khán, arriva à Bágh-Mishih, faubourg de Tabríz, et fut reçu par le kalantar, (23.21) l'un de ses amis et confidents, qui était dervísh et appartenait à la communauté súfíe. Dès qu'il eut appris le danger imminent qui menaçait la vie du Báb, Hájí Sulaymán Khán avait quitté Tihrán avec l'intention d'obtenir sa libération. A sa grande consternation, il arriva trop tard pour mettre à exécution son projet. A peine son hôte l'eut-il informé des circonstances qui avaient conduit à l'arrestation et à la condamnation du Báb, ainsi que des événements relatifs à son martyre, qu'il décida aussitôt d'emporter les corps des victimes, même au risque de mettre sa propre vie en danger.

PHOTO: douves entourant Tabríz, où fut jeté le corps du Báb

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Le kalantar lui conseilla d'attendre et de suivre sa suggestion plutôt que de s'exposer à ce qui serait, lui semblait-il, une mort certaine. Il le pressa de transférer sa résidence dans une autre maison et d'attendre l'arrivée, le soir de ce jour-là, d'un certain Hájí Alláh-Yár qui, dit-il, "ferait tout ce qu'il pourrait désirer". À l'heure fixée, il rencontra Hájí Alláh-Yár qui réussit, au milieu de la nuit, à porter les corps du bord du fossé à une usine de soierie dont le propriétaire était l'un des croyants de Mílán; il les déposa, le lendemain, dans une caisse en bois spécialement construite à cet effet, et les transporta, suivant les directives de Hájí Sulaymán Khán, en un lieu sûr. Pendant ce temps, les sentinelles cherchaient à se justifier de leur disparition en prétendant que, tandis qu'ils dormaient, des bêtes sauvages avaient emporté les corps. (23.22) Leurs supérieurs, de leur côté, ne voulant pas mettre en jeu leur propre honneur, cachèrent la vérité et ne la divulguèrent point aux autorités. (23.23)
Hájí Sulaymán Khán rapporta aussitôt les faits à Bahá'u'lláh, qui se trouvait alors à Tihrán et qui chargea Aqáy-i-Kalím d'envoyer un messager spécial à Tabríz dans le but de transférer les corps à la capitale. Cette décision fut motivée par le voeu que le Báb lui-même avait exprimé dans le "Zíyárat-i-Sháh-'Abdu'l-'Azím", une Tablette qu'il avait révélée lors de son séjour dans le voisinage de ce tombeau et qu'il avait remise à un certain Mírzá Sulaymán-i-Khatíb, chargé par lui de se rendre en ce lieu en compagnie de quelques croyants, et de psalmodier cette Tablette. (23.24) En s'adressant au saint inhumé là, le Báb dit, en prononçant les paroles contenues dans les passages finaux de cette Tablette, "Heureux sois-tu car tu as trouvé ton lieu de repos à Rayy, à l'ombre de mon Bien-Aimé. Puissé-je être enterré dans l'enceinte de ce sol sacré!"
Je me trouvais, quant à moi, à 'Tihrán en compagnie de Mírzá Ahmad lorsque les corps du Báb et de son compagnon y parvinrent. Bahá'u'lláh avait, pendant ce temps, quitté la capitale pour Karbilá, suivant en cela les instructions de l'amír-nizám. Aqáy-i-Kalím, ainsi que Mírzá Ahmad, transférèrent leurs dépouilles depuis "1'Imám-Zádih-Hasan", (23.25) où on les avait d'abord transportées, vers un autre endroit dont la situation resta inconnue de tous sauf d'eux-mêmes. Cet endroit resta secret jusqu'au départ de Bahá'u'lláh pour Andrinople, époque à laquelle Aqáy-i-Kalím fut chargé d'indiquer à Munír, l'un de ses condisciples, l'endroit véritable où les corps avaient été déposés.

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En dépit de ses recherches, celui-ci ne parvint pas à le trouver et ce n'est que plus tard que Jamál, un ancien adepte de la foi, le découvrit. C'est à lui que le secret avait été confié alors que Bahá'u'lláh se trouvait encore à Andrinople. Cet endroit est resté, jusqu'à présent, inconnu des croyants; personne ne peut non plus soupçonner le lieu où les dépouilles furent finalement transférées.

PHOTO: vues de l'Imam-zadih-hasan à Tihran, où fut gardé le corps du Báb

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La première personne de Tihrán à apprendre les circonstances de ce cruel martyre fut, après le Grand vazír, Mírzá Aqá Khán-Núrí, qui avait été exilé à Káshán par Muhammad Sháh lorsque le Báb était passé par cette ville. Il avait affirmé à Hájí Mírzá Jání, qui l'avait mis au courant des préceptes de la foi, que si l'amour qu'il portait envers la nouvelle révélation lui permettait de regagner sa position perdue, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer le bien-être et la sécurité de la communauté persécutée. Hájí Mírzá Jání rapporta l'affaire à son maître, qui le chargea d'affirmer au ministre en disgrâce qu'il serait bientôt de nouveau convoqué à Tihràn et serait investi par son souverain d'une position qui suivrait immédiatement celle du Sháh lui-même. On l'avait averti de ne pas oublier sa promesse et de s'efforcer de mettre à exécution son intention. Il était ravi par ce message et renouvela l'assurance qu'il avait donnée.
Lorsque la nouvelle du martyre du Báb lui parvint, il avait déjà été promu au rang d'i'timádu'd-dawlih et espérait devenir Grand vazír. Il se hâta d'aller informer Bahá'u'lláh, avec qui il entretenait des relations intimes, de la nouvelle qu'il venait de recevoir; il exprima l'espoir que le feu dont il craignait qu'il n'en résulte un jour pour i i des calamités indicibles était finalement éteint. "Pas si vite, répondit Bahá'u'lláh. Si ce que vous dites est vrai, vous pouvez être certain que la flamme qui a été allumée brûlera avec plus d'intensité qu jamais grâce à cet acte même, et causera une conflagration telle qu les forces combinées des hommes d'Etat de ce royaume seront impuissantes à la maîtriser." La portée de ces paroles, Mírzá Aqà Khán devait l'apprécier plus tard. Il imaginait avec peine, au moment où la prédiction fut faite, que la foi qui avait reçu un coup si fatal pût survivre à son auteur. Il avait été lui-même, à une certaine occasion, guéri par Bahá'u'lláh d'une maladie dont il n'espérait plus pouvoir se débarrasser.
Son fils, le Nizámu'l-Mulk, lui demanda un jour s'il ne pensait pas que Bahá'u'lláh qui, de tous les fils de feu le vazír, s'était montré le plus capable, avait failli à son devoir de garder vivante la tradition de son père, et avait déçu les espoirs que l'on avait placés en lui. "Mon fils, répondit Mírzá Aqá Khán, crois-tu vraiment qu'il soit un fils indigne de son père? Tout ce que nous pouvons espérer atteindre l'un et l'autre n'est qu'une allégeance éphémère et précaire, qui disparaîtra dès que nous aurons quitté ce monde. Notre vie mortelle ne pourra jamais se libérer des vicissitudes qui se trouvent accumulées sur le sentier des ambitions terrestres.

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Même si nous parvenions à nous assurer, au cours de notre vie, l'honneur de notre nom, qui peut dire si, après notre mort, la calomnie ne tachera pas notre mémoire et ne défera pas l'oeuvre que nous avons réalisée? Ceux-là mêmes qui, alors que nous sommes encore vivants, nous honorent en paroles, nous condamneraient et nous calomnieraient dans leur coeur si, ne fût-ce qu'un instant, nous manquions de promouvoir leurs intérêts. Il n'en est pas de même cependant pour Bahá'u'lláh. Contrairement aux grands de la terre, quels que soient leur race ou leur rang, il est l'objet d'un amour et d'une dévotion tels que le temps ne peut les dissiper ni l'ennemi les détruire. Sa souveraineté ne peut être ternie par l'ombre de la mort, ni minée par la langue du calomniateur. L'empire de son influence est tel que personne, parmi ceux qui l'aiment, n'ose, dans le calme de la nuit, évoquer le souvenir du plus vague désir qui pût, même de loin, être interprété comme contraire à son souhait. Le nombre de tels amants augmentera beaucoup. L'amour qu'ils lui portent ne diminuera jamais et sera transmis, de génération en génération, jusqu'à ce que le monde ait été baigné de gloire."
La persistance malveillante avec laquelle un ennemi farouche cherchait à maltraiter le Báb et finalement à lui ôter la vie, causa des calamités indicibles à la Perse et à ses habitants. Les hommes qui perpétrèrent ces atrocités furent tenaillés par le remords et, en très peu de temps subirent une mort ignominieuse. Quant à la grande masse de la population, qui observait avec une lugubre indifférence la tragédie qui s'accomplissait sous ses yeux, et qui ne leva pas même le doigt pour protester contre le caractère hideux de ces cruautés, elle tomba à son tour victime d'une misère que toutes les ressources du pays et l'énergie de ses dirigeants ne purent soulager. Le vent de l'adversité souffla sur elle avec violence, ébranlant les fondements de sa prospérité matérielle. A partir du jour même où la main de l'assaillant se leva contre le Báb et chercha à porter un coup fatal à sa foi, des châtiments successifs accablèrent l'esprit de ce peuple ingrat et le menèrent au bord même de la banqueroute nationale. Des fléaux, dont les noms mêmes ne leur étaient connus que par une vague allusion dans les livres couverts de poussière que quelques-uns lisaient de temps en temps, les frappèrent avec une violence telle que personne ne put y échapper. Ces fléaux semèrent la dévastation partout où ils passèrent. Prince, comme paysan, en ressentirent le coup douloureux et se plièrent sous son joug.

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Ils tinrent la population dans leur poigne et refusèrent de relâcher leur emprise. Malignes comme la fièvre qui décima la province de Gílán, ces afflictions soudaines continuèrent à ravager tout le pays. Si cruelles que fussent ces calamités, la colère vengeresse de Dieu ne s'arrêta pas cependant aux malheurs qui frappaient un peuple pervers et sans foi. Elle se fit sentir chez tout être vivant qui respirait à la surface de ce pays désolé. Elle affecta la vie des plantes comme celle des animaux, et fit sentir aux hommes l'étendue de leur détresse. La famine ajouta ses horreurs au fardeau stupéfiant des afflictions sous lesquelles gémissait le peuple. Le spectre lugubre de la faim commença à les traquer, et la perspective d'une mort lente et douloureuse hanta leur esprit. Peuple et gouvernement soupiraient ensemble après le secours qu'ils ne parvenaient à obtenir de nulle part. Ils burent jusqu'à la lie à la coupe du malheur, ne considérant absolument pas la main qui l'avait portée à leurs lèvres et la personne par laquelle ils furent amenés à souffrir.
La première personne qui se leva pour maltraiter le Báb fut Husayn Khán, le gouverneur de Shiraz. Le traitement honteux qu'il infligea à son prisonnier coûta la vie à des milliers de personnes qui avaient été confiées à sa protection et qui étaient complices de ses actes. Sa province fut ravagée par un fléau qui la conduisit au bord de la destruction. Appauvri et épuisé, le Fárs languit sans aide sous son poids, faisant appel à la charité de ses voisins et à l'assistance de ses amis. Husayn Khán lui-même vit avec amertume ses oeuvres détruites, fut condamné à mener une vie obscure pour le restant de ses jours et chancela jusqu'à sa tombe, abandonné et oublié, aussi bien de ses amis que de ses ennemis.
La seconde personne qui chercha à défier la foi du Báb et à entraver son développement fut Hájí Mírzá Aqásí. Ce fut lui qui, pour des buts intéressés et dans l'intention de s'attirer la faveur des 'ulamás abjects de son temps, s'interposa entre le Báb et Muhammad Sháh et s'efforça d'empêcher leur rencontre. Ce fut lui qui prononça le bannissement de son prisonnier redouté dans un coin perdu de l'Ádhirbáyján et, avec une vigilance sans relâche, veilla à son isolement. C'est à lui que fut adressée cette tablette qui le dénonçait et dans laquelle son prisonnier présageait sa ruine et étalait son infamie. A peine un an et six mois s'étaient-ils écoulés depuis l'arrivée du Báb à proximité de Tihrán, que la vengeance divine l'écarta du pouvoir et le conduisit à chercher refuge dans l'enceinte peu glorieuse du tombeau de Sháh-'Abdu'l-'Azím, pour échapper à la colère de son propre peuple.

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De là, la main du Vengeur le conduisit à l'exil, au-delà des confins de son pays natal, et le plongea dans un océan d'afflictions jusqu'au moment où il trouva la mort dans des circonstances de misère et de détresse indicibles.
Quant au régiment qui, malgré l'échec inexplicable de Sám Khán et de ses hommes dans leur tentative d'ôter la vie au Báb, s 'était présenté comme volontaire pour renouveler cette tentative, et qui avait finalement criblé son corps de balles, deux cent cinquante de ses membres trouvèrent la mort au cours de cette même année, en compagnie de leurs officiers, dans un terrible tremblement de terre. Alors qu'ils se reposaient par une chaude journée d'été à l'ombre d'un mur sur leur chemin entre Ardibíl et Tabríz, absorbés par leurs jeux et leurs plaisirs, toute la structure céda soudain et le mur tomba sur eux, ne laissant aucun survivant. Les cinq cents autres subirent le même sort que celui qu'ils avaient, de leurs propres mains, infligé au Báb. Trois ans après son martyre, ce régiment se mutina et ses membres furent impitoyablement fusillés par ordre de Mírzá Sádiq Khán-i-Núrí. Point satisfait par une première salve, ce dernier donna l'ordre d'en tirer une seconde afin d'être certain qu'aucun des mutinés ne survécût. Leurs corps furent alors percés de lances et de javelots et exposés au regard des habitants de Tabríz. Ce jour-là, de nombreux habitants de la ville, se rappelant les circonstances du martyre du Báb, furent étonnés de voir ce même sort frapper ceux qui l'avaient tué. "Est-il possible, par un hasard quelconque, que ce soit là la vengeance de Dieu", entendit-on quelques-uns se murmurer à l'oreille, "qui ait apporté une fin si tragique et si déshonorante à tout le régiment? Si ce jeune homme avait été un imposteur et un menteur, pourquoi ses persécuteurs auraient-ils été si sévèrement châtiés ?" Ces doutes parvinrent aux oreilles des principaux mujtahids de la ville, qui furent saisis d'une grande peur et donnèrent l'ordre de châtier sévèrement tous ceux qui entretenaient de tels doutes. Certains furent battus, d'autres durent verser une amende; tous furent avertis de cesser de tels chuchotements, qui ne pouvaient que ranimer le souvenir d'un terrible adversaire et susciter à nouveau de l'enthousiasme pour sa cause.
Le premier animateur des forces qui précipitèrent le martyre du Báb, l'amír-nizám, ainsi que son frère le vazír-nizám, son principal complice, furent, au cours des deux années qui suivirent cet acte sauvage, soumis à un terrible châtiment qui mit une fin misérable à leur vie. Le sang de l'amir-nizám tache encore, de nos jours, le mur du bain de Fin, (23.26) témoignage des atrocités que sa propre main avait perpétrées. (23.27)

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NOTE DU CHAPITRE 23:

(23.1) Des Bábís, il y en avait partout, on ne le savait que trop. La Perse en était pleine, et si les esprits inquiets de choses transcendantes, si les philosophes à la recherche de combinaisons nouvelles, si les âmes froissées à qui les injustices et les faiblesses du temps présent répugnaient, s'étaient jusqu'alors livrés avec emportement à l'idée et aux promesses d'un nouvel état de choses plus satisfaisant, on était en droit de penser que les imaginations turbulentes, amies de l'action, même au prix du désastre, que les esprits braves et passionnés pour les batailles, et, enfin, les ambitieux hardis n'auraient que trop de tendance à se précipiter dans les rangs qui se montraient riches de tant de soldats propres à former d'intrépides phalanges.
Mírzá Taqí Khán, maudissant la mollesse avec laquelle son prédécesseur, Hájí Mírzá Aqási, avait laissé naître et grandir un pareil péril, comprit qu il ne fallait pas prolonger cette faute et voulut couper le mal dans sa racine. Il se persuada que la source en était le Báb lui-même, premier auteur de toutes les doctrines qui troublaient le pays, et il voulut faire disparaître cette source.» (Comte de Gobineau: «Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 210-11.)

(23.2) «Cependant, Hájí Mírzá Taqí résolut de frapper le monstre du Bábísme à la tête, et il se persuada que, ce coup porté, l'instigateur du désordre une fois éloigné de la scène et n'exerçant plus d'action, tout reprendrait son cours naturel. Toutefois - chose assez remarquable dans un gouvernement asiatique, et surtout chez un homme d'Etat comme Mírzá Taqí Khán, qui ne regardait pas de très près à une exagération de sévérité - ce ministre ne s'arrêta pas d'abord à ordonner la mort du novateur.
Il pensa que le meilleur moyen de le détruire était de le perdre moralement. Le tirer de sa retraite de Chihríq, où une auréole de souffrance, de sainteté, de science, d'éloquence, l'entourait et le faisait briller comme un soleil; le montrer aux populations tel qu'il était, ce qui veut dire, tel qu'il se le figurait, c'était le meilleur moyen de l'empêcher de nuire en détruisant son prestige.
Il se le représentait, en effet, comme un charlatan vulgaire, un rêveur timide qui n'avait pas eu le courage de concevoir, encore moins de diriger les audacieuses entreprises de ses trois apôtres, ou même d'y prendre part. Un homme de cette espèce, amené à Tihrán et jeté en face des plus habiles dialecticiens de l'Islám, ne pourrait que plier honteusement, et son crédit s'évanouirait bien mieux par ce moyen que si, en supprimant le corps, on laissait encore flotter dans les esprits le fantôme d'une supériorité que la mort aurait rendue irréfutable.
On forma donc le projet de le faire arrêter, de le faire venir à Tihrán, et, sur la route, de l'exposer en public, enchaîné, humilié; de le faire discuter partout avec des mullás, lui imposant silence lorsqu'il deviendrait téméraire: en un mot, de lui susciter une série de combats inégaux où il serait nécessairement vaincu, étant d'avance démoralisé par tant de moyens propres à briser son courage. C'était un lion qu'on voulait énerver, tenir à la chaîne et désarmer d'ongles et de dents, puis livrer aux chiens pour montrer combien ceux-ci en pouvaient triompher aisément. Une fois vaincu, peu importait ce qu'on se déciderait à en faire.
Ce plan ne manquait pas de portée; mais il se fondait sur des suppositions dont les principales n'étaient rien moins que prouvées. Ce n'était pas assez que d'imaginer le Báb sans courage et sans fermeté; il fallait qu'il le fût réellement. Or, l'attitude de ce personnage dans le fort de Chihríq ne le donnait pas à penser. Il priait et travaillait sans cesse. Sa douceur était inaltérable. Ceux qui l'approchaient subissaient malgré eux l'influence séductrice de son visage, de ses manières, de son langage. Les soldats qui le gardaient n'étaient pas tous restés exempts de cette faiblesse. Sa mort lui paraissait prochaine. Il en parlait fréquemment comme d'une idée qui lui était non seulement familière, mais aimable.
Si donc, promené ainsi dans toute la Perse, il allait ne pas s abattre? S'il ne se montrait ni arrogant, ni peureux, mais bien au-dessus de sa fortune présente? S'il allait confondre les prodiges de savoir, d'adresse et d'éloquence ameutés contre lui? S'il restait plus que jamais le Báb pour ses sectateurs anciens et le devenait pour les indifférents ou même pour ses ennemis? C'était beaucoup risquer afin de gagner beaucoup sans doute, mais aussi pour beaucoup perdre, et, tout réfléchi, on n'osa pas courir cette chance." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale», p. 211-13.)

(23.3) Le Premier ministre, ayant mandé Sulaymán Khán, l'Afshár, il le chargea de porter à Tabríz, au prince Hamzíh Mírzá devenu gouverneur de l'Ádhirbáyján, l'ordre de tirer le Báb du fort de Chihríq et de l'amener dans la citadelle de Tabríz, où il apprendrait plus tard ce qu'il aurait à en faire." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 213.)

(23.4) 12 juin - 11 juillet 1850 ap. J.-C.

(23.5) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 42), le Báb avait réalisé pas moins de trois cent soixante dérivés du mot "Bahá".

(23.6) Titre par lequel on désignait Bahá'u'lháh en ce temps-là.

(23.7) «La fin de la manifestation terrestre du Báb a eu lieu il y a peu de temps. Il le savait lui-même avant l'événement, et le pressentiment ne lui déplaisait guère. Il avait déjà mis de l'ordre dans sa maison, concernant les affaires spirituelles de la communauté bábíe qu'il avait, si je ne me trompe, confiée à la sagesse intuitive de Bahá'u'lláh... Il est impossible de ne pas sentir que cette dernière hypothèse est bien plus probable que celle qui fait de Subh-i-Azal le gardien des Ecrits sacrés et celui qui arrangea le lieu de repos des Restes sacrés. Je crains fort que les Azalís n'aient falsifié la tradition dans l'intérêt de leur parti." (Dr. T.K. Cheyne: «The Reconcihiation of Races and religions", pp. 65-6.)

(23.8) Voir glossaire.

(23.9) Persécuteurs des descendants de Muhammad.

(23.10) "C'est sans nul doute une singulière coïncidence qu'aussi bien 'Alí-Muhammad que Jésus-Christ aient adressé, dit-on, ces paroles à un disciple: "Aujourd'hui tu seras avec moi au paradis." (Dr. T.K. Cheyne: "The Reconcihiation of Races and Religions", p. 185.)

(23.11) Voir glossaire.

(23.12) "Le lendemain, de grand matin, les gens de Hamzíh Mírzá ayant ouvert les portes de la prison, en firent sortir le Báb et ses deux disciples. On s'assura que les fers qu'ils avaient au cou et aux mains étaient solides; on attacha de plus au carcan de chacun d'eux une longue corde dont un farrásh tenait le bout, puis, afin que chacun pût bien les voir et les reconnaître, on les promena ainsi par la ville, dans toutes les rues et dans tous les bazars, en les accablant d'injures et de coups. La foule remplissait les chemins et les gens montaient sur les épaules les uns des autres pour considérer de leur mieux l'homme dont on avait tant parlé.
Les Bábís, les demi-Bábís, répandus de tous côtés tâchaient d'exciter, chez quelques-uns des spectateurs, un peu de commisération ou quelque autre sentiment dont ils auraient profité pour sauver leur maître. Les indifférents, les philosophes, les Shaykhís, les súfis, se détournaient du cortège avec dégoût et rentraient chez eux, ou, l'attendant au contraire au coin des rues, le contemplaient avec une muette curiosité et rien davantage. La masse déguenillée, turbulente, impressionnable, criait force grossièretés aux trois martyrs; mais elle était toute prête à changer d'avis pour peu qu'une circonstance quelconque vînt pousser ses esprits dans un sens différent.
Enfin, les musulmans, maîtres de la journée, poursuivaient d'outrages les prisonniers, cherchaient à rompre l'escorte pour les frapper au visage ou sur la tête, et quand on ne les avait pas repoussés à temps ou qu'un tesson lancé par quelque enfant avait atteint le Báb ou l'un de ses compagnons à la figure, l'escorte et la foule éclataient de rire.» (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 220.)

(23.13) "Báb gardait le silence, son pâle et beau visage qu'encadraient une barbe noire et de petites moustaches, sa tournure et ses manières distinguées, ses mains blanches et délicates, ses vêtements simples, mais d'une exquise propreté, tout enfin dans sa personne éveillait la sympathie et la compassion." ("Journal Asiatique", 1866, tome VII, p. 378.)

(23.14) "La preuve de la dévotion et de la fermeté de cet homme noble est fournie par une lettre écrite de sa propre écriture bénie et qui se trouvait en possession de son frère Mullá 'Abdu'lláh; celui-ci vit encore à Tabríz. Cette lettre, il l'écrivit de la prison, deux ou trois jours avant son martyre, en réponse à son frère qui lui avait écrit pour lui conseiller d'abandonner sa dévotion et son asservissement; dans cette lettre, il présente ses excuses et puisque le martyr est le cadet des deux frères, il adopte dans sa lettre un ton respectueux.
Le texte de cette lettre est le suivant: "Il est le Compatissant. O mon Qiblih! Dieu soit houé, je n'ai pas de fautes à trouver dans mon état, et "chaque fatigue est suivie de repos." Quant à ce que tu as écrit pour dire que cette affaire n'a pas de fin, quelle affaire, alors, a une fin? Nous au moins, nous n'en sommes pas mécontents; nous sommes, en fait, incapables d'exprimer suffisamment notre gratitude pour cette bénédiction.
Tout au plus nous ne pouvons qu'être tués pour l'amour de Dieu; oh! quel bonheur ce serait! La volonté de Dieu doit être accomplie par ses serviteurs, et la prudence ne peut écarter le sort prédestiné. Ce que Dieu veut aura lieu: il n'y a de force qu'en Dieu. Ô mon Qiblih! La fin de la vie du monde est la mort: "Toutes les âmes connaîtront la mort."
Si la destinée fixée que le Seigneur (puissant et glorieux qu'Il est) a décrétée devait m'advenir, alors Dieu est le gardien de ma famille, et tu es mon dépositaire; agis conformément au bon plaisir de Dieu. Pardonne tout manque de respect ou de devoir dû à un frère aîné que j'aie pu commettre, demande que tous les membres de ma maisonnée me pardonnent, et recommande-moi à Dieu. Dieu est mon héritage, et comme Il est bon en tant que gardien!" (Le "Táríkh-i-Jadíd", p. 301-3.)

(23.15) "Lorsqu'on fusille, en Perse, les condamnés sont attachés à un poteau, le dos tourné aux spectateurs et de sorte qu'ils ne puissent voir les signes du commandement." (Journal Asiatique, 1866, Tome VII, p. 377.)

(23.16) "Une clameur intense s'éleva de la foule à ce moment. C'est que les spectateurs venaient d'apercevoir Báb, délivré de ses entraves, s'avancer libre vers eux. Un hasard merveilleux avait fait qu'aucune balle n'avait atteint le condamné; au contraire, ses liens avaient été rompus, il était délivré. C'était un vrai miracle, et Dieu sait ce qui serait arrivé sans la fidélité et le sang-froid dont le régiment chrétien fit montre en cette circonstance.
Les soldats, pour calmer l'effervescence de la foule qui s'agitait, prête à croire à la vérité d'une religion qui faisait ainsi ses preuves, lui montrèrent les cordes brisées par les balles, démonstration visible de l'inanité du miracle. En même temps on saisissait Báb et on le liait de nouveau au poteau fatal...
Cette fois le supplice fut bon; la justice musulmane et la loi canonique avaient repris leurs droits. Mais la foule, vivement impressionnée par le spectacle qu'elle avait eu sous les yeux, s'écoula lentement, mal convaincue que le Báb était un criminel. Sa faute, après tout, n'en était une que pour les gens de loi, et le monde est indulgent aux crimes qu'il ne comprend point." (M.C. I-huart: "La Religion de Báb", pp. 3-4.)
"C'est alors que se passa un fait étrange, unique dans les annales de l'humanité... Les balles étaient venues couper les cordes qui retenaient le Báb, celui-ci retomba sur ses pieds sans une égratignure." (A.L.M. Nicohas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 375.) "Par un hasard extraordinaire, les balles ne touchèrent que les cordes qui tenaient Báb attaché; elles se rompirent et il se sentit libre. Du bruit, des éclats de voix retentirent de tous les côtés sans qu'on comprît d'abord de quoi il s'agissait." (Ibid., p. 379.)

(23.17) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 45), "Les poitrines (des victimes) furent criblées et leurs membres complètement disséqués, exception faite de leurs visages, qui ne furent que légèrement défigurés."

(23.18) "Loué soit Dieu qui manifesta le Point [le Báb] et fit que de celui-ci vînt le savoir de tout ce qui fut et sera... Il est ce Point que Dieu a transformé en un océan de lumière pour les fidèles d'entre ses serviteurs, et une boule de feu pour celles de ses créatures qui le renient et ceux, parmi son peuple, qui sont impies." (Bahá'u'lláh, les "Ishráqát", p. 3.) "Dans son interprétation de la lettre «Hâ", Il soupire après le martyre, en disant: "Il me semble avoir entendu une voix qui appelait dans mon être le plus intime: "Sacrifie la chose que tu aimes le plus dans le sentier de Dieu, de même que Husayn - qu'il repose en paix - a offert sa vie pour l'amour de moi.
Et si je n'étais pas attentif à ce mystère inévitable, par celui qui tient dans sa main mon âme, même si tous les rois de la terre devaient se liguer, ils seraient impuissants à me ravir une seule lettre; combien plus impuissants sont alors de tels serviteurs, qui ne méritent aucune attention et qui sont en vérité le rebut de la société! Je veux par là que tous puissent connaître le degré de ma patience, de ma résignation et de mon sacrifice dans le sentier de Dieu." (Idem, le "Kitáb-i-Iqán", p. 195.)
"Le Báb, le Seigneur très haut - que la vie de tous lui soit sacrifiée ! - a spécifiquement révélé une épître aux 'ulamás de chaque cité, dans laquelle il expose pleinement le caractère du rejet et de la répudiation de chacun d'eux. C'est pourquoi vous devez y prêter une grande attention, ô vous hommes perspicaces!" (Ibid., p. 193.) Cette âme illustre se leva avec une telle force qu'elle ébranla les fondements de la religion, de la moralité, des conditions, des coutumes et des habitudes de la Perse et institua de nouvelles règles, de nouvelles lois et une nouvelle religion.
Bien que les grandes figures de l'État, la presque totalité du clergé et les fonctionnaires se levassent pour le détruire et l'anéantir, il résista tout seul à leurs assauts et mit toute la Perse en émoi. Il conféra l'éducation divine à une multitude peu éclairée et eut une influence merveilleuse sur les pensées, la moralité, les coutumes et les conditions des Persans. ('Abdu'l-Bahá: "les Leçons de St. Jean-d'Acre", pp. 30-31.)
"Les chrétiens sont en effet convaincus que si Jésus-Christ avait voulu descendre vivant de la croix, il l'eût fait sans difficulté: il est mort volontairement, parce qu'il devait mourir et pour accomplir les prophéties. Il en est de même pour le Báb, disent les Bábís, qui voulut donner aussi une sanction évidente à ses paroles. Lui aussi mourut volontairement, parce que sa mort devait sauver l'humanité.
Qui dira jamais les paroles que le Báb put prononcer au milieu du tumulte sans nom qui accueillit son départ: qui saura quels souvenirs agitaient sa belle âme, qui nous dira jamais le secret de cette mort... Le spectacle des turpitudes, des hontes, des vices, du mensonge de ce clergé révoltait son âme pure et sincère: il sentait le besoin d'une réforme profonde à introduire dans les moeurs publiques et dut, plus d'une fois, hésiter devant la perspective de la révolution qu'il lui fallait déchaîner pour délivrer les corps et les intelligences du joug d'abrutissement et de violence qui pesait sur toute la Perse pour le plus grand profit d'une élite de... jouisseurs et pour la plus grande honte de la vraie religion du Prophète. Sa perplexité dut être grande, ses angoisses terribles, et il lui fallut le triple airain dont parle Horace pour se précipiter tête baissée dans l'océan des superstitions et des haines qui devait fatalement l'engloutir.
C'est un des plus magnifiques exemples de courage qu'il ait été donné à l'humanité de contempler, et c'est aussi une admirable preuve de l'amour que notre héros portait à ses concitoyens. Il s'est sacrifié pour l'humanité; pour elle il a donné son corps et son âme, pour elle il a subi les privations, les affronts, les injures, la torture et le martyre. Il a scellé de son sang le pacte de la fraternité universelle, et comme Jésus il a payé de sa vie l'annonce du règne de la concorde, de l'équité et de l'amour du prochain.
Plus que tout autre il savait quels dangers formidables il accumulait sur sa tête, il avait pu juger par lui-même de l'exaspération à laquelle le fanatisme savamment excité peut atteindre: mais toutes les réflexions qu'il put faire à ce sujet ne furent point assez puissantes pour le détourner de la voie dans laquelle il avait désormais résolu d'entrer: la peur n'eut aucune prise sur son âme tranquille, sans daigner jeter un regard en arrière, calme, en pleine possession de lui-même, il entra dans la fournaise." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Báb", pp. 203-4, 376.)
"Le chef de la religion nouvelle était mort, et suivant les calculs de Mírzá Taqí Khán, Premier ministre, la paix la plus profonde allait se rétablir dans les esprits et ne plus être troublée au moins de ce côté-là. Mais la sagesse politique se trouva cette fois en défaut, et au lieu d'éteindre l'incendie on en avait au contraire attisé la violence."
On le verra tout à l'heure, quand j'examinerai les dogmes religieux prêchés par le Báb: la perpétuité de la secte ne tenait nullement à sa présence; tout pouvait marcher et se développer sans lui. Si le Premier ministre avait eu connaissance de ce point fondamental de la religion ennemie, il est probable qu'il n'eût pas été aussi empressé à faire disparaître un homme dont l'existence, en définitive, ne lui eût pas dès lors importé plus que la mort.» (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 224-225.) "C'était un tel prophète", écrit le R. Dr. T.K. Cheyne, "que le Báb; nous l'appelons "prophète" à défaut d'un meilleur nom; oui, je vous le dis, un prophète et plus qu'un prophète." Son mélange de douceur et de force est si rare que nous devons le compter parmi les hommes supranormaux...
Nous apprenons qu'aux grandes étapes de sa carrière, après qu'il eut été en extase, son visage rayonnait une telle puissance et une telle majesté que personne ne pouvait se permettre de regarder la splendeur de sa gloire et de sa beauté. Il n'était pas rare non plus que des non-croyants s'inclinassent en signe d'humble obéissance lorsqu'ils contemplaient Sa Sainteté; alors que les habitants de la forteresse, bien qu'ils fussent pour la plupart chrétiens ou sunnís, se prosternaient chaque fois qu'ils voyaient le visage de Sa Sainteté. Une telle transfiguration est bien connue des saints. On la considérait comme l'apposition du sceau célèste confirmant la réalité et le caractère parfait du détachement du Báb." ("The Reconciliation of Races and Religions", pp. 8-9.)
«Qui peut se soustraire à l'attraction exercée par le doux esprit de Mírzá 'Alí Muhammad? Sa vie triste et persécutée, sa pureté de conduite et sa jeunesse, son courage et sa patience silencieuse dans le malheur, sa totale abnégation, l'idéal imprécis d'un meilleur état de choses que l'on peut discerner à travers les expressions mystiques et obscures du Bayán, mais, par-dessus tout, sa mort tragique, tout cela a assuré au jeune Prophète de Shíráz nos sympathies. Le charme irrésistible qui lui gagna une telle dévotion durant sa vie est encore vivant et continuera encore à influencer l'esprit des habitants de la Perse." (art. de E.G. Browne: "The Bábís of Persia", Journal of the RAS., 1889, p. 933.)
Peu nombreux sont ceux qui croient qu'on empêchera, par ces mesures sanguinaires, la propagation des doctrines du Báb. Il y a un esprit de changement dans diverses directions parmi les Persans, qui préservera son système de l'extinction; en outre, ses doctrines présentent un caractère attrayant aux Persans. Bien qu'elle soit actuellement subjuguée et réduite à se tenir cachée dans les villes, on conjecture que la croyance du Báb, loin de décliner, croît de jour en jour." (Lady Sheil: "Glimpses of Life and Manners in Persia", p. 181.)
"L'histoire du Báb, de Mírzá 'Alí-Muhammad comme il s'appelait lui-même, fut l'histoire d'un héroïsme spirituel insurpassé dans l'expérience de Svabhava; et sa propre âme aventureuse en fut enflammée. Qu'un jeune homme sans influence sociale et sans éducation parvienne, par la simple force de la perspicacité, à percer le coeur des choses et à voir la vérité réelle, et qu'il y tienne alors avec une telle fermeté de conviction et la présente avec une telle persuasion qu'il fut capable de convaincre les hommes qu'il était le Messie et de les amener à le suivre jusqu'à la mort elle-même, était l'un de ces faits splendides de l'histoire humaine sur lequel Svabhava aimait méditer...
La sincérité passionnée du Báb ne pouvait être mise en doute, car il avait donné sa vie pour sa foi. Et qu'il doive y avoir quelque chose dans son message qui plaisait aux hommes et satisfaisait leur âme est témoigné par le fait que des milliers de gens ont offert leur vie dans sa cause et que des millions le suivent à présent.
Si un jeune homme parvint, au cours de six années seulement de son ministère, grâce à la sincérité de son dessein et à l'attraction de sa personnalité, à tant inspirer les riches comme les pauvres, les cultivés comme les illettrés, d'une croyance en lui et en ses doctrines, pour qu'ils demeurent fermes bien qu'on les traque et que, sans jugement préalable, on les condamne à mort, on les scie en deux, on les étrangle, on les abatte, on les fasse souffler par la gueule des canons; et si des hommes de rang élevé et de culture en Perse, en Turquie et en Egypte adhèrent en nombre jusqu'à ce jour à ses doctrines, sa vie doit constituer l'un de ces événements des cent dernières années qui mérite vraiment d'être étudié." (Sir Francis Younghusband: "The Gleam", pp. 183-4.)
Ainsi, alors qu'il n'avait que trente ans, en l'an 1850, finit l'héroïque carrière d'un véritable homme-Dieu. La façon dont il est mort constitue la preuve la plus grande possible de la sincérité de sa conviction selon laquelle Dieu l'avait désigné. Croyant qu'il sauverait ainsi ses semblables de l'erreur de leurs croyances de l'époque, il a volontairement sacrifié sa vie. La dévotion passionnée de centaines et même de milliers d'hommes qui ont offert leur vie dans sa cause constitue un témoignage convaincant en faveur de son pouvoir qui faisait que les gens s'attachèrent à lui." (Ibid., p. 210)
"Le Báb était mort, mais non le Bábísme. Il n'était pas le premier, et encore moins le dernier, d'une longue liste de martyrs qui ont démontré que même dans un pays comme la Perse, gangrené par la corruption et atrophié par l'indifférence, l'âme d'une nation survit, inarticulée peut-être et, dans un certain sens, impuissante, mais encore capable de spasmes soudains de vitalité." (Valentine Chirol: "The Middle Eastern Question", p. 120.)

(23.19) 9 juillet 1850 ap. J.-C.

(23.20) "L'empereur de Russie, dit Hájí Mírzá Jání, chargea le consul de Russie à Tabríz de mener une enquête complète sur la situation de Sa Sainteté le Báb, et de lui en faire un rapport complet. Dès que cette nouvelle arriva à destination, les autorités persanes mirent le Báb à mort. Le consul de Russie convoqua Aqá Siyyid Muhammad-Husayn, le secrétaire du Báb, qui se trouvait emprisonné à Tabríz, et se renseigna sur les preuves et la situation de Sa Sainteté. Áqá Siyyid Husayn, comme il y avait des auditeurs musulmans, n'osa pas dire tout ce qu'il voulait concernant son maître, mais parvint, grâce à des insinuations, à lui communiquer diverses affaires et aussi à lui donner (au consul de Russie) certains des écrits du Báb." L
e témoignage de Dom tend à prouver le caractère sinon entièrement, du moins partiellement vrai de cette déclaration. Dom dit en effet, en décrivant un MS. de l'un des "Commentaires sur les noms de Dieu" du Báb (commentaires qu'il appelle "Qur'án des Bábís"), à la p. 248 du vol. VIII du Bulletin de l'Académie Impériale des Sciences de St. Petersbourg, que cet écrit avait été "directement reçu du secrétaire personnel du Báb qui, durant son emprisonnement à Tabríz, le confia à des Européens." (Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 395-6.)

(23.21) Voir glossaire.

(23.22) "Suivant un usage immémorial en Orient, usage en vigueur au siège de Béthulie comme autour du tombeau de Notre-Seigneur, une sentinelle est un guerrier qui dort de son mieux auprès du poste qu'il est chargé de garder." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale», p. 166.) On a pu voir au cours de cette histoire ce que sont les sentinelles persanes: leurs fonctions consistent essentiellement à dormir auprès du dépôt qu'ils sont sensés garder." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 378.)

(23.23) "M. de Gobineau, d'accord en cela avec les auteurs du Násikhu't-Taváríkh, du Rawdatu's-Safá, du Mir'átu'l-Buldán, en un mot avec tous les historiens officiels, rapporte qu'après l'exécution, le cadavre du Báb fut jeté dans les fossés de la ville et dévoré par les chiens. En réalité il n'en a pas été ainsi, et nous allons voir pourquoi ce bruit a été répandu tant par les autorités de Tauris peu soucieuses de s'attirer les réprimandes du gouvernement pour une complaisance chèrement vendue, que par les Bábís désireux de prévenir ainsi les recherches de la police. Les témoignages les plus sûrs des spectateurs même du drame ou de ses acteurs ne me laissent aucun doute que le corps de Siyyid 'Alí-Muhammad n'ait été recueilli par des mains pieuses et n'ait enfin, après les péripéties que je vais raconter, reçu une sépulture digne de lui." (Ibid., p. 377.)

(23.24) "Tihrán jouit ainsi du respect dû au mausolée et au sanctuaire de Sháh 'Abdu'l-'Azím. Reposant sous un dôme plaqué or, dont j'avais vu de loin les scintillements alors que je me rendais à cheval à la ville, les restes de ce saint personnage attirent, dit-on, chaque année trois cent mille visiteurs.
Je trouve que la plupart des écrivains cachent discrètement leur ignorance de l'identité du saint en le décrivant comme "un saint musulman", dont le tombeau est fort visité par les pieux citoyens de Tihrán." Il semble cependant que, bien avant l'avènement de l'islám, il avait été un lieu sacré, contenant les restes d'une dame d'une grande sainteté; à cet égard, on doit noter que le tombeau compte encore parmi ses visiteurs un grand nombre de femmes.
C'est là que fut enterré, après la conquête musulmane, Imám-Zádih Hamzíh, le fils du septième Imám, Musá-Kázím; et c est là que, pour échapper au Khalif Mutavakkil, vint se réfugier un saint personnage nommé Abu'l-Qásim 'Abdu'l-'Azím, qui vécut en cachette à Rayy jusqu'à sa mort aux environs de 861 après J.-C. (Ceci est le récit donné par le Kitáb-i-Majhisí persan, citant Shaykh Najáshí, qui cite lui-même Barkí).
Par la suite, son renom obscurcit celui de son plus illustre prédécesseur. Les souverains qui suivirent, notamment ceux de la dynastie régnante, ont agrandi et embelli l'ensemble des bâtiments élevés sur sa tombe, dont la popularité sans cesse croissante a fait qu'un grand village a surgi autour du site sacré. La mosquée est située dans la plaine, à environ six milles au sud-sud-est de la capitale, juste au-delà des ruines de Rayy et à l'extrémité de la chaîne de montagnes qui entoure la plaine de Tihrán au sud-est." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", pp. 345-7.)

(23.25) Un tombeau local à Tihrán.

(23.26) Il est vrai, écrit Lord Curzon, que son règne [de Násiri'd-Dín Sháh] a été sali par un ou deux actes de violence regrettable, dont le pire fut le meurtre de son Premier ministre, Mírzá Taqí Khán, l'amír-nizám... Le beau-frère du sháh et le premier sujet du royaume, il dut sa disgrâce à l'esprit de vengeance des intrigues de la cour et à la jalousie malicieusement excitée de son jeune souverain; ses ennemis ne furent entièrement satisfaits que lorsqu'ils eurent complété cette disgrâce par la mort de leur victime, déchue mais encore redoutable." ("Persia and the Persian Question", vol. 1, p. 402.)

(23.27) "Tout le monde savait que les Bábís avaient prédit la fin prochaine du Premier ministre et annoncé son genre de mort. Cela eut lieu exactement, dit-on, comme l'avaient annoncé les martyrs de Zanján, Mírzá Ridai, Hájí Muhammad-'Alí et Hájí Muhsin. Le ministre, tombé en disgrâce et poursuivi par la haine royale, eut les veines ouvertes au village de Fín, près de Káshán, comme les avaient eues ses suppliciés. Son successeur fut Mírzá Aqá Khán-i-Núrí, d'une tribu noble du Mázíndarán, et jusqu'alors ministre de la Guerre. Ce nouveau dépositaire du pouvoir prit le titre de Sadr-i-A'zam, que portent les grand vazírs de l'empire ottoman. On était alors en 1852." (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 230.)


<P495>

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CHAPITRE XXIV : le soulèvement de Zanján

L'étincelle qui avait allumé les grandes conflagrations du Mázindarán et de Nayríz avait déjà mis le feu à Zanján (24.1) et à ses environs lorsque le Báb trouva la mort à Tabríz. Son chagrin déjà profond, provoqué par le sort triste et désastreux qui avait frappé les héros de Shaykh Tabarsí, fut encore aggravé par la nouvelle des souffrances non moins tragiques qu'avaient dû subir Vahíd et ses compagnons, une nouvelle qui porta un nouveau coup à son coeur déjà oppressé par le poids d'innombrables afflictions. La conscience des dangers qui s'étaient accumulés autour de lui; le souvenir des affronts qu'il avait endurés lors de son dernier séjour a Tabríz; la fatigue d'une captivité rigoureuse et prolongée au milieu des montagnes fortifiées de l'Ádhirbáyján; les terribles massacres qui marquèrent les phases finales des soulèvements du Mázindarán et de Nayríz; les outrages envers sa foi commis par les persécuteurs des sept martyrs de Tihrán-tout cela n'avait pas constitué les seuls troubles qui obscurcirent les derniers jours d'une vie arrivant rapidement à son terme. Il était déjà abattu par la sévérité de ces coups lorsque la nouvelle des événements de Zanján, qui commençaient alors à présager de leurs tristes épisodes, lui parvint et contribua à accroître encore l'angoisse de ses derniers jours.

PHOTO: vue de Zanjan

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Quelles souffrances terribles n'a-t-il pas dû endurer alors que les spectres de la mort se rassemblaient rapidement autour de lui!

PHOTO: vue 1 du masjid construit pour Hujjat par ses compagnons

PHOTO: vue 2 du masjid construit pour Hujjat par ses compagnons

Dans chaque domaine, au Nord comme au Sud, les défenseurs de sa foi avaient été soumis à des souffrances imméritées, trompés de façon infâme, dépouillés de leurs biens et massacrés de manière inhumaine. Et à présent, comme pour faire déborder la coupe de ses malheurs, la tourmente de Zanján avait éclaté, la plus violente et la plus dévastatrice de toutes. (24.2)

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Je vais maintenant relater les circonstances qui ont fait de cet événement l'un des plus vibrants épisodes de l'histoire de cette révélation. Son personnage principal fut Hujjat-i-Zanjáni, dont le nom était Mullá Muhammad-'Alí (24.3) l'un des dignitaires ecclésiastiques les plus capables de son époque et certainement l'un des défenseurs les plus puissants de la cause. Son père, Mullá Rahím-i-Zanján, était l'un des principaux mujtahids de Zanján et tenu en grande estime à cause de sa piété, de son savoir et de sa force de caractère. Mullá Muhammad'Alí, surnommé Hujjat, naquit en l'an 1227 après l'hégire. (24.4) Dès sa tendre enfance, il montra de si grandes capacités que son père apporta beaucoup de soins à son éducation. Il l'envoya à Najaf, où il se distingua par sa vue pénétrante, son talent et son ardeur passionnée. (24.5) Son érudition et sa vive intelligence suscitèrent l'admiration de ses amis, alors que sa franchise et la force de son caractère firent de lui la terreur de ses adversaires. Son père lui conseilla de ne pas retourner à Zanján, où ses ennemis conspiraient contre lui. Il décida, en conséquence, d'établir sa résidence à Hamadán, (24.6) où il épousa l'une de ses parentes et vécut durant deux ans et demi, jusqu'au moment où la nouvelle de la mort de son père le décida à partir pour sa ville natale. L'ovation qu'on lui fit à son arrivée attisa l'hostilité des 'ulamás qui, malgré leur opposition jurée, reçurent de lui toutes les marques de considération et de bonté. (24.7)
De la chaire du masjid qu'avaient érigé ses amis en son honneur, il exhorta la grande foule qui s'était réunie pour l'entendre à ne pas être indulgente envers elle-même et à faire preuve de modération dans tous ses actes. (24.8) Il fit disparaître impitoyablement toute forme d'abus et, par son exemple, encouragea le peuple à s'en tenir strictement aux principes inculqués par le Qur'án. Le soin et le talent avec lesquels il enseigna ses disciples étaient tels qu'ils surpassaient en connaissance et en compréhension les 'ulamás de Zanján. Durant dix-sept ans, il poursuivit ses travaux méritoires et réussit à débarrasser l'esprit et le coeur des habitants de la ville de tout ce qui semblait contraire à l'esprit et aux enseignements de leur foi. (24.9)
Lorsque l'appel de Shiraz lui parvint, il envoya son messager sûr, Mullá Iskandar, se renseigner sur les revendications de la nouvelle révélation, et la nature de sa réponse à ce message incita ses ennemis à redoubler leurs attaques contre lui. Incapables jusqu'alors de le mettre en disgrâce aux yeux du gouvernement et du peuple, ils s'efforçaient désormais de le dénoncer comme un défenseur de l'hérésie et comme un homme répudiant tout ce qui est sacré et chéri dans l'islám.

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"Sa réputation d'homme juste, pieux, sage et érudit, se murmuraient-ils, a été telle que nous ne pouvons plus ébranler sa position. Lorsqu'il fut convoqué à Tihrán auprès de Muhammad Sháh, ne put-il pas, grâce à son éloquence magnétique, gagner l'appui de celui-ci et faire de lui l'un de ses admirateurs les plus dévoués? A présent, cependant qu'il a si ouvertement défendu la cause du Siyyidi-Báb, nous pouvons sûrement obtenir du gouvernement l'ordre de l'arrêter et de le bannir de notre ville."
Ils rédigèrent donc une pétition destinée à Muhammad Sháh, dans laquelle ils cherchèrent, par tous les artifices que leur esprit rusé et malveillant pouvait inventer, à discréditer son nom. "Tout en se prétendant encore adepte de notre foi, se plaignirent-ils, il a pu, avec l'aide de ses disciples, répudier notre autorité. Quelle humiliation ne nous infligera-t-il pas, à présent qu'il s'est identifié à la cause du Siyyidi-Báb et a gagné à cette haïssable croyance les deux tiers des habitants de Zanján! La foule qui afflue à ses portes ne peut désormais être contenue dans le masjid. Son influence est telle que le masjid qui a appartenu à son père et celui qui a été construit en son honneur ont été réunis et transformés en un seul édifice pouvant loger la multitude toujours croissante qui se hâte de le suivre lors de la prière en commun. L'heure est imminente où non seulement Zanján, mais aussi les villages avoisinants, se seront déclarés ses partisans."
Le Sháh fut fort surpris par le ton et le langage que les solliciteurs employaient pour tenter d'accuser Hujjat. Il fit part de son étonnement à Mírzá Nazar-'Alí, le hakim-báshí, et rappela les brillants éloges que plus d'un visiteur venant à Zanján avait adressés aux talents et à l'intégrité de l'accusé. Il décida de convoquer ce dernier, ainsi que ses adversaires, à Tihrán. Dans une réunion spéciale à laquelle il participa ainsi que Hájí Mírzá Aqásí, les principaux fonctionnaires du gouvernement et plusieurs 'ulamás reconnus de Tihrán, il fit appel aux chefs ecclésiastiques de Zanján pour justifier les revendications qu'ils avaient avancées. Toutes les questions qu'ils soumirent à Hujjat concernant les enseignements de leur foi reçurent une réponse qui ne manqua pas de provoquer l'admiration de ses auditeurs et d'affermir la confiance du souverain dans l'innocence de l'accusé. Le Sháh exprima son entière satisfaction et récompensa généreusement Hujjat pour la manière excellente dont il avait réussi à réfuter les allégations de ses ennemis. Il lui ordonna de retourner à Zanján et d'y reprendre les précieux services qu'il rendait à la cause de son peuple, l'assurant qu'il le défendrait en toutes circonstances, et lui demandant de l'informer de toute difficulté qu'il pourrait rencontrer dans l'avenir. (24.10)

<P499>

L'arrivée de Hujjat à Zanján marqua le début d'un accès de fureur chez ses adversaires humiliés. Au fur et à mesure que les signes de leur hostilité se multipliaient, les marques de dévouement, de la part de ses amis et de ses défenseurs, augmentaient parallèlement. (24.11) Dédaignant complètement leurs machinations, il poursuivit ses activités avec un zèle soutenu. (24.12) Les principes libéraux qu'il défendait sans cesse et avec intrépidité frappèrent à la base même l'édifice qu'un ennemi sectaire avait laborieusement érigé. Celui-ci vit avec une furie impuissante l'anéantissement de son autorité et l'écroulement de ses institutions.
Ce fut alors que son envoyé particulier, Mashhadi Ahmad, qu'il avait secrètement envoyé à Shiraz avec une pétition et des cadeaux de sa part pour le Báb, arriva à Zanján et lui remit, alors qu'il s'adressait à ses disciples, une lettre scellée de son Bien-Aimé. Dans la tablette qu'il reçut, le Báb lui conférait un de ses propres titres, celui de Hujjat, et le priait instamment de proclamer de la chaire, sans la moindre réserve, les enseignements fondamentaux de sa foi. Dès que Hujjat fut informé des voeux de son maître, il déclara sa résolution de se consacrer à la mise en pratique immédiate de toutes les injonctions que contenait cette tablette. Il congédia aussitôt ses disciples, les pria de fermer leurs livres et déclara son intention de mettre un terme à ses cours. "À quoi bon, dit-il, étudier et chercher alors que nous avons déjà trouvé la vérité, et pourquoi nous efforcer d'augmenter notre savoir lorsque celui qui est l'objet de toute connaissance est manifesté?"
Dès qu'il tenta de conduire l'assistance dans sa prière du vendredi, obéissant par là aux ordres du Báb (24.13), l'Imám-jum'ih, qui avait jusqu'alors rempli cette fonction, protesta avec véhémence, faisant valoir que ce droit était le privilège exclusif de ses propres aïeux, qu'il lui avait été conféré par son souverain et que personne, si élevé que fût son rang, ne pouvait le lui usurper. "Ce droit, rétorqua Hujjat, a été remplacé par l'autorité dont le Qá'im lui-même m'a investi. Il m'a donné l'ordre d'assumer publiquement cette fonction, et je ne puis permettre à quiconque d'empiéter sur ce droit. Si l'on m'attaque, je prendrai les mesures nécessaires pour me défendre et protéger la vie de mes compagnons."
Son insistance hardie à remplir la mission dont l'avait chargé le Báb incita les 'ulamás de Zanján à se liguer avec l'imám-jum`ih (24.14) et à présenter leurs plaintes à Hájí Mírzá Áqásí, faisant valoir que Hujjat avait défié la validité d'institutions reconnues et foulé aux pieds leurs droits.

<P500 >

"Nous devons soit fuir cette ville avec nos familles et nos biens, firent-ils valoir, et lui laisser la charge de mener seul la destinée de son peuple, soit obtenir de Muhammad Sháh un édit tendant à son expulsion immédiate de ce pays, car nous croyons fermement que lui permettre de demeurer sur son sol serait aller au devant du désastre." Quoique Hájí Mírzá Aqási se méfiât dans son coeur de l'ordre ecclésiastique de son pays et qu'il eût une aversion naturelle pour leurs croyances et leurs pratiques, il fut finalement contraint de céder à leurs exhortations et soumit l'affaire à Muhammad Sháh qui donna l'ordre de transférer Hujjat de Zanján à la capitale.
Un Kurde nommé Qilíj Khán fut chargé par le Sháh de remettre à Hujjat la convocation du roi. Le Báb était, pendant ce temps, arrivé dans le voisinage de Tihrán alors qu'il se rendait à Tabríz. Avant l'arrivée du messager royal à Zanján, Hujjat avait envoyé l'un de ses amis, un certain Khán-Muhammad-i-Túb-Chí vers son maître, chargé d'une requête dans laquelle il le priait de l'autoriser à le sauver des mains de l'ennemi. Le Báb lui assura que seul le Tout-Puissant pouvait réaliser sa libération et que personne ne pouvait se soustraire à son décret ou fuir sa loi. "Quant à notre rencontre, ajouta-t-il, elle aura lieu bientôt dans l'au-delà, la demeure de gloire éternelle."
Le jour où Hujjat reçut ce message, Qilíj Khán arriva à Zanján, le mit au courant des ordres qu'il avait reçus et partit en sa compagnie pour la capitale. Leur arrivée à Tihrán coïncida avec le départ du Báb du village de Kulayn, où il avait été retenu quelques jours.
Les autorités, craignant qu'une rencontre entre le Báb et Hujjat ne conduise à de nouveaux troubles, avaient pris les précautions nécessaires pour s'assurer de l'absence de ce dernier de Zanján durant le passage du Báb dans cette ville. Les compagnons qui suivaient Hujjat à distance, alors qu'il était en route vers la capitale, furent priés par lui de faire demi-tour et d'essayer de rencontrer leur maître pour l'assurer qu'il était prêt à venir à son secours. Sur le chemin du retour, ils rencontrèrent le Báb, qui exprima une nouvelle fois son désir de ne voir aucun de ses amis tenter de le délivrer de sa captivité. Il leur donna même l'ordre de dire aux croyants de Zanján de ne pas se presser autour de lui, et même de l'éviter partout où il se rendait.
Dès que ce message fut communiqué à ceux qui étaient sortis pour l'accueillir alors qu'il approchait de leur ville, ceux-ci commencèrent à se lamenter et à déplorer leur sort.

<P501>

Ils ne purent cependant résister à la force qui les poussait à aller au-devant de leur maître, oubliant par là le désir qu'avait exprimé ce dernier.
A peine les hommes qui constituaient l'avant-garde du prisonnier les rencontrèrent-ils, qu'ils se mirent à les disperser impitoyablement. A une bifurcation de la route, il se produisit une altercation entre Muhammad Big-i-Chápárchí et son collègue, qui avait été envoyé de Tihrán pour l'aider à mener le Báb à Tabríz.

PHOTO: le caravansérail de mirza Ma'súm-i-tabáb à Zanjan

PHOTO: voir, marquée d'un x, la pièce occupée par le Báb

Muhammad Big soutenait que leur prisonnier devait être conduit dans la ville où l'on devait lui permettre de passer la nuit dans le caravansérail de Mírzá Ma' súm-i-Tabíb, le père de Mírzá Muhammad-'Alíy-i-Tabíb, martyr de la foi, avant de reprendre leur marche vers 1'Ádhirbáyján.

<P502>

Il fit valoir que passer la nuit en dehors des murs de la ville équivaudrait à mettre leurs vies en péril et encouragerait leurs adversaires à tenter une attaque. Il réussit finalement à déterminer son collègue à emmener le Báb à ce caravansérail. Lors de leur passage à travers les rues, ils furent surpris de voir la foule qui s'était massée sur le toit des maisons, impatiente qu'elle était de jeter un coup d'oeil sur le visage du prisonnier. Mírzá Ma'súm, l'ancien propriétaire du caravansérail, venait de mourir, et son fils aîné, Mírzá Muhammad-'Alí, le principal médecin de Hamadán qui, bien que n'étant pas adepte du Báb, l'aimait de tout son coeur, était arrivé à Zanján et portait le deuil de son père. Il reçut le Báb avec affection dans le caravansérail qu'il avait spécialement aménagé à son intention. Cette nuit-là, il resta auprès de lui jusqu'à une heure avancée et fut complètement gagné à sa cause.
"La nuit même qui vit ma conversion", l'ai-je entendu raconter par la suite, "je me levai avant l'aube, allumai ma lanterne et, précédé du serviteur de mon père, me dirigeai vers le caravansérail. Les gardes qui stationnaient à l'entrée me reconnurent et m'autorisèrent à entrer. Le Báb faisait ses ablutions lorsque je fus introduit auprès de lui. Je fus fort impressionné lorsque je le vis absorbé dans sa prière. Un sentiment de joie mêlé de respect envahit mon coeur alors que je me tenais debout derrière lui et priais. Je préparai moi-même son thé, et j'étais en train de le lui offrir lorsqu'il se tourna vers moi et me pria de partir pour Hamadán. "Cette ville, dit-il, sera en proie à un grand tumulte et, dans ses rues, le sang coulera à flot." Je lui exprimai mon ardent désir d'être autorisé à verser mon sang dans son sentier. Il m'assura que l'heure de mon martyre n'était pas encore venue, et me dit de me résigner à tout ce que Dieu pourrait décréter. Au lever du soleil, alors qu'il montait à cheval et se préparait à partir, je le suppliai de me permettre de le suivre, mais il me conseilla de rester sur place et m'assura de ses prières constantes. Me résignant à sa volonté, je le vis avec regret disparaître de ma vue."
A son arrivée à Tihrán, Hujjat fut conduit auprès de Hájí Mírzá Áqásí qui exprima, de la part du Sháh et en son propre nom, son embarras devant l'hostilité intense que sa conduite avait suscitée chez
les 'ulamás de Zanján. "Muhammad Sháh et moi, lui dit-il, sommes continuellement assiégés par les accusations verbales et écrites portées contre vous. Je puis à peine croire à leur dénonciation concernant votre abandon de la foi de vos aïeux. Le Sháh n'est pas, lui non plus, enclin à accorder crédit à de telles affirmations.

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J'ai reçu de lui l'ordre de vous convoquer dans sa capitale et de faire appel à vous pour réfuter de telles accusations. Il m'est triste d'entendre qu'un homme, que je considère de loin supérieur, quant au savoir et au talent, au Siyyid-i-Báb, a décidé de s'identifier à la croyance de celui-ci." "Nullement, répondit Hujjat; Dieu sait que si ce même siyyid venait à me confier le moindre service dans sa maisonnée, je le considérerais comme un honneur que même les faveurs les plus grandes de mon souverain ne pourraient espérer surpasser." "Ce n'est pas possible!" s'exclama Hájí Mírzá Áqásí en proie à la colère. "C'est ma ferme et inaltérable conviction, réaffirma Hujjat, que ce siyyid de Shiraz est celui dont vous, ainsi que tous les peuples du monde, attendez impatiemment la venue. Il est notre Seigneur, notre Libérateur promis."
Hájí Mírzá Aqàs rapporta l'affaire à Muhammad Sháh, à qui il exprima ses craintes qu'une politique tendant à permettre à un adversaire aussi redoutable que Hujjat, que le souverain lui-même considérait comme le plus accompli des 'ulamás de son royaume, de poursuivre sans entrave le cours de ses activités, ne comportât les plus graves dangers pour l'Etat. Le Sháh, refusant d'accorder crédit à de tels rapports, qu'il attribuait à la malveillance et à la jalousie des ennemis de l'accusé, donna l'ordre de réunir une assemblée spéciale devant laquelle Hujjat serait appelé à défendre sa position en présence des 'ulamás de la capitale.
Plusieurs réunions furent tenues à cet effet; à chacune d'elles, Hujjat exposa avec éloquence les revendications essentielles de sa foi et repoussa les arguments de ceux qui tentaient de s'opposer à lui. "La tradition suivante, déclara-t-il hardiment, n'est-elle pas reconnue par l'islam shí'ah et sunní: "Je laisse parmi vous mes deux témoignages, le Livre de Dieu et ma famille"? Le second de ces témoins n'a-t-il pas, à votre avis, disparu, et, par conséquent, l'unique moyen qui puisse nous guider n'est-il pas contenu dans le témoignage du Livre sacré? Je fais appel à vous pour juger toute revendication que vous ou moi avancerons sur la base des normes établies dans ce Livre, et pour considérer celui-ci comme l'autorité suprême par laquelle on pourra juger de l'authenticité de notre argument." Incapable de défendre leur position, les 'ulamás s'aventurèrent en dernier ressort à lui demander de produire un miracle, afin d'établir la vérité de son assertion. "Quel miracle plus grand, s'exclama-t-il, que celui de m'avoir permis de triompher, seul et sans aide, par le simple pouvoir de mon argumentation, des forces combinées des mujtahids et des 'ulamás de Tihrán?"

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La façon magistrale dont Hujjat réfuta les affirmations erronées avancées par ses adversaires lui gagna la faveur de son souverain qui, à partir de ce jour-là, ne se laissa plus influencer par les insinuations des ennemis de l'accusé. Bien que le groupe entier des 'ulamás de Zanján, ainsi que certains des dirigeants ecclésiastiques de Tihrán, l'eussent déclaré infidèle et l'eussent condamné à mort, Hujjat continua cependant à être l'objet des faveurs du Sháh et reçut l'assurance qu'il pouvait compter sur l'appui de son souverain. Hájí Mírzá Aqásí, bien qu'opposé à Hujjat dans son coeur, fut incapable, en face de preuves aussi évidentes de la faveur royale, de s'opposer ouvertement à son influence et, par ses fréquentes visites chez lui ainsi que par les cadeaux qu'il lui octroya généreusement, ce ministre fourbe chercha à dissimuler son ressentiment et sa jalousie.
Hujjat se trouvait virtuellement prisonnier à Tihrán. Il ne pouvait aller au-delà des murs de la capitale ni avoir des relations libres avec ses amis. Les croyants de sa ville décidèrent finalement d'envoyer une députation pour lui demander de nouvelles instructions concernant leur attitude envers les lois et les principes de leur foi. Hujjat leur enjoignit d'observer avec une loyauté absolue les exhortations qu'il avait reçues du Báb par l'intermédiaire des messagers qu'il avait envoyés s'informer quant à sa cause. Il énuméra une série de préceptes dont certains s'écartaient très nettement des traditions établies de l'islám. "Siyyid Kázim-i-Zanjáni, leur affirma-t-il, a été en relation intime avec mon maître aussi bien à Shiraz qu'à Isfáhán. Lui, ainsi que Mullá Iskandar et Mashhadí Ahmad, qui avaient tous deux été chargés par moi d'aller le voir, ont formellement déclaré qu'il est lui-même le premier à mettre en pratique les préceptes qu'il a prescrits aux fidèles. Il nous incombe par conséquent, à nous qui sommes ses défenseurs, de suivre son noble exemple."
Ces instructions explicites étaient à peine communiquées aux compagnons que ceux-ci sentirent en eux un irrésistible désir de mettre à exécution ses voeux. Ils se mirent avec enthousiasme à pratiquer les lois de la nouvelle dispensation et, abandonnant leurs habitudes et leurs rites d'autrefois, s'identifièrent sans réserve à ses revendications. Même les petits enfants furent encouragés à suivre scrupuleusement les préceptes du Báb. "Notre maître bien-aimé", leur apprit-on à dire, "est lui-même le premier à les pratiquer. Pourquoi nous, qui sommes ses disciples privilégiés, hésiterions-nous à en faire les principes directeurs de notre vie?"

<P505>

Hujjat se trouvait encore prisonnier à 'Tihrán lorsque la nouvelle du siège du fort de Tabarsí lui parvint. Il désirait ardemment partager le sort de ceux de ses compagnons qui combattaient avec un si
magnifique héroïsme pour l'émancipation de leur foi, mais il déplorait en même temps le fait qu'il ne pouvait les rejoindre. Son unique consolation, en ce temps-là, était la fréquentation intime de Bahá'u'lláh, de qui il reçut la force de résistance qui devait lui permettre par la suite de se distinguer par des actes non moins remarquables que ceux que le groupe de Tabarsí avait manifestés dans les heures les plus sombres de sa mémorable bataille.
Il était encore à Tihrán lorsque Muhammad Sháh mourut, laissant le trône à son fils Násiri'd-Dín Sháh. (24.15) L'amír-nizám, le nouveau Grand vazir, décida de rendre son emprisonnement plus rigoureux et de chercher pendant ce temps un moyen de l'anéantir. Lorsque son prisonnier apprit l'imminence du danger qui menaçait sa vie, il décida de quitter Tihrán en cachette et de rejoindre ses compagnons, qui attendaient impatiemment son retour.
Son arrivée à sa ville natale, qu'un certain Karbilá'i Valí-'Attár annonça à ses compagnons, fut marquée par une formidable démonstration de loyauté dévouée de la part de ses nombreux admirateurs. Ils affluèrent, hommes, femmes et enfants, pour l'accueillir et lui renouveler l'assurance de leur affection éternelle et constante. (24.16) Le gouverneur de Zanján, majdu'd-dawlih, (24.17) l'oncle maternel de Násiri'd-Din Sháh, surpris par la spontanéité de cette ovation, donna, dans la furie du désespoir, l'ordre de couper aussitôt la langue à Karbilá'í Valí-'Attár. Quoique, dans son coeur, il détestât Hujjat, il se prétendit son ami qui ne lui voulait que du bien. Il lui rendit souvent visite et lui montra une considération sans borne, tout en conspirant en secret contre sa vie et en attendant le moment où il pourrait lui porter le coup fatal.
Cette hostilité qui couvait devait bientôt s'extérioriser grâce à un incident banal en soi. L'occasion se présenta lorsqu'une querelle éclata soudain entre deux enfants de Zanján, dont l'un était le fils d'un parent de l'un des compagnons de Hujjat. Le gouverneur donna aussitôt l'ordre d'arrêter l'enfant et de l'emprisonner. Les croyants offrirent une somme d'argent au gouverneur afin de l'inciter à relâcher son jeune prisonnier. Il refusa leur offre, sur quoi les compagnons plaignirent auprès de Hujjat, qui protesta avec véhémence. "Cet enfant, écrivit-il au gouverneur, est trop jeune pour être tenu responsable de son comportement.

<P506>

S'il mérite une punition, c'est à son père qu'on devrait l'infliger, et non à lui."
Constatant que l'appel avait été ignoré, Hujjat renouvela sa protestation et la confia à l'un de ses camarades influents, Mír Jalíl, père de Siyyid Ashraf et martyr de la foi, en le chargeant de la présenter au gouverneur en personne. Les gardes qui stationnaient à l'entrée de la résidence refusèrent d'abord le passage. Indigné par leur refus, il menaça de se forcer un chemin à travers la porte et parvint, grâce à la simple menace de dégainer son épée, à vaincre leur résistance et à contraindre le gouverneur furieux à relâcher l'enfant.
L'acquiescement inconditionnel du gouverneur a la demande de Mír Jalíl suscita la furieuse indignation des 'ulamás. Ils protestèrent violemment et désapprouvèrent sa soumission aux menaces par lesquelles leurs adversaires avaient cherché à l'intimider. Ils lui exprimèrent leur crainte qu'une telle soumission de sa part soit un encouragement à faire des réclamations plus importantes encore et ne lui permette bientôt plus de détenir les rênes de l'autorité, en lui refusant toute participation à l'administration gouvernementale. Ils le persuadèrent finalement de consentir à l'arrestation de Hujjat, un acte qui, d'après leur conviction, permettrait d'arrêter les progrès de son influence.
Le gouverneur consentit à contre-coeur. Les 'ulamás lui assurèrent à maintes reprises que son action ne menacerait en aucun cas la paix et la sécurité de la ville. Deux de leurs partisans, Pahlaván (24.18) Asadu'lláh et Pahlaván Safar-'Alí, tous deux connus pour leur brutalité et leur force prodigieuse, se présentèrent comme volontaires tour s'emparer de Hujjat et le remettre, mains liées, au gouverneur. On promit à chacun d'eux une belle récompense en retour de ce service. Vêtus de leurs armures, casqués, et suivis d'une bande de malfaiteurs recrutés parmi les habitants les plus vils, ils partirent accomplir leur tâche. Les 'ulamás se mirent, pendant ce temps, à exciter la populace et à l'encourager à leur prêter main forte.
Dès que les émissaires arrivèrent dans le quartier où habitait Hujjat, ils eurent à faire face de manière inattendue à Mír Saláh, l'un des partisans les plus redoutables de Hujjat qui, avec l'aide de sept de ses compagnons armés, s'opposa fermement à leur avance. Mír Sal'ah demanda à Asadu'lláh où il se rendait et, après avoir reçu de ce dernier une réponse offensante, dégaina son épée et, au cri de " Yá Sáhibu'z-Zamán !" (24.19) bondit sur lui et le blessa au front. L'audace de Mír Saláh, malgré la lourde armure que portait son adversaire, effraya la bande tout entière et la fit s'enfuir dans toutes les directions. (24.20)

<P507>

Le cri que ce défenseur intrépide de la foi lança ce jour-là fut entendu pour la première fois à Zanján et sema la panique à travers la ville. Le gouverneur fut terrifié par sa formidable puissance et demanda ce que signifiait ce cri et le nom de celui qui avait pu le lancer. Il fut sérieusement ébranlé lorsqu'il apprit que c'était le mot d'ordre des compagnons de Hujjat par lequel ils invoquaient l'assistance du Qá'im à l'heure de détresse.
Les survivants de cette bande terrifiée rencontrèrent peu après Shaykh Muhammad-i-Túb-Chí, qu'ils reconnurent aussitôt comme l'un de leurs adversaires les plus habiles. Le trouvant désarmé, ils se jetèrent sur lui et, à l'aide d'une hache que transportait l'un d'eux, le frappèrent à la tête et la lui brisèrent. Ils le transportèrent ensuite chez le gouverneur et, à peine avaient-ils déposé le corps du blessé, qu'un certain Siyyid Abu'l-Qásim, l'un des mujtahids de Zanján qui assistait à la scène, bondit en avant et le poignarda au moyen de son couteau. Le gouverneur lui aussi, dégainant son épée, le frappa à la bouche, puis ce fut au tour des assistants de parachever le meurtre de leur malheureuse victime au moyen des armes qu'ils détenaient. Tandis que leurs coups pleuvaient sur lui, on entendit Shaykh Muhammad, peu soucieux de ses souffrances, prononcer ces mots:
"Je te remercie, ô mon Dieu, de m'avoir octroyé la couronne du martyre." Il fut le premier croyant de Zanján à sacrifier sa vie dans le sentier de la cause. Sa mort, qui eut lieu un vendredi, le 4 rajab de l'an 1266 après l'hégire, (24.21) précéda de quarante-cinq jours le martyre de Vahíd et de cinquante-cinq jours celui du Báb.
Le sang qui fut répandu ce jour-là, loin de calmer l'hostilité de l'ennemi, servit à enflammer ses passions et à renforcer sa détermination de faire subir le même sort au reste des compagnons. Encouragés par l'approbation tacite du gouverneur quant à leurs intentions, ils décidèrent de mettre à mort toutes les personnes qui leur tomberaient sous la main, sans obtenir au préalable l'autorisation expresse des responsables du gouvernement. Ils se promirent solennellement de ne pas s'arrêter avant d'avoir éteint le feu de ce qui leur semblait une ignoble hérésie. (24.22) Ils obligèrent le gouverneur à charger un crieur d'aller proclamer à travers Zanján que quiconque désirait mettre sa vie en danger, faire saisir ses biens et exposer sa femme et ses enfants à la misère et à la honte n'avait qu'à partager le sort de Hujjat et de ses compagnons, et que ceux qui désiraient s'assurer leur bien être et leur honneur personnels ainsi que ceux de leurs familles devaient se retirer du voisinage des lieux de résidence de ces compagnons et chercher refuge auprès de leur souverain protecteur.

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Cet avertissement divisa aussitôt les habitants en deux camps distincts et éprouva sévèrement la foi de ceux qui hésitaient encore dans leur allégeance à la cause. Il donna lieu à des scènes des plus pathétiques et causa la séparation de pères et de fils, la rupture des relations entre frères et entre parents. Tous les liens d'affection temporelle semblèrent ce jour-là se dissoudre, et les serments solennels furent délaissés au profit d'une loyauté plus puissante et plus sacrée qu'une allégeance terrestre. Zanján fut en proie à une agitation des plus farouches. Le cri de détresse que les membres des familles divisées lançaient vers le ciel dans la frénésie du désespoir, se mêlait aux appels blasphématoires que leur adressait un ennemi menaçant. Des cris de joie saluaient successivement ceux qui, se séparant de leurs parents et de leur maison, s'enrôlaient comme partisans volontaires de la cause de Hujjat. Le camp de l'ennemi bourdonnait d'une activité fébrile en vue de la grande bataille qu'il venait de décider secrètement de livrer. Des renforts furent dépêchés vers la ville à partir des villages avoisinants, par ordre du gouverneur et avec l'encouragement des mujtahids, des siyyids et des 'ulamás qui le supportaient. (24.23)
Point découragé par le tumulte croissant, Hujjat monta à la chaire et, d'une voix impressionnante, proclama à l'assistance: "La main d'Omnipotence a, en ce jour, séparé le vrai du faux et la lumière de direction des ténèbres de l'erreur. Je ne désire pas qu'à cause de moi, vous ayez à subir des maux. L'unique but du gouverneur et des 'ulamás qui le défendent est de s'emparer de moi et de me tuer. Ils ne caressent pas d'autre ambition. Ils ont soif de mon sang et ne cherchent personne sinon moi. Quiconque parmi vous ressent le moindre désir de sauvegarder sa vie contre les périls qui nous assaillent, quiconque hésite à offrir sa vie pour notre cause doit, avant qu'il ne soit trop tard, fuir ce lieu et retourner d'où il vient. " (24.24)
Ce jour-là, plus de trois mille hommes furent recrutés par le gouverneur dans les villages des environs de Zanján. Pendant ce temps, Mír Saláh, accompagné de quelques-uns de ses camarades qui observaient l'activité croissante de leurs adversaires, allèrent auprès de Hujjat et le prièrent de transférer, par mesure de précaution, sa résidence au fort d' 'Alí-Mardán Khán, (24.25) qui jouxtait le quartier dans lequel il résidait. Hujjat consentit et donna l'ordre d'emmener au fort les femmes et les enfants et d'y apporter les provisions dont les compagnons pourraient avoir besoin. Bien qu'ils trouvassent ce bâtiment occupé par ses propriétaires, les compagnons déterminèrent finalement ces derniers à se retirer et leur donnèrent en échange les maisons qu'ils avaient eux-mêmes habitées.

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L'ennemi, pendant ce temps, préparait contre eux une violente attaque. A peine un détachement de ses forces avait-il ouvert le feu sur les barricades qu'avaient érigées les compagnons, que Mír Ridá, un siyyid au courage exceptionnel, demanda à son chef la permission de tenter de capturer le gouverneur et de l'amener prisonnier au fort. Hujjat, qui ne voulait pas accéder à sa requête, lui conseilla de ne pas risquer sa vie.
Le gouverneur eut si peur quand on l'informa de l'intention de ce siyyid qu'il décida de quitter Zanján sur le champ. Il en fut toutefois dissuadé par un certain siyyid, qui fit valoir que son départ serait le signal de troubles si graves qu'ils pourraient le mettre en disgrâce aux yeux de ses supérieurs. Le siyyid lui-même se mit à lancer une offensive contre les occupants du fort, dans le but de prouver sa sincérité. A peine avait-il donné le signal de l'attaque et s'était-il avancé à la tête d'un groupe de trente de ses compagnons, qu'il rencontra de manière inattendue deux de ses adversaires qui marchaient, sabres au clair, vers lui. Croyant qu'ils avaient l'intention de l'attaquer ainsi que tout le groupe, il fut, comme ses hommes, pris de panique, regagna sa maison et, oubliant les assurances qu'il avait données au gouverneur, resta toute la journée enfermé dans sa chambre. Ceux qui étaient avec lui se dispersèrent rapidement, renonçant à l'idée de poursuivre l'attaque. Ils furent informés ultérieurement que les deux hommes qu'ils avaient rencontrés n'avaient aucune intention belliqueuse à leur égard et qu'ils se trouvaient simplement sur la route pour accomplir une mission qui leur avait été confiée.
Cet épisode humiliant fut bientôt suivi de quelques tentatives similaires de la part des partisans du gouverneur, tentatives qui échouèrent toutes. Chaque fois qu'ils se précipitaient pour attaquer le fort,
Hujjat donnait l'ordre à quelques-uns de ses compagnons, qui étaient au nombre de trois mille, de sortir de leur retraite pour disperser les forces en présence. Il ne manquait jamais de dire à ses condisciples, chaque fois qu'il leur donnait de tels ordres, d'éviter de verser inutilement le sang de leurs assaillants. Il leur rappelait toujours le caractère purement défensif de leur action, et leur disait que le unique but était de préserver, inviolée, la sécurité de leurs femmes et de leurs enfants. "Nous avons ordre", l'entendait-on fréquemment observer, "de ne pas mener la guerre sainte contre les impies, quelle que soit leur attitude envers nous.

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Cet état de choses dura (24.26) jusqu'au moment où les ordres de 1' amír-nizám parvinrent à l'un des généraux de l'armée impériale, en 1'occurence Sadru'd-Dawlih-i-Isfáhání (24.27)qui était parti, à la tête de deux régiments, pour l'Ádhirbáyján. Les ordres écrits du Grand vazír lui parvinrent à Khamsih; ils lui enjoignaient d'annuler son voyage prévu et de se rendre immédiatement à Zanján pour prêter assistance aux forces qui avaient été mises sur pied par le gouvernement. "Vous avez été chargé par votre souverain", lui écrivait l'amír-nizám, "de détruire la bande de fauteurs de troubles de Zanján et de ses alentours. Vous avez le privilège d'anéantir leurs espoirs et d'exterminer leurs forces. Un service aussi remarquable, à un moment aussi critique, vous gagnera la plus grande faveur du sháh ainsi que l'estime et la louange de son peuple."
Ce farmán encourageant éveilla l'imagination de l'ambitieux sadru'd-dawlih. Il marcha aussitôt sur Zanján à la tête de ses deux régiments, organisa les forces que le gouverneur avait mises à sa disposition, et donna l'ordre de mener une attaque combinée contre le s fort et ses défenseurs. (24.28) La bataille fit rage dans les environs du fort durant trois jours et trois nuits au cours desquels les assiégés, dirigés par Hujjat, résistèrent avec une splendide audace aux farouches assauts de l'assaillant. Ni le nombre écrasant de celui-ci ni la supériorité de son équipement et de son entraînement ne lui permirent de réduire les intrépides compagnons à se rendre sans condition. (24.29) Point découragés par le feu des canons qui pleuvait sur eux, et oubliant sommeil et faim, ils se ruèrent tête baissée hors du fort, peu soucieux des dangers que comportait une telle sortie. Aux imprécations par lesquelles une armée adverse accueillait leur apparition hors de leur retraite, ils répondaient par le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán!" et, transportés par la magie que leur conférait cette invocation, se jetaient sur l'ennemi et éparpillaient ses forces. La fréquence et le succès de ces sorties démoralisèrent leurs assaillants et les convainquirent de la futilité de leurs efforts. Ils furent bientôt obligés de reconnaître leur impuissance à remporter une victoire décisive. Le sadru'd-dawlih lui-même dut confesser qu'après une période de neuf mois de combat soutenu, de tous les hommes qui avaient initialement appartenu à ses deux régiments, seuls trente soldats estropiés restaient encore pour le défendre. Plein d'humiliation, il dut finalement admettre son impuissance à dompter l'esprit de ses adversaires. Il fut déchu de son rang et sévèrement blâmé par son souverain. Les espoirs qu'il avait si tendrement caressés furent irrémédiablement brisés à la suite de cette défaite.

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Une défaite aussi abjecte frappa de consternation les habitants de Zanján. Peu nombreux étaient ceux qui, après ce désastre, désiraient encore risquer leur vie dans des rencontres désespérées. Seuls ceux qui étaient obligés de combattre osèrent renouveler leurs attaques contre les assiégés. La violence de la bataille fut principalement soutenue par les régiments qui étaient successivement dépêchés de Tihrán à cette fin. Alors que les habitants de la ville, et en particulier la classe marchande, tiraient grand profit de la venue soudaine d'un si grand nombre de soldats, les compagnons de Hujjat souffraient de privations à l'intérieur des murs du fort. Leurs réserves diminuaient rapidement; leur seul espoir de recevoir de la nourriture de l'extérieur résidait dans les efforts, souvent malheureux, de quelques femmes qui pouvaient réussir, sous des prétextes divers, à s'approcher du fort et à leur vendre, à un prix exorbitant, les provisions dont ils avaient un besoin si pressant.
Bien qu'ils fussent accablés par la faim et harcelés par des attaques soudaines et farouches, les compagnons soutinrent cependant, avec une détermination stoïque, la défense du fort. Soutenus par un espoir qu'aucune d'adversité ne pouvait affaiblir, ils réussirent à ériger pas moins de vingt-huit barricades dont chacune fut confiée aux soins d'un groupe de dix-neuf de leurs condisciples. A chaque barricade on fit stationner, en guise de sentinelles, dix-neuf compagnons supplémentaires dont la fonction était de surveiller et de rapporter les mouvements de l'ennemi.
Il furent fréquemment surpris par la voix du crieur que l'ennemi envoyait dans le voisinage du fort pour inciter ses occupants à abandonner Hujjat et sa cause. "Le gouverneur de la province, proclamait celui-ci, ainsi que le commandant en chef sont prêts à pardonner et à octroyer un sauf-conduit à tous ceux d'entre vous qui se décideront à quitter le fort et à renoncer à leur foi. Ces personnes seront amplement récompensées par leur souverain qui leur prodiguera non seulement ses dons mais les investira de la dignité de la noblesse. Le sháh, ainsi que ses représentants, ont donné leur parole d'honneur qu'ils ne failliront pas à la promesse qu'ils ont donnée."Les assiégés, unanimes, ne répondaient qu'avec dédain et fermeté à cet appel.
On eut une preuve supplémentaire de l'esprit de renoncement sublime qui animait ces vaillants compagnons par le comportement d'une jeune villageoise qui, de son plein gré, vint partager le sort du groupe de femmes et d'enfants qui s'était joint aux défenseurs du fort.

<P512>

Elle s'appelait Zaynab et venait d'un hameau des environs de Zanján. Elle était avenante et belle, animée d'une foi élevée, et douée d'un courage intrépide. La vue des épreuves et des difficultés que ses compagnons devaient endurer suscita en elle une irrésistible envie de se déguiser en homme et de contribuer à repousser les attaques répétées de l'ennemi. Elle mit une tunique et un couvre-chef semblables à ceux de ses compagnons, se coupa les tresses, s'attacha une épée à la ceinture et, s'emparant d'un fusil et d'un bouclier, s'introduisit dans leurs rangs. Personne ne la soupçonna d'être une femme lorsqu'elle sauta pour aller prendre place derrière la barricade. Dès que l'ennemi chargea, elle dégaina son épée et, lançant le cri de "Yá Sáhibu' z-Zamán", se jeta avec une incroyable audace sur les forces déployées contre elle. Amis et ennemis furent ce jour-là émerveillés par un courage et une habileté dont ils n'avaient jamais vu d'égal. Elle fut considérée par ses ennemis comme un fléau qu'une Providence en colère leur avait envoyé. Ecrasés par le désespoir, ils abandonnèrent leurs barricades et fuirent honteusement devant elle.
Hujjat, qui observait les mouvements de l'ennemi d'une des tourelles, reconnut Zaynab et fut émerveillé par la vaillance dont elle faisait preuve. Elle s'était mise à poursuivre ses assaillants lorsqu'il donna l'ordre à ses hommes de la prier de retourner au fort et de renoncer à sa tentative. "Aucun homme", l'entendit-on dire au moment où il regardait la jeune fille plonger dans le feu dirigé contre elle par l'ennemi, "n'a montré autant de vitalité et de courage." Lorsque Hujjat l'interrogea sur le mobile de son comportement, elle fondit en larmes et dit: "Mon coeur souffrait de pitié et de tristesse lorsque je voyais la peine et les souffrances de mes condisciples. J'avançai, poussée par un appel intérieur auquel je ne pouvais résister. J'avais peur de vous voir me refuser le privilège de partager le sort de mes compagnons." "Vous êtes sûrement la même Zaynab, lui demanda Hujjat, qui s'était déclarée volontaire pour rejoindre les occupants du fort?" "Je le suis, répondit-elle. Je puis vous assurer en toute certitude que personne, jusqu'à présent, n'a découvert mon sexe. Vous seul m'avez reconnue. Je vous adjure par le Báb de ne pas 'ôter ce privilège inestimable qu'est la couronne du martyre, unique désir de ma vie."
Hujjat fut profondément impressionné par le ton et la forme de cet appel. Il chercha à calmer le tumulte de son âme, l'assura de ses prières en sa faveur et lui donna le nom de Rustam-'Alí, voulant marquer par là son noble courage.

<P513 >

"C'est le jour de la résurrection, lui dit-il, le jour où "tous les secrets seront découverts" (24.30) Ce n'est pas par leur apparence extérieure, mais bien par le caractère de leur croyance et la manière de vivre de ses créatures que Dieu les jugera, qu'elles soient hommes ou femmes. Quoiqu'encore une jeune fille d'âge tendre et de peu d'expérience, vous avez fait preuve d'une vitalité et d'une habileté telles que peu d'hommes peuvent espérer vous surpasser." Il accepta la requête de Zaynab et lui dit de ne pas dépasser les limites que la foi leur avait imposées. "Nous sommes appelés à défendre nos vies, lui rappela-t-il, contre un traître assaillant et non à mener la guerre sainte contre lui."
Durant une période de non moins de cinq mois, cette jeune fille continua à tenir tête, avec un héroïsme inégalé, aux forces de l'ennemi. Se souciant peu de la nourriture et du sommeil, elle oeuvra avec une sincérité fiévreuse pour la cause qu'elle aimait par-dessus tout. Par l'exemple de sa splendide audace, elle ranima le courage des hésitants et leur rappela l'obéissance qu'on attendait de chacun d'eux. L'épée qu'elle portait resta, pendant tout ce temps, à ses côtés. On la voyait, au cours des brefs intervalles de sommeil qu'elle pouvait obtenir, se reposer, la tête sur son arme alors que son bouclier servait à lui couvrir le corps. Chacun de ses compagnons avait la charge d'un poste particulier qu'il devait surveiller et défendre, tandis que cette jeune fille intrépide avait seule la liberté de se déplacer où il lui plaisait. Sans cesse au milieu du combat et au tout premier rang du tumulte qui faisait rage autour d'elle, Zaynab était toujours prête à se précipiter au secours de tout poste que menaçait l'assaillant, et à prêter assistance à tous ceux qui avaient besoin de son encouragement ou de son soutien. Comme la fin de sa vie approchait, ses ennemis découvrirent son secret et continuèrent, bien qu'ils sussent qu'il s'agissait d'une jeune fille, de craindre son influence et de trembler à son approche. Le son aigu de sa voix suffisait à semer la consternation en leurs coeurs et à les remplir de désespoir.
Un jour, voyant que ses compagnons se trouvaient soudain débordés par les forces de l'ennemi, Zaynab courut désespérée chez Hujjat et, se jetant à ses pieds, le supplia, les yeux baignés de larmes, de lui permettre de se précipiter à leur secours. "Ma vie, je le sens, tire à sa fin, ajouta-t-elle. Je puis moi-même tomber sous l'épée de l'assaillant. Pardonnez-moi mes fautes, je vous en supplie, et intercédez en ma faveur auprès de mon maître, pour l'amour de qui je brûle d'offrir ma vie."

<P514>

Hujjat fut trop ému pour pouvoir répondre. Encouragée par son silence, qu'elle interpréta comme un acquiescement, Zaynab sortit en courant par la porte et, lançant sept fois le cri de "Yá Sáhibu'zZamán", se précipita pour arrêter la main qui avait déjà tué un certain nombre de ses compagnons. "Pourquoi salissez-vous par vos actes le beau nom de l'islám?" cria-t-elle en bondissant vers eux. "Pourquoi fuir honteusement devant nous, si vous êtes de ceux qui disent la vérité?" Elle courut aux barricades que l'ennemi avait érigées, mit
déroute ceux qui gardaient les trois premières défenses, et était occupée à vaincre la quatrième lorsqu'elle tomba morte sous une pluie de balles. Pas une seule voix, parmi ses adversaires, n'osa mettre en doute sa chasteté ni ignorer le caractère sublime de sa foi et l'endurance de son caractère. Sa dévotion était telle qu'après sa mort, pas moins de vingt femmes, parmi ses connaissances, embrassèrent la cause du Báb. Pour elles, elle avait cessé d'être la fille de paysan qu'elles avaient connue; elle était désormais l'incarnation même des plus nobles principes de la conduite humaine, une vivante incarnation de l'esprit que seule une foi comme la sienne pouvait manifester.
Les messagers qui agissaient en qualité d'intermédiaires entre Hujjat et ses compagnons reçurent un jour l'ordre de charger les gardes des barricades de mettre en application l'injonction du Báb à ses disciples et de répéter, dix-neuf fois chaque nuit, chacune des invocations suivantes: "Alláh-u-Akbar" (24.31), Alláh-u-A'zam' (24.32), "Alláh-u-Ajmal" (24.33), "Alláh-u-Abhá" (24.34) et "Alláh-u-Athar". (24.35) La nuit même où l'ordre fut reçu, tous les défenseurs des barricades se joignirent pour clamer ensemble ces paroles. Ce cri fut si fort et si irrésistible que 1'ennemi fut brutalement tiré de son sommeil, abandonnant horrifié le camp et, se ruant vers les alentours de la résidence du gouverneur, chercha refuge dans les maisons avoisinantes. Quelques-uns furent si frappés de terreur qu'ils tombèrent aussitôt raides morts. Un nombre considérable d'habitants de Zanján s'enfuirent, pris de panique, vers les villages proches. Beaucoup prirent cette immense clameur pour un signe présageant le jour du Jugement; d'autres pensèrent que c'était là un nouvel appel de Hujjat qui, selon eux, serait le prélude à une soudaine offensive dirigée contre eux, plus terrible que toutes celles qu'ils avaient vécues jusqu'alors.
"Que serait-ce", entendit-on Hujjat faire remarquer lorsqu'il fut informé de la terreur que cette soudaine invocation avait provoquée, "si mon maître m'avait autorisé à mener la guerre sainte contre ces lâches mécréants! Il m'a dit d'instiller dans le coeur des hommes les principes ennoblissant de charité et d'amour, et de m'abstenir de toute violence inutile.

<P515>

Mon but et celui de mes compagnons est, et sera toujours, de servir loyalement notre souverain et de vouloir le bien de son peuple. Si j'avais décidé de suivre les traces des 'ulamás de Zanján, je serais demeuré, ma vie durant, l'objet de l'adoration servile de ce peuple. Jamais je n'accepterai d'échanger, contre tous les trésors et les honneurs de ce monde, la loyauté immuable que je porte envers sa cause.
Le souvenir de cette nuit demeure encore vivant à l'esprit de ceux qui vécurent sa terreur et son horreur. J'ai entendu plusieurs témoins oculaires exprimer, en termes glorieux, le contraste entre le tumulte et le désordre qui régnaient dans le camp de l'ennemi, et l'atmosphère de dévouement respectueux qui remplissait le fort. Alors que ceux qui étaient dans le fort invoquaient le nom de Dieu, l'imploraient de les guider et de leur accorder sa miséricorde, leurs adversaires, officiers et hommes de troupe, étaient absorbés par des actes honteux et de débauche. Bien qu'ils fussent épuisés, les occupants du fort continuaient à observer leurs veilles et à psalmodier les hymnes de louange que le Báb leur avait appris à répéter. Le camp de l'ennemi retentissait, au même moment, d'éclats de rire bruyants, d'imprécations et de blasphèmes. Cette nuit-là en particulier, dès que l'invocation se fit entendre, les officiers licencieux, qui tenaient à la main leurs verres de vin, les jetèrent instantanément à terre et déguerpirent, tête baissée et pieds nus, comme abasourdis par ce cri de stentor. Au milieu du désordre qui s'ensuivit, on renversa des tables de jeux. A moitié vêtus et tête nue, certains étaient sortis en courant dans les rues désertes alors que d'autres s'étaient rendus en hâte chez les 'ulamás pour les tirer de leur sommeil. Alarmés et terrifiés, ceux-ci commencèrent à se lancer les invectives les plus violentes, s'accusant mutuellement d'avoir allumé le feu d'un si grand trouble.
Dès que l'ennemi eut découvert le but de cette grande clameur, il retourna rassuré à ses postes, bien que fort humilié par son aventure. Les officiers ordonnèrent à certains de leurs hommes de se tenir en embuscade pour tirer dans la direction d'où ces voix pourraient de nouveau provenir. Ils parvenaient ainsi chaque nuit à tuer quelques compagnons. Point découragés par les pertes qu'ils subissaient régulièrement, les partisans de Hujjat continuèrent à lancer, avec la même ferveur, leur invocation, dédaignant les périls que comportait la récitation de leur prière. Au fur et à mesure que leur nombre diminuait, cette prière devenait plus forte et acquérait un caractère plus poignant.

<P516>

Même l'imminence de la mort était impuissante à décider les défenseurs intrépides du fort à abandonner ce qu'ils considéraient comme le plus noble et le plus puissant souvenir de leur Bien-Aimé.
La bataille faisait encore rage lorsque Hujjat fut amené à adresser son message écrit à Násiri'd-Dín Sháh. "Les sujets de Votre Majesté Impériale, lui écrivit-il, vous considèrent aussi bien comme leur souverain temporel que comme le suprême gardien de leur foi. Ils font appel à vous pour que justice soit faite et voient en vous le protecteur suprême de leurs droits. Notre controverse concernait à l'origine uniquement les 'ulamás de Zanján et n'impliquait en aucun cas votre gouvernement ni votre peuple. Je fus moi-même convoqué à Tihrán par votre prédécesseur et dus, à sa demande, exposer les affirmations fondamentales de ma foi. Feu le Sháh fut entièrement satisfait et fit hautement l'éloge de mes efforts. Je me résignai alors à quitter mon foyer et à m'installer à Tîhrán, n'ayant pour but que de calmer la fureur qui faisait rage autour de ma personne et d'éteindre le feu qu'avaient allumé les fauteurs de troubles. Quoique libre de retourner chez moi, je préférai demeurer dans la capitale, me confiant totalement à la justice de mon souverain. Aux premiers jours de votre règne, alors que le soulèvement du Mázindarán était encore en cours, l'amír-nizám me suspecta de trahison et décida de m'ôter la vie. Ne trouvant personne à Tihràn capable de me protéger, je décidai, dans le but de me défendre, de fuir à Zanján où je repris mes travaux et m'efforçai, de tout mon être, de promouvoir les véritables intérêts de l'islám. Je poursuivais mon oeuvre lorsque le majdu'ddawlih se leva contre moi. Je fis plusieurs fois appel à lui pour qu'il fasse preuve de modération et de justice, mais il refusa d'accéder à ma demande. A l'instigation des 'ulamás de Zanján et encouragé par les flatteries dont il était l'objet, il décida de m'arrêter. Mes amis intervinrent et tentèrent de retenir sa main. Il continu de soulever le peuple contre moi et celui-ci, à son tour, a agi de telle façon que nous avons été mis devant la situation actuelle. Votre Majesté s'est jusqu'à présent abstenue de nous accorder sa gracieuse assistance, à nous qui sommes les innocentes victimes d'une cruauté si féroce. Nos ennemis ont même cherché à présenter notre cause, aux yeux de Votre Majesté, comme une conspiration contre l'autorité dont vous êtes investi. Certes, tout observateur impartial admettra aussitôt que nous ne nourrissons point en nos coeurs une telle intention. Notre unique but est de faire progresser les intérêts de votre gouvernement et de votre peuple. Mes principaux compagnons et moi, nous tenons prêts à partir pour Tihrán afin de pouvoir, en votre présence ainsi qu'en celle de nos principaux adversaires, établir l'authenticité de notre cause.

<P517>

Ne se contentant point de sa propre requête, il pria ses principaux partisans d'adresser des appels similaires au Sháh et d'appuyer sa demande visant à rétablir la justice.
A peine le messager qui transportait ces requêtes à Tihrán s'était-il mis en route, qu'il fut arrêté et emmené auprès du gouverneur. Rendu furieux par cet acte de ses adversaires, celui-ci donna l'ordre de tuer aussitôt le messager. Il détruisit les pétitions et écrivit au Sháh des lettres qu'il chargea d'insultes et, ajoutant les signatures de Hujjat et de ses principaux compagnons, les envoya à Tihrán.
Le sháh fut si indigné à la lecture de ces insolentes pétitions qu'il donna l'ordre d'envoyer aussitôt à Zanján deux régiments équipés de canons et de munitions, et de leur enjoindre de ne laisser survivre aucun des partisans de Hujjat.
Pendant ce temps, la nouvelle du martyre du Báb parvenait aux occupants du fort durement éprouvés, grâce à Siyyid Hasan, frère de Siyyid Husayn, le secrétaire du Báb, qui était arrivé d'Ádhirbáyján et se rendait à Qazvín. La nouvelle se répandit parmi l'ennemi qui l'accueillit avec des cris de joie sauvage. Il se hâta de se moquer des efforts des adeptes du martyr et de proférer des injures contre eux. "Pour quel motif", crièrent-ils dédaigneux et méprisants, "voulez-vous vous sacrifier désormais? Celui dans le sentier de qui vous désirez ardemment offrir vos vies est lui-même tombé victime des balles d'un ennemi triomphant. Son corps est déjà perdu, aussi bien pour ses ennemis que pour ses amis. Pourquoi persister dans votre obstination alors qu'un mot suffirait à vous libérer de vos ennemis ?" Cependant, malgré leurs efforts tendant à ébranler la confiance de la communauté endeuillée, ils ne purent finalement décider le plus faible d'entre eux à abandonner le fort ou à rejeter sa foi.
L'amir-nizám, pendant ce temps, exhortait son souverain à envoyer des renforts supplémentaires à Zanján. Muhammad Khán, l'amírtúmán, à la tête de cinq régiments équipés d'une quantité considérable d'armes et de munitions, fut finalement chargé de démolir le fort et d'exterminer ses occupants.
Durant les vingt jours où l'on suspendit les hostilités, 'Azíz Khán-i-Mukri, surnommé Sardár-i-Kull, qui se trouvait en mission militaire à Iraván (24.36), arrivait à Zanján et réussissait à rencontrer Hujjat grâce à son hôte, Siyyid 'Alí Khán. Ce dernier raconta à 'Azíz Khán les circonstances d'une émouvante entrevue qu'il avait eue avec Hujjat et au cours de laquelle il avait obtenu tous les renseignements dont il avait besoin concernant les intentions et les propositions des assiégés.

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"Si le gouvernement, lui avait dit Hujjat, refuse de prêter l'oreille à mon appel, je suis prêt, avec sa permission, à partir en compagnie de ma famille pour un lieu situé au-delà des confins de ce pays. S'il refusait même d'accepter cette requête et continuait de nous attaquer, nous nous sentirions alors contraints à nous lever pour nous défendre." 'Azíz Khán assura Siyyid 'Alí Khán qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour décider les autorités à trouver une solution rapide à ce problème. A peine Siyyid 'Alí Khán s'était-il retiré qu' `Aziz Khán fut surpris par le farràsh (24.37) de 1' amír-nizám, qui était venu arrêter Siyyid 'Alí Khán pour le conduire à la capitale. 'Aziz Khán fut pris d'une grande frayeur et, dans le but d'écarter tout soupçon de sa propre personne, se mit à insulter Hujjat et à le dénoncer ouvertement devant le farrásh. Il put ainsi écarter le danger qui menaçait sa propre vie.
L'arrivée de l'amír-túmán marqua la reprise des hostilités à une échelle telle que Zanján n'en avait jamais connue auparavant. Dix-sept régiments de cavalerie et d'infanterie avaient rallié son étendard et combattaient sous son commandement. (24.38) Pas moins de quatorze canons furent, sur son ordre, pointés sur le fort. Cinq régiments supplémentaires, que l'amir avait recrutés dans le voisinage, s'entraînaient sous son commandement pour servir de renfort. La nuit même où il arriva, il donna l'ordre de sonner les trompettes pour signaler la reprise de l'attaque. Les officiers chargés de son artillerie reçurent l'ordre d'ouvrir aussitôt le feu sur les assiégés. Le grondement des canons, que l'on pouvait nettement entendre à une distance d'environ quatorze farsangs (24.39), avait à peine commencé lorsque Hujjat ordonna à ses compagnons de faire usage des deux canons qu'ils avaient eux-mêmes construits. L'un deux fut transporté vers un lieu surélevé qui dominait le quartier général de l'amír. Une balle frappa la tente de celui-ci et blessa mortellement sa monture. L'ennemi, pendant ce temps, tirait avec une fureur implacable sur le fort, et réussissait à tuer un grand nombre de ses occupants.
Au fur et à mesure que les jours passaient, il devenait de plus en plus évident que les forces de l'amír-túmán, en dépit de leur grande supériorité en nombre, en équipement et en entraînement, étaient incapables de remporter la victoire qu'elles avaient naïvement anticipée. La mort de Farrukh Khán, fils de Yahyá Khán et frère de Hájí Sulaymán Khán, l'un des généraux de l'armée ennemie, suscita l'indignation de l'amír-nizám, qui adressa une communication très ferme au commandant en chef, le blâmant de n'avoir pu contraindre les assiégés à se rendre sans conditions.

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"Vous avez souillé le beau nom de votre pays, lui écrivit-il, vous avez démoralisé l'armée et gaspillé les vies de ses officiers les plus capables." Il lui ordonnait en outre de faire appliquer la discipline la plus stricte parmi ses subordonnés et de nettoyer son camp de toute trace de débauche et de vice. Il l'exhortait, de plus, à tenir conseil avec les chefs des habitants de Zanján et l'avertissait que, s'il faillissait à atteindre son but, il serait dégradé. "Si vos efforts combinés, ajoutait-il, s'avèrent impuissants à les forcer à se soumettre, je me rendrai moi-même à Zanján et donnerai l'ordre de procéder à un massacre général de ses habitants, sans tenir compte de leur rang ni de leur croyance. Une ville qui peut apporter tant d'humiliation au Sháh et de détresse à son peuple est complètement indigne de la clémence de notre souverain.
Au comble du désespoir, l'amír-túmán convoqua tous les kad-khudàs (24.40) et les chefs du peuple, leur montra le texte de cette lettre et parvint, par ses pressantes supplications, à les pousser à agir immédiatement. Le lendemain, tout homme de Zanján physiquement apte s'enrôlait sous l'étendard de l'amír-túmán. Menée par ses kad-khudás et précédée par quatre régiments, une foule immense se mettait en marche, au son d'une fanfare de trompettes et au battement des tambours, en direction du fort. Nullement ébranlés par ces clameurs, les compagnons de Hujjat lancèrent simultanément le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán!" et sortirent ensemble par les portes pour se jeter sur la foule. Cette rencontre fut l'engagement le plus féroce et le plus désespéré de tous ceux qu'ils avaient vécus jusqu-alors. L'élite de l'armée de Hujjat tomba ce jour-là, victime d'un carnage impitoyable. Beaucoup de fils furent massacrés dans des circonstances d'une cruauté effrénée sous les yeux de leur mère, alors que des soeurs virent avec horreur et angoisse les têtes de leurs frères mises au bout des lances et brutalement défigurées par les armes de leurs ennemis. Au milieu d'un tumulte où l'enthousiasme impétueux des compagnons de Hujjat eut à faire face à la furie et au barbarisme d'un ennemi exaspéré, les voix des femmes, qui combattaient côte à côte avec les hommes, se faisaient entendre de temps à autre, ranimant le zèle de leurs condisciples. La victoire qui fut remportée miraculeusement ce jour-là, les compagnons la durent, pour une large part, aux cris d'allégresse que ces femmes lançaient face à un ennemi puissant, et dont le caractère poignant était encore accru par leurs propres actes d'héroïsme et d'abnégation.

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Déguisées en hommes, quelques-unes s'étaient ruées sur l'ennemi dans leur impatience à remplacer leurs frères tombés, alors qu'on voyait les autres porter sur leurs épaules des outres pleines d'eau avec lesquelles elles s'efforçaient d'apaiser la soif et de raviver les forces des blessés. La confusion régnait, pendant ce temps, dans le camp de l'ennemi. Privé d'eau et affligé par la défection dans ses rangs, celui-ci combattait pour une bataille perdue d'avance, incapable de battre en retraite et impuissant à vaincre. Pas moins de trois cents compagnons burent, ce jour-là, à la coupe du martyre.
L'un des partisans de Hujjat s'appelait Muhsin dont la fonction était d'entonner l'adhán (24.41). Sa voix était douée d'une telle chaleur et d'une telle ampleur que personne, dans le voisinage, ne pouvait l'égaler. Son écho, lorsqu'il appelait les fidèles à la prière, pouvait être nettement entendu jusque dans les villages voisins, et pénétrait les coeurs de ceux qui l'entendaient. Souvent les croyants des environs, aux oreilles de qui parvenait la voix de Muhsin, exprimaient leur indignation devant les accusations d'hérésie portées contre Hujjat et ses amis. Leurs protestations devinrent si énergiques qu'elles parvinrent finalement aux oreilles du principal mujtahid de Zanján qui, ne pouvant leur imposer le silence, implora l'amír-túmán d'inventer un moyen propre à faire sortir de l'esprit des habitants la croyance en la piété et en la droiture de Hujjat et de ses compagnons. "Jour et nuit, se plaignit-il, je m'efforce par mes sermons, ainsi que par mes entretiens privés avec les habitants, de leur inculquer la conviction que cette misérable bande est l'ennemie juré du Prophète et la destructrice de sa foi. Le cri de cette vile personne qui s'appelle Muhsin prive mes paroles de leur effet et réduit à néant mes efforts. Exterminer ce misérable est sûrement votre première obligation."
L'amír refusa tout d'abord de prêter l'oreille à l'appel du mujtahid. "Vous et vos semblables, répondit-il, devez être tenus pour responsables d'avoir déclaré la nécessité de mener la guerre sainte contre eux. Nous ne sommes que les serviteurs du gouvernement, et notre devoir est d'obéir aux ordres que nous recevons. Si vous cherchez cependant à lui ôter la vie, vous devriez être prêts à faire le sacrifice nécessaire." Le siyyid comprit aussitôt le but de l'allusion de l'amír. A peine avait-il regagné sa maison qu'il lui envoya, par l'intermédiaire d'un messager, un don de cent túmáns. (24.42)
L'amir ordonna aussitôt à certains de ses hommes, qui étaient connus pour leur qualité de tireurs, de guetter Muhsin et de tirer sur lui au moment où il ferait sa prière.

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Ce fut vers l'aube, au moment où il lançait le cri de "Là Iláh-a-Illa'lláh" (24.43), que Muhsin reçut une balle dans la bouche et fut tué instantanément. Dès que Hujjat fut informé de cet acte cruel, il donna l'ordre à un autre de ses compagnons de monter à la tourelle pour poursuivre la prière là où Muhsin avait dû l'interrompre. Bien qu'il restât vivant jusqu'à la cessation des hostilités, il dut lui aussi, en même temps que plusieurs de ses frères, subir finalement une mort non moins atroce que celle de son condisciple.
Comme les jours du siège tiraient à leur fin, Hujjat exhorta tous ceux qui étaient fiancés à célébrer leur mariage. Pour chaque jeune homme célibataire qui se trouvait parmi les assiégés, il choisit une épouse et paya, dans les limites des moyens dont il disposait et de sa propre bourse, tout ce qui pouvait accroître le confort et le bonheur des nouveaux mariés. Il vendit tous les bijoux que possédait sa femme et, avec l'argent qu'il en retira, pourvut à tout ce qu'il était possible d'acquérir pour procurer la joie et le bonheur au coeur de ceux qu'il avait unis. Ces festivités continuèrent durant plus de trois mois; elles se confondaient avec la terreur et les difficultés d'un siège soutenu depuis fort longtemps. Combien de fois les acclamations de joie par lesquelles époux et épouses se saluaient l'un l'autre furent-elles couvertes par la clameur d'un ennemi qui s'avançait! Avec quelle soudaineté les cris de joie faisaient-ils place à celui de "Yá Sáhibu'zZamán!" qui appelait les fidèles à se lever et à repousser l'envahisseur! Avec quelle tendresse l'épouse suppliait-elle l'époux de passer encore quelque temps à ses côtés avant de s'élancer pour aller gagner la couronne du martyre! "Je ne puis perdre de temps, répondait-il. Je dois me hâter d'obtenir la couronne de gloire. Nous nous rencontrerons certainement sur les rives du grand au-delà, la demeure d'une réunion éternelle et bienheureuse."
Pas moins de deux cents jeunes hommes se marièrent durant ces jours troublés. Quelques-uns purent passer un mois paisible en compagnie de leur épouse, d'autres quelques jours, d'autres encore un bref moment; personne, parmi eux, ne faillit à répondre joyeusement à l'appel lorsque le battement du tambour annonça l'heure du départ. Tous, sans exception, s'offrirent généreusement en sacrifice pour leur véritable Bien-Aimé; tous devaient finalement boire à la coupe du martyre. Il n'est pas étonnant que le Báb ait appelé Ard-i-A`lá (24.44) le lieu qui a été le théâtre de souffrances indicibles et qui a vu un tel héroïsme; ce titre demeure à jamais lié à son propre nom béni.

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Parmi les compagnons se trouvait un certain Karbilá'í 'Abdu'l-Báqí, père de sept fils dont cinq furent mariés par Hujjat. Les cérémonies nuptiales étaient à peine terminées que des cris de terreur annoncèrent soudain la reprise d'une nouvelle offensive contre eux. Ils bondirent et, abandonnant leurs bien-aimées, se lancèrent aussitôt en avant pour repousser l'envahisseur. Tous les cinq tombèrent successivement au cours de cette rencontre. Le plus âgé, un jeune homme fort estimé pour son intelligence et renommé pour son courage, fut fait prisonnier et conduit auprès de l'amír-túmán. Déposez-le à terre, s'écria l'amír furieux, et allumez sur son sein, qui osa nourrir un si grand amour pour Hujjat, un feu qui le consumera." "Misérable", s'écria l'indomptable le jeune homme, "aucune flamme allumée de la main de vos hommes ne pourrait détruire l'amour qui brûle dans mon coeur." Jusqu'au dernier instant de sa vie, la louange de son Bien-Aimé demeura sur ses lèvres.
Parmi les femmes qui se distinguèrent par la fermeté de leur foi se trouvait une certaine Umm-i-Ashraf (24.45), qui venait de se marier lorsque la tempête de Zanján éclata. Elle se trouvait à l'intérieur du fort lorsqu'elle donna naissance à son fils Ashraf. La mère et l'enfant survécurent au massacre qui marqua la phase finale de cette tragédie. Des années plus tard, alors que son fils était devenu un jeune homme prometteur, il fut impliqué dans les persécutions qui affligèrent ses frères.

PHOTO: tombes d'Ashraf (1a) et de sa mère (2)

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Ne pouvant le décider à rejeter sa foi, ses ennemis s'efforcèrent d'alarmer sa mère et de la convaincre de la nécessité de le sauver avant qu'il ne fût trop tard. "Tu ne seras plus mon fils", s 'écria la mère lorsqu'elle fut amenée en face de lui, "si tu cèdes à de si viles médisances et leur permets de te détourner de la vérité." Fidèle aux ordres de sa mère, Ashraf fit face à la mort avec un calme intrépide. Quoiqu'elle fût elle même témoin des cruautés infligées à son fils, elle ne se lamenta point et ne versa point de larmes. Cette mère merveilleuse fit preuve d'un courage et d'une force d'âme qui étonnèrent les auteurs de cet acte ignoble. "J'ai maintenant présent à l'esprit", s'exclama-t-elle en jetant un regard d'adieu sur le corps de son fils, "le voeu que je fis le jour de ta naissance, alors que nous étions assiégés dans le fort d'Alí-Mardàn Khán. Je me réjouis de ce que tu m'aies permis, toi l'unique fils que Dieu m'ait donné, de tenir ma parole."
Ma plume est impuissante à décrire et encore moins à rendre un digne hommage à l'enthousiasme dévorant qui brûlait dans ces coeurs vaillants. Malgré leurs violences, les vents de l'adversité ne purent éteindre la flamme de cet enthousiasme. Hommes et femmes travaillèrent avec une ferveur constante à renforcer les défenses du fort et à reconstruire tout ce que l'ennemi avait détruit. Chaque fois qu'ils avaient un moment de loisir, ils le consacraient à la prière. Chaque pensée, chaque désir était subordonné à la nécessité capitale de protéger la forteresse contre les attaques de l'assaillant. Le rôle que jouèrent les femmes dans ces opérations ne fut pas moins ardu que celui de leurs compagnons. Toutes, quels que soient leur rang et leur âge, participèrent avec énergie à la tâche commune. Elle cousaient les vêtements, cuisaient le pain, surveillaient les malades et les blessés, réparaient les barricades, débarrassaient les cours et les terrasses des balles et des projectiles que leur tirait l'ennemi et, enfin, ce qui n'était pas la moindre des tâches, redonnaient courage à ceux qui hésitaient et ranimaient la foi des indécis. (24.46) Les enfants eux-mêmes s'en mêlèrent, prêtant toute l'assistance en leur pouvoir à la cause commune; ils semblaient embrasés par un enthousiasme tout aussi remarquable que celui dont faisaient preuve leurs pères et leurs mères.
L'esprit de solidarité qui caractérisa leurs travaux et l'héroïsme de leurs actes furent tels, que l'ennemi fut porté à croire que leur nombre atteignait les dix mille. On admettait généralement que de continuelles réserves de vivres parvenaient au fort de manière inexplicable, et que de nouveaux renforts étaient continuellement envoyés de Nayríz, du Khurásán et de Tabríz.

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La puissance des assiégés leur semblait plus inébranlable que jamais, leurs ressources inépuisables.
L'amír-túmán, exaspéré par leur inflexible ténacité et poussé par les blâmes et les protestations des autorités de Tihrán, décida de recourir à l'arme abjecte qu'est la tromperie, dans le but d'obtenir la reddition complète des assiégés. (24.47) Fermement convaincu de la futilité de ses efforts tendant à combattre loyalement ses ennemis sur le champ de bataille, il demanda, par la ruse, la suspension des hostilités, et fit courir le bruit que le Sháh avait décidé de renoncer à toute son entreprise. Il prétendit que son souverain avait, dès le début, désapprouvé l'idée d'apporter son soutien aux forces qui combattaient au Mázindarán et à Nayríz, et avait déploré l'effusion de tant de sang pour une raison aussi insignifiante. La population de Zanján et des villages environnants en vint à croire que Násiri'd-Dín Sháh avait effectivement donné l'ordre à l'amír-túmán de négocier un accord à l'amiable avec Hujjat, et qu'il était de son intention de mettre fin, aussi rapidement que possible, à ce déplorable état de choses.
Certain de ce que le peuple avait été trompé par son plan astucieux, il lança un appel à la paix, dans lequel il assurait Hujjat de la sincérité de son intention quant à la réalisation d'un accord durable entre lui et ses partisans. Il accompagna cette déclaration d'un exemplaire scellé du Qur'án en signe de témoignage du caractère sacré de son serment. "Mon souverain, ajouta-t-il, vous a pardonné. Vous êtes, ainsi que vos disciples-je le déclare solennellement-sous la protection de Sa Majesté Impériale. Ce Livre de Dieu m'est témoin que, si l'un de vous décide de sortir du fort, il sera à l'abri de tout danger."
Hujjat reçut avec respect le Qur'án de la main du messager et, dès qu'il eut lu cet appel, pria le porteur d'informer son maître qu'il lui adresserait une réponse le lendemain. Cette nuit-là, il réunit ses principaux compagnons et leur parla des doutes qu'il nourrissait quant à la sincérité des déclarations de 1'ennemi. "Les perfidies du Mázindarán et de Nayríz sont encore vivantes en notre esprit. Ils veulent faire à notre encontre ce qu'ils ont perpétré là-bas. En signe de déférence envers le Qur'án, cependant, nous répondrons à leur invitation et enverrons à leur camp certains de nos compagnons, afin que leur fourberie soit ainsi rendue manifeste."
J'ai entendu Ustàd Mihr-'Alíy-i-Haddád, qui survécut au massacre de Zanján, relater ce qui suit: "J'étais l'un des neuf enfants, dont aucun n'avait plus de dix ans, qui accompagnèrent la délégation envoyée par Hujjat à l'amír-túmán. Les autres étaient des hommes âgés de plus de quatre-vingts ans.

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Parmi eux se trouvaient Karbilá'í Mawlá-Qulí-Aqá-Dádásh, Darvísh-Saláh, Muhammad-Rahím et Muhammad. Darvísh-Saláh était une personnalité fort impressionnante, de haute stature, portant une barbe blanche, et d'une singulière beauté. Il était fort estimé pour sa conduite juste et honorable. Son intervention en faveur des opprimés rencontrait toujours la considération et la sympathie des autorités concernées. Il renonça, après sa conversion, à tous les honneurs qu'on lui avait conférés et, bien que très âgé, s'enrôla parmi les défenseurs du fort. Il marchait devant nous, portant le Qur'án fermé, au moment où nous fûmes conduits auprès de l'amír-túmán.
"En atteignant sa tente, nous nous tînmes debout à l'entrée, dans l'attente de ses ordres. Il ne répondit pas à notre salut et nous traita avec un grand mépris. Il nous laissa debout pendant une demi-heure avant de daigner nous adresser la parole sur un ton de sévère réprimande. "On n'a jamais vu de gens plus misérables et plus ignobles que vous", s'écria-t-il avec dédain et ironie. Il avait lancé ses injures contre nous lorsque l'un des compagnons, le plus âgé et le plus faible d'entre eux, le pria de lui permettre de dire quelques mots et, après avoir obtenu son autorisation, parla, bien qu'il fût illettré, d'une manière qui ne pouvait manquer de susciter notre profonde admiration. "Dieu sait, plaida-t-il, que nous sommes et resterons à jamais des sujets loyaux de notre souverain, respectueux des lois et avec pour unique désir celui de servir les véritables intérêts de son gouvernement et de son peuple. Ceux qui nous veulent du mal nous ont présentés sous un faux jour. Aucun des représentants du sháh ne fut poussé à nous protéger ou à nous porter secours; personne n'alla plaider notre cause devant lui. Nous fîmes à maintes reprises appel à lui, mais il ignora notre supplication et resta sourd à notre appel. Nos
ennemis, enhardis par l'indifférence qui caractérisa l'attitude des autorités gouvernementales, nous assaillirent de tous côtés, pillèrent nos biens, violèrent nos femmes et nos filles, et capturèrent nos enfants. N'étant pas défendus par notre gouvernement, et étant encerclés par nos ennemis, nous nous sentîmes contraints de nous lever pour défendre nos vies.
"L'amír-túmán se tourna vers son adjoint pour lui demander ce qu'il lui conseillait de faire. "Je suis embarrassé, ajouta-t-il, je ne sais quelle réponse donner à cet homme. Si j'avais un penchant pour les religions, j'embrasserais sans hésiter sa cause." "Seule l'épée, répondit son adjoint , nous délivrera de cette abomination d'hérésie."

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"Je tiens encore dans ma main le Qur'án, intervint Darvísh-Saláh, et porte encore la déclaration que vous avez choisi de faire de votre propre chef. Les paroles que nous venons d'entendre sont-elles notre récompense pour avoir répondu à votre appel ?"
"L'amír-túmán, dans un accès de fureur, donna l'ordre d'arracher la barbe de Darvísh-Saláh et de jeter ce dernier, ainsi que ceux qui l'accompagnaient, dans un cachot. Je fus effrayé, comme les autres enfants, et nous essayâmes de nous évader. Lançant le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán !", nous nous précipitâmes vers nos barricades. Quelques-uns d'entre nous furent rattrapés et faits prisonniers. Au moment où je fuyais, l'homme qui me poursuivait saisit le pan de mon vêtement. Je me débattis, déchirai mon vêtement et réussis, dans un état d'épuisement total, à atteindre la porte qui menait aux approches du fort. Grande fut ma surprise lorsque je vis l'un des compagnons, un homme nommé Imán-Qúlí, sauvagement mutilé par l'ennemi. Je fus horrifié de voir cette scène, sachant que, ce jour-là, avait été proclamée la cessation des hostilités, et qu'on avait fait les serments les plus solennels de ne commettre aucun acte de violence. J'appris bientôt que la victime avait été trahie par son frère qui, sous le prétexte de vouloir lui parler, l'avait livré à ses persécuteurs.
"Je me précipitai directement chez Hujjat, qui me reçut affectueusement et, après avoir essuyé la poussière de mon visage et m'avoir habillé de vêtements neufs, m'invita à m'asseoir à ses côtés et me pria de lui raconter le sort de ses compagnons. Je lui décrivis tout ce que j'avais vu. "C'est le tumulte du jour de la résurrection, expliqua-t-il, un tumulte tel que le monde n'en a jamais vu de pareil. C'est le jour où "l'homme fuira son frère, et sa mère et son père, et sa femme et ses enfants." (24.48) C'est le jour où l'homme, non content d'avoir abandonné son frère, sacrifie sa substance dans le but de verser le sang de son parent le plus proche. C'est le jour ou tout mère qui allaite son bébé l'abandonnera, et où toute femme enceinte avortera. Et tu verras les hommes comme enivrés et, cependant, ils ne sont point ivres, mais c'est là le terrible châtiment de Dieu !" (24.49)
Puis Hujjat alla s'asseoir au milieu du Maydán (24.50) et appela ses disciples. À leur arrivée, il se leva et, se tenant debout au milieu d'eux, leur parla en ces termes: "Je suis très satisfait de vos efforts stoïques, ô mes compagnons bien-aimés! Nos ennemis s'attachent à nous détruire. Ils ne caressent pas d'autre désir. Leur intention était de vous tromper en vous faisant sortir du fort, et ensuite de vous abattre sans pitié, selon le désir de leurs coeurs. Voyant que leur supercherie avait été découverte, ils ont, dans un accès de rage, maltraité et emprisonné les plus vieux et les plus jeunes d'entre vous.

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Il est évident qu'avant d'avoir pris ce fort et dispersé ses occupants, ils ne déposeront pas leurs armes et ne cesseront pas leurs persécutions contre nous. Votre présence prolongée dans ce fort vous mènera finalement à la captivité chez votre ennemi qui, assurément, violera vos femmes et tuera vos enfants. Il est donc préférable que vous vous échappiez au milieu de la nuit en emmenant avec vous vos femmes et vos enfants. Que chacun cherche un endroit sûr jusqu'au jour où cette tyrannie aura disparu. Je resterai seul pour affronter l'ennemi. Il serait préférable que ma mort apaise leur soif de vengeance et que vous ne périssiez pas tous."
Les compagnons furent profondément émus et, les larmes aux yeux, déclarèrent leur ferme résolution de demeurer jusqu'au bout aux côtés de Hujjat. "Nous ne pourrons jamais consentir, s'exclamèrent-ils, à vous laisser à la merci d'un ennemi mortel! Nos vies ne sont pas plus précieuses que la vôtre, pas plus que nos familles ne sont de plus noble descendance que la vôtre. Quelque calamité qui puisse encore vous frapper, elle sera, pour nous aussi, la bienvenue."
Tous, à l'exception de quelques-uns, restèrent fidèles à leur serment. Ces derniers, ne pouvant supporter la détresse toujours croissante d'un siège prolongé, et encouragés par le conseil que Hujjat lui-même leur avait donné, se rendirent en un lieu sûr en dehors du fort, se séparant ainsi du reste de leurs condisciples.
Poussé par le désespoir, l'amír-túmán donna l'ordre à tous les hommes physiquement aptes de Zanján de se réunir dans le voisinage de son camp, prêts à recevoir ses instructions. Il réorganisa les forces de ses régiments, désigna leurs officiers et les ajouta à l'armée composée de nouvelles recrues qu'il avait fait rassembler dans la ville. Il ordonna à non moins de seize régiments, dont chacun était équipé de dix canons, de marcher sur le fort. Huit de ces régiments furent chargés d'attaquer le fort chaque matin, après quoi le restant des forces devaient les remplacer dans leur offensive jusqu'à l'approche du soir. L'amír lui-même entra en campagne, et on le vit tous les matins diriger les efforts de son armée, lui assurant qu'une récompense l'attendrait en cas de succès, et la mettant en garde contre le châtiment que son souverain lui infligerait en cas de défaite.
Le siège dura tout un mois. Point satisfait par les attaques de jour, l'ennemi assaillait plusieurs fois les compagnons durant la nuit. La fureur de ses assauts, la force écrasante de ses troupes et la succession rapide des attaques, firent se réduire les rangs des compagnons et aggravèrent leur détresse.

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Des renforts affluaient de partout vers l'ennemi, alors que les assiégés languissaient dans un état de misère et de famine. (24.51)
L'amír-nizám, pendant ce temps, décida de prêter main forte à l'amír-túmán en désignant Hasan-'Alí Khán-i-Karrúsí pour marcher, à la tête de deux régiments sunnís, sur Zanján. Son arrivée fut le signal de la concentration de l'artillerie sur le fort. Un formidable bombardement menaça le bâtiment d'une destruction immédiate. Il dura plusieurs jours, durant lesquels la forteresse tint bon en dépit du feu croissant qui était dirigé contre elle. Les amis de Hujjat firent preuve, durant ces jours, d'une bravoure et d'une habileté que même leurs ennemis les plus acharnés ne purent s'empêcher d'admirer.
Un jour, alors que le bombardement se poursuivait encore, une balle frappa Hujjat au bras droit, au moment ou il faisait ses ablutions. Bien qu'il ordonnât à son serviteur de ne pas informer sa femme de la blessure qu'il avait reçue, le chagrin de l'homme fut cependant si profond qu'il ne put cacher son émotion. Ses larmes devaient trahir sa désolation et, à peine la femme de Hujjat apprit-elle la blessure infligée à son mari qu'elle se précipita angoissée chez lui et le trouva dans un état de calme absolu, absorbé par la prière. Quoique saignant abondamment à l'endroit de la blessure, son visage gardait son expression de confiance sereine. "Pardonne à ce peuple, ô Dieu, l'entendit-on dire, car il ne sait pas ce qu'il fait. Sois miséricordieux envers lui, car ceux qui l'ont égaré sont seuls responsables des méfaits que ses mains ont commis."
Hujjat chercha à calmer l'agitation qui s'était emparée de sa femme et de ses parents à la vue du sang qui couvrait son corps. "Réjouissez-vous, leur dit-il, car je suis encore avec vous et désire que vous soyez entièrement résignés à la volonté de Dieu. Ce que vous voyez à présent n'est qu'une goutte comparée à l'océan d'afflictions qui vous
accablera à l'heure de ma mort. Quel que soit son décret, il est de votre devoir de vous y conformer et d'accepter sa volonté."
A peine la nouvelle de sa blessure était-elle parvenue aux compagnons, que ceux-ci déposèrent leurs armes et se précipitèrent chez lui. L'ennemi, pendant ce temps, profitant de l'absence momentanée de ses adversaires, redoublait ses attaques contre le fort et parvenait à se forcer un passage à travers la porte. (24.52) Ce jour-là, il s'empara de non moins de cent femmes et enfants, et pilla tous leurs biens. Malgré la rigueur de cet hiver, ces prisonniers furent laissés dehors durant au moins quinze jours et quinze nuits, exposés à un froid pénétrant tel que Zanján en avait rarement connu de pareil.

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Vêtus d'habits les plus légers, sans aucune couverture pour se protéger, ils furent abandonnés, sans nourriture et sans abri, dans un lieu désert. Leur unique protection était le voile qui leur couvrait la tête et avec lequel ils essayaient en vain de se protéger le visage contre le vent glacial qui soufflait impitoyablement. Des foules de femmes, dont la plupart leur étaient inférieures socialement, affluèrent des divers quartiers de Zanján vers la scène de leurs souffrances, et les accablèrent de ridicule et d'injures. "Vous avez à présent trouvé votre dieu", s'exclamaient-elles avec dédain en dansant frénétiquement autour d'eux, "et il vous a abondamment récompensés." Elles leur crachèrent au visage et les accablèrent des invectives les plus abjectes.
La prise du fort, bien qu'elle privât les compagnons de Hujjat de leur principal instrument de défense, ne parvint point à dompter leur esprit ni à décourager leurs efforts. Tous les biens auxquels l'ennemi put avoir accès furent pillés, et les femmes et les enfants qui étaient restés sans défense furent faits prisonniers. Le reste des compagnons, ainsi que les autres femmes et enfants, affluèrent dans les maisons qui se trouvaient dans le voisinage immédiat de la résidence de Hujjat. Ils furent répartis en cinq groupes comprenant chacun dix-neuf fois dix-neuf compagnons. De chacun de ces groupes, dix-neuf hommes se précipitaient ensemble et, lançant d'une seule voix le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán!" se jetaient au milieu de l'ennemi et réussissaient à le disperser. La voix de tonnerre de ces quatre-vingt-quinze compagnons s'avérait seule capable de paralyser les efforts de leurs assaillants et de briser leur courage.
Cette situation dura quelques jours, causant aussi bien de l'humiliation que des pertes à un ennemi qui s'était cru capable de remporter une victoire éclatante et immédiate. Beaucoup furent tués au ours de ces rencontres. Des officiers, à la grande détresse de leurs supérieurs, commencèrent à déserter leurs postes, et les capitaines d'artillerie abandonnaient leurs canons, alors que les hommes de troupe étaient démoralisés et complètement épuisés. L'amír-túmán lui-même était las des mesures coercitives auxquelles il était contraint de recourir pour maintenir la discipline de ses hommes et garder intactes leur vigueur et leur efficacité. Il fut encore amené à tenir conseil avec le restant de ses officiers pour chercher un remède désespéré à une situation qui comportait un grave danger pour sa propre vie ainsi que pour celle des habitants de Zanján. "Je suis las, confessa-t-il, de l'opposition inflexible de ce peuple.

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Il est manifestement animé par un esprit qu'aucune mesure d'encouragement de la part de notre souverain ne peut espérer susciter chez nos hommes. Un tel renoncement ne peut certes se trouver nulle part dans les rangs de notre armée. Aucune force que je puisse commander n'est capable de sortir mes hommes du bourbier de désespoir dans lequel ils sont tombés. Qu'ils triomphent ou qu'ils échouent, ces soldats se croient toujours condamnés à la damnation éternelle."

PHOTO: entrée de la maison de Hujjat à Zanjan

Après mûre réflexion, on décida de creuser des passages souterrains allant du lieu où leur camp était établi à celui où se trouvait le quartier dans lequel étaient situées les demeures des partisans de
Hujjat. Ils décidèrent de faire sauter ces maisons pour obliger ainsi les occupants à se rendre sans condition. Durant un mois entier, ils travaillèrent à bourrer ces passages souterrains avec toutes sortes d'explosifs, et ils continuèrent pendant ce temps à démolir, avec une cruauté diabolique, les maisons qui restaient encore debout.

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Désireux d'accélérer l'oeuvre de destruction, l'amír-túmán donna l'ordre aux officiers chargés de son artillerie de diriger leur feu sur la résidence de Hujjat, car les bâtiments qui se trouvaient entre cette maison et le camp de l'ennemi avaient été rasés, ne laissant aucun autre obstacle sur la voie de sa démolition définitive.
Une partie de sa demeure s'était déjà effondrée lorsque Hujjat, qui habitait encore à l'intérieur de ses murs, se tourna vers sa femme Khadíjih qui tenait Hádí, leur bébé, dans ses bras, et l'avertit que le jour était imminent où elle et son enfant pourraient être faits prisonniers, et la pria de s'y préparer. Elle donnait libre cours à son chagrin lorsqu'un boulet de canon frappa la chambre qu'elle occupait et la tua aussitôt. Son enfant, qu'elle tenait contre son sein, tomba dans le brasier à côté d'elle et mourut peu après des blessures qu'il avait reçues, dans la maison de Mírzá Abu'l-Qásim, le mujtahid de Zanján.
Hujjat, bien qu'il fût écrasé de chagrin, refusa de céder à la vaine tristesse. "Le jour où j'ai trouvé ton Bien-Aimé, ô mon Dieu, s 'écria-t-il, et reconnu en lui la manifestation de ton éternel Esprit, je prévis les afflictions que j'aurais à subir pour toi. Quels que fussent les chagrins qui m'ont affligé jusqu'à présent, ceux-ci ne peuvent être comparés aux souffrances que je serais prêt à endurer en ton nom. Comment cette misérable vie qui est mienne, la perte de ma femme et de mon enfant, et le sacrifice de ce groupe de mes parents et de mes compagnons, peuvent-ils se comparer aux bénédictions que m'a conférées la reconnaissance de ta Manifestation! Eusse-je une myriade de vies, les richesses de toute la terre et toute sa gloire, je m'en passerais volontiers et avec joie sur ton sentier.
La perte tragique que venait de subir leur chef bien-aimé et la sérieuse blessure dont il souffrait mirent les compagnons de Hujjat dans la détresse et les remplirent d'indignation. Ils décidèrent de faire un dernier effort désespéré pour venger le sang de leurs frères massacrés. Hujjat, cependant, les en dissuada et les exhorta à ne pas précipiter la fin du conflit. Il les pria de se résigner à la volonté de Dieu et de rester calmes et fermes jusqu'à la fin, à quelque moment que celle-ci pût arriver.
Comme le temps passait, leur nombre diminuait, leurs souffrances se multipliaient, et la zone dans laquelle ils pouvaient se sentir en sécurité se réduisait. Le matin du 5 rabí'u'l-avval de l'an 1267 après l'hégire (24.53), Hujjat, qui avait déjà, durant dix-neuf jours, enduré de cruelles souffrances dues à sa blessure, était en prière prosterné face contre terre, invoquant le nom du Báb, lorsque soudain il rendit l'âme.

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Son brusque décès constitua un coup sévère pour ses parents et ses compagnons. Leur chagrin à la mort d'un chef aussi capable, aussi parfait et aussi exemplaire, fut profond; la perte était irréparable. Deux de ses compagnons, Dín-Muhammad-Vazír et Mír Ridày-i-Sardár, se mirent aussitôt, avant que l'ennemi ne s'aperçût de sa mort, à enterrer ses restes en un lieu que ni ses parents ni ses amis ne pouvaient soupçonner. A minuit, le corps fut transporté dans une chambre qui appartenait à Dín-Muhammad-Vazír, et c'est dans celle-ci qu'il fut inhumé. Ils démolirent cette chambre afin de préserver ses restes de la profanation, et firent tout leur possible pour maintenir ce lieu secret.
Plus de cinq cents femmes qui survécurent à cette terrible tragédie se réunirent, aussitôt après la mort de Hujjat, dans sa maison. Ses compagnons, malgré la mort de leur chef, continuèrent à faire face, avec le même courage, aux forces de leurs assaillants. De la grande multitude qui s'était enrôlée sous l'étendard de Hujjat, il ne restait plus que deux cents hommes vigoureux; les autres étaient soit morts, soit totalement inaptes à cause des blessures qu'ils avaient reçues.
La nouvelle de la mort d'un chef aussi prestigieux encouragea l'ennemi dans son obstination et le décida à balayer ce qui restait encore des forces redoutables qu'il n'avait pu soumettre. Il lança une attaque générale, plus farouche et plus décisive que toutes les précédentes. Animé par le battement des tambours et le son des trompettes, et encouragé par les cris d'exultation lancés par la populace, il se jeta sur les compagnons avec une férocité effrénée, décidé à ne pas s'accorder de repos avant d'avoir anéanti le groupe tout entier. Face à cet assaut féroce, les compagnons lancèrent une fois de plus le cri de "Yá Sáhibu'z-Zamán!" et se ruèrent sur l'adversaire, sans crainte, afin de poursuivre la bataille héroïque jusqu'à ce qu'ils fussent tous soit tues, soit captures.
A peine ce massacre avait-il été perpétré que fut donné le signal d'un pillage, inégalé par son ampleur et sa férocité. Si l'amír-túmán n'avait pas donné l'ordre d'épargner ce qui restait de la maison et des biens de Hujjat, et de s'abstenir de tout acte de violence contre ses parents, des agressions encore plus lâches auraient été commises par son armée de rapaces. Il avait l'intention d'informer les autorités de Tihrán et de chercher auprès d'elles l'avis qu'elles désiraient lui donner. Il ne put cependant retenir indéfiniment l'esprit de violence qui animait ses hommes.

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Les 'ulamás de Zanján, enflammés par la victoire qui leur avait coûté tant d'efforts et tant de vies, et qui avait tellement porté atteinte à leur réputation et à leur prestige, s'efforcèrent d'inciter la population à commettre tous les atteintes possibles à la vie de leurs prisonniers et à l'honneur de leurs femmes. Les sentinelles qui gardaient l'entrée de la maison dans laquelle avait vécu Hujjat furent retirées de leurs postes dans le tumulte général qui s'ensuivit. La populace prêta main forte à l'armée pour piller les biens et assaillir les parents de ceux, peu nombreux, qui avaient survécu à cette bataille mémorable. Ni l'amír-túmán ni le gouverneur ne purent apaiser la soif de pillage et de vengeance qui s'était emparée de la ville tout entière. L'ordre et la discipline cessèrent d'exister au milieu de la confusion générale.
Le gouverneur de la province put cependant décider les officiers de l'armée à rassembler les prisonniers chez un certain Hájí Ghulám pour les y surveiller jusqu'à l'arrivée de nouvelles instructions de Tihràn. Le groupe tout entier fut entassé comme un troupeau de moutons dans ce misérable lieu, exposé au froid d'un hiver rigoureux. L'enceinte dans laquelle on les avait réunis était dépourvue de toit et de mobilier. Durant quelques jours, ils restèrent sans nourriture. De là, les femmes furent transportées chez un mujtahid nommé Mírzá Abu'l-Qásim, dans l'espoir de les décider à abjurer leur foi pour recevoir en échange leur liberté. Le mujtahid cupide avait, cependant, avec l'aide de ses femmes, de ses soeurs et de ses filles, réussi à s'emparer de tout ce qu'on leur avait permis d'emporter, les avait dépouillées de leurs vêtements, leur laissant le strict minimum et s'était approprié tous les objets de valeur qu'il put trouver parmi leurs biens.
Après avoir subi d'indicibles épreuves, ces prisonnières furent autorisées à rejoindre leurs parents, à condition que ceux-ci s'engageassent à répondre de leur comportement ultérieur. Les autres furent dispersées dans les villages avoisinants dont les habitants, contrairement à ceux de Zanján, leur réservèrent un accueil et un traitement à la fois cordiaux et sincères. La famille de Hujjat, cependant, fut détenue à Zanján jusqu'à l'arrivée d'instructions définitives de Tihrán.
Quant aux blessés, ils furent placés sous surveillance jusqu'au moment où les autorités de la capitale se décidèrent à envoyer des directives concernant leur traitement. Pendant ce temps, la rigueur du froid auquel ils étaient exposés et les cruautés auxquelles ils étaient soumis furent telles qu'au bout de quelques jours, ils périrent tous.
Les autres prisonniers furent remis par l'amír-túmán à Karrúsí, le khamsih, et aux régiments 'Iráqí, auxquels il donna l'ordre de les exécuter aussitôt.
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Il furent donc conduits en procession, accompagnés par le battement des tambours et au son des trompettes, au camp où l'armée était stationnée. (24.54) Tous ces régiments accrurent encore l'horreur des abominations perpétrées sur les pauvres victimes. Armés de leurs lances et de leurs javelots, ils se jetèrent sur les soixante-seize compagnons qui étaient encore en vie, transperçant et mutilant leurs corps avec une sauvagerie qui surpassait les actes sordides des tortionnaires les plus raffinés de leur race. L'esprit de vengeance qui domina ce jour-là chez ces hommes barbares dépassa toutes limites.
Un régiment luttait avec un autre pour commettre les atrocités les plus ignobles que leur esprit fécond pouvait concevoir. Ils se préparaient à foncer de nouveau sur leurs victimes lorsqu'un certain Hájí Muhammad-Husayn, père d'Abá-Basír, bondit en avant et, lançant l'appel de l'adhán, (24.55) fit frémir la multitude qui s'était massée autour de lui. Bien qu'il fût à l'heure du trépas, la ferveur et la majesté avec lesquelles il prononça les mots "Alláh-u-Akbar" (24.56) furent telles que le régiment 'Iráqí tout entier proclama son refus de continuer à participer à des actes aussi déshonorants. Abandonnant leurs postes et lançant le cri "Yá 'Alí!", ils s'enfuirent de ce lieu, horrifiés et dégoûtés. "Maudit soit l'amír-túmán!" les entendit-on s'exclamer en tournant le dos à cette scène d'horreur et de carnage. "Ce misérable nous a trompés! Il a cherché, avec une persistance diabolique, à nous convaincre de l'infidélité de ce peuple envers l'Imám 'Alí et ses parents. Jamais, même si l'on devait nous tuer tous, nous ne consentirions à participer à des actes aussi criminels."
Certains de ces prisonniers furent projetés par la gueule des canons, d'autres furent complètement déshabillés et arrosés d'eau glacée, puis cruellement fouettés. D'autres encore furent enduits de mélasse et condamnés à périr dans la neige. Malgré la honte et les cruautés qu'ils durent subir, aucun d'eux n'abjura sa foi et ne prononça une seule parole de colère à l'égard de ses persécuteurs. Pas même un murmure de mécontentement ne s'échappa de leurs lèvres, pas plus d'ailleurs que leurs traits ne trahirent l'ombre d'un regret ou d'un chagrin. Aucune somme d'adversités ne put réussir à obscurcir la lumière qui rayonnait de leurs visages; aucune parole, si injurieuse fût-elle, ne put troubler la sérénité de leurs expressions. (24.57)
A peine les bourreaux avaient-ils terminé leur ouvrage qu'ils commencèrent à chercher le corps de Hujjat, dont le lieu d'inhumation avait été soigneusement gardé secret par les compagnons. Les tortures les plus inhumaines s'étaient avérées impuissantes à les décider à dévoiler ce lieu.

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Le gouverneur, exaspéré par l'échec de sa recherche, demanda que le fils de Hujjat, âgé de sept ans qui s'appelait Husayn, fût amené devant lui afin de l'incité à révéler le secret. (24.58) "Mon fils", lui dit-il en le caressant gentiment, "les nouvelles de toutes les afflictions qu'ont subies tes parents m'emplissent de chagrin. Ce n'est pas moi, mais bien les mujtahids de Zanján, qui doivent être tenus pour responsables des abominations commises. Je suis prêt à présent à accorder aux restes de ton père des funérailles dignes de son rang, et désire réparer les actes ignobles qui ont été perpétrés contre lui." Par ses douces insinuations, il réussit à lui faire révéler son secret, puis envoya ses hommes chercher le corps. À peine l'objet de son désir lui fut-il livré, qu'il donna l'ordre de le traîner au moyen d'une corde, au son des tambours et des trompettes, a travers les rues de Zanján. Durant trois jours et trois nuits, le corps, profané, fut exposé aux regards du peuple dans le maydán. (24.59) Au cours de la troisième nuit, on rapporta que quelques cavaliers avaient réussi à emporter les restes du cadavre en un lieu sûr sur le chemin de Qazvín. Quant aux parents de Hujjat, ordre fut donné par Tihrán de les conduire à Shiraz pour les remettre aux mains du gouverneur. Là, ils languirent dans la pauvreté et la misère. Le gouverneur s'empara de tous les biens qui leur restaient encore et condamna les victimes de sa rapacité à chercher refuge dans les ruines d'une maison délabrée.

PHOTO: place de Zanjan où le corps de Hujjat demeura exposé durant trois jours

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Le fils cadet de Hujjat, Mihdí, mourut des privations que lui et ses parents durent endurer et fut enterré au milieu même des ruines qui lui avaient servi d'abri.
J'eus le privilège, neuf ans après la fin de cette bataille mémorable, de visiter Zanján et de voir la scène de ces horribles massacres. Je regardai avec tristesse et horreur les ruines du fort d"Alí-Mardán Khán, et foulai le sol qui avait été imprégné du sang de ses immortels défenseurs.

PHOTO: Hájí Imám (x), l'un des survivants de la bataille de Zanján

Je pus discerner, sur ses portes et sur ses murs, des traces du carnage qui marqua sa reddition, et découvrir sur les pierres mêmes qui avaient servi de barricades, des taches du sang qui avait été versé en ces lieux.
Quant au nombre de ceux qui tombèrent au cours de ces rencontres, aucune estimation précise n'a été faite jusqu'à présent. Ceux qui participèrent à cette bataille furent si nombreux et le siège qu'ils subirent fut si long, que vérifier leurs noms et leur nombre serait une tâche que j'hésiterais à entreprendre.

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Une liste incertaine de ces noms, que les lecteurs feraient bien de consulter, a été préparée par Ismu'lláhu'l-Mím et Ismu' lláhu'l-Asad. Nombreux et contradictoires sont les rapports concernant le nombre exact de ceux qui combattirent et tombèrent sous la bannière de Hujjat à Zanján. D'aucuns ont estimé qu'il y avait eu un millier de martyrs; selon d'autres, ils furent plus nombreux. J'ai entendu dire que l'un des compagnons de Hujjat, qui avait entrepris d'enregistrer les noms de ceux qui avaient subi le martyre, a laissé une déclaration écrite selon laquelle il estimait le nombre de ceux qui étaient tombés avant la mort de Hujjat à mille cinq cent quatre-vingt-dix-huit, alors que le nombre de ceux qui avaient subi le martyre ultérieurement totalisait, croyait-on, deux cent deux personnes.
Le récit relatif aux événements de Zanján, que je viens de raconter, je le dois en premier lieu à Mírzá Muhammad-'Alíy-i-TaBáb-i-Zanjání, à Abá-Basír et à Siyyid Ashraf, tous trois martyrs de la foi, et dont j'étais l'ami intime. Le reste de mon récit est fondé sur le manuscrit qu'un certain Mullá Husayn-i-Zanjání écrivit et envoya à Bahá'u'lláh, récit dans lequel il rapporta tous les renseignements qu'il avait pu glaner à différentes sources concernant les événements relatifs à cet épisode.
Ce que j'ai relaté de la bataille du Mázindarán a été également inspiré dans une très large mesure du récit écrit envoyé en Terre sainte par un certain Siyyid Abú-Tálib-i-Sháhmírzádí, ainsi que par le bref rapport rédigé ici par l'un des croyants nommé Mírzá Haydar'Alíy-i-Ardistání. J'ai, de plus, vérifié certains faits concernant cet
bataille auprès de personnes qui y ont effectivement participé, telles que Mullá Muhammad-Sádiq-i-Muqaddas, Mullá Mírzá Muhammadi-Furúghí et Hájí 'Abdu'l-Majíd, père de Badi` et martyr de la foi.
Quant aux événements relatifs à la vie et aux actes de Vahíd, mes renseignements concernant ce qui s'est passé à Yazd, je les ai obtenus de Ridá'r-Rúh, qui était l'un des compagnons intimes de Vahíd. En ce qui concerne les dernières phases de cette bataille de Nayríz, mon récit est principalement tiré des informations que j'ai pu recueillir du rapport détaillé envoyé en Terre sainte par un croyant de cette ville, nommé Mullá Shafí, qui avait fait des recherches très précises à ce sujet et en avait communiqué le résultat à Bahá'u'lláh. Tout ce que ma plume n'a pu enregistrer, les générations futures, je l'espère, le réuniront et le préserveront pour la postérité. Nombreuses sont, je le confesse, les lacunes de ce récit, pour lesquelles je demande l'indulgence du lecteur.

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C'est mon espoir le plus sincère que ces lacunes pourront être comblées par ceux qui, après moi, se mettront à composer un récit digne et complet de ces émouvants événements, dont nous ne pouvons que vaguement discerner aujourd'hui la portée.

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NOTE DU CHAPITRE 24:

(24.1) Capitale du district de Khamsih. «Le Khamsih est une petite province à l'est du Kaflán-Kúh ou montagne du Tigre, entre l"Iráq et l'Ádhirbáyján. Sa capitale, Zanján, d'un joli aspect, est ceinte d'un mur crénelé garni de tours, comme toutes les cités persanes. La population y est turque de race, et, si ce n'est par les employés du gouvernement, le persan y est peu parlé. Les environs de la ville sont bien fournis de villages, qui ne sont pas pauvres; des tribus puissantes les fréquentent surtout au printemps et en hiver.» (Ibid., p. 191.)

(24.2) «En ces années-là (1266 et 67 après l'hégire), la foudre tombait à travers toute la Perse sur les familles Bábíes; et chacune, dans quelque hameau qu'elle fût, était, à la moindre suspicion, passée au fil de l'épée. Plus de quatre mille personnes furent tuées et une grande multitude de femmes et d'enfants, laissés sans protecteurs ni aide, confondus et accablés, furent foulés aux pieds et anéantis. ' (A Traveller's Narrative», pp. 47-8.)

(24.3) «Il se trouvait dans cette ville un mujtahid, appelé Mullá Muhammad-'Alíy-i-Zanjáni. Il était natif du Mázíndarán et avait étudié sous un maître célèbre, décoré du titre de Sharífu'l'Ulamá. Muhammad-'Alí s'était adonné particulièrement à la théologie dogmatique et à la jurisprudence; il avait acquis de la réputation.
Les musulmans assurent que, dans ses fonctions de mujtahid, il faisait preuve d'un esprit inquiet et turbulent. Aucune question ne lui semblait ni suffisamment étudiée ni convenablement résolue. Ses fatvás multipliés troublaient constamment la conscience et les habitudes des fidèles. Avide de nouveautés, il n'était ni tolérant dans la discussion, ni modéré dans la dispute. Tantôt il prolongeait indûment le jeûne du Ramadán pour des motifs que personne n'avait donnés avant lui; tantôt il réglait les formes de la prière d'une façon tout inusitée.
Il était désagréable aux gens paisibles, odieux aux routiniers. Mais, on l'avoue aussi, il comptait de nombreux partisans qui le considéraient comme un saint, prisaient son zèle, et juraient d'après lui. A s'en faire une idée tout à fait impartiale, on peut voir en lui un de ces nombreux musulmans qui, au vrai, ne le sont pas du tout, mais que presse un fond très ample et très vivace de foi et de zèle religieux dont ils cherchent l'emploi avec passion. Son malheur était d'être mujtahid et de trouver, ou plutôt de croire trouver, un emploi naturel de ses forces dans le bouleversement des idées reçues en des matières qui ne comportent pas cette agitation.» (Comte de Gobineau: «Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale», pp. 191-2.)

(24.4) 1812-13 après J-C.

(24.5) «Parmi les 'ulamás de la ville se trouvait un personnage nommé Ákhund Mullá 'Abdu'rRahím, célèbre par sa dévotion. Il avait un fils, qui se trouvait à Najaf et à Karbilá, où il suivait les cours du célèbre Sharífu'l-'Ulamáy-i-Mázíndarání. Ce jeune homme était d'esprit inquiet et se sentait un peu à l'étroit dans les bornes du Shi'isme.» (A.L.M. Nicolas: «Siyyid Alí-Muhammad dit le Báb", p. 332.)

(24.6) Quand il revint des lieux saints, il passa par Hamadán où les habitants l'accueillirent admirablement et le supplièrent de rester dans leur ville.» (A.L.M. Nicolas: «Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb, p. 336.)

(24.7) «Tous les 'ulamás de la ville vinrent lui rendre visite et se retirèrent soucieux de quelques paroles qu'il avait prononcées et qui dénotaient une tournure d'esprit peu habituelle. En effet, l'attitude du nouvel arrivé ne tarda pas à démontrer à ces pieux personnages qu'ils ne s'étaient pas trompés dans leurs appréciations.» (Ibid.)

(24.8) «Il existait un caravansérail, du temps de Sháh 'Abbás, qui s'était peu à peu transformé en síghih-khánih: pour ne pas permettre le viol de la loi Shí'ite un certain Mullá Dúst-Muhammad s'était établi là à demeure et bénissait les unions passagères entre les hommes venus du dehors, et les pensionnaires de l'établissement. Hujjatu'l-Islám - - car c'était le titre qu'avait pris notre héros - fit fermer la maison, maria la plupart de ces femmes et envoya les autres en service dans des familles honorables. Il fit également fouetter un nommé Murád, marchand de vins, dont il fit détruire la maison." (Ibid., p. 332-3.)

(24.9) «Mais là ne se bornait pas son action. Toujours préoccupé des problèmes que soulève une religion basée sur des hadis presque toujours contradictoires, il troubla la conscience des fidèles par des fatvás singuliers qui renversaient toutes les idées reçues. Ainsi il releva le hadis d'après lequel Muhammad aurait dit: Le mois de Ramadan est toujours plein."
Sans rechercher les origines de cette tradition, sans se préoccuper de savoir si ceux qui l'avaient rapportée étaient dignes de foi, il ordonna de la suivre à la lettre, incitant ainsi ceux qui l'écoutaient à jeûner le jour du Fitr, ce qui est un grave péché. Il permit aussi de faire les prosternations de la prière en appuyant la tête sur un caillou de cristal. Toutes ces nouveautés lui attirèrent un grand nombre de partisans qui admirèrent sa science et son activité; mais elles déplurent au clergé officiel dont la haine, avivée par l'inquiétude, ne connut bientôt plus de bornes." (Ibid., p. 333.)

(24.10) «Celui-ci vint et, par la politesse de ses manières, par le charme qui s'exhalait de sa personne, ne tarda pas à séduire toutes les personnes qui se trouvaient en contact avec lui, et même Sa Majesté. On raconte qu'un jour qu'il se trouvait chez le Sháh avec quelques-uns de ses collègues, l'un d'entre eux, 'ulamá de Káshán, sortit un papier de son sein et le remit au Roi pour le faire signer.
Il s'agissait d'un farmán accordant des appointements. Hujjat ayant compris, se leva et, avec véhémence, flétrit un clergé qui se faisait pensionner par le Gouvernement. Il démontra hadis et Qur'án en main, tout ce qu'avait de honteux un pareil compromis dont les origines remontaient aux Baní-Umayyih. Ces collègues furent transportés de fureur, mais le Shah auquel plut cette franchise, se tourna vers notre héros, lui remit une canne et une bague et l'autorisa á rentrer à Zanján." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb," pp. 333-4.)

(24.11) «Les gens de Zanján, en foule, vinrent au-devant de lui, sacrifiant des boeufs, des moutons et des poules. Douze enfants de douze ans, ayant au cou un mouchoir rouge pour indiquer qu'ils étaient prêts à se sacrifier dans sa route, se tenaient au milieu du cortège. Ce fut une entrée triomphale." (Ibid., p. 334.)

(24.12) Il fit de ses disciples des modèles de vertu et de tempérance: désormais les hommes se désaltérèrent à la coupe des significations religieuses. Ils jeûnèrent pendant trois mois, prolongeaient les prières en y ajoutant chaque jour celle de Ja'far-i-Tayyár, faisaient une fois par jour leurs ablutions avec l'eau du Qur (mesure légale de pureté), et enfin le vendredi le peuple assiégeait les mosquées." (Ibid., p. 334.)

(24.13) Enfin, il se mit à prononcer à haute voix la prière du vendredi, qui doit remplacer celle de tous les jours quand apparaît l'Imám. Alors il commenta quelques-unes des paroles du Báb et termina ainsi: "Le but que le monde poursuivait est encore entre nos mains aujourd'hui, sans rideau, sans obstacles. Le soleil de la Vérité s'est levé et les lumières de l'imagination et de l'imitation se sont éteintes. Que vos yeux se fixent sur le Báb, non sur moi qui suis le plus humble de ses esclaves. Ma science auprès de la sienne est comme une chandelle éteinte auprès de l'astre du jour. Connaissez Dieu par Dieu et le soleil par ses rayons. Donc, aujourd'hui est apparu le Sáhibu'z-Zamán, le Sultán des Possibilités est vivant." Je laisse à penser si ce discours fit une profonde impression sur son auditoire. Presque tous se laissèrent convaincre et ne disputèrent plus entre eux que de la véritable qualité du Báb." (Ibid., p. 335.)

(24.14) «C'est qu'en effet la conversion de Mullá Muhammad-'Alí et de ses nombreux partisans, avait encore une fois fait perdre patience à l'Imám-Jum'ih et au Shaykhu'l-Islám. Ils écrivirent des lettres furibondes à SM. qui leur répondit en faisant arrêter le coupable." (Ibid., p. 336.)

(24.15) «Il était à Tihrán jusqu'au moment où Muhammad Sháh étant mort, Násiri'd-Dín Mírzá devenu Násiri'd-Dín Sháh, nomma Gouverneur de Zanján, un de ses oncles, Amír Arslán Khán Majdu'd-Dawhih qui était Ishíq Ághásí, du Palais." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 337.)

(24.16) "Il y fit une entrée triomphale et telle qu'il ne l'aurait pas eue quelques mois auparavant. En effet, devenu Bábí, il vit s'ajouter à tous ses anciens amis ceux de la doctrine nouvelle. Une grande quantité d'hommes riches et considérés, des militaires, des négociants, des mullás même, vinrent à sa rencontre à une ou deux stations de distance et le conduisirent à sa demeure, non comme un réfugié qui rentre, non comme un suppliant qui ne demande que le repos, non pas même comme un rival assez fort pour se faire craindre: ce fut un maître qui apparut." (Comte de Gobineau: «Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 193.)
L'auteur du «Násikhu'tTaváríkh" reconnaît lui-même qu'un bon nombre d'habitants de Zanján, et parmi eux de hauts fonctionnaires de la ville, vinrent jusqu'à deux stations au devant du fugitif. Il fut reçu comme un vainqueur, et l'on immola un grand nombre de moutons en son honneur. Personne, dans le camp adverse, n'osa lui demander compte de sa fuite de Tihrán et de son retour à Zanján. Mais l'islám en vit de dures, car le Zanjání ne se gêna nullement pour prêcher à tous les échos du bazar la nouvelle doctrine.
L'auteur musulman remarque que tous les Zanjání étant des imbéciles, donnèrent immédiatement dans le panneau; mais, s'infligeant aussitôt un démenti à lui-même, il déclara que seuls les gueux, envieux de richesses de ce monde et les hommes sans religion se groupèrent autour du nouveau chef. Ils étaient en grand nombre, s'il faut l'en croire, car il les estime à quinze mille personnes, ce qui me semble un peu exagéré. (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 337-8.)

(24.17) "Majdu'd-Dawhih, gouverneur de la ville, homme cruel et sévère, furieux de voir revenir un personnage aussi importun que Hujjat, fit fouetter Muhammad Bik et couper la langue à Karbilá'í-Valí" (Ibid., p. 337.)

(24.18) Voir glossaire.

(24.19) Voir glossaire.

(24.20) Les musulmans s'enfuirent à ce spectacle, et le blessé fut soigné par la propre tante de Mír Saláh, dans sa maison." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 341.)

(24.21) 16 mai 1850 ap. J.-C.

(24.22) Le Gouverneur et les 'ulamás écrivirent à Sa Majesté des rapports où ils laissaient percer leur peur et leur embarras. Le Sháh, à peine délivré de la guerre de Mázíndarán, furieux de voir une autre sédition sur un nouveau point de son empire, poussé d'ailleurs par son Sadr-i-A'zam et par les 'ulamás qui avaient déclaré la guerre sainte, donna l'ordre de tuer les Bábí s et de piller leurs biens. Ce fut le vendredi 3 de Rajab, que l'ordre arriva à Zanján." (Ibid., pp. 341-2.)

(24.23) «Ce fut un beau tumulte. Les musulmans affolés couraient de tous côtés, cherchant leurs femmes, leurs enfants, telle partie de leur mobilier. Ils allaient et revenaient, fous, éperdus, pleurant ce qu'ils ne pouvaient emporter. On voyait des familles se séparer, des pères repousser leurs fils, des femmes leurs maris, des enfants leurs mères. Des maisons entières restaient abandonnées tant la hâte était grande, et le Gouverneur envoya dans les villages avoisinants racoler des hommes par force pour la guerre sainte." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 342.)

(24.24) Les Bábís, de leur côté, ne restaient pas inactifs: ils s'organisaient et préparaient leur défense. Hujjat les exhortait à ne jamais attaquer, mais à toujours se défendre: O frères, leur disait-il, n'ayez pas honte de moi. Ne croyez-pas que parce que vous êtes les compagnons du Sáhibu'z-Zamán vous deviez conquérir le monde à la pointe de votre sabre. Non, j'en jure par Dieu. On vous tuera, on vous brûlera, on enverra vos têtes de villes en villes. La seule victoire qui vous reste consiste à vous sacrifier, vous, vos femmes et votre bien. Dieu a toujours voulu qu'à chaque époque le sang des confesseurs fût l'huile de la lampe de la religion. Vous avez entendu raconter les tourments au milieu desquels sont morts les saints martyrs du Mázíndarán. On les a tués parce qu'ils affirmaient que le Mihdí promis était apparu. Je vous le dis, quiconque n'a pas la force de supporter les tourments, s'en aille de l'autre côté, car nous serons martyrisés: notre maître n'est-il pas entre leurs mains?" (Ibid., pp. 342-3.)

(24.25) Il faut s'imaginer une ville persane. Les rues sont étroites, d'une largeur de quatre, cinq ou huit pieds tout au plus. Le sol, qui n'est pas pavé, est rempli de trous profonds, de sorte qu'on ne saurait cheminer qu'avec des précautions infinies pour ne pas se casser les jambes. Les maisons, sans fenêtres sur la rue, montrent des deux côtés une continuité de murs, le plus souvent hauts d'une quinzaine de pieds et surmontés d'une terrasse sans garde-fous, quelquefois aussi çà et là dominée par ce qu'on appelle un bálá-Khánih ou pavillon presque à jour, qui indique d'ordinaire la maison d'un personnage riche.
Tout cela est en terre, en pisé, en briques cuites au soleil, avec les montants en briques cuites au four. Ce genre de construction, d'une antiquité vénérable et qui, dès avant les temps historiques, était en usage dans les antiques cités de la Mésopotamie, est véritablement pourvu de grands avantages: il est à bon marché, il est sain, il se prête également aux proportions modestes et aux prétentions les plus vastes; on en peut faire une chaumière à peine blanchie à la chaux: on en peut faire aussi un palais, couvert de haut en bas d'étincelantes mosaïques en faïence, de peintures et de dorures précieuses.
Mais, comme il arriva pour toute chose au monde, tant d'avantages sont un peu compensés par la facilité avec laquelle de pareilles demeures s'écroulent sous le plus petit effort. Il n'est pas besoin du canon; la pluie, si l'on n'y prend garde, suffit. C'est ainsi qu'on peut comprendre la physionomie particulière de ces emplacements célèbres où le souvenir et la tradition montrent des villes immenses dont on n'aperçoit plus rien que quelques débris de temples, de palais, et des tumulus semés dans la plaine.
En quelques années, en effet, des quartiers entiers disparaissent sans laisser de traces, si les maisons ne sont pas entretenues. Comme toutes les villes de Perse sont construites sur les mêmes données et formées des mêmes éléments, on peut se représenter Zanján, avec son enceinte crénelée et munie de tours, sans fossés, ses rues tortueuses, étroites et défoncées. Au milieu existait une sorte de citadelle grossière nommée «Château d' 'Alí-Mardán Khán". (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 197-8.)

(24.26) "Il [le gouverneur de Zanján]. ayant peur pour sa propre vie, prit brusquement des mesures propres à sauvegarder son autorité et envoya à Mírzá Muhammad-Taqí Khán, Amír-i-Kabír, une version tendancieuse de l'affaire. Il craignait en effet que quelqu'un d'autre ne prît plus d'influence que lui et n'affaiblît ainsi l'autorité et la considération dont il jouissait.
Suite à ses rapports, Siyyid 'Alí-Khán, lieutenant-colonel de Fírúz-Kúh, reçut l'ordre royal de se rendre avec une infanterie et une cavalerie nombreuses à Zanján et d'arrêter Mullá Muhammad-'Alí, qui s'était retiré en compagnie de ses disciples (près de cinq mille en nombre) dans la citadelle. À son arrivée, Siyyid Alí Khán assiégea la citadelle, et ainsi fut allumé le feu de la querelle; le nombre des tués, de chaque côté, ne cessa d'augmenter au fil des jours, jusqu'au moment où, finalement, il subit une défaite ignominieuse et se vit obligé de demander des renforts de la capitale.
Le gouvernement désirait envoyer Ja'Far-Qulí Khán, lieutenant-colonel et frère d'I'timádu'd-Dawhih, mais celui-ci s'excusa et dit à Mírzá Taqí Khán Amír-i-Kabír: Je ne suis pas un Ibn-i-Zíyád pour aller faire la guerre à une bande de siyyids et d'hommes de savoir dont la doctrine m'est complètement inconnue bien que je sois prêt à combattre les Russes, les Juifs ou d'autres infidèles.»
D'autres officiers. à part lui, se montrèrent peu désireux de participer à cette guerre. Parmi ceux-ci se trouvait Mit Siyyid Husayn Khán de Firúz-Kúh, que Mírzá Taqí Khán l'amír congédia et disgrâcia dès qu'il eut connaissance de ses sentiments. Il en fut de même pour beaucoup d'officiers qui étaient de la secte des 'alíyu'lláhí s, qui entrèrent en campagne mais s'en retirèrent dès qu'ils en apprirent plus sur l'affaire.
Leur chef leur avait en effet défendu de se battre, et en conséquence ils s'enfuirent. Car il est écrit dans leurs livres que lorsque les soldats de Gúrán viendront dans la capitale du roi, alors apparaîtra le Seigneur de l'Âge (qu'ils appellent Dieu); et cette prophétie était dès lors accomplie. Ils possèdent également certains poèmes qui contiennent la date de la Manifestation, et ceux-ci aussi s'étaient réalisés.
Ils furent donc convaincus que c'était la manifestation de la Vérité, et prièrent d'être excusés de prendre part à la guerre, ce qu'ils se déclarèrent incapables de faire. Et ils dirent aux bábís: "Dans les prochains conflits, lorsque votre religion aura pris corps, nous vous aiderons." En bref, lorsque les officiers de l'armée ne discernèrent chez leurs adversaires que de la dévotion et de la piété, certains vacillèrent en secret et ne mirent pas toute leur force dans la guerre." (Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 138-43.)

(24.27) D'après Gobineau (p. 198), c'était le petit-fils de Hájí Muhammad-Husayn Khán-iIsfáhání.

(24.28) "Le quatrième jour, les musulmans virent, avec une grande joie, entrer dans le quartier de la ville qu'ils occupaient, Sadru'd-Dawhih, petit-fils de Hájí Muhammad-Husayn Khán, d'Isfáhán. à la tête des cavaliers des tribus du Khamsih, arrivant de Sultáníyyih. Le lendemain encore et les jours suivants, les renforts affluèrent.
Ce furent d'abord Siyyid Alí Khan et Sháhbár Khán, l'un de Fírúz-Kúh, l'autre de Marághih, avec deux cents cavaliers de leurs tribus respectives; Muhammad-'Alí Khan-i-Sháh-Sún, avec deux cents cavaliers afshárs; puis cinquante artilleurs avec deux pièces de canon et deux mortiers; de sorte que le gouverneur se trouva pourvu de toutes les ressources désirables, et entouré d'un bon nombre de chefs militaires dont plusieurs avaient de la réputation." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 198-9.)
Une des journées les plus terribles dont le journal du siège fasse mention, est celle du 5 de Ramadán. Mustafá Khán, Qájár, avec le 15ème régiment de Shigághí; Sadru'd-Dawhih, avec ses cavaliers du Khamsih; Siyyid Alí Khán de Firúz-Kúh, avec son propre régiment; Muhammad Aqá, colonel, avec le régiment de Násir, autrement dit le régiment du roi; Muhammad-'Alí Khán, avec la cavalerie Afshár; Nabí Big, le major, avec la cavalerie de sa tribu, et une troupe des hommes de Zanján restés fidèles, tout cela s'acharna, dès avant le point du jour, contre les ouvrages des Bábís.
La résistance fut terrible, mais désastreuse. Les sectaires virent tomber successivement des chefs qu'ils ne pouvaient guère remplacer, des chefs vaillants, et, à leurs yeux, des saints: Núr-'Alí, le chasseur; Bakhsh-'Alí, le charpentier, Khudádád et Fathu'lháh Big, tous essentiels à la cause. Ils tombèrent, les uns le matin, les autres le soir.» (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale», p. 200.)

(24.29) "J'ai vu à Zanján des ruines de cette rude journée; des quartiers entiers n'ont pu encore être rebâtis et ne le seront peut-être jamais. Certains acteurs de cette tragédie m'en ont raconté sur place des épisodes, les Bábís montant et descendant les terrasses et y portant à bras leurs canons. Souvent le plancher peu solide, en terre battue, s'enfonçait; on relevait, on remontait la pièce à force de bras; on étayait le sol par-dessous avec des poutres. Quand l'ennemi arrivait, la foule entourait les pièces avec passion, tous les bras s'étendaient pour les relever, et quand les porteurs tombaient sous la mitraille, cent concurrents se disputaient le bonheur de les remplacer. Assurément c'était là de la foi." (Ibid., pp. 200-201.)

(24.30)Qur'án, 86: 9.

(24.31) Si Dieu "le Grand».

(24.32) Dieu "le plus Grand".

(24.33) Dieu "le plus Beau".

(24.34) Dieu "le plus Glorieux".

(24.35) Dieu "le plus Pur".

(24.36) D'après Gobineau (p. 202), 'Azíz Khán était "général en chef des troupes de l'Ádhirbáyján, et alors premier aide de camp du roi: il passait à Zanján, se rendant à Tiflis pour féliciter le grand duc héritier de Russie, à l'occasion de son arrivée dans le Caucase."

(24.37)Voir glossaire.

(24.38) "Muhammad Khán, alors Biglíyirbig'i et Mír-panj, ou général de division, devenu aujourd'hui Amír-Túmán, fit sa jonction avec les troupes déjà occupées dans la ville; il leur amenait trois mille hommes des régiments de Shigágí et des régiments des gardes puis six canons et deux mortiers. Presque en même temps entraient à Zanján, par un autre côté, Qásim Khán, venant de la frontière du Karabágh ; Arslán Khán, le major, avec les cavaliers du Khirghán, et 'Alí-Akbar, capitaine de Khuy, avec de l'infanterie. Tous avaient reçu, chacun dans leurs pays respectifs, des ordres du roi et ils accouraient." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale," p. 201.)

(24.39) Voir glossaire.

(24.40) Voir glossaire.

(24.41) Voir glossaire.

(24.42) Voir glossaire.

(24.43) Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu.

(24.44) «Le Lieu exalté", titre donné à Zanján par le Báb.

(24.45) «Mère d'Ashraf".

(24.46) La résistance désespérée que leur offraient les Bábís doit donc être attribuée bien plus à l'extraordinaire vaillance avec laquelle ils se défendaient qu'à la force de la position qu'ils occupaient. Même les femmes prirent part à la défense, et j'ai entendu par la suite déclarer de bonne source que, semblables aux femmes de Carthage dans le passé, elles coupèrent leurs longs cheveux et les attachèrent autour des canons en mauvais état pour leur donner la résistance nécessaire.»(E.G. Browne: "A year amongst the Persians", p. 74.)

(24.47) «Décidément les choses tournaient mal pour les musulmans et il semblait qu'on ne pourrait jamais venir à bout d'une pareille résistance. Au surplus, pourquoi se donner tant de mal, pourquoi risquer inutilement la vie, non des soldats, chair à canon, mais des officiers et des généraux; pourquoi s'exposer quotidiennement au ridicule et au danger de défaites successives? n'avait-on pas l'exemple de Shaykh Tabarsí? ne pouvait-on user de ruse? ne pouvait-on prêter tous les serments imaginables, quitte à massacrer ensuite les imbéciles qui s'y seraient fiés.» (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 350.)

(24.48) Qur'án, 80: 34.

(24.49) Qur'án, 22: 2.

(24.50) Voir glossaire.

(24.51) "Enfin, les menaces de la cour, les encouragements et les renforts se succédèrent avec une telle rapidité, il s'établit une disproportion si écrasante, quant au nombre et aux ressources, entre les Bábí s et leurs adversaires, que le résultat final devint évident et imminent.» (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale», p. 203.)

(24.52) «Le régiment de Karrús, commandé par le chef de la tribu, Hasan-'Alí Khán, aujourd'hui ministre à Paris, enleva le fort d' 'Alí-Mardán Khán, le 4ème régiment força la maison d'Áqá 'Azíz, un des points les plus fortifiés de la ville, et la réduisit en poussière; le régiment des gardes fit sauter le caravansérail, situé près de la porte d'Hamadán; il perdit un capitaine et assez de soldats par l'explosion, mais enfin resta maître de la place." (Ibid., p. 203.)

(24.53) 8 janvier 1851 ap. J-C.

(24.54) «Alors Muhammad Khán, biglíyirbigí, Amír Arslán Khán, gouverneur, et les autres commandants, dont la parole avait garanti la vie sauve aux Bábís, ayant réuni ces derniers en présence des troupes, firent sonner les trompettes et battre les tambours, et donnèrent ordre que cent soldats choisis dans chaque régiment missent la main sur les prisonniers et les rangeassent sur une seule ligne devant eux. Cela fait, on commanda de massacrer ces gens à coups de baïonnette; ce qui fut fait. Ensuite on prit les chefs, Sulaymán le cordonnier, et Hájí Kázím Giltúghí, et on les souffla à la bouche d'un mortier.
Cette opération, d'invention asiatique, mais qui a été pratiquée par les autorités anglaises, dans la révolte de l'Inde, avec cette supériorité que la science et l'intelligence européennes apportent à tout ce qu'elles font, consiste à attacher le patient à la bouche d'une pièce d'artillerie, chargée seulement à poudre; suivant la quantité mise dans la charge, l'explosion emporte en lambeaux plus ou moins gros les membres déchirés de la victime.
L'affaire finie, on fit encore un triage parmi les captifs. On réserva Mírzá Ridá, lieutenant de Mullá Muhammad-'Alí, puis tout ce qui avait quelque notoriété ou quelque importance, et ayant mis à ces malheureux la chaîne au cou et des entraves aux mains, on résolut, malgré la défense de la cour, de les emmener à Tihrán pour orner le triomphe.
Quant au peu qui restait de pauvres diables dont la vie ou la mort n'importait à personne, on les abandonna, et l'armée victorieuse retourna dans la capitale, traînant avec elle ses prisonniers, qui marchaient devant les chevaux des généraux vainqueurs. Lorsqu'on fut arrivé à Tihrán, h'Amír-Nizám, premier ministre, trouva nécessaire de faire encore des exemples, et Mírzá Ridá, Hájí Muhammad- Alí et Hájí Muhsin, furent condamnés à avoir les veines ouvertes.
Les trois condamnés apprirent cette nouvelle sans émotion; seulement ils déclarèrent que le manque de foi dont on avait usé envers leurs compagnons et envers eux n'était pas de ces crimes que le Dieu très-haut pouvait se contenter de punir par les châtiments de la justice ordinaire; il lui fallait quelque chose de plus solennel et de plus signalé pour les persécuteurs de ses saints; en conséquence ils annonçaient au premier ministre que promptement, bien promptement, il périrait lui-même par le supplice qu'il leur faisait infliger.
J'ai entendu citer cette prophétie; je ne doute pas un instant que ceux qui me l'ont fait connaître ne fussent profondément convaincus de sa réalité. Je dois pourtant noter ici que, lorsqu'on me l'a rapportée, il y avait déjà quatre ans au moins que h'Amír-Nizám avait eu en effet les veines coupées par ordre du roi. Je ne puis donc rien affirmer autre chose, sinon qu'on m'a assuré que l'événement avait été annoncé par les martyrs de Zanján. (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 207-9.)

(24.55) Voir glossaire.

(24.56) "Dieu est le plus Grand."

(24.57) "L'exécution faite, les spectateurs envahirent le champ de mort, quelques-uns pour chercher et enterrer le corps d'un ami, d'autres poussés par une curiosité malsaine. On raconte qu'un musulman nommé Valí-Muhammad arriva près du corps d'un de ses voisins nommé Áqá Ridá, et s'aperçut qu'il n'était pas tout à fait mort. Il l'appela et lui dit: «Si tu as besoin de quelque chose, dis-le moi, je suis ton voisin Valí-Muhammad.» L'autre lui fit comprendre qu'il avait soif.
Aussitôt notre musulman alla chercher une énorme pierre et, revenant vers le malheureux: «Ouvre la bouche, lui dit-il, je t'apporte de l'eau", et comme celui-ci avait obéi, il lui écrasa la tête. Enfin le Bighíyirbigf se mit en route pour Tihrán emmenant avec lui quarante-quatre prisonniers parmi lesquels se trouvaient le fils de Mírzá Ridá, Hájí Muhammad-'Alí, Hájí Muhsin le chirurgien. Ces trois individus furent exécutés dès leur arrivée, le reste pourrit en prison.» (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", p. 363.)

(24.58) «Il ne leur suffisait pas d'être vainqueurs, il leur fallait insulter le cadavre de leur ennemi. On songea à interroger les Bábís, mais, quels que fussent les supplices qu'on leur infligea, ils se refusèrent à parler. Áqá Dín-Muhammad eut le cráne arrosé d'huile bouillante, mais il se tut. Enfin le Sardár fit venir le propre fils du chef défunt, âgé de sept ans et nommé Áqá Husayn; par d'habiles menaces et d'insidieuses flatteries, il parvint enfin à le faire parler.» (Ibid.,p. 361.)

(24.59) Voir glossaire.


<P546>

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CHAPITRE XXV : voyage de Bahá'u'lláh à Karbila

Depuis que j'ai commencé à écrire ma chronique, j'ai toujours eu la ferme intention d'inclure, dans les récits que je ferais concernant les premiers jours de cette révélation, ces joyaux d'une valeur inestimable que j'ai eu le privilège d'entendre, de temps à autre, de la bouche même de Bahá'u'lláh. Ces paroles, dont certaines s'adressaient à moi seul et dont d'autres étaient pour mes condisciples et moi alors que nous étions assis en sa présence, ont principalement trait aux épisodes mêmes que j'ai tenté de décrire. Les commentaires de Bahá'u'lláh sur la conférence de Badasht et ses références au tumulte qui en marqua les phases finales, auxquels j'ai fait allusion dans un chapitre antérieur, ne sont que des exemples des passages par lesquels j'espère enrichir et ennoblir mon récit.
À la fin de la description de la bataille de Zanján, je fus introduit auprès de Bahá'u'lláh et reçus, avec quelques autres croyants, les bénédictions qu'à deux occasions il daigna nous conférer. Les deux visites eurent lieu durant les quatre jours que Bahá'u'lláh décida de passer chez Aqáy-i-Kalím. La deuxième et la quatrième nuit après son arrivée chez son frère, qui eut lieu le 7 du mois de jamádyu'l-avval de l'an 1306 après l'hégire (25.1), je fus, ainsi que quelques pèlerins de Sarvistán et de Fárán et quelques croyants résidant dans la ville, admis en sa présence. Les paroles qu'il nous adressa resteront à jamais gravées dans mon coeur, et je sens qu'il est de mon devoir envers mes lecteurs de leur faire part de l'essentiel de son discours.
"Loué soit Dieu, dit-il, de ce que tout ce qui est essentiel et qui devait être dit aux croyants dans cette révélation ait été révélé. Leurs devoirs ont été clairement définis et les actes qu'ils sont censés accomplir ont été exposés dans notre Livre. A présent, il est temps pour eux de se lever pour accomplir leur devoir. Qu'ils traduisent en actes les exhortations que nous leur avons adressées. Qu'ils prennent garde à ce que l'amour qu'ils ont pour Dieu, et qui brille avec tant d'éclat dans leur coeur, ne leur fasse dépasser les limites de la modération et aller au-delà des bornes que nous leur avons fixées.

<P547>

A ce sujet, nous avons écrit, lors de notre séjour en 'Iraq, à Hájí Mírzá Músáy-i-Qumí ce qui suit: "La réserve dont vous devez faire preuve doit être telle que si vous buviez aux sources de la foi et de la certitude toutes les rivières du savoir, vos lèvres ne doivent jamais être autorisées à révéler soit à un ami, soit à un étranger, la merveille de la gorgée que vous avez bue. Bien que votre coeur soit enflammé par son amour, prenez garde de ne pas laisser découvrir à qui que ce soit votre agitation et, bien que votre âme soit houleuse tel un océan, ne souffrez pas que la sérénité de vos traits soit troublée ni que la manière de vous comporter ne révèle l'intensité de vos émotions."
"Dieu sait qu'à aucun moment, nous n avons tenté de nous cacher ou de dissimuler la cause que nous avons la charge de proclamer. Bien que nous ne portions point le vêtement des gens de savoir, nous avons, à maintes reprises, affronté des hommes de grande érudition, raisonné avec eux aussi bien à Nur qu'au Mázindarán, et nous avons réussi à les convaincre de la vérité de cette révélation. Nous n'avons jamais relâché notre détermination, nous n'avons jamais hésité à accepter le défi, d'où qu'il vînt. Tous ceux à qui nous parlions en ces jours, nous les trouvâmes réceptifs à notre appel et prêts à s'identifier à ses préceptes. Sans le comportement déshonorant des gens du Bayan, qui ont souillé par leurs actes l'oeuvre que nous avions accomplie, Nur et le Mázindarán auraient été entièrement gagnés à cette cause et seraient comptés à présent parmi ses principales forteresses.
"Au moment où les forces du prince Mihdí-Qulí Mírzá avaient assiégé le fort de Tabarsí, nous décidâmes de partir de Nur pour prêter assistance à ses héroïques défenseurs. Nous avions l'intention d'envoyer 'Abdu'l-Vahháb, l'un de nos compagnons, au-devant de nous et de le prier d'annoncer notre arrivée aux assiégés. Encerclés par les forces de l'ennemi, nous avions résolu de partager le sort de ces compagnons inébranlables, et de nous exposer aux dangers auxquels ils étaient confrontés. Ceci, cependant, ne devait pas arriver. La main d'Omnipotence nous épargna leur sort et nous préserva pour l'oeuvre que nous étions destinés à accomplir. Conformément à la sagesse insondable de Dieu, l'intention que nous avions fut, avant notre arrivée au fort, communiquée par quelques habitants de Nur à Mírzá Taqí, le gouverneur d'Ámul, qui envoya ses hommes nous intercepter. Alors que nous nous reposions et buvions notre thé, nous nous trouvâmes soudain encerclés par quelques cavaliers, qui s'emparèrent de nos biens et capturèrent nos montures. Nous reçûmes, en échange de notre propre cheval, un animal misérablement sellé que nous trouvâmes extrêmement inconfortable à monter.

<P548>

Les autres compagnons furent amenés mains liées à Ámul. Mírzá Taqí réussit, malgré le tumulte que notre arrivée avait soulevé, et face à l'opposition des 'ulamás, à nous libérer de leur emprise et à nous conduire dans sa propre maison. Il nous accorda l'hospitalité la plus chaleureuse. De temps à autre, il cédait à la pression que les 'ulamás exerçaient continuellement sur lui, et se sentait impuissant à faire échouer leurs tentatives visant à nous nuire. Nous étions encore chez lui lorsque le sardir, qui avait rejoint l'armée au Mázindarán, revint à Ámul. Dès qu'il apprit les indignités dont nous avions souffert, il réprimanda Mírzá Taqí pour la faiblesse qu'il avait montrée à nous protéger de nos ennemis. "Qu'importent, demanda-t-il avec indignation, les dénonciations de ce peuple ignorant? Pourquoi vous êtes-vous laissé influencer par sa clameur? Vous auriez dû vous contenter d'empêcher le groupe de parvenir à destination et, au lieu de le détenir dans cette maison, vous auriez dû arranger son retour immédiat sain et sauf à Tihrán."
"Lors de notre séjour à Sárí, nous fûmes de nouveau exposé aux insultes du peuple. Quoique les notables de cette ville fussent, pour la plupart, nos amis, et qu'ils nous eussent rencontré plusieurs fois à Tihrán, dès que les citadins nous eurent reconnu, alors que nous marchions avec Quddús dans les rues, ils commencèrent à proférer des injures contre nous. Le cri de "Bábí! Bábí!" nous accueillait partout où nous allions. Nous ne pouvions échapper à leurs dénonciations les plus acerbes.
"À Tihrán, nous fûmes emprisonné par deux fois car nous avions élevé la voix pour défendre la cause des innocents contre un oppresseur impitoyable. La première détention à laquelle nous fûmes soumis suivit l'assassinat de Mullá Taqíy-i-Qazvíní et eut pour origine l'assistance que nous fûmes porté à accorder à ceux à qui avait été infligé un châtiment immérité. Notre deuxième emprisonnement, infiniment plus sévère, fut précipité par l'attentat que des disciples irresponsables, de la foi, perpétrèrent contre la vie du Sháh. Cet événement conduisit à notre exil à Baghdád. Peu après notre arrivée dans cette ville, nous nous rendîmes dans les montagnes du Kurdistán, où nous menâmes pendant quelque temps une vie de retraite absolue. Nous cherchâmes refuge au sommet d'une montagne perdue qui se trouve à quelque trois jours de marche de toute habitation humaine la plus proche. Les consolations de la vie faisaient totalement défaut.

<P549>

Nous restâmes entièrement isolés de nos semblables jusqu'au moment où un certain Shaykh Ismá'íl découvrit notre demeure et nous apporta la nourriture dont nous avions besoin."
"A notre retour à Baghdád, nous trouvâmes, à notre grand étonnement, que la cause du Báb avait été profondément négligée, que son influence avait décliné, que son nom même était presque tombé dans l'oubli. Nous nous levâmes pour ranimer sa cause et la sauver de la décadence et de la corruption. Au moment où la peur et la perplexité s'étaient emparées de nos compagnons, nous réaffirmâmes, avec hardiesse et détermination, ses vérités essentielles, et appelâmes tous ceux qui étaient devenus hésitants à embrasser avec enthousiasme la foi qu'ils avaient si gravement négligée. Nous envoyâmes notre appel aux peuples du monde et les invitâmes à fixer leur regard sur la lumière de sa révélation.
"Après notre départ d'Andrinople, un différend éclata, parmi les officiels du gouvernement à Constantinople, sur la question de savoir si nous et nos compagnons ne devions pas être jetés à la mer. Le rapport de cette discussion parvint en Perse, et le bruit courut que nous avions effectivement subi ce sort. Au Khurásán en particulier, nos amis furent fort troublés. Mírzá Ahmad-i-Azghandí, dès qu'il eut appris cette nouvelle, avait affirmé, dit-on, qu'en aucun cas il n'accorderait crédit à une telle rumeur. "La révélation du Báb, dit-il, doit être considérée comme complètement dépourvue de fondement si ce bruit est authentique." La nouvelle de notre arrivée, sain et sauf, à la ville prison d"Akkà réjouit le coeur de nos amis, renforça l'admiration des croyants du Khurásán pour la foi de Mírzá Ahmad et accrut leur confiance en ce dernier.
"De notre plus grande prison, nous fûmes porté à adresser à plusieurs souverains et monarques du monde des épîtres dans lesquelles nous tes invitâmes à se lever et à embrasser la cause de Dieu. Au sháh de Perse, nous envoyâmes notre messager Badí' à qui nous confiâmes la tablette. Ce fut lui qui la leva bien haut devant les regards de la foule et fit appel à voix haute à son souverain pour qu'il prête attention aux paroles qu'elle contenait. Les autres épîtres parvinrent de même à leurs destinataires. À la tablette que nous adressâmes à l'Empereur de France, une réponse fut envoyée par son ministre, réponse dont l'original se trouve à présent en possession de la plus grande Branche. (25.2) Nous lui adressâmes les paroles suivantes: "Dis au grand prêtre, ô Monarque de France, de ne plus faire sonner les cloches car voici que La plus grande Cloche, que les mains de la volonté du Seigneur ton Dieu sont en train de faire sonner, s'est manifestée en la personne de son Elu."

<P550>

Seule l'épître que nous adressâmes au tsar de Russie ne parvint pas à destination. D'autres tablettes, cependant, lui sont parvenues, et cette épître lui sera finalement remise."
"Remerciez Dieu de vous avoir permis de reconnaître sa cause. Quiconque a reçu cette bénédiction doit, avant son acceptation, avoir accompli quelque acte qui, bien que lui-même fût inconscient de son caractère, fut choisi par Dieu comme un moyen par lequel il a été guidé pour trouver et embrasser la Vérité. Quant à ceux qui sont restés privés d'une telle bénédiction, leurs actes seuls les ont empêchés de reconnaître la vérité de cette révélation. Nous caressons l'espoir que vous, qui avez atteint cette lumière, ferez de votre mieux pour bannir les ténèbres de la superstition et de l'incrédulité parmi les hommes. Puissent vos actes proclamer votre foi et vous permettre de guider les égarés dans les sentiers du salut éternel. Le souvenir de cette nuit ne s'oubliera jamais. Puisse-t-il ne jamais être effacé par le cours du temps, et puisse sa mention demeurer à jamais sur les lèvres des hommes."
Le septième Naw-Rúz après la déclaration du Báb tomba le seize du mois de jamádíyu'l-avval de l'an 1267 après l'hégire (25.3), un mois et demi après la fin de la bataille de Zanján. Cette même année, vers la fin du printemps, aux premiers jours du mois de sha'bán (25.4), Bahá'u'lláh quittait la capitale pour Karbilá. Je demeurais alors à Kirmánsháh en compagnie de Mírzá Ahmad, le secrétaire du Báb, qui avait reçu l'ordre de Bahá'u'lláh de recueillir et de transcrire tous les Ecrits sacrés dont les originaux se trouvaient, pour la plupart, en sa possession. Je me trouvais à Zarand, chez mon père, lorsque les sept martyrs de Tihrán subirent leur sort cruel. Je parvins ultérieurement à partir pour Qum sous le prétexte de vouloir visiter le tombeau. Ne pouvant trouver Mírzá Ahmad que je désirais voir, je partis pour Káshán, suivant en cela le conseil de Hájí Mírzá Músáyi-Qumí, qui m'apprit que la seule personne qui pouvait m'éclairer quant au lieu où se trouvait Mírzá Ahmad était 'Azím, qui vivait alors à Káshán. Avec ce dernier, je retournai à Qum, où je fus présenté à un certain Siyyid Abu' l-Qásim-i- ' Aláqih-Band-i-Isfáháni, qui avait auparavant accompagné Mírzá Ahmad dans son voyage à Kirmánsháh. 'Azím le pria de me conduire à la porte de la ville, où il devait m'informer du lieu où résidait Mírzá Ahmad, et d'organiser mon départ pour Hamadán.

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Siyyid Abu'l-Qásim, à son tour, me renvoya auprès de Mírzá Muhammad-`Alíy-i-Tabíb-i-Zanjání, que je devais certainement trouver, me dit-il, à Hamadán, et qui me conduirait à l'endroit où je pourrais rencontrer Mírzá Ahmad. Je suivis ses instructions et Mírzá Muhammad-'Alí m'amena auprès d'un certain marchand, Ghulám-Husayn-i-Shushtarí, à Klirmánsháh, qui me conduirait à la maison où résidait Mírzá Ahmad.
Quelques jours après mon arrivée, Mírzá Ahmad m'apprit qu'il avait réussi, lors de son séjour à Qum, à enseigner la cause à Ildirím Mírzá, frère de Khánlar Mírzá, à qui il souhaitait offrir une copie du "Dalá'il-i-Sab`ih" (25.5), et exprima son désir de me voir la lui porter. ldirím Mírzá était en ce temps-là gouverneur de Khurram-Ábàd, dans la province de Luristán, et avait établi son armée dans les montagnes de Khávih-Válishtar. Je n'étais que trop content de me conformer à sa requête, et dis que j'étais prêt à me mettre immédiatement en route. Avec un guide kurde, nous traversâmes montagnes et forêts durant six jours et six nuits, jusqu'à ce que nous parvînmes au quartier général du gouverneur. Je remis à ce dernier le dépôt qui m'avait été confié et rapportai avec moi, pour Mírzá Ahmad, un message écrit de sa part exprimant son appréciation du cadeau et l'assurant de sa dévotion à la cause de son auteur.
A mon retour, je reçus de Mírzá Ahmad la joyeuse nouvelle de l'arrivée de Bahá'u'lláh à Kirmánsháh. Au moment où on nous introduisît en sa présence, nous le trouvâmes-c'était au mois de ramadán-occupé à lire le Qur'án, et eûmes le bonheur de l'entendre lire des versets de ce Livre sacré. Je lui présentai le message écrit d'Ildirím Mírzá à Mírzá Ahmad. "La foi que professe un membre de la dynastie Qájár", remarqua-t-il après avoir parcouru la lettre, "n'est pas digne de confiance. Ses déclarations ne sont pas sincères. Dans l'attente de voir les Bábís assassiner un jour le souverain, il caresse dans son coeur l'espoir d'être sacré par eux comme successeur au trône. L'amour qu'il professe pour le Báb n'est motivé que par cela." En l'espace de quelques mois, nous sûmes la vérité de ses paroles. Ce même Ildirim Mírzá donna l'ordre d'ôter la vie à un certain Siyyid Basir-i-Hindí, un fervent adepte de la foi.
Il serait opportun, à ce stade, de nous écarter du cours de notre récit pour faire une brève allusion aux circonstances relatives à la conversion et à la mort de ce martyr. Parmi les disciples à qui le Báb avait demandé, aux premiers jours de sa mission, de se disperser et d'enseigner sa cause, se trouvait un certain Shaykh Sa'id-i-Hindí, l'une des Lettres du Vivant, qui avait été chargé par son maître d'aller en Inde proclamer au peuple de ce pays les préceptes de sa révélation.

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Shaykh Sa`íd au cours de ses voyages visita la ville de Multan, où il rencontra ce Siyyid Basír (25.6) qui, bien qu'aveugle, put aussitôt percevoir, grâce à sa sensibilité, la portée du message que Shaykh Sa`íd lui avait apporté. Le vaste savoir qu'il avait acquis, loin de l'empêcher d'apprécier la valeur de la cause à laquelle il était appelé, lui permit au contraire de saisir sa signification et de comprendre la grandeur de son pouvoir. Jetant derrière lui les ornements distinctifs du directorat, et se séparant de ses amis et de ses parents, il se leva, fermement résolu à rendre sa part de service à la cause qu'il avait embrassée. Son premier acte fut d'entreprendre un pèlerinage à Shiraz, dans l'espoir d'y rencontrer son Bien-Aimé. En arrivant dans cette ville, il apprit, à sa grande surprise et aussi à sa grande tristesse, que le Báb avait été exilé dans les montagnes d'Ádhirbáyján, où il menait une vie de retraite perpétuelle. Il se rendit aussitôt à Tihrán et, de là, partit pour Nur, où il rencontra Bahá'u'lláh. Cette rencontre libéra son coeur du fardeau de l'affliction que lui avait causé son échec à retrouver son maître. A ceux qu'il rencontra par la suite-à quelque classe ou à quelque croyance qu'ils appartinssent-il fit part des joies et des bénédictions qu'il avait si abondamment reçues des mains de Bahá'u'lláh; il put également leur communiquer une partie du pouvoir que son entrevue avec lui avait laissé au plus profond de son être.
J'ai entendu Shaykh Sháhíd-i-Mázkán relater ce qui suit: "J'ai eu le privilège de rencontrer Siyyid Basír en plein été durant son passage à Qamsar, où les hommes éminents de Káshán se rendent pour échapper à la chaleur de cette ville. Jour et nuit, je le trouvais en train d'argumenter avec les principaux 'ulamás qui s'étaient réunis dans ce village. Avec habileté et perspicacité, il discutait avec eux des subtilités de leur foi, développait, sans peur ni réserve, les enseignements fondamentaux de la cause, et réfutait rigoureusement leurs arguments. Personne, quelque grands que fussent son savoir et son expérience, ne fut capable de rejeter les preuves qu'il exposait à l'appui de ses affirmations. Sa vue pénétrante et son savoir sur les enseignements et les préceptes de l'islám étaient tels que ses adversaires le prenaient pour un sorcier dont l'influence funeste, craignaient-ils, pouvait bientôt leur ravir leur position."
J'ai également entendu Mullá Ibráhím, surnommé Mullá-Báshí, qui fut martyrisé à Sultán-Abád, raconter ainsi ses impressions sur Siyyid Basír:

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"Vers la fin de sa vie, Siyyid Basír passa par Sultán-Abád, où je pus le rencontrer. Il fréquentait toujours les principaux 'ulamás. Personne ne pouvait surpasser sa connaissance du Qur'an et sa maîtrise des traditions attribuées à Muhammad. Il montrait une compréhension qui faisait de lui la terreur de ses adversaires. Souvent ceux-ci mettaient en doute l'authenticité de ses citations ou rejetaient l'existence de la tradition qu'il citait à l'appui de son affirmation. Il établissait, avec une parfaite exactitude, la vérité de son argument par ses références aux texte de 1' ' 'Usúl-i-Káfí" et du "Biháru'l-Anvár" (25.7), d'où il tirait instantanément la tradition particulière démontrant la véracité de ses paroles. Il resta sans rival, aussi bien pour sa facilité d'élocution que pour l'aisance avec laquelle il produisait les preuves les plus incontestables à l'appui de son thème."
De Sultán-Abád, Siyyid Basír se rendit au Luristán, où il visita le camp d'Ildirim Mírzá, et fut reçu par celui-ci avec des marques de considération et de respect. Un jour, au cours de sa conversation avec lui, le siyyid, qui était homme de grand courage, parla de Muhammad Sháh en des termes qui suscitèrent la colère farouche d'Ildirím Mírzá. Le ton et la véhémence des remarques du siyyid le rendirent furieux, et il donna l'ordre de lui sortir la langue par la nuque. Le siyyid endura cette cruelle torture avec une force d'âme étonnante, mais succomba à la douleur que son oppresseur lui avait impitoyablement infligée. La même semaine, une lettre dans laquelle ldirím Mírzá médisait de son frère, Khánlar Mírzá, fut découverte par ce dernier, qui obtint aussitôt le consentement de son souverain pour agir envers son frère comme il lui plairait. Khánlar Mírzá, qui nourrissait une haine implacable pour son frère, donna l'ordre de le dépouiller de ses vêtements et de le conduire, nu et enchaîné, à Ardibíl où il fut emprisonné et où finalement, il mourut.
Bahá'u'lláh passa tout le mois de ramadán à Kirmánsháh. Shukru'lláh-i-Núrí, l'un de ses parents, et Mírzá Muhammad-i-Mázindarání, qui avait survécu à la bataille de Tabarsí, furent les seuls compagnons qu'il choisit d'amener avec lui à Karbilá. J'ai entendu Bahá'u'lláh lui-même donner les raisons de son départ de Tihrán. "L'amír-nizám, nous dit-il, nous demanda un jour d'aller le voir. Il nous reçut cordialement et révéla la raison pour laquelle il nous avait convoqués auprès de lui. "Je connais parfaitement", insinua-t-il doucement, "la nature et l'influence de vos activités, et suis fermement convaincu que si vous n'aviez pas prêté assistance et appui à Mullá Husayn et à ses compagnons, ni lui ni sa bande d'étudiants sans expérience n'auraient été capables de résister pendant sept mois aux forces du gouvernement impérial.

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La compétence et l'habileté avec lesquelles vous avez su diriger et encourager leurs efforts ne pouvaient manquer de susciter mon admiration. Je n'ai pu obtenir une seule preuve par laquelle je pouvais établir votre complicité dans cette affaire. Je sens qu'il serait déplorable de laisser une personne aussi ingénieuse que vous dans l'oisiveté et de ne pas lui donner l'occasion de servir son pays et son souverain. La pensée m'est venue de vous suggérer de visiter Karbilá en ces jours où le Sháh envisage de faire un voyage à Isfáhán. Il est de mon intention de pouvoir, à mon retour, vous conférer le rang d'amír-díván, fonction que vous pourriez admirablement remplir." Nous protestâmes avec véhémence contre de telles accusations, et refusâmes d'accepter la position qu'il espérait nous offrir. Quelques jours après cette entrevue, nous quittions 'Tihrán pour Karbilá."
Avant son départ de KirmánSháh, Bahá'u'lláh nous appela, Mírzá Ahmad et moi-même, auprès de lui et nous pria de partir pour Tihrán. Je fus chargé de rencontrer Mírzá Yahyá dès mon arrivée, de l'amener avec moi au fort de Dhu'l-Faqár Khán, situé à proximité de Sháhrúd, et d'y rester avec lui jusqu'à ce que Bahá'u'lláh retournât à la capitale. Mírzá Ahmad fut chargé de demeurer à Tihrán jusqu'à son arrivée, et Bahá'u'lláh lui confia une boîte de sucreries et une lettre adressée à Aqáy-i-Kalím, qui devait expédier le cadeau au Mázindarán, où résidaient la plus grande Branche et sa mère.
Mírzá Yahyá, à qui je remis le message, refusa de quitter Tihrán et me chargea de partir à sa place pour Qazvín. Il m'obligea à me conformer à son voeu et à prendre avec moi certaines lettres qu'il me pria de remettre à plusieurs de ses amis dans cette ville. A mon retour à Tihrán, je fus obligé, sur l'insistance de mes parents, de partir pour Zarand. Mírzá Ahmad, cependant, promit qu'il organiserait de nouveau mon retour à la capitale, promesse qu'il tint effectivement. Deux mois plus tard, je me trouvais de nouveau avec lui dans un caravansérail au-delà de la porte de Naw, où je passai tout l'hiver en sa compagnie. Il passait ses jours à transcrire le Bayan persan et le "Dalá'il-i-Sab`ih", oeuvre qu'il accomplit avec un enthousiasme admirable. Il me confia deux copies de ce dernier ouvrage et me demanda de les offrir de sa part à Mustawfíyu'l-Mamálik-i-Ashtíyání et à Mírzá Siyyid 'Alíy-i-Tafarshí, surnommé le Majdu'l-Ashráf. Le premier fut si touché, qu'il fut complètement gagné à la foi. Quant à Mírzá Siyyid 'Alí, les vues qu'il exprima furent d'un caractère totalement différent.

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Lors d'une réunion à laquelle assistait Aqáy-i-Kalím, il commenta de manière défavorable les continuelles activités des croyants. "Cette secte, déclara-t-il publiquement, est encore vivante. Ses émissaires travaillent d'arrache-pied à propager les enseignements de leur chef. L'un d'eux, un jeune homme, est venu me rendre visite l'autre jour, et m'a présenté un traité que je considère comme fort dangereux. Le commun des mortels serait à coup sûr trompé par son ton s'il le lisait." Aqáy-i-Kalím comprit aussitôt par ces allusions que Mírzá Ahmad lui avait envoyé le livre et que j'avais servi de messager. Le jour même, Aqáy-i-Kalím me demanda de lui rendre visite et me conseilla de retourner chez moi à Zarand. Il me pria d'inciter Mírzá Ahmad à quitter aussitôt la capitale pour Qum, étant donné qu'à son avis, nous étions tous deux exposés à un grand danger. Agissant selon les instructions de Mírzá Ahmad, je réussis à décider le siyyid à renvoyer le livre qui lui avait été offert. Peu après, je quittai Mírzá Ahmad, que je ne devais plus jamais revoir. Je l'accompagnai jusqu'à Sháh-'Abdu'l-'Azím, d'où il partit pour Qum alors que, moi, je poursuivais ma route vers Zarand.
Le mois de shavvál de l'an 1267 après l'hégir (25.8) vit l'arrivée de Bahá'u'lláh à Karbilá. Sur son chemin vers cette ville sainte, il passa quelques jours à Baghdád, où il retournera bientôt et où sa cause était destinée à mûrir et à se déployer à travers le monde. Quand il arriva à Karbilá, il constata que plusieurs résidents de renom, parmi lesquels se trouvaient Shaykh Sultan et Hájí Siyyid Javád, avaient été victimes de l'influence pernicieuse d'un certain Siyyid-i-'Uluvv, et s'étaient déclarés ses partisans. Ils étaient plongés dans les superstitions et croyaient que leur chef était l'incarnation même de l'Esprit divin. Shaykh Sultan était l'un de ses plus fervents disciples et se considérait, après son maître, comme le chef le plus éminent parmi ses concitoyens. Bahá'u'lláh le rencontra à plusieurs reprises et réussit, par la bonté de ses paroles et de ses conseils, à débarrasser son esprit de ces vaines imaginations et à le libérer de l'état de servitude abjecte dans lequel il était tombé. Il l'amena totalement à la cause du Báb et fit naître en son coeur le désir de propager la foi. Ses condisciples, voyant les effets de sa conversion immédiate et prodigieuse, furent amenés, l'un après l'autre, à abandonner leur allégeance antérieure et à embrasser la cause que leur condisciple avait décidé de défendre. Abandonné et méprisé par ses adeptes de jadis, le Siyyid-i-'Uluvv fut finalement obligé de reconnaître l'autorité de Bahá'u'lláh et d'admettre la supériorité de sa position. Il alla même jusqu'à exprimer son repentir pour ses actes passés, et à donner sa parole qu'il ne défendrait plus jamais les théories et les principes auxquels il s'était identifié.

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Ce fut durant cette visite à Karbilá que, alors qu'il marchait dans les rues, Bahá'u'lláh rencontra Shaykh Hasan-i-Zunúzí, à qui il confia le secret qu'il était destiné à révéler plus tard à Baghdád. Il vit qu'il était impatient de trouver le Husayn promis à qui le Báb avait, avec tant d'affection, fait allusion, et que Shaykh Hasan devait, d'après sa promesse, rencontrer à Karbilá. Nous avons déjà, dans un chapitre antérieur, relaté les circonstances qui conduisirent à sa rencontre avec Bahá'u'lláh. À partir de ce jour, Shaykh Hasan fut attiré par le charme de ce maître qu'il venait de trouver et aurait, sans la réserve dont il était prié de faire preuve, proclamé à tous les habitants de Karbilá le retour du Husayn promis, dont ils attendaient l'apparition.
Parmi ceux qui vinrent à discerner ce pouvoir se trouvait Mírzá Muhammad-'Alíy-i-Tabíb-i-Zanjání, dans le coeur de qui fut plantée une graine qui était destinée à croître et à s'épanouir en une foi d'une fermeté telle que les feux de la persécution seraient impuissants à l'éteindre. Bahá'u'lláh devait lui-même témoigner de sa dévotion, de son élévation d'esprit et de sa sincérité. Cette foi le mena finalement sur le champ du martyre. Le même sort fut partagé par Mírzá 'Abdu'l-Vahháb-i-Shirazí, fils de Hájí 'Abdu'l-Majid, qui possédait un magasin à Karbilá et abandonna tous ses biens pour suivre son maître. Bahá'u'lláh lui conseilla cependant de ne pas quitter son travail, mais de continuer à gagner sa vie jusqu'au moment où il serait appelé à 'Tihrán. Bahá'u'lláh l'exhorta à être patient et lui donna une somme d'argent par laquelle il l'encourageait à étendre son commerce. Ne pouvant concentrer son attention sur ses affaires, Mírzá 'Abdu'l-Vahháb se hâta d'aller à Tihrán où il resta jusqu'au moment où il fut jeté dans le cachot où son maître était détenu, et y subit le martyre par amour pour lui.
Shaykh 'Alí-Mírzáy-i-Shirazí fut également attiré par la cause à laquelle il avait été appelé et resta, jusqu'à son dernier souffle, son ferme partisan; il la servit avec une abnégation et un dévouement au-delà de toute louange. A l'ami comme à l'étranger, il racontait ses expériences concernant la merveilleuse influence que la présence de Bahá'u'lláh avait eue sur lui, et décrivait avec enthousiasme les signes et les prodiges dont il avait été témoin durant et après sa conversion.

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NOTE DU CHAPITRE 25:

(25.1) 9 janvier 1889 ap. J-C.

(25.2) Titre d' 'Abdu'l-Bahá.

(25.3) 1851 ap. J-C.

(25.4) Du 1er au 30 juin 1851 ap. J-C.

(25.5) L'un des ouvrages les mieux connus du Báb.

(25.6) "Siyyid Basír montra, dès son enfance, les signes des merveilleuses facultés qu'il devait manifester par la suite. Il jouit pendant sept ans des bénédictions que confère la vue mais ensuite, à mesure que la vision de son âme devenait claire, un voile de ténèbres tombait sur ses yeux. Dès son jeune âge, il avait fait preuve de sa bonne humeur et de son caractère aimable aussi bien dans ses paroles que dans ses actes; il devait y ajouter une piété et une sobriété de vie particulières. Finalement, à l'âge de vingt et un ans, il se mit avec grande pompe et cérémonie (car il avait beaucoup de richesse en Inde) à accomplir le pèlerinage et, à son arrivée en Perse, il se mit à fréquenter toutes les sectes et tous les partis (il était en effet bien au courant des doctrines et des principes de tous) et à dépenser de grandes sommes d'argent pour la charité envers les pauvres, tout en se soumettant lui-même à la discipline religieuse la plus rigoureuse.
Et puisque ses ancêtres avaient prédit qu'en ces jours-là, un homme parfait apparaîtrait en Perse, il ne cessa de s'informer de tout. Il visita La Mecque puis, après avoir accompli les rites du pèlerinage, se rendit aux tombeaux de Karbilá et de Najaf, où il rencontra feu Hájí Siyyid Kázím, pour lequel il conçut une sincère amitié. Il retourna ensuite en Inde; mais, à son arrivée à Bombay, il apprit qu'un homme qui se prétendait le Báb était apparu en Perse; là-dessus, il revint aussitôt sur ses pas. (Le "Táríkh-i-Jadíd", pp. 245-6.)

(25.7) Recueil de traditions islamiques.

(25.8) 30 juillet-28 août 1851 ap. J-C.


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CHAPITRE XXVI : l'attentat à la vie du Sháh et ses conséquences

Le huitième Naw-Rúz après la déclaration du Báb, qui tombait le 27 du mois de jamádíyu'l-avval de l'an 1268 après l'hégire, (26.1) trouva Bahá'u'lláh encore en 'Iraq, occupé à propager les enseignements et à affermir les fondements de la nouvelle révélation. Faisant preuve d'un enthousiasme et d'un talent qui rappelèrent ses activités aux premiers jours du mouvement à Nur et au Mázindarán, il continua de se dévouer à la tâche qui consistait à ranimer les énergies, à organiser les forces et à diriger les efforts des compagnons du Báb qui s'étaient dispersés. Il était l'unique flambeau au milieu des ténèbres qui entouraient les disciples désorientés, qui avaient été témoins d'une part du cruel martyre de leur chef bien-aimé et, d'autre part, du sort tragique de leurs compagnons. Lui seul fut capable de leur inspirer le courage et la force d'âme nécessaires pour pouvoir endurer les nombreuses afflictions qui les avaient accablés; lui seul fut capable de les préparer à recevoir le fardeau de la tâche qu'ils étaient destinés à assumer, et de les habituer à braver la tempête et les périls qu'ils devraient bientôt affronter.
Au cours du printemps de cette année-là, Mírzá Taqí Khán, l'amír-nizám, le Grand vazír de Násiri'd-Dín Sháh, qui avait été coupable des infâmes outrages perpétrés contre le Báb et ses compagnons, trouva la mort dans un bain public à Fín, près de Káshán (26.2), après avoir misérablement échoué dans sa tentative d'arrêter les progrès de la foi qu'il s'était si désespérément efforcé d'anéantir. Sa propre renommée et son propre honneur étaient finalement destinés à périr avec lui, et non l'influence de la vie qu'il avait cherché à éteindre. Durant les trois années pendant lesquelles il occupa le poste de Grand vazír de Perse, son ministère fut souillé par des actes d'une infamie des plus sombres. Quelles atrocités ses mains ne commirent-elles pas au moment où elles tentaient d'anéantir l'édifice que le Báb avait érigé! A quelles mesures abjectes n'eut-il pas recours, dans sa rage impuissante, pour saper la vitalité d'une cause qu'il craignait et haïssait!

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La première année de son administration fut marquée par l'assaut farouche de l'armée impériale de Násiri'd-Dín Sháh contre les défenseurs du fort de Tabarsí. Avec quel caractère impitoyable dirigea-t-il la campagne de répression contre ces innocents défenseurs de la foi de Dieu! De quelle furie et de quelle éloquence fit-il preuve pour plaider l'extermination de Quddús, de Mullá Husayn et de trois cent treize de ses plus nobles et de ses meilleurs compatriotes! La deuxième année de son ministère le trouva en train de combattre avec une sauvage détermination pour extirper la foi dans la capitale. Ce fut lui qui autorisa et encouragea l'emprisonnement des croyants qui résidaient dans cette ville, et qui ordonna l'exécution des sept martyrs de Tihrán. Ce fut lui qui déclencha l'offensive contre Vahíd et ses compagnons, qui inspira cette campagne de revanche qui animait leurs persécuteurs, et qui les incita à commettre les abominations auxquelles cet épisode restera à jamais associé. Cette année vit un autre coup plus terrible que tous ceux qu'il avait jusqu'alors portés contre cette communauté persécutée, un coup qui mit une fin tragique à la vie de celui qui était la source de toutes les forces qu'il avait en vain cherché à réprimer. Les dernières années de la vie de ce vazír resteront à jamais liées à la plus révoltante des grandes campagnes que son esprit ingénieux avait conçues, une campagne qui causa la mort de Hujjat et de non moins de mille huit cents de ses compagnons. Tels furent les traits distinctifs d'une carrière qui commença et se termina dans un règne de terreur tel que la Perse en avait rarement connu jusque-là.
Il fut suivi de Mírzá Aqá Khán-i-Núrí (26.3) qui s'efforça, dès le début de son ministère, de réaliser une réconciliation entre le gouvernement qu'il dirigeait et Bahá'u'lláh, qu'il considérait comme le plus capable des disciples du Báb. Il lui envoya une lettre cordiale lui demandant de revenir à Tihrán et lui exprimant son impatience de le rencontrer. Avant la réception de cette lettre, Bahá'u'lláh avait déjà décidé de quitter 1' 'Iraq pour la Perse.
Il arriva dans la capitale au mois de rajab (26.4), et fut accueilli par le frère du Grand vazir, Ja'far-Qulí Khán, qui avait été spécialement chargé d'aller le recevoir. Pendant un mois entier, il fut l'invité très honoré du Grand vazír, qui avait désigné son frère pour agir en qualité d'hôte en son nom. Le nombre des notables et des dignitaires de la capitale qui affluèrent pour le rencontrer fut si élevé qu'il se trouva dans l'impossibilité de retourner chez lui. Il resta dans cette maison jusqu'à son départ pour Shimírán. (26.5)
J'ai entendu Aqáy-i-Kalím déclarer qu'au cours de ce voyage, Bahá'u'lláh put rencontrer 'Azím, qui s'était longtemps efforcé de le voir et qui, lors de cette entrevue, se vit conseiller par Bahá'u'lláh, dans les termes les plus vigoureux, de renoncer au plan qu'il avait conçu.

<P560>

PHOTO: Village d'Afchih, proche de Thiran. La maison de Baha'u'llah se voit à travers les arbres (arrière gauche)

PHOTO: La maison de Baha'u'llah à Afchih, proche de Thiran.

<P561>

Bahá'u'lláh condamna ses desseins, se dissocia totalement de l'acte qu'il envisageait de commettre, et l'avertit qu'une telle tentative précipiterait de nouveaux désastres d'une ampleur sans précédent.
Bahá'u'lláh se rendit à Lavásán et séjournait au village d'Afchih, propriété du Grand vazir, lorsque la nouvelle de l'attentat à la vie de Násiri'd-Dín Sháh lui parvint. Ja'far-Qulí Khán agissait encore comme hôte de substitution, de l'amír-nizám. Cet acte criminel fut commis vers la fin du mois de shavvál, en l'an 1268 après l'hégire (26.6), par deux jeunes inconnus irresponsables, l'un nommé Sádiq-i-Tabrízí, et l'autre Fathu'lláh-i-Qumí, qui gagnaient tous deux leur vie à Tihrán. A un moment où l'armée impériale, commandée par le Sháh lui-même, avait établi son camp à Shimírán, ces deux jeunes ignorants, dans un accès de désespoir, se levèrent pour venger le sang de leurs frères massacrés (26.7). La folie qui caractérisa leur acte devait se manifester par le fait qu'en commettant un tel attentat à la vie de leur souverain, ils avaient, au lieu de se servir d'armes efficaces qui auraient assuré le succès de leur aventure, chargé leur pistolet de plomb qu'aucune personne raisonnable ne songerait jamais à utiliser dans un tel but.

PHOTO: Murgh-Mahallih, la résidence d'été de Bahá'u'lláh à Shimírán

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Si un homme de bon sens et de jugement avait été à l'origine de leur acte, il ne leur aurait jamais permis d'exécuter leur tentative au moyen d'instruments aussi ridiculement inefficaces. (26.8)
Cet acte, bien qu'il fût commis par des fanatiques farouches, à l'esprit débile, et qu'il fût dès le début fermement condamné par une personne non moins responsable que Bahá'u'lláh, fut le signal du déclenchement d'une série de persécutions et de massacres d'une férocité si barbare que l'on ne pourrait les comparer qu'aux atrocités du Mázindarán et de Zanján. La tempête à laquelle cet acte donna lieu plongea tout Tihrán dans la consternation et la détresse. Elle causa la mort des principaux compagnons qui avaient survécu aux calamités auxquelles leur foi avait été si cruellement et si continuellement soumise. Cette tempête faisait encore rage lorsque Bahá'u'lláh et certains de ses lieutenants les plus compétents furent jetés dans un cachot sale, sombre et pestilentiel, alors que des chaînes, d'un poids tel que seuls les criminels notoires étaient condamnés à les porter, furent placées autour de son cou. Durant non moins de quatre mois, il porta ce fardeau, et l'intensité de sa souffrance fut telle que les marques de cette cruauté laissèrent durant toute sa vie leur empreinte sur son corps.
Une menace aussi sérieuse pour le souverain et les institutions de son royaume suscita l'indignation de tout le corps ecclésiastique de la Perse. Un acte aussi téméraire, leur semblait-il, méritait un châtiment immédiat et exemplaire. Des mesures d'une sévérité sans précédent, s'écriaient-ils, devraient être prises pour arrêter la marée qui allait, selon eux, submerger à la fois le gouvernement et la foi de l'islám. Malgré la réserve dont avaient fait preuve les disciples du Báb dès le début même de la fondation de la foi dans toutes les provinces du pays, malgré les recommandations répétées des principaux disciples à leurs frères, leur enjoignant de s'abstenir de tout acte de violence, d'obéir loyalement à leur gouvernement et de démentir toute intention qu'on leur prêterait de faire la guerre sainte, leurs ennemis continuèrent leurs efforts délibérés tendant à dénaturer le caractère et le but de cette foi devant les autorités. Dès lors qu'un acte aux conséquences aussi immenses avait été commis, quelles accusations ces mêmes ennemis allaient-ils porter contre la cause à laquelle avaient été associés les deux criminels! Le moment semblait venu où ils pourraient enfin faire réaliser aux dirigeants du pays la nécessité d'éliminer aussi rapidement que possible une hérésie qui semblait menacer les fondements mêmes de l'Etat.

<P563>

Ja'far-Qulí Khán, qui était à Shimírán lorsque fut commis l'attentat à la vie du Sháh, écrivit aussitôt une lettre à Bahá'u'lláh pour le mettre au courant de ce qui s'était produit. "La mère du Sháh, écrivit-il, est folle de colère. Elle vous dénonce ouvertement devant la cour et le peuple, vous accusant d'être le "meurtrier probable" de son fils. Elle tente également d'entraîner Mírzá Aqá Khán dans cette affaire, et l'accuse d'être votre complice." Il exhorta Bahá'u'lláh à rester quelque temps caché dans le voisinage, jusqu'à ce que la passion de la populace se fût apaisée. Il dépêcha à Afchih un messager âgé et plein d'expérience, à qui il donna l'ordre de se mettre à la disposition de son invité et de se tenir prêt à l'accompagner vers quelque lieu sûr où il désirerait se rendre.
Bahá'u'lláh refusa d'accepter l'occasion que lui offrait Ja'far-Qulí Khán. Ignorant le messager et rejetant son offre, il se rendit à cheval, le lendemain matin, avec une confiance sereine, de Lavásán où il séjournait, au quartier général de l'armée impériale qui était alors stationnée à Níyávarán, dans le district de Shimírán. A son arrivée au village de Zarkandih, siège de la légation russe situé à un maydán (26.9) de Níyávarán, il rencontra Mírzá Majíd, son beau-frère, qui travaillait comme secrétaire chez le ministre russe (26.10), et fut invité par lui à résider dans sa maison, qui jouxtait celle de son supérieur.

PHOTO: vue de Niyávarán, près de Tihrán

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Les domestiques de Hájí 'Alí Khán, le hájibu'd-dawlih, reconnurent Bahá'u'lláh et allèrent directement informer leur maître qui, à son tour, porta l'affaire à l'attention du Sháh.
La nouvelle de l'arrivée de Bahá'u'lláh surprit fort les officiers de l'armée impériale. Násiri'd-Dín Sháh lui-même fut étonné de la démarche inattendue et osée que venait de faire un homme accusé d'être le principal instigateur de l'attentat à sa vie. Il envoya aussitôt un de ses officiers sûrs à la légation, demandant que l'accusé lui soit livré. Le ministre russe refusa et demanda à Bahá'u'lláh de se rendre chez Mírzá Aqá Khán, le Grand vazir, dont la maison, pensait-il, était la plus appropriée dans ces circonstances. Sa demande fut acceptée, sur quoi le ministre communiqua officiellement au Grand vazír son désir de voir Bahá'u'lláh, que son gouvernement mettait sous sa protection, entouré du maximum d'attentions, afin de lui assurer salut et protection; il avertit le Grand vazír qu'il le tiendrait pour responsable au cas où ses voeux seraient négligés. (26.11)
Mírzá Aqá Khán, bien qu'il donnât les pleines assurances requises, et qu'il reçût Bahá'u'lláh chez lui avec toutes les marques de respect, craignait trop, cependant, pour sa propre position pour accorder à son hôte le traitement que l'on attendait de lui.
Au moment où Bahá'u'lláh quittait le village de Zarkandih, la fille du ministre, qui se sentait fort affligée par les dangers qui menaçaient la vie de Bahá'u'lláh, fut si bouleversée par l'émotion qu'elle ne put retenir ses larmes. "A quoi sert", l'entendit-on faire remarquer à son père, "l'autorité dont vous êtes investi si vous êtes impuissant à accorder votre protection à un hôte que vous avez reçu chez vous?" Le ministre, qui avait une grande affection pour sa fille, fut ému à la vue de ses larmes, et chercha à la consoler en l'assurant qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir afin d'écarter le danger qui menaçait la vie de Bahá'u'lláh.
Ce jour-là, l'armée de Násiri'd-Dín Sháh fut en proie à de violentes agitations. Les ordres péremptoires du souverain, suivant de si près l'attentat à sa vie, donnèrent lieu aux rumeurs les plus fantaisistes et suscitèrent les passions les plus féroces chez les gens du voisinage. L'agitation s'étendit à Tihrán et transforma en fureur monstre les braises de la haine qui couvaient, et que les ennemis de la cause entretenaient encore dans leur coeur. Une confusion, d'une gravité sans précédent, régna dans la capitale. Un mot de dénonciation, un signe ou un murmure, suffisaient à exposer les innocents à une persécution qu'aucune plume n'oserait décrire.

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La sécurité de la vie et des biens avait complètement disparu. Les plus hautes autorités ecclésiastiques de la capitale prêtèrent main forte aux membres les plus influents du gouvernement pour porter ce qu'ils espéraient être le coup fatal à un ennemi qui, huit ans durant, avait si sérieusement ébranlé la paix du royaume, et qu'aucune ruse ni violence n'avaient été capables de réduire au silence. (26.12)
Bahá'u'lláh, à présent que le Báb n'était plus, apparaissait à leurs yeux comme le pire ennemi qu'ils devaient-et cela, ils le considéraient comme leur premier devoir-saisir et emprisonner. Pour
eux, il était la réincarnation de l'esprit que le Báb avait si puissamment manifesté, l'esprit grâce auquel il avait pu accomplir une transformation aussi complète dans la vie et les moeurs de ses compatriotes. Les précautions que le ministre russe avait prises, et l'avertissement qu'il avait donné, n'arrêtèrent point la main qui s'était levée avec une telle détermination pour mettre fin à cette vie précieuse.
De Shimírán à Tihrán, Bahá'u'lláh fut, à maintes reprises, dépouillé de ses vêtements et accablé d'injures et de ridicule. A pied et exposé aux rayons brûlants du soleil de plein été, il fut obligé de couvrir, pieds nus et tête nue, toute la distance séparant Shimírán du cachot auquel nous avons déjà fait allusion. Tout le long du parcours, il fut lapidé et vilipendé par les foules que ses ennemis avaient réussi à convaincre qu'il était l'ennemi juré de leur souverain et le destructeur de son royaume.

PHOTO: la légation russe dans le village de Zarkandih

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Les mots me manquent pour décrire l'horreur du traitement réservé à Bahá'u'lláh au moment où on l'emmenait au siyah-chal (26.13) de Tihrán. Alors qu'il approchait de ce cachot, l'on vit une vieille femme décrépite sortir du milieu de la foule, une pierre à la main, impatiente de la jeter à la face de Bahá'u'lláh. Ses yeux brillaient d'une détermination et d'un fanatisme dont peu de femmes de son âge étaient capables. Tout son être tremblait de rage alors qu'elle s'avançait et levait la main pour lui lancer le projectile. "Par le Siyyidu'sh-Shuhadá (26.14), je vous adjure", dit-elle en courant pour rattraper ceux à qui Bahá'u'lláh avait été remis, "donnez-moi une chance de jeter ma pierre à sa face!" "Ne décevez pas cette femme", furent les paroles de Bahá'u'lláh à ses gardes lorsqu'il la vit se précipiter derrière lui. "Ne lui refusez pas ce qu'elle considère comme un acte méritoire aux yeux de Dieu."
Le siyah-chal oú fut jeté Bahá'u'lláh était autrefois un réservoir d'eau destiné à l'un des bains publics de Tihrán; c'était un cachot souterrain dans lequel étaient habituellement détenus des criminels de la pire espèce. L'obscurité, la saleté et le caractère des prisonniers s'ajoutaient pour faire de ce cachot pestilentiel le lieu le plus abominable auquel des êtres humains pouvaient être condamnés. Les pieds de Bahá'u'lláh furent placés dans des entraves et, autour de son cou, l'on attacha les chaînes de Qani-Guhar, connues dans toute la Perse pour leur poids blessant. (26.15) Durant trois jours et trois nuits, l'on ne donna aucune espèce de nourriture ni de boisson à Bahá'u'lláh. Le repos et le sommeil lui étaient impossibles. L'endroit était infesté de vermine, et la puanteur de cette sordide demeure suffisait à étouffer l'esprit même de ceux qui étaient condamnés à en subir les horreurs. Les conditions dans lesquelles il était détenu étaient telles que même l'un des bourreaux qui le surveillait fut pris de pitié pour lui. Plusieurs fois cet homme tenta de le décider à boire un peu de thé qu'il avait réussi à apporter avec lui dans le cachot, dissimulé sous ses vêtements. Bahá'u'lláh, cependant, refusait de le boire. Sa famille s'efforça à maintes reprises de décider les gardes à lui permettre de lui porter en prison la nourriture qu'ils avaient préparée à son intention. Bien qu'au début, aucun raisonnement ne pût inciter les gardes à relâcher la rigueur de leur discipline, petit à petit, cependant, ils cédèrent aux pressions de ses amis. Personne ne pouvait toutefois savoir avec certitude si cette nourriture parvenait finalement au prisonnier, ou si celui-ci consentait à la manger alors que certains de ses compagnons prisonniers mouraient de faim sous ses yeux.

<P567>

Certes, on peut à peine imaginer une plus grande misère que celle qui avait frappé ces innocentes victimes de la colère de leur souverain. (26.16)
Quant au jeune Sádiq-i-Tabrízí, il eut un sort aussi cruel qu'humiliant. Il fut fait prisonnier au moment où il se précipitait vers le Sháh, qu'il avait fait tomber de cheval, dans l'espoir de le frapper de l'épée qu'il tenait à la main. Le Shátir-Báshi, ainsi que les assistants du Mustawfíyu'l-Mamálik, sautèrent sur lui et, sans essayer de savoir qui il était, le tuèrent sur place. Désireux de calmer l'excitation de la foule, ils coupèrent son corps en deux et suspendirent chaque moitié, exposée aux regards de la foule, à l'entrée des portes de Shimírán et de Sháh-'Abdu'l-'Azfm. (26.17) Ses deux autres compagnons, Fathu'lláh-i-Hakkák-i- Qumí et Hájí Qásim-i-Nayrízí, qui n'avaient infligé au Sháh que de légères blessures, furent soumis à un traitement inhumain, auquel ils devaient finalement succomber. Fathu'lláh, bien que subissant d'indicibles cruautés, refusa obstinément de répondre aux questions qu'on lui posait. Le silence qu'il garda devant des tortures variées incita ses persécuteurs à croire qu'il était muet. Exaspérés par l'échec de leurs efforts, ils versèrent du plomb fondu dans sa gorge, acte qui mit fin à ses souffrances.

PHOTO: partie sud de Tihran où les criminels subissaient la pendaison et où de nombreux baha'is furent martyrisés. (voir, marqué d'un x, le site de siyah-chal)

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Son camarade, Hájí Qásim, fut traité avec une sauvagerie plus révoltante encore. Le jour même où Hájí Sulaymán Khán était soumis à cette terrible épreuve, ce pauvre misérable recevait un traitement semblable des mains de ses persécuteurs à Shimírán. Il fut déshabillé, des bougies allumées furent introduites dans des trous pratiqués dans sa chair, et il fut ainsi promené sous le regard de la foule qui le huait et le maudissait. L'esprit de vengeance qui animait ceux à qui il avait été remis semblait insatiable. Jour après jour, de nouvelles victimes furent obligées d'expier de leur sang un crime qu'elles n'avaient jamais commis, et dont elles ignoraient totalement les circonstances. Tous les artifices ingénieux que les bourreaux de Tihrán pouvaient employer furent appliqués avec une rigueur impitoyable sur les corps de ces malheureux, qui ne furent ni jugés ni interrogés, et dont on négligea totalement le droit de plaider et de prouver leur innocence.
Chacune de ces journées de terreur voyait le martyre de deux compagnons du Báb; l'un était tué à Tihrán alors que l'autre subissait son sort à Shimírán. Tous deux étaient soumis à la même espèce de torture, tous deux étaient livrés à la foule pour qu'elle se vengeât sur eux. Les prisonniers étaient répartis selon les différentes classes de la société, dont les messagers venaient chaque jour visiter le cachot pour réclamer leur victime. (26.18)

PHOTO: famille baha'ie martyrisée en Perse

<P569>

Au moment où ils la conduisaient vers le lieu de sa mort, ils donnaient le signal d'une attaque générale contre elle, après quoi hommes et femmes se ruaient vers leur proie, déchiquetaient son corps et le mutilaient à un point tel qu'aucune trace de sa forme originale ne subsistait. Une telle cruauté étonnait même les bourreaux les plus brutaux dont les mains, bien qu'habituées au massacre d'êtres humains, n'avaient jamais perpétré les atrocités dont ces gens-là se montraient capables. (28.19)

De toutes les tortures qu'un insatiable ennemi infligea à ses victimes, aucune ne fut plus révoltante que celle qui caractérisa la mort de Hájí Sulaymán Khán. Il était le fils de Yahyá Khán, l'un des officiers au service du Náyibu's-Saltanih, qui était le père de Mubammad Sháh. Il conserva ce rang au début du règne de Mubammad Sháh. Hájí Sulaymán Khán montra dès ses premières années un désintéressement marqué pour le rang et la fonction publique. Dès le jour où il accepta la cause du Báb, les affaires insignifiantes dans lesquelles étaient plongés les gens de son entourage suscitèrent sa pitié et son dédain. La vanité de leurs ambitions ne lui était que trop évidente.

PHOTO: croyants réunis autour du corps d'un martyr

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Alors qu'il était tout jeune, il sentit un ardent désir de s'échapper du tumulte de la capitale et de chercher refuge dans la ville sainte de Karbilá. Là, il rencontra Siyyid Kázim et devint l'un de ses partisans les plus fervents. Sa piété sincère, sa frugalité et son amour de la solitude étaient quelques-uns des principaux traits de son caractère. Il séjourna à Karbilá jusqu'au jour où l'appel de Shiraz lui parvint par l'intermédiaire de Mullá Yúsuf-i-Ardibílí et de Mullá Mihdíy-i-Khu'í, qui étaient tous deux de ses amis les mieux connus. Il embrassa avec enthousiasme le message du Báb. (26.20) Il avait eu l'intention, à son retour de Karbih à Tihrán, de rejoindre les défenseurs du fort de Tabarsí, mais il arriva trop tard. Il demeura dans la capitale et continua à porter le genre d'habit qu'il avait adopté à Karbilá. Le petit turban qu'il portait et la tunique blanche que cachait son 'abá (26.21) noir ne plaisaient guère à l'amir-nizám, qui le décida à se débarrasser de ces vêtements et à endosser un uniforme militaire. Il dut porter le kuláh (26.22), un couvre-chef que l'on jugeait plus compatible avec le rang de son père. Quoique l'amír-nizám insistât pour qu'il acceptât une position au service du gouvernement, il refusa avec obstination de se conformer à cette requête. La majeure partie de son temps, il la passait en compagnie des disciples du Báb, et particulièrement de ceux de ses compagnons qui avaient survécu à la bataille de Tabarsí. Il les entourait d'une bonté et d'un soin vraiment étonnants. Lui et son père étaient si influents que l'amír-nizam fut porté à lui épargner la vie et à s'abstenir effectivement de tout acte de violence contre lui. Bien qu'il se trouvât à Tihrán lorsque les sept compagnons du Báb, qui étaient de ses intimes, furent martyrisés, ni les officiels du gouvernement ni aucune autre personne n'osèrent réclamer son arrestation. Même à Tabríz, où il s'était rendu dans le but de sauver la vie du Báb, personne, parmi les habitants de cette ville, n osa lever le doigt contre lui. L'amir-nizám, qui était parfaitement informé de tous les services qu'il rendait à la cause du Báb, préféra ignorer ses actes plutôt que de créer un conflit entre lui et son père.
Peu après le martyre d'un certain Mulbi Zaynu'l-'Abidín-i-Yazdí, une rumeur circula selon laquelle ceux à qui le gouvernement voulait ôter la vie et parmi lesquels se trouvaient Siyyid Husayn, le secrétaire du Báb, et Tahirih, allaient être relâchés et qu'on allait définitivement renoncer à toute persécution envers leurs amis. On avait partout rapporté que l'amír-nizám, estimant que l'heure de sa mort approchait, avait soudain été saisi d'une grande crainte et que, dans l'angoisse du repentir, il s'était exclamé: "Je suis hanté par la vision du Siyyid-i-Báb, dont j'ai ordonné le martyre.

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Je puis à présent discerner l'épouvantable erreur que j'ai commise. J'aurais dû freiner la violence de ceux qui me pressaient de répandre son sang et celui de ses compagnons. Je discerne à présent que les intérêts de l'Etat l'exigeaient." Son successeur, Mírzá Aqá Khán, eut la même inclination dès les premiers jours de son administration, et il entendait inaugurer son ministère par une réconciliation durable entre lui et les disciples du Báb. Il se préparait à entreprendre cette tâche lorsque l'attentat à la vie du Sháh vint anéantir ses projets et jeta la capitale dans un état de confusion sans précédent.
J'ai entendu la plus grande Branche (26.23), qui n'était alors qu'un enfant de huit ans, raconter l'une de ses aventures au moment où il se hasarda à quitter la maison dans laquelle il résidait. "Nous avions cherché refuge, nous dit-il, chez mon oncle Mírzá Ismá`íl. Tihrán était en proie à une agitation des plus furieuses. J'osais parfois sortir de cette maison et traverser la rue pour me rendre au marché. À peine avais-je franchi le seuil de la maison et mettais-je le pied dans la rue, que des enfants de mon âge, qui couraient par là, se réunissaient autour de moi en criant: "Bábí! Bábí!" Sachant bien l'état d'excitation dans lequel se trouvaient les habitants de la capitale, jeunes comme vieux, j'ignorais délibérément leur clameur et continuais tranquillement mon chemin vers chez moi. Un jour, il arriva que je me trouvais seul en train de traverser le marché, me rendant chez mon oncle. Comme je regardais derrière moi, je vis une bande de petites brutes courir rapidement vers moi pour me rattraper. Ils me lançaient des pierres et criaient de façon menaçante; "Bábi! Bábí!" Les intimider me sembla le seul moyen d'éviter le danger dont j'étais menacé. Je me retournai et me précipitai vers eux avec une telle détermination qu'ils s'enfuirent en détresse et disparurent de ma vue. Je pus entendre leur cri lointain qui disait: "Le petit Bábí nous poursuit rapidement! Il nous rattrapera sûrement et nous tuera tous." Comme je me dirigeais vers ma maison, j'entendis un homme crier très fort: "Bien fait mon brave et intrépide garçon! Personne, parmi les gens de ton âge, n'aurait jamais pu, sans aide, affronter leur attaque." A partir de ce jour-là, je ne fus plus jamais molesté par aucun des garçons de la rue, et n entendis plus de paroles offensantes de leur part.
Parmi ceux qui, au milieu de la confusion générale, furent saisis et jetés en prison, se trouvait Hájí Sulaymán Khán, dont je vais à présent relater les circonstances du martyre. Les faits que je mentionne ont été soigneusement examinés et vérifiés par moi, et je les dois pour la plus grande part à Áqáy-i-Kalím, qui se trouvait lui-même alors a Tihrán et dut partager les terreurs et les souffrances de ses frères.

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"Le jour même du martyre de Hájí Sulaymán Khán, m'apprit-il, je me trouvais par hasard avec Mírzá 'Abdu'l-Majíd à une réunion à laquelle participaient un nombre considérable de dignitaires et de notables de la capitale. Parmi ceux-ci, il y avait Hájí Mullá Mabmúd, le nizámu'l- 'ulamá', qui demanda au kalantar de décrire les véritables circonstances de la mort de Hájí Sulaymán Khán. Le kalantar fit un signe du doigt à Mirzá Taqí, le kad-khudá (26.24) qui, dit-il, a conduit la victime du voisinage du palais impérial au lieu de son exécution, au-delà de la porte de Naw. Mírzá Taqí fut donc prié de relater aux assistants tout ce qu'il avait vu et entendu. "Moi et mes domestiques, dit-il, reçûmes l'ordre d'acheter neuf chandelles et de les introduire nous-mêmes dans de profonds trous que nous devions pratiquer dans sa chair. On nous ordonna d'allumer toutes ces chandelles et de conduire la victime à travers le marché, au battement des tambours et au son des trompettes, jusqu'au lieu de son exécution. Là, nous reçûmes l'ordre de couper son corps en deux, et de suspendre chaque moitié de chaque côté de la porte de Naw. Il avait lui-même choisi la façon dont il désirait être martyrisé. Hájibu'd-Dawlih (26.25) avait été chargé par Násiri'd-Dín Sháh de se renseigner sur la complicité de l'accusé et de décider celui-ci, au cas où il serait assuré de son innocence, à abjurer sa foi. S'il acceptait, on devait lui épargner la vie et le détenir dans l'attente du règlement définitif de son cas. S'il refusait, on devait lui ôter la vie de la façon que lui-même choisirait.
"Les investigations de Hájibu'd-Dawlih persuadèrent celui-ci de l'innocence de Hájí Sulaymán Khán. L'accusé, dès qu'il fut informé des instructions de son souverain, s'exclama avec joie:
"Jamais, aussi longtemps que coulera du sang dans mes veines, je n'accepterai d'abjurer ma foi en mon Bien-Aimé! Ce monde, que le Commandeur des croyants (26.26) a comparé à une charogne, ne m'éloignera jamais du désir de mon coeur." On lui demanda de déterminer la manière dont il désirait mourir. "Percez des trous dans ma chair, répondit-il aussitôt, et placez dans chaque blessure une chandelle. Allumez neuf chandelles sur tout mon corps et conduisez-moi dans cet état à travers les rues de Tihrán. Appelez la foule à témoigner de la gloire de mon martyre, afin que le souvenir de ma mort laisse son empreinte dans leurs coeurs et les aide, au moment où ils se rappelleront l'intensité de mes tribulations, à reconnaître la lumière que j'ai embrassée.

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Après mon arrivée au pied de la potence, et la dernière prière que je prononcerai au cours de ma vie terrestre, coupez mon corps en deux et suspendez mes membres de chaque côté de la porte de jihnin pour que la foule qui passe sous elle puisse témoigner de l'amour que la foi du Báb a suscité dans le coeur de ses disciples, et puisse regarder les preuves de leur dévotion."
"Hájibu'd-Dawlih ordonna à ses hommes de se conformer aux voeux exprimés par Hájí Sulaymán Khán, et me chargea de le conduire à travers le marché jusqu'au lieu de son exécution. Au moment oú ils tendaient à la victime les chandelles qu'ils avaient achetées, et se préparaient à lui enfoncer leurs couteaux dans la poitrine, il fit une brusque tentative pour retirer l'arme des mains tremblantes du bourreau afin de la plonger lui-même dans sa chair. "Pourquoi craindre et pourquoi hésiter?" s'écria-t-il en avançant le bras pour s'emparer du couteau. "Laissez-moi accomplir cet acte et allumer moi-même les chandelles." De crainte qu'il ne nous attaquât, je donnai l'ordre à mes hommes de ne pas céder à sa tentative et de lui attacher les mains derrière le dos. "Laissez-moi, plaida-t-il, montrer du doigt les endroits auxquels je désire qu'ils enfoncent leur poignard, car je n'ai pas d'autre requête à présenter, si ce n'est celle-ci."
"Il leur demanda de lui percer deux trous dans la poitrine, deux dans les épaules, un dans la nuque et les quatre autres dans le dos. Avec un calme stoïque, il endura ces tortures. La fermeté se lisait dans ses yeux au moment où il gardait un silence mystérieux et ininterrompu. Ni le hurlement de la foule ni la vue du sang qui coulait sur tout son corps ne parvinrent à le décider à rompre ce silence. Il demeura ainsi, impassible et serein, jusqu'à ce que les neuf chandelles fussent mises en place et allumées.
"Lorsque tout fut achevé en vue de sa marche vers la scène de sa mort, il se tint debout, droit comme une flèche et, avec la même force d'âme inflexible rayonnant sur son visage, s'avança pour mener la foule qui se pressait autour de lui vers l'endroit qui devait voir la consommation de son martyre. A des intervalles de quelques pas, il s'arrêtait et, regardant les spectateurs déconcertés, criait: "Quelle plus grande pompe et quel plus grand faste que ceux qui accompagnent aujourd'hui ma progression pour gagner la couronne de gloire! Glorifié soit le Báb, qui peut susciter une telle dévotion dans le coeur de ses amants, et qui peut les doter d'un pouvoir plus grand que la puissance des rois!" Parfois, comme enivré par la ferveur de cette dévotion, il s'exclamait: "L'Abraham d'un âge écoulé, priant Dieu, à l'heure de l'agonie la plus cruelle, de lui envoyer le repos auquel aspirait son âme, entendit la voix de l'Invisible proclamer: "O feu! Sois froid, et pour Abraham, un salut !" (26.27)

<P574>

Mais ce Sulaymán crie, du plus profond de son coeur ravagé: "Seigneur, Seigneur, que ton feu brûle sans cesse en moi, et fais que sa flamme consume mon être!" Comme ses yeux regardaient la cire scintiller dans ses blessures, il manifesta un accès de joie effrénée: "Puisse celui dont la main a enflammé mon âme être ici pour contempler mon état!" "Ne croyez pas que je sois enivré par le vin d'ici-bas!" cria-t-il à la vaste foule qui restait frappée de stupeur à la vue de son comportement. "C'est l'amour de mon Bien-Aimé qui a rempli mon âme et fait que je me sens doté d'une souveraineté que même les rois pourraient m'envier!"
"Je ne puis me souvenir des exclamations de joie qui sortaient de ses lèvres alors qu'il approchait de sa fin. Tout ce que je me rappelle, ce sont quelques-unes des paroles émouvantes qu'il lança à la foule des spectateurs dans ses moments d'exultation. Les mots me manquent pour décrire l'expression de ce visage ou mesurer l'effet de ses paroles sur la foule.
"Il se trouvait encore dans le bazar lorsqu'une brise vint attiser le feu des chandelles qui étaient placées sur sa poitrine. Comme elles fondaient rapidement, leurs flammes atteignirent le niveau des blessures dans lesquelles elles avaient été enfoncées. Nous qui suivions à quelques pas derrière lui pûmes entendre distinctement le grésillement de sa chair. La vue du sang coagulé et du feu qui couvraient son corps, au lieu de le faire taire, semblait augmenter son enthousiasme inextinguible. On put encore l'entendre, s'adressant cette fois aux flammes alors que celles-ci dévoraient l'intérieur de ses blessures: "Vous avez depuis longtemps perdu de votre agressivité, ô flammes, et avez été dépourvues de votre pouvoir de me faire souffrir. Hâtez-vous car, de vos langues de feu, je puis entendre la voix qui m'appelle vers mon Bien-Aimé!"
"La peine et la souffrance semblaient avoir disparu dans l'ardeur de cet enthousiasme. Enveloppé par les flammes, il marchait tel un conquérant vers la scène de sa victoire. Il envoyait à travers la foule excitée un éclat de lumière au milieu des ténèbres qui l'entouraient. En arrivant au pied de la potence, il éleva de nouveau la voix dans un dernier appel à la multitude de spectateurs: "Ce Sulaymán que vous voyez à présent devant vous en proie au feu et au sang, ne jouissait-il pas jusqu'à ces derniers temps de toutes les faveurs et richesses que le monde peut conférer? Qu'est-ce qui peut l'avoir fait renoncer à cette gloire terrestre et accepter en échange un si grand avilissement et une telle souffrance?"

<P575>

Se prosternant alors en direction du tombeau de l'Imám-Zádih Hasan, il murmura certaines paroles en arabe que je ne pus comprendre. "Mon travail est à présent achevé!" cria-t-il au bourreau dès que sa prière fut terminée. "Viens et fais le tien!" Il était encore en vie lorsque son corps fut coupé en deux à l'aide d'une hache. La louange de son Bien-Aimé, malgré ses incroyables souffrances, se lisait encore sur ses lèvres jusqu'au dernier instant de sa vie. (26.28)
"Ce tragique récit émut les auditeurs jusqu'au tréfonds de leur âme. Le nizámu'l-`ulamá', qui écoutait attentivement tous les détails, se tordit les mains d'horreur et de désespoir. "Comme elle est étrange, cette cause!" s'exclama-t-il. Sans ajouter un mot de commentaire, il se leva aussitôt après et quitta la réunion." (26.29)
Ces jours de tumulte incessant virent le martyre d'un autre éminent disciple du Báb. Une femme, non moins grande et héroïque que Tahirih elle-même, fut plongée dans la tempête qui faisait rage alors dans la capitale. Ce que je commence à raconter à présent concernant les circonstances de son martyre, je l'ai recueilli auprès d'informateurs dignes de foi, dont certains furent eux-mêmes témoins des événements que je vais tenter de décrire. Le séjour de Tahirih à Tihrán fut marqué par de nombreuses preuves de la cordiale affection et de la haute estime que lui portaient les femmes de la capitale. Elle avait atteint en réalité, ces jours-là, l'apogée de sa popularité. (26.30) La maison où elle était détenue était assiégée par ses admiratrices qui affluaient vers ses portes, avides d'aller auprès d'elle et de profiter de son savoir. (26.31) Parmi ces femmes, l'épouse de Kalántar (26.32) se distingua par l'extrême respect qu'elle montra envers Tahirih. Lui servant d'hôtesse, elle introduisait auprès d'elle l'élite de la société féminine de Tihrán, la servait avec un enthousiasme extraordinaire et ne manquait jamais de contribuer à accroître son influence auprès des femmes. Des personnes qui entretenaient des relations étroites avec la femme de Kalântar l'ont entendu relater ce qui suit: "Une nuit, alors que Tahirih se trouvait chez moi, je fus convoquée auprès d'elle et la trouvai parée et vêtue d'une robe de soie de couleur blanc-neige. Sa chambre exhalait le plus exquis des parfums. Je lui exprimai ma surprise devant cette scène inhabituelle. "Je me prépare à rencontrer mon Bien-Aimé, dit-elle, et désire vous libérer des soins et des anxiétés que vous procure mon emprisonnement." Je fus d'abord stupéfaite, et je pleurai à l'idée de me séparer d'elle. "Ne pleurez pas", chercha-t-elle à me rassurer.

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"Le temps de vos lamentations n'est pas encore venu. Je désire vous faire part de mes dernières volontés, car l'heure à laquelle je serai arrêtée et condamnée à subir le martyre est imminente. Je vous demanderai d'autoriser votre fils à m'accompagner jusqu'au lieu de ma mort et de s'assurer que les gardes et le bourreau aux mains de qui je serai remise ne m'obligeront pas à me séparer de ces habits. Je désire également que mon corps soit jeté dans un puits, et que ce dernier soit rempli de terre et de pierres. Trois jours après ma mort, une femme viendra vous rendre visite, et vous lui remettrez ce paquet que je vous confie à présent. Ma dernière requête est que vous ne permettiez à personne, à partir de ce moment, d'entrer dans ma chambre. Dès cet instant et jusqu'au moment où je serai appelée à quitter cette maison, ne laissez personne venir troubler mes prières. Aujourd'hui, j'entends jeûner, un jeûne que je ne romprai point jusqu'à ce que je me trouve face à face avec mon Bien-Aimé." Elle me pria, après ces paroles, de verrouiller la porte de sa chambre et de ne l'ouvrir que lorsque sonnerait l'heure de son départ. Elle m'exhorta aussi à garder secrète la nouvelle de sa mort jusqu'au moment où ses ennemis eux-mêmes la révéleraient.

PHOTO: la maison du Kalantar à Tihrán, où fut emprisonnée Tahirih (la chambre supérieure derrière l'arbre est celle qu'elle occupait.)

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"Seul le grand amour que je nourrissais pour elle en mon coeur me permit de me conformer à ses instructions. Si ce n'était l'irrésistible désir qui me poussait à réaliser ses voeux, je n'aurais jamais consenti à me séparer d'elle, ne fût-ce qu'un instant. Je fermai à clef la porte de sa chambre et me retirai dans la mienne dans un état de tristesse irrépressible. Je me couchai et restai éveillée, inconsolable, dans mon lit. La pensée de l'imminence de son martyre déchirait mon âme. "Seigneur! Seigneur!" priais-je dans mon désespoir, "écarte de sa bouche, si tel est ton désir, la coupe que ses lèvres désirent boire." Ce jour-là et la nuit qui suivit, je me levai plusieurs fois et, ne pouvant me retenir, allai furtivement vers le seuil de cette chambre pour rester silencieuse à sa porte, avide d'entendre ce qui pourrait sortir de ses lèvres. J'étais ravie par la mélodie de cette voix qui entonnait la louange de son Bien-Aimé. Je pouvais à peine me tenir debout, tant mon agitation était grande. Quatre heures après le coucher du soleil, j'entendis frapper à la porte. Je me précipitai aussitôt vers mon fils et le mis au courant des voeux de Tahirih. Il donna sa parole qu'il accomplirait chacune des instructions qu'elle m'avait données. Cette nuit-là, mon mari était justement absent. Mon fils, qui ouvrit la porte, m'apprit que les farráshs (26.33) d' 'Azíz Khán-i-Sardár se tenaient à la porte, demandant que Tahirih leur soit immédiatement livrée.

PHOTO: vêtements d'extérieur, costumes portés par des femmes en Perse au milieu du 19e siècle

PHOTO: vêtements d'intérieur

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Je fus frappée de terreur en entendant la nouvelle; j'allai d'un pas chancelant vers sa porte et l'ouvris d'une main tremblante; je la trouvai voilée et prête à quitter son appartement. Elle marchait de long en large dans sa chambre lorsque j'y entrai, et psalmodiait une litanie qui exprimait à la fois le chagrin et le triomphe. Dès qu'elle me vit, elle s'approcha de moi et m'embrassa. Elle me mit dans la main la clef de son coffre dans lequel, me dit-elle, elle avait laissé à mon intention quelques objets sans importance en souvenir de son séjour chez moi. "Quand vous ouvrirez cette caisse, dit-elle, et regarderez les objets qu'elle contient, vous vous souviendrez de moi, je l'espère, et vous vous réjouirez de mon bonheur."
"Après ces paroles, elle me dit un dernier adieu et, accompagnée de mon fils, disparut de ma vue. Quelle angoisse s'empara de moi au moment où je vis sa belle stature disparaître peu à peu dans le lointain! Elle monta le cheval que le sardár avait envoyé à son intention et, escortée de mon fils et de quelques assistants qui marchaient à ses côtés, alla vers le jardin qui devait être le lieu de son martyre.
"Trois heures plus tard, mon fils revint, le visage baigné de larmes, proférant des injures contre le sardár et ses lieutenants serviles. J'essayai de calmer son agitation et, le faisant s'asseoir à mes côtés, lui demandai de relater aussi complètement que possible les circonstances de la mort de Tahirih. "Mère, répondit-il en sanglotant, je puis à peine essayer de décrire ce que mes yeux ont vu. Nous nous rendîmes directement au jardin Ilkhání (26.34), au-delà de la porte de la ville. Là je trouvai, à ma grande horreur, le sardár et ses lieutenants absorbés par des actes honteux et de débauche, complètement ivres et riant à gorge déployée. En arrivant à la porte du jardin, Tahirih descendit de cheval et, m'appelant à elle, me demanda d'agir comme intermédiaire entre elle et le sardár à qui, dit-elle, elle se sentait peu portée à s'adresser au milieu de ses réjouissances. "Il me semble qu'ils désirent m'étrangler, dit-elle. J'ai mis de côté, il y a longtemps, un foulard en soie qui, je l'espérais, serait utilisé à cette fin. Je vous le remets et désire que vous incitiez cet ivrogne dissolu à l'employer comme moyen par lequel il pourra m'ôter la vie."
"Lorsque je me rendis auprès du sardár, je le trouvai dans un état d'ivresse exécrable. "N'interrompez pas la gaieté de notre fête!" l'entendis-je crier comme je m'approchais de lui. "Que cette misérable diablesse soit étranglée et que son corps soit jeté dans un puits!"

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Je fus fort surpris d'entendre un tel ordre. Estimant superflu de m aventurer à lui demander autre chose, j'allai vers deux de ses assistants que je connaissais déjà, et leur donnai le foulard que Tahirih m avait confié. Ils consentirent à se conformer à sa demande. Ce même foulard fut attaché à son cou et devint l'instrument de son martyre. Je me hâtai, aussitôt après, vers le jardinier et lui demandai s'il pouvait m'indiquer un endroit où je pourrais cacher le corps. Il me conduisit, à ma grande joie, vers un puits qui venait d'être foré et qui était resté inachevé. Avec l'aide de quelques autres personnes, je descendis Tahirih dans sa tombe et remplis le puits de terre et de pierres comme elle en avait elle-même exprimé le désir. Ceux qui la virent dans ses derniers instants furent profondément émus. Les yeux baissés et plongés dans le silence, ils se dispersèrent en deuil, laissant leur victime, qui avait jeté sur leur pays un éclat aussi impérissable, enterrée sous un amas de pierres qu'ils avaient, de leurs propres mains, entassées sur elle."
"Je pleurais à chaudes larmes tandis que mon fils m'exposait ce récit tragique. J'étais si submergée par l'émotion que je tombai, prostrée et inanimée sur le sol. Lorsque je repris connaissance, je trouvai mon fils en proie à une douleur tout aussi cruelle que la mienne. Il était couché sur son lit, pleurant dans un accès de dévotion. Voyant mon état, il s'approcha de moi et me consola. "Tes larmes, dit-il, te trahiront aux yeux de mon père.

PHOTO: lieu où fut martyrisée Tahirih dans le jardin d'Ilkihani

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Des considérations de rang et de position le pousseront sans doute à nous abandonner et à rompre tous les liens qui le rattachent à cette maison. Si nous ne retenons pas nos larmes, il nous accusera, devant Násiri'd-Dín Sháh, d'être les victimes du charme d'un ennemi haïssable. Il obtiendra le consentement du souverain quant à notre propre exécution, et se mettra probablement à nous tuer de ses propres mains. Pourquoi souffririons-nous, nous qui n'avons jamais embrassé cette cause, pareil sort de ses mains? Tout ce que nous devons faire est de la défendre contre ceux qui l'accusent d'être la négation même de la chasteté et de l'honneur. Nous devrons toujours conserver son amour en nos coeurs et garder intacte, devant un ennemi calomnieux, l'intégrité de cette vie."
"Ses paroles apaisèrent mon agitation. J'allai vers son coffre et, avec la clef qu'elle m'avait remise, je l'ouvris. J'y trouvai un petit flacon d'un parfum des plus choisis, à côté duquel il y avait un rosaire, un collier de corail, et trois bagues montées de turquoise, de cornaline et de rubis. A la vue de ses biens terrestres, je me mis à méditer sur les événements de sa vie riche en péripéties, et me rappelai avec émerveillement son courage intrépide, son zèle, son sens élevé du devoir et son incontestable dévouement. Je me souvins de ses talents littéraires et songeai à ses emprisonnements, à la honte et à la calomnie auxquelles elle avait fait face avec une force d'âme telle qu'aucune autre femme de son pays ne pourrait manifester. Je me représentai ce visage séduisant qui, hélas! se trouvait maintenant enfoui sous un amas de terre et de pierres. Le souvenir de son éloquence passionnée me réchauffait le coeur tandis que je me répétais les paroles qu'elle avait si souvent prononcées. Le sentiment de l'immensité de son savoir et de sa maîtrise des Ecrits saints de l'islám traversa mon esprit avec une soudaineté déconcertante. Et par-dessus tout, sa fidélité passionnée à la foi qu'elle avait embrassée, sa ferveur alors qu'elle plaidait sa cause, les services qu'elle lui rendit, les afflictions et les tribulations qu'elle endura par amour pour elle, l'exemple qu'elle avait donné à ses disciples, l'impulsion qu'elle lui avait apportée, le nom qu'elle avait gravé dans le coeur de ses compatriotes, je me rappelai tout cela alors que je me tenais à côté de son coffre, me demandant ce qui pouvait avoir décidé une si grande femme à abandonner toutes les richesses et tous les honneurs dont elle était entourée, et à s'identifier à la cause d'un jeune homme peu connu de Shiraz. Quel pouvait être le secret, me disais-je, du pouvoir qui la sépara de sa maison et de ses parents, qui la soutint à travers toute cette carrière mouvementée, et qui la mena finalement à la tombe?

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Cette force pouvait-elle, pensai-je, émaner de Dieu? La main du Tout-Puissant pouvait-elle avoir guidé sa destinée et dirigé son cours au milieu des périls de sa vie?
"Le troisième jour après son martyre (26.35), la femme dont elle avait promis la venue arriva. Je lui demandai son nom et, constatant qu'il était identique à celui que m'avait indiqué Tàhirih, je lui remis le paquet qui m'avait été confié. Je n'avais jamais rencontré cette femme auparavant, et je ne la revis plus (26.36)."
Le nom de cette femme immortelle était Fátimih, nom que son père lui avait donné. Elle fut surnommée Umm-i-Salmih par sa famille et ses parents, qui la désignaient aussi sous le nom de Zakíyyih. Elle était née en 1233 après l'hégire (26.37), l'année même qui vit la naissance de Bahá'u'lláh. Elle avait trente-six ans lorsqu'elle subit le martyre à Tihrán. Puissent les générations futures être amenées à présenter le digne récit d'une vie que ses contemporains n'ont pu correctement apprécier! Puissent les historiens à venir percevoir la pleine mesure de son influence et enregistrer les services uniques que cette grande dame a rendus à son pays et à son peuple! Puissent les adeptes de la foi qu'elle servit si bien s'efforcer de suivre son exemple, de raconter ses hauts faits, de rassembler ses écrits, de dévoiler le secret de ses talents et de l'établir à jamais dans la mémoire et les sentiments des peuples et des tribus de la terre ! (26.38)
Une autre éminente figure parmi les disciples du Báb, qui trouva la mort durant la période tumultueuse qui s'était emparée de Tihrán, fut Siyyid Husayn-i-Yazdí, secrétaire du Báb à Mah-Ku et à Chihriq. Sa connaissance des enseignements de la foi était telle que le Báb, dans une tablette adressée à Mírzá Yahyá, pria ce dernier de rechercher auprès de lui des explications sur tous les sujets qui pouvaient se rattacher aux Ecrits sacrés. Cet homme de haut rang et d'expérience, en qui le Báb avait la plus grande confiance et avec qui il avait été intimement lié, subit, après le martyre de son maître à Tabríz, les souffrances d'une incarcération prolongée dans le cachot souterrain de Tihrán, qui se termina par son martyre. Bahá'u'lláh fit beaucoup pour rendre plus supportables les épreuves qui l'accablaient. Régulièrement chaque mois, il lui envoyait toute l'aide financière qu'il demandait. Il était loué et admiré même par les geôliers qui le surveillaient. La compagnie prolongée et intime du Báb durant ses derniers jours, les plus orageux de sa vie, avait approfondi sa compréhension et doté son âme d'un pouvoir qui devait se manifester de plus en plus au fur et à mesure que les jours de sa vie terrestre tiraient à leur fin.

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Il resta en prison, avec le désir ardent de voir venir l'heure où il serait appelé à subir une mort semblable à celle de son maître. Privé du privilège d'être martyrisé le même jour que le Báb, privilège qui avait été son but suprême, il attendait à présent avec impatience l'heure où, à son tour, il boirait jusqu'à la lie la coupe que ses lèvres avaient touchée. Plus d'une fois, les principaux responsables de Tihrán s'efforcèrent de l'inciter à accepter leur offre de le libérer des rigueurs de son emprisonnement, ainsi que de la perspective d'une mort encore plus cruelle. Il refusa chaque fois avec fermeté. Des larmes coulaient sans cesse de ses yeux, larmes nées de son ardent désir de revoir ce visage dont l'éclat avait si vivement brillé au milieu des ténèbres d'une cruelle incarcération dans l'Àdhirbáyján, et dont la chaleur réchauffait le froid de ses nuits d'hiver. Comme il songeait, dans l'obscurité de sa cellule, à ces jours bienheureux passés auprès de son maître, quelqu'un vint à lui qui seul pouvait bannir, par la lumière de sa présence, l'angoisse qui s'était emparée de son âme. Son consolateur ne fut autre que Bahá'u'lláh lui-même. Siyyid Husayn eut le privilège de rester en sa compagnie jusqu'à l'heure de sa mort. La main d"Azíz Khán-i-Sardár, qui avait tué Tahirih, fut celle qui porta le coup fatal au secrétaire du Báb, autrefois compagnon de prison de celui-ci dans l'Àdhirbáyján. Il n'est pas nécessaire que je m'étende sur les circonstances de la mort que lui infligea le sardár meurtrier. Il suffit que je dise que lui aussi, comme ceux qui l'avaient précédé, but, dans des circonstances d'une ignoble cruauté, à la coupe qu'il avait si ardemment désirée.
Je vais à présent relater ce qu'il advint aux autres compagnons du Báb, ceux qui avaient eu le privilège de partager avec Bahá'u'lláh les horreurs de l'emprisonnement. J'ai souvent entendu, de la propre bouche de celui-ci, le récit suivant. "Tous ceux qui furent abattus par la tempête qui faisait rage au cours de cette mémorable année à Tihrán furent nos compagnons de prison dans le siyah-chal, oú nous étions détenus. Nous fûmes tous entassés dans une seule cellule, nos pieds dans les fers et, autour de notre cou, des chaînes au poids blessant. L'air que nous respirions était chargé des plus répugnantes impuretés, alors que le sol sur lequel nous étions assis était couvert d'immondices et infesté de vermine. Aucun rayon de lumière ne pouvait pénétrer dans ce cachot pestilentiel ou réchauffer son froid glacial. Nous fûmes placés sur deux rangées, l'une en face de l'autre. Nous avions appris aux compagnons à répéter certains versets que, chaque nuit, ils psalmodiaient avec une ferveur extrême.

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"Dieu me suffit. Il est, en vérité, celui qui suffit à tout!" entonnait une rangée alors que l'autre répondait: "Qu'en Lui se confient les âmes confiantes!" Ces joyeuses voix continuaient à se faire entendre en choeur jusqu'aux premières heures du matin. Leur écho remplissait le cachot et, perçant ses murs massifs, parvenait aux oreilles de Násiri'd-Dín Sháh, dont le palais n'était pas très éloigné de l'endroit où nous étions emprisonnés. "Que signifie ce bruit ?" se serait-il exclamé. "C'est l'hymne que les Bábís entonnent dans leur prison", avait-on répondu. Le Sháh n'avait pas fait d'autres remarques et n'avait pas essayé non plus de retenir l'enthousiasme dont faisaient preuve ses prisonniers malgré les horreurs de leur incarcération.
"Un jour, on nous apporta, dans notre prison, un plateau de viandes rôties que le Sháh, nous dit-on, avait ordonné de distribuer parmi les prisonniers. "Le Sháh, ajouta-t-on, fidèle au serment qu'il a fait, a choisi ce jour pour vous offrir tout cet agneau, tenant ainsi parole." Un profond silence envahit nos compagnons, qui s'attendaient à ce que nous donnions une réponse de leur part. "Nous vous retournons ce présent, répondîmes-nous; nous pouvons très bien nous en passer." La réponse que nous fîmes aurait fort irrité les gardes si ceux-ci n avaient été avides de dévorer la nourriture que nous avions refusé de prendre. Malgré la faim qui terrassait nos compagnons, seul l'un d'entre eux, un certain Mírzá Husayn-i-Mutavallíy-i-Qumí, exprima le désir de manger la nourriture que le souverain avait décidé de nous offrir. Avec une force d'âme vraiment héroïque, nos compagnons de prison se résignèrent, sans un murmure, à endurer l'état pitoyable auquel ils étaient réduits. Ils louaient sans cesse Dieu au lieu de se plaindre du traitement que leur avait réservé le Sháh, essayant ainsi d'oublier les épreuves d'une cruelle captivité.
"Chaque jour nos geôliers, en entrant dans notre cellule, appelaient l'un de nos compagnons par son nom, lui ordonnaient de se lever et de les suivre au pied de l'échafaud. Avec quel empressement le compagnon désigné répondait-il à cet appel solennel! Libéré de ses chaînes, il bondissait et, dans un état de joie irrépressible, s'approchait de nous et nous embrassait. Nous cherchions à le réconforter avec l'assurance d'une vie éternelle dans l'au-delà et, faisant déborder son coeur de joie et d'espoir, l'envoyions gagner la couronne de gloire. Il embrassait alors, tour à tour, les autres compagnons de prison et partait mourir avec autant d'intrépidité qu'il avait vécu. Peu après le martyre de chacun de ces compagnons, le bourreau, qui nous était devenu familier, nous apprenait les circonstances de la mort de sa victime, et la joie avec laquelle, jusqu'au bout, elle avait enduré ses souffrances.

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"Une nuit, nous fûmes réveillé avant le lever du jour par Mírzá 'Abdu'l-Vahháb-i-Shirazí, qui était attaché aux mêmes chaînes que nous. Il avait quitté Kázimayn et nous avait suivi jusqu'à Tihrán, où il fut arrêté et jeté en prison. Il nous demanda si nous étions éveillé et se mit à nous raconter son rêve. "J'ai, cette nuit, dit-il, plané dans un espace d'une beauté et d'une immensité infinies. Je semblais être soulevé sur des ailes qui me transportaient où je voulais aller. Un sentiment de joie extatique m'avait envahi l'âme. Je volais au milieu de cette immensité, à une vitesse et avec une facilité que je ne puis décrire." "Aujourd'hui, répondîmes-nous, ce sera ton tour de te sacrifier à cette cause. Puisses-tu demeurer jusqu'au bout ferme et inébranlable! Tu te trouveras alors planant dans ce même espace illimité dont tu as rêvé, traversant avec la même facilité et à la même vitesse le royaume de l'immortelle souveraineté et regardant avec le même ravissement l'horizon infini."
"Ce matin-là vit le geôlier entrer de nouveau dans notre cellule et prononcer le nom d' 'Abdu'l-Vahháb. Se débarrassant de ses chaînes, celui-ci se leva d'un bond, étreignit chacun de ses compagnons de prison et, nous prenant dans ses bras, nous pressa avec affection contre son coeur. A ce moment, nous nous aperçûmes qu'il ne portait pas de chaussures. Nous lui donnâmes les nôtres, lui dîmes une dernière parole d'encouragement et de réconfort, et l'envoyâmes vers le lieu de son martyre. Plus tard, son bourreau vint vers nous et loua, en un langage chaleureux, l'esprit dont ce jeune homme avait fait preuve. Combien nous rendîmes grâce à Dieu pour ce témoignage que le bourreau lui-même avait donné!"
Toute cette souffrance et la cruelle vengeance que les autorités avaient exercée sur ceux qui avaient attenté à la vie de leur souverain n'apaisèrent point la colère de la mère du Sháh. Jour et nuit, elle persistait dans sa clameur vindicative, demandant l'exécution de Bahá'u'lláh qu'elle considérait toujours comme le véritable auteur du crime. "Livrez-le au bourreau!" s'écria-t-elle avec insistance devant les autorités. "Quelle humiliation plus grande que celle-ci: moi, qui suis la mère du Sháh, je serais impuissante à infliger à ce criminel le châtiment qu'il mérite pour un acte aussi lâche!" Son cri de vengeance, qu'une rage impuissante ne faisait qu'intensifier, devait rester sans réponse. Malgré ses machinations, Bahá'u'lláh échappa au sort qu'elle avait, avec tant d'insistance, cherché à précipiter.

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Le prisonnier devait finalement être libéré de sa prison, et put développer et établir, au-delà des confins du royaume de son fils, une souveraineté qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Le sang que versa, au cours de cette année fatale à Tihrán, ce groupe héroïque en compagnie duquel Bahá'u'lláh avait été emprisonné, constitua la rançon payée pour sa libération des mains d'un ennemi qui cherchait à l'empêcher d'atteindre le but auquel Dieu l'avait destiné. À partir du moment où il épousa la cause du Báb, il n'avait jamais négligé la moindre occasion de défendre la foi qu'il avait embrassée. Il s'était exposé aux dangers que les adeptes de la foi avaient eu à affronter au cours de ses premiers jours. Il fut le premier des disciples du Báb à montrer l'exemple du renoncement et du service à la cause. Malgré cela, sa vie, exposée comme elle l'était aux risques et aux dangers qu'une carrière comme la sienne devait à coup sûr rencontrer, fut épargnée par cette même Providence qui l'avait choisi pour une tâche que lui, dans sa sagesse, estimait prématuré de proclamer publiquement.
La terreur qui bouleversait Tihrán n'était que l'un des nombreux risques et dangers auxquels la vie de Bahá'u'lláh fut exposée. Hommes, femmes et enfants de Tihrán tremblaient devant le caractère impitoyable avec lequel l'ennemi poursuivait ses victimes. Un jeune homme nommé 'Abbás, qui avait été domestique au service de Hájí Sulaymán Khán et qui était parfaitement informé, vu le grand cercle d'amis que fréquentait son maître, des noms, du nombre et du lieu de résidence des disciples du Báb, servit à l'ennemi d'instrument pour la réalisation de ses plans. Il s'était identifié à la foi de son maître, et se considérait comme l'un de ses partisans les plus ardents. Lorsque le tumulte éclata, il fut arrêté et contraint de trahir tous ceux qu'il savait être associés à la foi. On chercha, par toutes sortes de récompenses, à le décider à révéler les noms de ceux qui étaient les condisciples de son maître, et on l'avertit que, s'il refusait de les dévoiler, il serait soumis à des tortures inhumaines; il donna sa parole qu'il agirait selon leurs voeux et informerait les assistants de Hájí 'Alí Khán, le hájibu'd-dawlih, le farráshh-báshí, de leurs noms et de leurs adresses. Il fut emmené dans les rues de Tihrán et invité à désigner tous ceux qu'il reconnaissait comme étant adeptes du Báb. Beaucoup de personnes qu'il n'avait jamais rencontrées ni connues furent ainsi livrées aux mains des assistants de Hájí 'Alí Khán, alors qu'elles n'avaient jamais eu aucun rapport avec le Báb ni avec sa cause. Elles ne purent recouvrer la liberté qu'après avoir payé une lourde rançon à ceux qui les avaient capturées.

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L'avidité des assistants du hájibu'd-dawlih était telle qu'ils demandaient spécialement à 'Abbás de saluer, en signe de trahison, toute personne qu'il estimait capable de payer de fortes sommes pour sa mise en liberté. Ils l'obligèrent même à trahir de telles personnes, le menaçant du fait que son refus comporterait un grave danger pour sa propre vie. Ils promettaient fréquemment de lui donner une partie de l'argent qu'ils décidaient d'extorquer à leurs victimes.
Cet 'Abbás fut amené au siyah-chal et, dans l'espoir qu'il le trahirait, il fut introduit auprès de Bahá'u'lláh, qu'il avait rencontré auparavant à plusieurs reprises en compagnie de son maître. On lui promit que la mère du Sháh le récompenserait amplement pour une telle trahison. Chaque fois qu'on l'amenait auprès de Bahá'u'lláh, 'Abbás, après s'être arrêté quelques moments devant lui et avoir regardé son visage, quittait le lieu, niant avec force l'avoir jamais vu. Ayant échoué dans ses efforts, l'ennemi eut recours au poison, dans l'espoir d'obtenir la faveur de la mère de son souverain. Il put intercepter la nourriture que leur prisonnier était autorisé à recevoir de chez lui, et y mélanger le poison qui, espérait-il, lui serait fatal. Cette mesure, bien qu'elle ébranlât pour des années la santé de Bahá'u'lláh, ne leur permit point d'atteindre le résultat espéré.
L'ennemi fut finalement incité à ne plus le considérer comme le principal instigateur de cet attentat, et décida de porter la responsabilité de cet acte sur 'Azím, qu'il accusa désormais d'être le véritable auteur du crime. Il s'efforça ainsi d'obtenir la faveur de la mère du Sháh, une faveur grandement convoitée. Hájí 'Alí Khán ne fut que trop heureux de soutenir ses efforts. Comme il n'avait pris aucune part à l'emprisonnement de Bahá'u'lláh, il saisit l'occasion qui se présentait pour dénoncer 'Azím, qu'il avait déjà réussi à arrêter, comme instigateur principal et responsable de l'attentat.
Le ministre russe qui, par le truchement de l'un de ses agents, observait le développement de la situation et se tenait parfaitement au courant de la condition de Bahá'u'lláh, adressa au Grand vazír, par la voix de son interprète, un message aux termes très énergiques par lequel il protestait contre son action et suggérait qu'un messager se rendît, en compagnie de l'un des représentants sûrs du gouvernement et de Hájibu'd-Dawlih, au siyah-chal pour y demander au nouveau chef de déclarer publiquement son opinion concernant la position de Bahá'u'lláh. "Tout ce que pourra déclarer ce chef, écrivait-il, qu'il s'agisse de louange ou de dénonciation, sera considéré par moi comme digne d'être aussitôt enregistré et de servir de base au jugement final qui doit être prononcé sur cette affaire."

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Le Grand vazír promit qu'il suivrait l'avis du ministre et désigna même le moment auquel le messager rejoindrait le représentant du gouvernement et Háijibu'd-Dawlih pour se rendre avec eux au siyah-chal.
Lorsqu' 'Azím fut interrogé sur la question de savoir s'il considérait Bahá'u'lláh comme le chef responsable du groupe qui avait commis l'attentat contre la vie du Sháh, il répondit: "Le chef de cette communauté n'était autre que le Siyyid-i-Báb, qui fut tué à Tabríz et dont le martyre m'a poussé à me lever pour venger sa mort. C'est moi-et moi seul-qui ai conçu ce plan et qui me suis efforcé de l'exécuter. Le jeune homme qui renversa le Sháh de son cheval n'était autre que Sádiq-i-Tabrízí, un serviteur travaillant dans la boutique d'un confiseur de Tihrán qui avait été durant deux années à mon service. Il brûlait, plus encore que moi-même, du désir de venger le martyre de son chef. Il agit cependant avec trop de hâte et échoua dans sa tentative."
Les mots de cette déclaration furent enregistrés par l'interprète du ministre ainsi que par le représentant du Grand vazír, qui soumirent leurs notes à Mírzá Aqá Khán. Les documents qui lui furent remis contribuèrent, pour une grande part, à la mise en liberté de Bahá'u'lláh.
En conséquence, 'Azím fut livré aux mains des 'ulamás qui, bien qu'eux-mêmes anxieux de hâter sa mise à mort, en furent empêchés par les hésitations de Mírzá Abu'l-Qásim, l'imám-jum'ih de Tihrán. Hájibu'd-Dawlih, à cause de l'imminence du mois de muharram, poussa les 'ulamás à se réunir à l'étage supérieur de la caserne, oú il réussit à faire venir l'imám-jum'ih qui persista dans son refus de consentir à l'exécution d' 'Azím. Il ordonna d'emmener l'accusé en ce lieu et d'y attendre le jugement qui devait être prononcé contre lui. Il fut conduit avec brutalité à travers les rues, couvert de ridicule et vilipendé par la populace. Grâce à un subtil artifice que 1 ennemi avait inventé, il réussit à obtenir la condamnation à mort du captif. Un siyyid armé d'une massue se rua sur lui et lui brisa le crâne. Son exemple fut suivi par le peuple qui, armé de pierres, de bâtons et de poignards, se jeta sur lui et mutila son corps. Hájí Mírzá Jání fut, lui aussi, de ceux qui subirent le martyre au cours de l'agitation qui suivit l'attentat contre la vie du Sháh. Etant donné la répugnance du Grand vazír à lui faire du tort, il fut tué en secret.

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La conflagration allumée dans la capitale se répandit dans les provinces avoisinantes, causant dévastation et misère à d'innombrables personnes innocentes parmi les sujets du Sháh. Elle ravagea le Mázindarán, la maison de Bahá'u'lláh, et fut le signal d'actes de violence principalement dirigés contre tous ses biens dans cette province. Deux des disciples dévoués du Báb, Muhammad-Taqí Khán et 'Abdu'l-Vaháb, tous deux résidents de Nur, subirent le martyre à la suite de cette agitation.
Les ennemis de la foi voyant, à leur grande déception, que la mise en liberté de Bahá'u'lláh était presque assurée, cherchèrent à faire peur à leur souverain en entraînant Bahá'u'lláh dans de nouvelles complications, lesquelles, espéraient-ils, entraîneraient sa mort. La folie de Mírzá Yahyá qui, poussé par ses futiles espoirs, avait essayé de s'assurer, pour lui et le groupe de ses partisans insensés, une suprématie qu'il s'était jusqu'alors vainement efforcé d'obtenir, servit de nouveau prétexte à l'ennemi pour exhorter le Sháh à prendre des mesures draconiennes afin de détruire toute l'influence que son prisonnier conservait encore au Mázindarán.
Les rapports alarmants reçus par le Sháh, qui venait à peine de guérir de ses blessures, suscitèrent en lui une terrible soif de vengeance. Il convoqua le Grand vazír et le réprimanda pour avoir échoué dans sa tâche de maintenir l'ordre et la discipline au sein du peuple de sa propre province, qui lui était attaché par des liens de parenté.

PHOTO: vue générale de Takur, dans le Mazindarân

<P589>

Déconcerté par le blâme de son souverain, il exprima sa volonté d'accomplir tout ce que le Sháh lui ordonnerait de faire. Il reçut l'ordre d'envoyer aussitôt vers cette province plusieurs régiments avec, pour consigne stricte, de châtier sans pitié les fauteurs de trouble.
Le Grand vazír, bien qu'il fût parfaitement conscient du caractère exagéré des rapports qui lui avaient été soumis, se vit obligé, vu l'insistance du Sháh, d'ordonner l'envoi du régiment Sháh-Sún, commandé par Husayn-'Alí Khán-i-Sháh-Sún, vers le village de Bkur dans le district de Nur, où se trouvait la maison de Bahá'u'lláh. Il donna le commandement en chef à son neveu, Mírzá Abú-Tálib Khán beau-frère de Mírzá Hasan, qui était le demi-frère de Bahá'u'lláh. Mírzá Àqá Khán le pria de prendre le maximum de précautions et de réserve lors de son campement dans ce village. "Tous les excès qui seront commis par vos hommes, lui dit-il, auront un effet défavorable sur le prestige de Mírzá Hasan et causeront de l'affliction à votre propre soeur." Il le chargea de faire des investigations sur la nature des rapports en question et de ne pas camper plus de trois jours à proximité de ce village.
Le Grand vazír appela ensuite Husayn-'Alí Khán et l'exhorta à se conduire avec la plus grande sagesse et beaucoup de circonspection. "Mírzá Abú-Tálib, dit-il, est encore jeune et sans expérience. Je l'ai spécialement choisi à cause de sa parenté avec Mírzá Hasan. J'ai confiance qu'il s'abstiendra, par amour pour sa soeur, d'infliger des maux inutiles aux habitants de Tákur. Lui étant supérieur par l'âge et l'expérience, vous devez constituer pour lui un noble exemple et lui inculquer la nécessité de servir les intérêts du gouvernement comme ceux du peuple. Vous ne devez jamais lui permettre d'entreprendre une opération sans consultation préalable avec vous.
Le Grand vazír assura Husayn-'Alí Khán qu'il avait donné des instructions écrites aux chefs de ce district, faisant appel à eux pour lui venir en aide à tout moment.
Mírzá Abú-Tálib Khán, bouillant de fierté et d'enthousiasme, oublia les conseils de modération que lui avait donnés le Grand vazír. Il refusa de se laisser influencer par les pressants appels de Husayn-'Alí Khán, qui le suppliait de ne pas provoquer de conflits inutiles avec la population. A peine avait-il atteint le coi qui séparait le district de Nur de la province avoisinante, et qui n'était pas très éloigné de Tákur, qu'il ordonna à ses hommes de se préparer à lancer une attaque contre les habitants de ce village. Husayn-'Alí Khán au désespoir, se précipita auprès de lui et le pria de s'abstenir d'un tel acte.

<P590>

"Il m'appartient", rétorqua avec dédain Mírzá Abú-Tálib, a moi qui suis votre supérieur, de décider des mesures qui doivent être prises et de la manière dont je dois servir mon souverain." Une attaque soudaine fut lancée contre la population sans défense de Tákur. Surprise par un assaut aussi violent et aussi inattendu, celle-ci fit appel à Mírzá Hasan, qui demanda à être introduit auprès de Mírzá Abú-Tálib mais reçut une réponse négative. "Dites-lui", fut le message du commandant, "que j'ai été chargé par mon souverain d'ordonner un massacre général des habitants de ce village, de capturer ses femmes et de confisquer les biens de la population.

PHOTO: vue 1 des ruines de la maison de Bahá'u'lláh à Takur, Mazindaran, appartenant initialement au vazir, son père

PHOTO: vue 2 des ruines de la maison de Bahá'u'lláh à Takur, Mazindaran, appartenant initialement au vazir, son père

<P591>

Par amour pour vous, cependant, je suis prêt à épargner les femmes qui se réfugieront chez vous.
Mírzá Hasan, indigné par ce refus, blâma sévèrement le commandant, dénonça l'action du Sháh et retourna chez lui. Les hommes de ce village avaient, pendant ce temps, quitté leurs demeures et cherché refuge dans les montagnes avoisinantes. Leurs femmes, abandonnées à leur sort, s'étaient rendues chez Mírzá Hasan, auprès de qui elles implorèrent protection contre l'ennemi.
Le premier acte de Mírzá Abú-Tálib Khán fut dirigé contre la maison qu'avait hérité Bahá'u'lláh du vazír, son père, et dont il était l'unique propriétaire. Cette maison avait été somptueusement meublée et décorée de vases d'une valeur inestimable. Il donna l'ordre à ses hommes de fracturer tous ses coffres et d'en retirer le contenu. Les objets qu'il ne pouvait emporter furent détruits sur son ordre. Certains furent brisés, d'autres brûlés. Même les pièces, qui étaient plus somptueuses que celles des palais de Tihrán, furent irrémédiablement saccagées; les poutres furent incendiées et les décorations entièrement démolies.
Il se tourna ensuite contre les maisons des habitants, qu'il rasa, s'appropriant et donnant à ses hommes tous les objets de valeur qu'elles contenaient. Le village entier, dépouillé et déserté par ses habitants, fut livré aux flammes. Incapable de trouver des hommes valides, il ordonna de procéder à une fouille dans les montagnes avoisinantes. Tous ceux que l'on trouva furent fusillés ou faits prisonniers. On ne put cependant mettre la main que sur quelques hommes âgés et des bergers qui n'avaient pu aller plus loin dans leur fuite devant l'ennemi. Ils découvrirent deux hommes couchés au loin sur les pentes d'une montagne au bord d'un ruisseau. Leurs armes qui brillaient aux rayons du soleil, les avaient trahis. Les trouvant endormis, ils tirèrent sur eux à coups de fusil par-delà le ruisseau qui les séparait de leurs victimes. Ils les reconnurent comme étant 'Abdu'l-Vahháb et Muhammad-Taqí Khán. Le premier fut tué, alors que le second fut sérieusement blessé. Ils furent transportés auprès de Mírzá Abú-Tálib, qui fit de son mieux pour préserver la vie de la victime qu'il désirait, à cause de son courage bien connu, ramener avec lui à Tihrán à titre de trophée. Ses efforts échouèrent cependant, car Muhammad Taqí Khán devait mourir deux jours après, des suites de ses blessures.

<P592>

Les quelques hommes qu'ils avaient pu capturer furent conduits enchaînés à Tihrán et jetés dans le même cachot souterrain où Bahá'u'lláh avait été emprisonné. Parmi eux se trouvait Mullá 'Alí-Bábá qui, avec quelques-uns de ses compagnons de prison, périt dans ce cachot à la suite des souffrances qu'il avait eu à endurer.
L'année suivante, ce même Mírzá Abú-Tálib fut frappé par la peste et emmené, dans un état de misère pitoyable, à Shimírán. Evité même par ses parents les plus proches, il resta étendu sur son lit de malade jusqu'au jour où ce même Mírzá Hasan, qu'il avait si hautainement insulté, s'offrit comme volontaire pour soigner ses plaies et lui tenir compagnie dans ses jours d'humiliation et de solitude. Il se trouvait au seuil de la mort lorsque le Grand vazír vint lui rendre visite et ne trouva à son chevet que celui qu'il avait traité avec tant de brutalité. Ce même jour, ce misérable tyran devait expirer, amèrement déçu par l'échec de tous les espoirs qu'il avait tant caresses.
L'agitation qui s'était emparée de Tihrán, et dont on avait sérieusement ressenti les effets à Nur et dans le district environnant, se répandit jusqu'à Yazd et Nayríz, où un nombre considérable des disciples du Báb furent saisis et martyrisés de manière inhumaine. La Perse tout entière semblait en effet avoir ressenti le choc de cette grande convulsion. Sa marée déferla jusqu'aux hameaux les plus reculés des provinces lointaines, et causa d'indicibles souffrances aux survivants d'une communauté persécutée. Des gouverneurs, ainsi que leurs subordonnés, excités par la vengeance et la cupidité, saisirent cette occasion pour s'enrichir et obtenir la faveur de leur souverain. Sans pitié ni modération ni honte, ils employèrent tous les moyens-quelque vils et illégaux qu'ils fussent-pour extorquer aux innocents les avantages qu'ils convoitaient pour eux-mêmes. Délaissant tout principe de justice et de décence, ils arrêtèrent, emprisonnèrent et torturèrent tous ceux qu'ils suspectaient d'être Bábís et se dépêchèrent d'informer Násiri'd-Dín Sháh, à Tihrán, des victoires remportées sur un adversaire détesté.
A Nayríz, les pleins effets de cette agitation se manifestèrent lors du traitement réservé, par ses dirigeants et son peuple, aux disciples du Báb. Environ deux mois après l'attentat à la vie du Sháh, un jeune homme appelé Mírzá 'Alí, dont le courage exceptionnel lui avait valu le surnom d' 'Alíy-i-Sardár, se distingua par la sollicitude extrême dont il fit preuve envers les survivants de la bataille qui se termina par la mort de Vahíd et de ses partisans. On le vit souvent, dans l'obscurité de la nuit, sortir de son abri, apportant toute l'aide qu'il pouvait aux veuves et aux orphelins qui avaient souffert des conséquences de cette tragédie.

<P593>

Aux nécessiteux, il distribuait de la nourriture et des vêtements avec une noble générosité; il soignait leurs blessures et les réconfortait dans leur chagrin. La vue des souffrances continuelles de ces innocents suscita l'indignation farouche de quelques compagnons de Mírzá 'Alí, qui entreprirent de se venger sur Zaynu'l-'Ábidín Khán, qui résidait encore à Nayríz et qu'ils considéraient comme responsable de leurs malheurs. Croyant qu'il nourrissait encore en son coeur le désir de les soumettre à de nouvelles afflictions, ils décidèrent de lui ôter la vie. Ils le surprirent dans le bain public, où ils réussirent à mettre à exécution leur dessein. Ceci conduisit à un soulèvement qui rappela, dans ses phases finales, l'horreur des massacres de Zanján.
La veuve de Zaynu'l-'Abidín Khán pressa Mírzá Na'ím, qui tenait dans ses mains les rênes de l'autorité et qui résidait alors à Shíraz, de venger le sang de son mari, promettant qu'elle lui donnerait en échange tous ses bijoux et transférerait à son nom tous les biens qu'il pourrait désirer. Par la tromperie, les autorités réussirent à capturer un nombre considérable d'adeptes du Báb, dont plusieurs furent sauvagement battus. Tous furent jetés en prison en attendant la réception des instructions de Tihrán. Le Grand vazír soumit la liste des noms qu'il avait reçue, ainsi que le rapport qui l'accompagnait, au Sháh qui exprima sa satisfaction extrême devant le succès qui avait couronné les efforts de son représentant à Shíraz, qu'il récompensa généreusement pour ses signalés services. Il demanda que tous ceux qui étaient capturés fussent emmenés dans la capitale.
Je ne tenterai point de rappeler les diverses circonstances qui conduisirent au carnage qui marqua la fin de cet épisode. Je reporterai mon lecteur au récit pittoresque et détaillé que Mírzá Shafí'-iNayrízí a écrit dans un livret séparé et dans lequel il se réfère, avec précision et force, à chaque détail de ce poignant événement. Il suffira de dire que pas moins de cent quatre-vingts des vaillants disciples du Báb subirent le martyre. Un nombre identique d'entre eux furent blessés et, quoique rendus invalides par leurs blessures, reçurent l'ordre de partir pour Tihrán.
Seuls vingt-huit d'entre eux survécurent aux souffrances du voyage vers la capitale. Sur ces vingt-huit, quinze furent conduits à la potence le jour même de leur arrivée. Les autres furent jetés en prison et durent souffrir durant deux ans les plus horribles atrocités. Quoiqu'ils fussent finalement relâchés, nombreux furent ceux qui périrent sur le chemin du retour, épuisés par les épreuves d'une longue et cruelle captivité.

<P594>

Un grand nombre de leurs condisciples furent tués à Shíraz sur l'ordre de Tahmásb-Mírzá. Les têtes de deux cents victimes furent placées sur des baïonnettes et transportées triomphalement par leurs oppresseurs à Ábádih, un village du Fárs. On avait l'intention de les emporter à Tihrán, lorsqu'un messager royal ordonna d'abandonner ce projet, après quoi on décida d'enterrer les têtes dans ce village.
Quant aux femmes, qui étaient au nombre de six cents, la moitié d'entre elles furent relâchées à Nayríz, alors que les autres étaient transportées deux par deux, sur un même cheval sans selle, à Shiraz où, après avoir été soumises à de sévères tortures, elles furent abandonnées à leur sort. Nombre d'entre elles périrent en route; beaucoup succombèrent aux afflictions qu'elles durent supporter avant de retrouver la liberté. Ma plume se refuse, horrifiée, à essayer de décrire ce qui advint à ces vaillants hommes et femmes qui durent souffrir si cruellement pour leur foi. La barbarie effrénée qui caractérisa le traitement qu'on leur réserva atteignit le tréfonds de l'infamie dans les phases finales de ce lamentable épisode. Ce que j'ai tenté de relater concernant les horreurs du siège de Zanján, les indignités qui accablèrent Hujjat et ses partisans, pâlit devant la férocité éclatante des atrocités perpétrées, quelques années plus tard, à Nayríz et à Shiraz. Une plume plus capable que la mienne de décrire, dans tous leurs tragiques détails, ces sauvageries indicibles, viendra, j'en suis confiant, enregistrer un récit qui, malgré ses traits sinistres, doit à jamais demeurer comme l'une des plus nobles preuves de la foi que la cause du Báb put inspirer à ses disciples. (26.39)

PHOTO: vue d'Abadih

<P595>

La confession d' 'Azím libéra Bahá'u'lláh du danger auquel sa vie avait été exposée. Les circonstances de la mort de celui qui s'était déclaré le principal instigateur de ce crime contribuèrent à calmer le courroux avec lequel une populace enragée réclamait le châtiment immédiat pour un attentat aussi audacieux. Les cris de rage et de vengeance, qui avaient jusqu'alors convergé vers Bahá'u'lláh, s'éloignèrent désormais de lui. La férocité de ces dénonciations s'apaisa graduellement. La conviction que Bahá'u'lláh, jusqu'alors considéré comme le pire ennemi de Násiri'd-Dín Sháh, n'était en aucune façon mêlé à la conspiration contre la vie du souverain, s'affermit encore dans l'esprit des responsables de Tihrán. Mírzá Aqá Khán fut donc encouragé à envoyer son représentant en qui il avait confiance, un nommé Hájí 'Alí, au siyah-chal pour présenter au prisonnier l'ordre de sa mise en liberté.
À son arrivée, ce que l'émissaire contempla le remplit de chagrin et de surprise. Le spectacle que rencontrèrent ses yeux, il pouvait à peine y croire. Il pleura en voyant Bahá'u'lláh enchaîné à un sol infesté de vermine, son cou pliant sous le poids des chaînes qui le blessaient, son visage accablé de tristesse, non soigné et échevelé, respirant l'air pestilentiel du plus horrible des cachots.

PHOTO: le Hadiqatu'r-Rahman où furent enterrées les têtes des martyrs de Nayriz

<P596>

"Maudit soit Mírzá Aqá Khán!" s'écria-t-il avec violence lorsque ses yeux reconnurent Bahá'u'lláh dans les ténèbres qui l'entouraient. "Dieu le sait, je n'avais jamais imaginé que vous pouviez avoir été soumis à une captivité aussi humiliante. Je n'aurais jamais pensé que le Grand vazír pouvait oser commettre un acte aussi odieux."
Il enleva le manteau de ses épaules et le présenta à Bahá'u'lláh, le suppliant de le porter lorsqu'il serait en présence du ministre et de ses conseillers. Bahá'u'lláh refusa, et c'est avec le vêtement d'un prisonnier qu'il se rendit directement au siège du gouvernement impérial.
La première parole que le Grand vazír adressa à son prisonnier fut celle-ci: "Si vous aviez choisi de suivre mon conseil en vous désolidarisant de la foi du Siyyid-i-Báb, vous n'auriez jamais souffert les peines et les indignités qui vous ont accablé." "Si vous aviez, à votre tour, suivi mes conseils, répondit Bahá'u'lláh, les affaires du gouvernement n'auraient pas atteint un stade aussi critique."
Le ministre se rappela aussitôt la conversation qu'il avait eue avec Bahá'u'lláh à l'occasion du martyre du Báb. Les paroles "la flamme qui a été allumée brûlera avec plus d'éclat que jamais", passèrent comme l'éclair à travers l'esprit de Mírzá Aqá Khán. "L'avertissement que vous m'aviez donné, fit-il remarquer, s'est, hélas! réalisé. Que me conseillez-vous de faire à présent ?" "Donnez l'ordre aux gouverneurs du royaume, répondit aussitôt Bahá'u'lláh, de cesser de verser le sang des innocents, de piller leurs biens, de molester leurs femmes et de blesser leurs enfants! Qu'ils cessent de persécuter la foi du Báb, qu'ils renoncent à leur vain espoir d'exterminer ses adeptes !"
Ce même jour, ordre fut donné, par une circulaire adressée à tous les gouverneurs du royaume, de renoncer à leurs actes de cruauté et d'humiliation. "Ce que vous avez fait suffit", leur écrivait Mírzá Áqá Khán. "Cessez d'arrêter et de châtier la population! Ne troublez plus la paix et la tranquillité de vos compatriotes!" Le gouvernement du Sháh avait délibéré sur les mesures les plus efficaces à adopter afin de délivrer le pays, une fois pour toutes, de la malédiction qui l'avait affligé. À peine Bahá'u'lláh avait-il retrouvé la liberté que lui fut remise la décision du gouvernement l'informant qu'il devait, dans un délai d'un mois à compter de l'émission de cet ordre, lui, ainsi que sa famille, quitter Tihrán pour un lieu situé au-delà des confins de la Perse.

<P597>

Le ministre russe, dès qu'il fut informé de l'action que le gouvernement avait l'intention d'entreprendre, s'offrit comme volontaire pour prendre Bahá'u'lláh sous sa protection et l'invita à se rendre en Russie. Bahá'u'lláh déclina cette offre et choisit plutôt de partir pour 1''Iraq Neuf mois après son retour de Karbilá, le premier du mois de rabí'u'th-thání de l'an 1269 après l'hégire (26.40), Bahá'u'lláh, accompagné des membres de sa fa mille parmi lesquels se trouvaient la plus grande Branche (26.41) et Aqáy-i-Kalím (26.42), et escorté d'un membre de la garde impériale et d'un officiel représentant la légation russe, quittait Tihrán et entreprenait un voyage qui devait le mener à Baghdád.

PHOTO: vue 1 de Baghdad

PHOTO: vue 2 de Baghdad

<P599>

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NOTE DU CHAPITRE 26:

(26.1) 1852 ap. J-C.

(26.2) "À environ quatre milles au sud-ouest de Káshán, sur les pentes des montagnes, se trouve le palais de Fin, dont les sources constituent depuis longtemps un lieu de repos favori pour la famille royale... Par la suite, un souvenir lugubre est venu se greffer sur le palais de Fin; c'est là en effet, en 1852, que fut mis à mort, par ordre royal, Mírzá Taqí Khán, le premier grand ministre du Sháh régnant, et beau-frère de celui-ci. Il eut les veines ouvertes dans un bain. Le lieu est à présent abandonné. (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", Vol. Il, p. 16.) "On envoya une femme du harem à la princesse lui dire de sécher ses larmes car le sháh s'était laissé fléchir et l'amir retournerait à Tihrán ou irait à Karbilá, refuge habituel des Persans qui ont perdu la faveur de la cour."
Le khal'at ou veste d'honneur, dit-elle, se trouve en route et arrivera dans une heure ou deux; allez donc prendre un bain et préparez-vous à le recevoir." L'amír, pendant tout ce temps, n avait pas osé quitter le lieu sûr que constituaient l'appartement de la princesse et sa présence. En entendant la bonne nouvelle, cependant, il décida d'écouter le conseil de cette femme et de se permettre le luxe d'un bain.
Il quitta la princesse, qui ne le revit plus jamais. Lorsqu'il parvint au bain, on lui révéla l'ordre fatal et on perpétra le crime. Le farrash-báshi et sa vile clique se présentèrent et lui donnèrent à choisir le mode de mort qu'il souhaitait qu'on lui fit subir.
On dit qu'il endura son sort avec patience et force d'âme. On lui ouvrit les veines, et il finit par expirer. (Lady Sheil: "Glimpses of Life and Manners in Persia", pp. 251-2.)

(26.3) Il avait le titre d'i'timádu'd-dawlih, ou homme de confiance de L'État. (Lady Sheil: "Glimpses of Life and Manners in Persia», p. 249.)

(26.4) 21 avril-21 mai 1852 ap. J-C.

(26.5) Shimirán ou Shimrán (quelquefois employé au pluriel, Shimránát) est le nom qu'on donne généralement aux villages et châteaux situés sur les pentes inférieures de l'Elburz et qui servent de résidences d'été aux habitants fortunés de Tihrán ("A Traveller's Narrative", p. 81, note 1.)

(26.6) 28 shavvál; 15 août 1852 ap. J-C.

(26.7) «Le matin, le roi, sortant du palais, monta à cheval pour aller faire une promenade. Il était précédé, comme de coutume, de gens de l'écurie portant de longues lances, de palefreniers menant des chevaux de main, couverts de housses brodées, et d'un gros de cavaliers nomades, ayant le fusil en bandoulière et le sabre à la selle du cheval.
Afin de ne pas incommoder le prince par la poussière que soulevaient les pieds des chevaux, cette avant-garde avait pris un peu d'avance, et le roi venait seul marchant au pas, à quelque distance de la suite considérable de grands seigneurs, de chefs et d'officiers qui l'accompagnent partout. Il était encore tout près du palais et avait à peine dépassé la petite porte basse du jardin de Muhammad-Hasan, sanduq-dár ou trésorier de l'Épargne, lorsqu'il aperçut sur le bord de la route trois hommes, les trois ouvriers du jardin, debout, deux à sa gauche, un à sa droite, et paraissant l'attendre. Il n'en prit aucun soupçon et continua d'avancer.
Quant il se trouva à leur hauteur, il les vit qui le saluaient profondément, et il les entendit s'écrier tous à la fois: «Nous sommes votre sacrifice! Nous faisons une supplique!" C'est la formule ordinaire. Mais au lieu de rester à leur place, comme c'est l'usage, ils s'avancèrent rapidement vers lui, en répétant précipitamment: "Nous faisons une supplique! "Un peu surpris, le roi s'écria: «Drôles! que voulez-vous?"
En ce moment, l'homme placé à droite saisit la bride du cheval de la main gauche, et de la main droite, armée d'un pistolet, fit feu sur le roi. Dans le même temps, les deux hommes de gauche faisaient feu également. Une des décharges coupa le gland de perles suspendu sous le cou du cheval, une autre cribla de chevrotines le bras droit du roi et ses reins. Aussitôt l'homme de droite se suspendit à la jambe de Sa Majesté, attirant le prince à terre, et il aurait sans nul doute réussi à l'arracher de sa selle, mais les deux assassins de gauche faisaient exactement le même effort, le roi fut maintenu par eux.
Cependant, le prince frappait de son poing fermé sur la tête des uns et des autres, et les sauts de côté ou autres mouvements du cheval épouvanté paralysaient les efforts des Bábís et prenaient du temps. Les gens de la suite, d'abord stupéfaits, accoururent. Asadu'lláh Khán, grand écuyer, et un cavalier nomade tuèrent à coups de sabre l'homme de droite.
Pendant ce temps, d'autres seigneurs saisissaient les deux hommes de gauche, les renversaient et les garrottaient. Le docteur Cloquet, médecin du roi, aidé de quelques personnes, faisait entrer rapidement le prince dans le jardin de Muhammad-Hasan, sanduq-dár; car on ne comprenait rien à ce qui venait d'arriver, et si l'on avait l'idée de la grandeur du péril, on n'avait aucune notion de son étendue. Ce fut, pendant plus d'une heure, un tumulte épouvantable dans tout Niyávarán.
Tandis que les ministres, le Sadr-i-A'zam en tête, s'empressaient dans le jardin où le roi avait été conduit, les trompettes, les tambours, les tambourins et les fifres appelaient les troupes de tous côtés; les ghuláms montaient à cheval ou arrivaient ventre à terre; tout le monde donnait des ordres; personne ne voyait, n'écoutait, n'entendait ni ne savait rien.
Comme on était dans ce désordre, un courrier arriva de Tihrán, envoyé par Ardishír Mírzá, gouverneur de la ville, pour demander s'il se passait quelque chose, et ce qu'il fallait faire dans la capitale. En effet, dès la veille au soir, le bruit que le roi avait été assassiné avait pris la consistance d'une certitude. Les bazars, parcourus par des troupes de gens armés, dans une attitude menaçante, avaient été quittés par les marchands. Toute la nuit les boutiques des boulangers avaient été environnées, chacun cherchant à faire des provisions pour plusieurs jours.
C'est l'usage lorsqu'on prévoit des troubles. Enfin, à l'aube, le tumulte augmentant, Ardishír Mírzá avait fait fermer les portes de la citadelle et de la ville, mis les régiments sous les armes et placé ses canons en batterie, mèche allumée, bien qu'il ne sût pas, en réalité, à quel ennemi il avait affaire et il demandait des ordres.» (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 231-3.)

(26.8) Lord Curzon, qui considère cet événement comme étant "fort injustement confondu avec une conspiration anarchique et révolutionnaire", écrit ce qui suit: «On a déduit par erreur, du fait que le Bábísme dès ses premiers jours se trouva en conflit avec les pouvoirs civils et qu'un attentat a été fait par des Bábís contre la vie du Sháh, que ce mouvement était d'origine politique et avait un caractère nihiliste.
De l'étude des écrits du Báb ou de ses successeurs, il n'apparaît rien qui puisse fonder un tel soupçon. La persécution du gouvernement entraîna très tôt les adeptes de la nouvelle croyance vers une attitude de rébellion; et il n'est pas surprenant que, dans l'exaspération produite par la bataille et par la féroce brutalité avec laquelle les vainqueurs exercèrent les droits de la conquête, que des mains fanatiques aient été prêtes à abattre le souverain.
A présent, les Bábís sont également loyaux envers n importe quel sujet de la couronne. Il n'apparaît pas non plus que les accusations de socialisme, de communisme et d'immoralité, qu'on a si gratuitement portées contre la jeune croyance, soient plus justifiées. Certes, aucune idée de communisme tel qu'il est conçu en Europe, je veux dire une redistribution forcée de la propriété, ou de socialisme dans le sens qu'on lui prête au dix-neuvième siècle, c'est-à-dire la victoire du travail sur le capital, n'est jamais passée par l'esprit du Báb ou de ses disciples.
Le seul communisme connu de lui et qu'il recommande est celui du Nouveau Testament et de l'Église chrétienne primitive, c'est-à-dire le partage des biens en commun par les membres de la foi et la pratique de l'aumône, ainsi qu'une généreuse charité. L'accusation d'immoralité semble procéder en partie des inventions malveillantes de l'adversaire, d'une plus grande liberté que réclamait le Báb pour les femmes, liberté que l'esprit oriental dissocie à peine de la conduite libertine...
Considéré de plus haut, le Bábísme peut être défini comme une croyance de charité, et presque d'humanité ordinaire. L'amour fraternel, la gentillesse envers les enfants, la courtoisie liée à la dignité, la sociabilité, l'hospitalité, l'absence de bigoterie, l'amitié même envers les chrétiens, se retrouvent dans ses principes. De là à dire que chaque Bábí reconnaît ou observe ces préceptes constituerait une assertion absurde; mais jugeons un prophète par ce qu'il prêche, si l'on met en question son évangile." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", pp. 501-2.)

(26.9) Voir glossaire.

(26.10) Le Prince Dolgorouki.

(26.11) "Lorsque j'étais enchaîné et entravé dans la prison de là, l'un de tes ambassadeurs m'a aidé. Pour cela Dieu a décrété pour toi une station que personne sinon Lui ne peut saisir. Prends garde à ce que tu n altères cette station élevée." (Tablette de Bahá'u'lláh au Tzar de Russie.)

(26.12) Renan, dans son ouvrage intitulé "Les Apôtres" (p. 378), caractérise le grand massacre de Tihrán qui suivit l'attentat contre la vie du sháh comme "un jour sans pareil peut-être dans l'histoire du monde." (Introduction de E.G. Browne à "A Traveller's Narrative", p. 45.) "Le nombre des martyres qui eurent lieu en Perse a été estimé à dix mille. [Cette estimation est moyenne. Beaucoup en fixent le nombre de vingt à trente mille, et quelques-uns encore davantage.] La plupart de ces martyres eurent lieu durant les premiers jours de l'histoire de la foi, mais ils ont continué, bien que la fréquence en soit diminuée, jusqu'à nos jours." (M.H.Phelps: "Life and Teachings of 'Abbás Effendi", introduction, p. 36.)
"Parmi les documents en ma possession et qui se rapportent aux Bábís, se trouve une copie manuscrite d'un article en allemand publié le 17 octobre 1852 dans le n0 291 d'un journal allemand ou autrichien dont on ne cite malheureusement pas le nom. Je pense l'avoir reçu il y a bien quelques années de la veuve de feu le Dr. Polak, docteur autrichien, qui était le médecin de Násiri'd-Dín Sháh au début du règne de celui-ci, et qui est 1 auteur d un précieux ouvrage et de plusieurs petits traités sur la Perse et les questions qui s'y rapportent. L'article en question se fonde principalement sur une lettre écrite le 29 août 1852 par un officier autrichien, capitaine Von Goumoens, qui était au service du Sháh mais qui fut si dégoûté et horrifié par les cruautés qu'il devait constater qu'il envoya sa démission.
La traduction de cet article est la suivante: "Il y a quelques jours, nous avons évoqué l'attentat contre le sháh de Perse, lors d'une partie de chasse. Les conspirateurs, comme l'on sait, appartenaient à la secte religieuse des Bábís. Concernant cette secte et les mesures répressives prises contre elle, la lettre du capitaine autrichien Von Goumoens publiée récemment dans 1' 'Ami du Soldat" (Soldatenfreund) contient d'intéressantes révélations et explique, dans une certaine mesure, l'attentat en question;
Voici le texte de cette lettre: "Tihrán, le 29 août 1852. Cher ami, Ma dernière lettre du 20 courant mentionnait l'attentat contre le Roi. Je m'en vais à présent te communiquer le résultat de l'interrogatoire auquel les deux criminels ont été soumis. En dépit des terribles tortures qu'on leur a infligées, l'interrogatoire ne leur a pas arraché de confession compréhensible; la bouche des fanatiques est restée close, même lorsqu'on a tenté, au moyen de pinces rougies au feu et de vis qui percent les membres, de découvrir le nom des conspirateurs...
Mais suis-moi, mon ami, toi qui prétends posséder un coeur et l'éthique européenne, suis-moi pour voir les malheureux qui, les yeux exhorbités, doivent manger, sur la scène de l'acte, sans aucune sauce, leurs propres oreilles amputées; ou bien ceux dont les dents sont arrachées avec une violence inhumaine par la main du bourreau; ou ceux dont le crâne nu est simplement écrasé par les coups d'un marteau; ou bien l'endroit où le bazar est illuminé par de malheureuses victimes car, à droite et à gauche, le peuple creuse de profonds trous dans leurs poitrines et leurs épaules, et introduit des mèches brûlantes dans leurs blessures.
J'en ai vu quelques-uns traînés, enchaînés, à travers le bazar, précédés par une bande de militaires, et chez qui ces mèches avaient causé de si profondes brûlures que la graisse moussait convulsivement dans la blessure à la manière d'une lampe qu'on vient d'éteindre. Il n'est pas rare de voir l'ingéniosité infatigable des Orientaux découvrir de nouvelles tortures.
Ils dépècent les plantes des pieds des Bábís, plongent les blessures dans de l'huile bouillante, ferrent les talons comme on le fait pour le sabot d'un cheval, et obligent la victime à courir. Aucun cri ne s'échappe du sein de la victime; le tourment est enduré dans un profond silence par le fanatique privé de sensation; il doit alors courir; le corps ne peut endurer ce que l'âme a enduré; il tombe.
Donnez-lui le coup de grâce! Libérez-le de sa souffrance! Non! Le bourreau fait siffler le fouet, et - j'ai dû moi-même le voir - la malheureuse victime de centaines de tortures court! C'est le début de la fin. Quant à la fin elle-même, ils pendent les corps grillés et perforés par les mains et les pieds à un arbre, la tête vers le bas, et alors chaque Persan peut essayer à volonté sa qualité de tireur, à partir d'une distance déterminée mais non trop proche, sur la noble proie mise à sa disposition. J'ai vu des corps criblés par près de cent cinquante balles...
Quand je relis ce que j'ai écrit, l'idée m'envahit que ceux qui sont avec toi dans notre bien-aimée Autriche pourraient douter de l'absolue vérité de l'image, et m'accuser d'exagération. Plût à Dieu que je n'eusse pas vécu pour le voir! Mais, de par les devoirs de ma profession, j'ai été malheureusement souvent, trop souvent, témoin de ces abominations. À présent, je ne quitte plus jamais ma maison, afin de ne pas assister à de nouvelles scènes d'horreur. Après leur mort, les Bábís sont coupés en deux et soit cloués à la porte de la ville, soit jetés dans la plaine comme nourriture aux chiens et aux chacals. Ainsi, le châtiment dépasse même les limites qui entourent ce monde cruel, car les musulmans qui ne sont pas enterrés n'ont pas le droit d'entrer au paradis du Prophète.
Puisque mon âme tout entière se révolte contre une telle infâmie, contre des abominations comme celles qui, selon l'avis de tous, ont été récemment perpétrées, je ne resterai plus en rapport avec la scène de tels crimes.» (Il ajoute qu'il a déjà demandé à être déchargé de ses fonctions, mais qu'il n'a pas encore reçu de réponse.) (E.G. Browne: "Materials for the Study of the Bábi Religion", pp. 267-71.)
"Ardishír Mírzá eut à agir conséquence. Il maintint la fermeture des portes et les fit occuper par des piquets d'infanterie, en donnant l'ordre aux gardiens d'examiner avec soin la physionomie de ceux qui se présenteraient pour quitter la ville; et, tandis que l'on poussait la population à monter sur le rempart, près de la porte de Shimírán, pour voir, sur le terre-plein devant le pont qui traverse le fossé, le corps mutilé de Sádiq, le prince-gouverneur réunit le Kalántar, ou préfet de police, le Vazír de la ville, le Dárúghih ou juge de police, et les chefs des quartiers, et leur donna l'ordre de rechercher et d'arrêter toutes les personnes soupçonnées de Bábísme.
Comme personne ne pouvait quitter la ville, on attendit la nuit pour commencer cette chasse au furet, où il fallait surtout de l'adresse et de la ruse. La police à Tihrán, comme dans toutes les villes d'Asie, est très bien organisée. C'est un legs des Sassanides, que les Khalífs arabes ont précieusement conservé; et comme il était de l'intérêt direct de tous les gouvernements, si mauvais qu'ils fussent, et des pires encore plus que des autres, de le maintenir, il est resté, pour ainsi dire, intact au milieu des ruines de tant d'autres institutions également excellentes qui ont périclité.
Il faut donc savoir que chaque chef de quartier, correspondant directement avec le Kalántar, a sous ses ordres un certain nombre d'hommes appelés sar-ghishmihs, sergents de ville, qui, sans costume particulier ni marque distinctive, ne quittent jamais les rues dont la surveillance leur est attribuée. Ils sont généralement bien vus des habitants et vivent familièrement avec le peuple. Ils rendent toutes sortes de services à chacun, et la nuit, couchés, hiver comme été, sous l'auvent de la première boutique venue, sans souci de la pluie ni de la neige, ils veillent sur les propriétés et rendent les vols fort rares, parce qu'ils les rendent fort difficiles.
Du reste, ils connaissent les habitudes et les habitués de toutes les maisons, de manière à guider immédiatement les recherches en cas de besoin; ils savent les idées, les opinions, les accointances, les liaisons de chacun; et quand on invite à dîner trois amis, le sar-ghishmih, sans-même y mettre d'espionnage, tant il est familier avec tout le monde, sait à quelle heure les convives arrivent, ce qu ils ont mangé, ce qu'ils ont fait et dit, et à quelle heure ils se sont retirés. Les kad-khudás ou chefs des quartiers prévinrent ces agents d'avoir à surveiller les Bábís de leurs circonscriptions respectives, et on attendit." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 234-5.)

(26.13) Nom du donjon, qui signifie "Trou noir»

(26.14) L'Imám Husayn.

(26.15) «S'il t'arrivait de visiter la prison de Sa Majesté le Sháh, demande au directeur et chef de
ce lieu de te montrer ces deux chaînes, dont l'une est connue sous le nom de Qará-Guhar et l'autre sous celui de Salásil. Je jure par l'Etoile matinale de Justice que, durant quatre mois, je fus écrasé et tourmenté par l'une de ces chaînes.» "La tristesse de Jacob pâlit devant mon chagrin; et toutes les afflictions de Job ne furent qu'une partie de mes calamités." ("l'Épître au fils du Loup", p. 57.) «Quant à la façon persane d'emprisonner les gens, elle est aussi différente de la nôtre que le sont les peines. Il n'y a pas de peines semblables aux travaux forcés à vie, ou même pour quelques années; comme sentence, on ne connaît pas les travaux forcés; et les emprisonnements pour une longue période sont rares.
Il y a habituellement une session de cour d'assises au début de chaque nouvelle année; et lorsqu'un nouveau gouverneur est désigné, il n'est pas rare de vider les prisons qu'avait remplies son prédécesseur; seul un ou deux cas de la pire espèce, peut-être, sont condamnés à mort afin de créer une impression de force salutaire. Il n'y a pas de prison pour femmes, celles-ci étant détenues, comme le sont d'ailleurs les criminels de rang élevé, chez un prêtre.
On dit qu'il y a trois sortes de prisons à Tihrán: les cellules souterraines sous l'Arche, où auraient été détenus des criminels accusés de conspiration ou de haute trahison; la prison de la ville, où l'on peut voir les criminels ordinaires avec des colliers de fer autour du cou, qui ont parfois leurs pieds dans des ceps, et qui sont attachés les uns aux autres par des chaînes en fer; et la prison privée qui est souvent une dépendance des demeures des grands.
On verra que la théorie persane de la justice, telle qu'elle s'exprime dans les sentences judiciaires, dans la mise à exécution des peines et dans le code de la prison, est une procédure stricte et rapide, dont l'objet est le châtiment (d'une certaine façon, aussi équivalente que possible à l'offense originale), mais en aucun sens le retour à une vie honnête du prévenu." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", vol 1, pp. 458-9.)

(26.16) "Nous n'avions rien à voir avec cet acte odieux, et notre innocence fut irréfutablement prouvée devant les tribunaux. Néanmoins, on nous arrêta et on nous conduisit à la prison de Tihrán, de Niyávarán, qui était alors le siège de la résidence royale; à pied, enchaînés, les pieds et la tête nus, car un suiveur brutal qui nous accompagnait à cheval arracha de notre tête notre chapeau, et plusieurs bourreaux et farráshs nous faisaient avancer à grande vitesse; et l'on nous mit pour quatre mois dans un endroit dont on n'a jamais vu le pareil. En réalité, une cellule étroite et sombre était de loin meilleure que le lieu où cet opprimé et ses compagnons furent emprisonnés. Lorsque nous entrâmes dans la prison, à notre arrivée, on nous conduisit à travers un sombre corridor, et nous descendîmes trois marches abruptes pour aller dans le donjon auquel on nous destinait.
L'endroit était sombre, et ses pensionnaires étaient au nombre d'environ cent cinquante - voleurs, assassins et brigands de grand chemin. Puisqu'il hébergeait une pareille foule, il ne présentait comme issue que le passage par lequel nous entrâmes. La plume ne saurait décrire cet endroit et sa puanteur. La plupart des gens qui s'y trouvaient n'avaient pas de vêtements pour se couvrir ni de nattes pour se coucher. Dieu sait ce que nous endurâmes dans ce lieu ténébreux et répugnant! Jour et nuit, dans cette prison, nous ne faisions que réfléchir sur la condition des Bábís, leurs faits et gestes et leurs affaires, nous étonnant de ce que, malgré leur grandeur d'âme, leur noblesse et leur intelligence, ils aient pu commettre un acte aussi audacieux que celui d'attenter à la vie du souverain.
Alors cet Opprimé décida qu'après être sorti de cette prison, il se lèverait et ferait le maximum d'efforts pour régénérer ces âmes. Une nuit, dans un rêve, nous entendîmes de tous côtés ces paroles très glorieuses: "En vérité nous t'aiderons à triompher par toi-même et par ta plume. Ne t'attriste pas de ce qui t'est advenu, et ne crains rien. En vérité tu es de ceux qui sont en sûreté. Bientôt le Seigneur fera surgir et révèlera les trésors de la terre, des hommes qui t'assureront la victoire par toi-même et par ton nom grâce auquel le Seigneur a vivifié le coeur de ceux qui savent." ("l'Épître au fils du Loup",: référence de Bahá'u'lláh au siyáh-chál".)
'Abdu'l-Bahá", écrit le Dr. JE. Esslemont, "nous dit comment un jour il fut autorisé à entrer dans la cour de la prison de son père bien-aimé lors de sa sortie pour son exercice quotidien.
Bahá'u'lláh avait terriblement changé, Il était si malade qu'il pouvait à peine marcher, sa chevelure et sa barbe étaient en désordre. Son cou était écorché et enflé par la pression du lourd collier en acier, son corps recourbé sous le poids de ses chaînes, et cette vision laissa une impression ineffaçable sur l'esprit de l'enfant sensible." ("Bahá'u'lláh et l'Ère nouvelle", p. 34 et 35, Ed. 1972.)

(26.17) "On fit attacher le corps de Sádiq, le Bábi qui avait été tué, à la queue d'un mulet, et on le traîna à travers les pierres jusqu'à Tihrán, afin que toute la population pût voir que les conjurés avaient manqué leur coup. En même temps, on envoya des messagers à Ardishír Mírzá, pour lui dicter ce qu'il avait à faire." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 234.)

(26.18) "Ce fut à cette occasion que Mírzá Áqá Khán, le Grand vazír, dans le but de répartir la responsabilité du châtiment et d'amenuiser les chances de vengeance sanglante, conçut l'extraordinaire idée d'assigner aux principaux ministres, généraux et officiers de la cour, ainsi qu'aux représentants du clergé et de la classe marchande, la tâche d'exécuter les nombreux criminels. Le ministère des Affaires étrangères en tua un, le ministre de l'Intérieur un autre, l'intendant des écuries un troisième, et ainsi de suite." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", p. 402, note 2.)

(26.19) "Son Excellence décida de répartir l'exécution des victimes entre les différents départements de l'État; l'unique personne qu'il exempta fut lui-même. Il y eut d'abord le Sháh, qui avait droit au qisas, ou revanche légale, pour sa blessure. Afin de sauver la dignité de la couronne, l'intendant de la cour tira, en tant que représentant du Sháh, le premier coup de feu sur le conspirateur qu'on lui avait choisi pour victime, et ses adjoints, les farráshs, achevèrent le travail. Le fils du Premier ministre se trouvait à la tête du ministère de l'Intérieur, et tua un autre Bábí. Vint alors le tour du ministère des Affaires étrangères.
Le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, un homme pieux et naïf, qui passait son temps à lire avec grande attention les traditions attribuées à Muhammad, donna, le visage détourné, le premier coup d'épée, suivi par le sous-secrétaire d'État et par les employés du ministère des Affaires étrangères, qui mirent en morceaux leur victime. Le clergé, les marchands, l'artillerie, l'infanterie, eurent chacun le Bábi qu'on leur avait assigné. Même l'admirable médecin français du Sháh, feu et regretté Dr. Cloquet, fut invité à prouver sa loyauté en suivant l'exemple du reste de la cour. Il s'excusa et dit avec enjouement qu'il tuait trop d'hommes de par sa profession pour pouvoir se permettre d'en augmenter le nombre par un homicide volontaire.
Il rappela au sadr que ces procédés barbares et inouïs étaient non seulement révoltants en soi, mais produisaient la plus grande horreur et le plus grand dégoût en Europe. Là-dessus, le sadr, fort irrité, demanda avec colère: "Désirez-vous que la vengeance de tous les Bábís s'accumule sur ma tête seule?" Ce qui suit est un extrait de la "Gazette de Tihrán» de ce jour-là et servira comme exemple d'un "éditorial" persan: "Quelques individus dépravés, sans principes, dépourvus de religion, sont devenus disciples du maudit Siyyid 'Alí-Muhammad Báb qui, il y a quelques années, inventa une nouvelle religion et qui, par la suite, a trouvé la mort.
Ils étaient incapables de prouver la vérité de leur foi, dont l'erreur était manifeste. Par exemple nous n'avons trouvé, dans beaucoup de leurs livres qui nous sont tombés sous la main, que pure infidélité. Dans des discussions verbales également, ils n'ont jamais pu défendre leur religion, qui semblait seulement en état d'entrer en contestation avec le Tout-Puissant. Ils ont alors commencé à aspirer à la souveraineté et à s'efforcer de soulever des insurrections, espérant tirer profit de la confusion et piller les biens de leurs voisins. Une maudite et misérable clique dont le chef, Mullá Shaykh 'Ali de Turshíz, se donna le titre d'adjoint de l'ex-Báb, et qui s'appropria le titre de Haute Majesté, réunit autour d'elle quelques ex-compagnons du Báb.
Par la séduction elle amena à sa cause quelques débauchés licencieux dont l'un était Hájí Sulaymán Khán, fils de feu Yahyá Khán de Tabríz. Chez ce Hájí, on avait l'habitude de tenir des réunions de consultation et de projeter un attentat à la vie heureuse de Sa Majesté. Douze d'entre eux, qui étaient volontaires pour commettre l'acte, furent choisis pour mettre le plan à exécution et, à chacun d'eux, on donna des pistolets, des poignards, etc. On décida que ces douze hommes se rendraient à la résidence du Sháh à Niyávarán et attendraient l'occasion.»
Alors suit un récit de l'attaque, que j'ai déjà donné avec suffisamment de détails. "Six personnes, dont les crimes n'étaient pas si clairement prouvés, furent condamnées à l'emprisonnement à vie; les autres furent réparties entre le clergé, les docteurs de la loi, les serviteurs en chef de la cour, les gens de la ville, les marchands, les commerçants, les artisans, qui leur réservèrent ce qu'ils méritaient de la façon suivante: Les mullás, les prêtres et le corps d'érudits tuèrent Mullá Shaykh Ah, le représentant du Báb, qui s'était donné le titre de Majesté Impériale et qui était l'auteur de cette atrocité.
Les princes tuèrent Siyyid Hasan, du Khurásán, un homme connu pour sa dépravation, à coups de pistolets, d'épées et de poignards. Le ministre des Affaires étrangères, plein de zèle religieux et moral, se chargea du premier coup donné à Mullá Zaynu'l-'Ábidín de Yazd, et les secrétaires de son département l'achevèrent et le mirent en morceaux.
Le Nizámu'l-Mulk (fils du Premier ministre) tua Mullá Husayn. Mírzá 'Abdu'l-Valláb, de Shíráz, qui était l'un des douze assassins, fut tué par le frère et les fils du Premier ministre; les autres parents de celui-ci le mirent en morceaux. Mullá Fathu'lláh, de Qum, qui tira le coup de feu qui blessa la personne du roi, fut tué de cette façon: Au milieu du camp royal, on plaça des chandelles dans son corps (après avoir fait des incisions), et on les alluma.
L'intendant de la cour le blessa à l'endroit même où il avait blessé le Sháh, puis les assistants le lapidèrent. Les nobles de la cour envoyèrent Shaykh 'Abbás de Tihrán en enfer. Les assistants personnels du sháh mirent à mort Muhammad-Báqir, l'un des douze. L'intendant des écuries du sháh et les serviteurs des écuries ferrèrent Muhammad Taqí de Shíráz, et l'envoyèrent ensuite rejoindre ses compagnons. Les maîtres des cérémonies et les autres nobles, ainsi que leurs représentants, tuèrent Muhammad de Najaf-Ábád au moyen de cognées et de massues, et l'envoyèrent dans les profondeurs de l'enfer.
Les artilleurs arrachèrent d'abord les yeux à Muhammad-'Alí de Najaf-Ábád, puis le projetèrent par la gueule d'un mortier. Les soldats transpercèrent Siyyid Husayn de Milán au moyen de leurs baïonnettes, et l'envoyèrent en enfer. La cavalerie tua Mírzá Rafi'. L'adjudant en chef, les généraux et les colonels tuèrent Siyyid Husayn." (Lady Sheil: "Ghimpses of Life and Manners in Persia", pp. 277-81.) "On vit, on vit alors, on vit ce jour-là, dans les rues et les bazars de Tihrán, un spectacle que la population semble devoir n'oublier jamais. Quand la conversation, encore aujourd'hui, se met sur cette matière, on peut juger de l'admiration horrible que la foule éprouva et que les années n'ont pas diminuée.
On vit s'avancer, entre les bourreaux, des enfants et des femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec des mèches allumées flambantes fichées dans les blessures. On traînait les victimes par des cordes et on les faisait marcher à coup de fouet. Enfants et femmes s'avançaient en chantant un verset qui dit: "En vérité, nous venons de Dieu et nous retournons à Lui !"Leurs voix s'élevaient éclatantes au-dessus du silence profond de la foule, car la population Tihrání n'est ni méchante ni très croyante à l'Islám. Quand un des suppliciés tombait et qu'on le faisait relever, à coups de fouets ou de baïonnettes, pour peu que la perte de sang, qui ruisselait sur tous ses membres, lui laissât encore un peu de force, il se mettait à danser et criait avec un surcroît d'enthousiasme: "En vérité, nous sommes à Dieu et nous retournons à Lui !"
Quelques-uns des enfants expirèrent dans le trajet. Les bourreaux jetèrent leurs corps sous les pieds de leurs pères et de leurs soeurs, qui marchèrent fièrement dessus et ne leur donnèrent pas deux regards. Quand on arriva au lieu d'exécution, près de la Porte-Neuve, on proposa encore aux victimes la vie pour leur abjuration, et, ce qui semblait difficile, on trouva même à leur appliquer des moyens d'intimidation. Un bourreau imagina de dire à un père que, s'il ne cédait pas, il couperait la gorge à ses deux fils sur sa poitrine. C'étaient deux petits garçons dont l'aîné avait 14 ans, et qui, rouges de leur propre sang, les chairs calcinées, écoutaient froidement le dialogue; le père répondit, en se couchant par terre, qu'il était prêt, et l'aîné des enfants réclamant avec emportement son droit d'aînesse, demanda à être égorgé le premier.
Il n'est pas impossible que le bourreau lui ait refusé cette dernière satisfaction. Enfin, tout fut achevé; la nuit tomba sur un amas de chairs informes; les têtes étaient attachées en paquets au poteau de justice, et les chiens des faubourgs se dirigeaient par troupes de ce côté. Cette journée donna au Báb plus de partisans secrets que bien des prédications n'auraient pu faire. Je l'ai dit tout à l'heure, l'impression produite sur le peuple par l'effroyable impassibilité des martyrs fut profonde et durable.
J'ai souvent entendu raconter les scènes de cette journée par des témoins oculaires, par des hommes tenant de près au gouvernement, quelques-uns occupant des fonctions éminentes. A les entendre, on eut pu croire aisément que tous étaient Bábís, tant ils se montraient pénétrés d'admiration pour des souvenirs où l'Islám ne jouait pas le beau rôle, et par la haute idée qu'ils avouaient des ressources, des espérances et des moyens de succès de la secte." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 248-50.)
"Ces exécutions n'étaient pas simplement criminelles mais stupides. La barbarie des persécuteurs anéantissait leurs propres espérances et, au lieu d'inspirer la terreur, donnait aux martyrs une occasion d'exhiber une héroïque force d'âme qui a fait bien plus que n'importe quelle propagande, quelque habile qu'elle fût, pour assurer le triomphe de la cause pour laquelle ils mouraient... L'impression produite par de telles exhibitions de courage et d'endurance fut profonde et durable; que dis-je, la foi qui inspira les martyrs fut souvent contagieuse, comme le montre l'incident suivant.
Un certain Yazdí, rude, connu pour son caractère sauvage et sa vie désordonnée, vint assister à l'exécution de quelques Bábís, peut-être avec l'intention de se moquer d'eux. Mais lorsqu'il vit avec quel calme et quelle force d'âme ceux-ci faisaient face à la torture et à la mort, ses sentiments subirent un si grand revirement qu'il se précipita en avant et s'écria: "Tuez-moi aussi! Je suis également Bábí!" Et il continua ainsi à crier jusqu'à ce qu'il dût aussi partager le sort de ceux qu'il était simplement venu voir." (E.G. Browne: "A Year amongst the Persians", pp. 111-12.)

(26.20) D'après Samandar (manuscrit, p. 2), Sulaymán Khán parvint en présence du Báb au cours du pèlerinage de celui-ci à La Mecque et à Médine.

(26.21) Voir glossaire.

(26.22) Voir glossaire.

(26.23) Titre d' 'Abdu'l-Bahá.

(26.24) Voir glossaire.

(26.25) Il s'appelait Hájí 'Alí Khán (Voir A Traveller's Narrative", p. 52, note 1.)

(26.26) L'Imám Alí.

(26.27) Qur'án, 21: 69.

(26.28) "L'extraordinaire héroïsme avec lequel Sulaymán Khán supporta ces tortures effrayantes est remarquable, et à maintes reprises j'ai entendu raconter qu'il ne cessa pas, durant la longue agonie qu'il endura, d'affirmer sa joie d'avoir été trouvé digne de subir le martyre pour la cause de son maître. Il chantait même et récitait des vers de poésie, dont les suivants: "Je suis revenu! Je suis revenu! Je suis venu par la voie de Shíráz! Je suis venu avec des airs et des grâces séduisantes! Telle est la folie de l'amant!"
"Pourquoi ne danses-tu pas," demandèrent les bourreaux avec ironie, puisque tu trouves la mort si agréable?" "Danse! s'écria Sulaymán Khán. La coupe de vin dans une main, les tresses de l'Ami dans l'autre. Une telle danse au milieu de la place du marché est mon désir!" ("A Traveller's Narrative", Note T, pp. 333-4.)
Il fut martyrisé en août 1852." Lorsqu'on arrêta Sulaymán Khán et qu'on s'efforça, étant donné ses fidèles services et sa loyauté, de l'inciter, par des promesses de récompenses de la part du roi, à abandonner la foi qu'il avait adoptée, il ne consentit point et répondit fermement: Sa Majesté le Roi a le droit d'exiger de ses serviteurs fidélité, loyauté et droiture; mais il n'est pas qualifié pour se mêler de leurs convictions religieuses."
En conséquence de la hardiesse de son discours, on donna l'ordre que son corps fût percé de blessures et que, dans chacune de celles-ci, on introduisît une chandelle allumée pour que cela servît d'exemple aux autres. Une autre victime fut l'objet d'un traitement similaire. On le mena dans cet état, précédé de ménestrels et de tambours, à travers les bazars alors que lui, pendant ce temps, ne cessait de répéter, le visage souriant, ces versets:

"Heureux celui qui est si enivré par l'amour
Qu'il parvient à peine à savoir
Si, aux pieds du Bien-Aimé,
Il doit jeter la tête ou le turban!»

Chaque fois que l'une des chandelles tombait de son corps, il la ramassait de sa propre main, l'allumait au moyen des autres, et la remettait en place. Les bourreaux, en le voyant si exultant et si ravi, dirent: "Si tu es si avide de martyre, pourquoi ne danses-tu pas?» Alors il commença à sautiller et à chanter des vers appropriés à son état:

«Une oreille qui n'est plus insensibilisée par l'ignorance
et qui s'est vaincue a le droit de danser.
Les stupides dansent et bondissent sur la place du marché;
Les hommes dansent alors que leur sang s'écoule à profusion.
Lorsque le soi est tué, ils applaudissent allègrement
Et dansent, car du mal ils sont libérés."

On conduisit ainsi ces deux hommes jusqu'à la porte de Sháh 'Abdu'l-'Azím. Lorsqu'on se mit à scier en deux ce brave homme, il étendit le pied sans peur ni hésitation alors qu'il récitait ces vers:

"Pour moi ce corps a peu de valeur;
L'esprit d'un brave homme dédaigne sa maison terrestre.
Le poignard et l'épée ressemblent au parfum du baume,
ou à des fleurs qui recouvrent de leur éclat le banquet de la mort."
("Le Tárikh-i-Jadid", pp. 228-30.)


(26.29) "Si le rappel du passé dans lequel je me suis complu a imposé à notre attention une conclusion plutôt qu'une autre, c'est qu'une dévotion sublime et paisible a été inculquée par cette nouvelle foi, quelle qu'elle soit. Il n'y a, je crois, qu'un seul cas où un Bábí ait rejeté sa foi sous la pression ou la menace de souffrances; il est revenu à sa foi primitive et fut exécuté dans les deux ans. Des récits d'un magnifique héroïsme illuminent les pages entachées de sang de l'histoire Bábíe. Ignorants et illettrés comme beaucoup de ses fidèles le sont, et l'ont été, ils sont cependant prêts à mourir pour leur religion, et les feux de Smithfield n'ont pu allumer un courage plus noble que celui qu'ont rencontré et défié les plus raffinés des bourreaux de Tihrán.
Les principes d'une foi qui peut éveiller chez ses disciples un esprit de sacrifice aussi rare et aussi beau ne doivent pas, par conséquent, être de peu de valeur... Ce sont ces petits incidents, faisant ressortir de temps en temps leurs traits hideux, qui prouvent que la Perse n'a pas encore totalement retrouvé ses droits et que quelque chose rend perplexes ceux qui parlent avec extravagance de la civilisation iranienne.» (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", vol. 1, p. 501.)

(26.30) "Elle y resta longtemps, recevant de nombreuses visites tant d'hommes que de femmes: elle passionnait ces dernières en leur démontrant le rôle abject que l'Islám leur assignait: elle les séduisait en leur démontrant la liberté et le respect que la nouvelle religion leur accordait, et il y eut bien des scènes de ménage dont les maris ne sortirent pas toujours vainqueurs.
Ces discussions eussent pu durer longtemps si Mírzá Aqá Khán-i-Núri n'avait pas été nommé Sadr-i-A'zam. Le premier ministre, en effet, donna l'ordre à Hájí Mullá Mírzá Muhammad Andirmání et à Hájí Mullá 'Alí Kiní d'aller la voir pour examiner ses croyances. Il y eut sept conférences entre les deux hommes et la prisonnière: elle y discuta avec passion et affirma que le Báb était l'Imám promis et attendu. Ses adversaires 1ui firent alors remarquer qu'en vertu des prophéties, l'Imám promis devait venir de Jábulqá et de Jábulsá.
Elle leur répondit violemment que cela était faux et inventé par de faux traditionalistes; que ces deux villes n'existaient pas et que ce ne pouvait être là qu'une superstition digne d'un cerveau maladif. Elle exposa la nouvelle doctrine, en fit ressortir la vérité, mais se heurtait toujours au même argument du Jábulqá.
Impatiente, elle leur dit: "Les raisonnements que vous tenez sont d'un enfant ignare et stupide. Jusques à quand vous arrêterez-vous à ces insanités, à ces mensonges: Quand donc élèverez-vous vos regards jusqu'au Soleil de la Vérité?" Outré du blasphème, Hájí Mullá 'Alí se leva et entraîna son compagnon en lui disant: "Quelles discussions plus longues pouvons-nous avoir avec une infidèle." Ils se rendirent chez l'un d'eux et rédigèrent la sentence qui, constatant son apostasie et son refus d'en faire pénitence, la condamnait à mort au nom du Qur'án!" (A.L.M. Nicohas: "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb", pp. 446-7.)

(26.31) "Pendant qu'elle était prisonnière, eut lieu dans la maison le mariage du fils du Kalántar. Toutes les femmes des grands personnages s'y trouvèrent naturellement conviées. Mais, quoiqu'on eût fait de grandes dépenses pour réunir tous les divertissements usités en la circonstance, elles réclamèrent à grands cris qu'on fît venir Qurratu'l-'Ayn. À peine celle-ci se fut-elle présentée et eut-elle commencé à parler qu'on renvoya musiciennes et danseuses, et qu'oubliant toutes les sucreries dont elles sont si friandes, ces dames n'eurent plus de regards et d'attention que pour Qurratu'h-'Ayn." (Ibid., p. 448.)

(26.32) Mahmúd Khán-i-Kalántar, sous la surveillance de qui elle fut placée.

(26.33) Voir glossaire.

(26.34) "En face de la Légation d'Angleterre et de l'Ambassade de Turquie s'étendait une place assez vaste qui a disparu depuis 1893. Vers le milieu de cette place, mais rentrant dans l'alignement de la rue, s'élevaient cinq ou six arbres solitaires marquant l'endroit où mourut l'héroïne Bábíe, car à cette époque le jardin d'lhKhánf s'étendait jusque là. A mon retour, en 1898, la place avait disparu, envahie par les constructions modernes, et je ne sais si l'acquéreur actuel a respecté ces arbres qu'une main pieuse avait plantés." (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Alí-Muhammad dit le Báb" p. 452.)

(26.35) Août 1852 ap. J.-C.

(26.36) Voir Journal of the Royal Asiatic Society, 1889, article 6, p. 492.

(26.37) 1817-18 ap. J.-C.

(26.38) La beauté et les femmes se consacrèrent aussi à la nouvelle croyance, et l'héroïsme de la charmante mais infortunée poétesse de Qazvín, Zarrín-Táj (Couronne d'Or) ou Qurratu'l- 'Ayn (Consolation des Yeux) qui, se débarrassant du voile, porta au loin la torche du missionnaire, constitue l'un des épisodes les plus touchants de l'histoire contemporaine." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question," vol. 1, p. 497, note 2.)
"Aucune mémoire n'est plus profondément vénérée ou plus profondément enthousiasmante que la sienne, et l'influence qu'elle exerça durant sa vie est restée vivace chez les femmes.» (Valentine Chirol: "The Middle Eastern Question", p. 124.) «L'apparition d'une femme telle que Qurratu'l- 'Ayn est, dans quelque pays et à quelque époque que ce soit, un phénomène rare, mais dans un pays comme la Perse elle constitue un prodige - que dis-je, presqu'un miracle.
Elle demeure incomparable et immortelle parmi ses compatriotes (femmes) tant par sa merveilleuse beauté que par ses talents intellectuels rares, son éloquence passionnée, son dévouement intrépide et son glorieux martyre. Si la religion Bábíe ne revendiquait, pour appuyer sa grandeur, que le fait d'avoir produit une héroïne comme Qurratu'l-'Ayn, cela suffirait. ("A Traveller's Narrative", note Q, p. 213.) La poétesse Qurratu'l-'Ayn était à peu de chose près la figure la plus remarquable du mouvement tout entier. On la connaissait pour sa vertu, sa piété et son savoir; elle avait été finalement convertie par la lecture de quelques versets et exhortations du Báb.
Elle devint si ferme dans sa foi que, malgré sa richesse et sa noblesse, elle abandonna biens, enfants, nom et position pour servir son maître et se mettre à proclamer et à établir sa doctrine... La beauté de son discours était telle qu'elle faisait préférer à ses hôtes la mélodie de la voix de l'hôtesse aux festivités du mariage, et ses vers sont parmi les plus émouvants de la poésie persane." (Sir Francis Younghusband: "The Gheam", pp. 202-3.)
"Lorsqu'on revoit la brève carrière de Qurratu'l-'Ayn, on est surtout frappé par son ardent enthousiasme et par son détachement absolu de ce monde. Ce monde n'était en fait à ses yeux - comme on dit que ce fut le cas pour Quddús - qu'une simple poignée de poussière. Elle était également un orateur éloquent, connaissant parfaitement les mesures compliquées de la poésie persane. L'un de ses poèmes, peu nombreux d'ailleurs, qui soit connu à ce jour présente un intérêt spécial, car il exprime la croyance au caractère à la fois divin et humain de quelqu'un (qu'elle appelle Seigneur) dont les revendications, une fois avancées, recevraient une reconnaissance universelle.
Qui était ce personnage? Il semble que Qurratu'l-'Ayn pensait qu'il était lent à avancer ses prétentions. Peut-on songer à une autre personne que Bahá'u'lláh? La poétesse était une véritable bahá'íe. (Dr. T.K. Cheyne: "The Reconcihiation of Races and Religions", pp. 114,115.) "La graine semée par Qurratu'l-'Ayn dans les pays islamiques commence à présent à germer. Une lettre adressée au "Christian Commonwealth" en juin dernier nous apprend que quarante suffragettes turques sont en train d'être déportées de Constantinople à 'Akká (qui fut pendant si longtemps la prison de Bahá'u'lláh): "Durant ces dernières années, les idées de suffrage se sont répandues en secret dans les harems. Les hommes en étaient inconscients; tout le monde l'ignorait et, à présent, la vanne s'est ouverte et les hommes de Constantinople ont estimé nécessaire de recourir à des mesures draconiennes.
On a organisé des clubs; des exposés intelligents contenant les revendications des femmes ont été rédigés et mis en circulation; des journaux et des magazínes féminins ont surgi et ont publié d'excellents articles; on a tenu des réunions publiques. Puis, un jour, les membres de ces clubs - quatre cents femmes - rejetèrent leurs voiles. La chasse sérieuse et "fossilisée" de la société en fut choquée, les bons musulmans furent alarmés, et le gouvernement fut contraint à l'action. Ces quatre cents femmes éprises de liberté furent réparties en plusieurs groupes. L'un des groupes, comprenant quarante d'entre elles, a été exilé à 'Akká et y arrivera dans quelques jours.
Tout le monde en parle, et il est réellement surprenant de voir le grand nombre de ceux qui sont favorables à la suppression du voile recouvrant le visage des femmes. Plusieurs hommes avec qui je me suis entretenu jugent la coutume non seulement archaïque, mais encore propre à étouffer l'esprit. Les autorités turques, croyant éteindre cette flamme de liberté, en ont grandement accru l'intensité, et leur action tyrannique a matériellement aidé à la création d'une opinion publique plus vaste et à une meilleure compréhension de ce problème crucial." (Ibidem, pp. 115-16.)
"L'autre missionnaire, la femme dont je parle, était, elle, venue à Qazvín, et c'est assurément, en même temps que l'objet préféré de la vénération des Bábís, une des apparitions les plus frappantes et les plus intéressantes de cette religion." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 136.)
"Beaucoup de gens qui l'ont connue et entendue à différentes époques de sa vie m'ont toujours fait la remarque, au contraire, que, pour une personne aussi notoirement savante et riche de lectures, le caractère principal de sa diction était une simplicité presque choquante; et quand elle parlait, ajoutait-on, on se sentait pourtant remué jusqu'au fond de l'âme, pénétré d'admiration, et les larmes coulaient des yeux." (Ibid., p. 150.)
Bien que musulmans et Bábís se répandent aujourd'hui en éloges extraordinaires sur la beauté de la Consolation des Yeux, il est incontestable que l'esprit et le caractère de cette jeune femme étaient beaucoup plus remarquables encore. Ayant souvent et, pour ainsi dire, quotidiennement assisté à des entretiens fort doctes, il paraît que, de bonne heure, elle y avait pris un grand intérêt, et il se trouva, un jour, qu'elle était parfaitement en état de suivre les subtiles discussions de son père, de son oncle, de son cousin, devenu son mari, et même de raisonner avec eux, et, souvent, de les étonner par la force et l'acuité de son intelligence.
En Perse, ce n'est pas chose ordinaire que de voir des femmes appliquer leur esprit à de pareils emplois, mais ce n'est pas non plus un phénomène tout à fait rare; ce qui est là, comme ailleurs, vraiment extraordinaire, c'est de rencontrer une femme égale à Qurratu'l-'Ayn. Non seulement elle poussa la connaissance de l'arabe jusqu'à une perfection inusitée, mais elle devint encore éminente dans la science des traditions et celle des sens divers que l'on peut appliquer aux passages discutés du Qur'án et des grands auteurs. Enfin elle passait à Qazvín, et à bon droit, pour un prodige." (Ibid., p. 137.)

(26.39) Chose curieuse, on respecta les femmes qu'on rassembla et qu'on conduisit au mont Bíyábán. Il y avait parmi elles deux vieillards sans force pour se battre: Mullá Muhammad-Músá, foulon, et Mashhadí Báqir, teinturier. On les tua. Mashhadí Báqir fut tué par 'Alí Big, capitaine des soldats Nayrízís. fi lui coupa la tête et la remit à un enfant: puis il prit la nièce de sa victime, lui mit sur la tête un voile noir et, montant à cheval, il la poussa jusqu'auprès de Mírzá Na'ím. Celui-ci se trouvait au mont Bíyábán, dans un jardin, assis sur une pierre.
Quand Alí Big arriva près de lui, il lui jeta la tête de Báqir, et poussant d'un brusque coup la fillette qui tomba la face contre terre il s'écria: «Nous avons fait ce que tu voulais, les Bábís n'existent plus." Ákhúnd Muhlâ 'Abdu'l-Husayn, sur l'ordre de Mírzá Na'im, eut la bouche remplie de terre; puis un ghulám tira un coup de fusil dans la tête, mais sans le tuer. Il y eut environ six cent trois femmes d'arrêtées.
On se mit en route avec les prisonniers jusqu'au moulin appelé Takht qui est tout près de Nayríz. Notre auteur raconte l'anecdote suivante comme preuve de la férocité des vainqueurs: "J'étais bien jeune, alors, dit-il, et je suivais ma mère qui avait un autre fils plus jeune que moi. Un nommé Asadu'lláh avait pris mon frère sur ses épaules et le portait. L'enfant avait un chapeau avec quelques ornements. Un cavalier qui nous accompagnait, vit le chapeau, s'approcha et l'arracha avec tant de brutalité qu'il saisit en même temps le bébé par les cheveux. L'enfant alla rouler à dix mètres de là. Ma pauvre mère le trouva évanoui."
Je ne m'appesantirai pas sur les horreurs qui suivirent cette victoire. Qu'il nous suffise de savoir que Mírzá Na'ím monta à cheval, précédé et suivi d'hommes portant des piques au bout desquelles étaient fichées les têtes des martyrs. On poussait les prisonniers à coups de fouets ou de sabres. On poussait les femmes dans les fossés pleins d'eau. La nuit se passa au caravansérail Shírází. Le matin on fit sortir les femmes toutes nues et on s'amusa à les frapper à coups de pied, de pierres, de bâton, on leur crachait dessus.
Quand on fut fatigué de ce jeu, on les conduisit à l'école de l'endroit, où elles restèrent vingt jours au milieu des insultes et outrages. Quatre-vingt Bábís liés dix par dix furent confiés à cent soldats pour être conduits à Shíráz. Siyyid Mir Muhammad 'Abd mourut de froid à Khánih-gird, d'autres moururent un peu plus loin. On leur coupait la tête au fur et à mesure. Enfin, ils entrèrent à Shíráz par la porte de Sa'di.
On les promena dans toute la ville, puis on les enchaîna dans la prison. Les femmes furent au bout de vingt jours sorties du collège où elles avaient été enfermées et divisées en deux groupes. Un groupe fut rendu à la liberté, l'autre fut dirigé sur Shíráz avec d'autres prisonniers, hommes qui avaient été arrêtés sur ces entrefaites. Arrivée à Shíráz, la caravane fut encore divisée en deux: les femmes furent dirigées vers le caravansérail Sháh Mir 'Alí-Hamzíh, et les hommes allèrent rejoindre en prison leurs coreligionnaires.
Le lendemain fut un jour de fête. Le Gouverneur, assisté de tout ce que Shíráz comptait de grands et de nobles, fit comparaître devant lui les prisonniers. Un Nayrízí nommé Jalál, et que Na'ím avait surnommé Bulbul, se chargeait de dénoncer ses compatriotes. Le premier qui comparut fut Mulhá 'Abdu'l-Husayn: on lui ordonna de maudire le Báb; il s'y refusa et sa tête roula sur le sol. Hájí fils d'Asghar, Alí Garm-Sírí, Husayn fils de Hádi Khayrí, Sádiq fils de Sálih, Muhammad-ibn-i-Muhsin furent exécutés.
Les femmes furent relâchées et le restant des hommes fut conduit en prison. Le Sháh ayant réclamé l'envoi des prisonniers, soixante treize furent expédiés sur Tihrán. Vingt-deux moururent en route et parmi eux Mullá 'Abdu'l-Husayn qui mourut à Saydán, 'Ali fils de Karbilá'í Zamán, à Ábádih; Akbar fils de Karbilá'i Muhammad à Qinárih; Hasan fils d' 'Abdu'l-Vahháb, Mullá 'Alí-Akbar, à Isfáhán; Karbilá'i Báqir fils de Muhammad-Zamán, Hasan et son frère Dhu'l-Faqár, Karbilá'i Naqí et 'Alí son fils, Valí Khán, Mullá Karím, Akbar Ra'ís, Ghulám-'Alí, fils de Pir Muhammad, Naqí et Muhammad-'Alí, fils de Muhammad, en cours de route.
Le reste parvint à Tihrán, et le jour même de leur arrivée, quinze d'entre eux furent exécutés, entr'autres Áqá Siyyid 'Alí, celui qui avait été laissé pour mort, Karbilá'i Rajab, le barbier; Sayfu'd-Dín, Sulaymán fils de K. Salmán, Ja'far, Murád Khayrí, Husayn, fils de K. Báqir, Mírzá Abu'l-Hasan, fils de Mírzá Taqí, Mullá Muhammad-'Alí, fils de Aqá Mihdí. Vingt-trois personnes moururent en prison, treize furent délivrées après trois ans, le seul qui resta à Tihrán, pour y mourir peu de temps après, fut Karbilá'i Zaynu'l-'Ábidín." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid Alí-Muhammad dit le Báb", p. 421-4.)
"Leurs bourreaux, ayant capturé et tué les hommes, s'emparèrent de quarante femmes et enfants, et les tuèrent de la façon suivante: on les plaça au milieu d'une caverne, on entassa dans celle-ci une grande quantité de bois à brûler, on répandit du pétrole sur les fagots éparpillés tout autour, et on y mit le feu. L'un de ceux qui prirent part à cette action raconta ce qui suit: "Après deux ou trois jours, je gravis ce mont et déplaçai la porte de la caverne.
Je vis que le feu s'était éteint et qu'il n'y avait plus que des cendres; mais toutes ces femmes avec leurs enfants étaient assises, chacune dans un coin, serrant leurs petits contre leurs seins, et assises en rond exactement comme nous les avions quittées. Quelques-unes, comme désespérées ou en deuil, avaient laissé tomber leur tête sur leurs genoux, pleines de chagrin, et toutes gardaient la position qu'elles avaient prises.
Je fus rempli d'étonnement, songeant au fait que le feu ne les avait pas brûlées. Plein d'appréhension et de terreur, j'entrai. Alors je vis que tout le monde était brûlé et réduit en cendres, mais elles n'avaient jamais fait un mouvement qui aurait pu causer l'écroulement des corps. Dès que je les touchai de la main, ils s'écroulèrent tous, réduits en cendres. Et lorsque nous vîmes cela, nous nous repentîmes tous de ce que nous avions fait. Mais à quoi cela pouvait-il servir?" (Le "Tárikh-i-Jadíd", pp. 128-31.)
L'auteur du "Tárikh-i-Jadíd", en conclusion de ce récit saisit l'occasion de souligner comment ces événements avaient accompli la prophétie contenue dans une tradition se rapportant aux signes qui marqueront l'apparition de l'Imám Mihdí: "En lui sera la perfection de Moïse, la grande valeur de Jésus, et la patience de Job; ses saints seront avilis en son temps, et l'on échangera leurs têtes en signe de cadeau, exactement comme on se sert des têtes des Turcs et des Daylamites lorsqu'on échange des présents; ils seront tués et brûlés; ils seront effrayés, épouvantés, et consternés; la terre sera teintée de leur sang, et les lamentations et les plaintes prévaudront parmi leurs femmes; voilà en réalité mes saints.»
Cette tradition, nommée Hadíth-i-Jábir, est citée aussi dans 1' 'Íqán", tirée du "Kafí", l'un des principaux recueils de traditions shi'ites]. Lorsque je me trouvais à Yazd au début de l'été 1888, je fis la connaissance d'un Bábi qui occupait une position de quelque importance dans le gouvernement, et dont deux des ancêtres avaient pris une part prépondérante dans la répression de l'insurrection de Nayríz.
Ce qui suit est un résumé de ce qu'il m'a dit, et que j'ai tiré de mon journal à la date du 18 mai 1888: "Mon grand-père maternel Mihr-'Alí Khán Shujá'-u'l-Mulk et mon grand-oncle Mírzá Na'ím prirent tous deux une part active à la guerre de Nayríz, mais dans le mauvais camp. Lorsqu'on reçut à Shíráz l'ordre d'étouffer l'insurrection, mon grand-père fut chargé de prendre le commandement de l'expédition envoyée à cette fin.
La tâche qu'on lui avait confiée ne l'enchantait guère, et il fit part de son peu d'enthousiasme à deux des 'ulamás, qui le rassurèrent cependant en lui déclarant que la guerre qu'il était sur le point de mener était une entreprise sanctionnée par la religion, et qu'il en serait récompensé au paradis. Il partit à la guerre, et ce qui arriva vous est connu. Après avoir tué sept cent cinquante hommes, ils prirent les femmes et les enfants, les mirent presque nus, les firent monter sur des ânes, des mules et des chameaux et leur firent traverser des files de têtes coupées provenant des corps inanimés de leurs pères, frères, fils et maris, cela jusqu'à Shíráz.
À leur arrivée, on les plaça dans un caravansérail en ruines juste hors de la porte d'Isfáhán et en face d'un imám-zádih, tandis que leurs ravisseurs établissaient leur campement sous quelques arbres non loin de là. Ils y restèrent pendant un temps assez long, soumis à nombre d'insultes et de mauvais traitements, si bien que bon nombre d'entre eux en moururent.
Voyez maintenant le jugement de Dieu sur les oppresseurs car, des principaux responsables de ces cruautés, aucun n'échappa à une mauvaise fin et tous moururent accablés de calamités. Mon grand-père Mihr-'Alí Khán tomba malade et resta muet jusqu'au jour de sa mort. Au moment d'expirer, ceux qui l'entouraient s'aperçurent, d'après le mouvement de ses lèvres, qu'il murmurait quelque chose. Ils se penchèrent pour saisir ses dernières paroles et l'entendirent murmurer faiblement: "Bábí! Bábí! Bábí!» trois fois.
Puis il tomba à la renverse et rendit l'âme. Mon grand-oncle Mírzá Ná'ím tomba en disgrâce auprès du gouvernement et fut deux fois frappé d'amende: dix mille tumáns la première fois, et quinze mille la seconde. Mais sa punition ne devait pas s'arrêter là, car il dut endurer diverses tortures. Ses mains furent mises dans 1' «il-chik" (cette torture consiste à placer des morceaux de bois entre les doigts de la victime et à les ficeler solidement avec des cordes.
On verse ensuite de l'eau froide sur la corde, ce qui a pour effet de provoquer sa contraction) et ses pieds dans le "tang-i-Qájár» (ou étreinte des Qájár», un instrument de torture ressemblant à la "botte" employée autrefois en Angleterre; son introduction en Perse, on la doit à la dynastie occupant actuellement le trône.) La victime fut forcée de rester tête découverte en plein soleil, la tête enduite de mélasse pour attirer les mouches. Après avoir subi ces tourments et beaucoup d'autres encore plus douloureux et humiliants, il fut licencié tel un homme en disgrâce et ruiné." ("A Traveller's Narrative", Note H, pp. 191-3.)

(26.40) 12 janvier 1853 ap. J.-C.

(26.41)'Abdu'l-Bahá.

(26.42) Mírzá Músá, communément appelé Áqáy-i-Kalím, le plus capable et le plus éminent parmi les frères et soeurs de Bahá'u'lláh, et son dévoué et précieux défenseur.


<P611>

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Epilogue

Jamais la fortune de la foi proclamée par le Báb n'était tombée si bas, lorsque Bahá'u'lláh fut exilé, de sa Perse natale, vers 1''Iraq La cause pour laquelle le Báb avait donné sa vie, pour laquelle Bahá'u'lláh avait peiné et souffert, semblait au bord même de l'extinction. Sa force paraissait avoir été tarie et sa résistance, irrémédiablement brisée. Découragements et désastres, chacun plus dévastateur l'un que l'autre dans ses effets, s'étaient succédés avec une rapidité déconcertante, sapant la vitalité de la cause et brisant les espérances de ses plus ardents défenseurs. En réalité, pour un lecteur superficiel du récit de Nabíl, l'histoire tout entière, depuis son origine même, apparaît telle une simple énumération de revers et de massacres, d'humiliations et de désillusions, chacun plus cruel que le précédent, culminant enfin par le bannissement de Bahá'u'lláh de son propre pays. Pour le lecteur sceptique, peu enclin à reconnaître la céleste puissance dont fut dotée cette foi, tout le plan qui s'était développé dans l'esprit de son auteur semble avoir été condamné à l'échec. L'oeuvre du Báb, si glorieusement conçue, si héroïquement entreprise, semblerait s'être terminée dans un désastre gigantesque. Pour un tel lecteur, la vie de l'infortuné jeune homme de Shiraz semblerait, à la lumière des coups cruels qu'elle a subis, l'une des plus tristes et des plus stériles qui fut jamais le lot d'un mortel. Cette courte et héroïque carrière qui, rapide, tel un météore, étincelât à travers le firmament de la Perse et qui parut, pour un temps, avoir apporté la lumière du salut éternel tant attendue au milieu des ténèbres qui enveloppaient le pays, fut plongée dans un abîme d'obscurité et de désespoir.
Chacun de ses pas, chacun de ses efforts, n'avaient contribué qu'à intensifier les souffrances et les déceptions qui pesaient sur son âme. Le plan qu'il avait conçu, dès le début de son ministère, d'inaugurer sa mission par une proclamation publique dans les villes saintes de La Mecque et de Médine, ne put se réaliser comme il l'avait espéré. Le sharíf de La Mecque, à qui Quddús fut prié de délivrer son message, lui réserva un accueil qui trahissait, par sa glaciale indifférence, le mépris dans lequel la cause du jeune homme de Shiraz était tenue par le souverain de Hijáz et gardien de sa Ka'bih.

<P612>

Le projet qu'il nourrissait de revenir triomphalement de son pèlerinage par les villes de Karbilá et de Najaf, où il espérait établir sa cause, au coeur même de cette citadelle de l'orthodoxie shí'ah, fut également anéanti sans retour. Le plan qu'il avait conçu et dont il avait déjà communiqué l'essentiel à ses dix-neuf disciples élus, demeurait en grande partie inachevé. La modération à laquelle il les avait exhortés fut oubliée dans la première vague d'enthousiasme qui s'empara des premiers missionnaires de sa foi et ce comportement fut, dans une mesure non négligeable, à l'origine de l'échec des espoirs qu'il avait si chèrement caressés. Le mu'tamid, ce chef sagace et avisé, après avoir si habilement écarté le danger qui menaçait cette précieuse vie, et qui avait montré sa capacité à lui rendre des services tels que peu de ses plus modestes compagnons eussent pu espérer lui offrir, lui fut subitement enlevé, le laissant à la merci du perfide Gurgín Khán, le plus détestable et le plus malhonnête de tous ses ennemis. L'unique chance du Báb de rencontrer Muhammad Sháh-une rencontre qu'il avait lui-même sollicitée et sur laquelle il avait fondé ses plus chers espoirs-fut ruinée par l'intervention du lâche et capricieux Hájí Mírzá Aqásí qui tremblait à cette pensée, craignant que sa rencontre avec le souverain, déjà suffisamment enclin à sympathiser avec cette cause, ne s'avère fatale à ses propres intérêts. Les tentatives, inspirées et préconisée par le Báb, qu'avaient faites deux de ses principaux disciples, Mullà 'Alíy-i-Bastámí et Shaykh Sa'íd-i-Hindí, d'introduire la foi-l'un en territoire ottoman, l'autre en Inde-échouèrent lamentablement. La première tentative s'effondra dès son début par le cruel martyre de son promoteur, alors que la seconde produisait ce qui pourrait paraître un résultat négligeable, à savoir la conversion d'un certain siyyid dont la carrière mouvementée fut soudainement brisée au Luristán par l'action du perfide Ildirím Mírzá. La captivité à laquelle fut condamné le Báb lui-même durant la plus grande partie de son ministère; son isolement dans les montagnes fortifiées de l'Ádhirbáyján, loin du corps de ses disciples cruellement éprouvés par un ennemi rapace; par-dessus tout, la tragédie de son propre martyre, si intense, si terriblement humiliante-tout cela semblerait avoir marqué les abîmes d'ignominie qu'une cause aussi noble était, dès sa naissance même, condamnée à subir. Sa mort, point culminant d'une carrière brève et orageuse, semblerait avoir imprimé le sceau de l'échec à une tâche qui-si héroïque fût-elle dans les efforts qu'elle inspira-ne put être accomplie.

<P613>

Si grandes qu'aient pu être ses souffrances, l'agonie qu'il eut à endurer n'était qu'une goutte d'eau comparée à l'océan des calamités qui devaient accabler la foule de ses disciples déclarés. La coupe de souffrance qui avait touché ses lèvres devait encore être bue jusqu a la lie par ceux qui lui survécurent. La catastrophe de Shaykh Tabarsí, qui le priva de ses deux adjoints les plus capables, Quddús et Mullá Husayn, et qui anéantit pas moins de trois cent treize de ses fidèles compagnons, fut le coup le plus cruel qui lui ait été jusqu'alors asséné, et enveloppa d'un voile d'obscurité les derniers jours de sa vie déclinante. La bataille de Nayríz, avec ses horreurs et ses cruautés, impliquant comme elle le fit la perte de Vahíd, le plus savant, le plus influent et le plus accompli des disciples du Báb, fut un coup supplémentaire porté aux ressources et au nombre de ceux qui continuaient à tenir bien haut le flambeau en leurs mains. Le siège de Zanján, suivant de près le désastre qui avait frappé la foi à Nayríz, et marqué par les massacres auxquels le nom de cette province restera à jamais associé, réduisit encore davantage les rangs des défenseurs de la foi, et les priva du soutien que leur apportait la présence de Hujjat. Avec lui disparaissait la dernière figure marquante parmi les dirigeants représentatifs de la foi, qui dominaient, du fait de leur autorité religieuse, de leur savoir, de leur intrépidité et de leur force de caractère, la masse de leurs condisciples. L'élite des disciples du Báb avait été fauchée au cours d'un impitoyable carnage, laissant derrière elle un immense groupe de femmes et d'enfants enchaînés, qui gémissaient sous le joug d'un implacable ennemi. Leurs chefs qui, tant par leur savoir que par leur exemple, avaient nourri et soutenu la flamme qui brillait en ces coeurs vaillants, avaient également péri; leur oeuvre était apparemment abandonnée au milieu de la confusion qui affligea cette communauté persécutée.
De tous ceux qui s'étaient montrés capables de poursuivre l'oeuvre confiée par le Báb à ses disciples, seul demeurait Bahá'u'lláh. (ep.1) Mírzá Yahyá, le chef nominal du groupe qui survécut au Báb, avait honteusement cherché refuge dans les montagnes du Mázindarán, loin des périls du tourbillon qui s'était emparé de la capitale. Déguisé en dervísh, le kashkúl (ep.2) en main, il avait déserté ses compagnons et avait fui la scène du danger pour les forêts de Gílán. Siyyid Husayn, le secrétaire du Báb, et Mírzá Ahmad, son collaborateur, étaient tous deux très versés dans les enseignements et les implications du Bayàn récemment révélé et, grâce à leur intimité avec leur maître et à leur familiarité avec les préceptes de sa foi, ils furent en mesure d'en éclairer la compréhension et d'en consolider les fondements; ces deux compagnons gisaient enchaînés dans le siyah-chal de Tihrán, totalement coupés du corps des croyants qui avaient tant besoin de leurs conseils, tous deux étaient condamnés à subir un précoce et cruel martyre.

<P614>

Même l'oncle maternel du Báb qui, depuis sa tendre enfance, l'avait entouré d'une sollicitude paternelle qu'aucun père n'aurait pu surpasser, qui lui avait rendu d'insignes services lorsque débutèrent ses souffrances à Shiraz et qui, s'il avait été admis à lui survivre ne fût-ce que de quelques années, aurait pu rendre d'inestimables services à sa cause, languissait en prison, abandonné et sans espoir de jamais poursuivre la tâche qui était si chère à son coeur. Tahirih, cet ardent emblème de sa cause qui, par son indomptable courage, son caractère impétueux, son invincible foi, son ardeur et son vaste savoir, sembla pour un temps capable de gagner à la cause de son Bien-Aimé toutes les femmes de la Perse, tomba, hélas! à l'heure même où la victoire semblait proche, victime de la colère d'un ennemi calomniateur. L'influence de son oeuvre, dont le cours fut si prématurément interrompu, paraissait à ceux qui la veillaient, alors qu'on la déposait dans le puits qui lui servit de tombe, avoir été totalement éteinte. Les autres Lettres du Vivant avaient péri par l'épée ou demeuraient en prison, ou bien encore menaient une vie obscure dans quelque lointain recoin du royaume. Les volumineux écrits du Báb subirent, pour la plupart, un sort tout aussi humiliant que celui qui avait frappé ses disciples. Plusieurs de ses abondants ouvrages furent entièrement oblitérés, d'autres furent déchirés et réduits en cendres, et le reste constituait une masse de manuscrits désorganisés et indéchiffrés, cachés de manière précaire et largement disséminés parmi ses compagnons survivants.
La foi qu'avait proclamée le Báb et pour laquelle il avait tout donné avait, en vérité, atteint son point le plus bas. Les feux allumés contre elle avaient presque consumé la trame dont dépendait la continuité de son existence. Les ailes de la mort semblaient planer au-dessus d'elle. L'extermination, complète et irrémédiable, paraissait menacer sa vie même. Au milieu des ombres qui l'enveloppaient rapidement, seule la figure de Bahá'u'lláh brillait en tant que messager potentiel d'une cause qui allait promptement vers sa fin. Les marques de claire vision, de courage et de sagacité qu'il avait manifestées à plus d'une occasion, depuis qu'il s'était levé pour défendre la cause du Báb, semblaient le qualifier, si sa vie et son existence en Perse étaient assurées, à ranimer la fortune d'une foi expirante. Mais cela ne devait pas être. Une catastrophe, sans exemple dans toute l'histoire de cette foi, précipita une persécution plus féroce que jamais et, cette fois, attira dans son tourbillon la personne même de Bahá'u'lláh.

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Les vagues espoirs qu'entretenaient encore le reste des croyants furent brisés au milieu de la confusion qui s'ensuivit. Car Bahá'u'lláh, leur unique espoir et seul objet de leur confiance, était si frappé par la violence de cette tempête que l'on ne pouvait plus désormais croire à la possibilité d'un redressement. Après qu'il eut été dépouillé de toutes ses possessions à Nur et à Tihrán, dénoncé en tant que premier instigateur d'un ignoble attentat à la vie de son souverain, abandonné par les siens et méprisé par ses anciens amis et admirateurs, plongé dans un cachot obscur et pestilentiel et enfin, en compagnie des membres de sa famille, envoyé vers un exil sans retour au-delà des confins de son pays natal, tous les espoirs qui s'étaient centrés autour de lui en qualité d'éventuel rédempteur d'une foi meurtrie semblèrent, pour un temps, s'être complètement évanouis.
Il n'est pas surprenant que Násiri'd-Dín Sháh, sous le regard et l'impulsion duquel étaient portés de tel coups, s'enorgueillit déjà d'être le destructeur d'une cause contre laquelle il avait lutté si farouchement et qu'il avait enfin, selon toute apparence, été capable d'écraser. Comment s'étonner qu'il imaginât, lorsqu'il songeait aux stades successifs de sa vaste et sanguinaire entreprise, que, par l'acte de bannissement signé de sa main, il sonnait le glas de cette odieuse hérésie qui avait engendré une si grande terreur dans les coeurs de ses sujets. Il semblait à Násiri'd-Dín Sháh, à ce moment suprême, que le maléfice de cette terreur était brisé, que la vague qui avait déferlé sur son pays s'éloignait enfin et ramenait à ses concitoyens la paix à laquelle ils aspiraient. A présent que le Báb n'était plus, que les puissants piliers qui soutenaient sa cause avaient été réduits en poussière, que la masse de ses adeptes à travers tout l'empire était terrorisée, épuisée, que Bahá'u'lláh lui-même, le seul espoir d'une communauté privée de son chef, avait été exilé et avait, de son propre gré, cherché refuge dans le voisinage de la citadelle du fanatisme shí'ah, le spectre qui avait hanté le Sháh depuis son ascension au trône s'était évanoui à jamais. Jamais plus, songeait-il, il n'entendrait parler de ce détestable mouvement qui, selon ses meilleurs conseillers, régressait rapidement vers les ombres de l'impuissance et de l'oubli. (ep.3)
Même pour les disciples de la foi qui survécurent aux abominations perpétrées contre leur cause, même pour cette petite caravane, frayant son chemin au coeur de l'hiver à travers les pentes neigeuses des montagnes bordant 1''Iraq, (ep.4) la cause du Báb pouvait pour un temps, comme on peut se l'imaginer, sembler avoir échoué dans l'accomplissement de son dessein.

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Les forces obscures qui l'avaient encerclée de tous côtés semblaient avoir enfin triomphé en éteignant la lumière que le jeune Prince de Gloire avait allumée dans son pays.
Aux yeux de Násiri'd-Dín Sháh, en tout cas, le pouvoir qui semblait, pour un temps, avoir balayé dans son orbite l'ensemble des forces de son royaume, avait cessé de compter. Voué à l'échec dès sa naissance même, il avait été finalement obligé de se rendre devant la violence des coups portés par l'épée impériale. La foi avait subi une dislocation certainement bien méritée. Le Sháh, délivré de sa malédiction qui, de nombreuses nuits durant, l'avait privé de sommeil, pouvait à présent, avec une attention sans faille, entreprendre la tâche consistant à sauver son pays des effets dévastateurs de cette énorme tromperie. Désormais sa réelle mission, comme il la concevait, était de permettre à la fois au clergé et à l'Etat de consolider leurs fondements et de renforcer leurs rangs contre l'intrusion de semblables hérésies qui pourraient, à l'avenir, empoisonner la vie de ses sujets.
Combien vains furent ses phantasmes, combien vastes ses propres illusions! La cause qu'il espérait avoir écrasée vivait encore, destinée à émerger de cette grande convulsion, plus forte, plus pure, plus noble que jamais. La cause qui, selon ce stupide monarque, paraissait se précipiter vers sa destruction, passait en vérité par les terribles épreuves d'une phase transitoire qui devait lui faire franchir une étape de plus sur la voie de sa haute destinée. Un nouveau chapitre de son histoire était en train de se dérouler, plus glorieux que tous ceux qui avaient marqué sa naissance ou son développement. La répression par laquelle ce monarque avait cru parvenir à sceller la condamnation de la cause ne fut que le stade initial d'une évolution destinée a produire, quand les temps seront révolus, une révélation plus puissante que celle que le Báb lui-même avait proclamée. La graine que sa main avait semée, bien que soumise pour un temps à la furie d'une tempête d'une violence inouïe et, ultérieurement, transplantée dans une terre étrangère, devait continuer à se développer et à donner, en temps opportun, un arbre destiné à étendre son ombre sur toutes les tribus et sur tous les peuples de la terre. Même si les disciples du Báb furent torturés et assassinés, ses compagnons humiliés et écrasés; même si ses adeptes déclinèrent en nombre; même si la voix de la foi elle-même put être réduite au silence par l'armée de violence; même si le désespoir gagna la cause; même si ses plus valeureux défenseurs purent apostasier leur foi, aucune main ne put cependant ravir la promesse enchâssée dans sa parole, aucun pouvoir ne fut en mesure d'entraver sa germination et son développement.

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En vérité, les premières lueurs de la révélation naissante, dont le Báb s'était lui-même déclaré le héraut, à l'imminence et à la certitude de laquelle il avait si souvent fait allusion, (ep.5) pouvaient déjà être discernées, au milieu des ténèbres qui encerclaient Bahá'u'lláh dans le siyah-chal de Tihrán. (ep.6) La force qui, née de la révélation capitale apportée par le Báb, devait ensuite se déployer dans toute sa gloire et embrasser le globe, palpitait déjà dans les veines de Bahá'u'lláh alors qu'il gisait dans sa cellule, menacé par l'épée de son bourreau. La voix tranquille qui, à l'heure d'amère agonie, annonça au prisonnier la révélation dont il devait être le porte-parole, ne pouvait, certes, être parvenue à l'oreille du monarque qui se préparait à célébrer l'extinction de la foi dont son prisonnier était le champion. Cet emprisonnement qu'il avait provoqué, qui, croyait-il, avait entaché d'infamie la renommée de Bahá'u'lláh, et qui était le prélude à un bannissement plus humiliant encore vers 1''Iraq, fut en réalité la scène même qui vit les premiers remous de ce mouvement dont Bahá'u'lláh devait être l'auteur, un mouvement qui devait d'abord se faire connaître dans la ville de Baghdád puis être proclamé, de la ville-prison d' 'Akkà, au Sháh ainsi qu'aux autres dirigeants et aux têtes couronnées du monde.
Nàsíri'd-Dín Sháh ne pouvait guère imaginer que, par l'acte prononçant la sentence de bannissement à l'encontre de Bahá'u'lláh, il contribuait à révéler l'irrépressible dessein de Dieu, et qu'il n'était lui-même qu'un instrument de l'exécution de ce dessein. Il ne pouvait guère imaginer que son règne, qui touchait à sa fin, connaîtrait une renaissance de ces mêmes forces qu'il avait si ardemment cherché à exterminer-une renaissance qui manifesterait une vitalité dont il n'aurait jamais cru, aux heures du plus noir désespoir, que cette foi était capable. Non seulement à l'intérieur de son propre royaume, (ep.7) à travers les territoires adjacents de 1' 'Iraq et de la Russie, mais aussi loin que l'Inde en Orient, (ep.8) que l'Égypte et la Turquie d'Europe en Occident, une recrudescence de la foi telle qu'il ne l'avait jamais Soupçonnée l'éveilla des rêves dans lesquels il s'était complu. La cause du Báb semblait comme ressuscitée de la mort. Elle apparaissait sous une forme infiniment plus redoutable que par le passé. Le nouvel élan que, malgré les calculs du souverain, la personnalité de Bahá'u'lláh et, par-dessus tout, la force inhérente à la révélation avaient imprimé à la cause du Báb, fut tel que Nàsiri'd-Dín Sháh ne l'avait jamais imaginé.

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La rapidité avec laquelle une foi en sommeil avait été ravivée et consolidée sur le territoire de la Perse; sa propagation

PHOTO: maison de Bahá'u'lláh à Baghdád

dans les États situés au-delà des frontières; les stupéfiantes affirmations avancées par Bahá'u'lláh presque au centre de la forteresse où il avait choisi de résider; la déclaration publique de ces affirmations en Turquie d'Europe, et sa proclamation dans des épîtres qui interpellent les têtes couronnées du globe, et dont le Sháh lui-même était destiné à en recevoir une; l'enthousiasme que Suscita cette annonce dans les coeurs d'innombrables disciples; le transfert en Terre sainte du centre de sa cause; le relâchement progressif de la sévérité de son emprisonnement, qui marqua les derniers jours de sa vie;

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l'abolition de l'interdiction imposée par le sultan ottoman à sa rencontre avec les visiteurs et les pèlerins qui affluaient, de diverses régions de l'Orient, vers sa prison; l'éveil de l'esprit de recherche parmi les penseurs de l'Occident; la totale dislocation des forces qui avaient tenté de provoquer un schisme dans les rangs de ses disciples, et le sort qui avait frappé son principal instigateur; avant tout, la sublimité des enseignements dont abondaient ses ouvrages publiés qui étaient lus, diffusés et enseignés par un nombre toujours croissant d'adeptes au Turkestan russe, en 'Iráq, en Inde, en Syrie et jusqu'en Turquie d'Europe-tels furent les principaux facteurs qui révélèrent aux yeux du Sháh le caractère invincible d'une foi qu'il croyait avoir maîtrisée et détruite. L'inanité de ses efforts-quoi qu'il pût faire pour chercher à dissimuler ses sentiments-n'était que trop manifeste. La cause du Báb, dont il avait lui-même observé la naissance et les tribulations, et dont il constatait à présent les progrès triomphants, renaissait de ses cendres, tel un phénix, et s'avançait rapidement sur la voie qui la conduirait à des réalisations insoupçonnées. (ep.9)
Nabíl lui-même pouvait difficilement imaginer que, vingt ans après avoir écrit son récit, la révélation de Bahá'u'lláh, la fleur et le fruit de toutes les dispensations du passé, aurait été capable de progresser si loin sur la voie de sa reconnaissance et de son triomphe universels. Il ne pouvait imaginer que, moins de quarante ans après la mort de Bahá'u'lláh, sa cause, faisant irruption au-delà des frontières de la Perse et de l'Orient, aurait pénétré dans les régions les plus lointaines du globe et embrassé la terre entière. Il n'aurait guère cru à la prédiction, si on la lui avait faite, que la cause aurait, durant cette période, planté sa bannière au coeur du continent américain, qu elle se serait fait connaître dans les principales capitales d'Europe, qu'elle aurait atteint les confins méridionaux de l'Afrique et aurait établi ses avant-postes jusqu'en Australasie. Son imagination, bien qu'entraînée par une ferme conviction quant au destin de sa foi, n'aurait pu lui dépeindre le tombeau du Báb (il avoue ignorer l'ultime destination des reliques de ce dernier), serti au coeur du Carmel, lieu de pèlerinage et phare pour tant de visiteurs venus des extrémités de la terre. Il n'aurait guère pu imaginer que l'humble demeure de Bahá'u'lláh, perdue parmi les ruelles tortueuses du vieux Baghdád, se serait un jour, à la suite des machinations d'un inlassable ennemi, imposée à l'attention du monde, et qu'elle serait devenue l'objet des plus sérieuses délibérations de l'assemblée des représentants des grandes puissances de l'Europe.

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Il n'imaginait point malgré toutes les louanges qu'il lui prodigue dans son récit, qu'il émanerait de la plus grande Branche (ep.10) un pouvoir qui, bientôt, aurait éveillé les États d'Amérique du Nord à la gloire de la révélation que lui a léguée Bahá'u'lláh. Il n'aurait guère pu imaginer que les dynasties de ces monarques, dont il relate de manière si vivante les preuves de la tyrannie, auraient chancelé vers leur chute et auraient subi le sort même que leurs représentants avaient si désespérément tenté d'infliger à leurs adversaires redoutés. Il n'aurait pu imaginer que l'ensemble de la hiérarchie religieuse de son pays, principal responsable et instrument volontaire des abominations accumulées contre sa foi, serait si rapidement et si facilement renversée par les forces mêmes qu'elle avait tenté de subjuguer.

PHOTO: vue du tombeau du Báb sur le mont Carmel, illuminé

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Il n'aurait jamais cru que les plus hautes institutions de l'ishim sunní, le sultanat et le caliphat (ep.11)-ces deux oppresseurs de la foi de Bahá'u'lláh-seraient balayées si impitoyablement par les adeptes mêmes de la foi islamique. Il ne pouvait guère imaginer que, parallèlement à la constante extension de la cause de Bahá'u'lláh, les forces de la consolidation et de l'administration interne progresseraient jusqu'à présenter au monde le spectacle unique d'une communauté de peuples, universelle dans ses ramifications, unie dans son dessein, coordonnée dans ses efforts, et mue par un zèle et un enthousiasme qu'aucune adversité ne saurait éteindre.
Et pourtant, qui sait quelles réalisations, supérieures à toutes celles du passé et du présent, peuvent encore être réservées à ceux entre les mains desquels a été confié un si précieux héritage? Qui sait si, du tourbillon qui agite la société d'aujourd'hui, ne pourrait pas émerger, plus tôt que nous le pensons, l'ordre mondial de Bahá'u'lláh, dont les grandes lignes ne sont que vaguement discernées parmi les communautés qui, de par le monde, portent son nom? Car, si grandes et prodigieuses qu'aient été les réalisations du passé, la gloire de l'âge d'or de la cause, dont la promesse est enchâssée dans les paroles immortelles de Bahá'u'lláh, doit encore être révélée. Si terrible que puisse paraître l'attaque des forces des ténèbres destinées à affliger cette cause; si désespéré, si interminable que puisse être ce combat, et si cruelles les déceptions qu'elle peut connaître encore, l'ascendant qu'elle obtiendra finalement sera tel qu'aucune autre foi ne l'a jamais atteint dans son histoire. La transformation des communautés d'Orient et d'Occident en cette fraternité mondiale qu'ont chantée poètes et visionnaires, et dont la promesse est au coeur même de la révélation conçue par Bahá'u'lláh; la reconnaissance de sa loi en tant qu'indissoluble lien unissant les peuples et les nations de la terre, et la proclamation du règne de la plus grande paix, ne sont que quelques-uns des chapitres du glorieux récit que dévoilera l'accomplissement de la foi de Bahá'u'lláh.
Qui sait si des triomphes, d'une splendeur inégalée, ne sont pas réservés à la multitude des disciples de Bahá'u'lláh peinant sur son chemin? Certes, nous sommes trop proches de l'édifice colossal qu'a érigé sa main pour pouvoir prétendre, au stade actuel de l'évolution de sa révélation, concevoir la pleine mesure de sa gloire promise.

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Son histoire passée, tachée du sang d'innombrables martyrs, pourrait bien nous inspirer l'idée selon laquelle, quoi qu'il puisse advenir à cette cause, si redoutables que soient les forces qui l'attaqueront encore, si nombreux les revers qu'elle subira inévitablement, sa marche en avant ne pourra jamais être arrêtée, et elle continuera à progresser jusqu'à ce que l'ultime promesse, enchâssée dans les paroles de Bahá'u'lláh, ait été totalement accomplie.

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NOTE DE L'EPILOGUE:

(ep.1) Mírzá Abu'l-Fadl cite, dans son "Far'id' '(pp. 50-51), la remarquable tradition suivante de Muhammad, qui est reconnue comme une authentique parole du Prophète et à laquelle se réfère Siyyid 'Abdu'l-Vahháb-i-Sha'rání dans son ouvrage intitulé: "Kitábu'l-Yaváqít-i-va'l-Javáhir": "Tous les compagnons du Qá'im seront tués, sauf Un qui atteindra la plaine d' 'AkKá, la Salle de Banquet de Dieu." Le texte entier est également mentionné, selon Mírzá Abu'l-Fadl, par Shaykh Ibnu'l-'Arabi dans son "Futúhát-i-makkíyyih."

(ep.2) "Un réceptacle creux, à peu près de la taille et de la forme d'une noix de coco, autour de l'orifice duquel sont attachées deux chaînes en quatre points, pour servir de poignée. Est utilisé par les dervíshs comme aumônière." ("A Traveller's Narrative", p. 51, note 3.)

(ep.3) "Excellence, Après l'exécution de ces mesures énergiques de la part du gouvernement persan en vue de l'extirpation et de l'extermination de la secte dévoyée et détestable des bábís, dont Votre Excellence connaît bien les détails [allusion à la grande persécution des Bábís à Tihrán durant l'été 1852], grâce à Dieu, par l'attention de l'esprit impérial de Sa toute-puissante Majesté, dont le rang est égal à celui de Jamshíd, le refuge de la vraie religion - que nos vies lui soient sacrifiées! -, leurs racines ont été extirpées." (Extrait d'une lettre adressée par Mírzá Sa'íd Khán, ex-ministre des Affaires étrangères de Perse, à l'ambassadeur de Perse à Constantinople, datée du 12 dhu'l-Hijjih 1278 (10 mai 1862). Le fac-similé et la traduction de ce document sont reproduits dans l'ouvrage d'E.G. Browne intitulé "Materials for the Study of the Bábí Religion", p. 283.)

(ep.4) "Ce fut un terrible voyage à travers des régions montagneuses, et les voyageurs souffrirent énormément d'être exposés aux intempéries." (Dr. T.K. Cheyne: "The Reconciliation of Races and Religions", p. 121.)

(ep.5) Mais, autant que sa hardiesse à revendiquer son autorité divine, remarquable est sa modération lorsqu'il insiste sur le fait que cette autorité n'est pas définitive. Il se sentait habilité à (et chargé de) révéler beaucoup de choses mais sentait, avec une égale certitude, qu'il y avait infiniment plus à révéler dans l'avenir. En cela résidait sa grandeur. Et en cela résidait son plus grand sacrifice. Ainsi risquait-il l'abaissement de sa renommée personnelle. Mais il assura la poursuite de sa mission... Il assura le développement du mouvement qu'il avait lancé. Il n'était lui-même qu une lettre de ce très-puissant livre, une goutte de cet océan sans limites... Telle fut l'humilité du vrai discernement. Et elle produisit ses effets. Son mouvement s'est développé, et il a encore devant lui un grand avenir." (Sir Francis Younghusband: "The Gleam", pp. 210-11.)

(ep.6) Aux jours où j 'étais emprisonné dans la Terre de Tâ [Tihrán], bien que le tourment des chaînes et des odeurs fétides me laissait peu de sommeil, il arrivait parfois que j'eusse la sensation que• quelque chose coulait sur ma poitrine, tel un puissant torrent qui, du sommet d'une montagne altière, se précipite sur la terre. Alors tous mes membres semblaient avoir été enflammés. A de tels moments, ma langue récitait ce que les oreilles des mortels ne pouvaient entendre." ("l'Épître au fils du Loup", p. 23.)

(ep.7) Gobineau, écrivant aux alentours de l'an 1865, atteste ce qui suit: "L'opinion générale est que les Bábís sont répandus dans toutes les classes de la population et parmi tous les religionnaires de la Perse, sauf les Nusayrís et les Chrétiens; mais ce sont surtout les classes éclairées, les hommes pratiquant les sciences du pays, qui sont donnés comme très suspects. On pense, et avec raison, semble-t-il, que beaucoup de mullás, et parmi eux des mujtahids considérables, des magistrats d'un rang élevé, des hommes qui occupent à la cour des fonctions importantes et qui approchent de près la personne du roi, sont des Bábís.
D'après un calcul fait récemment, il y aurait à Tihrán cinq mille de ces religionnaires sur une population de quatre-vingt mille âmes à peu près. Mais les arguments à l'appui de ce calcul ne semblent pas bien solides, et j 'incline à croire que si jamais les Bábís avaient le dessus en Perse, leur nombre dans la capitale se trouverait bien plus considérable. Car au même instant, on devra ajouter au chiffre des zélés, quel qu'il soit à cette heure, l'appoint d'une forte proportion de gens qui inclinent vers les doctrines aujourd'hui condamnées, et auxquels la victoire donnerait le courage de se prononcer." (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 251.)
"Un demi-siècle ne s'est pas écoulé depuis que Mírzá 'Alí-Muhammad, le jeune prophète de Shíráz, commença à prêcher la religion dont les martyrs se comptent par centaines et les adeptes par centaines de mille, qui parut en un temps menacer la suprématie tant de la dynastie Qájár que de la foi musulmane en Perse, et qui peut encore - ce n'est pas improbable - s'avérer un facteur important de l'histoire de l'Asie occidentale." (E.G.Browne: Introduction au "Táríkh-i-Jadíd", p. 7.)
"Le Bábísme", écrit le Prof. James Darmesteter, qui s'est propagé en moins de cinq années d'un confin à l'autre de la Perse, qui, en 1852, fut baigné dans le sang de ses martyrs, s'est silencieusement développé et propagé. Si la Perse doit être effectivement régénérée, ce sera par cette nouvelle foi." (Extrait de «Persia: A Historical and Literary Sketsch», traduit par GEl. Narimán.) Si le Bábísme poursuit sa croissance au rythme actuel, on peut concevoir qu'un temps viendra où il supplantera, en Perse, la foi islamique.
Ce que, selon moi, il ne serait pas amené à faire s'il apparaissait sur terre sous la bannière d'une foi hostile. Mais comme ses adeptes sont recrutés parmi les meilleurs soldats de la garnison qu'il attaque, l'on est plus fondé à croire qu'il peut finalement prévaloir. Pour ceux qui connaissent tant soit peu le caractère persan, si extraordinairement sensible comme il l'est aux influences religieuses, il apparaîtra clairement que la nouvelle croyance réussit à attirer à elle de nombreuses classes sociales de ce pays.
Les súfís - ou mystiques - soutiennent depuis fort longtemps qu'il doit toujours y avoir un pír - ou prophète - charnellement visible, et ils sont aisément absorbés dans le bercail Bábí. Même le musulman orthodoxe, dont la pensée a toujours été tournée vers l'Imám disparu, est sensible au raisonnement convaincant selon lequel on cherche à prouver que le Báb, ou Bahá, est le Mihdí, selon toutes les prédictions du Qur'án et les traditions musulmanes. La vie pure et douloureuse du Báb, sa mort ignominieuse, l'héroïsme et le martyre de ses disciples, attireront beaucoup d'autres gens qui ne peuvent trouver de phénomènes semblables dans les annales contemporaines de l'Islám." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", vol. 1, p. 503.)
L'auteur, commentant, dans le même chapitre, les perspectives de l'entreprise missionnaire des chrétiens de Perse, écrit ce qui suit: "La Perse a toujours été décrite comme la plus encourageante parmi les contrées où s'exerce l'oeuvre missionnaire en Orient.
Tout en étant conscient de l'oeuvre précieuse accomplie dans ce pays par les représentants des sociétés missionnaires anglaises, françaises et américaines, par la propagation de l'éducation, par les manifestations de charité, par la fourniture gratuite de l'assistance médicale, par la force de l'exemple, et sans suggérer aucunement que ces pieux efforts doivent être relâchés, je suis incapable, à la lumière des connaissances dont je dispose, d'adhérer à une prédiction aussi optimiste de l'avenir." (p. 504.)
"... En Perse, toutefois, les propres divergences sectaires entre les communautés chrétiennes ne sont pas le moindre obstacle auquel elles sont confrontées, et les musulmans sont parfaitement fondés à se moquer de ceux qui les invitent à rejoindre un troupeau dont les membres professent, les uns envers les autres, un amour aussi amer.
Les protestants se querellent avec les catholiques romains, les presbytériens avec les épiscopaliens, les nestoriens protestants n'apprécient guère les nestoriens proprement dits et ceux-ci, à leur tour, ne sont pas en rapport harmonieux avec les chaldéens, ou nestoriens catholiques. Les Arméniens jettent un regard désapprobateur sur les Arméniens unis (ou catholiques), et ils entravent tous deux les efforts des missions protestantes.
Enfin, l'on peut compter en général sur l'hostilité des Juifs. Dans les divers pays d'Orient où j'ai voyagé, de la Syrie au Japon, j'ai été frappé par l'étrange et, à mes yeux, douloureux phénomène de groupes missionnaires menant la plus noble des guerres sous la bannière du Roi de la Paix avec des armes fratricides." (pp. 507-8.)
"... Si, donc, le critère de l'oeuvre missionnaire en Perse est le nombre des convertis gagnés à l'islám, je n'hésite pas à dire que les prodigieuses dépenses en argent, en efforts sincères consacrés à ce pays ont produit des résultats totalement inadéquats. De jeunes musulmans ont parfois été baptisés par des missionnaires chrétiens, mais ceci ne doit pas être trop aisément confondu avec la conversion, car la grande masse de ces nouveaux venus retournent à la foi de leurs pères et je me demande si, depuis le jour où Henry Martyn mit le pied à Shíráz, une demi-douzaine de musulmans persans ont sincèrement embrassé la foi chrétienne.
J'ai moi-même souvent cherché à rencontrer un musulman converti, mais en vain. (J'exclus évidemment ces épaves humaines ou ces orphelins de parents musulmans qui sont élevés, dès l'enfance, dans des écoles chrétiennes.)
Et je ne suis pas surpris de la plus totale démonstration d'échec. Laissant de côté les affirmations dogmatiques du christianisme (p.ex. la doctrine de la Trinité et la divinité du Christ), qui sont si incompatibles avec la conception mahométane de l'unité de Dieu, nous ne pouvons considérer avec beaucoup d'étonnement la répugnance d'un musulman à renier sa foi si nous nous souvenons que le châtiment d'un tel acte est la mort. Les chances de conversion sont, en fait, très lointaines tant que le corps ainsi que l'âme du converti sont mis dans la balance.
Mais les appréhensions individuelles, même si elles constituent un important facteur, ne sont pas un élément décisif de la situation. C'est contre le rempart inexpugnable de l'islám, en tant que système embrassant chaque domaine, chaque tâche et chaque acte de la vie, que se heurtent en vain les vagues de l'effort missionnaire. Merveilleusement adapté tant au climat qu'à la nature et aux activités des pays sur lesquels il a placé son inflexible emprise, l'islám tient son adepte en totale servitude, du berceau à la tombe. Pour celui-ci, ce n'est pas seulement une religion, c'est aussi le gouvernement, la philosophie et la science.
Le concept musulman n'est pas tant celui d'une Église-État que, si l'on peut dire, d'un État-Église. Les fondations qui faussent la société elle-même ne sont pas de structure civile mais religieuse et, enveloppé dans cette croyance superbe et pourtant paralysante, le musulman vit dans une renonciation acceptée de tout désir; il estime que son devoir le plus noble est d'adorer Dieu et de contraindre - ou, sinon, de mépriser - ceux qui ne l'adorent point en esprit, et il meurt ensuite dans la ferme espérance du paradis.
Tant que ce code de vie irrésistible et universel tiendra dans son emprise un peuple oriental, déterminant chaque devoir et chaque acte de l'existence, et apportant finalement un salut assuré, les trésors et les abnégations missionnaires seront dépensés en vain. En vérité, une active propagande est, à mes yeux, la pire des politiques que puisse adopter une mission chrétienne dans un pays musulman fanatique, et la tolérance même dont j'ai crédité le gouvernement persan est, dans une large mesure, due au fait que les missionnaires chrétiens s'abstiennent prudemment de tout prosélytisme déclaré." (pp. 508-9.)

(ep.8) Gobineau, écrivant en 1865 environ, donne le témoignage suivant: "Ainsi, le Bábísme a pris une action considérable sur l'intelligence de la nation persane, et, se répandant même au-delà des limites du territoire, il a débordé dans le pachalick de Baghdád, et passé aussi dans l'Inde. Parmi les faits qui le concernent, on doit noter comme un des plus curieux que, du vivant même du Báb, beaucoup de docteurs de la religion nouvelle, beaucoup de ses sectateurs les plus convaincus, les plus dévoués, n'ont jamais connu personnellement leur prophète, et ne paraissent pas avoir attaché une importance de premier ordre à recevoir ses instructions de sa propre bouche.
Cependant ils lui rendaient complètement et sans réserve aucune les honneurs et la vénération auxquels, dans leur façon de voir, il avait certainement droit.» (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 255.)

(ep.9) Elle y court, et voilà comme, mathématiquement, s'est produit un mouvement religieux tout particulier dont l'Asie centrale, c'est-à-dire la Perse, quelques points de l'Inde et une partie de la Turquie d'Asie, aux environs de Baghdád, est aujourd'hui vivement préoccupée - mouvement remarquable et digne d'être étudié à tous les titres. Il permet d'assister à des développements de faits, à des manifestations, à des catastrophes telles que l'on n'est pas habitué à les imaginer ailleurs que dans les temps reculés où se sont produites les grandes religions ...
J'avoue même que, si je voyais en Europe une secte d'une nature analogue au Bábísme se présenter avec des avantages tels que les siens - foi aveugle, enthousiasme extrême, courage et dévouement éprouvés, respect inspiré aux indifférents, terreur profonde inspirée aux adversaires, et de plus, comme je l'ai dit, un prosélytisme qui ne s'arrête pas, et dont les succès sont constants dans toutes les classes de la société; si je voyais, dis-je, tout cela exister en Europe, je n'hésiterais pas à prédire que, dans un temps donné, la puissance et le sceptre appartiendront, de toute nécessité, aux possesseurs de ces grands avantages." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 116, 293-4.)
"Il me semble que l'histoire du mouvement bábí doit intéresser, de différentes manières, d'autres hommes que ceux qui sont directement occupés à l'étude de la langue persane. À l'étudiant de la pensée religieuse, elle apportera ample matière à réflexion, car il peut observer ici des personnalités qui, au fil des temps, se transforment en héros et en demi-dieux encore inviolés par le mythe et par la fable; il peut considérer, à la lumière de témoignages concordants et indépendants, l'un de ces étranges accès d'enthousiasme, de foi, de fervente dévotion et d'indomptable héroïsme - ou de fanatisme, si l'on veut - que nous avons coutume d'associer à l'histoire antérieure de la race humaine; il peut observer, en un mot, la naissance d'une foi qui - ce n'est pas impossible - pourrait gagner une place parmi les grandes religions du monde.
Pour l'ethnologue aussi, l'histoire du mouvement Bábí peut être matière à réflexion sur la nature d'un peuple qui, stigmatisé comme il l'a souvent été en matière d'égoïsme, de vénalité, d'avarice, d'égocentrisme et de couardise, est pourtant capable de manifester, sous l'influence d'une forte impulsion religieuse, un degré de dévouement, d'abnégation, de générosité, de noblesse et de courage qui a bien son parallèle dans l'histoire humaine, mais qui ne saurait guère être surpassé.
Pour l'homme politique également, le thème n'est pas dénué d'importance: quelles transformations ne peuvent en effet être opérées dans un pays considéré actuellement presque comme un zéro, dans l'équilibre des forces nationales, par une religion capable de susciter un esprit aussi puissant? Ceux qui savent ce que Muhammad fit de s Arabes, que ceux-là considèrent ce que le Báb peut encore faire des Persans." (Introduction, par E.G. Browne, à "A Traveller's Narrative", pp. 8-9.)
Donc, ici, à Bahjí, je fus installé en qualité d'invité, au milieu de tout ce que le Bábísme compte de plus noble et de plus sacré; et c'est ici que je passai cinq jours très mémorables, au cours desquels je bénéficiai d'occasions sans pareilles et inespérées de m'entretenir avec ceux qui sont les sources de ce puissant et prodigieux esprit, qui oeuvre avec une force invisible mais toujours croissante en faveur de la transformation et de la revivification d'un peuple plongé dans un sommeil semblable à la mort. Ce fut, en vérité, une étrange et émouvante expérience, dont je désespère de pouvoir transmettre autre chose que la plus vague impression.
Je pourrais, certes, tenter de décrire en détail les visages et les formes qui m'entouraient, les conversations que j'ai eu le privilège d'écouter, la lecture solennelle et mélodieuse des livres sacrés, la sensation générale d'harmonie et de contentement qui envahissait le lieu, les jardins embaumés et ombragés où parfois nous nous rendions dans l'après-midi, mais tout ceci n'était rien en comparaison avec l'atmosphère spirituelle qui m'enveloppait.
Les musulmans de Perse vous diront souvent que les bábís ensorcellent ou enivrent leurs invités afin que ceux-ci, mus par une fascination à laquelle ils ne peuvent résister, deviennent influencés par ce que les musulmans considèrent comme une étrange et incompréhensible folie. Si vaine et absurde que soit cette croyance, elle repose toutefois sur un ensemble de faits plus probants que ne le sont les autres allégations concernant les Bábís.
L'esprit qui habite ces derniers est tel qu'il ne saurait manquer d'affecter très profondément tous ceux qui subissent son influence. Il peut consterner ou attirer: il ne peut être consciemment ignoré, ou dédaigné. Que ceux qui n'ont pas vu ne me croient pas s'ils le veulent mais, si cet esprit se révèle un jour à eux, ils ressentiront une émotion qu'ils ne sont pas près d'oublier." (Ibid., pp. 38-9.)
"L'on voit donc que, dans son organisation externe, le bábísme a subi des changements importants et radicaux depuis son apparition, il y a un demi-siècle, en tant que force de prosélytisme. Ces changements n'ont toutefois nullement entravé mais semblent, au contraire, avoir stimulé sa propagation qui a progressé avec une rapidité inexplicable pour ceux qui ne peuvent y voir qu'une forme d'agitation politique ou même métaphysique. Les estimations les plus prudentes fixent à un demi-million le nombre actuel des Bábís en Perse. Et, me fondant sur les entretiens que j'ai eus avec des personnes très qualifiées, je suis prêt à penser que ce total est proche du million.
L'on trouve en effet des Bábís dans toutes les couches sociales, depuis les ministres et les nobles de la cour jusqu'aux éboueurs et aux petits employés, et même parmi les religieux musulmans. Comme on l'aura noté, le mouvement a été inauguré par des siyyids, des Hájís et des mullás, c'est-à-dire par des personnes qui, soit par leur origine, leurs pieuses inclinations ou leur profession, étaient intimement concernées par la foi islamique; et c'est même parmi les adeptes avoués de la foi qu'ils continuent à obtenir des conversions.
De nombreux Bábí s sont bien connus comme tels mais, tant qu'ils font preuve de circonspection, ils demeurent à l'abri de l'intrusion ou de la persécution. Dans les couches les plus humbles, le fait est généralement dissimulé par crainte de fournir une excuse à la rancoeur superstitieuse de leurs supérieurs.
Tout récemment, les bábís ont remporté de grands succès dans le camp d'un autre ennemi, s'étant assuré de nombreux prosélytes parmi la population juive des villes de Perse. J'apprends que, l'année dernière, ils auraient fait cent cinquante convertis parmi les juifs de Tihrán, cent à Hamadán, cinquante à Káshán, et 75% des juifs de Gulpáyigán auraient embrassé la foi bahá'íe (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", vol. 1, pp. 499-500.)
"De ce peuple subtil", écrit le Dr. J. Estlin Carpenter, "est issu le plus remarquable mouvement qu'ait produit l'Islám moderne... Des disciples se sont rassemblés autour de lui, et le mouvement n'a pas été freiné par son arrestation, son emprisonnement durant six années et, enfin, son exécution en 1850... Il prétend aussi être un enseignement universel; il a déjà sa noble armée de martyrs et ses livres sacrés; la Perse a-t-elle, au milieu de ses misères, donné naissance à une religion qui fera le tour du monde?" ("Comparative Religion", pp. 70, 71.)
"Une fois encore dans l'histoire du monde", écrit le Prof. E.G. Browne, "l'Orient a justifié sa prétention à enseigner la religion à l'Occident et à détenir dans le monde spirituel cette prééminence que les nations occidentales détiennent dans le domaine matériel." (Introduction à l'ouvrage de M.H. Phelps intitulé: "Life and Teachings of 'Abbás Effendi", p. 15.) "Il semble certain qu'au point de vue religieux, et surtout au point de vue moral, le Bábísme marque un progrès sur l'Islám oriental; on peut soutenir, avec M. Vambéry (Académie, 12 mars, 1892), que son chef a émis des doctrines dignes des plus grands penseurs...
Dans tous les cas, le développement du Bábísme est un épisode intéressant de l'histoire des religions et des civilisa-rions modernes. Et puis, après tout, ceux-là qui le vantent ont peut-être raison; il se peut que du Bábísme sorte un jour la régénération des peuples persans, même de l'Islám tout entier, qui en a besoin; et, malheureusement, il n'est guère de régénérations de peuples qui ne soient accompagnées d'une grande effusion de sang." (M.J. Balteau: "Le Bábísme", p. 28.)

(ep.10) Titre d' 'Abdu'l-Bahá.

(ep.11) "Le caliphat débuta par l'élection d'Abú-Bakr en l'an 632 ap. J-C. et dura jusqu'en 1258 ap. J.-C., lorsque Hulagu Khán saccagea Baghád et mit à mort Mu'tasim-Bi'lláh. Pendant près de trois siècles après cette catastrophe, le titre de caliphe fut perpétué en Égypte par des descendants de la Maison d' 'Abbás qui vécurent, sous la protection de ses souverains mamelouks, jusqu'en 1517 ap.J.C., année où Sultan Salím, l'Ottoman, ayant conquis la dynastie mamelouke, incita le caliphe déchu à lui en transférer le titre et l'insigne." (P.M. Sykes: "A History of Persia", vol. Il, p. 25.)


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ANNEXE A L'INTRODUCTION

Sommaire de l'introduction :

1) Introduction
2) L'état de décadence de la perse au milieu du dix-neuvième siècle
2.A) Les souverains Qájár
2.B) Le gouvernement
2.C) Le peuple
2.D) L'ordre ecclésiastique
2.E) Conclusion
3) Hommage de bahá'u'lláh au báb et à ses principaux disciples
4) Traits distinctifs de l'islám shí'ah
5) Généalogie du prophète Muhammad
6) Théorie et administration de la loi en Perse au milieu du dix-neuvième siècle
7) Glossaire


1) Introduction

L'introduction est placée au début de l'ouvrage.


2) L'état de décadence de la perse au milieu du dix-neuvième siècle

2.A) Les souverains Qájár

"En théorie, le roi peut faire ce qu'il veut; sa parole fait loi. Le proverbe qui dit que "La loi des Mèdes et Perses ne change pas" était simplement une ancienne périphrase pour décrire l'absolutisme du souverain. Il nomme et il peut révoquer tous les ministres, les fonctionnaires et les juges. Sans en référer à aucun tribunal, il a le pouvoir de vie et de mort sur sa propre famille, sur ses proches ainsi que sur les fonctionnaires civils et militaires qu'il emploie. Les biens de ces personnes, si elles tombent en disgrâce ou si elles sont exécutées, lui reviennent.
Le droit de mettre à mort lui revient exclusivement, mais peut être délégué à des gouverneurs ou à des subalternes. Tous les biens qui n'ont pas été précédemment accordés par la couronne ou achetés - tous les biens, en fait, dont la propriété légale ne peut être établie - lui appartiennent et il peut en disposer comme il l'entend. Tous les droits ou privilèges, - tels que la réalisation de travaux publics, l'exploitation des mines, l'établissement de télégraphes, de routes, de chemins de fer, de tramways, etc., l'exploitation, en fait, de n'importe laquelle des ressources du pays, - lui sont conférés et doivent lui être achetés avant d'être assumés par d'autres.
En sa personne se mêlent les trois fonctions du gouvernement: législative, exécutive et judiciaire. Il ne lui est imposé aucune obligation sinon l'observance des formes extérieures de la religion nationale. Il est le pivot sur lequel repose tout le mécanisme de la vie publique.

"C'est cela, en théorie et jusque récemment en pratique, le caractère de la monarchie persane. Et aucune de ces hautes prétentions n'a été ouvertement abandonnée. Le langage dans lequel le sháh s'adresse à ses sujets et dans lequel ceux-ci s'adressent à lui rappelle le ton orgueilleux d'un Artaxerxès ou d'un Darius parlant aux millions de ses sujets, et que l'on peut encore lire, gravé sur les murs de rochers et sur les tombes.
Il reste le Sháhinsháh ou roi des rois, le Zillu'lláh ou ombre de Dieu, le Qibliy-i-'Álam ou centre de l'univers; "Exalté comme la planète Saturne; puits de science; chemin du ciel; souverain sublime dont l'étendard est le soleil, dont la splendeur est celle du firmament; monarque d'armées aussi nombreuses que les étoiles."
Pourtant, le sujet persan aurait pu faire sien le précepte de Sa'dí selon lequel "le vice approuvé par le roi devient vertu; rechercher un avis opposé équivaut à se tremper les mains dans son propre sang." La marche du temps n'a imposé au sháh ni Conseil religieux ni Conseil séculier, ni 'ulamá', ni Sénat. Aucune institution élue et représentative de nature irrévérentieuse n'a fait irruption sur la scène. Il n'existe aucune restriction écrite aux prérogatives royales.

"... L'auréole divine qui entoure le trône de Perse est telle que non seulement le sháh n'assiste jamais aux dîners d'Etat ni ne mange à table avec ses sujets, à l'unique exception près du banquet de ses principaux parents de sexe masculin à Naw-rúz, mais encore que l'attitude et le langage adoptés envers lui-même par ses ministres les plus proches sont ceux d'une obéissance et d'une adulation serviles.
"Que je sois votre sacrifice, asile de l'univers" est la façon courante de s'adresser à lui qu'adoptent ses sujets, même ceux du plus haut rang. Dans son entourage, il n'y a personne pour lui dire la vérité ou pour lui donner un avis impartial. Il est probable que les ministres des Affaires étrangères sont presque les seules personnes de qui il apprend les faits réels ou reçoit des avis sincères, bien qu'intéressés.
Avec les meilleures intentions du monde, pour entreprendre de grands projets ou pour l'amélioration de son pays, il n'a que peu ou pas du tout de contrôle sur l'exécution d'une entreprise une fois qu'il l'a déléguée et qu'elle est devenue le jeu de fonctionnaires corrompus ne recherchant que leur propre intérêt. La moitié des crédits votés avec son consentement n'arrivent jamais à leur destination, mais restent dans toutes les poches intermédiaires avec lesquelles l'astuce professionnelle les met en contact temporaire; la moitié des projets autorisés par le sháh ne sont jamais réalisés, le ministre ou le fonctionnaire responsable faisant confiance aux caprices oublieux du souverain, qui ne s'apercevra pas de sa négligence du devoir.

"... Il y a un siècle encore régnait le système abominable consistant à ôter la vue aux aspirants éventuels au trône, à infliger des mutilations sauvages, à imposer des captivités à vie, à perpétrer des massacres sans discernement et des tueries systématiques. Les disgrâces n'étaient pas moins soudaines que les promotions, et la mort était souvent concomitante de la disgrâce.

"... Fath-'Alí Sháh ... et ses successeurs après lui, se sont montrés si extraordinairement prolifiques en héritiers máles que la continuité de la dynastie a été assurée; et il n'y a probablement pas de famille régnante au monde qui, en l'espace de cent ans, se soit multipliée jusqu'à atteindre de telles dimensions, si ce n'est la race royale de Perse... Ni par le nombre de ses femmes ni par celui de sa progéniture, le sháh, bien qu'indubitablement un homme s'intéressant à la famille, ne peut être comparé à son arrière-grand-père Fath-'Alí Sháh.
C'est à la haute opinion dans laquelle sont universellement tenues les capacités de ce monarque que l'on doit attribuer, j'imagine, les estimations divergentes, que l'on trouve dans les ouvrages sur la Perse, du nombre de ses concubines et de ses enfants. Le colonel Drouville, en 1813, le crédite de 700 femmes, 64 fils et 125 filles.
Le colonel Stuart, qui se trouvait en Perse dans l'année qui a suivi la mort de Fath'Alí, lui attribue 1.000 femmes et 105 enfants... Madame Dieulafoy cite aussi les 5.000 descendants, mais les fait vivre 50 ans plus tard (ce qui a l'air d'être plus probable)... L'estimation publiée dans le Násikhu't-Tavárikh, grand ouvrage historique persan moderne, fixe à plus de 1.000 le nombre de femmes de Fath-'Alí et à 260 celui de ses descendants, dont 110 ont survécu à leur père, d'où le proverbe persan bien connu: "Les chameaux, les puces et les princes existent partout."...
Aucune famille royale n'a jamais fourni une illustration plus exemplaire de ce que dit l'Écriture: "Au lieu de tes parents tu auras des enfants, dont tu pourras faire des princes dans tous les pays"; car il n'y avait guère en Perse de "gouvernorat" ni de poste comportant des émoluments qui ne soit occupé par l'un des petits princes de cette ruche; et, à ce jour, les myriades de sháh-zádihs, ou descendants du roi, sont une parfaite malédiction pour le pays, bien qu'un grand nombre de ces malheureux rejetons de la royauté qui consomment en allocations annuelles et en pensions une large partie du revenu national, remplissent actuellement des fonctions très inférieures en tant que télégraphistes, secrétaires, etc.
Fraser a fait une peinture très nette des malheurs causés au pays il y a cinquante ans (1842) par cette "race de fainéants royaux" qui envahissaient les postes du gouvernement non seulement de chaque province, mais encore de tout bulúk ou district, ville ou village; chacun d'entre eux entretenait une cour et un harem immense et ils se jetaient sur le pays comme un essaim de sauterelles...
Fraser, passant par l'Adhirbáyján en 1834 et observant les résultats calamiteux du système dans le cadre duquel Fath-'Alí Sháh avait réparti sa colossale progéniture mále dans chaque poste gouvernemental à travers le pays, remarque: "La conséquence la plus manifeste de cet état de choses est une haine intégrale et universelle de la race Qájár; c'est le sentiment prévalant dans chaque coeur et le thème de chaque conversation."

"... De même que, au cours de ses voyages en Europe, il (Násiri'd-Dín Sháh] rassembla un grand nombre de ce qui apparaissait à l'esprit oriental comme des curiosités extraordinaires mais qui, depuis lors, ont été entassées dans les divers appartements du palais ou mises de côté et oubliées, de même, dans le domaine plus vaste de la politique nationale et de l'administration, entreprend-il continuellement de pousser à de nouvelles réalisations ou inventions qui, lorsque son caprice a été satisfait, sont négligées ou laissées de côté.
Une semaine, c'est le gaz; une autre, l'éclairage électrique. Une fois, c'est un collège militaire, une autre fois un hôpital militaire. Aujourd'hui, c'est un uniforme russe; hier, c'était un cuirassé allemand pour le golfe Persique. Un nouveau décret sur l'armée est publié cette année; un nouveau code de lois est promis pour l'année prochaine. Rien ne sort de ces brillants projets, et les débarras du palais ne sont pas moins remplis de mécanismes cassés et de bric-à-brac mis au rancart que les étagères des bureaux du gouvernement ne le sont de réformes avortées et d'échecs sans issue.

"... Dans une chambre haute du même pavillon, Mírzá Abu'l-Qásim, le Qá'im-Maqám ou Grand vazír de Muhammad Sháîh (père du monarque actuel) fut étranglé en 1835, sur ordre de son maître royal, qui suivit en cela l'exemple de son prédécesseur et dont l'exemple fut dûment suivi par son fils. Il doit être rare dans l'Histoire de trouver trois souverains successifs qui ont mis à mort, pour de simples raisons de jalousie, les trois ministres qui, selon le cas, les ont portés sur le trône ou remplissaient au moment de leur chute les fonctions les plus hautes de l'Etat. Telle fut la triple distinction des Shîhs Fath-'Alí, Muhammad et Násiri'd-Dín.


2.B) Le gouvernement

"Dans un pays si arriéré au point de vue constitutionnel, si pauvre en formes légales, en statuts et en chartes, si fermement stéréotypé dans les traditions immémoriales de l'Orient, l'élément personnel est, comme on peut s'y attendre, largement prépondérant; et le gouvernement de la Perse n'est guère autre chose que l'exercice arbitraire de l'autorité au moyen d'une série d'unités dans l'échelle descendante, qui va du souverain aux chefs des petits villages.
Le seul frein agissant sur les subalternes est la crainte de leurs supérieurs, moyen qui généralement les calme; sur les grades élevés, c'est la crainte du souverain, qui n'est pas toujours sourd à cette méthode de pacification; et sur le souverain lui-même, la crainte, non pas de l'opinion intérieure mais de l'opinion étrangère telle qu'elle est représentée par les critiques hostiles de la presse européenne...
Le sháh, en fait, peut être considéré à l'heure présente comme le meilleur spécimen existant d'un despote modéré; car, dans les limites indiquées ci-dessus, il est pratiquement irresponsable et omnipotent. Il a la maîtrise absolue sur la vie et les biens de tous ses sujets. Ses fils n'ont pas de pouvoir indépendant et, en un clin d'oeil, ils peuvent être réduits à l'impuissance ou à la mendicité. Les ministres sont promus ou dégradés selon le bon plaisir royal. Le souverain assure seul l'exécutif, et tous les fonctionnaires lui sont soumis. Aucun tribunal civil n'existe pour contrôler ou modifier ses prérogatives.

"... Sir J. Malcolm, dans son "Histoire", écrit au début du siècle ce qui suit concernant le caractère général et les qualités des ministres de la cour de Perse: "Les ministres et les principaux fonctionnaires de la cour sont presque toujours des gens aux bonnes manières, compétents pour les questions relatives à leurs tâches respectives, à la conversation agréable, au caractère doux et à l'observation très fine; mais, en général, ces qualités agréables et utiles sont tout ce qu'ils possèdent.
Et l'on ne doit d'ailleurs pas s'attendre à de la vertu ou à des connaissances libérales chez des hommes qui gaspillent leur vie à respecter les formes, dont les moyens de subsistance proviennent des sources les plus corrompues, dont les occupations sont des intrigues qui ont toujours le même objet: se sauvegarder soi-même ou ruiner les autres, qui ne peuvent, sans encourir de danger, parler un langage autre que celui de la flatterie, de la tromperie, et qui, en bref, sont condamnés par leur position à être vénaux, faux et riches de subterfuges.

Il y a en Perse, sans aucun doute, un grand nombre de ministres qu'il serait injuste de classer dans cette catégorie générale; or, même les plus distingués par leurs vertus et leurs talents ont été contraints, dans une certaine mesure, à accommoder leurs principes à leur état; et, à moins que la confiance témoignée par leur souverain ne les ait débarrassés de la crainte de leurs rivaux, la nécessité les a forcés à pratiquer la servilité et la dissimulation, en désaccord avec la vérité et l'intégrité qui, seules, peuvent constituer le fondement du respect que tous sont disposés à accorder aux hommes grands et bons." Ces observations sont empreintes de la perspicacité et de la justice caractéristiques de leur auteur distingué, et l'on peut craindre qu'elles ne soient valables, dans une grande mesure, tant pour la génération actuelle que pour les générations anciennes."


2.C) Le peuple

"... J'en viens maintenant à ce qui est le trait cardinal et caractéristique de l'administration iranienne. On peut dire que le gouvernement, et la vie elle-même, dans ce pays, consistent en grande partie en un échange de cadeaux. On peut supposer que, dans ses aspects sociaux, cette pratique reflète les sentiments généreux d'un peuple amical, mais il y a en cela un côté sinistrement non émotionnel quand, par exemple, vous vous félicitez d'avoir reçu un cadeau, et que vous vous apercevez que vous devez faire au donateur un cadeau de coût équivalent, mais que vous devez aussi rémunérer libéralement le porteur du cadeau (pour qui votre don est très probablement l'unique moyen de subsistance), selon la valeur pécuniaire du présent.
Dans ses aspects politiques, la pratique de faire des cadeaux, bien que consacrée par les traditions tenaces de l'Orient, est synonyme d'un système décrit ailleurs en des termes moins agréables. C'est le système qui a prévalu pour le gouvernement de la Perse depuis des siècles et dont le maintien constitue un obstacle absolu à toute réforme réelle.
Du sháh aux subalternes, jusqu'en bas de l'échelle, il n'y a guère de fonctionnaires à l'abri des cadeaux, guère de postes qui ne soient confiés en échange de cadeaux, guère de revenus qui n'aient été amassés par accumulation de cadeaux. Chaque personne, presque sans exception, de la hiérarchie officielle mentionnée ci-avant n'a dû son poste qu'à un cadeau en argent soit au sháh, soit à un ministre, soit au gouverneur supérieur en grade grâce auquel il a été nommé. S'il y a plusieurs candidats pour un poste, en toute probabilité celui qui fait l'offre la plus alléchante l'emportera.

"... Le "madákhil" est, en Perse, une institution nationale bien-aimée dont l'exaction, sous mille formes différentes, et dont l'ingéniosité n'égalent que la multiplicité; elle est l'intérêt primordial et la joie de l'existence des Persans. Ce terme remarquable, pour lequel M. Watson écrit qu'il n'y a pas d'équivalent précis en anglais, peut se traduire diversement par commission, gratification, amabilité, rémunération, pourboire douteux et vol, bénéfice, selon le contexte. Généralement, cela signifie la marge d'avantages personnels, sous forme d'argent, qui peut être retirée de n'importe quelle transaction.
Une négociation dans laquelle sont concernées deux parties, le donateur et le bénéficiaire, le supérieur et le subordonné, ou même deux fonctionnaires de rang égal, ne peut avoir lieu en Perse sans que la partie présentée comme l'auteur de la faveur accordée ou du service rendu ne demande et ne reçoive un bénéfice précis en espèces pour ce qu'il a fait ou donné.
L'on peut dire évidemment que la nature humaine est à peu près la même partout dans le monde, qu'il existe un système similaire, sous un autre nom, dans notre pays ou à l'étranger, et que le critique philosophe accueillera, chez le Persan, un homme et un frère. Dans une certaine mesure, cela est vrai mais, dans aucun pays du monde que je connaisse ou dont j'aie entendu parler, le système n'est si ouvertement cynique ni si universel qu'en Perse.
Loin de se limiter à la sphère de l'économie interne ou aux transactions commerciales, il pénètre dans toutes les actions et inspire la plupart des actes de la vie. Du fait de ce système, on peut dire que la générosité ou la prestation de services gratuits ont été effacées, en Perse, de la catégorie des vertus sociales, et que la cupidité a été élevée en un principe dictant la conduite des hommes... .
Grâce à cela, on institue une progression arithmétique des butins du souverain aux sujets: chaque personne de cette gamme descendante se rémunérant auprès de la personne immédiatement inférieure à elle dans la hiérarchie, et le malheureux paysan étant la dernière victime. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que les postes officiels soient la route générale vers la richesse et qu'il y ait des cas fréquents d'hommes qui, partis de rien, se trouvent résider dans une demeure magnifique, entoures d'une foule de personnes attachées à leur service, et vivent dans un style princier. "Profitez au mieux tant que vous pouvez" est la règle qu'adoptent la plupart des gens lorsqu'ils prennent leurs fonctions dans la vie publique.
Et l'esprit populaire ne s'oppose pas à un tel comportement; l'estime pour celui qui, en ayant la possibilité, n'a pas rempli ses poches est, à son sens, l'inverse d'un compliment. Personne ne pense à ceux qui souffrent, aux dépens de qui, en fin de compte, on a retiré les éléments de ces "madákhils" successifs, alors que la sueur de leurs fronts a nourri la richesse gaspillée en maisons de campagne luxueuses, en curiosités européennes et en énormes suites de serviteurs.

"... Parmi les traits de la vie publique en Perse qui frappent le plus immédiatement les yeux de l'étranger et qui proviennent indirectement des mêmes circonstances, l'on trouve le nombre énorme de subalternes et d'hommes de suite qui s'affairent autour des ministres ou des fonctionnaires en tout genre. Dans le cas d'un fonctionnaire de haut rang ou ayant un haut poste, le nombre de ces personnes varie entre 50 et 500. Benjamin écrit que, en son temps, le Premier ministre en avait 3.000.
Certes la théorie de l'étiquette sociale et cérémoniale qui prévaut en Perse et, en fait, dans tout l'Orient, est, dans une certaine mesure, responsable de ce phénomène, l'importance d'une personne étant évaluée, en grande partie, selon l'étalage public qui est fait et selon le nombre de serviteurs dont cette personne peut, à l'occasion, faire parade.
Mais c'est l'institution du "madákhil," des pourboires illicites et des vols qui est à la base du mal. Si le gouverneur ou le ministre était obligé de verser un salaire à la totalité de cette équipe servile, les rangs de cette dernière se rétréciraient rapidement; or, la majorité de ces personnes ne sont pas payées; elles s'attachent à leur maître en raison des possibilités d'extorsion que ce lien leur offre, et elles prospèrent et s'engraissent grâce à de petits bénéfices.
L'on peut facilement concevoir combien cet essaim de suceurs de sang draine les ressources du pays. Ce sont les véritables prototypes de travailleurs improductifs, absorbant de la richesse mais n'en créant jamais; et leur existence n'est pas loin d'être une calamité nationale... . Un point essentiel de l'étiquette en Perse est que lorsqu'on va faire une visite, on emmène un nombre aussi grand que possible de membres de sa maison, soit à cheval, soit à pied, le nombre de personnes de cette suite étant pris comme une indication du rang du maître.


2.D) L'ordre ecclésiastique

"... L'islam, merveilleusement adapté tant au climat qu'au caractère et aux occupations des pays sur lesquels il a mis son emprise de fer, tient ses adeptes dans un assujettissement total, du berceau à la tombe. Pour eux, ce n'est pas seulement une religion, mais également un gouvernement, une philosophie et une science.
La conception mahométane n'est pas tellement celle d'une Église-État mais, si l'on peut se permettre l'expression, d'un État-Église. Les structures qui entourent la société elle-même en la pervertissant ne sont pas de fabrication civile, mais ecclésiastique; et, enveloppé dans cette foi superbe mais paralysante, le musulman vit dans une abdication de tout vouloir qui le satisfait; il estime qu'il est de son plus haut devoir d'adorer Dieu et de contraindre ou - lorsque cela est impossible - de mépriser ceux qui ne l'adorent pas, et puis il meurt avec le ferme espoir de gagner le paradis.

"... Ces siyyids, ou descendants du Prophète, sont pour le pays une gêne intolérable; ils déduisent de leur descendance supposée et de la prérogative du turban vert, le droit à une indépendance et à une insolence dans le comportement, dont leurs compatriotes - non moins que les étrangers - ont à souffrir.

"... En tant que communauté, les juifs de Perse sont enfoncés dans une grande pauvreté et une grande ignorance... Dans tous les pays musulmans de l'Orient, ce malheureux peuple a été soumis à la persécution que l'habitude lui a appris, et a appris au monde, à considérer comme son sort normal. Généralement contraints de vivre à part dans un ghetto, ou quartier séparé dans les villes, les juifs ont depuis des siècles souffert d'interdits dans les professions, le costume et les habitudes, ce qui en a fait des parias sociaux par rapport aux autres humains...
A Isfáhán, où l'on dit qu'il y en a 3.700, et où ils jouissent d'un statut relativement plus favorable que dans les autres régions de la Perse, on ne leur permet pas de porter le "kuláh", ou couvre-chef persan, ni d'avoir une boutique dans le bazar, ni de construire les murs de leur maison à la même hauteur que ceux de leurs voisins musulmans, ni de monter à cheval dans la rue... . Mais dès qu'il se produit, en Perse ou ailleurs, une explosion de bigoterie, les juifs sont susceptibles d'être les premières victimes. La main de tous est contre eux; et malheur au malchanceux hébreu qui est le premier à se trouver en face d'une populace persane.

"... Peut-être le trait le plus extraordinaire de la vie à Mashhad, avant que je laisse de côté le sujet du sanctuaire et des pèlerins, est-il la disposition qui est prise pour le soulagement matériel de ces derniers pendant leur séjour dans la ville. Pour compenser les longs voyages qu'ils ont faits, les épreuves qu'ils ont subies et les distances qui les séparent de leur famille et de leur foyer, on leur permet, avec la connivence de la loi religieuse et des représentants de celle-ci, de contracter un mariage temporaire pendant leur séjour dans la ville.
Il y a à cette fin une forte population permanente d'épouses. L'on trouve un mullá, sous l'autorité duquel est établi un contrat qui est officiellement signé par les deux parties, une redevance versée et l'union légalement constituée. Au bout de deux semaines, d'un mois, ou de la période quelconque spécifiée dans le contrat, celui-ci prend fin; le mari temporaire retourne à ses propres lares et pénates, dans quelque pays distant et la dame, après une période obligatoire de célibat de quatorze jours, reprend sa carrière du mariage permanent.
En d'autres termes, un système géant de prostitution, sous l'autorité de l'Eglise, règne à Mashhad. Il n'y a probablement pas en Asie de ville plus immorale; et je regrette de dire combien de pèlerins, parmi tous ceux qui sans broncher traversent les mers et les terres pour embrasser la grille de la tombe de l'Imám, sont peut-être aussi encouragés et consolés pendant leur marche par la perspective de vacances agréables et de ce que l'on pourrait décrire dans la langue courante comme "une partie de plaisir ".


2.E) Conclusion

"Avant de quitter le sujet des lois en Perse et de leur application, permettez-moi d'ajouter quelques mots au sujet des peines et des prisons. Rien n'est plus choquant, pour le lecteur européen qui chemine à travers les pages illustrées de crimes et éclaboussées de sang de l'histoire persane au cours du dernier siècle et, heureusement a un moindre degré dans ce siècle-ci, que le récit de punitions barbares et de tortures abominables, qui témoignent alternativement de l'âpreté de brutes et de l'ingéniosité de démons.
Le caractère persan a toujours été astucieux et insensible à la douleur; et il a trouvé dans le domaine des exécutions judiciaires une large place pour l'exercice de ces deux imperfections. Jusqu'à une période assez récente, qui déborde largement sur le règne actuel, les condamnés ont été crucifiés, éjectés de bouches de canons, enterrés vifs, empalés, ferrés comme les sabots des chevaux (supplice des brodequins), écartelés après avoir été attachés à la cime de deux arbres ployés remis ensuite dans leur position naturelle, transformés en torches humaines, écorchés vifs.

"... Dans un système de gouvernement à deux faces, tel que celui que je viens de décrire, à savoir une administration dont chaque acteur est à la fois celui qui donne et celui qui reçoit un pourboire, et une procédure judiciaire sans lois et sans Cour de justice, on comprend facilement qu'il n'y ait guère de confiance dans le gouvernement et qu'il n'y ait pas de sentiment personnel du devoir ni d'orgueil de l'honneur, pas de confiance mutuelle ni de coopération (sauf au service du mal), pas d'infamie à être découvert après un forfait, pas de croyance en la vertu et, par-dessus tout, pas d'esprit national ni de patriotisme.

Ils ont raison, ces philosophes qui soutiennent que, en Perse, la réforme morale doit précéder la réforme matérielle et la réforme interne, la réforme externe. Il est inutile de greffer de nouvelles branches sur un système dont la sève même est épuisée ou empoisonnée.
On peut donner à la Perse des routes et des chemins de fer, on peut exploiter ses mines et ses ressources, on peut entraîner son armée et vêtir ses artisans, mais on ne l'aura pas amenée au sein des nations civilisées tant qu'on ne sera pas parvenu au coeur de son peuple et qu'on n'aura pas donné une orientation nouvelle et radicale au caractère et aux institutions nationaux.
J'ai fait cette peinture, que j'estime véridique, de l'administration persane afin que les lecteurs anglais puissent comprendre le système que les réformateurs - qu'ils soient étrangers ou indigènes - ont à combattre, ainsi que le mur de fer de résistance, édifié par l'ensemble des instincts les plus égoïstes de la nature humaine, qui s'oppose aux idées de progrès.
Le sháh lui-même, quelque sincère que soit son désir d'innover, est, dans une certaine mesure, impliqué dans ce système pernicieux, étant donné qu'il lui doit sa fortune privée; tandis que ceux qui, en privé, condamnent le plus vivement le système, ne sont pas en reste pour courber la tête ouvertement dans le temple de Rimmon.
Dans tous les rangs inférieurs à celui du souverain, l'initiative fait complètement défaut pour ce qui est de se rebeller contre la tyrannie de coutumes immémoriales; et si une forte personnalité comme le roi actuel ne peut l'entreprendre qu'à l'essai, où est-il celui qui prêchera la croisade?"
(Extraits de l'ouvrage de Lord Curzon: "Persia and the Persian Question.")


3) Hommage de Bahá'u'lláh au Báb et à ses principaux disciples

EXTRAITS DU KITÁB-I-IQÁN (Livre de la Certitude)

Bien qu'il fût encore très jeune et que la cause révélée par lui fût contraire aux désirs de tous les peuples de la terre - grands et petits, riches et pauvres, glorifiés et humiliés, rois et sujets, - il se leva pourtant et la proclama avec opiniâtreté. Tous ont su et entendu cela. Il ne craignait personne; il était insouciant des conséquences. Or une telle chose pouvait-elle se manifester, si ce n'est par le pouvoir d'une révélation divine et par la puissance de l'invincible volonté de Dieu?
Par la justice divine! Si une personne, quelle qu'elle soit, devait conserver en son coeur une aussi grande révélation, la pensée d'une telle déclaration suffirait à la confondre! Même si les coeurs de tous les hommes avaient afflué en son coeur, elle hésiterait encore a s aventurer dans une si formidable entreprise. Elle ne pourrait l'accomplir qu'avec la permission de Dieu, et seulement si la voie de son coeur était liée à la source de la grâce divine et son âme, assurée de l'infaillible soutien du Tout-Puissant.
A quoi, nous demandons-nous, attribuent-ils une si grande audace? L'accusent-ils de folie, comme ils l'ont fait des prophètes du passé? Ou maintiennent-ils que sa motivation n'était autre que le pouvoir et l'acquisition de richesses terrestres?

Bonté divine! Dans son Livre, qu'il a intitulé "Qayyúmu'l-Asmá" - le premier, le plus grand et le plus puissant de tous les livres, - il prophétisa son propre martyre. On y trouve ce passage: "Ô toi, Vestige de Dieu! Je me suis entièrement sacrifié pour toi; j'ai accepté des calamités pour l'amour de toi; et je n'ai aspiré à rien d'autre qu'au martyre dans le sentier de ton amour. Dieu, l'Exalté, le Protecteur, l'Ancien des jours, m'est un témoin suffisant!"

"... Le révélateur de telles paroles pouvait-il être considéré comme suivant toute autre voie que la voie de Dieu, et comme ayant aspiré à autre chose qu'à son bon plaisir? Dans ce verset même réside, bien caché, un souffle de détachement pour lequel, s'il était insufflé dans le monde, tous les êtres renonceraient à leur vie et sacrifieraient leur âme.

"... Et, à présent, considérez comment ce Sadrih du Ridván de Dieu s'est levé, en sa prime jeunesse, pour proclamer la cause de Dieu. Voyez quelle constance il a révélée, lui, la Beauté de Dieu!

Le monde entier s'est levé pour l'entraver, mais il a échoué totalement! Plus la persécution infligée à ce 5adrih de béatitude se faisait cruelle, plus sa ferveur s'intensifiait et plus la flamme de son amour brûlait avec ardeur. Tout ceci est évident, et nul n'en conteste la vérité. Finalement, il rendit l'âme et prit son vol vers les royaumes d'en-haut.

"... A peine cette éternelle Beauté s'était-elle révélée à Shíráz, en l'année soixante, et avait-elle déchiré le voile de la dissimulation, que les signes de l'ascendance, de la puissance et du pouvoir émanant de cette Essence des essences et de cet Océan des océans furent manifestes en chaque pays. Tant et si bien que, de chaque côté, apparurent les signes, les preuves, les marques et les témoignages de ce divin Flambeau. Combien de coeurs purs et tendres reflétèrent fidèlement la lumière de cet éternel Soleil! Et multiples furent les effluves de savoir émanant de cet Océan de divine sagesse qui englobe tous les êtres!
Dans chaque cité, tous les religieux et les nobles se levèrent pour les entraver et les réprimer, et se ceignirent les reins de la malignité, de l'envie, de la tyrannie, afin de les supprimer. Combien de ces saintes âmes, de ces essences de justice, accusées de tyrannie, furent mises à mort! Et combien d'incarnations de pureté, qui ne manifestaient que la véritable connaissance et des actes irréprochables, subirent une mort atroce! En dépit de tout cela, chacun de ces êtres saints, jusqu'à son dernier souffle, exhala le nom de Dieu et s'éleva dans le royaume de soumission et de résignation. Telle fut la puissance et l'influence transformatrice qu'il exerçait sur eux, qu'ils cessèrent de nourrir d'autre désir que sa volonté, et allièrent leurs âmes à son souvenir.

"Réfléchissez: Qui, dans le monde, est capable de manifester un tel pouvoir transcendant, une telle influence pénétrante? Tous ces coeurs immaculés, toutes ces âmes sanctifiées ont, avec une absolue résignation, répondu à l'appel de son décret. Au lieu de se plaindre, il rendirent grâce à Dieu et, au milieu des ténèbres de leur angoisse, ne révélèrent rien d'autre qu'une radieuse soumission à sa volonté.
L'on sait combien implacable fut la haine, combien cruelles furent la méchanceté et l'inimitié que nourrissaient, envers ces compagnons, tous les peuples de la terre. La persécution et les souffrances qu'ils infligèrent à ces êtres saints et spirituels étaient considérées par eux comme les moyens de parvenir au salut, à la prospérité, et à la réussite éternelle. Le monde a-t-il jamais, depuis l'époque d'Adam, connu un tel tumulte, une commotion d'une telle violence?
Malgré toutes les tortures qu'ils subirent et les multiples afflictions qu'ils endurèrent, ils devinrent objets de l'opprobre et de l'exécration universels. La patience ne fut révélée, me semble-t-il, qu'en vertu de leur courage, et la fidélité elle-même fut engendrée par leurs actes.

"Médite en ton coeur sur ces événements capitaux, afin de pouvoir saisir la grandeur de cette révélation et en percevoir la prodigieuse gloire."


4) Traits distinctifs de l'islám shí'ah (shiite)

"Le point essentiel sur lequel les shí'ahs (ainsi que les autres sectes comprises sous le terme plus général d'imámites) diffèrent des sunnís, c'est la doctrine de l'imámat. Selon la croyance sunnie, la succession du Prophète (le khalifat) est une affaire à déterminer par le choix et l'élection de ses successeurs, et le chef visible du monde musulman est qualifié pour la position éminente qu'il occupe, moins par quelque grâce divine spéciale que par une alliance d'orthodoxie et de capacités administratives.
Selon le point de vue imámite, en revanche, la succession du Prophète est une question d'ordre exclusivement spirituel; une fonction conférée par Dieu seul, d'abord par son bon Prophète et, ensuite, par ceux qui lui ont ainsi succédé, et sans aucun lien avec le choix ou l'approbation populaires.
En un mot, le khalifat des Sunnís est simplement le défenseur - extérieur et visible - de la foi; l'imám des shí'ahs, quant à lui, est le successeur, divinement ordonné du Prophète, doué de toutes les perfections et de tous les dons spirituels, auquel doivent obéir tous les fidèles, dont la sagesse est surhumaine et dont les paroles font autorité.
Le terme général d'imámat est applicable à tous ceux qui partagent ce dernier point de vue, sans référence à la voie dans laquelle ils retracent la succession du Prophète; il inclut donc des sectes telles que les báqirís et les ismá'ílís, ainsi que les shí'ahs ou "Eglise des Douze" (Madhhab-i-Ithná-'Asharíyyih), comme elles sont plus spécifiquement qualifiées, et qui seules nous intéressent ici. Selon ces sectes, douze personnes détinrent successivement le titre d'Imám. En voici la liste:

1. 'Alí-ibn-i-Abí-Tálib, le cousin et premier disciple du Prophète, assassiné par Ibn-i-Muljam à Kúfih, en l'an 40 après l'hégire (661 ap. J.-C).

2. Hasan, fils d"Alí et de Fátimih, né en l'an 2 après l'hégire, empoisonné sur l'ordre de Mu'ávíyih I en l'an 50 après l'hégire (670 ap. J.-C).

3. Husayn, fils d"Alí et de Fátimih, né en l'an 4 après l'hégire, tué à Karbilá le 10 muharram de l'an 61 après l'hégire (10 oct. 680 ap. J.-C.).

4. 'Alí, fils de Husayn et de Shahribánú (fille de Yazdigird, le dernier roi sa ssanide), généralement appelé Imám Zaynu'l- 'Abidín, empoisonné par Valid.

5. Muhammad-Báqir, fils de Zaynu'l-'Abidín (voir plus haut) et de sa cousine Umm-i-'Abdu'lláh, la fille de l'Imám Hasan, empoisonnée par Ibráhím ibn-i-Valid.

6. Ja'far-i-Sádiq, fils de l'Imám Muhammad-Báqir, empoisonné sur l'ordre de Mansúr, le Khalífih abbaside.

7. Músá-Kázim, fils de l'Imám Ja'far-i-Sádiq, né en l'an 129 après l'hégire, empoisonné sur l'ordre de Hárúnu'r-Rashíd en l'an 183 après l'hégire.

8. 'Alí-ibn-i-Músá'r-Ridá, généralement appelé Imám Ridá, né en 153 après l'hégire, empoisonné près de Tús, dans le Khurásán, sur ordre du Khalífih Ma'mún, en 203 après l'hégire et enterré à Mashhad, ville qui tire de lui son nom et sa sainteté.

9. Muhammad-Taqí, fils de l'Imám Rida, né en 195 après l'hégire, empoisonné par le Khalífih Mu'tasim à Baghdád, en 220 après l'hégire.

10. 'Alí-Naqí, fils de l'Imám Muhammad-Taqi, né en 213 après l'hégire, empoisonné à Surra-man-Ra'á en 254 après l'hégire.

11. Hasan-i-'Askarí, fils de l'Imám 'Alí-Naqí, né en 232 après l'hégire, empoisonné en 260.

12. Muhammad, fils de l'Imám Hasan-i-'Askarí et de Nargis-Khátún, appelé par les shí'ahs "Imám-Mihdí", "Hujjatu'lláh" (la Preuve de Dieu), "Baqíyya-tu'lláh" (le Vestige de Dieu) et "Qá'im-i-Ál-i-Muhammad" (celui qui naîtra de la famille de Muhammad). Il portait non seulement le même nom, mais aussi le même kunyih (Abu'l-Qásim) que le Prophète et, selon les shí'ahs, il est illégitime à quiconque de porter en même temps ce nom et ce kunyih. Il naquit à Surra-man-Ra'á en l'an 255 après l'hégire et succéda à son père, en qualité d'Imám, en 260 après l'hégire.

"Les shí'ahs soutiennent qu'il ne mourut point, mais qu'il disparut dans un passage souterrain à Surra-man-Ra'á en 329 après l'hégire; qu'il vit toujours, entouré d'un groupe élu de ses disciples, dans l'une de ces mystérieuses cités, Jábulqá et Jábulsá; et que, à la consommation des temps, lorsque la terre sera remplie d'injustice et que les fidèles seront plongés dans le désespoir, il apparaîtra, annonce par Jésus-Christ, vaincra les infidèles, établira la paix et la justice universelles, et inaugurera un millénaire de béatitude. Durant toute la période de son imámát, à savoir de l'an 260 après l'hégire à ce jour, l'Imám Mihdí a été invisible et inaccessible à la masse de ses disciples, et c'est ce que signifie le terme "occultation" (Ghaybat).
Après avoir assumé les fonctions d'Imám et présidé aux funérailles de son père et prédécesseur, l'Imám Hasan-i-' Askarí, il disparut de la vue de tous, sauf de quelques élus qui, l'un après l'autre, continuèrent à agir en tant qu'agents de communication entre lui et ses disciples.
Ces personnes furent connues sous le nom de "Portes" (Abváb). La première fut Abú-'Umar-'Uthmán ibn-i-Sa'íd 'Umarí; la deuxième, Abú-Ja'far Muhammad-ibn-i-'Uthmán, fils du. précédent; la troisième, Husayn-ibn-i-Rúh Naw-bakhtí; la quatrième, Abu'l-Hasan 'Alí-ibn-i-Muhammad Símarí. De ces "Portes", la première fut désignée par l'Imám Hasan-i-'Askarí, les autres par la "Porte" alors en fonction, avec l'approbation de l'Imám Mihdí.
Cette période, s'étendant sur 69 années, durant laquelle l'Imám fut encore accessible par l'intermédiaire des "Portes", est connue en tant que "Occultation mineure" (Ghaybat-i-Sughrá). Celle-ci allait être suivie de l"Occultation majeure' (Ghaybat-i-Kubrá).
Lorsqu' Abu'l-Hasan 'Alí, la dernière des "Portes", fut près de sa fin, il fut instamment prié par les fidèles (qui envisageaient avec désespoir la perspective d'être totalement séparés de l'Imám) de nommer un successeur. Il refusa toutefois en ces termes: "Dieu a un dessein qu'il accomplira". Ainsi, à sa mort, toute communication entre l'Imám et ses disciples cessa, et "l'Occultation majeure" débuta, et se poursuivra jusqu'au retour de l'Imám à la consommation des temps."
(Extrait de: "A Traveller's Narrative", Note O, pp. 296-99).


5) Généalogie du prophète Muhammad

Quraysh
1 => 'Abd-i-Manáf
1.1 => 'Abdu'sh-Shams
1.1.1. => Umayyih
1.1.1.1. => Califes Omayyades
1.2 => Háshim
1.2.1. => 'Abdu'l-Muttalib
1.2.1.1. => 'Abdu'lláh
1.2.1.1.1. => MUHAMMAD
1.2.1.1.1.1. => Fátimih
1.2.1.1.1.1.1. => Husayn
1.2.1.1.1.1.2. => Hasan
1.2.1.1.3. =>
1.2.1.2. => Abú-Tálib
1.2.1.2.1. => 'Alí
1.2.1.3. => 'Abbás
1.2.1.3.1. => Califes abbassides


Les Caliphes :

Caliphes omayyades, 661 - 749 ap. J.-C.

Caliphes abbassides, 749 - 1.258 ap. J.-C.

Caliphes fatimites, 1.258 - 1.517 ap. J.-C.

Caliphes ottomans, 1.517 - 19 ap. J.-C.

Naissance de Muhammad, le 20 août 570 ap. J. -C.

Déclaration de sa mission, 613 - 14 ap. J.-C.

Sa fuite à Médine, 622 ap. J.-C.

Abú-Bakrí' s-Siddíq-ibn-i-Abí-Quháfih, 632 - 34 ap. J. -C.

'Umar-ibn-i'l-Khattáb, 634 - 44 ap. J.-C.

'Uthmán-ibn-i-'Affán, 644 - 56 ap. J.-C.

'Alí-ibn-i-Abí-Tálib, 656 - 61 ap. J.C


6) Théorie et administration de la loi en Perse au milieu du dix-neuvième siècle

"... La loi en Perse et, en fait, parmi les peuples musulmans en général, se divise en deux secteurs: la loi religieuse et le droit coutumier, la loi qui se fonde sur les écritures mahométanes, et celle qui s'appuie sur le précédent, la loi qui est administrée par des tribunaux religieux, et celle qui est du ressort des tribunaux civils. En Perse, la première est connue sous le nom de shar'; la seconde, sous celui de 'urf. Toutes deux ont donné naissance à une jurisprudence applicable en pratique, et à peu près conforme aux besoins et aux conditions de ceux pour lesquels elle est dispensée.
Le fondement de l'autorité, dans le cas du shar', ou loi religieuse, consiste dans les paroles du Prophète contenues dans le Qur'án, dans les opinions des douze saints Imáms dont la voix, selon le jugement des musulmans shí'ahs, est d'un poids à peine inférieur, et dans les commentaires d'une école de juristes religieux éminents.
Ces derniers ont joué à peu près le même rôle que les célèbres juris consulti à Rome pour le droit coutumier ou les commentateurs talmudiques dans le système hébreu. Le corps juridique ainsi constitué a été grossièrement codifié et divisé en quatre rubriques, traitant respectivement des rites et devoirs religieux, des contrats et obligations, des affaires privées, des règles somptuaires et de la procédure judiciaire.
Cette loi est administrée par une cour religieuse composée de mullás, c'est-à-dire de prédicateurs laïques, et de mujtahids (docteurs de la loi), parfois assistés de Qádís ou juges, et sous la présidence d'un fonctionnaire connu sous le titre de shaykhu'l-islám, celui-ci étant, en règle générale, désigné par le souverain pour être affecté à chacune des villes les plus importantes.
Dans le passé, le chef de cette hiérarchie religieuse était le sadru's-sudúr, ou Pontifex Maximus, un dignitaire choisi par le roi et placé à la tête de l'ensemble de la prêtrise et de la magistrature du royaume. Cette fonction fut toutefois abolie par Nádir Sháh durant sa campagne anticléricale, et n'a jamais été restaurée.
Dans les agglomérations plus réduites et dans les villages, la fonction de ce tribunal est assumée par le, ou les mullá(s) local(aux) qui, pour examiner une affaire, sont toujours prêts à citer un texte extrait du Qur'án.
Dans le cas des Cours suprêmes, la décision est invariablement rédigée et accompagnée de la citation des Ecritures ou des commentateurs sur lesquels elle se fonde. Les affaires d'une extrême importance sont soumises aux plus éminents mujtahids, qui ne sont jamais très nombreux et tirent leur position exclusivement de leur savoir ou de leurs éminentes capacités, ratifiées par l'assentiment populaire, et dont les décisions sont rarement contestées...
Dans les ouvrages sur la théorie juridique en Perse, il est communément écrit que les affaires criminelles sont du ressort des tribunaux religieux et les affaires de droit civil, de celui des tribunaux séculiers. En pratique, toutefois, une distinction aussi nette n'existe pas: les fonctions et prérogatives des bancs de magistrats varient selon les époques et semblent être affaire de hasard ou de choix, plutôt que de nécessité; à l'heure actuelle, bien que les affaires criminelles particulièrement ardues puissent être soumises aux tribunaux religieux, ces derniers ont à traiter principalement des affaires de droit civil.
Les cas d'hérésie ou de sacrilège leur sont tout naturellement soumis, et ces tribunaux ont également connaissance des cas d'adultère et de divorce; l'ivresse en tant que délit, non contre le droit coutumier (en fait, si c'était une affaire de précédent, l'insobriété pourrait présenter, en Perse, les plus hautes justifications), mais contre le Qur'án, tombe sous le coup de leur jugement... .

"Du shar', je passe à 1' 'urf, ou droit coutumier. En principe, ce dernier s'appuie sur la tradition orale, sur les précédents et sur la coutume. En tant que tel, il varie selon les régions du pays mais, comme il n'existe aucun code écrit ou reconnu, 1' 'urf varie encore davantage en pratique, selon le caractère ou les caprices de celui qui l'administre...
Les administrateurs de 1' 'urf sont les magistrats civils à travers le royaume, car il n'y a pas de tribunaux séculiers ni de bancs de magistrats comme dans les pays occidentaux. Dans un village, l'affaire sera portée devant le kad-khudá ou chef de village et, dans une ville, devant le dárúghih ou magistrat de police.
Ils ont à connaître de tous les délits mineurs qui, en Angleterre, intéressent un tribunal de police urbaine ou un banc de magistrats ruraux. Le châtiment, en cas de larcin, d'agression, etc. est, en règle générale, la restitution, en nature ou en espèces; si l'indigence rend impossible cette procédure, le prévenu est copieusement battu. Toutes les affaires criminelles ordinaires sont soumises au hakím, ou gouverneur général. L'ultime Cour d'appel, dans chaque cas, est le souverain, et ces exercices de juridiction subordonnés ne sont qu'une délégation de l'autorité souveraine du monarque, bien qu'il soit rare qu'un requérant tant soit peu éloigné de la capitale puisse faire entendre sa plainte aussi loin.

... La justice, rendue de cette manière par les officiels du gouvernement de Perse, n'obéit à aucune loi et ne se conforme à aucun système. La publicité est la seule garantie d'équité, mais grandes sont les possibilités de píshkash et de corruption, en particulier aux échelons inférieurs. Les dárúghih ont la réputation d'être à la fois sévères et vénaux, et certains vont jusqu'à dire qu'il n'est pas de sentence officielle en Perse, même au plus haut niveau, qui ne puisse être influencée par une considération d'ordre pécuniaire."
(Extraits de l'ouvrage de Lord Curzon intitulé "Persia and the Persian Question", vol. I, pp. 452 - 55.)



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GLOSSAIRE

'Abá: Manteau.

Adhán: Appel à la prière dans l'Islám.

A.H.: "Après l'hégire". Date de la fuite de Muhammad de La Mecque à Médine, et fondement de la chronologie musulmane.

Akbar: "Plus grand"

Amir: "Seigneur", prince", commandeur", "gouverneur

Áqá: "Maître". Titre conféré par Bahá'u'lláh à 'Abdu'l-Bahá.

A'zam: "Le plus grand".

Báb: "Porte". Titre assumé par Mírzá 'Alí-Muhammad après la déclaration de sa mission á Shíráz en mai 1844 ap. J-C.

Bahá: Gloire", "splendeur". Titre par lequel est désigné Bahá'u'lláh (Mírzá Husayn-'Alí).

Baqiyyatu'lláh: "Vestige de Dieu". Titre appliqué à la fois au Báb et à Bahá'u'lláh.

Bayán: "Déclaration". Titre donné par le Báb à sa révélation, en particulier à ses livres.

Big: Titre honoraire, inférieur à celui de khán.

Caravansérail: Une auberge destinée aux caravanes.

Dárúghih: "Commissaire de police".

Dawlih: "Etat", "gouvernement".

Farmán: "Ordre", "décret royal".

Farrásh: Valet", laquais".

Farrásh-báshí: Le farrásh en chef.

Farsakh: Unité de mesure. Sa longueur diffère, dans les différentes régions du pays, selon la nature du sol, l'interprétation locale du terme étant la distance parcourue en une heure par une mule bâtée, distance qui varie de trois à quatre milles (ou de 4,8 km à 6,4 km). Forme arabisée du vieux perse "parsang", que l'on suppose tirer son origine de pierres (sang) disposées sur le bord de la route.

Hájí: Musulman qui a fait le pèlerinage à La Mecque.

Howdah: Litière portée par un chameau, une mule, un cheval ou un éléphant, et utilisée lors de voyages.

Íl: "Clan"

Imám: Titre des douze successeurs shí'ahs de Muhammad. Titre s'appliquant également à des chefs religieux musulmans.

Imám-Jum'ih: Le principal imám d'une ville ou d'une cité; le chef des mullás.

Imám-Zádih: Le descendant d'un imám, ou son tombeau.

Jubbih: Long manteau.

Ka'bih: Temple ancien à La Mecque. Actuellement reconnu comme le temple le plus sacré de l'Islám.

Kad-Khudá: Chef d'un quartier ou d'une paroisse dans une ville; chef de village.

Kalantar: "Maire".

Kalim: "Orateur".

Karbilá'i: Musulman qui a fait le pèlerinage à Karbilá.

Khán: "Prince", seigneur", noble", "chef" (de clan, de tribu).

Kuláh: Chapeau en peau d'agneau porté par les fonctionnaires et les civils.

Madrisih: collège religieux.

Man-Yuzhiruhu'lláh: Celui que Dieu rendra manifeste". Titre donné par le Báb au Promis.

Mashhadi: Musulman qui a fait le pèlerinage à Mashhad.

Masjid: Mosquée.

Maydán: Subdivision d'un farsakh. Une place (dans une ville).

Mihdi: Titre de la Manifestation attendue par l'Islám.

Mihráb: Niche pratiquée dans le mur d'une mosquée et indiquant la direction de La Mecque; c'est lá que l'imám conduit la prière.

Mi'ráj: "Ascension"; terme employé pour désigner la montée au ciel de Muhammad.

Mírzá: Contraction du terme Amír-Zádih, signifiant "fils d'amír". Placé après un nom propre, signifie prince"; en préfixe à un nom, signifie simplement "Monsieur".

Mu'adhdhin: Celui qui lance l'adhán, l'appel à la prière (voir plus haut).

Mujtahid: Docteur de la loi islamique. La plupart des mujtahids de Perse ont obtenu leurs diplômes auprès des plus éminents juristes de Karbilá et de Najaf.

Mullá: Religieux shí'ah.

Mustagháth: "Celui qui est invoqué"; la valeur numérique de ce terme a été désignée par le Báb comme limite du temps fixé pour l'avènement de la Manifestation promise.

Nabil: "Noble", "distingué".

Naw-Rúz: "Nouveau Jour". Nom sous lequel on désigne le premier jour de l'année bahá'íe; c'est, selon le calendrier persan, le jour où le Soleil entre dans le Bélier.

Nuq3ih: "Point".

Pahlaván: "Athlète", "champion". Terme employé pour désigner des hommes courageux et musclés.

Qádí: Juge (en droit civil, criminel et religieux).

Qá'im: "Celui qui apparaîtra". Titre désignant le Promis de l'Islám.

Qalyán: La pipe à eau.

Qiblih: Direction dans laquelle se tournent les fidèles pour prier; spécialement La Mecque, le qiblih de tous les Musulmans.

Qurbán: "Sacrifice".

Sáhibu'z-Zamán: "Seigneur de l'Age". L'un des titres du Qá'im promis.

Shahid: "Martyr". Forme du pluriel: "Shuhadá".

Shaykhu'l-Islám: Chef d'un tribunal religieux désigné par le sháh dans les grandes villes.

Siyyid: Descendant du prophète Muhammad.

Súrih: Nom des différents chapitres du Qur'án.

Túmán: Somme d'argent valant dix riyáls.

Valí-'Ahd: "Héritier du trône".

Zádih: "Fils".


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