Lesen: Dieu passe pres de nous - Partie 2 - Chapitre 13


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Source : www.bahai-biblio.org
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DIEU PASSE PRES DE NOUS

Shoghi Effendi

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2ième Période: Ministère de Bahá'u'lláh (1853-1892)

CHAPITRE XIII: Ascension de Bahá'u'lláh

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Près d'un demi-siècle s'était écoulé depuis la naissance de la foi. Bercée par les adversités, privée, dans son enfance, de son héraut et chef, elle avait été relevée de la poussière dans laquelle un despote hostile et cruel l'avait jetée, par son second, son plus grand flambeau qui, malgré des exils successifs, avait réussi, en moins d'un demi-siècle à restaurer son destin, en proclamant son message, en prescrivant ses lois et ses ordonnances, en formulant ses principes et en établissant ses institutions, et elle commençait tout juste à jouir du soleil d'une prospérité inconnue auparavant quand, soudainement, elle fut privée de son auteur par la main du destin. Ses fidèles en furent plongés dans le chagrin et la consternation, ses dénégateurs virent renaître leurs espoirs déclinants, et ses adversaires politiques aussi bien qu'ecclésiastiques reprirent de nouveau courage.

Neuf mois déjà avant son ascension, Bahá'u'lláh, comme l'atteste 'Abdu'l-Bahá, avait exprimé son désir de quitter ce monde. A partir de ce moment-là, il devint de plus en plus évident, d'après le ton des remarques faites à ceux qui parvenaient en sa présence, que le terme de sa vie terrestre approchait, bien qu'il s'abstint d'en parler ouvertement à qui que ce soit. Pendant la nuit qui précéda le 11 shavvàl 1309 A.H. (8 mai 1892), il contracta une légère fièvre qui, bien qu'aggravée le jour suivant, baissa peu après. Il continua à donner audience à certains amis et pèlerins, mais il fut bientôt visible qu'il n'allait pas bien. La fièvre le reprit, plus violente que la première fois, son état général alla sans cesse en empirant, et des complications survinrent qui aboutirent finalement à son ascension, dans sa soixante-quinzième année, à l'aube du 2 dhi'l-qa'dih 1309 A.H. (79 mai 1892), huit heures après le coucher du soleil. Son esprit, enfin libéré de la pénible étreinte d'une vie surchargée de tribulations, avait pris son essor vers ses "autres domaines", domaines "sur lesquels les yeux du peuple des noms ne se sont jamais posés", et vers lesquels la " lumineuse créature virginale", "vêtue de blanc", lui avait ordonné de se hâter, comme il le rapportait lui-même dans la Lawh-i-Ru'yá (Tablette de la Vision), révélée dix-neuf ans auparavant, au moment de l'anniversaire de la naissance de son précurseur.

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Six jouis avant d'expirer, étendu sur son lit et appuyé contre l'un de ses fils, il fit venir en sa présence tout le groupe des croyants, y compris plusieurs pèlerins qui s'étaient rassemblés dans le manoir, pour ce qui devait être leur dernière audience avec lui. "je suis très satisfait de vous tous ", dit-il avec douceur et affection à la foule en larmes qui l'entourait. " Vous avez rendu bien des services, et vous avez exécuté vos tâches avec diligence. Vous êtes venus ici chaque matin et chaque soir. Que Dieu vous aide à rester unis. Qu'il vous aide à magnifier la cause du Maître de l'existence." Aux femmes réunies à son chevet, celles de sa propre famille y compris, il adressa des paroles semblables d'encouragement, leur assurant de façon précise que, dans un document qu'il avait confié à la plus grande Branche, il les recommandait toutes à ses soins.

La nouvelle de son ascension fut immédiatement communiquée au sultán 'Abdu'l-Hamid, dans un télégramme qui commençait par ces mots: " Le soleil de Bahá s'est couché ", et dans lequel le monarque était informé du projet d'enterrer ses restes sacrés dans l'enclos du manoir, projet auquel il donna volontiers son consentement. Bahá'u'lláh fut donc emmené pour son dernier repos dans la pièce la plus septentrionale de la demeure de son gendre qui, des trois maisons contiguës au manoir, à l'ouest, occupait la position nord. Il fut inhumé peu après le coucher du soleil, le jour même de son ascension.

L'inconsolable Nabil, qui avait eu le privilège d'une audience privée avec Bahá'u'lláh pendant sa maladie, et qu' 'Abdu'l-Bahá avait chargé de choisir ces extraits constituant la Tablette de la Visitation qu'on récite maintenant dans le très saint tombeau, Nabil qui, dans sa douleur intolérable, se jeta dans la mer peu après la disparition de son Bien-Aimé, décrit ainsi l'agonie de ces journées: "Il me semble que la commotion spirituelle qui s'est emparée du monde de poussière a fait trembler tous les mondes de Dieu ... je suis incapable de dépeindre, ni mentalement ni de vive voix, les conditions dans lesquelles nous nous trouvions ... Au milieu de la confusion qui régnait, on pouvait voir une multitude de gens, habitant 'Akká et les villages voisins, se presser dans les champs entourant le manoir, et qui pleuraient, se frappant la tête et exhalant leur chagrin à grands cris."

Pendant toute une semaine, un grand nombre de pleureurs, riches ou pauvres, restèrent avec la famille endeuillée, prenant part à sa désolation, partageant jour et nuit la nourriture distribuée avec largesse par ses membres. Des notables, parmi lesquels on comptait des shi'ahs, des sunnis, des chrétiens, des juifs et des druzes ainsi que des poètes, des 'ulamà et des fonctionnaires du gouvernement s'unirent pour déplorer la perte et pour exalter les vertus et la grandeur de Bahá'u'lláh, beaucoup d'entre eux lui rendant un témoignage écrit, en vers et en prose, soit en arabe, soit en turc. Des hommages semblables furent reçus, en provenance de villes lointaines telles que Damas, Alep, Beyrouth et Le Caire. Ces témoignages éclatants furent, sans exception, remis à 'Abdu'l-Bahá qui représentait maintenant la cause du chef défunt et pour qui, dans ces apologies, les louanges étaient souvent mêlées à l'hommage qu'on rendait à son père.

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Et pourtant, ces manifestations exubérantes de chagrin et ces marques de louange et d'admiration, que l'ascension de Bahá'u'lláh avait fait surgir spontanément chez les incroyants de Terre sainte et des pays environnants, ne furent qu'une goutte, comparées à l'océan de douleur et aux innombrables preuves de dévotion sans borne qui, à l'heure où le Soleil de Vérité se coucha, s'échappèrent du cœur des myriades de croyants qui avaient embrassé sa cause, et qui étaient décidés à porter bien haut son étendard, en Perse, en Russie, en 'Iráq, Turquie, Palestine, Egypte et Syrie.

Avec l'ascension de Bahá'u'lláh se termine une période qui, sous bien des rapports, reste sans parallèle dans l'histoire religieuse du monde. Le premier siècle de l'ère bahá'i avait atteint maintenant le milieu de son cours. Une époque que nulle période des dispensations antérieures ne surpassa pour sa sublimité, sa fécondité et sa durée, caractérisée, sauf pour un court intervalle de trois ans, par un demi-siècle de révélation continue et progressive, était révolue. Le message proclamé par le Báb avait produit son fruit d'or. La phase la plus importante, sinon la plus spectaculaire de l'âge héroïque, était achevée. Le Soleil de Vérité, l'astre le plus grand du monde, s'était levé dans le Siyáh-Chàl de Tihrán; il avait dissipé les nuages qui l'entouraient à Baghdád, avait subi une éclipse momentanée à Andrinople, en s'élevant vers son apogée, et il s'était finalement couché à 'Akká, pour ne plus reparaître avant un millénaire complet. La toute nouvelle foi de Dieu, le point de mire de toutes les dispensations passées, avait été proclamée complètement et sans réticence. Les prophéties annonçant son avènement s'étaient remarquablement accomplies. Ses lois fondamentales et ses principes essentiels, la chaîne et la trame de son futur ordre mondial, avaient été clairement énoncés. Sa relation organique avec les systèmes religieux qui la précédèrent et son attitude vis-à-vis d'eux avaient été définies sans erreur possible. Les premières institutions au sein desquelles un ordre mondial embryonnaire était destiné à mûrir avaient été établies indiscutablement. Le covenant, conçu pour sauvegarder l'unité et l'intégrité de son organisation mondiale, avait été irrévocablement légué à la postérité. La promesse d'une unification de toute la race humaine, de la naissance de la paix suprême et du déploiement d'une civilisation mondiale avait été donnée sans contredit. Les sinistres avertissements annonçant les catastrophes qui allaient s'abattre sur les rois, les ecclésiastiques, les gouvernements et les peuples avaient, tel un prélude à une fin aussi glorieuse, été divulgués de façon répétée.

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Les appels significatifs adressés aux principaux magistrats du Nouveau Monde, avant-coureurs de la mission dont le continent nord américain devait être investi plus tard, avaient été lancés. Le contact initial avait été effectué avec une nation dont l'un des descendants royaux devait adopter la cause bahá'i avant l'expiration du premier siècle. L'impulsion première avait été donnée qui, au cours des décennies successives, avait conféré à la sainte montagne de Dieu, dominant la plus grande prison, et continuerait de conférer dans les années à venir, d'inestimables bienfaits, tant au point de vue spirituel qu'à l'égard des institutions. Et finalement, les premiers emblèmes d'une conquête spirituelle qui ne devait pas embrasser, avant la fin de ce siècle, moins de soixante pays dans les hémisphères oriental et occidental, avaient été hissés triomphalement.

Par l'ampleur et la diversité de ses saintes Ecritures, par le nombre de ses martyrs et la valeur de ses champions, par l'exemple que donnèrent ses adhérents, par le châtiment exemplaire subi par ses adversaires, par la pénétration de son influence, l'héroïsme incomparable de son héraut, l'éblouissante grandeur de son auteur et l'action mystérieuse de son esprit irrésistible, la foi de Bahá'u'lláh, parvenue maintenant au seuil de la sixième décennie de son existence, avait largement démontré sa capacité d'aller de l'avant, indivisible et incorruptible, tout au long de la route tracée pour elle par son ' fondateur, et de déployer, sous les yeux des générations successives, les signes et les preuves de cette puissance céleste dont il l'avait lui-même si richement dotée.

Quant au sort qui frappa, tant en Orient qu'en Occident, ces rois, ces ministres et, ces ecclésiastiques qui, aux divers stades du ministère de Bahá'u'lláh, avaient, de propos délibéré, persécuté sa cause ou négligé de tenir compte des avertissements qu'il donnait, ou qui avaient failli à leur devoir évident de répondre à ses appels ou de lui accorder, ainsi qu'à son message, le tribut mérité, je pense qu'arrivé à ce point, une attention particulière devrait lui être accordée. Parlant de ceux qui s'étaient dressés avec diligence pour nuire à sa foi ou pour la détruire, Bahá'u'lláh déclare que " Dieu n'a pas fermé les yeux et ne les fermera jamais sur la tyrannie des oppresseurs. Et dans cette révélation plus particulièrement, il a tiré vengeance de chacun et de tous les Crans Il. Certes, il est immense et terrible le spectacle qui s'offre à nos yeux, quand nous examinons le champ furieusement balayé par les vents de la justice de Dieu, depuis le début du ministère de Bahá'u'lláh, détrônant les monarques, éteignant les dynasties, déracinant les hiérarchies ecclésiastiques, déclenchant guerres et révolutions, déposant princes et ministres, dépossédant l'usurpateur, abattant le tyran et châtiant le méchant et le rebelle.

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Le sultán 'Abdu'l-'Aziz, auteur - avec le sháh Nàsirid'-Din - des calamités accumulées sur Bahá'u'lláh, responsable lui-même de trois décrets de bannissement contre le prophète, flétri dans le Kitáb-i-Aqdas comme le souverain occupant le "trône de la tyrannie', et dont la chute avait été prophétisée dans la Lawh-i-Fu'dd, fut déposé à la suite d'une révolution de palais, condamné par une fatvà (sentence) du mufti de sa propre capitale, assassiné quatre jours plus tard (1876), et remplacé par un neveu qui fut déclaré idiot. La guerre de 1877-78 affranchit onze millions de gens du joug turc. Andrinople fut occupée par les forces russes, l'Empire lui-même fut dissous à la suite de la guerre de 1914- 18, le sultanat fut aboli, une république proclamée, et un gouvernement qui avait duré plus de six siècles prit fin.

Le vaniteux et despotique Nàsiri'd-Din, que Bahá'u'lláh dénonça comme le "Prince des oppresseurs", écrivant que, bientôt, il deviendrait "un objet de leçon pour le monde", dont le règne fut entaché par l'exécution du Báb et l'emprisonnement de Bahá'u'lláh, qui avait poussé avec acharnement aux bannissements ultérieurs de celui-ci à Constantinople, Andrinople et 'Akká, qui, de concert avec un ordre sacerdotal corrompu, avait fait le vœu d'étouffer la foi au berceau, fut dramatiquement assassiné dans le tombeau du Sháh-'Abdu'l-'Azim, à la veille même de son jubilé, jubilé qui, inaugurant une ère nouvelle, aurait dû être célébré avec la splendeur la plus grandiose, et devait rester dans l'histoire comme le plus grand jour figurant dans les annales de la nation persane. Les destinées de sa lignée déclinèrent rapidement par la suite, et finalement, en raison de la conduite scandaleuse du sháh - Ahmad, gaspilleur et irresponsable, aboutirent à l'éclipse et à la disparition de la dynastie qàjàr.

Napoléon III, l'empereur dominant de l'époque en Occident, excessivement ambitieux, d'un orgueil démesuré, astucieux et superficiel, qui, rapporte-t-on, avait jeté à terre avec mépris la tablette envoyée par Bahá'u'lláh, que celui-ci éprouva et trouva en défaut, et dont la chute fut ensuite prédite de façon catégorique dans une autre tablette, Napoléon 11I subit, à la bataille de Sedan (1870), une défaite humiliante, entraînant la plus grande capitulation militaire de l'histoire moderne. Il perdit son royaume et passa le reste de sa vie en exil. Ses espoirs furent complètement détruits; son fils unique, le prince impérial, fut tué dans la guerre des Zoulous, son empire hautement vanté s'écroula, déchaînant une guerre civile plus cruelle que la guerre franco-allemande elle-même, et Guillaume i-, le roi de Prusse, fut accueilli dans le palais de Versailles, comme l'empereur d'une Allemagne unifiée.

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Guillaume il,, ivre d'orgueil, récemment acclamé comme le vainqueur de Napoléon 111, morigéné dans le Kitáb-i-Aqdas et invité à méditer sur le sort subi par "celui dont le pouvoir dépassait" le sien, averti dans ce même livre que "les lamentations de Berlin" se feraient entendre et que les rives du Rhin seraient "couvertes de sang", fut l'objet de deux attentats. Un fils lui succéda, qui fut emporté par une maladie mortelle trois mois après son avènement au pouvoir, léguant le trône à l'arrogant Guillaume Il, volontaire et borné. L'orgueil du nouveau monarque précipita sa chute. Une révolution, rapide et soudaine, éclata dans la capitale, le communisme dressa la tête dans plusieurs villes, les princes des Etats germaniques abdiquèrent et lui-même, fuyant honteusement en Hollande, fut obligé de renoncer à ses droits au trône. La constitution de Weimar régla le sort de l'empire dont la naissance avait été si bruyamment proclamée par le grand-père de Guillaume 11, et les termes d'un lourd et sévère traité provoquèrent "les lamentations" prédites, d'inquiétante façon, un demi-siècle auparavant.

Le despotique et obstiné François joseph, empereur d'Autriche et roi de Hongrie, blâmé dans le Kitàb-i-Aqdas pour avoir manqué, lors de son pèlerinage en Terre sainte, de se renseigner au sujet de Bahá'u'lláh, comme c'était évidemment son devoir, fut tellement accablé par les malheurs et les tragédies, que son règne en vint à être considéré comme sans précédent pour les calamités qu'il attira sur la nation. Son frère Maximilien fut mis à mort à Mexico; le prince héritier, Rodolphe, périt dans des circonstances déshonorantes; l'impératrice fut assassinée; l'archiduc François Ferdinand et sa femme furent tués à Sarajevo; "l'empire croulant" lui-même se désagrégea; il fut démembré, et une république s'édifia sur un territoire amoindri, à la place du Saint Empire romain disparu, république qui, après une existence brève et précaire, fut effacée de la carte politique d'Europe.

Nicolas Alexandre II, le tout-puissant tsar de Russie, mis en garde à trois reprises par Bahá'u'lláh, dans une tablette adressée à son nom personnel, qui avait reçu l'ordre "d'appeler les nations à Dieu" et d'éviter que sa souveraineté l'empêche de reconnaître le "souverain suprême", essuya plusieurs attentats contre sa vie et finit par mourir de la main d'un assassin. Une dure politique de répression, commencée par lui et poursuivie par son successeur Alexandre III, prépara le chemin à une révolution qui, sous le règne de Nicolas 11, noya l'Empire des tsars dans des flots de sang, amena à sa suite guerres, maladies, famines, et établit un prolétariat militant qui massacra les nobles, persécuta le clergé, chassa les intellectuels, priva de ses biens l'Eglise d'Etat, exécuta le tsar ainsi que son épouse et sa famille, et éteignit la dynastie des Romanoff.

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Le pape Pie IX, chef incontesté de l'église la plus puissante de la chrétienté, à qui Bahá'u'lláh avait donné l'ordre, dans une épître, de laisser ses "palais à ceux qui les désirent", de "vendre tous les somptueux ornements" en sa possession, d'en "dépenser le prix dans le sentier de Dieu" et de se hâter vers "le royaume", fut obligé de se rendre, dans des conditions pénibles, aux forces assiégeantes du roi Victor Emmanuel et de se résigner à l'abandon des Etats pontificaux et même de Rome. La perte de la "Ville éternelle" sur laquelle avait flotté le drapeau de la papauté depuis un millénaire, et l'humiliation des ordres religieux placés sous sa juridiction ajoutèrent l'angoisse morale à ses infirmités physiques et remplirent d'amertume les dernières années de sa vie. La reconnaissance formelle du royaume d'Italie exigée, par la suite, d'un de ses successeurs au Vatican, sanctionna l'extinction de fait du pouvoir temporel du pape.

Mais la rapide dissolution des Empires ottoman, napoléonien, germanique, autrichien et russe, la déposition de la dynastie qàjàr et l'extinction pratique du pouvoir temporel du pontife romain n'épuisent pas le récit des catastrophes qui fondirent sur les monarchies du monde, parce qu'elles négligèrent les avertissements donnés par Bahá'u'lláh dans l'introduction de sa Sùriy-i-Mùlùk. La transformation des monarchies portugaise et espagnole et celle de l'Empire chinois en républiques, l'étrange destin qui, plus récemment, a poursuivi les souverains de Hollande, de Norvège, de Grèce, de Yougoslavie et d'Albanie, maintenant exilés, l'abdication tacite de l'autorité exercée par les rois du Danemark, de Belgique,' Bulgarie, Roumanie et Italie, l'appréhension que doivent ressentir les autres souverains en considérant les bouleversements qui ont affecté tant de trônes, le honte et les actes de violence qui, en certains cas, ont assombri les annales des règnes de quelques monarques en Orient et en Occident, et encore plus près de nous, la déchéance subite du fondateur de la dynastie récemment installée en Perse, tous ces faits sont encore de nouveaux exemples du "châtiment divin" infligé - châtiment que Bahá'u'lláh avait prédit dans cette immortelle sùrih - , et mettent au grand jour le caractère réellement divin de la censure qu'il porta contre les gouvernements de la terre, dans son très saint Livre.

Non moins frappante fut la disparition de l'influence très profonde exercée par les chefs ecclésiastiques musulmans, à la fois sunnite et shiite, dans les deux pays où s'étaient développées les plus puissantes institutions de l'islám, pays directement liés aux tribulations dont le Báb et Bahá'u'lláh furent accablés.

Le calife, qui était soi-disant le vicaire du prophète de l'islám, connu aussi comme le "Commandeur des croyants", protecteur des cités saintes de La Mecque et de Médine, dont la juridiction spirituelle s'étendait sur plus de deux cents millions de musulmans fut, par l'abolition du sultanat en Turquie, privé de son autorité temporelle, tenue jusque-là pour inséparable de sa haute fonction. Le calife lui-même occupa une position anormale et précaire pendant un court laps de temps, puis s'enfuit en Europe.

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Le califat, l'institution la plus auguste et la plus puissante de l'islám, fut sommairement aboli sans qu'aucune communauté du monde sunnite soit consultée. L'unité de la plus puissante branche de la foi islamique en fut brisée; une séparation formelle, complète et permanente entre l'Etat turc et la foi sunnite fut proclamée, la loi canonique de l'islám fut abrogée, les institutions ecclésiastiques furent sécularisées, un code civil fut promulgué, les ordres religieux furent supprimés et la hiérarchie sunnite abolie. L'arabe, langue du prophète de l'islám, tomba en désuétude et l'alphabet latin remplaça ses caractères écrits; le Qur'án lui-même fut traduit en turc. Constantinople, le "Dôme de l'islám", tomba au rang d'une ville de province, et son joyau incomparable, la mosquée de Sainte-Sophie, fut convertie en musée. Toute cette suite de dégradations rappelle le sort qui, au premier siècle de l'ère chrétienne, s'abattit sur le peuple juif, la ville de Jérusalem, le temple de Salomon le Saint des saints -, et sur une hiérarchie ecclésiastique dont les membres étaient les persécuteurs déclarés de la religion de Jésus-Christ.

Une convulsion similaire ébranla les fondations de l'ordre sacerdotal de Perse, quoique la séparation officielle entre l'Eglise et l'Etat persan ne fût pas encore proclamée. Une "Eglise d'Etat", qui avait été solidement enracinée dans la vie de la nation, et avait étendu ses ramifications à toutes les sphères de la vie dans ce pays, fut virtuellement disloquée. Un ordre sacerdotal, citadelle de l'islám shi'ah dans ce pays, fut paralysé et discrédité, ses mujtahids, ministres favoris de l'Imàm caché, furent réduits à un nombre insignifiant, et tous ses dignitaires portant turban furent, à l'exception d'une poignée, impitoyablement obligés d'échanger leur coiffure et leur robe traditionnelles pour des vêtements européens qu'ils détestaient. La pompe et l'apparat qui caractérisaient leurs cérémonies disparurent; leurs fatvàs (sentences) devinrent lettres mortes, leurs dotations furent remises à une administration civile, leurs mosquées et leurs séminaires furent désertés, le droit d'asile accordé à leurs sanctuaires cessa d'être reconnu, leurs représentations de pièces religieuses furent interdites, leurs takyihs fermés, et l'on écourta et découragea même leurs pèlerinages à Najaf et à Karbilà. L'abandon du voile, la reconnaissance de l'égalité des hommes et des femmes, l'établissement de tribunaux civils, l'abolition du concubinage, la dépréciation de l'emploi de la langue arabe, langue de l'islam et du Qur'án, et les efforts tentés pour la dissocier du persan, tous ces faits indiquent encore la dégradation et font prévoir l'anéantissement final de cette équipe infâme dont les chefs avaient osé s'approprier le titre de "serviteurs du Seigneur de sainteté" (l'Imàm 'Ali) ' qui avaient reçu si souvent l'hommage des rois pieux de la dynastie safavi, dont les malédictions avaient été, depuis la naissance de la foi du Báb, la cause principale des torrents de sang versés, et dont les actes ont noirci les annales de leur religion comme de leur pays.

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Une crise, moins grave certes que celle qui ébranla les ordres sacerdotaux islamiques adversaires invétérés de la foi -, affecta aussi les institutions ecclésiastiques de la chrétienté dont l'influence, depuis l'appel et l'avertissement lancés par Bahá'u'lláh, s'est visiblement affaiblie, dont le prestige a été gravement atteint, dont l'autorité a rapidement décru, et dont le pouvoir, les droits et prérogatives se sont amoindris de plus en plus. La disparition effective du pouvoir temporel du pontife romain déjà mentionnée, la vague d'anticléricalisme qui amena avec elle la séparation entre l'Eglise catholique et la République française, l'assaut organisé que lança un Etat communiste triomphant contre l'Eglise orthodoxe grecque en Russie, d'où s'ensuivit la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la sécularisation des biens ecclésiastiques et la persécution de la religion d'Etat, le démembrement de la monarchie austro-hongroise qui devait fidélité et obéissance à l'Eglise de Rome et soutenait puissamment ses institutions, l'épreuve sévère à laquelle cette même Eglise fut soumise en Espagne et au Mexique, la vague de sécularisation qui, actuellement, est en train d'engloutir les missions catholiques, anglicanes et presbytériennes dans les pays non-chrétiens, les forces d'un paganisme agressif qui attaquent les anciennes citadelles des Eglises catholique, orthodoxe grecque et luthérienne dans l'Europe centrale, orientale et occidentale, dans les Balkans, les Etats baltes et scandinaves, ces événements se détachent comme les manifestations les plus évidentes du déclin de la prospérité des chefs ecclésiastiques de la chrétienté, chefs qui, sans se soucier de la voix de Bahá'u'lláh, se sont interposés entre le Christ revenu dans la gloire du Père, et leurs congrégations respectives.

Nous ne pouvons davantage manquer de noter la détérioration progressive de l'autorité exercée par les chefs ecclésiastiques des religions juive et zoroastrienne, depuis que s'est élevée la voix de Bahá'u'lláh annonçant, en termes sans ambiguïté, que la "plus grande loi a paru", que la Beauté ancienne "règne sur le trône de David', et que "tout ce qui a été annoncé dans les livres" (Ecriture sainte zoroastrienne) "a été dévoilé et rendu évident". Les preuves d'une révolte croissante contre l'autorité cléricale, le manque de respect et l'indifférence montrés à l'égard des pratiques, des rites et cérémonies séculaires, les incursions répétées de la part des forces d'un nationalisme agressif et souvent hostile dans le domaine appartenant à la juridiction cléricale, et l'apathie générale avec laquelle, particulièrement dans le cas des adhérents déclarés de la foi zoroastrienne, ces empiétements sur leurs droits sont considérés, tout ceci fournit, sans l'ombre d'un doute, une nouvelle justification des avertissements et des prédictions donnés par Bahá'u'lláh dans ses adresses historiques aux chefs ecclésiastiques du monde.

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Telles sont, en somme, les preuves terribles de la justice distributive de Dieu qui frappa les rois aussi bien que les ecclésiastiques d'Orient et d'Occident, conséquence directe de leur opposition effective à la foi de Bahá'u'lláh ou de leur négligence déplorable à répondre à son appel, à se renseigner sur son message, à lui éviter les souffrances qu'il endura ou à tenir compte des signes merveilleux et des prodiges qui, pendant cent ans, entourèrent la naissance et l'ascension de sa révélation.

"Le pouvoir a été enlevé à deux catégories d'hommes: les rois et les ecclésiastiques", annonce Bahá'u'lláh dans une déclaration prophétique et précise. "Si vous ne tenez pas compte des conseils que ... Nous avons révélés dans cette tablette", dit-il, avertissant ainsi les rois de la terre, "le châtiment divin vous assaillira de toutes parts ... Ce jour-là vous... reconnaîtrez votre propre impuissance." Et encore: "Bien qu'étant au courant de la plupart de nos souffrances, vous n'avez pourtant rien fait pour arrêter la main de l'agresseur." Et enfin ces paroles accusatrices: "Nous ... serons patient comme Nous avons été patient dans ce qui nous est advenu par vos mains, 9 assemblée de rois!"

Condamnant particulièrement les chefs ecclésiastiques du monde, il écrit: "La source et l'origine de la tyrannie ont été les prêtres ... Dieu est, en vérité, débarrassé d'eux, et Nous également." "Quand Nous observâmes avec soin", affirme-t-il ouvertement, " Nous découvrîmes que nos ennemis, pour la plupart, sont les prêtres." " 0 concours de prêtres! " dit-il, s'adressant à eux: " Désormais vous vous apercevez que vous ne possédez plus aucun pouvoir, car Nous vous l'avons retiré .. Si vous aviez cru en Dieu lorsque Il s'est Lui-même révélé", explique-t-il, "les gens ne se seraient pas détournés de Lui, et les choses que vous voyez aujourd'hui ne nous seraient pas arrivées." Parlant plus précisément des ecclésiastiques musulmans, il affirme: "Ils se sont dressés contre nous avec une cruauté telle, qu'ils ont miné la force de l'islam". "Les prêtres de Perse", affirme-t-il, "ont commis ce qu'aucun peuple parmi les peuples du monde n'a commis." Et encore: " ... Les prêtres de Perse ... ont perpétré ce que les juifs n'ont pas perpétré lors de la révélation de celui qui est l'Esprit" (Jésus). Et finalement, ces prophéties sinistres: "A cause de vous, les peuples ont été avilis, l'étendard de l'islám a été abaissé et son trône puissant a été renversé." " Bientôt, tout ce que vous possédez périra, votre gloire sera changée en humiliation des plus misérables, et vous verrez le châtiment de ce que vous avez forgé... " "D'ici peu, c'est la vérité même," prophétise encore plus ouvertement le Báb en personne, " Nous tourmenterons ceux qui ont fait la guerre à Husayn " (l'Imàm Husayn) " ... par les plus affreuses tortures..." "D'ici peu, Dieu assouvira sa vengeance sur eux, au temps de notre retour *, et y a, en vérité, préparé pour eux, dans le monde à venir, une peine sévère."

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On ne saurait non plus omettre, dans une revue de cette nature, de faire une référence à ces princes, ces ministres et ces ecclésiastiques qui furent individuellement responsables des pénibles épreuves que Bahá'u'lláh et ses fidèles eurent à supporter. Le pacha Fu'àd, ministre turc des Affaires étrangères qui fut, comme le déclare Bahá'u'lláh, l' "instigateur" de sa relégation dans la plus grande prison et qui, avec son collègue, le pacha 'Ali, s'était efforcé avec une telle persistance d'exciter les craintes et les soupçons d'un despote déjà monté à l'avance contre la foi et son chef, ledit pacha fut frappé, au cours d'un voyage à Paris, par le glaive vengeur de Dieu, et mourut à Nice (1869), environ un an après avoir mené à bien son projet. Le pacha 'Ali, le sadr-i-a'zam (Premier ministre), dénoncé en un langage si énergique dans la I-awh-i-Ra'is, dont la chute avait été nettement prédite dans la Lawh-i-Fu'dd, fut destitué de ses fonctions quelques années après l'exil de Bahá'u'lláh à 'Akká, privé de toute autorité et tomba dans un oubli complet. Le prince Mas'ùd Mirzá, le tyrannique Zillu's-Sultán, fils aîné du sháh Nàsiri'd-Din et gouverneur de plus des deux cinquièmes de son royaume, flétri par Bahá'u'lláh comme "l'Arbre infernal', tomba en disgrâce, fut dépouillé de tous ses gouvernements sauf de celui d'Isfàhàn, et perdit toute chance de prépondérance future ou d'avancement. Le cupide prince jalàlu'd-dawlih, qualifié par la plume suprême du titre infamant de "tyran du Yazd', fut privé de son poste environ une année après les injustices qu'il commit, rappelé à Tihrán et forcé de restituer une partie des biens qu'il avait dérobés à ses victimes.

L'intrigant Mirzá Buzurg Khàn, ambitieux et débauché, qui était consul général de Perse à Baghdád, fut en fin de compte relevé de ses fonctions, "accablé par le malheur, rempli de remords et couvert de confusion". Le mujtahid bien connu, Siyyid Sàdiq-i-Tabà-tabà'i, que Bahá'u'lláh dénomma "le Menteur de Tibrdn" - auteur du décret monstrueux qui condamnait tout membre mâle de la communauté bahá'i en Perse, jeune ou vieux, de haute ou basse extraction, à être mis à mort, et toutes ses femmes à être déportées -, tomba soudainement malade, victime d'une affection qui attaqua son cœur, son cerveau et ses membres, et qui finit par l'entraîner dans la mort. Subhi, le tyrannique pacha qui avait convoqué Bahá'u'lláh d'une manière impérieuse à la résidence gouvernementale d'Akká, perdit sa position et fut rappelé dans des conditions fort préjudiciables à sa réputation. Les autres gouverneurs de la ville, qui s'étaient conduits injustement envers le prisonnier haut placé confié à leur garde avec ses compagnons d'exil, n'échappèrent point à un sort identique. "Tous les pachas qui, à 'Akká, se conduisirent de façon louable, jouirent d'une longue carrière", affirme Nabil dans son récit, "et Dieu leur accorda généreusement ses faveurs, alors que chacun des mutisarrifs (gouverneurs) hostiles fut rapidement déposé par la main de la Puissance divine; ainsi en fut-il pour les pachas 'Abdu'r-Rahmàn et Muhammad Yùsuf qui, au lendemain de la nuit même où ils avaient décidé de porter la main sur les bien-aimés de Bahá'u'lláh, furent avisés de leur renvoi par télégramme. Et leur sort voulut que, plus jamais, aucun poste ne leur soit confié."

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Shaykh Muhammad-Bàqir, surnommé le "Loup", qui dans la Lawh-i-Burhàn* hautement réprobatrice que lui adressa Bahá'u'lláh, avait été comparé à " la dernière trace de soleil sur le sommet de la montagne ", vit son prestige décliner progressivement et mourut malheureux, dans un état de profond remords. Son complice Mir Muhammad-Husayn, surnommé "le Serpent femelle", que Bahá'u'lláh décrivit comme "infiniment plus mauvais que l'oppresseur de Karbalà", fut, à peu près à la même époque, expulsé d'Isfàhàn; il erra de village en village, puis contracta une maladie qui dégageait une odeur si infecte que même sa femme et sa fille ne pouvaient souffrir de l'approcher, et il mourut dans une telle défaveur auprès des autorités locales, que personne n'osa assister à ses funérailles, son cadavre étant enterré d'une manière déshonorante par quelques porteurs.

Il faut encore signaler la famine dévastatrice qui, environ un an après la disparition de l'illustre Badi', torturé à mort, ravagea la Perse et réduisit la population à de telles extrémités, que les riches mêmes eurent faim et que des centaines de mères dévorèrent goulûment leurs propres enfants.

On ne peut pas non plus quitter ce sujet sans faire une référence spéciale à l'Archibriseur du covenant du Báb, Mirzá Yahyá qui, gagnant misérablement son existence à Chypre, qualifiée par les Turcs " d'île de Satan", vécut assez longtemps pour voir réduits à néant tous les espoirs qu'il avait nourris avec une telle méchanceté. Pensionné d'abord par la Turquie et plus tard par le gouvernement britannique, il reçut une nouvelle humiliation en voyant rejeter sa demande de naturalisation comme citoyen britannique. Sur les dix-huit " témoins " qu'il avait désignés, onze l'abandonnèrent et se tournèrent repentants, vers Bahá'u'lláh. Il fut même impliqué dans un scandale qui entacha sa réputation et celle de son fils aîné, scandale qui priva celui-ci, ainsi que ses descendants, de la succession qu'il leur avait d'abord réservée; puis, il désigna à sa place le perfide Mirzá Hadiy-i-Dawlat-Àbàdi, un azali notoire qui, lors du martyre de Mirzá Ashraf susmentionné, fut saisi d'une telle crainte que, pendant quatre jours consécutifs, il proclama, du haut de sa chaire et dans le langage le plus virulent, sa répudiation complète de la foi bahá'i aussi bien que de Mirzá Yahyá, son bienfaiteur, qui avait placé en lui une confiance aveugle. Ce fut ce même fils aîné de Mirzá Yahyá qui, des années plus tard, et par le jeu d'une étrange destinée, rechercha, avec son neveu et sa nièce, la présence d'Abdu'l-Bahá, le successeur nommé par Bahá'u'lláh, Centre de son covenant.

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Il lui exprima son repentir, implora son pardon, et 'Abdu'l-Bahá l'accepta avec clémence; il resta, jusqu'à l'heure de sa mort, un loyal serviteur de la foi que son père avait essayé de détruire avec tant de stupidité, d'impudence, et d'une façon aussi lamentable.

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