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Source : www.bahai-biblio.org
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LA VIE DE THOMAS BREAKWELL
Par Rajwantee LAKSHMAN-LEPAIN

Table des matières

Introduction
1. L'appel de Dieu
2. Thomas Breakwell et Abdu'l-Bahá a Akká
3. Thomas breakwell: une étoile dans le firmament de Paris
4. Tablette d'Abdu'l-Baha à Breakwell
5. Le rang spirituel de Breakwell
Bibliographie


INTRODUCTION

L'histoire de la Religion de Bahá'u'lláh compte dans ses annales de nombreuses âmes saintes qui par une longue vie de sacrifice, par leurs activités d'enseignement ou par des réalisations intellectuelles brillantes, ont marqué d'une empreinte indélébile notre mémoire. La vie de Thomas Breakwell, aussi connue soit-elle, ne rentre pourtant dans aucune de ces catégories. Courte et tragique à la fois, elle s'entoure d'une aura de mystère; placée entièrement sous le signe du sacrifice, elle est pour nous un symbole de l'amour ardent qui unit le croyant à son bien-aimé.

Devenu bahá'í en 1901, mort en 1902, Thomas Breakwell n'a laissé aucune réalisation concrète. Néanmoins 'Abdu'l-Bahá lui a donné un rang qui ne se compare à celui d'aucun des croyants dans l'histoire de la Cause en Occident. Pour ceux qui habitent la France, et plus particulièrement ceux qui habitent Paris, son histoire doit nous être très chère car Thomas Breakwell a voulu que le sacrifice de sa vie soit la pierre de fondation de l'enseignement de la Foi dans notre pays. Son corps déposé dans une fosse commune du cimetière de Pantin est un trésor caché, une racine enfouie dans notre sol pour qu'un jour, selon la promesse du maître, vienne le temps de la fructification et jaillisse un arbre dont les frondaisons couvriront de leur ombre toute la ville de Paris.

Nul doute que la puissance de ce sacrifice ne se manifeste bientôt. C'est à nous qu'il appartient de devenir les héritiers de Thomas Breakwell, car il a rejoint "le concours céleste", "l'arche cramoisie des saints et des martyres", "la milice angélique" prête à porter assistance à tous ceux qui se lèveront pour enseigner la Cause.

Nul doute que là-haut il ait conservé le même amour pour Paris qui le caractérisait durant sa vie et qu'il soit prêt à nous porter secours et à nous transmettre les confirmations divines. Le temps de la fructification est venu. C'est à nous, ses successeurs, qu'il appartient après avoir médité sur le mystère de sa vie, de réaliser son rêve.

Nul doute enfin que celui qui comprendra son rang et qui récitera la tablette de visitation qu' 'Abdu'l-Bahá révéla en son honneur ressentira le pouvoir de l'assistance dans l'enseignement de la Foi. Thomas Breakwell a su s'ouvrir aux grâces du Ciel et accéder au rang de premier croyant à recevoir la confirmation de l'Esprit saint. A nous maintenant de l'imiter en nous inspirant d'abord de l'exemple de sa vie.


1. L'APPEL DE DIEU

Né à Londres en 1873, Thomas Breakwell avait quitté très tôt sa terre natale pour s'installer dans le sud des Etats-Unis. Il y exerçait une fonction de haute responsabilité dans une usine de filature de coton, qui lui procurait des revenus importants. Cette aisance financière lui permettait de rendre régulièrement visite à ses parents en Angleterre pendant l'été et de prendre quelques vacances sur le continent selon la coutume des gens distingués du nouveau monde.

Nous disposons de peu d'informations sur la famille Breakwell et sur la vie du jeune Thomas avant sa rencontre avec la Foi. Nous savons seulement qu'aucun membre de sa famille n'était bahá'í et que leur origine religieuse était chrétienne.

Thomas Breakwell avait une ouverture très grande pour tout ce qui concernait la spiritualité. Il était très intéressé par les doctrines religieuses et les philosophies hermétiques en général, dont particulièrement celle présentée par la Société Théosophique, à laquelle il appartenait peut-être, car ce mouvement religieux fondé en 1875 aux Etats-Unis par la célèbre Helena P. Blavatski et le colonel Henry Steel Olcott, était très en vogue auprès des anglais et des indiens à son époque. L'intérêt accordé par cette société à l'occultisme et à l'ésotérisme selon des approches particulièrement orientales, ne pouvait que le prédisposer à se tourner vers l'univers mystique bahá'í.

C'est cette sensibilité aux choses de l'âme qui l'amena un jour d'été 1901 alors qu'il prenait, comme à son habitude, le paquebot à destination de la France, à faire la connaissance d'une certaine Madame Milner. Celle-ci, bien que n'ayant aucun intérêt personnel pour la religion, se sentit poussée, devant la passion du jeune Breakwell pour ces sujets, à lui parler d'une de ses amies "très spéciale" qui vivait à Paris. Elle avait, disait-elle, trouvé une philosophie qui avait su donner un sens à sa vie. Cette jeune femme en question n'était autre que May Bolles, la future May Maxwell.

May Ellis Bolles avait fait partie du premier groupe de pèlerins d'occident à rendre visite à 'Abdu'l-Bahá à 'Akká en 1898-1899. C'est à cette occasion que le Maître lui confia une responsabilité particulière pour l'enseignement de la Foi en Europe. Il lui conseilla de s'installer en France, pays dans lequel elle avait vécu quelques années et qu'elle aimait beaucoup. Sa maîtrise de la langue facilita sa tâche et par son ardeur au service de la Cause, elle établit en quelques mois avec l'aide d'amis bahá'ís américains, le premier centre bahá'í d'Europe.

A l'époque de Thomas Breakwell, c'est-à-dire entre 1901 et 1902, la première communauté de bahá'ís parisiens comptait entre 25 et 30 personnes. La première personne à croire en Bahá'u'lláh fut une femme suisse, Edith de Bons. Peu après, quelques autres personnes acceptèrent la foi, dont un certain nombre d'américains parmi lesquels figurait le célèbre Charles Mason Remey; vinrent ensuite des français et des anglais.

Tous se trouvaient sous la direction spirituelle de May Bolles.

Le rôle de May Bolles était si important qu''Abdu'l-Bahá dit en parlant d'elle, qu'Il tenait "dans sa main une lampe capable de trouver à travers les contrées et les océans les âmes qui deviendront les hérauts de la Cause de Dieu". Les merveilleux services que rendait May Bolles n'étaient toutefois pas appréciés par sa mère qui vivait avec elle. Son désaccord grandit lorsque, demandant à 'Abdu'l-Bahá si sa fille pouvait l'accompagner pendant les vacances d'été en Angleterre, elle se heurta à un refus catégorique. Les paroles du Maître étaient très fermes, "May ne devait s'absenter de Paris sous aucun prétexte". L'indignation de Madame Bolles fut telle que le célèbre enseignant Mírzá-Abu'l-Fadl crut devoir en informer 'Abdu'l-Bahá. Mais ce dernier resta imperturbable et ne fournit aucune explication à sa décision.

May; obéit à 'Abdu'l-Bahá et laissa partir son frère et sa mère qui n'eut pas de scrupules à fermer à clef la maison. Elle s'installa alors dans l'appartement d'une amie bahá'íe, Edith Jackson. May Bolles ignorait le motif de l'insistance d''Abdu'l-Bahá. Elle ne soupçonnait pas, contrairement au Maître, que de doux effluves de l'Esprit Divin commençaient à se répandre sur Paris.

C'est donc un beau jour de l'été 1901 que May Bolles trouva devant sa porte notre Thomas Breakwell et Madame Milner qui l'avait invité à l'accompagner. Son attention fut immédiatement attirée par le jeune homme qu'elle décrivit ainsi : "il était de taille moyenne, svelte, droit et gracieux avec un regard intense et un charme indescriptible. C'est comme si j'avais vu une lumière voilée. Je me rendis compte immédiatement qu'il s'agissait d'un cœur pur, d'une âme assoiffée sur laquelle était jeté le voile qui recouvre toute âme jusqu'au moment où il est déchiré par le pouvoir de Dieu en ce jour". May Bolles ne fit aucune allusion à la Foi lors de leur première rencontre. Madame Milner n'avait elle-même rien dit à ce sujet, ayant fermé définitivement ses oreilles au message de Bahá'u'lláh.

Leur conversation tourna essentiellement autour de la théosophie, qui avait également fait son entrée en France sous l'instigation d'Annie Besant, par la création en 1893 d'une franc-maçonnerie féminine. May Bolles, tout en discutant, put s'apercevoir, selon ses propres paroles, que Thomas Breakwell était "une personne remarquable par son haut rang social, sa grande, culture, sa simplicité et son naturel. Il était très sincère dans son comportement à l'égard de la vie et des hommes. Elle se rendait compte aussi que Thomas Breakwell l'étudiait très attentivement. Au moment du départ, il lui demanda la permission de revenir la voir le lendemain, car il n'était de passage à Paris que pour quelques jours et il avait une grande envie de connaître les enseignements qu'elle avait trouvés et dont Madame Milner lui avait dit qu'ils avaient transformé sa vie.

Le jour suivant, May Bolles eut une curieuse, surprise. Thomas Breakwell frappa à sa porte dans un "état d'étrange exaltation, aucun voile matériel ne recouvrait son âme radieuse. Ses yeux brillaient d'une flamme imperceptible". Thomas Breakwell regarda May Bolles fixement et lui demanda si elle ne trouvait pas quelque chose de mystérieux dans son comportement. May lui répondit qu'effectivement il avait l'air très heureux. Aussitôt, n'en tenant plus, il raconta à son amie ce qui l'avait mis dans un tel état.

Laissons-le évoquer lui-même son expérience :
"Lorsque j'étais ici hier, dit-il, j'ai ressenti un pouvoir et une influence que je n'avais jamais ressentis avant dans ma vie, sauf au cours d'une période de trois mois où j'étais resté continuellement en communion avec Dieu. Je me sentais à cette époque comme quelqu'un qui planait dans une rare atmosphère de lumière et de beauté. Mon cœur était enflammé d'amour pour mon Bien-Aimé. Je me sentais en paix et uni avec mes prochains. Hier, quand je vous ai quittée, j'ai descendu seul les Champs-Elysées ; l'air était chaud et lourd, pas une feuille ne remuait quand soudain, un vent me frappa et tourbillonna autour de moi. J'entendis une voix me dire avec une indescriptible douceur et profondeur : Le Christ est revenu ! Le Christ est revenu !"

Son histoire achevée, Thomas Breakwell, les yeux brillants demanda à May Bolles s'il n'était pas en train de devenir fou. Avec un sourire, elle lui répondit : "Vous commencez juste à devenir sain d'esprit". Et sans tarder, elle lui parla du Báb, de sa mission, de son martyre, des milliers de babis qui avaient sacrifié leur vie pour que la foi s'établisse. Elle lui parla de Bahá'u'lláh, de ses lois et de ses principes.

Thomas Breakwell absorba pendant trois jours avec avidité les paroles de May. Son âme était véritablement assoiffée. Dès le premier jour il avait accepté le message sans restriction et prit tous les livres que May avait chez elle. Son enthousiasme grandit encore lorsqu'elle lui fit le récit de son pèlerinage à 'Akká où elle avait rencontré le Maître 'Abdu'l-Bahá. L'expérience qu'avait vécue Madame Maxwell auprès de cet Etre saint impressionna tellement Thomas Breakwell que, l'âme soupirante, il décida sur-le-champ de rompre avec son ancienne vie et d'annuler tous ses plans de voyage. Désormais, il n'avait qu'un seul espoir dans sa vie, être admis auprès d''Abdu'l-Bahá afin de pouvoir contempler le visage de son Bien-Aimé.

Au troisième jour il décida d'écrire à 'Abdu'l-Bahá pour lui faire part de son acceptation de la Foi et solliciter la permission de se rendre en pèlerinage à 'Akká. On aurait pu croire qu'il allait écrire une lettre longue et pleine d'effusions mais elle se résuma à ces quelques mots : "Mon Seigneur, je crois, pardonne-moi, Ton serviteur. Thomas Breakwell". Selon May Bolles, la simplicité de cette requête était caractéristique de l'esprit concis et exalté de Thomas Breakwell. Elle n'en fut pas moins intriguée par cet appel au pardon dont elle ne comprit la pleine signification que plus tard.

A cette époque, un jeune bahá'í nommé Herbert Hopper, fils spirituel de May Bolles, avait reçu la permission d'aller à 'Akká. Thomas Breakwell le contacta aussitôt et ils planifièrent de partir ensemble. Tout était prêt, il ne fallait plus qu'une chose, obtenir l'autorisation du Maître.

May Bolles envoya le jour même à 'Akká, le message de Thomas Breakwell et le sien propre dans lequel elle priait le Maître de faire parvenir sa réponse à Port-Saïd où les deux jeunes gens avaient projeté d'embarquer. Le soir du même jour, alors que May Bolles rentrait chez elle, elle trouva à sa grande surprise dans sa boite aux lettres un câblogramme bleu d''Abdu'l-Bahá qui disait : "Vous pouvez quitter Paris quand vous le voulez !"

Laissons May Bolles tirer elle-même la conclusion de ces événements décidément bien surprenants :
"Ainsi, écrivait-elle, par une obéissance implicite et aveugle à toute opposition, la Volonté du Maître a été accomplie, et j'ai été une maille de cette chaîne reliée à Son puissant objectif. Avec quelle reconnaissance mon cœur s'émeut devant la divine compassion du Maître, devant l'émerveillement et la joie de ma mère, quand je lui ai tout raconté, et que les larmes aux yeux, elle me dit : "Tu as, en effet, un Maître extraordinaire !"

Ce premier épisode témoigne de l'amour et de la dévotion des amis bahá'ís envers 'Abdu'l-Bahá dont l'influence s'étendait même sur ceux qui ne croyaient pas en lui. Les flux de sa sagesse et de sa prescience divine entouraient toutes choses et avant qu'elles ne soient conçues, le terrain était préparé. May Bolles, "le flambeau des hérauts de la Cause de Dieu", avait servi habilement comme instrument à la main de Dieu qui, inexorablement accomplissait ses décrets.

Ces séries de coïncidences, ce déploiement de forces célestes étaient les voies par lesquelles la Divinité exprimait sa Volonté et la réalisait en amenant jusqu'à elle une âme attendue, celle de Thomas Breakwell. Mais qui était-il ?

Au stade de notre réflexion, il est encore difficile de le dire. Thomas Breakwell, cela est certain, est une âme mûre par sa capacité à assimiler tous les enseignements de la Foi en un seul instant; une âme "choisie" par la manière dont il fut averti et non pas convaincu du retour de la Manifestation de Dieu. A croire qu'il n'attendait que cette information pour que toute la vie qu'il a menée jusqu'à présent prenne un sens, et que la conviction d'une mission à remplir lui devienne désormais consciente; une âme "choisie" aussi par l'envergure de ses capacités spirituelles et de son amour pour l'humanité alors qu'il n'est pas encore à la fleur de l'âge. Sa destinée, il ne la connaîtra pourtant qu'en présence de celui qu'il a toujours appelé son Seigneur, 'Abdu'l-Bahá.


2. THOMAS BREAKWELL ET 'ABDU'L-BAHÁ A 'AKKÁ

Thomas Breakwell et Herbert Hopper s'embarquèrent comme prévu pour 'Akká. Nous n'avons pas d'informations sur le déroulement de leur voyage, ni sur l'état dans lequel se trouvaient les deux jeunes hommes à leur arrivée. Nous savons seulement que May Bolles prit aussi la route vers la ville-prison d''Akká en compagnie de sa mère et de son frère. Plus tard elle raconta ses souvenirs dans un article sur Thomas Breakwell. C'est ainsi que nous savons comment notre jeune ami a vécu cette expérience inoubliable. May raconte :

"Lorsque Herbert Hopper et Thomas arrivèrent à la prison d''Akká, ils furent introduits dans une pièce spacieuse, dans laquelle.... se tenait un groupe d'hommes en costume oriental. Le visage de H. Hopper rayonnait de cette joie, qu'éprouve ceux qui ont reconnu instantanément leur Bien-Aimé, mais Breakwell, lui, ne discernait personne en particulier parmi les gens présents : Se sentant soudainement affaibli et malade, il s'assit près d'une table, l'âme torturée par le sentiment d'une défaite écrasante. Ainsi effondré sur sa chaise, il se lamentait amèrement : pourquoi suis-je venu ici ? Pourquoi ai-je abandonné mon projet de voyage pour venir dans cette prison retirée du monde, pour chercher je-ne-sais-quoi ?

May Bolles explique que Thomas Breakwell venait de vivre sa première grande épreuve destinée à défaire son âme des voiles qui la recouvraient encore. Son sentiment de désespoir continua de le torturer jusqu'à ce qu'une porte s'ouvrit devant lui et laissa apparaître la silhouette du Maître, en qui il reconnut tout de suite son Seigneur. A partir de cet instant, le visage de Thomas Breakwell changea définitivement d'expression pour ne plus refléter que la joie et la satisfaction. Il ne fut plus tenté de regarder en arrière. Seul le Maître était devenu la source de ses préoccupations.

Pendant l'entretien qu'il eut avec 'Abdu'l-Bahá, il lui expliqua qu'il travaillait dans une usine de filature de coton dans le sud des Etats-Unis et que ses revenus et sa responsabilité étaient considérables. Pris soudainement de craintes et de doutes, que May Bolles décrivit comme une subite conviction de sa faute, il finit par ajouter : "Ces manufactures reposent sur le travail des enfants". 'Abdu'l-Bahá le regarda alors avec gravité et tristesse, puis, après un moment de silence, il lui dit : "Télégraphie ta démission". May Bolles poursuit son récit en racontant que Thomas Breakwell, soulagé de son écrasant fardeau, obéit instantanément à 'Abdu'l-Bahá et d'un geste coupa tous les ponts derrière lui, renonçant sur l'instant à tout ce qui avait fait sa vie, à son travail et à ses revenus.

Il n'avait plus qu'un seul désir, celui d'accomplir le bon plaisir de son Maître. Alors qu'à peine quelques instants plus tôt, il était fébrile et rempli de doutes, il était maintenant complètement transformé. Tous étaient témoins de la fermeté de sa foi, de son désir sincère de servir la Cause et de son obéissance inébranlable au Covenant. May Bolles écrivit à son sujet en des termes à la fois forts et bien pesés : "Ce sont ces jours passés dans la prison d''Akká, qui ont permis à Thomas Breakwell, grâce au changement mystique opéré dans son cœur et dans son âme, par l'influence de l'amour enflammé d''Abdu'l-Bahá et par sa sagesse, de se libérer de tout attachement terrestre et de s'attacher au monde de la réalité, pour apporter ainsi de grands bienfaits à la Foi".

Bien que le séjour de Thomas Breakwell à 'Akká fut de courte durée, sa présence. radieuse fut remarquée par les pèlerins. Dr. Yúnis Khán Afrúkhtih, le secrétaire d''Abdu'l-Bahá, relate à ce propos : "La ferveur et la foi de ce jeune homme étaient si élevées dans leur nature, que le son du nom de Breakwell résonnera durant des siècles et sera remémoré avec une profonde affection dans de nombreuses chroniques. Les versets des Ecrits qui témoignent des gloires du Royaume, étaient toujours sur ses lèvres. Son séjour à 'Akká était court, mais son amour était si intense et son zèle si ardent, qu'il touchait profondément le cœur de tous ceux qui l'entendaient. Lorsqu'il était en présence de notre incomparable Maître, il sombrait dans un état d'émerveillement..."

Thomas Breakwell n'eut pas le temps de rencontrer tous les amis bahá'ís à 'Akká. Sa visite ne pouvait durer plus de deux jours en raison des restrictions imposées par les autorités. Lorsque le moment de partir arriva finalement, 'Abdu'l-Bahá lui demanda de s'établir définitivement à Paris. Il pria le Dr. Yúnis Khán de l'accompagner à Haifa jusqu'à l'embarcadère. L'émotion était intense. Thomas Breakwell partait sans savoir qu'il ne lui serait plus jamais donné de revoir le Maître. Mais cela avait-il réellement une importance ? Son âme s'était tellement imprégnée de l'amour divin qui émanait d''Abdu'l-Bahá, qu'une vie entière n'aurait pas été suffisante pour donner au monde ce qu'il portait en lui.

Dr. Yúnis Khán, qui passa une ou deux heures en sa compagnie dans la maison d'un croyant avant le départ, en fut témoin. il écrit : "...nous étions dans une pièce orientée vers 'Akká. Il se tenait debout à cet endroit, faisant face à la prison,... dans un état de communion profonde. Alors que ses yeux s'humidifiaient de larmes, sa langue prononçait des paroles de supplication. Tous ceux qui se trouvaient avec lui, étaient profondément touchés".

Dans cet état d'extase, Thomas Breakwell demanda à Yúnis Khán s'il pouvait correspondre avec lui. "Vos lettres, disait-il, en réponse aux miennes, m'apporteront les parfums de la resplendissante ville d''Akká". A ces mots, tous les pèlerins présents, émus, pleurèrent.

Désormais, la correspondance entre Yúnis Khán et Thomas Breakwell allait être l'unique lien qui l'unirait à 'Abdu'l-Bahá.


3. THOMAS BREAKWELL: UNE ETOILE DANS LE FIRMAMENT DE PARIS

De retour à Paris, Thomas Breakwell ne tarda pas à faire sentir à son entourage la merveilleuse influence que sa communion avec le Maître avait eue sur lui. Habitué jusque là à vivre aisément, il changea totalement son mode de vie. Il reprit ses études et s'installa dans un quartier bon marché, probablement déjà au 14 rue Léonie comme l'indique son acte de décès. On apprend dans le même document retrouvé vers 1979, qu'il exerçait la fonction de sténographe quand il est mort. Bien que. Thomas vivait loin du centre de la ville, il se rendait toujours à pied aux réunions bahá'íes afin d'économiser l'argent du transport pour le donner comme contribution à l'enseignement à Paris. Il fut le premier bahá'í d'Occident à s'acquitter du Huqúqu'lláh, le Droit de Dieu. Jamais l'ombre d'une inquiétude pour son avenir ne lui traversait l'esprit. Il n'avait qu'un seul souci, servir passionnément l'humanité jusqu'à son dernier souffle.

Ainsi que l'écrivit May Bolles, "Thomas Breakwell était si abandonné aux puissantes forces créatrices latentes dans la révélation de Bahá'u'lláh, qu'il était spontanément amené jusqu'aux plus petites actions de sa vie, à manifester cet esprit d'amour et d'unité à tous".

Elle raconta à ce propos un souvenir illustrant sa bonté d'âme : "Je me souviens bien du jour où nous avions traversé en bus un pont au-dessus de la Seine, Thomas remarqua une vieille femme qui poussait laborieusement une charrette de pommes sur une pente; s'excusant par un sourire, il descendit du bus, rejoignit la vieille femme, et posa d'une façon les plus naturelles ses mains sur la charrette, qu'il monta jusqu'en haut du pont".

May Bolles explique de la manière suivante la courtoisie dont notre jeune ami faisait toujours preuve. Elle dit : "Le principe de l'unité de l'humanité qui est la pierre de fondation, sur laquelle repose toute la révélation bahá'íe, avait imprégné son âme comme une essence, l'influençant dans toutes ses relations sociales, le dotant d'une perspicacité et d'une pénétration des besoins humains, d'une sympathie intense et d'un amour sincère, qui faisaient de lui un espoir et un refuge pour tous".

May Bolles raconte par ailleurs : "Bien que nous fussions... des amis dévoués, ayant tout en commun, lorsqu'il venait à la maison, il donnait toute son aimable attention à ma mère (qui n'avait pas reconnu la station d''Abdu'l-Bahá), et sans me dire un mot, il prenait ma main et y glissait une petite note contenant des paroles de réconfort, généralement celles de Bahá'u'lláh". Admirative, elle en concluait : "Il savait apporter le bonheur, et il était vraiment la personnification des paroles du Maître : "L'étoile du bonheur est dans chaque cœur. Nous devons ôter les voiles afin de lui permettre de briller de façon radieuse".

Thomas Breakwell n'excellait pas seulement sur le plan de ses relations sociales, il était devenu une lumière directrice dans la communauté parisienne pour tout ce qui concernait l'enseignement. "Dans les réunions", remarque May Bolles, "il parlait avec une simplicité et une éloquence qui gagnaient les cœurs et revivifiaient les âmes; le secret de cette puissante influence résidait dans sa suprême reconnaissance de la Manifestation de Dieu, du Báb et de Bahá'u'lláh, et du sublime Centre du Covenant, 'Abdu'l-Bahá". Toutes les potentialités que May Bolles avait soupçonnées chez ce jeune homme dès leur première rencontre se manifestaient maintenant concrètement dans toute leur splendeur.

Les effets résultants de cette croissance spirituelle étaient à ce point considérables que May Maxwell alla jusqu'à faire la remarque suivante dans son article sur Thomas Breakwell : "Son calme et sa force, sa ferveur intense, sa capacité immédiate à saisir ce qui doit être prodigué à l'humanité dans cet âge de la Révélation de Bahá'u'lláh, libérèrent parmi nous des forces, dont l'apparition marqua une nouvelle Epoque dans le développement de la Cause en France". Les dernières paroles de May Bolles sont lourdes de significations lorsque l'on songe à 1'âge qu'avait Thomas Breakwell à cette époque et surtout aux effets qu'il était capable de produire de son vivant et à ceux qu'ils pourraient produire étant mort. Car vraiment, Thomas Breakwell ne semblait pas être quelqu'un comme tout le monde. La maturité spirituelle dont il faisait preuve était celle d'un homme d'âge mûr et non celle d'un homme de sa condition. Les personnes qui l'entouraient, comme May Bolles, Charles Mason Remey, avaient autant de mérite que Thomas Breakwell et pourtant l'influence de ce jeune homme était autre.

Thomas Breakwell poursuivait sa correspondance avec le Dr. Yúnis Khán qui partageait régulièrement les nouvelles avec 'Abdu'l-Bahá. Il l'informait de sa situation et de son désir de se conformer à la Volonté du Maître. Dans une de ses lettres, Thomas Breakwell interrogeait le secrétaire d''Abdu'l-Bahá pour savoir si le Maître lui permettrait de quitter Paris deux ou trois jours afin de se rendre en Angleterre au cas où l'un de ses parents serait malade ou décéderait. Puis, réfléchissant, il se dit qu'il n'était pas nécessaire d'importuner 'Abdu'l-Bahá avec cette question, car il répondrait certainement ce que le Christ avait déjà répondu, à savoir qu'il faut "laisser les morts enterrer les morts". Dr. Yúnis Khán lut le message à 'Abdu'l-Bahá qui, souriant, lui dit de lui répondre qu'aujourd'hui, "les vivants doivent enterrer les morts".

Quelques temps après, une autre lettre parvint à 'Akká, mystérieuse celle-ci, car Thomas Breakwell disait avoir compris ce qu'il devait faire mais souhaitait en plus de la satisfaction qu'il pourrait apporter au Maître, souffrir davantage pour son Bien-Aimé. On ignorait encore de quelle souffrance il parlait. L'affaire semblait se compliquer quand on apprit que les parents de Thomas Breakwell insistaient pour qu'il rentre très vite à Londres. Mais Thomas Breakwell avait refusé en raison de l'exhortation d''Abdu'l-Bahá. Il lui demanda de prier pour ses parents afin que ceux-ci deviennent bahá'ís. Ce. à quoi le Maître répondit aussitôt qu'il n'avait pas à s'inquiéter sur ce point.

Effectivement, quinze jours plus tard, Thomas Breakwell informa 'Abdu'l-Bahá que son père venu avec sa mère en visite à Paris, avait embrassé la foi. 'Abdu'l-Bahá révéla pour cette occasion une tablette en l'honneur d'Edward Breakwell. Thomas Breakwell, heureux, écrivit à ce moment au Maître que s'il avait été iranien, il aurait choisi d'être martyr.

On apprit par la suite, sans aucun avertissement préalable, qu'il était à l'hôpital dans la section des tuberculeux. Atteint depuis un certain temps déjà par cette maladie infectieuse (la bacille responsable venant seulement d'être découverte par Koch en 1882), Thomas vivait les dernières heures de son agonie. Les nouvelles du jeune homme arrivaient toujours à 'Akká, mais au lieu d'être déprimantes comme on l'aurait attendu, elles traduisaient une joie toujours plus grande malgré sa souffrance.

Il écrivait à Yúnis Khán : "J'espère que Dieu ne va pas m'épargner cette souffrance". 'Abdu'l-Bahá, à qui Yúnis Khán lisait ses lettres, restait toujours silencieux sur ce point, il se contentait de demander à son secrétaire de transmettre ses salutations, comme si l'intensité de la communion spirituelle que Lui et son disciple partageaient ensemble n'exigeait pas plus que ces quelques mots. Chose curieuse, alors qu'il aurait pu demander la guérison, Thomas Breakwell priait toujours pour demander plus de souffrance. Sa joie semblait croître à mesure que sa maladie le rongeait.

Hyppolite Dreyfus qui visita Thomas Breakwell à l'hôpital, racontait que ce dernier invitait les malades et qu'avec enthousiasme, il leur parlait de la foi. Certains de ses auditeurs étaient consternés par son message, d'autres le critiquaient. Mais Thomas Breakwell, imperturbable conservait sa tranquillité d'âme et disait aux malades qu'il n'allait pas mourir, mais qu'i1 partait seulement pour le Royaume de Dieu et que là-haut, il ne manquerait pas de prier pour eux. Vint enfin la dernière lettre de Thomas Breakwell où, toujours infiniment heureux, il écrivait qu'il espérait boire le calice des calamités grâce auquel il pourrait enfin s'approcher de son Bien-Aimé.

Concernant sa douleur, il écrivait : "La souffrance est comme un vin qui monte à la tête; je suis préparé à recevoir cette bonté qui est la plus grande de toutes; les tourments infligés à ma chair m'ont rendu capable de m'approcher davantage de mon Seigneur. Malgré ma douleur, je voudrais que la vie fusse plus longue, pour que je puisse goûter à plus de souffrances encore. Ce que je désire est le Bon Plaisir de mon Seigneur; mentionnez-moi en sa présence". Loin de comprendre l'aspiration de Thomas Breakwell à la souffrance comme une peur d'oublier Dieu ainsi que l'écrit le Dr. Yazdani dans sa thèse "Les deux ailes d'un oiseau ou Introduction à la Conception Bahá'íe de la Santé", il faut y voir à notre sens, même si l'explication de celle-ci reste énigmatique, l'exemple le plus frappant qui soit donné de ce que peut être l'amour d'un homme pour son Seigneur !

Thomas Breakwell rendit son dernier soupir le 13 juin 1902, à sept heures du soir, au 200 rue Faubourg Saint Denis comme le précise son acte de décès enregistré le 14 juin 1902. Il avait vingt-neuf ans et n'avait été bahá'í qu'une année même s'il disposait maintenant de l'éternité pour vivre et proclamer sa foi.

Avant que la nouvelle ne parvienne à 'Akká, 'Abdu'l-Bahá, qui se promenait sur la plage en compagnie du Dr. Yúnis Khán, lui dit: "Tu sais Khán, Thomas Breakwell est décédé. J'étais très triste et j'ai révélé une touchante Tablette de Visitation pour lui; elle était tellement touchante que moi-même j'ai pleuré deux fois en l'écrivant". Le Maître demanda aussitôt à son secrétaire de bien la traduire, afin que "quiconque la lise s'en émeuve".

Dr. Yúnis Khán effectua la version française puis la version anglaise avec l'aide de Lua Getsinger. Il écrivit, plus tard dans ses mémoires, qu'il ignorait jusqu'à ce jour qui avait donné cette information à 'Abdu'l-Bahá, puisque lui seul était chargé du courrier. La mort de Thomas Breakwell ne put effacer son souvenir de la mémoire d''Abdu'l-Bahá. Dr. Yúnis Khán raconta au sujet du chagrin du Maître l'histoire suivante : Une année s'écoula avant que le Maître n'entende des nouvelles de ses parents.

Un jour, alors que le Maître examinait certaines enveloppes qu'Il avait reçues de différents endroits, "I1 en retira soudainement une et me dit : comme les parfums émanant de cette enveloppe sont agréables. Fais vite, ouvres-la et vois d'où elle peut venir". L'enveloppe contenait une lettre et une, magnifique carte postale en couleur, à laquelle était attachée une violette. Sur la carte, quelques mots écrits en encre dorée disaient : " il n'est pas mort. Il vit dans le Royaume de Dieu", avec une inscription au bas : "Cette fleur a été cueillie sur la tombe de Thomas Breakwell". La lettre, quant à elle, disait : "Loué soit le Seigneur, car mon fils a quitté ce monde pour l'autre avec la reconnaissance et l'amour d''Abdu'l-Bahá". Aussitôt après que le Dr. Yúnis Khán ait traduit le message au Maître, celui-ci, "se leva de Son Siège, prit la carte, le mit sur Son front béni, et laissa couler des larmes sur ses joues".

Dans une lettre d''Abdu'l-Bahá adressée à Mason Remey, Il écrivit concernant le décès de Thomas Breakwell : "Ne sois pas affligé par l'ascension de mon bien-aimé Breakwell, car il s'est élevé vers une roseraie de splendeurs dans le paradis d''Abhá, protégé par la miséricorde de son puissant Seigneur, et il s'écrit, de toute la force de sa voix : "O si mon peuple pouvait savoir avec quelle miséricorde mon Seigneur m'a pardonné, et comment il a fait de moi l'un de ceux qui sont parvenus en Sa présence !".


4. TABLETTE D'ABDU'L-BAHA A BREAKWELL

Voici ce qui coula de la plume du Maître en l'honneur de Thomas Breakwell :

O Breakwell, ô mon aimé !
Où est désormais ton beau visage? Où est ta langue éloquente? Où est ton front clair ? Où est ton apparence lumineuse ?

O Breakwell, ô mon aimé !
Où est ton feu flamboyant de l'amour de Dieu ? Où est ton ravissement sous son souffle divin ? Où sont les louanges que tu élevais vers Lui ? Où est ta fougue pour servir sa Cause ?

O Breakwell, ô mon aimé !
Où sont tes yeux magnifiques ? Tes lèvres souriantes ? Tes joues princières ? Ta silhouette gracieuse ?

O Breakwell, ô mon aimé !
Tu as quitté ce monde terrestre pour atteindre le Royaume, tu es parvenu à la grâce du monde invisible, et tu t'es offert au seuil de son Seigneur.

O Breakwell, ô mon aimé !
Tu as laissé ici-bas la lampe qui était ton corps, le verre qui était ta forme humaine, tes éléments terrestres, ton mode de vie en ce monde.

O Breakwell, ô mon aimé !
Tu as allumé une flamme dans la lampe de la compagnie céleste, tu as posé le pied dans le paradis d''Abhá, tu as trouvé un abri à l'ombre de l'arbre sacré, tu as atteint la réunion avec Lui, au refuge des cieux.

O Breakwell, ô mon aimé !
Tu es désormais un oiseau du ciel, tu as quitté ton nid terrestre et tu t'es envolé vers un jardin de sainteté dans le royaume de ton Seigneur. Tu as atteint un rang plein de lumière.

O Breakwell, ô mon aimé !
Ton chant est désormais comparable à celui d'un oiseau, tu répands des versets de louanges sur la pitié de ton Seigneur; de Celui qui toujours pardonne, tu fus un serviteur reconnaissant; c'est pourquoi tu as pénétré dans une joie sans borne.

Q Breakwell, ô mon aimé !
Ton Seigneur t'a véritablement élu pour t'accorder son amour, il t'a conduit dans sa résidence de sainteté, et Il t'a fait pénétrer au jardin de ceux qui sont ses proches compagnons, et il t'a béni en te laissant contempler sa beauté.

O Breakwell, ô mon aimé !
Tu as gagné la vie éternelle, la générosité qui ne fait jamais défaut, une vie qui te plaise, et la grâce en abondance.

O Breakwell, ô mon aimé !
Tu es devenu une étoile dans le ciel suprême et une lampe parmi les anges des cieux; un esprit vivant dans le royaume le plus haut, ayant pour trône l'éternité.

O Breakwell, ô mon aimé !
Je demande à Dieu de t'amener toujours plus près, de te tenir toujours plus fort; de réjouir ton cœur de la proximité de sa présence, de t'emplir de lumière et de plus de lumière encore, de t'accorder encore plus de beauté, et de te donner la puissance et une gloire extrême.

O Breakwell, ô mon aimé !
A tout instant tu es présent à mon esprit Je ne t'oublierai jamais. Je prie pour toi le jour, la nuit; je, te vois vraiment devant moi, comme en plein jour.
O Breakwell, ô mon aimé!


5. LE RANG SPIRITUEL DE BREAKWELL

La lecture de cette sublime tablette ne suscite pas seulement l'émotion du lecteur, comme le disait 'Abdu'l-Bahá, elle provoque également la consternation et l'interrogation. On ne peut s'empêcher en effet de se demander qui était Thomas Breakwell pour avoir atteint une station spirituelle aussi exaltée, pour être devenu une "étoile dans le ciel suprême et une lampe parmi les anges des cieux", "un oiseau ...qui répand les versets de louanges sur la pitié de son Seigneur", un être que Dieu a "conduit dans sa résidence de sainteté" et qu'il a laissé "contempler sa beauté ?"

Les termes employés par 'Abdu'l-Bahá sont forts. Et pourtant Thomas Breakwell n'a été bahá'í que très peu de temps. On est d'autant plus surpris, de savoir que Shoghi Effendi, a écrit concernant le décès de George Townshend, que celui-ci avait atteint un rang jamais égalé encore par aucun Bahá'í d'occident, ce qui lui faisait mériter d'être situé à la même hauteur que Thomas Breakwell. Or, nous savons, que le premier a mené une longue vie de service et a publié un grand nombre d'écrits qui ont eu une influence considérable sur le progrès de la Foi.

La vie et la mort de Thomas Breakwell apparaissent donc bien mystérieuses. Quand on songe à ce personnage, une foule de questions se précipite à notre esprit. Pourquoi aspirait-il tant à la mort ? Pourquoi voulait-il souffrir toujours davantage ? Comment savait-il qu'il satisferait Dieu en buvant le calice de calamités alors que de toute façon il ne pouvait y échapper ? Toutes ses, qualités n'auraient-elles pas été plus profitables à l'humanité lui vivant que trépassé ? Comment expliquer tout, ce déploiement de forces mystérieuses qui l'ont mené à sa rencontre avec la foi pour ne vivre finalement que très peu de temps ? Quel a été le sens caché de sa vie ?

Nous avons réfléchi longtemps et, bien que pour nous la compréhension du mystère qui entoure la vie de Thomas Breakwell ne sera toujours que superficielle, nous pensons néanmoins qu''Abdu'l-Bahá nous a permis de soulever un peu le voile par le rapprochement de deux de ses textes, l'un étant un extrait de la Tablette révélée l'honneur de notre personnage, extrait révélateur quoique discret, l'autre étant une citation tirée de la dernière causerie d''Abdu'l-Bahá faite lors de sa visite à Paris. Il écrit :

"Ton Seigneur t'a véritablement élu pour t'accorder son amour, Il t'a conduit dans sa résidence de sainteté et Il t'a fait pénétrer au jardin de ceux qui sont ses proches compagnons, et Il t'a béni en te laissant contempler sa beauté".

Durant sa dernière causerie, le 1er décembre 1911, soit neuf ans après la mort de Thomas Breakwell, il dit : Quand j'arrivai pour la première fois à Paris il y a quelques temps, je regardai autour de moi avec beaucoup d'intérêt, et en mon esprit, je comparai cette superbe ville à un grand jardin. J'en examinai le terrain avec un soin bienveillant et beaucoup d'attention. Je le jugeai très bon et dans des conditions favorables pour y établir de fermes croyances et une foi inébranlable, car une semence de l'amour de Dieu avait été jetée dans ce terrain".

Comment ne pas succomber à cette conclusion frappante qui nous vient à l'esprit en lisant ces deux passages, à savoir que Thomas Breakwell fut une âme élue pour être la semence de l'amour de Dieu, qui servira de fertilisant à l'enseignement à Paris !! Plantée par la main du Maître lui-même, elle est amenée à croître, à se fortifier et à produire de nouveaux germes, dont la maturation marquera une étape décisive dans l'histoire de la Foi au sein de la capitale. Telle était sa destinée ! Voilà peut-être pourquoi Thomas Breakwell était si enflammé et si pressé de donner sa vie, de boire la coupe des calamités, car il savait qu'il servirait mieux la Cause ainsi, puisque Dieu l'avait doté d'un pouvoir latent considérable.

Le sacrifice de Thomas Breakwell rappelle celui de Mírzí Mihdí, le jeune fils de Bahá'u'lláh dont la mort dégagea une telle force qu'elle permit l'ouverture des portes de la prison qui cachait la Manifestation de Dieu aux yeux des pèlerins.

Quelle sera donc la force dégagée par la mort de Thomas Breakwell ? Si May Bolles, déjà à son époque, pensait qu'il avait libéré dans la communauté parisienne des forces dont l'apparition marque le début d'une nouvelle Epoque dans la Cause, si elle affirme que l'esprit de Thomas Breakwell continue non seulement de "vivre dans la mémoire des bahá'ís, mais qu'en plus il fait partie intégrante de la structure de l'Ordre Mondial", et que selon elle, il a été "le premier croyant à recevoir la confirmation de Dieu et le feu de son Amour", que devons-nous dire aujourd'hui ? Le nom de Thomas Breakwell ne doit être, ni plus ni moins, que l'étendard par lequel nous transformerons Paris en "un jardin de roses".


BIBLIOGRAPHIE

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