Read: Dieu passe pres de nous - Partie 2 - Chapitre 08


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DIEU PASSE PRES DE NOUS

Shoghi Effendi

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2ième Période: Ministère de Bahá'u'lláh (1853-1892)

CHAPITRE VIII: Exil de Bahá'u'lláh en 'Iráq (suite)

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Le départ de Bahá'u'lláh de Sulaymàniyyih et son retour à Baghdád marquent un tournant des plus importants dans l'histoire du premier siècle bahá'i. Les destinées de la foi, qui étaient tombées au plus bas, commençaient maintenant à se redresser, et elles allaient poursuivre leur ascension avec vigueur et persistance jusqu'à un nouveau sommet en corrélation avec la déclaration de sa mission, à la veille de son exil à Constantinople. Avec son retour à Baghdád, l'ancre était solidement fixée, comme jamais encore elle ne l'avait été dans l'histoire de la foi. Jamais auparavant, sauf pendant les trois premières années de son existence, cette foi n'avait pu prétendre posséder un centre fixe et accessible vers lequel ses adhérents puissent se tourner pour être guidés, et pour puiser sans encombre une inspiration continue. La moitié au moins du court ministère terrestre du Báb s'exerça sur la frontière la plus éloignée de son pays natal, où il vécut caché et pratiquement séparé de la grande majorité de ses disciples. La période qui suivit immédiatement son martyre fut marquée par une confusion encore plus déplorable que la période d'isolement due à sa captivité forcée. Et lorsque la révélation qu'il avait prédite fit son apparition, elle ne fut pas suivie par une déclaration immédiate qui puisse permettre aux membres d'une communauté déroutée de se rallier autour de la personne du sauveur attendu. La retraite prolongée de Mirzá Yahyá, provisoirement désigné comme centre en attendant la manifestation du Promis, l'absence de Bahá'u'lláh loin de son pays natal pendant les neuf mois de son séjour à Karbilà, absence bientôt suivie de son emprisonnement dans le Siyáh-Chàl, de son bannissement en 'Iráq, et plus tard, de sa retraite au Kurdistàn, tous ces événements s'ajoutèrent pour allonger la période d'instabilité et d'incertitude par laquelle devait passer la communauté Bábi.

Maintenant enfin, bien que Bahá'u'lláh se montrât peu empressé à dévoiler le mystère entourant sa propre position, les Bábis eurent la possibilité à la fois de concentrer leurs espoirs et de diriger leurs activités vers celui qu'ils estimaient capable (quelles que fussent leurs opinions concernant sa qualité) d'assurer la stabilité et de garantir l'intégrité de leur foi. L'orientation ainsi acquise par la foi et l'immuabilité du centre autour duquel elle gravitait désormais continuèrent, sous une forme ou sous une autre, à constituer ses caractéristiques principales dont, plus jamais, elle ne devait être privée.

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Comme on l'a déjà remarqué, à la suite des coups effroyables et répétés qu'elle avait reçus, la foi du Báb était sur le point de s'éteindre. La révélation de haute importance accordée à Bahá'u'lláh dans le Siyáh-Chàl n'apporta pas non plus, dans l'immédiat, de résultat tangible capable de produire un effet stabilisant sur une communauté presque disloquée. L'exil inattendu de Bahá'u'lláh avait été un nouveau coup porté à ses membres, qui avaient appris à compter sur lui. Le retrait et l'inaction de Mirzá Yahyá accélérèrent davantage encore le processus de désagrégation qui avait commencé. L'éloignement prolongé de Bahá'u'lláh dans le Kurdistàn semblait avoir consacré sa dissolution définitive.

Toutefois, la marée qui avait baissé de façon si alarmante était maintenant en train de remonter, apportant avec elle, en s'élevant vers son maximum, ces inestimables bienfaits qui devaient annoncer la proclamation de la révélation déjà dévoilée en secret à Bahá'u'lláh.

Pendant les sept ans qui s'écoulèrent entre la reprise de ses travaux et la déclaration de sa mission prophétique - années que nous allons considérer à présent -, il ne serait pas exagéré de dire que la communauté bahá'i était née et se constituait, sous le nom et sous la forme d'une communauté Bábi régénérée, quoique son créateur apparût encore sous l'aspect d'un des principaux disciples du Báb et continuât de travailler comme tel. Ce fut une période pendant laquelle le prestige du chef nominal' de la communauté disparut en permanence de la scène, pâlissant devant la splendeur ascendante de celui qui était son sauveur et son chef réel. Ce fut une période au cours de laquelle mûrirent et furent recueillis les premiers fruits d'un exil doté d'incalculables vertus latentes. Elle restera dans l'histoire comme une période pendant laquelle le prestige d'une communauté recréée fut énormément rehaussé, sa moralité complètement réformée, où fut accepté avec enthousiasme celui qui rétablit sa prospérité, où sa littérature fut immensément enrichie et ses victoires sur ses nouveaux adversaires universellement reconnues.

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Le prestige de la communauté, et en particulier celui de Bahá'u'lláh commençait alors, depuis sa première apparition dans le Kurdistàn, à monter dans un crescendo constant. Bahá'u'lláh avait à peine repris les rênes de l'autorité qu'il avait abandonnées, que ses fervents admirateurs laissés à Sulaymàniyyih commencèrent à affluer à Baghdád, le nom de "derviche Muhammad' sur les lèvres, et se dirigeant vers la "maison de Mirzá Mùsà le Bábi". Etonnés de voir se presser dans la maison de Bahá'u'lláh autant d'ulamà et de sùfis* d'origine kurde, appartenant aux ordres de qàdiriyyih et de khàlidiyyih, et animés par un sentiment de rivalité raciale et sectaire, les chefs religieux de la ville tels que le fameux Ibn-i-Àlùsi, mufti de Baghdád, ainsi que le Shaykh 'Abdu's-Sàlam, le Shaykh 'Abdu'l-Qàdir et Siyyid Dàwùdi commencèrent à rechercher sa présence, et après avoir obtenu des réponses tout à fait satisfaisantes à leurs différentes questions, ils se joignirent eux-mêmes au groupe de ses premiers admirateurs. Le fait que ces chefs éminents reconnurent sans réserve les traits distinctifs du caractère et de la conduite de Bahá'u'lláh stimula la curiosité et provoqua, plus tard, les louanges sans fin de quantité d'observateurs de condition moins brillante, parmi lesquels figurent des poètes, des mystiques et des notables en résidence ou de passage dans la ville. Des fonctionnaires du gouvernement, parmi lesquels figuraient le pacha 'Abdu'lláh et son lieutenant Mahmùd Àqà ainsi que Mullà 'Ali Mardàn, un Kurde bien connu dans ce milieu, furent mis peu à peu en rapport avec lui et contribuèrent à ébruiter sa renommée grandissante. Les Persans distingués qui vivaient à Baghdád et dans les environs, ou s'y rendaient en pèlerinage pour visiter les lieux saints, ne pouvaient rester insensibles à la magie de son charme. Des princes du sang parmi lesquels se trouvaient des personnages tels que le nà'ibu'l-iyálih*, le shuià'u'd-dawlih*, le sayfu'd-dawlih* et Zaynu'l-'Abidin Khàn, le fakhru'd-dawlih* furent de même irrésistiblement attirés dans le cercle toujours grandissant de ses associés et de ses relations.

La plupart de ceux qui, pendant les deux ans d'absence de Bahá'u'lláh loin de Baghdád, avaient insulté avec tant d'acharnement et raillé bruyamment ses compagnons et ses parents, se trouvaient maintenant réduits au silence. Un assez grand nombre d'entre eux affectaient du respect et de l'estime pour lui, quelques-uns se donnaient comme ses partisans et ses défenseurs, tandis que d'autres prétendaient partager ses croyances et se joignirent effectivement aux rangs de la communauté à laquelle il appartenait. Le degré du revirement qui s'était dessiné fut tel qu'on entendit même l'un d'entre eux se vanter d'avoir, dès l'année I25o A.H. - dix ans avant la déclaration du Báb - déjà décelé et adopté la vérité de sa foi.

Quelques années après le retour de Bahá'u'lláh de Sulaymàniyyih, la situation était complètement retournée. La maison de Sulaymàn-i-Ghannàm officiellement appelée plus tard bayt-i-a'zam (la demeure suprême) et connue à cette époque comme la maison de Mirzá Mùsà, le Bábi -, résidence des plus modestes, située dans le quartier Karkh près de la rive occidentale du fleuve, et dans laquelle la famille de Bahá'u'lláh s'était installée avant son retour du Kurdistàn, était maintenant devenue le foyer de convergence d'un grand nombre de chercheurs, de visiteurs et de pèlerins composés de Kurdes, de Persans, d'Arabes et de Turcs, d'origine musulmane, juive et chrétienne. C'était aussi un véritable sanctuaire vers lequel les victimes de l'injustice du représentant officiel du gouvernement persan avaient coutume de se réfugier, dans l'espoir d'obtenir réparation des dommages qu'ils avaient subis.

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En même temps, un grand nombre de Bábis persans, dont le seul but était de parvenir en présence de Bahá'u'lláh, grossirent le flot de visiteurs qui franchissaient les portes accueillantes de sa demeure. Rapportant à leur retour au pays natal d'innombrables témoignages oraux et écrits de sa puissance et de sa gloire sans cesse grandissantes, ils ne pouvaient manquer de contribuer dans une large mesure à l'extension et au progrès d'une foi rénovée. Quatre des cousins du Báb et son oncle maternel Hàji Mirzá Siyyid Muhammad, une petite fille du sháh Fath-'Ali, admiratrice fervente de Tàhirih, appelée Varaquatu'r-Ridván, l'érudit Mullà Muhammad-i-Qà'ini, surnommé Nabil-i-Akbar, le déjà célèbre Mullà Sadiq-i-Khuràsàni, surnommé Ismu'lláhu'l-Asdaq, qui avait été odieusement persécuté à Shiráz en même temps que Quddùs, Mullà Baqir, l'une des Lettres du Vivant, Siyyid Asadu'llah surnommé Dayyán, le vénéré Siyyid Javàd-i-Karbilà'i, Mirzá Muhammad Hasan et Mirzá Muhammad1jusayn, immortalisés plus tard sous les titres respectifs de Sultánu'shshuhadà et Mahbùbu'sh-shuadà (Roi des martyrs et Bien-Aimé des martyrs), Mirzá Muhammad-'Aliy-i-Nahri dont la fille devait être unie plus tard à 'Abdu'l-Bahá, l'immortel Siyyid Ismà'il-i-Zavàri'i, Hàji Shaykh Muhammad que le Báb appela Nabil, le talentueux Mirzá Àqày-i-Munir, appelé Ismu'lláhu'l-Munib, le patient Hàji Muhammad Taqi, surnommé Ayyùb, Mullà Zaynu'l-'Àbidin surnommé Zaynu'l-Muqarrabin, considéré comme un mujtahid hautement estimé, tous ces personnages firent partie des visiteurs et des condisciples qui franchirent le seuil de sa porte, qui entrevirent une lueur de la splendeur de sa majesté, et qui transmirent partout les forces créatrices qui avaient pénétré en eux au contact de son esprit. Mullà Muhammad-i-Zarandi, surnommé Nabil-i-A'zam*, qui peut être considéré comme son poète officiel, son chroniqueur et son inlassable disciple, avait déjà rejoint les exilés, et s'était lancé dans une suite de voyages longs et pénibles jusqu'en Perse, pour répandre la cause de son Bien-Aimé.

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Même ceux qui, dans leur folie et leur témérité, s'étaient permis, à Baghdád, Karbilà, Qum, Kashàn, Tabriz et Tihrán, d'usurper les droits et de prendre le titre de " Celui que Dieu rendra manifeste", même ceux-là étaient pour la plupart instinctivement conduits à rechercher sa présence, à confesser leur erreur et à implorer son pardon. A mesure que le temps passait, des fugitifs, leurs femmes et leurs enfants, poussés par la peur continuelle des persécutions, venaient chercher une sécurité relative tout près de celui qui était déjà devenu le centre de ralliement d'une communauté durement éprouvée. Rejetant les règles de prudence et de modération et oubliant leur fierté devant le prestige grandissant de Bahá'u'lláh, des Persans de haut rang, qui vivaient en exil, s'asseyaient à ses pieds et, selon leurs capacités respectives, se pénétraient de son esprit et de sa sagesse. Quelques-uns des plus ambitieux d'entre eux comme 'Abbás Mirzá, un fils du sháh Muhammad, le vazir-nizàm* et Mirzá Malkam Khàn ainsi que certains fonctionnaires des gouvernements étrangers essayèrent, dans l'étroitesse de leurs vues, d'obtenir son appui et son aide pour servir les projets qu'ils caressaient, projets qu'il condamna sans hésiter et avec sévérité. Le colonel Sir Arnold Burrows Kemball, alors représentant du gouvernement britannique et consul général à Baghdád, ne fut pas, lui non plus, insensible à la position qu'occupait maintenant Bahá'u'lláh. Entrant en correspondance amicale avec lui, il lui offrit, ainsi que l'atteste Bahá'u'lláh en personne, le couvert de la citoyenneté britannique, lui rendit personnellement visite, et prit sur lui de transmettre à la reine Victoria tout message qu'il souhaiterait lui faire parvenir. Il se déclara même prêt à faire le nécessaire pour transférer sa résidence aux Indes ou en tout autre lieu qui lui serait agréable. Bahá'u'lláh déclina cette proposition, préférant élire domicile sur le territoire du sultán de Turquie. Et finalement, pendant la dernière année de son séjour à Baghdád, le pacha Nàmiq, alors gouverneur, impressionné par les nombreuses marques d'estime et de vénération dont il était l'objet, lui rendit visite afin de rendre un hommage personnel à celui qui avait déjà remporté une victoire aussi évidente sur les cœurs et les âmes de ceux qui l'avaient rencontré. Le respect que le gouverneur portait à celui qu'il considérait comme une des lumières de cet âge était si profond, qu'il attendit trois mois, au cours desquels il reçut cinq ordres réitérés du pacha 'Ali, avant de se résoudre à informer Bahá'u'lláh que le désir du gouvernement turc était de le voir partir pour la capitale. Un jour que Bahá'u'lláh avait envoyé 'Abdu'l-Bahá et Àqày-i-Kalim en visite chez ce gouverneur, celui-ci les reçut avec une telle recherche et tant de cérémonie, que le gouverneur adjoint déclara que jamais encore, à sa connaissance, aucun gouverneur de la ville n'avait reçu une notabilité de façon si chaleureuse et si courtoise. A la vérité, le sultán 'Abdu'l-Majid avait été si frappé par les rapports favorables de la part des différents gouverneurs de Baghdád à son sujet (c'est là le témoignage personnel que le délégué du gouverneur donna à Bahá'u'lláh) qu'en conséquence, il refusa de donner suite aux requêtes du gouvernement persan, soit de le livrer à leur représentant, soit d'ordonner son expulsion du territoire turc.

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En aucune des circonstances passées depuis la naissance de la foi, pas même durant les jours où le Báb fut salué à Isfàhàn, à Tabriz et à Chihriq par les ovations de la foule enthousiasmée, l'un quelconque de ses promoteurs n'avait atteint une telle prééminence dans l'esprit du public, ou exercé une influence d'une telle portée et d'une telle puissance sur un cercle d'admirateurs aussi différents. Bien que l'autorité détenue par Bahá'u'lláh pendant son séjour à Baghdád, au premier âge de la foi, fût sans précédent, sa portée était alors modeste comparée à l'ampleur de la renommée que, à la fin de cette même époque, et sous l'action de l'inspiration directe du Centre de son covenant, la foi obtint, à la fois sur le continent européen et sur le continent américain.

L'ascendant exercé par Bahá'u'lláh ne se manifesta nulle part mieux que dans son habileté à élargir les perspectives et à transformer le caractère de la communauté à laquelle il appartenait. Bien que portant lui-même le titre de Bábi, et quoique les clauses du Bayán fussent encore considérées comme des obligations légales et inviolables, il fut capable d'inculquer des normes qui, sans être incompatibles avec la doctrine du Bayán, étaient moralement supérieures aux principes les plus élevés établis par la dispensation Bábi. Les vérités salutaires et fondamentales soutenues par le Báb, qui avaient été soit obscurcies, soit négligées ou mal interprétées, furent de plus élucidées par Bahá'u'lláh, réaffirmées puis implantées de nouveau dans la vie sociale de la communauté et au fond de l'âme de chacun de ses membres. La non-association de la foi Bábi avec toute forme d'activité politique et toutes factions et associations secrètes, l'accent placé sur le principe de non-violence, la nécessité d'obéir strictement au gouvernement établi, l'interdit jeté sur toute forme de sédition, de médisance, de représailles et de discorde, l'importance donnée à la piété, la bonté, l'humilité et la dévotion, à l'honnêteté, la véracité, la chasteté et la fidélité, à la justice, la tolérance, la sociabilité, l'amitié et la concorde, à l'étude des arts et des sciences, à l'esprit de sacrifice et au détachement, à la patience, la constance et la résignation à la volonté de Dieu, tous ces traits constituent les caractéristiques remarquables d'un code de conduite morale auquel les livres, traités et épîtres, révélés au cours de ces années par la plume infatigable de Bahá'u'lláh, rendent un témoignage certain.

"Avec l'aide de Dieu, sa grâce et sa miséricorde divines", écrit-il lui-même en faisant allusion au caractère et aux résultats de ses propres efforts durant cette période, " -Nous avons révélé nos versets ainsi qu'une pluie abondante, et Nous les avons fait parvenir en différentes parties du monde. Nous avons exhorté tous les hommes, et en particulier ce peuple, par nos sages conseils et nos affectueuses remontrances, en leur interdisant de s'engager dans la sédition, les querelles, les contestations et les conflits. En conséquence de ceci, et par la grâce de Dieu, l'obstination et la folie furent changées en piété et en compréhension, et les armes de la guerre furent transformées en instruments de paix." " Bahá'u'lláh ", affirme 'Abdu'l-Bahá, "fit des efforts si énergiques après son retour" (de Sulaymàniyyih) "pour instruire et pour éduquer cette communauté, pour réformer ses moeurs, mettre de l'ordre dans ses affaires et rétablir sa prospérité, qu'en peu de temps tous ces troubles et ces maux s'éteignirent, et que la paix et la tranquillité les plus grandes régnèrent dans le cœur des hommes." Et encore: " Lorsque ces principes essentiels furent affermis dans l'âme de ces êtres, ils se conduisirent partout de telle manière que, de l'avis des personnes autorisées, ils devinrent célèbres pour l'intégrité de leur caractère, la constance de leur cœur, la pureté de leurs mobiles, pour leurs actes méritoires et l'excellence de leur conduite."

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Le caractère élevé des enseignements donnés par Bahá'u'lláh au cours de cette période est peut-être mieux illustré par la déclaration suivante qu'il fit, à l'époque, à un fonctionnaire lequel lui avait rapporté qu'à cause de la dévotion professée par un malfaiteur à sa personne, il avait hésité à infliger à ce criminel la punition qu'il méritait -: " Dites-lui que nul en ce monde ne peut se réclamer de moi s'il n'est de ceux qui, par leur conduite et pour tous leurs actes, suivent mon exemple, de telle sorte que tous les peuples de la terre soient impuissants à les empêcher défaire et de dire ce qui est convenable et bienséant." " Cet homme qui est mon frère ", déclara-t-il encore à ce fonctionnaire, "ce Mirzá Mùsà qui est du même père et de la même mère que moi-même et qui fut mon compagnon depuis sa plus tendre enfance, s'il venait à commettre un acte contraire aux intérêts de l'Etat ou de la religion, et si sa culpabilité vous était prouvée, Je vous approuverais et je serais satisfait si vous décidiez de lui lier les mains et de le jeter dans le fleuve pour qu'il s'y noie, et si vous refusiez de prendre en considération toute intercession en sa faveur, d'où qu'elle vienne." Par ailleurs, désireux d'insister sur le fait qu'il condamne vigoureusement tout acte de violence, il écrit: "J'accepterais plus facilement que quelqu'un fasse du mai à l'un de mes propres fils ou de mes parents, plutôt que de le voir faire du tort à quelque âme que ce soit."

" La plupart de ceux qui entouraient Bahá'u'lláh ", écrit Nabil, dépeignant 1 esprit qui animait la communauté Bábi réformée de Baghdád, "apportèrent un tel soin à sanctifier et à purifier leur âme, qu'ils ne souffraient pas de prononcer un seul mot qui ne soit conforme à la volonté de Dieu, et qu'ils n'auraient pas fait un seul pas contraire à son bon plaisir." "Chacun d'eux", raconte-t-il, "avait conclu un pacte avec un de ses condisciples, aux termes duquel ils acceptaient de se reprendre mutuellement et, si nécessaire, de s'administrer l'un à l'autre un certain nombre de coups sur la plante des pieds, nombre proportionné à la gravité de l'offense faite aux règles élevées qu'ils avaient juré d'observer." Décrivant la ferveur de leur zèle, il déclare que, "tant que le coupable n'avait pas subi la punition qu'il avait demandée, il ne consentait ni à manger ni à boire".

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Le changement radical opéré par la parole de Bahá'u'lláh, écrite ou orale, dans le comportement et le caractère de ses compagnons, allait de pair avec la brûlante dévotion que son amour avait éveillée dans leur âme. Un zèle, une ferveur passionnée, rivalisant avec l'enthousiasme qui avait embrasé si ardemment le cœur des disciples du Báb dans leurs moments de suprême exaltation, s'étaient maintenant emparés de l'âme des exilés de Baghdád et avaient galvanisé leur être tout entier. Parlant de la fécondité de cette renaissance spirituelle prodigieusement dynamique, Nabil écrit: " Ils étaient tous si enivrés, si transportés par les doux parfums du matin de la révélation divine que, me semblait-il, des monceaux de fleurs sortaient de chaque épine, et que chaque graine produisait d'innombrables moissons." "La pièce qui, dans la demeure suprême", rapporte ce même chroniqueur, "était réservée à la réception des visiteurs de Bahá'u'lláh, quoique délabrée et inutilisée depuis longtemps, rivalisait avec le très haut paradis, à force d'être parcourue par les pas bénis du Bien-Aimé. Basse de plafond, elle semblait pourtant toucher aux étoiles, et quoique meublée d'un seul lit fait de branches de palmiers, sur lequel celui qui est le Roi des noms avait coutume de s'asseoir, elle attirait, tel un aimant, les cœurs des princes."

C'était cette même salle de réception qui, malgré sa sévère simplicité, avait tellement séduit le shujà'u'd-dawlih qu'il avait exprimé à ses pairs, les princes, son intention d'en faire construire une réplique dans sa demeure de Kàzimayn. "Il peut fort bien réussir", aurait remarqué Bahá'u'lláh en souriant, lorsqu'il connut son intention, "à produire extérieurement la copie conforme de cette pièce au plafond bas, faite de boue et de paille, ainsi que son minuscule jardin. Mais qu'en est-il de son pouvoir d'ouvrir sur elle les portes spirituelles qui donnent sur les mondes cachés de Dieu?" " je ne sais comment l'expliquer ", affirme le fakhru'd-dawlih Zaynu'l-'Abidin Khàn, un autre prince, décrivant l'ambiance qui régnait dans ce salon de réception, "mais si tous les chagrins du monde s'étaient amassés dans mon cœur, je crois qu'ils se seraient tous évanouis en la présence de Bahá'u'lláh. C'est comme si j'étais entré dans le paradis même."

Les fêtes joyeuses que ces compagnons, malgré leur salaire extrêmement modeste, offraient sans arrêt en l'honneur de leur Bien-Aimé, les réunions se prolongeant tard dans la nuit, au cours desquelles, par des prières, des poèmes et des chants, ils prononçaient à haute voix les louanges du Báb, de Quddùs et de Bahá'u'lláh, les jeûnes qu'ils observaient, les veilles auxquelles ils se livraient, les rêves et les visions qui mettaient leur âme en feu et qu'ils se racontaient les uns aux autres avec des sentiments d'enthousiasme débordant, l'empressement avec lequel ceux qui servaient Bahá'u'lláh, attentifs à ses besoins, exécutaient ses commissions et transportaient des outres pleines d'eau pour ses ablutions et autres besoins domestiques, les actes d'imprudence qu'ils commettaient parfois dans les moments d'extase, les expressions d'étonnement et d'admiration que leurs paroles et leurs actes provoquaient au sein d'une population qui avait rarement été le témoin de pareilles démonstrations de transport religieux et de dévotion personnelle, tous ces faits et beaucoup d'autres resteront à jamais associés à l'histoire de cette période immortelle qui s'écoula entre l'heure où naquit la révélation de Bahá'u'lláh et la proclamation qu'il en fit, à la veille de son départ d'Iráq.

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Nombreuses et frappantes sont les anecdotes racontées par ceux qui furent en contact direct avec Bahá'u'lláh au cours de ces années poignantes, soit de par leurs fonctions, soit par hasard ou par prédilection. Nombreux et émouvants sont les témoignages de ceux qui eurent le privilège de contempler l'expression de son visage, d'observer sa démarche ou de surprendre ses remarques, tandis qu'il circulait à travers les ruelles et les rues de la ville ou qu'il arpentait les rives du fleuve. Nombreux sont les témoignages des adorateurs qui l'observaient pendant qu'il priait dans leurs mosquées: Ceux du mendiant, du malade, du vieillard et du miséreux qu'il secourait, guérissait, soutenait et réconfortait, ceux des visiteurs, depuis le plus grand prince jusqu'au plus humble mendiant, qui franchissaient le seuil de sa porte pour s'asseoir à ses pieds, ceux du marchand, de l'artisan et du vendeur qui lui livraient les fournitures quotidiennes, ceux de ses fidèles dévoués qui avaient perçu les signes de sa gloire cachée, ceux de ses adversaires, confondus ou désarmés par la puissance de sa parole et la chaleur de son amour, ceux des prêtres et des laïques, des nobles et des érudits qui le recherchaient dans l'intention, soit de défier son autorité, soit d'éprouver son savoir, soit encore d'examiner ses revendications, d'avouer leur insuffisance ou de se convertir à la cause qu'il avait épousée.

D'un trésor si riche de précieux souvenirs, il me suffira de citer un seul exemple pour atteindre mon but: L'un de ses ardents adorateurs, né à Zavàrih*, Siyyid Ismail, surnommé Dhàbih (le sacrifice), remarquable théologien jadis, d'humeur taciturne, porté à la méditation et complètement libéré de toute attache terrestre, s'était lui-même assigné la tâche, dont il tirait gloire, de balayer les alentours de la maison où habitait Bahá'u'lláh. Déroulant son turban vert, marque distinctive de sa sainte lignée, il ramassait, à l'aube, avec une patience infinie, les graviers que les pas de son Bien-Aimé avaient foulés, enlevait la poussière des fentes du mur autour de la porte de cette demeure, rassemblait les balayures dans un pan de son propre manteau et, trouvant indigne de jeter sa charge où elle serait piétinée par les autres, il la transportait jusqu'aux berges du fleuve et la jetait dans ses eaux. A la fin, ne pouvant plus supporter les vagues d'amour qui bouillonnaient en son âme, après s'être privé pendant quarante jours de tout sommeil et de toute nourriture, et s'être acquitté une dernière fois de la tâche qui lui tenait tant à cœur, il se rendit un jour sur les rives du fleuve, sur la route de Kàzimayn, fit ses ablutions, s'étendit sur le dos, le visage tourné vers Baghdád, se trancha la gorge avec un rasoir, posa ce dernier sur sa poitrine et expira (1275 A.H.).

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Et il ne fut pas seul à préméditer un tel acte avec l'idée bien arrêtée de l'accomplir. D'autres étaient prêts à en faire autant sans l'intervention rapide de Bahá'u'lláh qui ordonna aux réfugiés vivant à Baghdád de retourner immédiatement dans leur pays natal. Et lorsqu'il fut bien établi que Dhàbih était mort de sa propre main, les autorités ne purent pas non plus rester indifférentes à une cause dont le chef pouvait inspirer une aussi rare dévotion, et exercer un pouvoir aussi absolu sur les cœurs de ses adorateurs. Informé des appréhensions que cet incident avait soulevées dans certains milieux de Baghdád, Bahá'u'lláh fit, paraît-il, la remarque suivante: " Siyyid Ismà'il possédait un tel pouvoir et une telle influence que, s'il avait été confronté avec tous les peuples de la terre, nul doute qu'il aurait pu établir sa suprématie sur eux." A propos de ce même Dhàbih qu'il qualifia de "Roi et Bien-Aimé des martyrs ", on rapporte encore ces paroles de Bahá'u'lláh: "Il n'est pas de sang répandu jusqu'à présent sur la terre qui soit aussi pur que le sang qu'il a versé."

"Ceux qui avaient goûté à la coupe de la présence de Bahá'u'lláh étaient tellement exaltés", témoigne encore Nabil qui fut lui-même un témoin oculaire de la plupart de ces épisodes émouvants, "que les palais des rois leur paraissaient plus éphémères qu'une toile d'araignée ... Leurs fêtes et leurs célébrations à eux étaient telles, que les rois de la terre n'en avaient jamais rêvé de semblables." "je vivais moi-même avec deux autres personnes", raconte-t-il, "dans une pièce non meublée. Bahá'u'lláh y entra un jour et, regardant autour de lui, remarqua: "Ce vide me plaît. A mes yeux, cette pièce est préférable à bien des palais spacieux, d'autant plus que les bien-aimés de Dieu y sont occupés à se souvenir de l'Ami incomparable, le cœur complètement débarrassé des impuretés de ce monde." Sa propre vie était caractérisée par cette même austérité et montrait la même simplicité que celle de ses compagnons bien-aimés. "Il fut un temps où, en 'Iráq', affirme-t-il dans une de ses tablettes, "la Beauté ancienne ... n'avait pas de linge de rechange. Il fallait laver et faire sécher la seule chemise qu'elle possédât et la remettre aussitôt.''

"Pendant bien des jours", continue Nabil, décrivant la vie de ces compagnons oublieux d'eux-mêmes, "au moins dix personnes vécurent tout au plus avec deux sous de dattes. Nul ne savait à qui appartenaient en réalité les souliers, les manteaux ou les robes qui se trouvaient dans leurs demeures. Celui qui allait au bazar pouvait dire que les souliers qu'il portait étaient les siens, et chacun de ceux qui étaient admis en la présence de Bahá'u'lláh pouvait affirmer que le manteau ou la robe qu'il portait lui appartenait. Ils avaient oublié leurs propres noms, leur cœur ne contenait rien d'autre que leur adoration pour leur Bien-Aimé ... 0 la joie de ces jours, le bonheur et l'émerveillement de ces heures ! "

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L'augmentation considérable dans la variété et l'abondance des écrits de Bahá'u'lláh, après son retour de Sulaymàniyyih, constitue un autre trait distinctif de la période considérée. Les versets qui, pendant ces années, coulèrent de sa plume et qu'il qualifie de "pluie continuelle", qu'ils soient sous forme d'épîtres, d'exhortations, commentaires, apologies, dissertations, prophéties, prières, odes, ou bien sous forme de tablettes proprement dites, contribuèrent d'une manière appréciable à réformer et à développer peu à peu la communauté Bábi, à élargir ses conceptions, étendre ses activités ainsi qu'à éclairer l'esprit de ses membres. Cette période fut si prolifique que, d'après Nabil, qui habitait Baghdád à cette époque, pendant les deux premières années qui suivirent le retour de Bahá'u'lláh, les versets non recueillis par écrit qui coulèrent de ses lèvres, en un jour et une nuit seulement, atteignirent en moyenne le volume du Qur'án. Quant à ceux qu'il dicta ou écrivit lui-même, leur quantité n'est pas moins remarquable que la richesse de leur contenu ou la diversité des sujets qu'ils traitent. Malheureusement, une bonne partie, en fait la majeure partie de ces écrits, est irrémédiablement perdue pour la postérité. Selon Nabil, une voix non moins autorisée que celle de Mirzá Àqà Jàn, le secrétaire de Bahá'u'lláh, affirme que, sur l'ordre exprès de Bahá'u'lláh, des centaines de milliers de versets, écrits pour la plupart de sa propre main, furent détruits et jetés dans la rivière. " Voyant qu'il m'en coûtait d'exécuter ses ordres", a raconté Mirzá Àqà Jàn à Nabil, "Bahá'u'lláh me rassura en disant: 'Il n'existe personne actuellement qui soit digne d'entendre ces mélodies-' Et ce n'est pas une ou deux fois, mais une quantité de fois que je reçus l'ordre de détruire ses écrits..." Un certain Muhammad Karim, natif de Shiráz, qui avait vu la rapidité et la manière avec lesquelles le Báb écrivait ses versets inspirés, et qui parvint à la présence de Bahá'u'lláh au cours de cette période, a laissé le témoignage suivant à la postérité, après avoir constaté de ses propres yeux, ce qu'il considérait comme la seule preuve de la mission du Promis: "je me porte garant de la supériorité des versets révélés par Bahá'u'lláh sur ceux du Báb, que j'ai vus moi-même couler de sa plume lorsque j'étais en sa présence, et ceci au point de vue de la rapidité de rédaction, de la facilité d'élocution, et pour leur clarté, leur profondeur et leur douceur. Même si Bahá'u'lláh n'avait pas d'autre titre de grandeur, le fait d'avoir produit des versets tels que ceux qui, à ce jour, sont sortis de sa plume, serait suffisant aux yeux des peuples du monde."

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Au premier rang des trésors inestimables rejetés par les vagues de l'océan tumultueux de la révélation de Bahá'u'lláh se place le Kitáb-i-Iqán (Livre de la Certitude), révélé en l'espace de deux jours et deux nuits, dans les dernières années de cette période (1278 A.H.- 1862 A.D.*). Ce livre fut écrit pour accomplir la prophétie du Báb qui avait spécifié que le Promis compléterait le thème inachevé du Bayán persan, et pour répondre aux questions posées à Bahá'u'lláh par Hàji Mirzá Siyyid Muhammad, un oncle maternel du Báb - non converti encore -, lors d'une visite faite à Karbilà avec son frère, Hàji Mirzá Hasan-'Ali. Modèle de prose persane au style tout à fait original, châtié, vigoureux et remarquablement clair, aux arguments convaincants, sans pareil par son irrésistible éloquence, ce livre, traçant les lignes générales du grand plan de rédemption de Dieu, occupe une position sans égale dans l'ensemble de la littérature bahá'i, à l'exception du Kitáb-i-Aqdas, le très saint Livre de Bahá'u'lláh. Révélé à la veille de la déclaration de sa mission, il offrait à l'humanité le "vin cacheté de choix " fleurant le " musc ", brisait les " sceaux " du " livre ', cité par Daniel, et dévoilait le sens des "paroles" qui devait demeurer "caché" jusqu'au "temps de la fin"

En l'espace de deux cents pages, ce livre proclame sans équivoque l'existence et l'unité d'un Dieu personnel, inconnaissable, inaccessible, source de toutes les révélations, éternel, omniscient, omniprésent et tout-puissant; il affirme la relativité de la vérité religieuse et la continuité de la révélation divine; il soutient le principe de l'unité des prophètes, affirme l'universalité de leur message, la similitude de leurs enseignements fondamentaux, la sainteté de leurs écrits et le caractère double de leur nature; il dénonce l'aveuglement et la perversité des théologiens et des docteurs de tous les âges, cite et dégage le sens des passages allégoriques du Nouveau Testament, des versets obscurs du Qur'án et des traditions secrètes de l'islám, qui ont engendré des siècles de malentendus, de doutes et d'inimitiés, divisant et séparant les adeptes des principaux systèmes religieux du monde; il énumère les conditions préalables que doit remplir tout véritable chercheur pour parvenir à l'objet de sa recherche; il démontre la validité, le caractère sublime et la signification de la révélation du Báb, loue l'héroïsme et le détachement de ses disciples, prévoit et prophétise le triomphe mondial de la révélation promise au peuple du Bayán; il confirme la pureté et l'innocence de la Vierge Marie, rend gloire aux imàms de la foi de Muhammad, célèbre le martyre et honore la souveraineté spirituelle de l'Imàm Husayn; il dévoile la signification de termes symboliques tels que "retour", "résurrection", "Sceau des prophètes" et "jour du jugement"; il laisse entrevoir les trois phases de la révélation divine et fait la distinction entre elles; enfin, il s'étend en termes chaleureux sur les gloires et les merveilles de la "cité de Dieu", régénérée à intervalles déterminés par la dispensation de la Providence, dans le but de guider, de faire prospérer et de sauver toute l'humanité. On peut certes avancer que, de tous les livres révélés par l'auteur de la révélation bahá'i ce livre seul, en abattant les barrières séculaires qui avaient séparé d'une manière si radicale les grandes religions du monde, a posé d'inattaquables et vastes fondements pour une réconciliation complète et permanente de leurs fidèles.

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Tout de suite après cette source unique de trésors inestimables, il faut placer les Paroles cachées, ce merveilleux recueil de propos inspirés que, tels des gemmes précieuses, Bahá'u'lláh révélait tandis qu'il allait et venait, plongé dans ses méditations, sur les rives du Tigre. Révélé au cours de l'année 1274 AH., partie en persan, partie en arabe, ce recueil fut désigné à l'origine sous le nom de Livre caché de Fàtimih, et identifié par son auteur avec le livre du même nom que détient le Qà'im promis, d'après l'islám shi'ah. Dans ce livre se trouvent les paroles de réconfort que, sur l'ordre de Dieu, l'ange Gabriel adressa à Fàtimih, les dictant à l'Imàm 'Ali, à l'unique fin de la consoler au moment de son cruel chagrin, après la mort de son illustre père. Par son caractère, que l'auteur décrit dans son introduction, on appréciera mieux la portée de ce levain spirituel dynamique, jeté dans la vie du monde pour donner une orientation nouvelle à l'esprit de l'homme, pour édifier son âme et corriger sa conduite: " Voici ce qui est descendu du royaume de gloire ce qui fut révélé aux prophètes d'autrefois par la langue de la puissance et du pouvoir. Nous en avons exprimé l'essence profonde sur laquelle nous avons posé le vêtement de la brièveté, comme un signe de grâce pour les justes, afin qu'ils soient fidèles au covenant de Dieu, qu'ils puissent répondre à sa confiance et recueillir, au royaume de l'esprit, le fleuron de la divine vertu."

A ces deux remarquables contributions à la littérature religieuse du monde, qui occupent respectivement des rangs d'une prééminence sans précédent parmi les écrits de l'auteur de la dispensation bahá'i, écrits relatifs à sa doctrine et à sa morale, s'ajouta, pendant cette même période, un traité qui peut être considéré comme son ouvrage mystique le plus important, désigné sous le nom des Sept Vallées. Ecrit pour répondre aux questions du Shaykh Muhvi'd-Din, le qàdi* de Khàniquayn*, il y décrit les sept étapes que doit nécessairement traverser le chercheur avant de pouvoir atteindre le but de son existence.

Les Quatre Vallées, épître adressée au savant Shaykh 'Abdu'r-Rahmàn-i-Karkùti, la Tablette du Saint-Marin dans laquelle Bahá'u'lláh prédit les malheurs terribles qui doivent fondre sur lui, la Lawh-i-Hùrriyyih (Tablette de la divine Houri*) dans laquelle sont prédits les événements d'un avenir beaucoup plus éloigné, la Sùriy-i-Sabr (Sùrih de la Patience), révélée le premier jour de Ridván, qui célèbre Vahid et ses compagnons de souffrance à Nayriz, le commentaire sur les lettres placées en tête des sùrihs du Qu'ràn, son interprétation de la lettre Vàv mentionnée dans les écrits de Shaykh Ahmad-i-Ahsà'i ainsi que d'autres passages obscurs des oeuvres de Siyyid Kàzim-i-Rashti, la Lawh-i-Madinatu't-Tawhid (Tablette de la Cité de l'Unité), le Sahifiy-i-Shattiyyih, les Musibàt-i-Hurùfàt-i-'Aliyát, le Tafsir-i-Hù, le Javàhiru'l-Asràr et quantité d'autres écrits sous formes d'épîtres, d'odes, d'homélies, de tablettes sur des sujets déterminés, de commentaires et de prières, tous ces ouvrages ont contribué de diverses manières à grossir les "fleuves de la vie éternelle" qui se sont déversés de la "demeure de paix", et ont fourni un élan puissant à l'extension de la foi du Báb en Perse et en 'Iráq, stimulant l'âme et transformant le caractère de ses adhérents.

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L'évidence indéniable de l'étendue et de la magnificence du pouvoir grandissant de Bahá'u'lláh, son prestige qui croissait avec rapidité, la transformation miraculeuse produite par ses préceptes et son exemple sur le comportement et le caractère de ses compagnons, depuis Baghdád jusqu'aux villes et hameaux les plus reculés de la Perse, l'amour brûlant dont leur cœur se consumait pour lui, le volume prodigieux d'écrits qui, jour et nuit, coulaient de sa plume, tout cela ne pouvait manquer d'attiser la flamme de l'animosité qui couvait dans le cœur de ses ennemis shi'ah et sunnite. Maintenant qu'il résidait à proximité des citadelles de l'islám shi'ah et qu'il entrait lui-même en contact direct et presque quotidien avec les pèlerins fanatiques qui affluaient vers les lieux saints de Najaf, Karbilà et Kàzimayn, une épreuve de force entre la splendeur croissante de sa gloire et les puissances obscures prêtes à la bataille ne pouvait être plus longtemps retardée. Il ne manquait qu'une étincelle pour mettre le feu à cette matière inflammable constituée par toutes les haines, les craintes et les jalousies accumulées que le renouveau d'activité des Bábis avait engendrées. Elle jaillit lors de l'intervention d'un certain Shaykh 'Abdu'l-Husayn, prêtre rusé et têtu, dont la jalousie dévorante à l'égard de Bahá'u'lláh n'était dépassée que par son habileté à exciter la malignité des Arabes ou des Persans de rang élevé, autant que celle des humbles de la plus basse condition qui se pressaient dans les rues et sur les marchés de Kàzimayn, Karbilà et Baghdád. C'est lui que Bahá'u'lláh a flétri dans ses tablettes sous les épithètes de "scélérat", "intrigant", "perfide", celui qui " a brandi le glaive de son moi à la face de Dieu "dans l'âme de qui le diable a chuchoté ", " celui dont Satan fuit l'impiété ", le dépravé ", " d'où naissent et à qui retourneront toutes les infidélités, les cruautés et les crimes". En grande partie par suite des efforts du grand vizir qui désirait se débarrasser de lui, cet importun mujtahid avait été chargé par le sháh de se rendre à Karbilà pour restaurer les lieux saints de cette ville. Attendant son heure, il s'associa avec Mirzá Buzurg Khàn, consul général de Perse, récemment nommé, un homme à l'esprit aussi vicieux que lui, d'intelligence médiocre, faux, imprévoyant et sans honneur, ivrogne invétéré, qui tomba bientôt victime de l'influence de ce vil conspirateur et devint l'instrument consentant de ses desseins.

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Leur premier effort concerté fut d'obtenir du gouverneur de Baghdád, le pacha Mustafà, ceci grâce à une déformation grossière de la vérité, un ordre d'extradition de Bahá'u'lláh et de ses compagnons, tentative qui échoua misérablement. Réalisant la futilité de ses efforts pour atteindre son but par le truchement des autorités locales, Shaykh 'Abdu'l-Husayn commença à exciter les passions d'une population superstitieuse et très prompte à s'échauffer, en faisant circuler avec diligence des récits de rêves qu'il avait inventés au préalable et qu'il interprétait ensuite. Son ressentiment devant le silence qu'il rencontra s'aggrava, à la suite de sa lamentable dérobade au défi d'une entrevue arrangée d'avance entre Bahá'u'lláh et lui. Mirzá Buzurg Khàn, de son côté, usa de son influence pour éveiller l'animosité des éléments les plus bas de la population contre l'adversaire commun, les incitant à affronter Bahá'u'lláh en public, dans l'espoir de provoquer quelque acte inconsidéré de représailles susceptible de servir de prétexte à de fausses accusations et d'obtenir, par ce moyen, l'ordre désiré pour l'extradition de Bahá'u'lláh. Cette tentative, elle aussi, se révéla stérile étant donné que la présence de Bahá'u'lláh qui, malgré les avertissements et les prières de ses amis, continuait à circuler sans escorte, de nuit comme de jour, à travers les rues de la ville, suffisait à plonger ses agresseurs en puissance dans la consternation et la honte. Averti quant à leur dessein, il s'approchait d'eux en les raillant de leurs intentions, plaisantait avec eux et les laissait remplis de confusion, et bien décidés à abandonner tous les projets qu'ils avaient dans la tête, quels qu'ils soient. Le consul général était même allé jusqu'à louer un bandit, un Turc nommé Ridà, pour la somme de cent tùmàns; il lui avait procuré un cheval et deux pistolets et, l'assurant de sa propre protection, lui avait donné l'ordre de chercher et de tuer Bahá'u'lláh. Ridà, apprenant un jour que sa victime présumée se trouvait aux bains publics, déjoua la vigilance des Bábis qui l'escortaient et entra dans l'établissement avec un pistolet caché sous son manteau, pour s'apercevoir seulement qu'une fois arrivé à l'intérieur, et face à face avec Bahá'u'lláh, il n'avait pas le courage nécessaire pour accomplir sa tâche. Plusieurs années après, il raconta qu'une autre fois, il était couché, attendant Bahá'u'lláh, le pistolet à la main, et comme celui-ci s'approchait, il fut saisi d'une telle crainte que le pistolet tomba de sa main, sur quoi Bahá'u'lláh ordonna à Aqày-i-Kalim qui l'accompagnait de lui rendre son arme, puis de le remettre sur le chemin de son domicile.

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Frustré dans ses tentatives répétées pour accomplir ses desseins malveillants, Shaykh 'Abdu'l-Husayn dirigea alors ses efforts dans une nouvelle direction. Il promit à son complice de l'élever au rang de ministre de la couronne, s'il réussissait à persuader le gouvernement de rappeler Bahá'u'lláh à Tihrán pour le remettre en prison. Il envoya d'assez longs rapports, presque chaque jour, à l'entourage immédiat du sháh. Il brossait des tableaux extravagants de l'ascendant dont jouissait Bahá'u'lláh, en alléguant qu'il avait acquis l'obéissance des tribus nomades d'Iráq. Il prétendait qu'il était à même de rassembler en un jour au moins cent mille hommes prêts à prendre les armes à son commandement. Il l'accusait de projeter, de concert avec différents chefs persans, un soulèvement contre le souverain. Par des moyens de ce genre, il réussit à exercer une pression suffisante sur les autorités de Tihrán pour inciter le sháh à lui accorder un mandat avec les pleins pouvoirs, ordonnant aux 'ulamà et aux fonctionnaires persans de lui prêter toute l'aide possible. Ce mandat, le Shavkh l'envoya immédiatement aux ecclésiastiques de Najaf et de Karbilà, leur demandant de convoquer une assemblée à Kàzimayn où il habitait. Un rassemblement de shaykhs, de mullàs et de mujtahids, vivement désireux d'entrer dans les bonnes grâces de leur souverain, se forma promptement. Une fois informés de l'objet de cette réunion, ils décidèrent d'entreprendre une guerre sainte contre la colonie d'exilés, et de lancer sur elle un assaut soudain et général pour détruire la foi dans ses racines. Pourtant, à leur grand étonnement et à leur déception, ils s'aperçurent que, lorsqu'il connut leurs desseins, le chef des mujtahids, le fameux Shaykh Murtadày-i-Ansàri, homme connu pour sa tolérance, sa sagesse, sa justice rigoureuse, sa piété et la noblesse de son caractère, se refusait à prononcer la sentence requise contre les Bábis. C'est lui que Bahá'u'lláh célébra plus tard dans la Lawh-i-Sultán, le classant parmi "Ces docteurs qui ont effectivement bu à la coupe du renoncement" et qui, "jamais, ne s'opposèrent à lui", celui auquel 'Abdu'l-Bahá fait allusion comme à "l'érudit, l'illustre docteur, le noble et réputé savant, le sceau des chercheurs de vérité". Alléguant qu'il ne connaissait pas suffisamment les croyances de cette communauté, et déclarant qu'il n'avait constaté de la part de ses membres aucun acte contraire à l'esprit du Qu'ràn, il quitta brusquement la réunion sans prêter attention aux protestations de ses collègues et retourna à Najaf, après avoir envoyé un messager à Bahá'u'lláh pour lui exprimer ses regrets de ce qui s'était produit, ainsi que ses voeux sincères pour sa protection.

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Déçus dans leurs projets, mais acharnés dans leur hostilité, les ecclésiastiques rassemblés déléguèrent auprès de Bahá'u'lláh le savant et dévot Hàji Mullà Hasan-i-'Ammù, bien connu pour sa sagesse et son intégrité, pour lui demander d'élucider diverses questions. Après avoir posé ces questions et avoir reçu des réponses tout à fait satisfaisantes pour lui, le messager, Hàji Mullà Hasan, assurant que les 'ulamà reconnaissaient l'étendue de la science de Bahá'u'lláh, demanda un miracle comme preuve de la véracité de sa mission, miracle qui donnerait entière satisfaction à tous les intéressés. "Bien que vous n'ayez nul droit de demander cela", répliqua Bahá'u'lláh, "car c'est à Dieu d'éprouver ses créatures et non aux créatures d'éprouver Dieu, j'admets et accepte encore cette demande ... Que les 'ulamà se réunissent et choisissent un miracle d'un commun accord, puis qu'ils certifient par écrit qu'après l'accomplissement de ce miracle, ils ne nourriront plus aucun doute à mon égard, et que tous reconnaîtront et attesteront la vérité de ma cause. Qu'ils scellent ce papier et me l'apportent. Tel doit être le critère accepté: Si le miracle est accompli, nul doute ne subsistera pour eux; sinon, Nous serons convaincu d'imposture." Cette réponse claire, pleine de défi et de courage, sans parallèle dans les annales d'aucune autre religion, réponse adressée aux plus illustres théologiens shi'ah rassemblés dans leur forteresse consacrée, apporta une telle satisfaction à leur envoyé qu'il se leva instantanément, embrassa le genou de Bahá'u'lláh et prit congé pour aller porter son message. Trois jours plus tard, il envoyait une note disant que cette auguste assemblée n'avait pas réussi à prendre une décision et avait résolu d'abandonner l'affaire, conclusion à laquelle lui-même donna une large publicité pendant son séjour en Perse, et dont il fit même part, en personne, à Mirzá Sa'id Khàn, alors ministre des Affaires étrangères. - Dans ce message entièrement satisfaisant que Nous avons envoyé et qui répondait à tout" fit paraît-il remarquer Bahá'u'lláh lorsqu'il apprit leur réaction à la suite de son défi, " Nous avons expliqué et justifié les miracles de tous les prophètes, d'autant plus que Nous avions laissé le choix aux 'ulamà eux-mêmes, en prenant l'engagement de faire apparaître ce qu'ils décideraient." Au sujet d'un défi analogue lancé plus tard par Bahá'u'lláh dans la Lawh-i-Sultán, 'Abdu'l-Bahá écrit: "Si nous examinons avec soin le texte de la Bible, nous voyons que la manifestation divine n'a jamais dit à ceux qui la rejetaient: "Quelque soit le miracle que vous désirez, je suis prêt à l'accomplir, et je me soumettrai à n'importe quelle épreuve que vous proposerez." Mais dans l'épître au sháh, Bahá'u'lláh a dit clairement: "Rassemblez les 'ulamà et convoquez-moi afin que les témoignages et les preuves puissent être établis."

Sept années de consolidation patiente, ininterrompue et remarquablement couronnées de succès, tiraient maintenant à leur fin. Une communauté sans pasteur, soumise, au-dedans comme au-dehors, à une tension énorme et prolongée, et menacée d'anéantissement, avait été ressuscitée et élevée à une hauteur sans précédent au cours de ses vingt ans d'histoire. Ses fondations étant renforcées, son esprit ennobli, ses points de vue transformés, sa direction sauvegardée, ses principes fondamentaux restaurés, son prestige rehaussé, ses ennemis déconcertés, la main du destin se préparait peu à peu à la lancer dans une nouvelle phase de sa carrière mouvementée, phase dans laquelle bonheur et malheur tout ensemble allaient lui faire traverser un stade de plus dans son évolution. Le libérateur, le seul espoir et, en fait, le chef reconnu de cette communauté, qui en avait constamment imposé aux auteurs de tant de complots destinés à l'assassiner, qui avait rejeté avec dédain tous les timides conseils lui enjoignant de fuir loin de la scène du danger, qui avait fermement repoussé les offres généreuses et répétées de la part d'amis et de disciples désireux d'assurer sa sécurité personnelle, qui avait remporté une victoire aussi incontestable sur ses adversaires, ledit libérateur était poussé en cette heure propice, de par l'irrésistible processus de développement de sa mission, à transférer sa résidence dans un centre infiniment plus important, dans la capitale de l'Empire ottoman, siège du califat, centre administratif de l'islám sunnite, et lieu de séjour du plus puissant monarque du monde islamique.

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Il avait déjà jeté un audacieux défi à l'ordre sacerdotal représenté par les ecclésiastiques éminents qui résidaient à Najaf, à Karbilà et à Kàzimayn. Il allait maintenant, pendant qu'il se trouvait dans les parages de la cour de son royal adversaire, proposer un défi semblable au chef consacré de l'islám sunnite ainsi qu'au souverain de Perse, dépositaire de l'Imàm caché. De plus, il lança un appel et un avertissement à tous les rois de la terre, et en particulier au sultán et à ses ministres, tandis qu'il adressait de sévères exhortations aux chefs de la chrétienté et aux membres de la hiérarchie sunnite. Il n'est pas étonnant qu'après avoir quitté l' 'Iráq, le messager exilé d'une révélation récente ait prononcé ces paroles prophétiques, en prévision de l'éclat futur de la lampe de sa foi: "Elle brillera d'un éclat resplendissant dans un autre globe, comme préordonné par celui qui est l'Omnipotent, l'Ancien des jours ... Le fait que l'Esprit se retire du corps de l' 'Iráq est, en vérité, un signe merveilleux pour tous ceux qui sont au ciel et tous ceux qui sont sur terre. Bientôt, vous apercevrez ce divin adolescent* chevauchant le coursier de la victoire. Alors, le cœur des envieux sera saisi de crainte."

L'heure prédestinée pour Bahá'u'lláh de quitter l' 'Iráq ayant maintenant sonné, le processus selon lequel ce départ allait s'effectuer fut déclenché. Les neuf mois d'efforts ininterrompus exercés par ses ennemis, et spécialement par Shaykh 'Abdu'l-Husayn et son complice, Mirzá Buzurg Khàn, étaient sur le point de porter leurs fruits. Le sháh Nàsiri'd-Din et ses ministres d'une part, et l'ambassadeur persan à Constantinople d'autre part, étaient sollicités sans arrêt d'avoir à prendre des mesures immédiates pour assurer le départ de Bahá'u'lláh. Par une présentation grossièrement dénaturée de la véritable situation, et par la propagation de bruits alarmants, un ennemi énergique et plein de malignité réussit finalement à persuader le sháh de donner à Mirzá Sa'id Khàn, son ministre des Affaires étrangères, l'ordre de charger l'ambassadeur persan près la Sublime-Porte, Mirzá Husayn Khàn - ami intime du pacha 'Ali, le grand vizir du sultán, et du pacha Fu'àd, ministre des Affaires étrangères d'amener le sultán 'Abdu'l-'Aziz à ordonner le transfert immédiat de Bahá'u'lláh en un lieu éloigné de Baghdád, sous le prétexte que sa
139 résidence perpétuelle dans cette ville touchant au territoire de Perse, et proche d'un centre de pèlerinage shiàh aussi important, constituait une menace directe pour la sécurité de la Perse et de son gouvernement.

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Mirzá Sa'id Khàn, dans sa communication à l'ambassadeur, flétrissait la foi comme une "secte égarée et détestable", déplorait la libération de Bahá'u'lláh du Siyáh-Chàl, et le dénonçait comme quelqu'un qui ne cessait de "corrompre en', secret et d'égarer des gens stupides et des ignorants, faibles d'esprit". " Conformément aux instructions royales", écrivit-il, "j'ai reçu l'ordre, moi votre fidèle ami ... de vous inviter à prendre sans délai un rendez-vous avec Leurs Excellences le sadr-i-a'zam* et le ministre des Affaires étrangères ... pour solliciter le retrait de cette source de discordes d'un centre tel que Baghdád qui est le lieu de rencontre de bien des peuples différents, et qui est situé près des frontières des provinces persanes." Dans cette même lettre, citant un verset célèbre, il écrit: "je vois sous la cendre la lueur du feu et il lui suffit de peu pour s'embraser", trahissant ainsi sa frayeur et tâchant de la communiquer à son correspondant.

Encouragé par le fait que l'actuel souverain avait délégué une grande partie de ses pouvoirs à ses ministres, et aidé par certains ambassadeurs et ministres étrangers à Constantinople, Mirzá Husayn Khàn, à force de persuasion et d'amicale pression exercées sur ces ministres, réussit à obtenir le consentement du sultán au transfert de Bahá'u'lláh à Constantinople, ainsi que celui de ses compagnons (qui, entre-temps, avaient été forcés par les circonstances de changer de nationalité). On rapporte même que la première requête des autorités persanes auprès d'une puissance amie, après l'accession sur le trône du nouveau sultán, concerna une intervention active et rapide en cette affaire.

Ce fut le cinquième jour du Naw-Rùz (1863), pendant que Bahá'u'lláh
célébrait cette fête dans le Mazra'iy-i-Vashshàsh*, dans la banlieue de Baghdád, et qu'il venait tout juste de révéler la Tablette du Saint-Marin dont les sombres pronostics avaient soulevé de sérieuses appréhensions parmi ses compagnons, qu'un émissaire du pacha Nàmiq arriva et lui remit une note l'invitant à une entrevue avec le gouverneur.

Déjà, comme Nabil l'a signalé dans sa narration, Bahá'u'lláh, au cours des dernières années de son séjour à Baghdád, avait fait allusion dans ses discours à la période d'épreuves et de troubles qui approchait inexorablement, faisant montre d'une tristesse et d'un accablement qui bouleversèrent beaucoup de ceux qui l'entouraient. Un rêve qu'il eut à cette époque et dont le caractère sinistre ne pouvait laisser de doute, servit à confirmer les craintes et les pressentiments qui avaient assailli ses compagnons: "J'ai vu", écrit-il dans une tablette, "Les prophètes et les messagers rassemblés et assis autour de moi, gémissant, pleurant et se lamentant à haute voix. Etonné, je leur en demandai la raison, sur quoi leurs gémissements et leurs pleurs redoublèrent et ils me répondirent: 'Nous pleurons sur toi, ô très grand mystère, ô tabernacle d'immortalité!' Ils versaient tant de larmes que, moi aussi, je pleurais avec eux. Là-dessus, l'Assemblée céleste, s'adressant à moi, me dit: ' ... Avant longtemps, tu verras de tes propres yeux ce que nul prophète n'a vu ... Sois patient, sois patient' ... Ils continuèrent à me parier toute la nuit jusqu'à l'approche de l'aurore." "Des océans de chagrin, affirme Nabil, envahirent le cœur de ceux qui écoutaient lire tout haut la Tablette du Saint-Marin...Il était clair pour tous que le chapitre de Baghdád tirait à sa fin et qu'un nouveau allait le remplacer. Aussitôt fini de chanter cette tablette, Bahá'u'lláh ordonna de démonter les tentes plantées en ce lieu et fit rentrer tous ses compagnons en ville. Tandis qu'on enlevait les tentes, il remarqua: " Ces tentes peuvent être comparées aux décors de ce monde: A peine sont-elles déployées qu'il est déjà temps de les replier." Ceux qui entendirent ces paroles comprirent alors que leurs tentes ne seraient plus jamais dressées en ce lieu. On n'avait pas encore fini de les enlever que le messager arrivait de Baghdád, apportant la note du gouverneur mentionnée plus haut.

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Le jour suivant, dans une mosquée proche de la maison du gouverneur, le substitut de celui-ci avait remis à Bahá'u'lláh la lettre du pacha 'Ali adressée au pacha Nàmiq; celle-ci était libellée en termes courtois et invitait Bahá'u'lláh à se rendre, en tant qu'invité du gouvernement ottoman, à Constantinople, mettant à sa disposition une certaine somme, et ordonnant qu'une escorte de cavaliers l'accompagne pour le protéger. A cette demande, Bahá'u'lláh donna immédiatement son consentement mais refusa d'accepter la somme qui lui était offerte. Comme le substitut lui faisait remarquer d'une manière pressante qu'un tel refus offenserait les autorités, il consentit à regret à recevoir cette généreuse indemnité refusée pour lui-même, et il la fit distribuer aux pauvres le même jour.

L'effet de cette nouvelle brutale sur la colonie d'exilés fut instantané et la plongea dans la consternation. "Ce jour-là", écrit un témoin oculaire, dépeignant la réaction de la communauté à l'annonce du proche départ de Bahá'u'lláh, "on observa une émotion voisine du tumulte provoqué au jour de la résurrection. J'ai l'impression que les portes et les murs de la ville pleurèrent eux-mêmes bruyamment devant l'imminence de cette séparation d'avec leur Bien-Aimé Abhá. La première nuit où fut annoncé son projet de départ, tous ses adorateurs sans exception se privèrent de sommeil et de nourriture ... Pas une seule de ces âmes ne put trouver d'apaisement. Bon nombre d'entre eux avaient décidé que, s'ils étaient privés de la faveur de l'accompagner, ils mettraient fin à leurs jours sans hésiter ... Pourtant, peu à peu, grâce aux paroles qu'il leur adressa, à ses exhortations et à sa bienveillante sollicitude, ils se calmèrent et se résignèrent à accepter son bon plaisir." Pendant cette période, il révéla, de sa propre main, une tablette particulière pour chacun d'entre eux, Arabe ou Persan, homme ou femme, enfant ou adulte qui vivaient à Baghdád. Dans la plupart de ces tablettes, il prédit l'apparition du "Peau"* et des "oiseaux* de la nuit", allusions à ceux qui, ainsi que prévu dans la Tablette du Saint-Marin et pressenti dans le rêve cité plus haut, allaient élever l'étendard de la rébellion et précipiter la crise la plus grave dans l'histoire de la foi.

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Vingt-sept jours après avoir révélé de façon aussi imprévue cette affligeante tablette, et après avoir reçu le message fatal faisant pressentir son départ pour Constantinople, un mercredi après-midi (22 avril 1863), trente-et-un jours après le Naw-Rùz, le 3 dhi'l-qa'dih 1279 A.H., Bahá'u'lláh se mit en route pour la première étape de son voyage de quatre mois vers la capitale de l'Empire ottoman. Ce jour historique, désigné plus tard, et à jamais, comme le premier jour de la fête du Ridván, où fut atteint le maximum des visiteurs innombrables venus lui dire adieu - amis et relations de toutes classes et de toutes dénominations -, fut un jour comme les habitants de Baghdád en avaient rarement vécu. Une foule de personnes des deux sexes et de tous âges, comprenant des amis et des étrangers: Arabes, Kurdes et Persans, notables et ecclésiastiques, fonctionnaires et marchands, ainsi que de nombreux représentants des classes inférieures: pauvres, orphelins, parias, les uns surpris, d'autres le cœur brisé, un grand nombre tout en larmes et remplis d'appréhension, quelques-uns poussés par la curiosité ou par une satisfaction secrète, se pressaient aux abords de sa demeure, désireuses d'entrevoir pour la dernière fois celui qui, pendant dix années, avait exercé, par ses préceptes et son exemple, une influence aussi puissante, sur une si grande partie de la population hétérogène de la ville.

Quittant pour la dernière fois, au milieu des pleurs et des lamentations, sa "très sainte demeure", d'où avait "soufflé la brise du trés-Glorieux" et d'où, en de "continuels accents", s'était exhalée la "mélodie du très-Miséricordieux", et d'une main prodigue, distribuant sur son passage ses dernières aumônes aux pauvres qu'il avait secourus avec tant de dévouement, prononçant des paroles de réconfort pour les inconsolables qui l'imploraient de tous côtés, il atteignit enfin les bords de la rivière. De là, il fut transporté par bac, avec ses fils et son secrétaire, jusqu'au jardin de Najibiyyih situé sur la rive opposée. "0 mes compagnons", dit-il au groupe de fidèles qui l'entouraient, au moment de s'embarquer: "je vous confie la tache de garder cette ville de Baghdad dans l'état où volts la voyez aujourd'hui, alors que, comme les pluies au printemps, des pleurs coulent des yeux des étrangers et des amis qui se pressent sur les toits des maisons, dans les rues et sur les marchés, et que je m'en vais. Il vous appartient maintenant de veiller afin que vos actes et votre conduite n'affaiblissent pas la flamme d'amour qui brille dans le cœur de ses habitants. "

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Le muezzin venait de lancer l'appel à la prière de l'après-midi lorsque Bahá'u'lláh entra dans le jardin de Najibiyyih où il séjourna douze jours, avant de quitter définitivement la ville. C'est là que ses amis et ses compagnons, par groupes successifs, arrivèrent en sa présence et, avec un sentiment de profond chagrin, lui firent leur dernier adieu. Se détachant parmi eux, on remarquait le célèbre Àlùsi, mufti de Baghdád, qui, les yeux noyés de larmes, maudissait le nom de Nàsiri'd-Din qu'il estimait le principal responsable d'un bannissement aussi immérité. "J'ai cessé de le considérer", affirma-t-il ouvertement, "comme étant Nàsiri'd-Din (le sauveur de la foi); je le considère plutôt comme son destructeur." Un autre visiteur de marque, le gouverneur lui-même, le pacha Nàmiq qui, après avoir exprimé en termes des plus respectueux son regret des événements qui provoquaient le départ de Bahá'u'lláh, et après l'avoir assuré de son désir de l'aider par tous les moyens en son pouvoir, remit à l'officier chargé de l'accompagner un ordre écrit recommandant aux gouverneurs des provinces par lesquelles devaient passer les exilés de leur accorder les plus grands égards. "Tout ce que vous estimez nécessaire", dit-il à Bahá'u'lláh après s'être confondu en excuses, "vous n'avez qu'à le demander. Nous sommes prêts à l'exécuter." "Etends ton estime à nos bien-aimés et traite-les avec bonté", lui fut-il demandé, en réponse à ses offres réitérées. A cette requête, il donna son assentiment sans hésiter et avec chaleur.

Il n'est pas étonnant qu'en face de témoignages aussi nombreux d'un dévouement, d'une sympathie et d'une estime si profondément enracinés, manifestés d'une manière si frappante, autant par les grands que par les humbles, depuis le moment où Bahá'u'lláh annonça son projet de partir jusqu'au jour où il quitta le jardin de Najibiyyih, il n'est pas étonnant que ceux qui, si inlassablement, avaient tenté d'obtenir son exil et s'étaient réjoui du succès de leurs efforts, se soient mis alors à regretter amèrement leurs actes. " Telle a été l'intervention de Dieu", affirme 'Abdu'l-Bahá, faisant allusion à ces ennemis dans une lettre envoyée de ce jardin, "que la joie qu'ils manifestaient s'est transformée en chagrin et en tristesse, au point que le consul général de Perse à Baghdád regretta infiniment les desseins et les complots tramés par les intrigants. Le pacha Nàmiq lui-même, le jour où il lui (Bahá'u'lláh) rendit visite, déclara: 'Auparavant ils insistaient pour que vous partiez; maintenant, au contraire, ils insistent encore plus pour que vous restiez."

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